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Claire & Yvan GOLL
Claire & Yvan GOLL
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3 décembre 2008

Pazscal Pia

Pascal Pia : Feuilletons littéraires ( tome 2 ) 1965-1977 . 937 pages

Yvan Goll et Claire Goll  p.588 à 594

Fayard - novembre 2000

reprise de son article paru dans " Carrefour " le mercredi 8 mars 1972 .

La poésie malgré tout

Presque simultanément viennent de paraître chez le même éditeur un récit de Mme Claire Goll, Ballerine de la peur, et 2 volumes rassemblant une grande partie de l'oeuvre poétique d'Yvan Goll, mort à 59 ans, en mars 1950.

Les noms de Claire et d'Yvan Goll n'ont été longtemps familiers qu'aux amateurs de poésie et à la clientèle, toujours restreinte, des petites revues littéraires. Depuis dix ou douze ans, la présence de ces deux écrivains dans la collection Seghers de « Poètes d'aujourd'hui » a certainement affermi et étendu leur réputation, mais peut-être celle-ci demeure-t-elle moins grande en France que dans les pays de langue allemande, et même moins bien établie qu'elle ne l'est déjà aux Etats-Unis, où l'oeuvre d'Yvan Goll fait l'objet de travaux universitaires et d'éditions critiques.

Cette fortune peut surprendre. Elle n'a cependant rien d'inexplicable. Yvan et Claire Goll ont résidé aux Etats-Unis pendant la dernière guerre et jusqu'en 1947. Il y ont publié plusieurs ouvrages, et Yvan Goll y a dirigé une revue bilingue, Hémisphères, au sommaire de laquelle figurèrent à côté d'André Breton et de M. Aimé Césaire, qui devait un peu plus tard siéger au Palais-Bourbon comme député communiste de la Martinique, M. Roger Caillois, futur académicien, et M. St John Perse, ancien secrétaire général du Quai d'Orsay. Jean Paulhan lui-même, à la meilleure époque de la N. R. F., n'eut pas réussi un plus éclatant assortiment. On conçoit que cet éclat n'ait pas laissé les Américains indifférents, et qu'ayant eu la curiosité de s'informer du directeur d'Hémisphères, ils aient découvert et apprécié la poésie d'Yvan Goll.

Quant à l'intérêt que l'histoire littéraire attache à Yvan Goll et à Claire Goll dans tous les pays germaniques, il suffit, pour le comprendre, de se rappeler qu'ils avaient tous deux débuté comme poètes de langue allemande, lui en 1914, elle en 1917, et que, résidant en Suisse, ils avaient en pleine guerre exprimé des sentiments pacifistes que personne n'oserait leur reprocher aujourd'hui, mais qui les désignaient alors à la réprobation des « jusqu'aux boutistes » de chaque camp.

Quelques précisions biographiques ne seront pas superflues. Né d'un père alsacien et d'une mère messine, Yvan Goll avait passé son enfance en Lorraine annexée. Il avait étudié le droit et la philosophie à l'université de Strasbourg et dès 1913, collaboré aux revues allemandes d'avant-garde, qui prônaient l'expressionnisme. Un de ses premiers poèmes, publié à Berlin au printemps de 1914, exalte l'ouverture du canal de Panama en des termes qui rappelle le Panama de Blaise Cendrars et qui pourtant ne lui doivent rien : le Panama de Cendrars était encore inédit en 1914, si tant est qu'il fut déjà composé, -- ce qui est peu probable. On rencontre, dans Der Panama Kanal, quelques-unes des images d'exubérance tropicale qui parsèment le poème de Cendrars, est aussi les mêmes impressions de fièvre, les mêmes soupirs de lassitude, les mêmes cris d'enthousiasme, les mêmes odeurs de décomposition. Si la critique avait voulu pourvoir d'une généalogie littéraire le jeune poète allemand qu'était alors Yvan Goll, sans doute l'eut-elle apparenté à Walt Whitman à Verhaeren, à l'Apollinaire de Zone et de L'Emigrant de Landor Road. Mais la critique ignorait encore Yvan Goll, dont le Panama était d'ailleurs signé du pseudonyme d'Iwan Lassang. Elle ne s'est avisée de son existence qu'au cours de la première guerre mondiale, sans prendre garde en ce temps-là à la qualité de ses poèmes, se bornant à louer ou à condamner ce qu'elle appelait son humanité ou sa sensiblerie, sa lucidité ou son défaitisme. Goll s'était rangé aux côtés de Romain Rolland en faisant paraître en 1915 à Lausanne un petit recueil d'Elégies internationales, puis en donnant l'année suivante aux éditions de la revue demain, que dirigeait Henri Guilbeaux, un Requiem pour les morts de l'Europe. Il s'était trouvé en Suisse au moment de la déclaration de guerre et avait choisi d'y rester. Comme Romain Rolland, il dénonçait la sottise d'un épouvantable conflit dans les conséquences pèseront encore sur de nouvelles générations. Dans les élégies qu'il dédiait aux peuples belligérants, il disait en 1915 :

« Peuples des chansons militaires ! Rêveurs ! Européens !

« Pourquoi ses matins grelottants sous le clairon, ces campements dans la fraise des bois, les villes énervées du sang lointain, la cavalerie flottante par les brouillards, des routes hagardes traînant l'exode des veuves, des plaines inondées de feu, les enfants sentinelles, les nuits malades et chancelantes à la toux du canon, et puis la pitié des Croix-Rouges ? Pourquoi cherchiez-vous l'amertume et la douleur, le tambour claquant de ses os et la plainte des tombes dans les dunes ?

« Peuples héroïques, vous qui cherchez votre grande bataille,

« Vous avez perdu la plus grande, Européens :

« L'Europe ! »

Les événements se sont chargés de montrer ce que ces versets comportaient de prophétique. Mais dans les années 15, 1617, l'attitude d'Yvan Goll ne le faisait pas considérer comme un prophète. Qu'ils lui fussent hostiles ou favorables, les lecteurs qu'il comptait en Suisse et ceux, beaucoup plus rares, qu'il pouvait avoir en Allemagne et en France, où le contrôle postal et la censure s'opposaient à la diffusion de ce qui s'imprimait à l'étranger, ses lecteurs le regardaient surtout comme un militant d'extrême gauche, pénétrés qu'ils étaient de la conviction que certains sentiments d'humanité impliquent nécessairement certaines opinions politiques. Pour ma part, je ne crois pas qu'Yvan Goll se soit jamais converti à Marx, à Proudhon, à Bakounine ou à Lénine, mais je ne doute point qu'il ait toujours eu en horreur toutes les dictatures, quelle qu'en ait été l'origine, et toutes les tentatives d'hégémonie, quelque prétexte qu'on eut avancé pour les justifier.

Né Allemand en 1991, Goll n'eut pas d'effort d'accommodation à s'imposer pour être Français à partir de 1919. Il était bilingue depuis son enfance. Jusque vers 1930, il écrivit tantôt dans une langue et tantôt dans l'autre, et s'il en vint ensuite à ne composer qu'en français, c'est qu'il lui eut été impossible d'être encore édité dans une Allemagne où les Nazis faisaient la loi. Par bonheur, sa poésie n'a pas souffert d'être réduite aux mots d'une seule tribu. Goll s'exprimait avec autant d'aisance dans chacune de ses deux langues, comme le prouve la version allemande des textes qu'en 1923 il a rassemblés en français dans un des ses meilleurs ouvrages, Le Nouvel Orphée. Sa poétique n'était déjà plus celle de ses pièces pacifistes. Des poèmes comme Paris brûle ou comme Astral, publié en allemand en 1920, puis en français trois ans plus tard, ne rappellent en rien Whitman ou Verhaeren, mais se rapprochent de L'Inflation sentimentale de Mac Orlan, du Voyage en autobus de Marcel sauvage et des Lampes à arc de M. Paul Morand, non seulement par leur modernisme et leur cosmopolitisme, mais aussi par leur écriture précipitée, télégraphique même, et la disparate de leurs images, lesquelles, au demeurant, reflètent beaucoup mieux que ne l'eut fait un texte discursif les ravages et les bouleversements causés dans le monde et dans les esprits de quatre années d'une guerre atroce :

Attention, Premier round !

L'Europe et le nègre Zeus se serrent la main

Caleçon tricolore

La poitrine humaine cintre un acier rose

Les appareils Morse ont tous la fièvre

Quatre poings façonnent l'honneur du monde

U.S.A. toutes les montres sont arrêtées

Les usines de munitions ont congé

Les paquebots stoppent en plein Atlantique

La statue de la Liberté sourit

alors une guerre éclate

des squelettes battent du tambour

le prix du sucre monte

enterrements gratuits

des héros laurés de bandages

entassés dans des wagons à bestiaux

portent leur coeur séché

entre deux feuilles de papier timbré

Le rapide Rome-Stockholm

est exclusivement composé de voitures-cercueils

A cet instant

devant une table de café

un GENIE découvre

l'amour des hommes.

Cette citation, extraite de Paris brûle, en ignorerait-on la provenance, il ne serait pas difficile de la dater exactement, d'y reconnaître le souvenir des fourgons où avaient dû se presser les hommes envoyés à l'abattoir, le rappel des fructueuses affaires conclues après l'armistice par d'habiles spéculateurs, et les échos du tumulte organisé autour de certains matches de boxe disputés à Madison Square.

Je ne puis m'arrêter ici à tout ce que contiennent les deux volume où viennent d'être réunis la plupart des poèmes d'Yvan Goll. Je le regrette, car il n'est aucun de ces poèmes qui, d'une manière ou d'une autre, ne témoigne de la sensibilité de leur auteur. Les vers que dès 1934 Goll consacra à un imaginaire Jean sans Terre toujours en mouvement, sont d'un visionnaire que la seconde guerre mondiale n'aura pas surpris. Les amateurs de chansons populaires, les collectionneurs d'épinaleries ne sauraient s'y tromper : Jean sans Terre, c'est Isaac Laquedem, le Juif errant de la complainte. C'est aussi Yvan Goll lui-même qui, Juif, Alsacien et pacifiste, pressentait qu'il lui faudrait cherchez bientôt refuge hors de notre continent. Je ne soutiendrais pas que cette perspective lui ait été agréable, mais je ne crois pas qu'il s'en soit affligé outre mesure. Il se savait égal à son destin, comme eut dit Apollinaire. Atteint de leucémie, il a voulu rentrer en France pour y mourir. Il commence d'y survivre.

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