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Claire & Yvan GOLL
Claire & Yvan GOLL
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3 décembre 2008

Paul Guth 1949 et 1951

La Gazette des Lettres n° 96 - 3 sept.1949 - bi-mensuel (Paris). Yvan Goll, interview

de Paul Guth p.1-2

Le rayonnement de l’oeuvre d’Yvan Goll n’est pas ce qu’il devrait être. Certes elle a ses fervents mais qui se recrutent parmi les seuls connaisseurs. Ayant justifié,  et au delà,  les espoirs que l’on plaçait en elle sur la foi des premiers recueils,  dans les années 20,  elle n’a point connu la large diffusion que l’on était en droit de lui prédire à l’époque. S’agit-il d’un paradoxe ou d’une injustice ?  Des deux sans doute,  et l’avenir s’en étonnera …Toute poésie qui nécessite une initiation parce qu’elle est elle-même une initiation est en raison même de sa qualité vouée à demeurer secrète …Qu'Yvan Goll soit un de ces poètes en marge c’est l’évidence même comme c’est le signe de sa grandeur. Si déplorable soit-elle l’occultation provisoire de son oeuvre s’inscrit dans l’ordre des choses mais elle a aussi des raisons spécifiquement littéraires…son lyrisme oscille constamment entre les recherches d’avant-garde et le souci de la rigueur formelle; il joue avec autant de virtuosité sur le clavier de l’hermétisme que sur celui de la chanson populaire; il est tantôt hiéroglyphe,  tantôt image d’Epinal …mais quoi !  ce sont là des qualités si rares en notre génération qu’on les y tient pour suspectes,  et qu’en fin de compte cette oeuvre se trouve en porte-à-faux entre les tendances contradictoires de l’époque . Il est difficile,  je l’admets volontiers,  de relier logiquement Le Nouvel Orphée de 1923 à L 'Elégie d’Ihpétonga qui vient de paraître et,  à plus forte raison de concilier le ton des trois livres de Jean Sans Terre avec celui du Char Triomphal de l’Antimoine. Ce n’est pas en tout cas le lyrisme des Chansons Malaises, le seul de ses recueils disons de lecture courante,  qui nous aidera à trouver la clef de l’entreprise de Goll,  la raison une et profonde que l’on cherche fatalement à toute oeuvre de quelque ampleur. …

Mon seul propos était de rendre hommage à un poète trop négligé bien qu’il soit un des meilleurs de sa génération et celui qui a contribué à bien faire connaître à la mienne tous ceux qui de par le monde nous ont préparé les voies. Je me suis uniquement préoccupé de le situer dans une époque qui sans lui ne serait pas ce qu’elle est et dont il est dans tous domaines,  dans celui surtout des recherches esthétiques,  un des plus irrécusables témoins.”

La Voix du Nord 11-12 Février 1951 : la chronique des livres par Paul Guth:

Un poète d'une densité de minerai - Un mort et une vivante se disent leur tendresse.

… un couple immortel,  un Tristan et Yseult de l’ère de l’atome. Marc Chagall,  l’illustrateur associe leurs molécules. A la manche gauche du veston d’Yvan correspond le bras droit nu de Claire. Ces dix mille aubes les marient pour l’éternité,  où rouleront sans cesse leurs roucoulements de tourterelles ,  pareils au Cantique des Cantiques.

         "Où es-tu,  mon Samaritain ?

         Viens penser mon coeur

         Malade d’amour

         De ton psaume préféré. "

Paul Guth

Paul Guth : Quarante contre un

Yvan Goll, l'Alchimiste de la Pierre

Je ne connaissais pas beaucoup le nom d’Yvan Goll.

         L’autre jour, sa voix m’est parvenue au téléphone, lointaine, comme volant par-dessus les terrains siluriens, dévoniens, permiens, et sinuant à travers les veinules d’un volcan éteint.

         Elle me parlait de longue absence, de retour d’Amérique, et me donnait rendez-vous dans son nouveau séjour : l’hôtel du Palais ,d’Orsay.

         Il n’y a pas de monument à Paris que je désirais si ardemment visiter. C’est à la gare d’Orsay que je débarquai le 29 septembre 1926, avec mon père, venant pour la première fois à Paris, pou y préparer Normale supérieure.

         L’angoisse de la capitale me tordait comme tant d’autres avant moi, débarquant ici, l’estomac barbouillé de solitude et de pauvreté.

Je pousse la porte tournante d’acajou. Dans le hall.

         Un homme que j’avais pris pour un voyageur, consultant je ne sais quels indicateurs, se déplie de son siège. C’est Yvan Goll.

         Ses Yeux noisette paraissent trop vifs pour son visage où les traits ont l’étrangeté d’un masque en carton. Tout cela furette, s’excuse, s’affole dans une panique et une pâleur qu’on voudrait apaiser. Cet homme, une fois et pour longtemps, semble avoir eu peur.

De temps en temps, il tiraille, comme pour les arracher, les poils de sa moustache, qu’il me dit être récente et provisoire.

         Il n’était pas content de sa figure. Il a jugé bon de la changer après une guerre, en lui ajoutant ce paquet de poils. Mais il me promet que cela ne durera pas. Je me demande s’il a changé aussi ses yeux, ou bien si ce sont eux qui restent les mêmes, en présence des joues taillées dans une pâte livide, non encore accoutumée à l’après-guerre..

  Soudain, dans son visage, plus rien ne paraît à sa place, dans sa contexture natale.Comme si son nez était en cuir bouilli, comme les bicornes des carabiniers d’Espagne ou, peut-être, des pays d’où il revient. Comme si son menton, en porcelaine de Limoges, allait me tomber dans la main et ses cordes vocales lui jaillir de la bouche et se dérouler sur sa cravate.

-         J’habitais autrefois à Auteuil, rue Raffet, où on faisait encore

-         la vendange. Puis au Quai Bourbon et rue de Condé, dans l’ancien hôtel d’Henri Jouvenel. Le propriétaire avait déposé mes meubles dans la cave. Je les ai retrouvés en poussière. Les Allemands ont emporté ma correspondance de Romain Rolland, de Rilke et de James Joyce. On m’a tout pris. Jai tout perdu.

      Il me fait visiter l’hôtel et les années culbutent. Nous sommes ici dans le ventre d’une baleine 1900, aussi éloignée de l’ère Queuille qu’un hypogée égyptien.

         Nous nous élevons le long d’un tapis pourpre. Partout des plaques de porphyre, portant en lettres d’or des espèces d’inscriptions funéraires annonçant les lavabos, les ascenseurs, la sortie. C’est ici que les grands d’Espagne descendaient jadis de leur wagon et montaient directement dans leur chambre par un tapis roulant et qu’Alphonse XIII apparaissait avec sa mine de caballero.

         Yvan Goll ouvre une lucarne. On aperçoit une cour plâtreuse et l’immense ventre rond de la verrière de la gare, enfouie dans l’immobilité et la vase. Plus loin, une autre ouverture : on voit les croisillons de fer, l’ossature, les vertèbres de la bête encrassée de poussière.

         Nous entrons dans les salles d’apparat. C’est ici que les charcutiers célèbrent leurs congrès, les coiffeurs leurs festivals. C’est le lieu d’examens des dactylos et des rassemblements universels d’espérantistes. Les philatélistes, les dentistes, les Aveyronnais à Paris, les pâtissiers et les anciens du 6 ème G.A.A. y organisent leurs banquets.

         Jamais la fête n’éclata en flonflons plus convaincus qu’en ces parures 1900. L’or se convulse et s’engraisse en doubles mentons et en boudins d’acanthe qui courent sur les glaces. Les lustres forment des couronnes d’où jaillissent des trompettes de verre munies d’ampoules électriques. D’un lustre à l’autre s’élancent des guirlandes de cristal figurant des feuillages et des plumes tropicales, comme des chapelets

D’oiseaux-mouches embrochés dans des éventails d’autruches et dans des peaux de bananes. Et tout cela mousse, tourbillonne, valse, multiplié par les hauts miroirs en mousses, tourbillons et valses infinis.

         Nous nous élevons jusqu’au cinquième.

-                Regardez, murmure Yvan Goll, dans la pénombre avec ses lèvres décolorées.

Nous sommes à l’entrée du couloir le plus vertigineux que j’aie jamais vu. Je ne peux pas croire que ce que je distingue dans le lointain soit l’autre extrémité. Je me demande s’il n’y a pas là-bas une glace qui double la distance par un effet d’optique. Mais non. C’est bien là toute l’étendue, hagarde, dans une lumière issue de Proust. Un seul couloir, vide, empli de ténèbres, le long duquel s’alignent les chambres, avec leur pancarte rouge, parallèlement à la rue de Lille.

         C’est ici que les banquiers espagnols, les éleveurs de bœufs argentins, les propriétaires de forêts brésiliennes, les chercheurs d’or du Pérou. Les étrangers fabuleux à panamas, à cigares et à gibus, les tonitruants à moustaches, les rayonnants en habits, les nouveaux débarqués des parties fines foulaient le tapis de leurs escarpins, tandis que le roulement des victorias et des landaus se perdait en bas dans la rue.

         D’un chambre s’échappe la phrase d’un violon que le musicien répète, recommence. Une phrase rampant dans la poussière et le sirop. Nous croisons une vieille douairière fardée et charbonneuse.

-         Voyez tout ce que j’ai dû traîner ici !

Contre la paroi du couloir, Yvan Goll me montre un amoncellement de valises, de coffres de fer, de cartons à chapeaux, de boîtes et de caisses.

         Nous entrons dans la chambre. Claire Goll se lève d’un des deux lits jumeaux à couverture bleue. Elle est belle. D’immenses yeux d’un bleu et d’un vert marins, qui se mouillent ou s’allument dans un visage blanc sous une chevelure dont la frange rousse mange le front. Des pantalons de velours noir à côtes. Un pull-over de laine noire moulant, constellé d’étoiles blanches et le même hésitant, rude et tendre accent d’Alsace que son mari.

         Elle me montre l’étroit couloir entre les deux lits, la table sue dévorent les paquets de livres, les sacs de biscottes, les brosses à habits, les casseroles. La dégringolade de paniers, de cabas, de boîtes qui s’abat du haut des deux armoires.

-         Comment voulez-vous travailler dans ces conditions ?

  Ils restent chacun sur leur lit et respectent le silence laborieux de l’autre.

         Yvan Goll a tiré quelques livres d’un sac. Il me les montre, à la sauvette, comme prêt à les refourrer dans leur cachette si quelque agent surgissait.

     Le Nouvel Orphée (1923) renfermant La Chaplinade, écrite en 1919. Le premier poème composé en l’honneur de Charlot, et illustré de dessins que Fernand Léger utilisera dans son Ballet mécanique.

         Le poème de Jean Sans Terre, prêt pour une musique de Strawinsky.

         

         Au blond matin

         D’une vie entière

         Il s’en va loin

         Vers la grand’terre

         La main d’Yvan Goll s’attendrit. Il ne regarde plus autour de lui. Il tire du sac les Chansons malaises, les cantiques d’amour de Manyana, jeune fille de là-bas que l’on crut authentique.

         Je suis la trace sombre

         Que ton canot marque dans l’eau.

         Et un autre amour, encore plus vaste, sort du sac. Les Poèmes d’amour de Claire et Yvan Goll. Lui et elle dessinés sur la couverture par Chagall. Un seul corps à deux têtes, mariant le corsage et le veston, le froufrou et le revers de drap.

         Tes cheveux allument le plus grand incendie du siècle

         Ton front est l’écran où passent les secrets des hommes.

-          Moi ce n’est qu’adoration et elle n’est que jalousie.

         Il tourne les pages, en bloc, vers l’autre moitié du livre, vers le versant femelle, Claire à Yvan.

         Je donnerai un grand festin,

         Lorsque j’aurai ton scalpe,

         Et de tes boucles d’astrakan

         Je me ferai un béret pour l’hiver.

   Sur son lit, Claire a sursauté. Je lui demande si elle est si jalouse que cela. Ses yeux s’obscurcissent, ses narines se pincent.

-         Je suis si inquiète ! J’ai toujours peur pour lui !...

    En 1939, ils sont partis pour l’Amérique. Claire décrit leur maison de trois étages, à Brooklyn, au-dessus du port de New-York.

-                    Je couchais avec la Liberté. Je la voyais de mon lit, toujours illuminée, un peu verdâtre.

    Yvan Goll a fondé là-bas une revue, Hémisphères, où écrivaient André Breton, Saint-John Perse, Roger Caillois, Aimé Césaire, Masson, Miller. Les témoins de Jéhovah, les orateurs des boîtes de savon, l’ont chassé de sa maison pour la transformer en un phalanstère.

         Il est ici, maintenant, dans cet hôtel du Palais d’Orsay. Il a échappé au métro ferrailleur de New-York et à l’air conditionné..

         Il vit une existence de navigateur, dans cet hôtel qui tremble aux heures des trains de banlieue. Alors tout l’immense édifice semble se détacher, et flotter, hors du temps et des rives de l’Exposition universelle.

         Mais Yvan Goll, au sommet du Léviathan, ne perçoit pas tout cela. Lui, le lichen navigant, il s’est consacré à l’éloge de la pierre. Il échafaude déjà son triptyque. L’apothéose de la pierre factice, amassée en conglomérat. L’Elégie d’Ihpétonga, consacrée aux gratte-ciel de New-York – Le mythe de la  Roche percée -   l’hagiographie de la pierre philosophale : Le char triomphal de l’antimoine.

   La pierre réduite en esclavage dans les tours et dans les gratte-ciel de New-York élevés sur les anciens totems des Indiens :

         Tour aveugle de Nemrod

Memnon colosse mutilé de Thèbes

Bétyle androgyne de Crète

De Han la stèle passionnée

La roche des premiers temps, brute et candide, comme La  Roche percée de Gaspésie, face à Terre-Neuve. Ses sœurs, la Roche précieuse, la Roche danseuse, la Roche sibylle. Toutes ces naïves créatures, gonflées d’immobilité.

         Et la pierre du grand secret, issue du fourneau des alchimistes ou des piles atomiques.

La rose naît du minerai

Du poisson s’élève l’esprit

Que j’adore et dévorerai.

O démiurge sans abri

Le feu d’Egypte me nourrit

Et le roi rouge m’apparaît.

   Yvan Goll, magicien de la pierre, niche entre les côtes de la vieille baleine échouée au bord de la Seine depuis le président Loubet.

Denoel, Paris, mars 1951   p. 189 à 195

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