NoteIvan Goll à Claire
NewYork,MST p.258 en anglais
[New York 1940]
Darling
Three times in the week. I take english
lesssons, in tha advenced
class, evenings from six to eight. My teacher
has the most diting-
vished pronouciation that I know. But I
feelmytongue very fro-
zen . Now I must go to school
Good
bye
I attend evening school three times a week
(sur l'autre face) !
1 The halloween strkes me funny
2 The bad weather strke me odd
3 The steel-workers are going on strike
4 I strike a match for my cigar
5 The mother strikes the girl
6 To strke a bargain = to buy smething cheap
NoteIvan Goll à Claire NewYork,MST p.258
10h30
[New York]
Chérie
Je vais à la banque.
Si Roditi téléphone, écoute d'abord ce qu'il dit, puis,
s'il veut venir, dis que j'ai attendu
son appel, et que maintenant je suis en ville - déjeuner impossible.
N'invite pas Goffin pour demain mais pour un autre jour
avec l'éditeur.
Téléphone à Wittenberg
Toujours
I.
NoteIvan Goll à Claire
NewYork,MST p.259 en français
10h45
[New York]
Chérie,
Il fait si beau.
Je vais au Prospect Park et chercher du pain. Mais ne
touche pas à ma chambre. Je la ferai moi-même. Ne te fatigue pas
I.
NoteIvan Goll à Claire NewYork,MST p.259
Lundi 2h15 [New York 1940]
Chère petite enfant,
Je viens maintenant de sortir, parce que entre midi
et 2, il n’y avait plus rien à faire.
NoteIvan Goll à Claire NewYork,MST p.259/260
15
janvier, 2 h ½ [NewYork]
Chérie;
Tu me croiras que je
n'ai quitté la maison qu'à cette heure, en trouvant sur ton bureau L'ELEGIE
POUR JAMES JOYCE que je viens d'écrire. Car l'article me déplaisait.
Mais Margaret Marshall
me dit au téléphone qu'elle l'a'ttendait. Alors j'ai préféré écrire un poème.
S'il est bon - tant mieux. Sinon, rien de perdu non plus. poète, je reste à la
disposition du boss.
Tu trouveras encore
une autre surprise : une charmante lettre d'Irma Tchou.
J'ai téléphoné à
Pinthus qui m'a confirmé qu'il existe un roman, mauvais d'ailleurs sur
l'Inconnue. D'un certain Muschler. Je cours à la Library.
Auparavant je vais à
la Banque. Et chez Marshall.
Si j'ai le temps, il
faudra que je passe à l'exposition de ce pauvre Mané-Katz , qui m'en a prié.
Je
t'embrasse
I.
NoteIvan Goll à Claire
NewYork,MST p.260
[New-York]
Chérie,
Si
tu me l'avais dit plus tôt, je n'aurais pas eu à me fatiguer à rentrer et
repartir, pour aller voir Agna Enters, comme tu savais ( 8 blocks et six
escaliers )
J'ai
fait du café frais
AmourYvan
(
au dos de la feuille )
Bach
Duo
Ta
voix, Aimée, et ma voix
Un
concerto brandebourgeois (N° 5)
Ma
voix, Aimée, et la tienne
Ma
flûte d'ébène, ta violine orchidéenne
Un
papillon se cherche au-dessus des avoines
Nouant
des faveurs autour des pivoines
Et
leur rire rouge de somnambules
Moi
bleu si bleu de libellules
Toi
titubant de silence corail
Et
sur une note l'alouette travaille
Monte
à la corde de la joie
Ton
coeur bat dans mon coeur
Mon
oeil gauche dans ton droit
Ah
! mon sein rose en mi mineur !
Ivan Goll New-York
à Paula
Ludwig Paris7 février 1940 ImsL p.537
Ma chère
Paula
Grande surprise pour moi d'apprendre que tu n'étais plus à
St.Malo. Alors que c'est dans cette ville que je t'ai envoyé toutes mes lettres
de Noël, de Nouvel-An et de 5 janvier. Je me demande avec inquiétude maintenant
si tu as reçu ces envois qui comprenaient parfois des billets de dollar. Et je
serais triste si tu étais restée sans nouvelles à toutes ces dates mémorables.
Mais grande joie pour moi aussi d'apprendre que tu habites
de nouveau dans ta petite chambre, près du poirier, du merle et du jardin du
Luxembourg qui est beau et grand par toutes les saisons.
Tu es devenue une sage, et dans les profondeurs du malheur
tu sais toujours trouver une étincelle de bonheur, comme une étoile dans la
nuit. Quel plaisir pour moi de correspondre maintenant avec toi dans cette
langue : ta lettre-enfant m'a fait rire aux larmes, elle était touchante.
Je savais que Friedel deviendrait un grand artiste, et rien
ne pourra l'en empêcher. Dans la plus petite chambre, il trouvera à s'exprimer.
Et qu'il suive les traces de Van Gogh, voilà une révélation.
Je joins à cette lettre un de mes nouveaux poèmes qui te
montrera que je reste le même partout, sur tous les continents, malgré toutes
les tempêtes.
Je joins aussi 1 dollar comme d'habitude
et tous mes baisers
Ivan
(SDdV)
Ivan Goll New-York
à Paula
Ludwig Paris13 mars 1940 ImsL p.538/539
Ma chère
Paula
Depuis ta
première lettre écrite en français, qui était si drôle et si touchante, je n'ai
rien reçu de toi et je vais trois fois par semaine chez Cook. Cela ne me semble
pas naturel. Toutefois j'espère que cela n'est imputable qu'à des difficultés
de transmission : et que tu es toujours en bonne santé et en aussi bonne
disposition d'esprit qu'à ton retour de Saint-Malo.
Je ne sais
toujours pas si tu as reçu les différentes lettres que j'avais envoyées avant
le 1 janvier à St Malo, et je serais bien triste si elle(s) étaient perdues.
Voici le 3.
printemps que tu passes en France, et les arbres du Luxembourg doivent déjà
avoir des bourgeons, et à leurs pieds, dans le gazon, les crocus qui te
rappellent les pentes d'Ehrwald.
D'ailleurs
voici de nouveau un printemps noir, et la date du 13 mars est fatale. Il y a 2
ans, les Viennois pleuraient, comme aujourd'hui les Finnois. Les peuples
sombrent dans le néant. Et il y a 5 ans exactement, te rappelles-tu ma
prédiction, le même jour : « Siaujourd'hui ils n'agissent pas, toute l'Europe va à la ruine. »
Aujourd'hui
à New-York comme ailleurs, les gens pleurent.
Comme tu
vois, l'océan n'est pas si grand, et le battement des coeurs est resté le même.
J'ai de nouveau l'impression d'un profond déchirement dans ma chair.
Rien n'a
changé en moi. Partout Jean sans Terre me poursuit. Partout aussi j'emporte ton
image. Et je sais que ton visage a conservé sa grandeur, rehaussée encore par
tous les malheurs de cet hiver.
Que devient
Friedel ? Peut-il continuer à peindre ? Quel dommage si le génie qui sommeille
en lui, devait être étouffé !
Je n'ai
malheureusement plus eu de nouvelles non plus de Nina, ce qui m'étonne beaucoup
? En principe, je crois que tu pourrais partir : mais obtiendra-t-elle les
visas pour vous deux ?
Dans sa
lettre, elle semblait assez confiante.
A pâques je
cueillerai une anémone pour toi. Mais aujourd'hui nous avons encore de la neige
et de la glace, dans les jardins comme dans les coeurs
Je
t'embrasse bien fort
Ivan
(sur le bord
gauche)
Je t'envoie
aujourd'hui 200 Frs par envoi postal
29 Mars 1940doubledactylographié de la lettrede
Goll à samère
29
mars 1940
Ma chère Rifka,
Mon
anniversaire a très bien commencé ce matin : puisque 3 lettres de toi sont
arrivées, juste à point, celle du 23 février et du 4 mars, ainsi que la lettre
par avion du 12 mars. Toutes trois m'apportent des vœux qui, je le sais et je
le sens, viennent du cœur et me comblent de joie, mais par dessus tout elles
m'apportent l'assurance que tu es en bonne santé et que ta jambe est si bien
rétablie que pour un peu, tu vas te remettre à trotter comme autrefois. Au
fait, c'est bien ce que la radiographie m'avait suggéré : ton fémur n'était pas
complètement brisé mais fêlé à plusieurs endroits, et la chose capitale, c'est
que les os ne s'étaient pas déplacés ? Ainsi tout a pu se remettre plus
facilement. Certes, je ne doute pas qu'il faut que tu continues à faire
attention.
Tu me dis
que tu habites "dans un jardin" : dois-je comprendre que tu habites
le rez-de-chaussée ? Ce serait merveilleux. Mais même s'il n'en était pas
ainsi, nous sommes heureux, Claire et moi que tu puisses enfin comprendre ce
que c'est de jouir de la nature, de regarder pousser petit à petit les herbes
et les fleurs. Tu découvres soudainement ton amour pour la création de Dieu et
pour l'essence de la poésie ? Cela aussi est fait pour me ravir. D'ailleurs, je
me rappelle, avec quelle sollicitude tu soignais tes géraniums, sur la fenêtre
de ta cuisine.
Et
maintenant, le 30 avril, cela va être ton tour : ton anniversaire pour un cycle
Claire te l'a déjà annoncé sur une carte, nous avons envoyé le renard que nous
avons acheté à bon compte, en automne dernier. J'espère qu'il arrivera à bon
port. J'ai signalé sur un formulaire pour la douane que c'est une fourrure déjà
porté, usagée. Tu n'auras qu'à dire la même chose. Elle vient de Claire.
J'espère que tu n'auras pas d'ennuis.
Et puis
voici une autre grande nouvelle. Les lois d'Amérique ne permettent aux
visiteurs comme nous qu'un séjour maximum de 6 mois. Mais comme il est
impossible de retourner au pays en ce moment, il nous faut sortir des
frontières, aller dans un pays voisin, ne serait-ce que pour quelques jours,
puis ensuite nous pourrons de nouveau revenir pour un nouveau bail. Nous sommes
donc forcés de faire ce que font des milliers d'autres, nous allons faire un petit
tour à Cuba, l'ile la plus rapprochée et nous y resterons le temps qu'il
faudra, et puis nous reviendrons ici.
Nous laisserons d'ailleurs la plupart de nos affaires à
New York, chez des amis, où nous comptons revenir, avec tout une moisson
d'impressions qui nous permettront d'écrire des articles qu'on nous demande.
Notre séjour à Cuba dépendra du travail que nous pourrons y fournir. Là, comme
ici, d'ailleurs, on est très friand de littérature française, et nous pourrons
sans doute y faire quelques conférences.
Pour nos
relations, il n'y aura rien de changé. Cuba n'est pas plus éloignée de la
France que New York - des avions transportent tous les jours le courrier d'un
pays à l'autre. Tu peux continuer à nous écrire à notre adresse de New York,
notre courrier nous suivra, ou bien, mieux encore, m'écrire directement à
l'adresse suivante :
Monsieur Ivan Lang,
American Express Co.
La Havane (Cuba)
Et puis,
en attendant, qui sait, les choses auront changé dans le monde, et nous
pourrons peut-être songer à un avenir plus calme. Ton petit jardin français
nous attire beaucoup.
.Nous
étions invités hier soir à une soirée de poètes, où il y avait beaucoup de noms
réputés en Amérique. A minuit tapant, tous se sont mis à chanter en cœur :
"Joyeux anniversaire ! Joyeux anniversaire !" Je ne sais pas qui les
avait prévenus. C'était très touchant.
Bientôt
paraîtront mes poèmes traduits en anglais.
J'ai été
satisfait d'apprendre que tu as fait un petit cadeau à Francine. Mais n'en
reste pas là. Il faut continuer dans cette voie. Ne va jamais chez eux les
mains vides. Apporte-leur tantôt des bonbons, tantôt un gâteau, tantôt des
fleurs. Pour cuire ta soupe, il faut du feu. Pour entretenir l'amitié, il faut
susciter l'intérêt des autres par de petits présents. C'est humain. On n'a rien
pour rien, ici-bas. Que ton argent te serve au moins à avoir des jours
agréable. Ne crains pas d'en dépenser plus. Je te le répète, tu en auras
toujours assez.
Reçois
de Claire et de moi nos plus affectueux baisers
Le 3 avril 1940, Yvan et Claire Goll quittaient New
York pour Cuba, vivaient à La Havane avant de revenir à New York le 21 mai 1940
où ils habiteront jusqu'en mai 1947 au 136, Columbia Heights dans Brooklyn, New
York
8 avril 1940 lettre de C B à Goll
UNIVERSITY OFCALIFORNIA
DEPARTMENTOFFRENCH
BERKELEY
CherMonsieur,
à recopier
Ivan Goll La
Havane à
Paula Ludwig Paris25 avril 1940 ImsL
p.540/541
Chère Paula
Je suis maintenant à Cuba
PS. Je m'aperçois maintenant que j'aurais du t'écrire en
français. Tant pis.
Salue Friedel et donne-moi de ses nouvelles.
De Nina aussi je n'ai plus rien entendu
à traduire
28 avril 1940Ivan
Goll La Havane à Paula Ludwig ParisImsL p.541 à 543
Ma chère Paula
Tu seras sans doute très étonnée d'apprendre que je me
trouve maintenant à Cuba. J'ai été obligé de m'y rendre par la loi américaine.
Je n'avais qu'un permis de 6 mois pour résider aux Etats-Unis. Ensuite, j'ai du
sortir, pour pouvoir y rentrer de nouveau et pour immigrer réellement. Ainsi
dans cinq ans, je pourrai devenir citoyen américain.
Voilà comment les hasards de l'histoire ont conduit Jean
sans Terre sur cette île qui pourrait être le paradis si les hommes avaient un
peu de bon sens. Mais ils sont stupides partout. Ici la nature est abondante et
généreuse et pourrait facilement nourrir tout le peuple. Mais il y a des
injustices grotesques
Je n'ai jamais vu autant de
misère qu'à la Havane : autant de mendiants, de nègres presque nus, obligés à
mendier.
Pourtant, toute l'année, la
terre produit des fruits miraculeux, étranges, magnifiques. On a 3 bananes pour
1 sou. Il y a le marney, un fruit rouge comme de la viande et aussi
nourrissant. Il y a le guanaba, comme de l'ice-cream. Le caïmito comme une
crème à la vanille. Sans parler du mango, plus connu. La vie ici-bas pourrait
être si belle, si les hommes pacifiques avaient su imposer la paix.
Mais dans ce rêve bercé par les
vagues bleues de l'Océan, où, en avril, nous avons 30 ° de chaleur et tout le
monde se promène en blanc — sous le bruit frais des palmiers et des bananiers
qui montrent leurs membres érotiques de proportions immense —les petits nègres passent et crient les
titres des journaux, les malheurs quotidiens de l'Europe, le martyre des
peuples hypnotisés, le démembrement de la Scandinavie, prélude à tant d'autres
catastrophes.
J'aimerais m'enfoncer dans le
soleil et dans le sable.
Mais les soucis me tracassent.
Sans nouvelles de toi et de Friedel depuis des mois, je ne sais ce que vous
êtes devenus
Je suppose cependant que tu continues à vivre
dans cette petite chambre, philosophiquement, avec ton merle et ton poirier.
L'hiver aura été dur. Puis le printemps est venu. Et je lis dans les journaux
que Paris est plus doux, plus paisible que jamais, que les gens donnent des
bals, et que les tulipes au Luxembourg, ainsi que les "éléphants
blancs" des carrousels, ont leurs anciens attraits.
C'est très bien, tout cela.
Je souhaite que tes amis aient
assez de temps pour venir te voir, et que toi, tu aies assez de temps et de
santé pour écrire les poésies de sagesse et de maturité, qui devraient un jour
échoir dans ton cœur si douloureux.
Je n'ai pas de nouvelles de
Nina. Mais ma dernière lettre s'est sans doute perdue; et elle ne m'a jamais
répondu. Je resterai ici encore un mois, puis je retournerai en Amérique du
Nord. A mi-chemin du Brésil: il ne m'est pas possible d'y accéder !
Je t'embrasse
Ivan
Adresse :
Hotel Plaza
La Havane
(Cuba)
12 mai 1940 double de la lettre de Goll à Sazia(épouse de Jean Booss)
SDdV
22 mai 1940, lettremanuscrite
d'Ivan à sa mère
22
mai 1940
Ma
chère Rifka,
Je
suis rentré à New York hier, à mon ancienne adresse.
La situation en Europe a vite tourné au
tragique, et toute l'Amérique suit avec angoisse le dénouement de ce drame.
Que se sera-t-il encore passé quand tu
recevras cette lettre ? Aujourd'hui, c'était la chute d'Arras...
Dans ces circonstances nous avons jugé qu'il
valait mieux quitter La Havane et revenir à notre port d'attache. Nous avons
obtenu tout ce que nous voulions à Cuba, et maintenant nous sommes immigrés
régulièrement aux Etats-Unis, et nous pourrons un jour devenir citoyens
américains.
D'ailleurs,
nous avons passé là-bas des semaines éblouissantes dans un pays paradisiaque,
fêtés par des douzaines d'amis, encensés par de nombreux articles de journaux!
Le 9 mai
au soir, le "Cercle des Amis de la Culture Française" nous avait
consacré une soirée où Claire et moi, nous avons lu des poèmes et des morceaux
de prose, après qu'un orateur eût tracé un panorama de l'ensemble de notre
production littéraire.
Je
t'écris cette lettre par avion, afin que tu la reçoives plus vite : et je
t'envoie par lettre régulière une photo de moi, prise à La Havane, ainsi que
quelques extraits d'articles sur nous.
J'avais
bien reçu à La Havane aussi, tes deux lettres du 8 et du 21 avril qui étaient
pénétrées de calme et d'espoir. Tu me parlais de ton jardin, de tes petites
promenades et de tes soucis avec les maisons.
Mais
depuis, que de catastrophes - et comme les soucis ont pris un aspect plus tragique
!
Je
souhaite que ces lignes te parviennent et te trouves en bonne santé. Au moins,
dans ton petit coin tu sembles en sûreté et une vieille dame comme toi n'a pas
grand chose à craindre d'événements qui la dépassent..
Nous ici
essayons de nous organiser dans l'attente d'on ne sait quoi, et nous sommes
heureux d'être en bonne santé et de pouvoir t'envoyer nos baisers comme
toujours
Mig
Paula Ludwig s'enfuit de
Paris vers Bordeauxdébut juin devant
l'avance des troupes de Hitler. Elle resta deux semaines dans le camp
d'internement de Gurs à partir du 21 juin 1940 et quand les troupes
hitlériennes entrèrent en zone occupée, elle partit en voiture pour Marseille
où elle séjournera plusieurs mois dans un espace pour réfugiés32, rue de Hesse
Yvan à sa mère 8 juillet 1940
Ma chère Rifka,
Avant-hier, j'ai reçu ta
lettre du 31 mai et malgré son ancienneté, elle m'a fait plaisir en me
rassurant sur ta santé. J'espère qu'elle a continué de se maintenir depuis, et
que tu acceptes avec sérénité les volontés du destin. Depuis plusieurs
semaines, nous n'avons ici, en Amérique, aucune nouvelle directe de France, de
sorte que je ne peux me faire aucune image de ton existence actuelle. Il m'est
impossible d'imaginer quelle est ta situation, mais je pense que pour toi,
personnellement, elle n'a pas beaucoup changé. Tu as pu être heureuse d'avoir
un toit sur la tête, pendant que toute une population errait sur les routes de
France. Mais maintenant ?
Nous
nous somme réinstallés à New-York, mais à une autre adresse, que tu trouveras
en tête de cette lettre. C'est un agréable petit appartement de deux pièces,
donnant sur le port, avec une vue fort jolie, et un peu moins cher que le
précédent. Nous avons renoué toutes nos anciennes relations, et attendons de pied
ferme ce que l'avenir nous réserve. Personne au monde ne peut savoir,de quoi demain sera fait. Comment vont tes
voisins, les Alphonse et les Gaby ? J'ai été heureux que la fourrure t'ait fait
tant plaisir, et je t'envoie les meilleurs baisers de nous deux
Mig
12 septembre 1940carte de Goll
à Mr et Mme Alphonse Lazard
chez M. Cahen, 26 Boul
Lhotelier à Dinard, Ille et Vilaine, France
retour à l'envoyeur
Mes bien chers,
Je viens vous envoyer à l'occasion des fêtes les meilleurs voeux de
Claire
et de moi-même, dans l'espoir que vous supportez en bonne santé et avec
confiance ces temps difficiles. Voyez(vous souvent ma chère Rebecca qui
est bien seule et à laquelle il faut pardonner bien des maladresses.
L'humanité est tellement à plaindre : il faut que les individus se
pardonnent
leur condition humaine.
Bien des choses à vos enfants.
Sincèrement votreMignon
SDdV 510311. I
The Nation 151-n°41 (hebdomadaire) : 28 Sept. 1940 :
Ivan Goll, Chanson de France Nous n'irons plus au
bois ma belle
10 octobre 1940carte de Goll à
Madame Veuve D. Kahn
chez Madame Le Marinier, 24
Boul Lhotelier à Dinard,Ille et Vilaine, France
retour à l'envoyeur
10 Oct. 40
136 ColumbiaHeights
Brooklyn, NewYork
Ma chère Rifka
A laveillede lagrande A
que je célébrerai comme de coutume en pensant à toi et à tout mon
passé,
je t'envoiemes meilleurs voeux
de bonne santé. Demaince sera le grand
jeûne
pour nous tous en Amérique qui sommes de cœuravec vous.
Je n'ai rien reçu de
toi depuis le début du mois d'Août, mais je sais que
les correspondances sont devenues très rares. Claire se joint à moi
pour t'envoyer nos plus affectueux baisers
Mignon
SDdV 510311. I
28 octobre 1940, journal d'IvanGoll
Great
Barrington
Le paysage de New England est, paraît-il
un des plus
beaux de l'Amérique.L'après-midinousallons
danslesenvirons,oùilyaunranch, etoù
Louise peut enfinjustifiersonaccoutrement
d'Amazone, qu'elle n'a pas quitté de
toute la journée.
Elle fait une longue course dans les
bois avec „Bergie"
qui esten extase devant elle.
Nous faisons une petite promenade avec Kerillis
et sa belle-sœur qui est charmante comme
femme et
comme mère.Elle a3 fillettes, dont la plus jeune
de 3 ansest sourdeet muette, et qui
pourtanta
tant de grâce.
Le sommet de Great Barrington est somptueux.
Le lendemain matin, après un breakfest bien tassé,
nous repartons vers New YorkavecBergmannen
plus, dontl'importance politiqueserévéla, non
seulementparses récitspendantlevoyage–
nous retraversons ces paysages un peu
thuringiens,
mais sans âme, puisque non encore
modelés par
la main et la pioche de l'homme–mais par sa
suite au Savoy Plaza, où il nous conduit
un instant,
en arrivant.
29 octobre 1940, journal d'IvanGoll (Claire a 50 ans ce jour)
mardiNew York
AnniversairedeClaire :Quelques roses rouges,
les Cathédrales de Rodin,2robes. Jeneveuxpas
mentionner sonâge, car elle se contente de cadeaux
commeuneenfant.
Nousdéjeûnons en ville : puis
Claire va à l'Hôtel
St Moritz, où nous sommes invités chez
Feuchtwanger.
Moi, je vais à Gotham Book Mark 51 W 47, où
William
Carlos Williams signe son livre "In the Money"
sous les auspices de son éditeur James
Laughlin, et
„New Directions".
Je vois Williams pour la première fois, et je le
remercie avec effusion pourses 2 traductions de
Jean sans Terre qu'il a faites sans être
sollicité.
Visage très net, très droit, œil
inquisiteur du
médecin, voix chaude du poète.
Il est réellement fêté comme un maître par
toute la jeunesse littéraire de New
York.
James Laughlin „ le plus grand le plus haut " de
tous, a de douces manières pour
dire„merci,non"aux
solliciteurs.
Je suis étonné de me trouver très à l'aise dans ce
milieu poétiqueoùpresque tout lemondeme
connaît après la publication de
seulement2poèmes
dans Partisan Review et The Nation.
Des groupes se forment très naturellement :
le groupe surréaliste: Calas me présente
à Ch.H. Ford,
Parker Tyler, Mattaetc.
VoiciHarry Brown et S. Thomson
qui hier m'ont
demandé de collaborer à leur nouvelle
revue Vice New
Voici le groupe franco-américain : Jolas, Duthuit,
M. Block l'éditeur de Living Age, et
Julien Lévy.
Voici Oscar Williams, Horace Gregory qui est
soit ivre soit à un degré dangereux de
nervosité.
Pierre Loving me présente à l'éditeur de
Viking Press
Voici les Allemands : Klaus Mann, J M Grup(?) qui,
est saoûl et fait un tapage typiquement
bavarois.
SDdV
Ivan Goll New-York
à Paula Ludwig
Lisbonne6 novembre 1940 ImsL p.544
correspondance à traduire
1941
15 février 1941 carte de Goll à Madame Veuve D. Kahn
chez Madame Le Marinier, 24
Boul Lhotelier à Dinard France
retour à l'envoyeur
15 février 1941
136 ColumbiaHeights
Brooklyn, NewYork
Quelquesbaisers
de Claire
et
Mignon
SDdV 510311. I
1942
1943
Parution du numéro
1 d'Hémisphères
à recopier
1944
à recopier
1945
à recopier
1946
à recopier
1947
à recopier
MAI 47 départ de Claire et d'Yvan
de New-York
carte d'Yvan
Goll(Lyon)
à Claire(Hôtel Palais d’Orsay)du 1er octobre 1947
Mercredi
midi
[ Lyon .1.X.
1947 ]
Ma chérie,
J'ai fait un excellent voyage. Allongé dans le train,
puis dans la salle d'attente jusqu'à 8 heures après être arrivé à cinq heures.
Ensuite 2 kilogrammes de raisin.
Puis fait de la bonne ouvrage
1) payé le déménageur et donné ordre d'envoyer tout à
Paris
2) encaissé 2.000 francs pour la Glace
3) encaissé 2.000 francs pour un exemplaire de luxe du
Mythe.
À midi découvert qu'on peut monter en funiculaire à
Fourvières où se trouve la Basilique ci-contre. Magnifique vue sur Lyon, prise
entre Rhône et Saône. Roupillé une demi-heure sur un banc, sous les arbres.
Vais me rendre chez le notaire à deux heures. Pense
beaucoup à toi et t'embrasse
Yvan
Lettre d'Yvan Goll à
Marie-Anne (?)du 25 décembre 1947 Jour
de Noël
Paris Ma
chère Marie-Anne,
Hier soir j'ai été avec Claire à la
messe de minuit à l'église Saint-Etienne du Mont,sur la montagne Sainte-Geneviève,près du Panthéon.
Quel magnifique embrasement de
l'âme!
Ah pierres vénérées de ces vieilles églises
de Paris,chacune saturée et nourrie des
regards et des larmes du peuple au coeur brûlant et à l'esprit qui déploie ses
grandes ailes dans les vents qui agitent le Continent.
Pendant mes sept années d'exil en
Amérique j'ai si souvent espéré cette soirée,je me suis rappelé les mouvements gracieux des ruelles qui montent vers
cette colline spirituelle ; j'ai essayé de me remémorer les boutiques d'humbles
marchands d'estampes ou de vieux livres,qui sont aussi des penseurs et jamais tout à fait présents,l'oeil tourné vers les antiquités lumineuses,et si peu enclins à vendre quoi que ce soit!
Paris,cher Paris,cité des rêveurs et des penseurs,cité des cordonniers-poètes et des concierges cartésiens qui vous
récitent du Péguy quand vous entrez dans leur loge.
Je suis heureux d'être revenu dans
tes quartiers familiers et sur tes quais près desquels coule la Seine aux eaux
noires et éternellement incomprises par l'homme qui passe sur le pont et se
dirige vers le Palais de Justice --
quelle
justice,sinon celle de Dieu...
St.D.d.V.
Une abondante correspondance entre Claire
et les GLEIZES, allant de 1947 à 1954 est conservée par la Fondation Albert
GLEIZES (dépôt au Musée national d’art moderne de Paris). D’autres courriers
d’après-guerre sont à la médiathèque Victor-Hugo.
Le 22 octobre 1950, Claire déclare son
intention de rédiger un article sur le peintre. Une photo montre Claire avec
Gleizes au Musée national d’art moderne de Paris
(1952, VIII A 24
1948
lettre de Rifka Préville à Yvan 23 février 1948
Préville le 23 février 1948
Mon
cher Mig,
lettre de Rifka Préville à Yvan 27 février 1948
Préville le 27 février 1948
Mon
cher Mig,
à recopier
lettre d'Yvan Paris 30 mars 1948 à Alfred Döblin
à recopier
lettre de Rifka Préville à Yvan 7 avril 1948
Préville le 7 avril 1948
Mon
bien cher Mig,
à recopier
lettre de Rifka Préville à Yvan 12 juillet 1948
Préville 12 - 7 - 1948
Mon
cher Mig,
J'ai bien reçu ta
lettre du 8, mais avec un jour de retard dû sans doute à la grève que veulent
faire les postiers. Je suis surprise que tu ne me donnes aucune nouvelle de ta
santé, chose qui m'intéresse plus que tout autre nouvelle. Dois-je en augurer
que ton état est stationnaire, ou, ne voulant pas m'alarmer, tu fais silence.
Je veux croire que tu ne tarderas pas à satisfaire mon désir: savoir comment tu
te portes. Je te remercie des journaux que tu m'annonces (ils ne sont pas
encore arrivés) ils m'intéressent toujours beaucoup; les journées sont longues,
jusqu'à 9h½ le soir, ils m'aident à passer les soirées et m'instruisent sur
bien des points. J'y ai trouvé une rubrique sur les fonds Mexicains et
Bulgares, mais je crois sage d'attendre ton retour ici pour vider ces questions,
craignant d'être flouée : ayant affaire à une femme, l'employé suppose que je
ne suis pas compétente dans la question.
J'ai deux
nouvelles à t'annoncer ; la première, j'ai reçu la facture de Ungerer 6000 ƒ,
je l'attendais, mais vu la fermeture des Banques, je me vois obligée d'attendre
la réouverture qui, j'espère ne tardera pas (je suppose fin de la semaine) j'ai
l'intention d'aller en personne le remercier de ses bons offices.
La seconde : j'ai
eu la visite de Berthe qui est ici pour quelques jours si le temps le permet,
elle a été très aimable, m'a demandé de vos nouvelles et a regretté de ne pas
vous avoir reçus le jour de votre visite : elle était sur le point de
s'absenter.
Ici, nous
déplorons de passer un mois de juillet aussi mauvais, il pleut tous les jours,
et avec cela il fait froid, la végétation en souffre beaucoup, rien ne peut
mûrir et cette année, il n'y a pas de fruits; le blé même ne mûrit pas. On dit
des prières dans toutes les églises, car on craint des inondations, les fleuves
grossissent ; voilà le bilan d'une saison qui devrait être la plus chaude;
J'espère cependant que vous ne tarderez pas de venir au pays et que tu me
donneras des nouvelles de ta santé que tu ? . Dans ta dernière, précédemment,
tu m'avais annoncé qu'une nouvelle analyse de sang était favorable. Je m'en
étais réjouie : est-ce un leurre [?] Recevez, Claire et toi mes bien affectueux
baisers
R.
Claire, en gare de Dijon à Yvan, 11 août 1948
Dijon
- Gare
11.
8. 48
Chéri,
Voilà le seul
bout de papier que j'ai pu trouver. Mais "verte" est l'espérance.
La plus grande
sensation du voyage a été la fuite d'un lièvre à travers champs. Lièvre,
lièvre, il n'y avait rien de plus important, en ce monde pour lui. Et sur les
pages blanches effeuillées de son derrière, je lisais tout le roman des
lièvres.
Je pense à toi
et à tes beaux yeux sérieux. Pourvu seulement que tu te reposes bien, que tu
manges et recommence à te reposer.
Enferme-toi
bien, afin qu'on ne me vole pas mon précieux joueur d'orgue. J'espère qu'il
fait beaucoup de poèmes sur son orgue invisible.
Il y a un an,
nous étions tous deux ici, en route vers Lyon. Aujourd'hui, je suis seule.
En
tout amour, ta Zou
Yvan à Claire à
Challes-les-Eaux, 12 août 1948
Jeudi
12 août 48
Claire Chérie
Chère
Clairie et Clairière,
Je t'ai vue partir hier de bonne heure, toute
seule vers ce grand monde qui pour toi deviendra toujours plus grand et plus
incompréhensible plus tu avanceras dans la vie - contrairement aux autres
petites personnes.
Moi je suis
entré dans cet appartement plus vide que jamais et que la présence de ma mère
et la confection d'une carpe à la Yid n'a pas rendu plus joyeux pendant la
journée.
Aujourd'hui, pluie continuelle et un froid sensible qui me fait
penser que tu dois être bien malheureuse et grelottante dans ton trou de
montagne, tout en maudissant celui qui t'y a expédiée. Oseras-tu commencer ton
traitement par cette température ? Pourvu que tu n'attrapes pas une bronchite
là où tu cherchais une guérison. J'espère du moins que tu t'enveloppes dans
toutes les laines que tu as emportées.
Ce matin, triste
courrier à part ton billet vert de Dijon, tout traversé du lierre de l'espoir.
Germaine demande péremptoirement quelques éclaircissements que je lui enverrai
tapés à la machine en contrefaisant ta signature.
Voici quelques
coupures de journaux
et
toute la tendresse de
Boubou
Claire,
Challes-les-Eaux, à Yvan 12 août 1948
Challes-les-Eaux,
Jeudi 12 août 48
Mon chéri,
Quelle tempête,
ce matin ! Eclairs, tonnerre, une fugue de Bach. Et dans la vallée, sous ma
fenêtre, un paysage de Filippo Lippi.. Ce jeu des lumières et des ombres, car
le plus gris des murs de brouillard laisse passer tout de même, par instants,
un rayon de soleil, éclairant ici une pente de montagne, là un vignoble.Et
l'architecture des nuages au-dessus des sommets neigeux, déchirés,
fantastiquement baroque. ! Les paysages d'en-haut, encore plus grandioses que
ceux d'en-bas !
Puis, je suis descendue à l'Etablissement,
par-dessus les flaques d'eau (faites pour des pieds de géants). Tous les
employés d'autrefois sont encore là, et l'on m'a donc reçue avec une vieille
amitié aux services des gargarismes et des pulvérisations.
René était venu
me chercher hier, mais comme il n'a plus d'auto, j'ai tout de même dû prendre
un taxi. Rochefrette, philosophe comme toujours et très désespéré au sujet de
la France. Ah ! je crois presque qu'il a raison. Surtout quand on est assis ici
dans la salle à manger, où tout se passesilencieusement, prudemment, sans vie. Mais la nourriture est
remarquable. Avant-hier, Jouvet et Jeanson étaient encore là. Seul, le café du
matin est imbuvable. Je me suis fait du Nescafé et j'ai béni la prescience qui
m'a fait emporter le réchaud électrique. Comme on ne nous donne pas de sucre et
que je n'en ai qu'une livre, je te prie de m'en envoyer une autre livre par
retour du courrier ; pas le sucre en poudre brun, mais, (si tu le trouves)
Domino Cane sugar Dots, une petite boîte jaune : soit dans l'armoire de la cuisine,
soit dans le carton, dans ton placard, en haut sur le rayon de gauche.
Si seulement tu
étais ici ! En ce moment, à trois heures de l'après-midi, le ciel s'éclaircit.
Rayon de soleil.Je peux cesser de
chauffer. Le temps va se réchauffer. Cet air serait magnifique pour toi. Et on
n'aurait pas à faire la cuisine, pour une fois. Toujours, je te vois en
mouvement, esprit inquiet.
Travailles-tu ?
Il y a ici tant d'oiseaux qui appellent un poète. Et, cette nuit, le petit
hibou a gémi avec moi sur l'absence de l'unique.
Je te tiens
longuement et tendrement dans mes bras.
Ta
Zouzou
Claire,
Challes-les-Eaux, à Yvan 13 août 1948 MST p.276/277
Challes-les-Eaux,
Vendredi 13 août 48
Chéri,
Vendredi 13
à recopier
lettre
d'Ivan GollMetz à Claire Challes-les-Eaux 14 août 1948
MST p.278/279
lettre
d'Ivan GollMetz à Claire Challes-les-Eaux 16 août 1948
MST p.279/280/281
lettre
Claire Challes-les-Eaux à Ivan GollMetz17
août 1948 MST p.281/282
lettre
Claire Challes-les-Eaux à Ivan GollMetz19
août 1948 MST p.282/283/284
lettre
d'Ivan GollMetz à Claire Challes-les-Eaux 20 août 1948
MST p.284/285
lettre
d'Ivan GollMetz à Claire Challes-les-Eaux 23 août 1948
MST p.285/286
Metz, Lundi 23
août 1948
11h. du matin
à recopier
Carte
de Claire Plateau d’Assy à Ivan GollMetz23
août 1948 MST p.286
à recopier
lettre
d'Ivan GollParis à Claire Challes-les-Eaux 25 août 1948
MST p.287
Paris 25 août
1948
(Hôtel
Palais d’Orsay]
à recopier
Je rentrerai vendredi à Metz
lettre
Claire Challes-les-Eaux à Ivan GollMetz25
août 1948 MST p.287/288/289
à recopier
lettre
Claire Challes-les-Eaux à Ivan GollMetz26
août 1948 MST p.289/290
à recopier
lettre
d'Ivan GollMetz à Claire Challes-les-Eaux 27 août 1948
MST p.290/291
Metz,
Vendredimatin
27 août 48
à recopier
Le Docteur Glaunés et sa
Laborantine étaient en vacances. Mais mes forces globulaires semblent bien
meilleures . je ne pense plus – et pour cause ! qu’à ma sciatique .
lettre
d'Ivan GollMetz à Claire Challes-les-Eaux 28 août 1948
MST p.292
Samedimatin
28 août 48
anniversaire de Goethe
[Metz]
à recopier
Carte
de Claire Strasbourg à Ivan GollHôpital Civil Stras21 sept 1948 MST p.295
Mardi 3 h ½
[21
Sept. 48]
[Strasbourg-Gare]
Chéri,
Je suis en avance d’une heure
Je t’écris en anglais, parce qu’il y a
des personnes assises sur la banquette avec moi et qui regardent au-dessus de
mon épaule
à recopier
lettre
Claire Metz à Ivan GollStrasbourg22 sept. 1948 MST 295/296
à recopier
lettre d’ Ivan GollStrasbourg à Claire Metz 22 sept. 1948 MST 296/297
à recopier
lettre
d'Ivan Goll àStrasbourgà Claire
Metz 19 octobre 1948
à recopier
Télégramme Claire Metz à Ivan GollStrasbourg22 octobre 1948 MST 297
[Metz,22.10.1948]
RENTRERAI CE SOIR TENDRESSESCLAIRE
lettre
d'Ivan Goll àStrasbourgà Claire
Metz 19 octobre 1948
à recopier
lettre
Claire Metz à Ivan GollStrasbourg21 octobre 1948MST p.
à recopier
lettre
d'Ivan Goll àStrasbourgà Claire
Metz 15 décembre 1948MST p.297/298
Strasbourg ,
Mercredi
.15.
Décembre.1948
Ma Clairière,
Hier après ton départ, Mme Buchinger est
venue et m'a apporté une saucisse et deux excellents petits gâteaux, dont j'ai
donné l'éclair à la Sœur, conservant le paquet de Petits Beurres pour
aujourd’hui. Elle est restée presque une heure et m'a parlé si humainement de
sa famille, de ses enfants. Ils sont orthodoxes, ferment leur boutique le
samedi, pour le célébrer comme dans les anciens temps, comme Bella Chagall l'a
décrit…Et elle s’est excusée trois fois, de ne pas avoir obtenu de foie de veau
de son mari.
recopier la suite…
lettre
Claire Metz à Ivan GollStrasbourg15 décembre 1948MST p.298/299
à recopier
lettre
Claire Metz à Ivan GollStrasbourg16 décembre 1948MST p.299/300
lettre
d'Ivan Goll àStrasbourgà Claire
Metz 17 décembre 1948MST p.300/301
Strasbourg ,
17 Déc.48
à recopier
Télégramme Ivan GollStrasbourg à Claire Metz 20 décembre 1948MST p.301
OSCAR TE CONSEILLESOINSSERIEUXGRIPPEACTUELLEDANGEREUX
RETARDEVOYAGEATTENDRAIPATIEMMENT. YVAN
1949
Yv Yvan et Claire partent à Venise et en
Suisse.. Ils seront de retour à Paris le 29
Jou Journal d'Yvan Goll samedi
6.11.1949 :
Pau Paull Celan, 31, rue des Ecoles,
m'avait écrit une lettre de la part de Sperber; il nous lit des poèmes de «Der
Sand aus den Urnen» d'une voix inspirée et Claire et moi, nous nous accordons de
les trouver admirables, purs et savants, où les ombres de Rilke et de Trakl
s'effacent petit à petit devant son clair génie. "Todesfuge"
notamment nous empoigne et nous émerveille.
Cel Celan est à la fois timide et
très orgueilleux. Il est convaincu, à bon droit de sa mission de poète. C'est
le jeune juif de Cz Czernowitz très raffiné.
Il a Il avait apporté à Claire huit
roses rouges, lui qui végète sans le sou dans le Quartier Latin. Nous l'avons
retenu à un s souper léger.
B Barbara Wiedemann, Paul Celan - Die Goll-Affäre. Frankfurt
am Main, 2000, page 17.
Sur l'agenda de Claire :
9/12 : Paul
Goll entre à
l'Hôpital Américain de Neuilly le 13 décembre
Journal d'Yvan Goll au 14.12.1949
à 9h arrive Claire avec Paul Celan et Klaus Demus qui
veulent m'offrir leur sang pour la première transfusion.
Seul, le sang de Klaus est jugé compatible avec le mien : n°
4.
Les essais se poursuivent toute la matinée. Vers midi,
Claire est obligée d'aller en taxi à Saint-Antoine pour chercher une bouteille
et des seringues qui manquent.
Vers 2h commence la transfusion et dure jusqu'à 4h½.
27.12.1949, Journal d'Yvan
Goll :
Longue visite de P. C.
1950
3.1.1950, Journal d'Yvan Goll
:
Visite de trois heures de
P. C. : m'apporte un poème fait de l'après-midi
6.1.1950, Journal d'Yvan Goll
:
P. C. avec Klaus Demus
28.1.1950, Journal d'Yvan Goll
:
P. C. qui m'apporte un poème avec Klaus Demus
- 10 janvier :
pour protester contre la présence de Formose au Conseil de sécurité, l'URSS
pratique la politique de la chaise vide et le 12, rétablit la peine de mort en
Union soviétique..
- 23 janvier : le
Parlement israélien déclare Jérusalem capitale de l'état d'Israel.
Alain, Berlin à Yvan 29 janvier 1950
Alain Bosquet
High Commission for Germany
Office of Political Affairs
Protocol Division (Berlin Element)
APO 742%U.
S. Army
Berlin
, le 29 janvier 1950.
Mon
cher Yvan ,
Dans ma lettre précédente , je te
priaisdem'
envoyer tesrecueilsenlangue
allemande parusdepuis... depuis lapremière
guerremondiale. En effet, lesplansdemon
éditeurHensselsesontconcrétisés ,etil
croitpouvoirmettreàsonprogrammeun
choixdetespoèmes , jusqu' àTraumkraut.
Lesdernièresnouvellesdetasanté
m' avaientinquiété ; jeformelesvoeuxles
plus sincèrespour ton rétablissementprompt
et complet.
Je compte aller passer
un mois à New -
York , en avril
prochain.
BienaffectueusementàClaireetà
toi,
Alain
Ms 615 Goll 510.324 - 162
- 7 février : Georges Bidault forme un nouveau ministère et
le Roi des Belges, Léopold III, refuse d'abdiquer en faveur de son fils.
seule , aussi , Claire
, a éclairées de son doux rayonnement.
Et maintenant , j' attends tes critiques , tes suggestions
et t' envoie ma fraternelle affection
Yvan
× Une bonne partie
desquelles parut déjà en 1932 dans la
"Vossische Zeitung" ,"Uhr"et autres revues.
Le premier manuscrit que tu détiens
, contient - il aussi
le poème de 3 pages
" Hiob " que j'avais ajouté plus tard ?
Ms 615 Goll
510.324 - 163/164
Rappel des textes envoyés par Goll à
Bosquet pour "Das Traumkraut"
Rosentum II/320
BluthundII/313
Geburt des Feuers II/318
Die Sonnen-KantateII/326
Der RegenpalastI/341
Tochter der TiefeII/348
Das Wüsten-HauptII/347
Der StaubbaumII/344
In den Äckern des Campfers bist du daheimII/325
Der SalzseeII/344
DieAschen-HütteII/345
Die Angst-TänzerinII/346
Schnee-MaskenII/324
SüdII/324
Ode an den Zürichsee (1949)II/414
Lothringische
Ode (1949)II/411
Rasiel's Gesang(en
français dans Masques de Cendres)IV/377
Gipskopf (en
français dans Masques de Cendres) IV/383
TodeshundChien de ma Mort(Masques de
cendres 1949)IV/390
Hiob's Gesänge(dans Lot 5, p.61)II/322 et 437 avec variantes
Stunden(dans
Lot 5, p.60)II/317avec variantes
Hospital [In den Äckern
des …](dans
Lot 5, p.60)II/325sans variante
- 9 février 1950, Yvan Goll
rédigeait un testament [4]
Sur l'agenda de Celan :
12 février : à recopier
13 février : à recopier
Goll meurt le 27 février 1950 à
Neuilly-sur-Seine.
Claire Goll à Paul Celan, 1er mars 1950
Mon cher
Paul,
Le marchand
de morts m'a dit que la loi exige la présence d'un parent au moment de la mise
en bière.
Tu comprends
que je préfère souffrir, que de laisser Yvan souillé du regard d'un de ses
cousins.
Je te verrai
donc ce soir vers 8h.
Merci pour
tout et affectueusement
Ta
Claire
Barbara Wiedeman : Paul Celan -
Die Goll Affärep. 155
Paul Celan à Claire 10 mars 1950
Chère
Claire,
Irmgard [ Burckhardt, femme
peintre], que je voyais hier, m'a donné cette petite lettre ci-jointe, avec
mission de te la faire parvenir. La voici donc.
J'ai envoyé
tes photos à Bâle, le jour de ton départ mais j'ai oublié d'indiquer ton
adresse de Metz, ce qui fait que tu ne seras avertie de la confirmation que
lors de ton retour.
Traduire la suite
Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 155/156
à traduire
Claire Goll, Pfingsten à Paul Celan, Paris 28 mai 1950
Cher Paul,
Pfingsten,
la belle fête était arrivée, seulement pas de Paul. Te revoir maintenant est
aussi dur qu'une course d'obstacles. Je t'ai attendu encore samedi soir. Sans
doute un nouveau malentendu. Est-ce que ce n'était pas cela qui était décidé ?
Même si, pleine d'espoir, j'avais dit à Klaus qui partait à la dernière minute
: « j'attends aussi Paul, s'il ne se décommande pas.»
J'espère que
tu reçois ces lignes ? Toutes tes lettres ne sont pourtant pas détournées par
la concierge, j'espère.
Toujours en amitié
Claire
Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 157
Claire a dédicacé à Paul Celan : Jean sans Terre, Choix de poèmes.
Pierre Seghers, Paris (20
juin)1950 Collection Cahiers bimensuels n°44 - 18 cm., 45p.
Au
poète Paul,
la
voix d'un autre poète et ami
Claire
lettre de Claire Goll, à Paul Celan, Paris 26 juillet 1950
Mon cher Paul,
Je t'ai étourdiment donné un rendez-vous
pour samedi. Je ne suis malheureusement pas libre et je déplore vivement de ne
plus pouvoir te voir avant mon voyage à Metz. Tu serais très aimable si tu
pouvais m'envoyer par la Poste les 2 poèmes ou les donner à la réception, [Palais
d'Orsay] ainsi que le premier vers de
chaque poème que je t'ai donné pour une traduction éventuelle, afin qu'il n'y
ait pas d'erreur, puisque je dois bientôt donner le manuscrit, et je vais aussi
le donner à Alain Bosquet afin qu'il en traduise quelques uns ou qu'il prête
son concours.
Et à propos de "Elégie
d'Ihpétonga", quel est ton choix ? Yvan était tellement confiant en ton
assistance passionnée et il y a maintenant 4 mois que tout est en arrêt ou au
ralenti. Je ne peux pas laisser son œuvre sans que quelqu'un s'en occupe en
Allemagne. Je n'ai pas le droit d'en retarder la parution, il y tenait tant.
Avec
mon amitié toujours présente
Claire
Barbara Wiedeman : Paul Celan -
Die Goll Affäre p. 158
à recopier
lettre de Claire Goll Metz, à Paul Celan, Paris 8 août
1950
Mon cher Paul,
Voilà Metz dans toute sa beauté et nudité
pittoresques. La Grandeur romantique et la misère et la saleté se frottent. De
la chambre où je dîne chaque soir chez des amis-ouvriers dans un immeuble
romantique et délabré, je vois dans la maison abandonnée où Rabelais vivait et
concevait Gargantua. Et toi ? Travailles-tu à ton Gargantua en vers ? Tu n'as
pas déposé les traductions, pourquoi ? Pas finies ? je rentre demain.
Amitiés
Claire
Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 159
lettre de Claire Goll Barnes, à Paul Celan, Paris 30 août
1950
Mon cher Paul,
Je suis ici chez des amis, depuis une
huitaine. Londres est une ville grandiose, gigantesque et ses habitants d'une
hospitalité incomparable. Je pense rentrer la semaine prochaine et espère te
revoir bientôt. Peut-être as-tu pu travailler un peu pendant les vacances. J'ai
reçu une carte d'Italie de Klaus il y a déjà quelques semaines
Pensées affectueuses du pays de Shelley,
Blake, Keats et du grand Will.
Claire
Barbara Wiedeman : Paul Celan -
Die Goll Affäre p. 160
Le 22 octobre 1950, Claire déclare son
intention de rédiger un article sur Albert Gleizes. Une photo montre Claire
avec Gleizes au Musée national d’art moderne de Paris
(1952, VIII A 24
lettre de Claire Goll Paris, à Paul Celan, Dimanche 26
novembre 1950
Paris, dimanche 26 novembre
Mon cher Paul,
Je
sais par Gertrude Rosenberg que tu as perdu ton stylo. Quel cadeau de Noël,
pourrai-je te faire plus utile qu'un Waterman et en plus celui du Waterman
d'Yvan que je lui avais offert au Canada car il avait laissé le sien à New York
? Avec celui-là, il a écrit le Mythe de La Roche Percée. Peut-être, sera-t-il
pour toi aussi, mon petit Paul, instrument d'inspiration. Je te souhaite ceci
et plein d'autres choses, un peu trop tôt par rapport à Noël, mais j'attends un
coup de fil de Vence, de la femme de Chagall qui doit fixer mon départ. Il a eu
à nouveau une crise de la prostate et donc, il doit peut-être subir une
opération. Sinon, je pars dans les jours prochains.
Peut-être passes-tu encore - après un coup
de fil au préalable ?
en amitié
Ta
Claire G.
Barbara Wiedeman : Paul Celan -
Die Goll Affäre p. 161
lettre de Claire Goll à Paul Celan, Dimanche 6 décembre 1950
Cher Paul,
Le papier sur lequel je t'écris a été
fabriqué dans les mines de Mairans, fondées en 1480. C'est donc un papier de
qualité. C'est donc un papier qui doit porter bonheur. Ainsi, j'espère que les
adresses ci-dessous te porteront chance :
Werner
von Alversleben
15 Parliament Hill, N.W. 3
(Hampstead 09-67)
Peter de Mendelssohn
20 Wimbledon Close,
S.W. 20
(Wimbledon
31.00)
Louis
Golding (illustre romancier
et
homosexuel)
Hamilton
Terrace, N. W.8
(Cummingham
69.94)
Beaucoup de chance et de succès personnel !
Et bonnes fêtes !
Affectueusement
Claire
Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 161/162
1951
lettre de Claire Gollà Paul Celan, 17.1. 1951
Mon cher Paul
Je suis obligé d'annuler l'invitation pour
vendredi, j'ai la grippe.
Veux-tu m'accompagner mercredi 24, pour
l'hommage à Yvan. Je te choisis toi parce que tu as été très proche de lui.
Pourrais-tu être "au plus tard" vers 19h30 chez moi, pour que nous
puissions manger avant d'y aller ? Mais je dois te demander de me répondre
"immédiatement" car, sinon, je demanderai à quelqu'un d'autre.
Affectueusement,
Claire
Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 163
carte de Claire Gollà Paul Celan, [printemps 1951]
Mon cher Paul
Je passe ici de belles journées
Jusqu'à jeudi, mon adresse est chez Albert
Gleizes, St Remy de Provence (Bouches du Rhône)
Affectueusement
Claire
à traduire
Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 163
lettre de Claire Gollà Paul Celan, [mai 1951]
vendredi soir
Cher Paul
J'oubliais de te donner la carte ci-jointe.
L'exposition est très intéressante surtout les tableaux de Picasso
"Massacre en Corée".
Visite aussi "Le Mur de la
Poésie", tu y trouveras 84 poésies dont une de moi.
Plein de bonnes choses pour toi
Claire
Barbara Wiedeman : Paul Celan -
Die Goll Affäre p. 164
lettre de Claire Gollà Paul Celan, 7 juin 1951
Cher Paulot,
Excuse ma nervosité aujourd'hui au
téléphone. J'avais un rendez-vous avec mon médecin américain qui m'avait
demandé un service (lui aussi une introduction pour un certain collègue), et je
répugne à être non ponctuelle an moment où l'on me demande un service.
Alors ta lettre.Kalenter est un homme
charmant : aimable, fidèle et un ami à toute épreuve, si tu réussis à
t'approcher de lui et si vous êtes sur la même longueur d'onde. C'est aussi un
homme d'une grande précision, toujours vibrant, merveilleusement doté de tous
les dons de l'existence, ettoujours
prêt à rendre service comme les Hongrois. Je l'aime particulièrement.
Plein de bonnes choses pour toi
cordialement
Claire
Adresse
d'Ossip Kalender: Poste Restante 242
Zurich
33
Barbara Wiedeman : Paul Celan -
Die Goll Affäre p. 164/165
(25) lettre
de Claire Gollà Paul Celan, 14 juin 1951
Stuttgart, 14 juin 1951
Mon cher Paulot,
Oui, je craignais ce qui est arrivé ;
l'Allemagne m'a séduite à nouveau. Quel accueil ! Ça a commencé avec un grand
bouquet de fleurs à la gare et plein de gestes amicaux, des invitations, et les
gens sont toujours de plus en plus gentils pour moi. "Phèdre" a été
un succès : 20 rappels ! à guichets fermés. Le lendemain, ¾ d'heure de lecture
à la Radio, avec une merveilleuse introduction du directeur du département
littéraire, le Dr. Karl Schwedhelm,
qui, hier, avant ma conférence au Centre
d'Etudes franco-allemand, a également fait un texte de beaucoup de pages sur
nous, (surtout sur Yvan), qui va paraître bientôt et dans lequel il le
comparait même -avec Goethe.
Je t'écris avec intention tant de choses sur Schwedhelm, qui est un
homme charmant, et un connaisseur de la poésie, parce que je t'ai recommandé à
lui, toi et ton avenir,et je pense que
ton avenir est assuré, par cecien
particulier : il était enthousiasmé par la lecture de ta traduction du
"Chien rouge de ma mort". Il te demande d'envoyer un choix de poèmes,
éventuellement aussi de la prose et de lui envoyer un curriculum-vitae pour
qu'il puisse te présenter à ses auditeurs de la Radio. Une telle lecture sera
ensuite reprise à la Radio de Hambourg et de Franckfort.
En outre, j'ai parlé de toi avec le fils de
Rowolt qui est venu me voir, lui aussi aimerait voir tes poèmes. Nous en
parlerons dès mon retour. Parfois, ça prend un peu de temps mais, tu vois, je
n'oublie ni le grand poète, ni l'ami d'Yvan. Je t'écris dans le train qui
m'amène à Mayence, c'est pourquoi, pardonne cette écriture.
Samedi, je pars à Munich. Etais-tu en Suisse
? Couronné de succès ?
Salue bien cordialement les Rosenberg de ma
part.
Ta
toujours très dévouée
Claire
G.
c/o
Radio-Stuttgart
Neckarstrasse
145 Stuttgart
Barbara Wiedeman : Paul Celan -
Die Goll Affärep. 165/166
(26) carte de Claire Goll Metz, à Paul Celan, chez le Dr Adler, 14, Villa Chaptal,
Levallois-Perret 16 août 1951
Cher petit Paul,
Un chaud salut du glacial Metz de Verlaine
et d'Yvan Goll, Comment ça va pour toi et Ihpétonga ? Je serai de retour
seulement la semaine prochaine. C'est triste pour moi d'être à Metz dans la
ville du joyeux Rabelais. J'espère que pour toi que tu es gai et entouré de
jeunesse.
Amicalement
Claire
Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affärep. 167
(27) carte de Claire Goll, Knokke-le-Zoute, à Paul Celan, septembre 1951
Mon cher Paul,
Un salut cordial de ce Congrèstrès intéressant, où plus de 200 poètes sont
venus de tous les pays
Claire
Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affärep. 168
(28) Claire Goll Paris, à
Paul Celan, octobre 1951
Jeudi [ sur papier à en-tête du Palais
d'Orsay ]
Cher petit Paul,
Voici les titres des poèmes que tu as déjà
traduits des Géorgiques parisiennes :
1) A la Tour Eiffel (Flûte d'airain)
2) Paris (Je te chanterai dans les jardins
de zinc)
3) Dans les stations lépreuses des roses [
Dans les léproseries des roseraies]
4)Séducteurs de la Place de Grève
Et maintenant, j'espère bien te lire et
t'entendre très bientôt
affectueusement
Ta
Claire
As-tu écrit à Schwedhelm ?
Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affärep. 168
(29) Claire Goll Paris, à
Paul Celan, [octobre/novembre 1951]
Samedi
Cher petit Paul,
Je t'envoie aussi vite que possible
"L'inconnue de la Seine". Tu me disais pourtant depuis des semaines
que cela était presque terminé.
Peux-tu me l'apporter mardi ?
en
hâte
Claire
Barbara Wiedeman : Paul
Celan - Die Goll Affärep. 169
(30) Claire Goll Paris, à
Paul Celan, lundi [ 5 novembre 1951, cachet de la Poste]
lundi
Mon cher Paul,
Je m'excuse mais je ne peux pas dimanche à 4
h. Veux-tu le soir, après-dîner ?
Un mot s.t.p. par retour du courrier.
amicalement
Claire
Réponds de suite pour que je puisse disposer
de ma soirée, en cas d'empêchement de ta part.
Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affärep. 169/170
(31) Claire Goll Paris, à
Paul Celan, mardi [ fin novembre/ début décembre 1951]
mardi
Cher Paul,
Ci-joint les 3 poèmes et
"Réverbères". Comme tu m'as dit que tu soupèses longtemps les
mots,si tu t'attelles donc à la
traduction des "Géorgiques" pendant quelques heures de chaque semaine
de décembre et certainement pas en hâte dans la dernière semaine, ce serait
pourtant bien si tu m'en donnais déjà quelques unes autour du 15 Décembre afin
que nous voyions ensemble le ton et la résonance.
Merci
pour ton dévouement à Yvan. affectueusement
Claire
à mon retour de Bruxelles
Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affärep. 170
Claire part à Bruxelles le 13. 12.51
(32) Claire Goll Paris, à
Paul Celan, mardi [décembre 1951]
mardi
soir
Mon cher Paul,
Comme tu es devenu silencieux ! Comment
vas-tu et tonnouveau travail?
J'espère que tu n'as pas oublié notre pacte
poétique et que je verrai bientôt la moitié des "Géorgiques".
Je reste à Paris jusqu'au 22 Décembre
Très amicalement à toi
Claire
Barbara Wiedeman : Paul
Celan - Die Goll Affärep. 171
Je les ai lues et je les trouvent très
éloignées de l'original. Puisqu'il s'agit d'une traduction, je préfère publier
Yvan Goll et non pas une recréation poétique trop éloignée de Paul Celan. Vous
avez pris, à mon avis, trop de liberté. Je ne me permettrai pas de minimiser
votre talent de poète, mais je désire avoir une traduction fidèle de ces
Chansons magnifiques.J'ai toujours
souhaité que ce soit Madame Goll elle-même qui traduise ces poèmes et je lui ai
donc demandé de le faire. En tant qu'éditeur, je ne peux pas prendre la
responsabilité de présenter Yvan Goll à un public allemand dans une traduction
qui ne correspond pas à une "affinité sélective" pour ce poète.…
…
Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affärep. 178
(37) lettre de Paul Celan à Franz Vetter
30.XII.51
Cher Monsieur Vetter,
J'ai bien reçu votre lettre du 25 courant,
dans laquelle vous me faites savoir que ma traductionn'est pas publiable. Je suis surpris de constater que
vous avez conservé le manuscrit de ma traduction.. Ceci, n'est pas, comme vous
devez le savoir, une pratique courante dans l'édition. Je vous remercie
d'avance
Barbara Wiedeman : Paul
Celan - Die Goll Affärep. 179
1952
(38) lettre de Paul Celan à Franz Vetter 4
janvier 1952
Cher Monsieur Vetter
La demande que je vous ai adressée de me
renvoyer mon manuscrit est restée sans réponse à ce jour. Je ne peux pas
accepter la critique que vous avez émise sur ma traduction, car les accords
conclu, l'ont été avec Madame Goll et pas avec vous.
Je dois vous préciser que je m'oppose
formellement à toute sorte de publication de ma traduction sans que mon nom
soit mentionné, ainsi qu'à la publication d'une autre traduction que la mienne,
auquel cas, je me sentirai obligé de poursuivre en justice.
Veuillez
agréer, Monsieur …
Barbara Wiedeman : Paul Celan
- Die Goll Affärep. 180
(33) Paul Celan à Claire Goll Parisle 4 janvier 1952
Chère Claire,
En même temps que cette partie, je t'envoie
ci-joint la copie d'une lettre de Mr. F. Vetter, Pflugverlag, Thal/St.Gallen.
Je dois supposer que tu n'as pas connaissance du contenu de cette lettre, car
cette lettre n'est pas seulement une offense à mon égard, mais aussi à l'égard
d'Yvan, puisque Yvan m'avait choisi comme un de ses exécuteurs testamentaires
littéraires. J'ai naturellement réagi à cette lettre et je te donne ici copie
de ma réponse à Mr. Verter. Pour éviter des incidents de cette espèce dans le
futur, etaussi, parce que nous ne
pouvons pas savoir combien de temps de toute façon, dans cet avenir si
incertain il nous reste à vivre, il est indispensable que, outre les accords
oraux conclus jusqu'ici, concernant les trois traductions d'Yvan dont tu m'as
chargé : Les Chansons Malaises, Elégie d'Ihpétonga, et Géorgiques Parisiennes,
soient maintenant formalisées par des accords écrits
Avec
les meilleurs souhaits pour la nouvelle année
Paul
(Traduction Uli Wittman)
Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affärep. 171/172
(34) Claire Goll Paris, à
Paul Celan, Paris 8.1.52
Paul,
Je ne voulais pas t'écrire pour plusieurs
raisons.
1) Pour ne pas devoir te dire, que depuis
longtemps, je ne reconnais plus le Paul, qui quelques semaines avant la
mort d'Yvan venait à nous, timide, dévoué, chaleureux envers nous
2) Pour ne pas devoir te dire, comment, de
mon côté, je ressens le ton de ta lettre recommandée
comme une offense.
3) Pour ne pas te devoir dire, à quel point
m'avaient blessée ton faux-pas au téléphone et ton dernier geste,
"Exécuteur testamentaire Littéraire" ! Quelle arrogance ! Crois-tu
réellement qu'Yvanaurait mis quelque
chose par écrit de mon vivant à moi ! lui qui, jamais ne manquaitde tact ! Il s'agissait dufutur Fonds "Claire et Yvan Goll" à
créer sous ta caution et celle de Bosquet,mais, après ma mort.
C.
G.
Eu égard à ton attitude irrespectueuse
d'aujourd'hui, aussi bien vis à vis de mon défunt que de moi-même, je me pose
la question s'il n'est pas nécessaire de taper à la machine ton manuscrit pour
pouvoir à tout moment confronter les 2 versions complètement différentes, la
tienne et la mienne.
(Traduction Uli Wittman)
Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affärep. 172/173
(35) Claire Goll Paris, à
Paul Celan, Paris 26.1.52
Cher Paul,
La semaine dernière, je logeais encore à
Bruxelles chez mon ami Pierre-Louis Flouquet, qui, à propos de ma lecture
parlait aussi du bel exposé préparé, j'attendais les corrections du numéro
spécial allemand du Journal des Poètes, qui étaient sur sa table, et je lisais
chaque fois ta "Fugue de la Mort". Tu sais que j'ai toujours été
particulièrement formelle sur ce poème que j'aime plus que tout. Flouquet était
de mon avis sur la qualité de cette Fugue et ce sera pour moi toujoursaussi évident qu'un poème, qui a pour lui le
temps et la patience, n'a rien à faire d'une adaptation traduite, à qui on
accorde ordinairement un minimum de temps.
Je t'avais dit que, sûrementjamais, dans le cas des Chansons Malaises,
rien de ta liste ne serait utilisé par mon éditeur. C'était une pierre qui
ricochait sur moi. Seulement, je la ramasse aujourd'hui à contre-cœur, car qui
fait du mal aux autres se fait du mal à lui-même.
Tu écris à mon éditeur que tu t'opposerais à
toute traduction non signée ou d'un autre nom que le tien.
Et tu savais pourtant que je suis seule
responsable pour toute nouvelle traduction et que je dois signer (et cette
responsabilité, c'est vis à vis d'Yvan, cela ne dépend pas de toi ni de moi.)
Et la phrase, dans ta lettre insultante,
dans laquelle tu demandes un accord écrit « puisque nous ne pouvons pas savoir
combien de temps cet avenir incertain nous laisse à vivre », cette allusion à
ma santé chancelante et à mon éventuel décès, (car de ta mort à toi, toi jeune
homme, tu n'y comptes pas dans les 20 ans qui viennent), cette phrase, tous mes
amis la considèrent comme un faux-pas extraordinaire.
Il m'apparaît toujours manifestement que ta
sollicitude attentive, d'abord pour nous deux, ensuite pour moi seule, se
transformait de plus en plus en intérêt strictement personnel comme aussi le
prouvait ta traduction rapidement faite des Géorgiques. Tu rappelles : je les
avais demandées jusqu'au 1er janvier. Tu les expédiais déjà - pour des motifs
d'argent - dès le 15 décembre, avec ces propos :« elle est excellente et je n'y
changerai rien.»
Comment voulais-tu que je réagisse après une
rapide première lecture avec toi, face à une attitude aussi arrogante! Même si
je me suis rendue compte tout de suite, que je n'y trouvais pas la nécessaire
humilité devant la particularité d'Yvan, j'étais trop faible pour te le
reprocher. Il a fallu l'intervention de mon éditeur énergique, pour te dire la
vérité, d'abord sur les Chansons Malaises, ensuite sur les Géorgiques.
… Je suivais ton exemple (ta visite à M°
Rosenberg)
…Le manuscrit est à ta disposition. Si tu
veux venir mardi soir, je te le remets. Idem pour ma traduction des
"Géorgiques" à comparer avec la tienne.…
Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affärep. 173/174/175/176 ***
Claire avait dédicacé à Paul Celan :
Ivan Goll : Traumkraut, Gedichte
aus dem Nachlass (64 S.- 20 cm.)
Erste Ausgabe (Vorwort von Claire Goll). Umschlagzeichnung von Marc Chagall
Limes Verlag Wiesbaden 1951
Für Paul
den
treuen freud
der
das Traumkraut
blühen
und welken sah
Claire
Claire Goll :* Les
larmes pétrifiées, avec un dessin d'Antoni Clavé
Collection Cahiersbimensuels n°89 Pierre Seghers, Paris 1951(29)p.18 cm.
àPaul
qui - à la période la
plus tragique
de ma vie - a si
fraternellement
changé mes larmes en
sourires
Très affectueusement
Claire
1953
samedi 16 mai 1953, création de L'Incendie de l'Opéra, de Georg Kaiser
:
Traduction
de Claire Goll, adaptation théâtrale de Boris Vian
Attaques de Claire Goll sur Paul
Celan,
(40) Claire Goll : lettre circulaire de la dernière semaine d'août 1953
Il y a
quelques jours, je recevais d'un jeune poète allemand, Professeur adjoint pour
l'étude de langue, de l'histoire et de la culture germanique [ Richard Exner ]
le livre de Paul Celan : Mohn und
Gedächtnis [paru fin 52] avec ses mots : « ce recueil est complètement
inspiré par le Traumkraut (Limes Verlag Wiesbaden, 1951) de Goll ! Et la
critique ne s'en aperçoit pas ?»
important, à
traduire avec précision et signer la traduction ****
… Pas une seule fois Celan ne m'a dit : «
Montre-moi ta traduction pour que nous les comparions ». Il ne lui venait pas,
dans sa vanité démesurée, la pensée que je suis aussi un poète et peut-être
plus prochedu vocabulaire de mon mari
et dévouée. C'est que cet "emprunt" est une spécialité de Celan, me
confirmait il y a un mois un jeune poète de Vienne, Dr. Alfred Gong, qui vit
maintenant à New-York et qui connût Celan en Roumanie de longues années, avec
qui il fut longtemps en camp de concentration et plus tard à Vienne. Ses
premières publications, de tout le recueil " Der Sand des Urnen "[
Le sable des Urnes ] que, plus tard Celan
retirera sagement de nouveau sont - d'après la déclaration du Dr. Gong - laine
refaite - des emprunts
Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affärep. 187/188/189
7 décembre 1953, lettre de Claire Goll
à Hans Holtusen
Je vous soupçonne de fraude,
les variantes entre les poèmes inédits de JsT ne sont pas des fautes de tape !
S'il y a ratures ou changements de la main d'Yvan, il faut, je le maintiens
avec conviction, les indiquer en note ; je vois encore que vous avez supprimé
un quatrain dans un poème. J'établis pour commencer un index sur cartes 3 x 5.
Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affärep. 712
Claire Goll à Francis Carmody, le 23 avril
1955
New
York, le 23 avril 1955
Cher
Francis,
[… ]
Fraude ?
Yvan m'a toujours demandé conseil avant de donner une version définitive de ses
poèmes. Vous savez que la statue de Memnon chantait. Eh bien, avant de
retoucher un poème, je consulte toujours le buste d'Yvan, placé sur la commode,
et il me parle, m'inspire et m'autorise d'apporter les changements nécessaires
aux strophes ou de retrancher une ligne plus ou moins bonne. Donc, je ne fais
rien sans le consentement d'Yvan
Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affärep. 713
1956
Décès de Rebecca Kahn le 29 octobre
1957
21 octobre 1957, lettre à Claire Goll
d' Audiberti, à vérifier
à recopier
1958
1 novembre 1958 de Florent Fels àClaire Goll
à recopier
21 novembre
1958 : Soirée donnée en hommage à Yvan Goll, à la Galerie Devèche, 19 rue Brey,
Paris XVII, sous la présidence de Robert Kemp : Souvenir d'Yvan Goll, avec la participation de Edmée de la
Rochefoucault, Alain Bosquet, Georges Cattani et Jules Romains [6]
Claire Goll : Lettre du 4 décembre 1958 à Florent Fels
SOCIETE DES AMIS D 'YVAN GOLL
Président:JULES ROMAINS,de l'Académie Française
SOCIETY OF FRIENDS OF YVAN GOLL
Président:PADRAIC COLUM - New-York
SECRETARIAT: FRANCIS
J. CARMODY,Professor of French
University of California,Berkeley
Paris le 4 déc. 58
Mon
cher Florent,
Offensé
?Au contraire,ta lettre m'avait apporté une très grande
joie. Mais n'as - tu pas vu que je ne suis qu'une loque humaine?Trois ans sans une journée de vacances!Sept jours de travail par semaine,car je ne pouvais pas me permettre un seul
week-end ; il fallait taper dix heures par jours,puisque j'avais promis à Yvan de vivre pour
son oeuvre. J'ai tenu ma promesse,son
oeuvre vit,mais moi je me meurs. Il me
reste peu de force,ce travail de
secrétaire au service d'un mort m'ayant épuisée. Copier,et recopier les documents et les
manuscrits,répondre aux demandes des
cinq continents et tout cela sans aide,car mes moyens ne me permettent pas de prendre une secrétaire et le
tarif des bureaux de copies est trop élevé.
Comment
veux - tu que je réponde aux lettres!Des paquets de lettres importantes - demandes de traductions,d'anthologies etc. - traînent partout :sur les tables,la cheminée,le bureau et le tapis!Tâche -
donc de comprendre un silence,imposé
par des circonstances extérieures et non par une négligence du coeur.. Celui -
ci t'appartient,puisque tu étais l'ami
d'Yvan.
Non,je
n'ai pas connu Klee. Quand j'ai déjeuné chez Mme Klee,il était encore sous les drapeaux.
Mes poèmes,parus dans"Action" ne m'intéressent pas.
Seuls ceux d'Yvan et surtout l'article qu'il a écrit sur Rilke,parce qu'il était à la base d'un diffèrent
entre les deux poètes. Il me faut une copie de cet article et la date de sa
parution. Et aussi les titres des poèmes allemands qu'il a traduits pour"Action". Fais les copier pour moi
s.t.p.
La conférence sur Yvan,qui a eu lieu le 21 novembre,était très réussie. Robert Kemp a parlé de
son théâtre et a dit,entre autre,que Ionesco et Beckett étaient basés sur lui.
Jules Romains et Georges Cattaui l'ont comparé à Villon,Gérard de Nerval,Mallarmé etc. Et un jeune poète qui parlait
au nom de la jeunesse sur son oeuvre allemande,le mettait au niveau de Hölderlin,Novalis,Nietzsche et Lorca.
Seulement mon Yvan était trop loin pour entendre ces éloges,trop posthumes.
Hélas,de son vivant personne n'avait le génie de
reconnaître son génie.
Et cela,par
mesquinerie confraternelle. Kemp l'a bien dit :"Yvan Goll a eu,chez nous,contre lui,d'être un poète
bilingue ".
Et
maintenant,dans tous les essais sur lui
figure le mot :"génie "
J'ai reçu hier la traduction de ses"Chansons Malaises" en
espagnol,parue à Madrid en un très beau
volume. Dans la préface on compare ces poèmes à ceux de Sapho,au Cantique des Cantiques et à St. Jean de la
Croix.
C'est
une douloureuse satisfaction pour moi.
La semaine dernière est sorti notre livre,écrit en collaboration :Nouvelles petites Fleurs de Saint François
d'Assise,avec trois dessins de Dali. Et
Fernand Mourlot va éditer"Neila" (poèmes) avec 4 lithos de couleur de Miro.
(Voici
quelques nouvelles littéraires.)
Bien des compliments à Suzy,qui a la chance d'avoir"un homme à tiroirs",
et
un baiser affectueux pour toi
ta vieille amie
Claire
l'oeuvre
complète d'Yvan qui devait sortir
en
Allemagne l'année dernière,sort
seulement
en 1959 parce que je n'ai pu faire texter
les traductions nécessaires
1959
1960
Paul Celan à
Sperber du 30 juillet 1960 :
«…J'avais recherché
les époux Goll vers la fin de l'automne 1949 afin de leur transmettre vos
salutations. A cette occasion, je leur fis cadeau des épreuves de l'un des
exemplaires de mon recueil "Der Sand aus des Urnen" paru à Vienne à
l'édition A. Saxl en 1948. Goll fut très impressionné. Jusqu'à sa mort, en mars
1950, je lui ai souvent rendu visite ainsi qu'à sa femme, je leur lisais même à
l'occasion certaines choses publiées uniquement dans des revues, ou bien,
grande imprudence de ma part, des inédits. Je peux également vous dire, et ce
n'est pas par vanité, que je ne suis pas pour rien dans le fait que Goll, qui
n'avait plus écrit en allemand depuis des années, soit revenu à cette langue
peu de temps avant sa mort. Il doit cela en partie à ma poésie et à ma
rencontre, Goll m'a également demandé de traduire ses poèmes français ; je lui
ai promis de le faire…Aussi longtemps que je traduisais, la veuve trouvait que
tout était admirable; cependant d'autres intentions l'animaient, lesquelles,
naïf et confiant comme j'étais, je ne soupçonnais pas.… La veuve se mit en tête de publier l'œuvre
posthume du défunt. En 1951 est paru le premier tome de cette "œuvre
posthume" en allemand "Traumkraut" (Mauvaise herbe de rêve). Que
l'auteur, mot qu'il conviendrait plutôt de mettre au féminin, de cette
publicationeût bien connu ma plaquette
viennoise - dont les nombreuses coquilles m'avaient poussé à ne pas la diffuser
- est évident. Ce premier volume de Goll, et cela a sa signification, n'eut
aucun retentissement. En 1952 est paru mon recueil de poèmes "Mohn und
Gedächtnis", lequel, comme vous le savez est une nouvelle édition de ma
plaquette viennoise. Ce recueil-ci, fut, lui, apprécié. Alors, la veuve abusive
est passée à l'attaque : avec l'aide dequelques "gangsters germanistes" des Etats-Unis, elle a
répandu dans la presse, à la radio et dans des lettres envoyées à des
particuliers, l'accusation calomnieuse que"Mohn und Gedächtnis" paru en 52 serait un plagiat de celui de
Goll paru en 1951. Celan a été qualifié d'escroc, plagiaire et charlatan, comme
je vous le dis, mon cher Alfred-Margul Sperber ! » [7]
1961
lettre de Claire àAudiberti 10 avril 1961
Cher Jacques,
à recopier
IMEC Cote :
DBT2. A1-04.03
lettre de Claire àJean Painlevé 27 mars 1961
Mon cher
Jean,
Ci-joint le programme de
"Mathusalem", dont la première a eu lieu le 22 mars à
Francfort-sur-Main.
Vous trouverez, sur la deuxième page
brune, un passage (coché au crayon rouge) vous concernant.
La pièce a été reçue là-bas
triomphalement. Tous les critiques de Francfort, reconnus comme les meilleurs
et les plus sévères de l'Allemagne, ont écrit la même chose :"grandiose anticipation de
Ionesco"…"ainsi le théâtre de Ionesco et de Beckett vient de
Goll" … "Chef d'œuvre" etc.
D'autres théâtres viennent de
s'assurer la pièce. Après ce succès, elle reviendra certainement à Paris.
Les metteurs en scène se sont
lamentés au sujet de la perte de vos films, d'une qualité si géniale et
artistique.
Si seulement, vous pouviez mettre la
main dessus pour qu'on puisse les montrer.
J'aimerais beaucoup vous revoir. Ne
pourriez-vous pas me donner un coup de fil (Babylone 42 41) ?
Toujours amicalement
vôtre
Claire Goll
Claire
Goll
1962
1963
lettre de Claire àAudiberti 26 novembre 1963
Cher Jacques,
à recopier
IMEC Cote :
DBT2. A1-04.03
lettre d'Audiberti à Claire 21 décembre
1963
Chère Claire,
avec enchantement
j'ai lu le Ciel volé
Je ne savais pas
que tu écrivais des choses aussi charmantes !
Je viendrai, si tu
veux bien, recopier mes poèmes
Bien amicalement
Jacques
SDdV Aa59 ?
(247)
1964
pneumatique de Claire àAudiberti 17 novembre 1964
Cher Jacques,
IMEC Cote :
DBT2. A1-04.03
lettre d'Audiberti à Claire 17 novembre
1964
à recopier
Chère Claire,
SDdV Aa60 ?
(252) - 510.299III
1965
lettre de Jean Painlevé à Claire Goll27 février 1965
1966
Lettre de Florent Fels à Claire
Goll : 25février 1966
Hôtel Hermitage, Monte-Carlo
Ma
chère amie, je serai à Paris
du
15 au 30 mars et j'aimerais beaucoup
te
rencontrer. Veux-tu me donner
ton
adresse et numéro de téléphone en
envoyant
ton courrier :
Florent
FELS
Hôtel
de Calais
5,
rue des Capucines . Paris
en
mettant sur l'enveloppe :NEPAS
FAIRESUIVRE
à
bientôt le plaisir de te voir
Florent
25.2.65
Lettre de Florent Fels à Claire
Goll : 2 avril 1966
Fels.
52 Bd Jardin Exotique
Monaco
Chère
Claire,
Que parles-tu de " grand voyage sans
retour " !
Quelle littérature!
Tu vois bien que tu peux servir et vivre,
puisque
te voilà servant encore le grand cher Yvan.
Je crois t'avoir dit que les Allemands - je
ne dis
pas les nazis - sont passés chez moi dès
septembre
40,
enlevant mes Chagall, Vlaminck, Utrillo,
et tous mes livres . Je ne possède donc
plus d'
ACTION ? où non seulement il y avait des
oeuvres
d'Yvan Goll, mais des inédits de l'ami
Malraux.
Demande-lui, peut-être en a-t-il encore et
il a la puissance d'en faire rechercher et
retrouver.
Ta
carte m'est parvenue ici. Je serai à
Paris fin mai, te verrai. Je t'embrasse
Florent
2.4.66
1967
1968
1969
1970
Lettre de Claire Goll: 26 juillet 1970 à l’éditeur Jean Petithory
CLAIRE
GOLL
47
RUE VANEAU
PARIS VII
Le 26. VII.70
Mes
chers Chantal et Jean,
Je
suis ravie de vous savoir au soleil,“
les
mains
libres “. Seulement il ne faudrait pas que Jean s'expose
aux rayons
ultra - violettes,mais cherche l'ombre.
Je
suis seule et triste ici et j'ai la nostalgie
du Midi
que je n'ai pas vu depuis de longues années.
Aussi,ai - je pensé à ta charmante proposition,
Jean,de m'emmener là - bas au moment de ton retour
avec Man.
Nager,nager,quel rêve!La vieille sirène
ne vous dérangerait pas,elle sera toujours cachée
dans le pli des vagues ou de son lit
pour écrire,
Et pour faire plaisir à Jean,je lui laisserai un
Miro de 3
2 5.0 0 0 à 1 5 0. 0 0 0 F (anciens).
Seulement,si vous voulez bien de moi,il
faut me prévenir huit jours d'avance oudés
maintenant fixer une date. Car j'ai
des rendez -
vous à
annuler que j'ai pris avec des étudiants qui
font leurs
thèses,soit sur Yvan,soit sur moi.
Je vous embrasse affectueusement,ainsi que Man (Man Ray)
et
Juliette.
Votre
Claire
1971
1972
1973
1974
1975
1976
1977
30 Mai 1977 : décès de Claire Goll
«Par
testament, Claire Goll, décédée le
30 mai 1977, a fait de l'ensemble des manuscrits, des
livres imprimés, des oeuvres d'art et des objets divers contenus
dans son double appartement au 47 rue Vaneau à Paris, deux
parts :
nl'une avec les manuscrits et les imprimés en
langues allemande et anglaise, plus un choix de
peintures, gravures et photographies,
était destinée au musée Schiller à Marbach (Allemagne) où elle devait prendre
place au sein des archives littéraires allemandes que cette institution a
mission de conserver et de communiquer. Cette dévolution représentait la
contrepartie de la pension viagère que depuis 1971, la
République fédérale d'Allemagne lui versait mensuellement. Le Musée Schiller, à
Marbach, est chargé de recueillir et de conserver les
archives littéraires allemandes. Il possède les papiers et les livres de plus
de trois cents écrivains qui se sont fait un nom dans la littérature. Il
souhaita faire entrer dans ses collections les manuscrits et les oeuvres d'Yvan
et Claire Goll.
nl'autre, avec les manuscrits, les
imprimés en langue française, la bibliothèque, la majeure
partie des oeuvres d'art, le mobilier et les
objets personnels ayant appartenu à Yvan et à Claire,
revenait à la ville de Saint-Dié des Vosges.
(Albert
Ronsin, Conservateur honoraire de la Bibliothèque de
S.D.d.V., Président des Amis de la
Fondation Yvan et Claire Goll)
Claire Goll
décédait le 30 mai 1977,après avoir
traduit,fait éditer ou rééditer dansunedouzaine de langues (allemand,anglais, français,espagnol, italien,
japonais,
bengali)une grande partie de l'oeuvre
d'Yvan,inconnue du "grand public
",en raison de la rareté et du
prix des Editions de luxe illustrées.
Claire avait été,comme elle le souhaitait,la parfaite secrétaire d'un mort. C'est elle
qui a réussi à lui redonner vie. Dans un exemplaire de Traumkraut Claire Goll a
écrit de son habituelle encre rouge Claire sur la page de garde et Claire Goll
sur la page de titre.
Un Edelweiss se trouvait dans cet exemplaire ; il ne peut s’agir que
de celui dont il question dans"Meiner Seele Töne",lettre de Claire(en cure à Challes-les-Eaux)
datée du jeudi 19 août 1948 p.283 :
"mais tout cela n’est finalement qu’une
question de patience … cette plante de la solitude et de l’altitude t’en
enseignera peut-être un peu. Elle s’est patiemment adaptée à la glace et au
soleil le plus ardent. Son petit pelage est aussi doux que celui d’un animal.
Cet edelweiss vient de la chaîne des glaciers de Belledone.… "
dans sa note 1 p.408 Barbara Glauert dit que
cet edelweiss n’était pas joint à la lettre originale; et pour cause en avril
1972,Claire donnait à la ville de
Saint-Dié "…une croix de Lorraine et flamme "Honneur et Patrie
"en métal argenté des Français Libres ayant appartenu à Yvan Goll à
New-York,un edelweiss cueilli pour
Claire dans les montagnes du Tyrol en 1949. "
Albert Ronsin - Le legs Yvan et Claire Goll à
Saint-Dié —Regards n° 102,Avril 1980)
Conclusion
Comme dans un rêve j’entrai un
matin de la première semaine de Septembre 2000 dans les Archives Militaires
Nationales Russes situées dans une rue latérale de la tristement célèbre
Chaussée de Leningrad à la périphérie de Moscou. Il me fallut surmonter ma peur
devant les jeunes soldats, fusils aux pieds, portant des vestes pare-balles,
qui contrôlèrent mon passeport avant que je ne puisse entrer dans la salle de lecture.
En tout cas, les jeunes soldats me garantissaient l’une des places de travail
la plus sûre au monde. Une fois dans la maison, je pouvais bouger librement
sans d’autres contrôles. Je pouvais consulter l’ensemble des trente-sept
classeurs - ouverts et remplis par Yvan et Claire Goll eux-mêmes dans les
années 1919 à 1939, papiers jaunis, encre délavée -. Trente-sept classeurs, en
cinq jours, du lundi au vendredi. Poèmes, lettres, relevés de compte. Je
lisais, lisais et notais, cataloguais à nouveau et quelquefois j’avais le
sentiment que la porte de la salle de lecture des Archives Militaires à Moscou
allait s’ouvrir et que Claire Goll entrerait pour m’exhorter : « Vous
pourriez travailler encore un petit peu », comme elle l’avait souvent fait
dans ses archives parisiennes après 21 heures. Ou elle m’apporterait des gants
blancs pour le travail sur les originaux des lettres. Quand je quittais les
archives tard dans l’après-midi, je ne savais pas qui était plus fatigué, les
soldats de garde dormant sur leurs fusils dressés qui ne pensaient plus à me
contrôler, ou moi-même. Je savais : Claire travaillerait des nuits entières
pour récupérer ses trésors.
Un soutien précieux et important
pour remplir les questionnaires, pour traduire et pour faire l’interprète me
fut prodigué par Madame Elena Tchesnokova, collaboratrice du Département des
Acquisitions à la Bibliothèque de Littérature Etrangère à Moscou. Pendant mon
séjour, trois autres chercheurs allemands travaillaient dans la même salle de
lecture. On me dit que je pouvais consulter dix classeurs par jour. Cependant,
dès le deuxième jour, les vingt-sept classeurs restants furent mis à ma
disposition. A l’intérieur de l’ensemble des dossiers Goll, il existe un
sommaire en langue russe qui répertorie - cependant de façon incomplète - les
oeuvres des Goll contenues dans chaque dossier. Les premières traces de
traitement et de mise en ordre des fonds Goll - en langue russe - datent de
l’année 1949. Jusqu’en 1960, les fonds étaient stockés au Ministère National de
l’Intérieur à Moscou avant d’être transférés aux « Archives
Spéciales ». En 1962 seulement, les documents ont été classés sous la
forme actuelle. Contrairement à l’information initiale selon laquelle les
textes des Goll étaient contenus dans trente-sept classeurs d’une centaine de
feuillets chacun, les différents classeurs avaient des volumes variables,
allant jusqu’à 744 feuillets. Vu globalement, il y a plus de volume de textes
de l’oeuvre de Claire Goll que de celui d’Yvan Goll. Il s’agit pour la plupart de
tapuscrits allemands ou français avec un grand nombre de corrections et
d’ajouts manuscrits des deux auteurs (aussi dans les textes du conjoint
réciproque). D’Yvan Goll et de Claire Goll j’ai trouvé de chacun un roman non
publié ainsi qu’un nombre peu important de lettres (Paula Ludwig, Georg Kaiser,
Henri Barbusse, Lion Feuchtwanger) adressées à Yvan et à Claire Goll. Par
ailleurs, j’ai trouvé plusieurs tapuscrits de textes qui avaient été publiés
avant 1939 (l’année où les Goll ont fui la France). De l’oeuvre de Claire Goll,
Charlie Chaplinintime, publiée en 1935, j’ai trouvé une adaptation allemande faite
par Claire Goll. Un classeur contient des publications feuilletonistes de
Claire Golls dans des quotidiens et hebdomadaires allemands des années 20 et
30, un autre des correspondances de Claire Goll avec des maisons d’édition, des
rédactions de journaux et des agents littéraires ainsi que des contrats
d’édition de ses oeuvres. Deux classeurs renferment des relevés de compte des
Goll de diverses banques (Deutsche Bank, Dresdner Bank, Schweizerischer
Bankverein Genève et Zurich) de la période entre 1919 et 1939.
Un matin, un historien de Berlin
présent, lui aussi, dans la salle de lecture des « Archives
Spéciales » me conseilla de rechercher également dans le fichier nominatif
des Archives Nationales Russes pour la Littérature et les Arts qui se trouve
dans le même bâtiment, mais n’a rien à voir avec le butin de guerre. J’en
parlai à Madame Tchesnokova, et elle réussit effectivement le lendemain à consulter
ce fichier. Elle trouva que ces archives contenaient également des textes
d’Yvan Goll et apporta une invitation de la directrice de ces archives me
demandant de venir la voir et de lui faire part de mes souhaits. Peu de temps
après, je pus consulter le matériel dans la salle de lecture des Archives
Nationales pour la Littérature et les Arts. Le texte le plus important que
j’aie pu trouver était le tapuscrit du roman Lacrasse d’Yvan Goll (en français, environ 200 pages). Goll avait
personnellement envoyé cette oeuvre en 1926 aux éditions moscovites « Land
und Fabrik » (« Semlja i fabrika ») pour leur en proposer la
publication. Cette maison d’édition a été fondée à Moscou en 1922, dissoute
vers 1930, mais existe à nouveau aujourd’hui sous une nouvelle forme. A
l’époque, Maxime Gorki, Konstantin Fedin, Anatole Lunatscharski et Ilja
Ehrenburg faisaient partie de ses auteurs. Elle publia aussi des traductions
russes de Gustave Flaubert, Anatole France et d’autres auteurs français.
Jusque-là, je ne connaissais pas de roman intitulé Lacrasse de Goll, mais je supposais qu’il pourrait s’agir d’une
version modifiée d’un roman déjà publié en France puisque Goll avait l’habitude
de réécrire des oeuvres déjà éditées et de les publier sous un autre
titre.
Comme la directrice adjointe des
archives m’informa, le tapuscrit du roman Lacrasse
de Goll est devenu entre temps propriété de l’état russe puisque Goll l’avait
librement mis à la disposition de la maison d’édition de Moscou (contrairement
au butin de guerre dans les « Archives Spéciales ») et que de ce
fait, le prix des copies était fixé par les archives elles-mêmes. Compte tenu
du prix élevé annoncé de 20 US $ la page, je demandai de ne faire copier que
quatre pages de texte (plus la page de couverture). Cela me permettrait de
vérifier le texte à mon retour. On me proposa ensuite de me faire copier encore
trois textes de lettres (5 pages) importantes pour moi (correspondance de Goll
avec la rédaction de la revue moscovite Das
Wort qui publia en 1938 sa cantate Tscheljuskin
dont le texte original a aujourd’hui disparu, une lettre de Lion Feuchtwanger
adressée à Goll le 9 Juillet 1937, une carte postale de Goll à Alfred Kurella,
rédacteur en chef de la revue Das Wort
éditée à Moscou, datée du 20 Octobre 1937, et une lettre de réponse de la
rédaction de Wort adressée à Goll le
22 Novembre 1937 depuis Moscou). Après mon retour en Allemagne, je pus
constater à l’aide des pages de textes copiées que le tapuscrit de Moscou est,
en effet, une autre version française du roman Le Microbe de l’Or où le personnage principal ne s’appelle plus
Monsieur Tric, mais Monsieur Lacrasse. Le Microbe de l’Or a été publié pour la première fois en 1927 aux
Editions Emile-Paul Frères, Paris. La traduction allemande faite par Georg
Goyert a été publiée en 1960 dans le recueil Dichtungen par Luchterhand Verlag, Neuwied. Actuellement, les
négociations entre le Wallstein Verlag, Göttingen, qui éditera les oeuvres
complètes d’Yvan et de Claire Goll en Allemagne, et les Archives Nationales
pour la Littérature et les Arts à Moscou se poursuivent. Ces archives
renferment également la traduction russe de son drame Methusalem oder Der ewige Bürger par Dimitri Vygodski, une lettre
de Goll adressée à celui-ci le 5 Juillet 1924, un virement d’honoraires à Goll
pour la publication de sa cantate Tscheljuskin
dans la revue Das Wort, une
traduction russe de ses poèmes « Karawane der Sehnsucht » et
« Mondschein ». Il est possible que d’autres textes d’Yvan et de
Claire Goll (ainsi que des documents provenant de leur bibliothèque parisienne)
se trouvent encore à la Bibliothèque Nationale pour la Littérature Etrangère
ainsi qu’à la Bibliothèque Nationale Russe (anciennement Bibliothèque de
Lénine). Des renseignements complémentaires pourraient être obtenus par la consultation
détaillée des 76 dossiers se trouvant également aux « Archives
Spéciales » et concernant l’activité de la mission Reichsleiter Rosenberg
(fonds N° 1401) puisqu’on y trouverait probablement des indications sur
l’endroit précis où les documents provenant de l’appartement parisien des Goll
avaient été conservés à l’intérieur du Grand Reich de l’époque. Les archives
moscovites contiennent donc : 34 classeurs avec des textes des Goll= 4.251 feuillets au total (excepté les deux
classeurs contenant des relevés de compte, des correspondances avec les banques
ainsi que le classeur contenant des coupures de journaux des articles de Claire
Goll). S’y rajoutent environ 200 pages du roman Lacrasse d’Yvan Goll. Textes au total : 4.451 feuillets dont en
langue allemande : 2.996 feuillets, en langue française : 1.455 feuillets.
Au dernier jour de mon travail
dans les Archives Spéciales, j’ai établi la liste des copies à fairedes documents Goll trouvés dans ces archives.
Les copies ont été faites au prix de 1 US $ la page dans le courant du mois
d’Octobre 2000 et ont été acheminées par courrier spécial, par la voie de
l’Ambassade Allemande à Moscou et du Ministère des Affaires Etrangères à
Berlin, au Musée National de Schiller à Marbach en été 2001. J’avais réussi ce
que personne n’aurait imaginé possible. 4.500 feuillets de propriété
intellectuelle d’Yvan et de Claire Goll, dérobés à Paris en 1940, entreposés en
Allemagne jusqu’en 1945, sauvés par la « Commission des Trophées »
soviétique et conservés à Moscou depuis 1949, avaient repris le chemin de
Moscou à Marbach sur le Neckar. En Juillet 2001, j’ai personnellement, et en
présence de collaborateurs des Archives Littéraires Allemandes, ouvert et
vérifié les deux colis. Toutes les copies des textes d’Yvan et de Claire Goll
que j’avais commandées avaient été faites soigneusement. Ainsi, au bout de
soixante ans, une partie des oeuvres des Goll dérobées à Paris ont retrouvé une
patrie. Lors de leur publication future par le Wallstein Verlag, nous
signalerons leur destinée particulière sous le nom d’ « Edition
Moscovite ». Ce sera aux gouvernements d’Allemagne, de France et de Russie
d’envisager le retour des trente-sept classeurs de textes originaux.
En France, n'étant pas un
ouvrier salarié et ne bénéficiant pas de l'Assistance Publique, je devrais
payer 2.600 francs par jour dans une salle d'hôpital.
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald5 janvier 1935 ImsL p.
323/324
5.1.35[Paris]
PALU
traduire
Yvan
lettre d'Audiberti à Claire et Yvan du 18
janvier 1935
Cher Ivan et chère Claire,
s'il n'est pas trop tard - et il
n'est jamais trop tard pour bien faire - recevez ici, la très vive expression
du grand plaisir que j'ai eu, l'autre dimanche, auprès de vous. C'était, nous
le sentions, une de nos dernières haltes, en plein chemin d'angoisse et de
menace, avant, peut-être, un événement rude et noir. Dans ce milieu de poètes
et de peintres, et sous l'œil vague et profond de tableaux et de livres, notre
bavardage et même notre existence avaient le grand charme, déjà d'un repas
d'ombres à la fois ardentes et apaisées. J'ai lu avec plaisir, ça et là, des
critiques favorables à Chansons Malaises, pleines (Les Chansons...) d'une
grande simplicité, mère d'une vigilante pureté.
Je souhaite, que l'un et l'autre,
vous alliez bien et me gardiez votre amitié
SDdVAa15
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald19 janvier 1935 ImsL p.
324/325
Paris 19.1.35
Chère Palu
- et cette dernière lettre de
"ETRE et MOURIR", cette dramatique cantate sur la naissance et la
mort d'un petit enfant
traduire
Yvan
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald19 janvier 1935 ImsL p.
325/326/327
2Paris 19.1.35
de
ton Yvan
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald30 janvier 1935 ImsL p.
327/328
Paris 30.1.35
Chère Palu
de
ton Yvan
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald7 février 1935 ImsL p.
328/329
7.2..35[Paris]
Palu
traduire
Ma
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald7 février 1935 ImsL p.
328/329
7.2..35[Paris]
Palu mon souverain
traduire
Ma
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald9 février 1935 ImsL p.
330/331
Paris 9.2..35
mon cher petit Palu
traduire
Je
t'embrasse
Yvan
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald16 février 1935 ImsL p.
330/331
Paris 16.2..35
Cher petit Palu
traduire
Yvan
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald5 mars 1935 ImsL p. 333
à 336
Paris 5 mars.35
Très cher petit Palu
traduire ***
Ton
Yvan
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald21 mars 1935 ImsL p. 336
à 339
Paris commencement du Printemps
21 mars.35
Chère Palu
traduire ***
Ton
I
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald2 avril 1935 ImsL p.
340/341/342
Paris 2 avril 35
Chère Palu
traduire ***
Ma
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald12 avril 1935 ImsL p.
342/343
Paris 12 avril 35
Chère Palu
traduire ***
Ma
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald17 avril 1935 ImsL p.
343/344/345
Paris 17 avril 35
Chère Palu
traduire ***
Yvan
Comment Thor peut-il se réjouir de sa vie !
Wie freut sich Thor seines Lebens !
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald24 avril 1935 ImsL p.
345/346/347
Paris 24 avril 35
Chère Palu
traduire ***
Yvan
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald5 mai 1935 ImsL p.
347/348/349
Paris 5 mai 35
Chère Palu
traduire ***
Mais nous
voulons de nouveau être joyeux, n'est-ce pas ?
Ton
Yvan
lettre d'Audiberti à Claire et Yvan du 18
mai 1935
Chers amis,
Je viens de
recevoir deux places pour la première, à Sarah Bernhardt, de Yossché Kalb,
magnifique, mais vu et revu. Je n'ai guère l'intention d'y retourner. Et vous ?
Fixez-moi par un
mot rapide, afin que je puisse, (si vous non plus vous ne comptez pas retourner
au Kalb) rendre la précieuse carte ou en disposer. Santé bonne ? Moi verkältet.
Poétiques amitiés
Audiberti
18, rue d'Enghien
Je me suis amusé à écrire, à ma
manière, un chant des hommes pieux.
SDdVAa19
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald22 mai 1935 ImsL p.
350/351
Paris 22 mai 35
Chère Palu
traduire ***
Ta
Ma
lettre d'Audiberti à Claire du 25 mai 1935
Chère amie, chère
Smaragd Schlange,
J'ai été ce matin
à l'hôpital Bichat où l'on m'a radiographiéIl semble que cela n'ait rien donné, et qu'il faille admettre que je
doive vivre avec cette fièvre et cette fatigue - mon malaise étant de ceux qui
n'ont pas de nom immédiat. Peut-être est-ce une poétite ? Me voyez-vous,
pendant dix jours, comme on me le conseille, alité à Bichat, en état
d'observation, dans un lit ? Ce serait grotesque. Non ? Le professeur Mondor
fut parfait pour moi. Aujourd'hui, on m'a réquisitionné au Petit Parisien,
encore que j'ai force fatigue. Ne suis-je pas un peu comique, avec ces maladies
invisibles, indicibles, mystérieuses ?
J'ai été, et je
suis encore, bien sonné cette fois. Votre regard évoqué est pour moi d'un grand
et tendre profit. Vous savez que Dannie (J'ai été pris de court et n'ai point
changé ce titre) - va paraître dans les Ecrits du Nord, nouvelle revue de luxe.
Pardonnez-moi de ne pas vous envoyer l'autre poème. Je vais le faire ce soir.
Je suis infiniment à vous
Audiberti Jacques
SDdV Aa 22
lettre d'Audiberti à Claire du 27 mai 1935
Bien chère amie,
Je viens d'achever
l'Opéra du Monde, qui sera sans doute édité (Touchons du boa) Votre
lettre me fait grand plaisir. Ne pourriez-vous pas venir lundi ?
L'Opéra du
Monde m'effraie. Ce sont les aventures comiques de Dieu lui-même
sur la terre. J'ai été hier affreusement malade. Aujourd'hui cela va mieux.
Vous vous souvenez de ce vent froid. J'étais tellement désespéré hier. Votre
amitié me fait tant de bien. Paulhan m'a dit les choses positivement les
plus encourageantes. Quel parfait ami. ! Si j'avais du tempsfaire une série énorme
d'oeuvres. Il faudrait que je puisse un jour me dégager de la nécessité du
travail régulier et salarié. Que je parle de moi ! Il faudrait, au contraire ne
parler que de vous, mais je n'ose, et il ne convient.
A demain, chère
feuerliliesmaragdschlange, qui parlez un allemand si poli et moelleux. J'ai au
bout des doigts tous les personnages de mon Opéra.
Téléphonez-moi, je vous prie, autour
de 19h30 pour être plus sûre de me trouver.
Mille amitiés
Jacques
SDdV Aa 23/24
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald28 mai 1935 ImsL p.
351/352
Paris 5 mai 35
Chère Palu
traduire ***
Je
travaille comme un dément. Et toi ?
Ton
appliquée
Ma
lettre d'Audiberti à Claire du 1er juin
1935
Bien chère amie,
Je vous remercie bien des fois de
votre pneu, qui m'aurait peut-être encore plus ému s'il m'avait parlé de
quelque heure et de quelque jour où nous aurions ensemble avalé la Seine. Vous
rappelez-vous ? Vous ne me connaissiez pas encore exactement et me preniez
tout-à-fait pour quelqu'un. Je vous ai fait, l'autre soir, une bien gentille
lettre, mais pour vous punir de tous les crimes que vous commettrez, je ne l'ai
pas mise à la poste. Un de vos crimes est d'avoir écrit le Nègre et Europe, et
de ne m'en avoir jamais parlé. Dites donc, où allez-vous été chercher tout
cela, les poissons, les hippopotames, la queue des paons et la peau couleur de
crêpe de Chine, et tant d'images et de trouvailles, tout humectées de bonne
grâce perverse, de malice ronronnante ? Si vous avez tant de talent que ça, de
quoi ai-je l'air, moi, qui suis incapable d'inventer quoi que ce soit ? Je
crois que le Nègre m'a touché plus qu'une Allemande à Paris (Pour un
coup, vous avez un échantillon) de ma vraie écriture. Il faut que nous
travaillions ensemble, si, toutefois les hommes, trop bons pour moi, m'en
laissent le temps. Vous riez comme l'amour, mais vous savez pleurer aussi,
comme l'amour. Je marche dans la boue de l'Opéra du Monde. Si vous savez encore
des choses sur les Nègres et sur la queue des paons, dites-le moi. Vous savez
que, l'autre nuit, j'ai vu, de mes yeux vu - trois pendus au plafond de ma
chambre. J'ai crié d'épouvante. Ma femme est exceptionnellement douce et
fraternelle pour moi, et très bonne. Je ne l'ai jamais vue ainsi. Je lui fais
un peu mes confidences. Alors, elle me caresse les cheveux et m'embrasse.
Pourquoi tout à la fois ainsi ?Pendant dix ans, elle est dure et close comme
une lame d'épée, comme un mur de galère. Et pas une amie intelligente ne me
sourit avec une bouche pareille au croissant des belles soirées. Tout d'un
coup, le sourire apparaît, d'une amie si parfaite, et ma moitié s'humanise. Que
va-t-il m'arriver ?
Oui, je manque de courage.
Quelquefois, cela va - aujourd'hui, par exemple, fameux ! - et puis on me force
à travailler, et je dois abandonner mon énorme et dérisoire rêve intérieur, et
je me tourne vers vous comme vers une gentille œuvre desecours pour le pauvre poète mal peigné.
Peut-être, dans dix ans, nous
reverrons-nous. Ce qui m'ennuie, c'est que le temps est précieux. Un jour
perdu, une joie perdue... Bien entendu, ce griffonnage est un poème, une chose
littéraire, comme vous les aimez.
Vous êtes bonne et je
vous remercie
Audiberti
rue
d'Enghien
SDdV 510.299 III (Aa 25/26)
lettre d'Audiberti à Claire du 6 juin 1935
Chère amie,
Je suis très rassuré par votre
lettre, mais je ne saurai jamais exactement si vous n'êtes point fâchée. Enfin,
l'essentiel, c'est que vous alliez bien.
Je travaille comme un bœuf, comme un
palmier. Si je peux tenir le coup et achever l'Opéra, ce sera bien, très bien.
Voulez-vous que je vous envoie une NRF ?
Je recommence à ne plus avoir de
nouvelles d'Haumont (mon éditeur de poèmes).
Je mets mes hommages à vos pieds
d'or
SDdV Aa27
carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald7 juin 1935 ImsL p. 352
7 juin [1935]
[Paris]
traduire
lettre d'Audiberti à Claire du 14 juin 1935
Ma bien chère amie,
Je me permets de
vous écrire pour avoir des nouvelles de votre santé. Cela va-t-il mieux depuis
hier ? Je suis assez inquiet. J'espère que vous n'avez pas pris froid.. Je
l'espère réellement. Si avant votre départ, vous vouliez m'envoyer un mot,
aussi bref que possible ou me téléphoner de 7 à 7½, pour me rassurer, cela me
ferait plaisir, mais à la condition expresse et absolue que cela ne vous causera
le moindre trouble, la moindre gêne. Même si je ne reçois rien de vous, je
saurai que notre amitié ne se dément pas, pas plus que la mienne qui est
très grande. Je ne suis pas capable d'avoir beaucoup d'amitié, mais elle est
tout de même, pour vous très grande, celle que j'ai pour vous (tout cela est
très maladroitement dit, mais ça ne fait rien, n'est-ce pas ?)
Je suis seul dans ma maison, entre
la zone et la lune. Ce soir il n'y aura peut-être pas de fantôme *. Faible,
insatisfait, avide, incurablement solitaire, je pense à ma fraternelle
camarade...
Jacques
* Il y aura tout de même des
fantômes
SDdV Aa29
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald15 juin 1935 ImsL p.
352/353
traduire
Paris
15 juin 35
Chère Palu
Ma
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald17 juin 1935 ImsL p. 353
Paris
17 juin [1935]
Chère Palu
Yvan
Si tu pouvais encore m'écrire de
quel coup tu bouillonnes.
traduire
carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald20 juin 1935 ImsL p. 354
Paris
20 juin [1935]
Quelle superbe sorte de poésie ta
dernière lettre.
traduire
Ecris-moi, je t'en prie, l'heure
exacte à laquelle tu arrives ici mardi 25. Si n'importe quoi n'allait pas dans
le rendez-vous : on se retrouve au Studio Hôtel
Ton
tremblant en suspensMa
Claire part le 24 juin dans une petite
station de bains près de Bourges et fait sacure jusqu'au 20 juillet.
lettre
d'Ivan Goll Paris 19, rue Raffet à Clairedu
24.06.35*** MST p.154/155
PARIS, 24
juin1935
Ma chère petite Suzu,
La carte représentant
les champs de pavot des environs de Bourges m'a apporté l'assurance que tu
venais de passer un bon dimanche. Oh ! Comme mes pensées t'accompagnaient à
travers ce rouge été!
Quant à moi, je suis
allé à Fontenay-aux-Roses* et j'y ai mangé, en joyeuse compagnie, des gâteaux
au fromage, sous des rosiers déjà cueillis. Le petit pavillon russe convient
très bien aux deux, Genin et Genia.**. David apporta les photos ci-jointes, que
je trouve très réussies (s'il n'y avait pas mon intervention !).
Plus tard, j'ai encore
été à la Mutualité, au Congrès des écrivains, où l'on voyait réellement, à
portée de son regard, des "grands" de tous les pays. Là, on parle à
longueur de journée de l'homme, de l'humanité, de l'inhumanité, on tourne
autour, on passe à côté, et un vieux juif a déclaré, avec le dernier reste
d'esprit qu'il avait pu sauver, que c'étaient "les six jours du
discours". Toute la colonie d’émigrés était naturellement présente, ainsi
que Heinrich et Klaus Mann, avec Brecht et Becker, et Feuchtwanger ; parmi les
Français, Malraux, Gide, Cassou ; parmi les Russes, Pasternak - mais à la fin,
personne ne savait plus ce qu'il avait bien voulu dire. On ne sentait qu'une
chose : ils parleront de révolution, jusqu'à ce que vienne le dictateur, qui
leur demandera comment ils l’entendent.
Au lieu de parler
j'écris le "Tscheljuskin ". Il devrait être terminé d'ici
dimanche. Mais Paula arrive demain.
Sasia a déjà un
intéressé pour l'Italie. Un rendez-vous général avec Madame Nathalie Ouvry (*).
On a établi le nouveau contrat, valable pour tous les pays. Dès que je l'aurai
signé, je te l'enverrai.
Hier, au congrès,
Hirsch m'adressa la parole et m'annonça que ton livre sur Chaplin paraît à la
N.R.F. au milieu de juillet. Il voulait avoir une de "Prière d’insérer"
de toi. S'il te plaît, rédige-la comme il te viendra à l'esprit, - je le ferai
aussi, de mon côté - et fais le texte définitif en te servant des deux.
J'espère que tu es
maintenant tout à fait rétablie et que tu peux livrer tes beaux membres aux
sources chaudes.
Je suis perpétuellement
près de toi, plein de tendresse et d'amour.
Ivan
* Chez Fernand Léger
** peintres russes
(*) le "masque de Hollywood", (aujourd'hui,
rue Royale, Paris), une des affaires, plus tard si prospères, qu'on nous
proposa tout d'abord, et que des poètes sont trop peu doués pour mener à bien.
Sur le thème de cette expédition du Tscheljuskin, Goll écrivit en 1935 le
texte pour une cantate. La musique fut créée par le compositeur Hans David qui
avait émigré de la République Russe de la Volga et qui s’apprêtait à retourner
en Union Soviétique avec son épouse, l’actrice Li David-Nolden, pour y
travailler dans le domaine artistique.
Paula arrive le 25 juin 1935
et habite chez Goll à Paris du 25 juin au 20 juillet,.
lettre d'Ivan Goll Paris
à ClaireàBourges du
27.06.35 MST p. 155/156
Paris , 27
juin 1935
19 rue Raffet
Chère petite Suzu,
Ainsi,
depuis hier, Paula habite la chambrette d'en haut, et elle est toute étonnée de
ce qui lui arrive. Elle s'habitue difficilement à la pensée de rester dans
l'appartement, et elle s'enfuit vite et là-haut, lorsqu'il m'arrive de sortir.
Seule, ma présence lui fait tout oublier. Mais elle s'est pourtant déjà débrouillée
dans la cuisine et met la main à tout
Quelle
différence entre cette créature aimante, serviable et l'hôtesse précédente de
la chambrette ! (") Il émane d'elle tant de douceur et de calme. Depuis 2
jours, nous nous asseyons sur le balcon, et je travaille. Car David me presse,
et je veux lui donner à emporter le plus possible du texte de Tscheljuskin,
étant donné qu'il file lundi à toute vapeur, en direction de l'Italie.
Tu
trouveras ci-inclus ce qui est rédigé d'une façon à peu près définitive et que
David a approuvé.
C'est
une très grande chance, que la vieille Clauzel soit absente. Renée est
absolument silencieuse et ne se fait pas voir. Jeannine est là, aujourd'hui,
pendant deux heures, et reviendra samedi.
Je suis
heureux que tu aies trouvé un médecin si gentil : encore un qui reprend tout depuis
le commencement ! Reste à attendre le résultat. Oh ! si réellement une guérison
devait survenir ! En tout cas, il te restera peu de temps pour te sentir seule.
Et chez Drisel, qui s'est comporté en malin, je sais au moins que mon petit
oiseau est confortablement niché.
Je t'ai
envoyé à lire, hier, le nouveau livre de Cassou qui pourra te distraire - et
peut-être aussi t'inspirer. Aujourd'hui partent les deux volumes que tu
désires.
Je
donne, aujourd'hui même, en Suisse, l'ordre de t'envoyer provisoirement les 750
francs disponibles.
Et mon coeur t'adresse ses rayons les plus chaleureux.
Ivan
(*) Doralies Studer, fille née du premier mariage de
Claire
lettre d'Ivan Goll Paris
à ClaireàBourges ? du 30.06.35 MST p.
156/157/158
Paris, 30 juin
1935
Ma chère petite Suzu,
J'ai bien ri de ton
prix de beauté : Miss sans Terre ! Miss Poésie ! Certes, c'est le plus beau
titre et la plus enviable Jeunesse et sans le "Masque d'Hollywood" qu’une
femme peut souhaiter et que même l'épouse légitime de Zeus a tenté en vain de
se procurer je pense !
Et, conformément à la
logique, je dois me croire aujourd'hui aussi heureux que Zeus, - un Zeus qui,
par-dessus le marché, s’est métamorphosé en une biche fragile, qui se repose de
lutter et de bramer. Il faut bien que l'on tire un avantage de sa condition de
poète : pouvoir fuir hors de soi-même.
Non, je ne puis
réellement me calmer au sujet de ce succès que t’a si innocemment décerné la
voix du peuple, vox populi. Tu as le droit d'en être fière. Il serait trop
dommage que le monde n’en soit pas informé (par un écho).
L'idée d’écrire les
Mémoires de Fraulein Spitz me semble être très fructueuse : mais dans ce cas, à
ta place, j'écrirais tout de suite le roman des reines de beauté, au-delà de
tout élément personnel en reflétant l'époque, en dépassant la petit Spitz tout
en l'utilisant.
Ah ! qu’avec tant de
génie et de beauté, tu doives souffrir ainsi de solitude cosmique - comme tous
les vrais grands de cette terre ! Cela m'attriste et m'attire invinciblement de
plus en plus près de toi ! Petit oiseau, déesse secrète de cette terre - Sans
Terre - sache-le donc à la fin combien je te révère, combien je t'aime ! Tu
n'as pas le droit d'être aussi triste, et surtout, tu n'as pas le droit de douter
et de désespérer ! Si seulement tu guéris corporellement, je sais que ton
esprit te prépare encore de très grandes victoires et de très grandes joies. Étant
donné que tu as, depuis des années, soutenu si vaillamment le combat contre ton
corps, le combat contre ton âme devrait à présent t’être facile. Car,
intérieurement, tu es supérieure ! Et alors, - quel épanouissement se serait.
e reçois de Paula une
influence de calme animal, bienfaisant. Sa confiance illimitée en son amour
crée autour d'elle une atmosphère de douceur. Près d’elle, tout devient grand
et simple. De plus, elle n'est plus aucunement la créature primitive et
naturelle d'autrefois, comment on pourrait le croire encore. Elle a derrière
elle des périodes de nervosité et de morbidité. Quand on pense qu'elle arrive à
faire son chemin dans le monde, n'ayant toujours encore rien dans les mains, et
avec un minimum de travail !
Elle est timide comme
au premier jour. L'appartement est parfaitement intouché. Ce n'est pas elle
qui y vit, ce n'est que l'ombre de l’être qui m’aime. Pas un atome, pas une
poussière d'elle-même ne reste derrière elle, dans une pièce quand elle en est
sortie. Quand tu rentreras, elle n'aura pas laissé une trace. Elle n'a même pas
jeté encore un regard dans la salle de bains. Quand je sors, elle vole jusqu'à
sa chambre, trouvant que c'est le seul lieu qui lui convient.
Pas une fois, elle n'a
encore voulu descendre en ville : ni les devantures, ni les expositions ne
l’attirent. Elle reste tranquillement sur le balcon, où elle s'affaire, et dans
la cuisine, dont je suis le plus souvent tenu à l'écart.
Ci-inclus une lettre
de la banque, qui s'excuse de ne t'avoir envoyé que 650 francs au lieu de 1.750
francs parce qu'elle n'avait pas plus de disponibilités. Il faut que je donne de
nouveaux ordres de vente, afin qu'on t'envoie, la semaine prochaine, le
reliquat.
Pas un mot de
Doralies. Mais j'ai été, une seule fois, sur le boulevard Saint-Germain, et là
je l'ai aperçue de loin, alors qu'elle traînait d'un air ennuyé, avec sa
Viennoise. Elle ne m'a pas vu. C'était il y a trois jours. Son adresse : Hôtel
Saint-Pierre, rue de l'Ecole de Médecine.
Toi, baigne-toi sagement
dans tes sources, et bois leur eau. Cela te fera du bien. Tu finiras bien par
guérir un jour, et par redevenir gaie et active, car c'est dans ta nature.
Seulement, encore un peu de patience.
Je pense à
toi, plein d’amour et de reconnaissance.
Ivan
Écris donc une petite carte à Nancy.
lettre d'Audiberti à Claire du 3 juillet
1935
Chère Claire,
Je suis très
heureux de votre lettre bleue. En effet, c'est toujours quand on se sent
vraiment triste et seul que les coeurs sur qui l'on compte ne sont pas là. Et
quand ils sont là, et c'est là la grande peine, ils ont tort...J'espère qu'à
votre retour vous daignerez, chère Claire, me convoquer auprès de vous en
quelque Napolitain de derrière les fagots. Je suis fort favorisé par le côté
littéraire de la vie, aujourd'hui, puisque mes petits trucs paraissent de mieux
en mieux, mais des joies véritables de la vie, je ne sais pas grand chose. Ivan
Goll m'a demandé des vers pour Jeune Europe. Je lui ai envoyé un poème qui
s'appelle : « Chanson pour mourir un jour»
Abientôt, chère Claire, écrivez-moi, je vous en prie, et ne m'oubliez.
Audiberti
T. S. V. P.
Vous êtes vraiment ma sœur, sentimentale,
capricieuse, un petit peu amie de détester ce que vous aimez. A la pensée que
je vous attends, déjà vous vous glacez. Que je ne vous attende plus, vous
penserez à moi. les dames...
SDdV Aa30/31
(155)- 510.259 III
lettre d'Ivan Goll Paris
à ClaireàBourges ? du 04/07.35 MST p. 158
Paris,
4 juillet 1935
Chère petite Suzu,
Ta
dernière lettre m'a infiniment touché. Tu es devenue très sage et très bonne
mais l'un ne conditionne pas l'autre. J'espère que tu emmagasines à présent de
la santé pour l'hiver prochain. Il y a eu trois jours de pluie diluvienne, tu
en as peut-être souffert aussi ? À présent, les journées sont redevenues
fraîches, presque trop fraîches.
Je
voulais, aujourd'hui, aller avec Paula à l'exposition italienne, et j'ai
remarqué que tu ne m'en a pas envoyé le catalogue. Peux-tu le faire encore,
vite, s'il te plaît ?
Dans la
maison, tout continue à être très silencieux et très contemplatif. Personne ne
sonne. Et nous allons peu en ville. Je travaille courageusement au Tscheljuskin..
David est parti pour l'Italie, définitivement.
Récemment,
j'ai rencontré Malraux aux Deux Magots ; il est, comme toujours très excité par
de nouvelles idées. Il prévoit aussi pour bientôt, soit un "putsch"
du Reich soit une révolution de gauche. Octobre, dernier délai .
D'ici-là,
il faut encore que nous sauvions un petit pécule.
Je donne
en Suisse des indications pour le prochain envoi qu'on doit te faire,
et
t'étreins avec amour.
Ivan
lettre d'Ivan Goll Paris
à Clairedu
10/07.35 MST p. 159
Paris 10
juillet 1935
Chère petite Suzu,
Ta petite carte, encore pleine de l'odeur de pavot des
collines auvergnates, m'a fait un grand plaisir.
Tranquillise-toi, la " prière d'insérer" est
déjà en à la.N R F.
Je n'ai pas pu me retenir de traiter
un peu ironiquement Reeves, la fiancée de Chaplin.
La N R F
es d'accord pour n'importe quelle date ; ce n'est pas à 2 jours près.
Mais
pourtant, je voudrais bien savoir pour quelle date précise tu te décides. S'il
te plaît, dis-le moi au plus vite, car Paula, elle aussi, doit organiser son
départ en conséquence. Pour le 14 juillet, tu n'as rien à craindre : d'abord il
ne se passera rien, et ensuite ni Paula ni moi n'avons la moindre envie de nous
mêler à une foule idiote. Peut-être même irons-nous à Chartres, car nous avons
terminé notre visite à l'exposition italienne. Elle n'était ni intéressante ni
instructive.
As-tu reçu,
samedi dernier les 550 francs ?
Je viens
de recevoir 15 francs du Neue Wiener Journal !
Certainement,
tu peux inviter Aldo à prendre le thé, si cela te fait plaisir.
Alice
Cocéa me fait traîner ; mais les perspectives deviennent chaque jour plus faibles.
Tscheljuskin
est bloqué dans la glace.
S'il te
plaît, n'oublie pas de m'envoyer tout de suite l'analyse, dans son texte
original, ainsi que le diagnostic
Monsieur
Clauzel est revenu et il a des exigences meurtrières.
Soigne-toi
courageusement et indique-moi exactement ton programme pour les prochains
jours.
En
amour
Ton
Ivan
lettre d'Ivan Goll Paris
à Clairedu
18/07.35 MST p. 160
Paris,
18 juillet 1935
Ma chère petite Suzu,
Qu'est-ce
qui s'est fait entendre si mystérieusement, hier soir, au téléphone ? Etait-ce
seulement ta voix ? ou ton balbutiement ? Il me semblait que j'entendais un
enfant perdu gémir dans une forêt lointaine.
J'ai à
peine compris ce que tu me disais : mais je ne l'ai pas regretté, car il m'a
semblé que tu n'avais rien de précis à m'apprendre, comme si tu avais à me
dissimuler un quelconque malheur du corps ou de l'âme. Et 5 ou 6 minutes ne
pouvaient pas suffire pour pénétrer en toi.
Je ne
puis qu'avoir confiance en toi et en Dieu, et rester assuré que tout sera bien
vite arrangé et que, samedi, tu reviendras saine et sauve, définitivement.
Ci-inclus
les correspondances : une gentille proposition du Neue Wiener Journal, naguère
si sec, qui offre un travail durable, et la prière d'insérer de la N R F.
Avec mon
amour plein d'inquiétude et d'espérance.
Ivan
Paula Ludwig repart le 20 juillet pour
aller voir son fils à Wetzlar tandis que Claire rentre le même jour de sa cure.
Carte d'Ivan Goll Paris
à Paula
Ludwig Wetzlar26 juillet 1935 ImsL p. 354/355
vendredi
[Paris
26 juillet 1935]
Chère petite Paula
traduire
En amour
Ma
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Wetzlar30 juillet 1935 ImsL p.
355/356
vendredi
[Paris
30 juillet 1935]
CherPalu
traduire et
surtout vérifier la traductionsuivante
Je voudrais que tu aies résolu le
lourd problème, simultané de la déclaration lyrique et de la forme tactique -
comme cela est exigé de la Fugue même - de réaliser. Est-ce réussi ? C'est à
apprécier. Tu dois jouer dans un disque "l'Art de la Fugue", ou
connais-tu une quelconque autre Fugue, Connais-tu des fugues ? (jeu de mot qui existe en
français entre le sens musical et l'action de s'enfuir du lieu habituel)
Yvan
lettre d'Audiberti à Claire du 1er août
1935
Ma chère amie,
Je suis heureux de
penser, de supposer que votre santé est bonne, mais faute de nouvelles de vous,
je n'en sais trop rien.
Vous plairait-il
de me faire un petit mot. Dannie est parue. En voulez-vous ?
Je baise vos mains
Audiberti
SDdV Aa31
(160)
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Wetzlar3 août 1935 ImsL p.
356/357/358
Paris
3 août 35
CherPalu
Yvan
traduire
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Wetzlar8 août 1935 ImsL p.
359/360 **
Paris
8 août 35
OPalu
Yvan
Je n'ai rien contre cela que tu donnes
la Fugue Ellermann.
traduire
Yvan part le 10 août à Sori, chez son ami
le compositeur Hans David pour termineravec lui, ensemble le texte et la musique de sa cantate
"Tscheljuskin" où Paula viendra le retrouver le 17 août jusqu’au 4
septembre. Claire est en cure à Challes et ira retrouver Ivan le 4 septembre
avant de revenir début octobre à Paris, seule
lettre
de Claire Challes-les-Eaux à Ivan Goll à Sori 11 août
35MST p.160/161
11.8. 35
Dimanche
Hôtel du château
Challes-les-Eaux
Mon Ivan,
Il est six heures et
demie et je te cherche derrière le cristal transparent infiniment délicat de la
chaîne de montagnes italiennes qui s'encadrent dans ma fenêtre, en même temps
que la vallée si intime que tu as dessinée un jour. Je suis tout seule dans une
délicieuse petite maison perdue, avec jardin, et l'unique étage, que j'habite,
a deux petites chambres jumelles, dont tu aurais pu occuper l'une, - et je t'y
aurais aimé, si tendrement, purement, et depuis le commencement... Je sais
cela, aujourd'hui, plus fortement et plus certainement que jamais je ne l'avais
su, depuis longtemps, depuis longtemps... Ah ! toi qui es si bon, toi dont le
coeur vibre avec tant de délicatesse,. Faut-il toujours que je sois au loin pour
reconnaître ta valeur unique en son genre, ton âme de poète, ton amour, qui est
inépuisable. Pardonne-moi bien des choses, toi, et laisse-moi baiser 1000 fois
avec dévotion et respect tes mains offensées aujourd'hui par le plus vil des
propriétaires (*), ou plutôt des valets. Ah ! si tu pouvais être là-bas,
heureux, sous le soleil de Sori ! Je veux savoir que son pauvre visage est
rayonnant. Une seule chose peut sécher mes larmes, un mot de toi "je suis
heureux !" Envoie-moi ce mot bien vite et laisse-toi baiser sur la bouche,
longtemps et fermement par
celle
qui t'appartient éternellement
Suzu
(*) notre propriétaire
parisien, Monsieur Clauzel, après 7 ans d'amitié, inspiré par Hitler, avait
traité Ivan de "Juif" (Ivan lui devait 2 mois de loyers).
lettre
d'Ivan Goll Sori à ClaireChalles-les-Eaux du 13
août 35MST p. 161/162
Sori, 13. 8.
35
Chère petite Suzu,
Ainsi donc, je suis
magnifiquement tombé. La Casina est une villa ravissante, pourvue de tout le
confort, sur une colline de figuiers, de vignes, de mimosas et d'agaves, à 10
mètres du sud de la mer. Installation très commode pleine de goût artistique,
salle de bains, des carillons et du silence. Une pleine lune dorée rebondit sur
le lit
Je suis arrivé dimanche, chancelant de fatigue et amitié.
Je ne savais réellement pas ce qui m'arrivait. Tout semblait irréel. Les David
(*) m’attendaient à la petite gare - mais lui est encore malade,
malheureusement, il se lève pour la première fois depuis des semaines. Sa
lettre avait donné une description exacte de la réalité.
Mais
tous deux sont très gentils pour moi. Et nous avons élaboré aussitôt, le lundi,
un plan d'économie domestique : tout d'abord, une servante est là, qui fait
tout et gagne 100 lires par mois. Il m'en incombe le tiers, c'est-à-dire 35
lires, autant que Jeanine prétend gagneren 3 jours. Je n'ai donc à me préoccuper de rien : pas d'achats à faire,
pas à cuisiner, pas à laver, mais j'ai le droit de ne rien faire, de dormir, de
me coucher dans l'herbe et - de jouer au tennis.
Oui,
imagine-toi, il y a un tennis, absolument privé, continuellement à notre
disposition ! en effet, la villa fait partie d'un groupe de 4 maisons
semblables, qu'un riche Italien a fait construire sur un terrain immense. Et
trois autres villas, sont habitées par des ménages américains, qui sont
d'ailleurs des écrivains et des gens de cinéma. Une des dames est la cousine de
David, et lui a procuré la Casina. Vraiment, c'est seulement par les relations
qu'on trouve quelque chose, en ce monde, sinon on n’est au courant de rien.
En outre, Li David aura,
chaque semaine, 150 lires pour tenir la maison, c'est-à-dire ma participation
sera de 50 lires, pour toute la nourriture, la boisson etc.. Peut-on vivre mieux
et à meilleur marché ? La servante nous fait des minestrone merveilleux, des
spaghettis etc.. Il n’y a plus de poissons dans cette vaste mer : les
Italiens ont trop pêché, et sans prudence. La viande est également rare et
mauvaise. Nous sommes donc presque végétariens, avec aussi des crudités, presque
comme autrefois à. Terrena (*).Mais dix fois moins cher.
A l'instant, une
petite fille de 5 ans apporte ta lettre, qui me remplit d'émotion. Je peux te donner
tout de suite la réponse souhaitée : je suis heureux
Au premier étage de la
Casina, il y a trois chambres contiguës : l'une est habitée par les David,
l'autre par moi, et la troisième t'es réservée pour le 5 septembre. Ici, tu
pourras réellement bien te rétablir.
Hier matin, nous avons
joué au tennis pendant 3 heures, puis nous sommes descendus jusqu'à la mer, qui
est à10 minutes ; il y a une petite
baie, presque privée, entre les rochers, et qui rappelle beaucoup celle
d'Ischia. D’ailleurs, c'est presque exactement le même paysage, la même vie,
seulement bien plus confortable .
Pour l'instant, je me
rétablis et ne veut pas encore travailler.
Paris est loin,
Clauzel n'existe plus, depuis longtemps.
Rien que du soleil, du
vent, des vignobles, qui vous poussent jusque dans la bouche
Donc, je pense à toi
et je prépare, pour toi aussi, d’aussi belles semaines
Ton
Ivan. (qui respire enfin)
(*) à Majorque
Ivan Goll Sori à Paula Ludwig Wetzlar14 août 1935 ImsL p.
361/362
Sori
14 août 35
CherPalu
traduire
Apporte-moi tes livres pour les
David. Ci-joint 50 lires pour le trajet, seulement c'est peut-être trop juste.
J'espère que ce rêve
s'accomplisse bientôt !
Ta
Ma
Villa La Casina
Sori (Gênes)
Italie
Ivan Goll Sori à Paula Ludwig Ehrwald 15 août 1935 ImsL p. 362
Sori
15.8.35
Villa
Casina
Sori
(Gênes) Italie
Chère Palu
En toute
éventualité, te t'envoie ici une fois encore le contenu de ma lettre envoyée
hier à Wetzlar. Je calculais que tu y arrivais le 16 au matin et que tu voulais
quitter Wetzlar le 17 - et que tu souhaitais au lieu de passer par Ehrwald, venir
directement ici :
les David sont des êtres
magnifiques. La maison de campagne est admirable dans les vignes et les
figuiers, au-dessus d'une anse rocheuse où l'on peut nager chaque jour.
Il y a une chambre prête pour
toi.Et voici mon projet : je pense
rester ici jusqu'au 1er septembre, et je serais comblé si tu voulais bien venir
me retrouver dans ce paysage paradisiaque. J'espère que tu n'as pas d'autre
projet. Le voyage ici ne vaut pas la peine pour moins de 14 jours. Le trajet
Brenner - Gênes coûte environ 50 lires que je t'ai envoyé par chèque bancaire
dans ma lettre à Wetzlar. Viens vite. Aussi vite que tu peux. C'est tellement
admirable, ici. Je soupire aussi après toi : 3 années en Italie :si magnifiques. Sori est à 40 minutes de
Gênes : le coût du billet, 4 lires pour ici.
Adresse pour ton télégramme :
Goll Villa Casina Sori
en attente heureuse
Ton
Ma
vérifier ma
traduction
lettre
de Claire Challes-les-Eaux à Ivan Goll à Sori 16 août 35MST p. 162/163
Challes-les-Eaux
(Savoie)
16 août 1935
Mon Yvan,
Ta lettre m'a rendue
enfin paisible et heureuse. Tu es bien, tu te réjouis, tu revis. Le cauchemar
s'éloigne, je respire. Oublions ce monde inférieur haïssable qui vit dans notre
appartement, ces animaux méprisables avec qui nous devons partager notre logis,
alors qu'il existe des gens si bons, gentils et chaleureux, comme par exemple,
ces David. Comme j'aspire au 5, à toi, au soleil !
Ici, en
effet, il y a eu tempête. Audiberti (*) pendant trois jours. Seule avec lui
dans cette petite maison ! Il ne m'a rien épargné, depuis les crises de larmes
du désespoir jusqu'au murmure dévotieux des formules d'amitié, de la fureur de
la jalousie jusqu'aux plus douces, au plus enfantine effusions de gratitude.
Même dans cette passion obsédée pour moi, sa nature géniale ne lui laisse pas
un moment de répit. Pas de sommeil, aucune possibilité de s'anesthésier. Il se
vautre dans sa souffrance, il s'y intensifie, et comme je ne peux pas apaiser
la soif qu'il a de moi, explosion sur explosion ! Une épreuve inouïe, qui sera
peut-être féconde pour lui, il en sortira peut-être un livre.
En tout
cas, il a fait pour moi un grand poème, chantant mon propre tourment et ma
nostalgie de la mort
Il était
déjà dimanche à Chambéry et s'est annoncé à l'improviste, lundi matin, par
téléphone. Je te dirai le reste oralement, car c'est indescriptible.
Aujourd'hui, je ne suis plus seule dans la maison, des gens ont emménagé
au-dessous de moi. La première note d'hôtel sera bientôt échue. Cela fait 44 +
10 % par jour. Je chauffe ma chambre avec un magnifique radiateur à vapeur, car
il fait très froid le matin et le soir. Mais le temps s'est remis au calme
après la tempête gigantesque qui a marqué, extérieurement aussi, l'arrivée de
Jacques.
Écris-moi bientôt un mot
Je t'embrasse
très tendrement
Ta
Suzu
lettre d'Audiberti à Claire du 16 août 1935
sur papier à
en-tête :
HOTEL - CAFE - RESTAURANT
DU
CHEMIN DE
FER& DES NEGOCIANTS
CHAMBERY
Dannie*aux cheveux roux que d'aucuns nomment Claire, o sabre tout
saignant encore et frémissant de tant de coups donnés, de tant de coups reçus,
depuis que tes yeux verts comme l'éternité ouvrirent sur le monde une dure
lumière, j'écoute encore en moi le fil crissant et doux de ta courbe trempée
aux sources de Vénus, le fil coupant et pur de l'arme qui t'habite exaspérer
mon cœur d'une infinie coupure. La montagne écrivait sur le limpide ciel des
combats de géants, des épopées d'archanges. On les voyait bondir, chargés de
butins pâles, d'une falaise à l'autre, et les arbres, plus bas, terrés dans la
décence horrible du silence, enchaînés par le pied comme des mitrailleurs, nous
regardaient passer avec leurs yeux vidés, sous leur âme étalée ainsi qu'une couronne,
et se disaient entre eux, à l'aide des bras noirs, qu'enfin ils avaient vu des
archanges le roi. Et puis, la grande peur et la grande colère des célestes
troupeaux par les plaines du ciel, par toutes ces Hongrie et toutes ces Bavière
qui regardent la terre où je n'existe pas, commencèrent soudain leurs
galopades nues, mille et mille escadrons aux croupes de bitume, aux sabots de
fumée, aux casques sans espoir.
Dans cette foule
grise et pressée et nocturne où pauvrement luttait le soleil piétiné, une traînée
plus sombre et plus en plus voisine décelait les chemins des démons de l'élite,
un cortège plombé qui vole vers Satan. Alors la pluie, ainsi qu'une énorme
souris, qu'une calamité méticuleuse et tendre, qu'une rémission du mal de la
clarté, vint sur nous et sur moi, et puisque c'est la cage et puisque c'est la
dent qui règnent ici-bas, elle fut la prison, elle fut la morsure avec une
franchise auguste et maternelle, un recommencement inépuisable et sageet son bruit coutumier de flamme lente et
fraîche, de dissolution à base de pitié, de javelots d'oubli, de flèches de
sommeil. Mais le soleil, sculptant les angles responsables, arrachant le
manteau pour que la plaie surgisse, le dieu jaloux de voir et jamais las de
vaincre, dans ses puissantes mains de pourpre et de cobalt étouffa les
traînards de l'armée nébuleuse, brisales mols épis des moissons de l'ondée, dessina dans les airs le devoir
et la honte, redora, repeignit, restaura, rajusta son domaine, et la pierre, et
le sel, et le feu, et l'acier. Sans retour desplus frêles oiselles, o Dannie ! Et pourtant je serai le soleil... Le
soleil est ma forme au loin que j'atteindrai, la parfaite saison de mon cri
solitaire et du pesant orgueil qui m'accable déjà. Comme lui je rayonne au
sommet des ténèbres. Je flambe comme lui de triomphes impairs. Mes rayons
contre moi renversés dans ma pulpe me percent plus encore qu'ils ne font les
nuées. D'autre douceur sur moi que celle de mes larmes je ne connus jamais dans
ma hutte de gloire. Tu les a fait couler, ces larmes, o Dannie. Le monde tout
entier brilla dans cette goutte, tout le drame de l'homme en proie à la beauté,
et cette triste ondée fut quand même un baptême, une onction divine où nous
baignâmes ensemble
Audiberti
Tel était le nom qu’Audiberti donnait à Claire Goll
SDdV Aa32
(166)
carte de
Rebecca Lazard de Mondorf à Yvan à
Sori chez Mr David 16 août 35
Mondorfle 16 août 1935
Mon cher
Mig,
Ici depuis le 11, nous faisons une excellente cure de
repos et avons l'avantage d'une excellente température. Nous avons bien reçu en
son temps ta lettre de Londres et de Paris et t'aurais répondu plus tôt si
j'avais eu ton adresse. Nous prolongerions volontiers notre séjour ici si des
occupations locatives non encore terminées mais en bonne voie de l'être ne nous
rappelaient au pays. En te souhaitant bon séjour et parfaite santé, nous
t'embrassons bien affectueusement
Reb.
PS : Nous attendons ta prochaine à Metz
SDdV
lettre d'Audiberti à Claire après le 16
août 1935
Chère et trèschère,
dans la petite
poésie que je vous ai envoyée de Chambéry, il faut que vous compreniez bien que
"le roi des archanges", que les arbres regardent passer, c'est vous.
Je tremble que vous ne l'ayez pas compris ainsi, o mince roi d'or !
Jusqu'à nouvel ordre,
j'ai dénombré4 vous (en état de fard)
1°: Telle qu'à
côté de la fenêtre, à Auteuilyeux
grands ouverts et fulgurants, bouche comme ci-contre : exquise. Inouïe
2° De profil.
Penchée. creusée
Combattante" Qui s'en croit". Moins sympathique
3° Qui rit en
buvant. J'aime mieux ne pas en parler
(ressemble à Georges V)
4° Qui vient vers
vous, mauve, humaine, l'amitié, la tendresse.
Mon cœur pour
celle-là ! (et pour le n° 1 aussi)
SDdV Aa33
(169)
le 17 août
1935, Paula quitte Wetzlar pour retrouver Goll à Sori et elle y reste jusqu'au
4 septembre
lettre
d'Ivan Goll Sori à ClaireChalles-les-Eaux du 20
août 35MST p. 163/164/165
Sori
20 août 1935
Chère petite Suzu,
Il faut
que je te raconte un peu la vie que je mène ici.. Je me porte magnifiquement
bien, pour la première fois depuis longtemps. Aucun souci, ni provisions, ni
cuisine, on me recoud mes boutons ; c'est une existence confiante et amicale..
On se rencontre pour les repas, sur la terrasse ombragée ; il n'y a qu'un plat
: gnocchi ou raviolis ou minestrone, dont on peut se remplir le ventre.
Ensuite, on se cueille soi-même ses figues. Peu d'extras - on est économe et il
ne faut pas dépenser plus de 150 lires par semaine. Avec ça, la famille des
David est la plus riche de tout Düsseldorf, ils ont été élevés dans le plus
grand luxe. Et ils vont pouvoir aussi s'offrir, à leurs propres frais, un
voyage à deux en Russie, bien que l'aller seul coûte 5.000 francs.
David
n'a pas pu travailler, à cause de sa maladie. En outre, il a depuis longtemps
une cantate en chantier, de sorte que le Tscheljuskin n'avance pas.
Par
contre, je travaille sans discontinuer à la traduction de César .J'ai déjà 100
pages.
Deux
parents américains de David habitent ici aussi ; avec eux, nous jouons au tennis
dès huit heures du matin. Vers dix heures on va dans la baie rocheuse, au bord
de la mer, on s'y écorche les pieds et les mains en marchant sur les oursins.
Je suis couvert de plaies, du haut en bas. Mais déjà tout bruni. Je dors mal,
cinq heures, à cause des moustiques, - mais suis néanmoins en très bonne santé.
Le 15
août, il y a eu au village une fête italienne bariolée, procession à neuf
heures du soir, des pétards toute la journée, baraques foraines avec des jeux
de roulettes auxquels j'ai gagné 8 lires. Par contre, j'ai perdu ma belle bague
en me baignant dans une mer très tumultueuse, le même jour. La vague, comme une
femme, la doucement tirée du doigt. Tu sais qu'elle était trop large. Je n'ai
pas été très attristé, car ce n'était pas un témoignage d'affection, une preuve
de sentiment : tout à fait impersonnelle. J'espère qu'on m'en donnera un jour
une autre. Je suis presque content de ne plus la posséder, car elle était un
cadeau bien superflu de Mme Bergner.
Li David
est une femme aimable, gentille, qui se soumet volontiers à ce têtu de David.
Elle joue la petite fille, sur le même ton que Mme Bergner . David aime
beaucoup ça. Douze années déjà. Au fond, elle n'est pas heureuse. Le mariage
raté typique, le manque d'enfants, la prétention à l'éternelle jeunesse... et
certainement, elle ne l'a encore jamais trompé...
Ta
tempête - Audiberti semble avoir été aussi forte que celle de la mer d'Ovado,
en Italie, le même jour. Dommage que toi, l'écrivain, tu déclares que c'est
indescriptible ! C'est justement ta description qui m'aurait intéressé. Je
trouve grotesque la carte qu'il m'a écrite.
Hier, tu
as dû recevoir 400 francs de Zurich. À présent, j'ai déjà écrit à Albin Michel
qu'il veuille bien t'envoyer 1.000 francs. Pour ta note finale. J'espère qu'il
le fera. Sinon, nous nous arrangerons autrement.
J'espère
que tu fais régulièrement la cure du diable ! Et te portes-tu bien ? Tu ne dois
pas t'ennuyer, cette fois. C'est bien. Prends de la vie ce que tu peux. Nous
voulons encore une fois être non des anges, mais des diables.
Ton
Ivan, qui reprend des forces
lettre d'Audiberti à Claire du 22 août 1935
Chère, chère
Claire,
Jacques peigné, rasé et lavé – le
tout en l'honneur de votre fantôme – vous écrit du fond de sa détresse humaine
et de son ratage fatal. Quelques vers péniblement extraits de la lourde éponge
de ma substance corporelle (corporelle bien plus que sentimentale ou cérébrale)
constituent ma seule monnaie. Elle est bien maigre. Vous la dites très haute.
J'aurai au moins eu ça (vos éloges, votre admiration sincère ou charitable, ou
les deux à la fois).
Votre lettre ici arriva peu de temps
après ma propre arrivée, comme si nous avions, elle et moi, voyagé ensemble.
Ainsi, d'ailleurs fîmes-nous. Toutes vos faces derrière ma face, et de votre
odeur, encore sur mes vêtements. J'étais le possédé peut-être possesseur et,
aussi, ce bloc de boue modelable en proie à votre art, ô subtil sculpteur.
Déjà, je ressemble à ce que vous voulez, par la grâce de votre amitié
tutélaire, et je promène l'apparence d'un amant qui, pour être platonique, n'en
est pas moins fier et comblé. Mais, autour de moi, passent les couples
d'heureuse chair. La longue jambe nue des jeunes femmes brille dans les nuits.
La perfection de ma solitude physique, après m'avoir fait pleurer, commence à
me faire rire. Peut-être arriverai-je à me barder tout entier d'une pellicule
divine que ne traverseront plus les prestiges cruels de la beauté muselée,
élancée, balancée. Au loin, ma femme, statue noire et insondable, ne sait pas
que c'est la nuit, car elle est la nuit. Elle ne sait pas que sur moi s'étend
la nuit.
Merci, Claire chérie, pour votre
gentille puissance et sagesse, et pour avoir si bien, et si courageusement, su
ménager mon amour-propre sans compromettre vos devoirs. Nous partageons un
pacte tendre et difficile et cette communauté me déchire autant qu'elle me
console.
Jacques
(6 avenue
Saint-Roch, Antibes)
SDdV Aa34
(172)- 510.299 III
lettre
de Claire Challes-les-Eaux à Ivan Goll à Sori 22 août 35MST p. 167/168
Hôtel
du Château
Challes-les-Eaux
(Savoie)
1935
jeudi
Chéri,
Depuis ta carte de
Rapallo, je n'ai reçu aucun signe de vie de toi. Est-ce que réellement tu vis
encore ? Je me fais l'effet d'être si abandonnée, quand tes petits oiseaux
griffonnés sur le papier ne volent plus vers moi. Tous ces jours, j'ai été si
seule. Seul Jacques (*) m'a adressé un grand poème et une lettre démentie. Avec
ça, le livre sur Chaplin trouve des échos dont je m'étonne fort. On m'écrit de
partout. Même Wolfenstein se souvient de mon existence et demande un
exemplaire. Et il est arrivé une longue lettre de Gaston Chéron :" votre livre m'a passionné, etc.".
Aujourd'hui,
enfin, vient une visite, avec voiture, pour trois jours. On pourra peut-être excursionner
jusqu'à Chamonix où le Grand Saint-Bernard.
Souvent
je contemple avec la tendresse la plus profonde tes traits
"photogéniaux". Dans quinze jours, je regarderai ton visage. S'il te
plaît, écris-moi vite s'il sourit, s'il est heureux, afin que je n'ai pas à me
réveiller, la nuit, et à pleurer.
Avec mon
ancienne fidélité, je t'embrasse.
Ta
Suzu
Lundi, je suis invitée, avec Georges Suarès, chez
charmant ménage, dont j'ai fait la connaissance à la salle à manger, des amis
de Dufour. Un peintre extrêmement doué, qui a fait une grande toile pour un
panneau mural du "Normandie".
Et toi ?
Vois-tu des gens gentils, à part les David ? Travailles-tu ? J'adresse un doux
salut aux Davidsbundler.
Tout de
même, je voudrais encore te dire quelque chose sur ces 3 jours avec Audiberti.
Il demandait de l'amour à grands cris, et - tu le sais - je ne puis lui donner
que de l'amitié. Il m'arrive avec lui la même chose qu'avec Frantz Werfel :
j'étais alors une toute jeune fille, et son premier baiser m'a fait reculer
pour toujours devant l'homme qui était en lui. Et quand il m'a dit, plus tard,
à Paris : "maintenant je t'aimerais en mettant en jeu toute ma
personnalité"(à cet instant, il
devait avoir totalement oublié l'Errynie Alma, à l'hôtel Royal Madison), je sus
pourquoi j'avais reculé : son physique me répugnait. D'autant plus
qu'entre-temps, j'avais été gâtée par le corps d'Adonis de mon Ivan. Vis-à-vis
de Jacques, même paralysie. Peut-être le génie n'est-il qu'une maladie des
glandes, et elle défigure le corps (Rilke). En outre, je suis protégée de
Jacques par la nature et par le respect qu'il a pour le poète de "Jean
sans Terre". Tout à coup, j'ai eu mes règles et j'ai dû m'aliter,
naturellement. Il resta assis près de mon lit, balbutiant : " Dannie.!
Dannie ! ". Car pendant ces jours-là, comme toujours, j'étais désespérée.
Tout particulièrement par tarechute
dans l'ancienne infidélité. Et comme je m'exclamais : " si je pouvais
m'achever.... ", il commença à tout prendre par écrit. Il travailla, toute
la nuit, à un poème : La période, dont je t'envoie quelques vers :
tu
sais, la petite maison se trouve dans les vignobles,
Parmi
l'astre de l'aventure
Devant
les monstres du verger
La
douloureuse créature
Ecoute
son sang la manger ...
Et un peu plus loin : "O Cléopâtre
achève-toi",sur quoi je lui
conseillai d'intituler le poème "La mort de Cléopâtre". Il en écrivit
encore deux autres : "Sémiramis" et "La maison de Dannie".
Je
n'aurais pas supporté cet ouragan plus de trois jours, bien que tu m'aies
habituée aux tempêtes.
Encore
une fois tienne.
Suzu
(*) Audiberti
lettre
de Claire à Challes-les-Eaux à Ivan Goll à Sori 27 août 35MST p. 165
Hôtel
du Château
Challes-les-Eaux
(Savoie)
1935
jeudi [27 août]
Chéri,
Reçu ce
matin ta lettre, qui m'a un peu surprise. Tu es chez des gens aimables - et non
solitaire comme moi - et tu te plains de ta solitude. Tu justifies ton
invitation de Paula à Sori en disant que, dans la vie, tu n'as jamais été
l'objet de tendresse. Ne pouvais-tu pas motiver tes actions avec plus de
franchise et sans digressions blessantes ? Car, pendant douze ans, je n'ai été,
à ton égard, que tendresse. Peut-être tendresse non sensuelle, non celle dont
tu as besoin, mais néanmoins tendresse. De plus, la manière hypocrite dont
tuinterprètes l'union conjugale des D.
me déplaît. Il faut toujours chercher à rester juste quoi qu'on fasse. Paula
est donc auprès de toi.. A cela, je n'ai qu'une chose à ajouter : espèrons que
tu es apaisé et parfaitement heureux. Quand j'arriverai le 4, elle ne sera
certainement déjà plus là, et tu ne m'en voudras donc pas de devoir abréger,
par ma faute, ton bonheuridyllique.
Vous pourrez d'ailleurs vous rencontrer encore, cet hiver, même de manière non
officielle, chez des amis communs.
Pensées
affectueuses.
Suzu
lettre
d'Ivan Goll Sori à Claire Challes-les-Eaux du 28.08.35MST p. 168/169
Sori,
28 août 1935
Chère petite Suzu,
Foin
de discussion : on ne devrait jamais écrire en partant de la mauvaise humeur
d'une nuit d'insomnie. Pensons tout de suite à l'avenir proche, merveilleux :
la mer fortifiante et sauvage pour toi, des figuiers murs, des terrasses
ensoleillées, le plus profond repos.
À vrai
dire, depuis huit jours, ici, le temps est pluvieux et tempêtueux, et la pauvre
Paula, qui n'a jamais vu la Méditerranée, n'aura guère une idée de ce qu'est le
Midi. Mais les indigènes disent que, dans huit jours, il refera beau.
Tu peux
accomplir le trajet en un jour : je crois que je t'ai indiqué le trajet le plus
agréable ; il est vrai qu' il y a une attente de cinq heures à Turin. Donc,
mercredi 4 septembre.
Mais je
vais te prier, en ami, très énergiquement, - je laisse la galanterie à tes
adorateurs - d'arriver ici en toute simplicité et sans bagages prétentieux.
Tout le monde, ici, très simple. On ne met perpétuellement que des costumes de
bains, des robes de plage, dans lesquels on descend directement sur les rochers
de la baie. Bref, exactement comme à Ischia. Pourtant, ne pas oublier des
vêtements chauds pour la nuit. La pelisse aussi.
Ici, il
ne sera pas question pour toi de travailler. Laisse donc la malle de livres à
Challes, ou expédie la à petite vitesse à la maison. Et si tu voulais renoncer
aussi à la malle-cabine, tu serais tout à fait dans le style d'ici.
Tu
devras, avant ton départ, aller une fois exprès à Chambéry, pour y faire
établir le billet italien " Modane - Gênes - Modane (*) avec une réduction
de 50 %. Il doit coûter environ 120 lires (150 francs) en deuxième classe.
Peut-être un peu plus. Mais je crains que l'enregistrement d'une malle en coûte
tout autant. De Chambéry à Modane, le voyage ne peut pas être cher.
Deux
américains, qui partaient d'ici pour la Grèce, m'ont laissé leurs 2 billets de
retour pour Paris (et même jusqu'à Londres). Ils sont périmés le 10 septembre.
Si tu connaissais quelqu'un qui puisse les utiliser, cela nous rapporterait une
assez grosse somme. Mais cela aussi est très difficile.
J'ai
récemment téléphoné à Lindner - il est à la campagne, avec sa famille, jusqu'à
fin septembre. Cela, le consulat ne voulait pas me le dire.
Ton
télégramme au sujet du Monde Illustré m'a surpris : j'ai mis cet article dans
la boîte aux lettres, le samedi soir qui a précédé notre départ. Ce serait-il
perdu ? Damnation!
En même
temps que ta lettre de mardi, j'ai reçu ta carte de dimanche ; comment se
fait-il que tu ne supportes pas du tout la solitude ?
Mais la
mer emportera bientôt toutes les eaux de Challes, ainsi que tes larmes.
Ton
Ivan
(*) par Vintimille
lettre
d'Ivan Goll Sori à Claire Challes-les-Eaux du 31.08.35MST p. 170
Sori,
31 août 1935
Chère petite Suzu,
Je me
réjouis beaucoup de ton arrivée, mercredi. J'espère que mon horaire était exact
: renseigne-toi encore une fois.
Clauzel
fait encore parler de lui. Il a écrit trois lettres à Daniel, et là-dessus, je
lui ai envoyé le mot ci-joint, par un bureau de poste français (Nice). Il l'a
alors transmis à Daniel, qui est muet de stupeur !
Alors,
il a fallu que j'explique tout à Metz, en détail. Je n'ai pas voulu te
préoccuper non plus.
Tout le
reste oralement.
Mais il
ne faut pas que tu fasses réexpédier notre courrier directement de Paris à Sori
. Fais- le,comme précédemment, suivre à
Challes, et de là, à Sori : ne donne ton adresse qu'à Challes (ce courrier est
si restreint que c'est kif-kif bourriquot).
Apporte deux ou trois paquets de gauloises bleues et dix
timbres français de 50 centimes.
Ici,
temps magnifique ! mer, figues, raisins, paradis ! Paradis ! On oublie tout.
Je
t'attends vite
Ton
Ivan
Paula part mercredi
lettre
de Claire à Challes à Ivan Goll à
Soridu 31 août
31 ou 35, n’est pas dansMST
à traduire
Le 4 septembre, Paula
Ludwig repart à Ehrwald où elle va rester jusqu'à la fin de l'année 1935 tandis
que ce même 4 septembre, Claire rejoint Goll à Sori et reviendra seule début
octobre à Paris.
Ivan Goll Nice à Paula Ludwig Ehrwald 9 septembre 1935 ImsL p. 363/364
Nice
9 sep..35
Chère Palu, comme il est déjà
tard dans la soirée de mercredi,, et le train si inhumain, que je m'échappe
vers toi. Tant que je reculais, j'équilibrais le croissant de lune au-dessus de
la meret je me taillais la gorge par
les nerfs (! ?)
…le télégramme libérateur
arrivait alors vendredi mais samedi je revenais en France par Vintimille.
…je me lamente après toi
Ma
Ivan Goll Sori à Paula Ludwig Ehrwald 13 septembre 1935 ImsL p. 364/365
Sori
13 sep..35
Chère Palu,
Maintenant, je n'ai pas encore trouvé le chemin du retour
auprès des pères, certes pas les saints de Paris, Dieu merci, mais au contraire
auprès d'Adam et David, à l'éternelle belle terre d'Adam et à la musique
bienfaisante de David.
…
lettre
de Claire à Paris à Ivan Goll à Sori 5 octobre 35MST p.
170/171/172/173/174 ***
Paris, Jour du Grand Pardon, 5h½
[5 octobre 1935]
[19, rue Raffet]
Chéri,
tu as aujourd'hui une longue journée. Aussi je veux venir vers
toi dès le petit matin, afin que tu ne passes pas ce jour si seul et que tu ne
te frappes pas la poitrine seul. Alors, faisons-le tous les deux, oublions les
vétilles qui parfois nous divisent et entronsensemble, réconciliés, dans cette nouvelle semaine et dans un monde
nouveau. Car un autre monde s'ouvre : j'ai un appartement ! Au 21 Quai des
Fleurs ! Cela sonne comment ? Cela n'a-t-il pas l'odeur d'une place pleine de
fleurs, de la Seine et d'un rivage plein de pêcheurs dominicaux perdus et des
Tours de Notre-Dame qui se bousculent en même temps qu'un cloître pour entrer
derrière dans la fenêtre de la cuisine et l'immense fenêtre côté sud de la
troisième pièce, baignée toute la journée de soleil ?
Alors
je vais commencer par le début, pas par la fin : je suis bien arrivée à Paris
et rue Raffet . Dès le lendemain, nous sommes allés quai d'Anjou ;
l'appartement était loué! j'étais désespérée, si désespérée que nous avons
aussitôt continué à chercher dans l'île, que D. avait déjà prospectée durant
trois jours dans tous les sens. Nous avions déjà perdu tout espoir lorsque je
vois de l'auto quelques fenêtres sans rideaux au 4e étage d'une maison. Tu sais
que j'ai du flair. D. me dit : "il n'y a pas d'écriteau, donc pas
d'appartement à louer " .Je persiste à vouloir demander et je trouve notre
appartement. Et D.dit qu'il est de beaucoup préférable aux autres, non obtenus,
justement parce qu'il a une pièce orientée au sud ; car aussi bien le Quai
d'Anjou que le Quai des Fleurs donne sur le nord. Sur le quai sud on ne peut
rien trouver du tout. - la maison est en face de l'Hôtel de Ville qui est
entièrement caché par des arbres, ce qu'on ne remarque jamais qu'en passant en
voiture, si bien que de la fenêtre on voit la Seine et la rive opposée plantée
de plusieurs rangées d'arbres ; un peu plus loin est le pont qui mène vers la
place de l'Hôtel de Ville. On n’entend presque pas de bruit alors que dans
l'autre maison, les autobus passaient au ras de la maison qui se trouvait
directement près d’un pont.
Deux
pièces sur le devant et entre ces deux et la pièce de derrière un espace assez
grand dans lequel sera aménagé la salle de bains, car il n'y a ni bain ni
chauffage. D. nous installera les deux à prix coûtant.
Le
propriétaire habite au-dessus de nous, c'est un Monsieur distingué d'un certain
âge, officier de marine en retraite qui nous a plu énormément à l'un et à
l'autre, il voulait 5000 plus de 20 % de charges et à ce pris en soi modéré ne
voulait pas faire faire de travaux d'aucune sorte dansl’appartement. Au bout d'une heure de
discussion toute en souplesse, D. a obtenu tout ce que nous voulions : 5100 sans
charges et il fera faire les plafonds en blanc et repeindre les murs pour que
nous puissions y coller des papiers peints neufs car les anciens sont vieux
comme tout et doivent être enlevés.
Trois
pièces à 5.000 francs au coeur de Paris, sur les quais, donc la situation la plus
convoitée où on ne trouve que rarement quelque chose, dit D. Le chauffage en
plus, environ 1.800 francs de charbon pour tout l'hiver. Mercredi après-midi
(j'ai demandé ce délai pour avoir ta réponse d'ici là) nous avons à nouveau
rendez-vous avec le propriétaire pour mettre le contrat au net.
D. a
obtenu que nous n'ayons pas à nous engager pour trois ou six ans mais que seul
le propriétaire soit lié, mais que nous puissions donner congé tous les trois
mois. Il m’a expliqué ensuite que pour nous cela était important dans les
conditions actuelles. Le propriétaire ne voulait d'abord absolument pas, mais
D. lui dit qu'il n'avait aucune crainte à avoir, que nous ne partirions pas
tout de suite après y avoir engagé plusieurs milliers de Francs de frais et il indiqua2.000 francs pour l'installation de la salle
de bains et2.500 francs pour le
chauffage, en présence du propriétaire. Mais il nous le fera pour moins cher.
Dès que le contrat sera signé, je te l'enverrai jeudi ou vendredi et tu le
retourneras aussitôt, je ferai commencer les travaux. Nous pourrons alors
emménager dans quatre ou cinq semaines.
La poésie de la
fenêtre (sans voisins) fera mûrir de beaux poèmes, cela est certain. Sur notre
quai il n'y a guère de circulation car il est directement sur l'île entre
plusieurs ponts. Vers l'arrière nous avons, seulement séparée par quelques rues
cahoteuses qui ne sont certes pas visibles à cause de vieilles maisons, vieilles
mais basses (nos fenêtres arrière sont plus hautes) cette vue ravissante sur Notre-Dame
et l'autre bras de la Seine.
La lettre à Clauzel
est partie hier, sa réponse arrivera sans doute demain.
Il est arrivé une convocation du Juge de Paix
"organisée" par l’Argus pour le 10 octobre. J'ai écrit une lettre recommandée
déclarant que tu étais encore dans le Midi "en train de te soigner"
et que je priais Monsieur le Juge de Paix de vouloir bien reporter la
convocation à novembre. Encore une fois, tu en as fait de belles ! Etait-ce
bien nécessaire ? Pourquoi ne pas payer tout de suite ? Vraiment et sans
tergiversations ?
D'ailleurs dans ton classeur
je n'ai trouvé qu’un reçu de 100 francs versée à l’Argus pour 1935. Ils ont
sûrement raison. Et le dommage, c'est moi qui l'ai car je ne reçois plus aucune
coupure pour Chaplin.
Tu compliques toujours
les choses. D. trouve que dans l'affaire avec Clauzel tu ne t'es pas bien
conduit non plus. Les lettres avec "Juif par-ci, juif par là ", tu
n'aurais pas dû les écrire et qu’auparavant tu l’as aussi irrité inutilement.
Par ailleurs : si un appartement aussi vieux revient à 7000 avec frais de
chauffage, celui-là à 9000 n'était quand même pas exagérément cher. Des frais,
on en a partout.
Dans l'appartement du
Quai d'Anjou qui nous a échappé il fallait aussi installer chauffage et bain.
Bien sûr, la situation y vaut de l'or.
Trois pièces dans une
construction neuve coûtent 8500 m'a déclaré D. Et tout logement à ses avantages
et ses inconvénients. Mais n'en parlons plus. Espérons qu'en revanche tu
t'entendras d'autant mieux avec notre nouveau propriétaire qui est très cultivé
D. lui a dit "
Vous aurez un homme charmant, un célèbre écrivain comme locataire ".
Est-ce que le contrat doit être établi au nom de I. Lang ou I. Goll ou bien aux
deux noms ?
Est-ce que le compteur
à gaz de notre appartement nous appartient ? Peut-on l’emporter ? Là-bas non
nous n'aurons pas non plus à payer l'eau et nous aurons un marchand de légumes
dans la maison juste à côté.
Comment va ton petit doigt ? Le talon d'Achille ? Le
poème des péchés? As-tu du soleil ? As-tu été àRecco nous excuser toi et moi et y a-t-il eu du grabuge ? Mieux vaut que
non. La guerre qui a commencé avant hier semble devoir devenir bien sérieuse.
Je t'envoie aujourd'hui l'Intran et Paris-Soir. Espérons qu'ils te
parviendront.
Une prière : téléphone ou écrit à la (baronne) Mumm pour
avoir l'adresse du café instantané etrapporte-m'en de Gênes et ne mange pas la commission, je serais très
déçue.
En outre
l'adresse privée exacte de Lindner s'il te plaît, tu la trouveras en bas dans
la localité dans l'annuaire téléphonique. Gamboro ou Gambari et quel numéro ?
Aujourd'hui,
nous sommes le 5. Mais nous n'allons qu'à Chartres et nous rentrons le soir.
Jeannine
m'a laissée tomber. Les clefs étaient en bas avec une lettre. Elle ne m'a même
pas fait mon lit ! Mais j'en ai déjà une nouvelle, une amie de Victoire la
jolie vendeuse de bronzes..
Le livre
"Le coeur est éveillé " m'a beaucoup déçue. Un amour littéraire de
bas-bleu, à la manière de Rilke en beaucoup de phrases et un hymne à
l'Allemagne, de sorte qu'on a les yeux pleins de croix gammées de tant de
patriotisme . Je le rendrai à Lindner en même temps que le Jean d'Agrève et le
Conrad .
Et
maintenant salut, j'espère que tu as eu un " god Jomtoff "[jour de
fête : Yan Kippour]. Continue àêtre heureux sur cette douce colline. D'ailleurs les hommes ne te font
rien. Tu n'entends que les voix des oiseaux, bienheureux paradis. Salue les
Daniel. Je les remercie pour la façon aimable, douce, bonne et fraternelle dont
ils m'ont gâtée, sans penser à eux, et le respect qu'ils m'onttémoigné.
J'aurai
besoin de quelque temps pour me remettre de tout cela, je vais encore mal mais
cela ira mieux bientôt et tout de suite après mon indisposition, mardi ou
mercredi j'irai chez Gerson.
Bien des choses à toi
très affectueusement
ta
Suzu
J'attends une réponse par express 8 heures. Vient
d'arriver la lettre de la N R F.Je te
félicite.
lettre
d'Ivan Goll Sori à Claire 19, rue Raffet, Paris du
7.10.35 (Jour du Grand Pardon)MST p. 174/175/176
Sori,
7 octobre 1935
Lundi
matin
Jour
du grand pardon
Chère petite Suzu,
Comme
le début de ta lettre était pieux et sain ! c'est ainsi seulement que nous
voulons éprouver le divin. Le temple de Gênes m'a guéri pour toujours de ces
bigoteries collectives. Je ne veux plus m'agenouiller que sous des oliviers.
Et
c'est aujourd'hui, et non samedi, le jour du Grand Pardon .Que l'arrivée de ta
lettre est étrange ! J'avais grand besoin d'elle, car j'ai déjà grand' faim ;
je jeûne et 6 heures du soir est encore loin . Les David sont hors d'eux parce
que je manquerai le repas de midi en revanche, ils achètent un poisson pour ce
soir !
Et
maintenant, aux choses terrestres.
Je suis d'accord pour
l'appartement du Quai aux Fleurs et je te laisse "carte blanche" pour
tout . Fais établir au contrat ou nom
d'Ivan Lang-GollEnvoie-le moi. jele signerai aussitôt
À
vrai dire, l'idée de cette nouvelle demeure ne ne me réjouit pas encore
beaucoup. Pourquoi ? Je me l'explique à peine . Il est difficile de se représenter
cette nouvelle vie . Je me sens géné par la pensée que je ne présiderai pas à
toute cette installation . Oui, je serai un étranger là-bas, malgré tout. Il
n'est certainement pas bon que le propriétaire habite au-dessus de nous, étant
donné les conditions d'existence très bizarres que nous avons maintenant. Mais
cela ne fait rien. Je te le dis, à toi : pourquoi ne pas tout essayer ? Le
monde est grand . L'homme est petit (David, compose justement cela sous ma
chambre)
Sais-tu
aussi pourquoi je ne m'excite pas sur la question d'emménager à bref délai, à
Paris ? parce que je suis de plus en plus préoccupé par l'idée d'une petite
maison sur la côte ligurienne. Je cours en tous sens, tous les jours, et je
sais que toute offre serait une affaire . Mais je n'ai pas encore trouvé juste
ce qu'il faut . néanmoins, je dois trouver cela et le saisir à la volée.
Comme
je déplore que tu n'aies pas mis ici, un seul jour, à ma disposition ta volonté
active et tes " antennes " Nous aurions trouvé . au lieu de cela, tu
remettais sans cesse à plus tard la petite promenade à Recco . A présent, j'ai
été là-bas,Zega m'a montré dix maisons
Ravissant
était le palais rose sur la colline, avec 4.000 m carrés d'oliviers, tout
entouré du bruissement des pins. Il a été vendu, il y a 15 jours, à une dame
qui ne l'a pas vu (elle n'était pas là ) pour 60.000Je suis aussi triste que tu l'as été de
perdre le Quai d'Anjou !
Maintenant,
je suis quotidiennement en route. J'ai aussi écrit à Nancy, au sujet de mon
intention. Comprends-tu que je préférerais installer ici, pour ma
vieillesse, un chauffage central !
Le
même jour, je suis monté chez les Weils, qui m'ont retenu à dîner. Ils ont
parlé de toi avec enthousiasme. Je leur ai donné tes livres, qui les ont
vraiment enchantés .
Voici
l'adresse des Lindner : 20, via Gambaro. Oui, renvoie-leur, s'il te plaît,
rapidement, tous les livres . j'ai déjà téléphoné, pour remercier.
Tu
ne m'as pas raconté, en somme, si tu as déjà parlé aux Clauzel ? Et quelle
solution a-t-on trouvé ?
Puisqu
tu prévois 4 ou 5 semaines de travaux Quai aux Fleurs, il est bien que je ne
rentre pas plus tôt à Paris . pourvu que la situation politique ne nous joue
pas un tour
Inutile
de t'énerver au sujet de l'Argus . Tu n'as pas non plus besoin d'écrire au Juge
de Paix : j'écris tout de suite à l'Argus pour lui donner mon opinion : toi,
téléphone seulement à l'étude de l'Avoué, de Lavarde, Anjou 30 - 87, que je
m'occupe d'une conciliation avec l'Argus, que je serai à Paris à la fin de ce
mois et que je paierai tout
Merci
pour la lettre NRF.
Je
pense à l'Instant Café
Et
aussi à ton anniversaire, pour lequel je me procurerai le spencer tyrolien.
N'as-tu
pas trouvé, peut-être, parmi les imprimés, la revue japonaise ? cela me
ferait grand plaisir, si tu voulais bien me l'envoyer
Et tu as raison, envoie-moi
régulièrement Paris-Soir, etc. ; cela peut être important.
. Je porte vite cette lettre, avant 10 heures, à la poste.
As-tu reçu ma lettre de samedi avec la recommandation de Gerson ? Vas bientôt là-bas.
Recommence
à bien manger
Aujourd'hui,
je continue à bien jeûner .
Ton
Ivan
lettre d'Audiberti à Claire du 7 octobre
1935
Chère Claire,
J'ai été très
secoué par une histoire idiote : une douleur dans la jambe, un peu au-dessus de
la cheville. Enflure, petites nodosités sous la peau, douleur intolérable. Le
médecin a parlé de synovite, inflammation des gaines sérieuses des tendons. Pas
très grave, mais très gênant, surtout que je ne dors pas et que je m'énerve
beaucoup. On me fait des piqûres de novocaïne dans le tendon pour diminuer la
douleur et me permettre de marcher un peu. Aujourd'hui, j'y suis parvenu un
peu, et à peu près sans souffrir. Je suis venu au PP. Où vous pourrez m'écrire,
si vous le désirez ce qui me fera grand plaisir. J'ai bien reçu votre pneu et
je vous en remercie vivement. Quand nous verrons-nous ? Mercredi ? Jeudi ? Si
vous pouviez venir du côté du PP., au Nègre, par exemple, j'en serais bien
heureux, car je dois, autant que possible, éviter de circuler trop. Bien
entendu, s'il ne vous est pas possible de sortir, ou que ces dates vous
semblent trop rapprochées, je ne vous en voudrais pas. Mes amitiés à Ivan Goll
et croyez que je suis, très affectueusement, votre ami, votre poète.
SDdV Aa35
(177)- 510.299 III
lettre d'Audiberti à Claire du 9 octobre
1935 [mercredi]
Ma bien chère amie,
Je suis très
heureux, très heureux de vous voir dimanche. Il faut que vous sachiez tout de
suite comment les choses se présentent. En fait, il m'arrive d'avoir à moi quelques
heures l'après-midi, mais entrecoupées de téléphonages. En principe,
j'appartiens au Petit Parisien et il m'est impossible de savoir si je passerai
le dimanche au journal, ou, librement à l'extérieur ou à l'extérieur mais en
enquête. Il m'est donc difficile, amèrement difficile, de vous promettre qu'il
me sera possible de circuler tranquillement dimanche après-midi, tandis que je
serais très sûr (dans la mesure où une créature humaine peut être sûre de quoi
que ce soit) de pouvoir dîner dimanche soir et passer la soirée ensuite avec
vous. Je n'ose, naturellement, pas vous proposer que vous vous rendiez, à tout
hasard, vers cinq heures, en quelque Nègre. Si, par extraordinaire, vous deviez
vous y trouver, de toute façon, je serais ravi de courir l'exquise chance de
vous y retrouver l'après-midi ; dans un bistro des environs du PP., Nègre ou
non, j'aurais, d'ailleurs, beaucoup de chance de pouvoir vous rejoindre à cette
heure, assez creuse. Mais je ne voudrais pas vous imposer une attente, ou un
déplacement, qui vous déplût? Donc, belle amie, veuillez me dire :
1° S'il vous est
possible de me consacrer dîner et après-dîner, en sacrifiant l'après-midi
2° si votre
flânerie dominicale vous conduit, l'après-midi, en quelque lieu que je puisse,
à l'occasion, atteindre facilement, sans que vous dussiez m'en vouloir si les
nécessités professionnelles alias "l'abondance des matières", m'en
tiennent éloigné
3° En quel endroit
vous désirez que, vers sept heures ½, nous nous rencontrions ?
Je baise votre main et je
prie le ciel que le monde, dimanche, existe encore
Audiberti
SDdV Aa36
(181)- 510.299 III
lettre
de Claire à Paris à Ivan Goll à Sori 9 octobre 35MST p. 176/177
Tu ne m'as pas envoyé l'article pour Cognat.
Je ne peux donc pas y aller.
Paris
, 1935
19,
rue Raffet
mercredi
matin
Chéri,
Merci
pour ta lettre. On l'a apportée 2 fois dans l'après-midi, comme je n'étais pas
là, on l'a remportée. Quand je suis rentrée, à huit heures, j'ai trouvé l'avis
dans la boîte, comme quoi je devais aller chercher cette lettre au bureau de
poste, le lendemain matin. Soudain, à 8 h et quart, en sonne : c'est ce
touchant Bureau 53 qui m'apporte encore une fois ta lettre. Ainsi donc, j'étais
en ta compagnie, hier soir. Si tu m'envoies encore une lettre express,
adresse-la, je te prie à Claire Lang pour que je n'aie pas de difficultés à La
Poste au sujet du passeport. Les Clauzel n'ouvrent pas, et tout reste sur le
palier.
Donc,
ils n'ont pas répondu à une troisième lettre très énergique de D S. Nousavons été hier chez maître Martin, l'Avoué de
D. S., lequel nous a dit qu'on ne peut pas forcer un propriétaire d'immeuble à
reconnaître que son loyer est trop élevé. Mais étant donné que nous n'avons
qu'un contrat moral, tu n'as qu'à provisoirement faire le mort en ce qui
concerne l'argent et le laisser aller jusqu'à la sommation (mise en congé) dont
il m'a menacé. La première partie de la lettre est de Martin j'ai ajouté la
deuxième, je la soumettrai à D; aujourd'hui à midi, et lui demanderai si lui ou
moi doit l'expédier et si c'est sous cette forme (joint : une copie).
Le
Journal japonais n'est pas encore arrivé, malheureusement. Mais j'attends tous
les imprimés, en retour de Challes, aujourd'hui ou demain.
Notre
terrasse serait maintenant très dépréciée, car la nouvelle maison de D. aurait
vue sur elle, de toutes ses fenêtres. Même de mon lit, on voit une haute
muraille.
L'affaire
avec l'Argus est très ennuyeuse. Car Thomas m'a dit qu'il a vu plusieurs
grandes critiques, entre autre une colonne et demie de Daudet, dans Candide.
Ta prise
de position, au sujet d'un nouvel appartement, me paraît un peu étrange. C'est
pourtant important pour toi aussi d'avoir un pied-à-terre à Paris, même en
faisant abstraction de moi. En outre, maître Martin est d'avis que tu ne
devrais plus en aucun cas te montrer rue Raffet cela ne pourrait que provoquer
un malheur. Tu devras donc habiter tout de suite une chambre, 21, quai aux
Fleurs, même pendant les travaux qu'on fera là-bas le propriétaire de la maison
est un homme distingué qui ne s'occupera pas de nous . Avec 6 étages, il aurait
trop à faire.
Reproche
au sujet de la petite maison italienne sont injustes. Tu étais là un mois avant
moi, tu n'avais qu'à chercher - trouver ! Naturellement, pas un immeuble de
rapport à deux étages sur les routes de 100 à mardi à Rita déclaration car nous
ne voulons pas nous tromper nous-mêmes, nous ne voulons pas faire des affaires
de sous-location d'appartement, mais avoir un nature, les arbres, amer en ce
aussi petite que la ouvrit " Casina" ou encore plus modestes. Reste
simplement à Sori jusqu'à ce que tu aies trouvé puisque, tu ne tiens pas à
Paris.
As-tu
maintenant du soleil ? Comment va ton petit doigt ? Et le Tscheljuskin ? Moi,
je vais remarquablement bien, physiquement. L'intestin fonctionne normalement.
Pour combien de temps ? Mais je suis reconnaissante. Je ne souffre plus,
enfinD. pense que cela venait de la
nourriture et du vin, lui-même ne peut pas supporter le vin italien..
Je
pense tendrement à toi et avec amour.
Suzu
lettre
d'Ivan Goll Sori à Claire 19, rue Raffet, Paris du
9.10.35MST p. 177/178
Sori, 9
octobre 35
Ma chère Zouzou,
Merci de
ta carte. Elle est si optimiste que je me sens le cœur plus léger. Tous ces
jours-ci, le temps était si gris, si pluvieux, et les soucis m’ennuyaient jour
et nuit.
En ce
qui concerne le Quai aux Fleurs, j’attends la suite de tes nouvelles. Dans les
circonstances actuelles, je ne vois en tout ceci que du provisoire, et je me
demande s’il est bon de fourrer tant de choses dans ce nouvel appartementMais je m’en remets entièrement à toi . Et
aussi : est-ce que tout va te convenir, en particulier les bruits,
et l’air (n’est-il pas humide au bord de la Seine) etc.
A la
nouvelle que tu devais payer aussi la note d’électricité, je me suis mis
aussitôt à ma table et j’ai tapé, aussi bien que je l’ai pu l’article pour Le
Monde Illustré. Il est composé d’un mélange de réminiscences et de fraude.
Porte-le tout de suite à Cognat et fais-toi remettre les 200 Frs. Tu
expliqueras que ce n’est pas de ma faute et ce texte n’est pas tel qu’il
était ; ce n’est pas de ma faute s’ils ont égaré le manuscrit
primitifCar il doit sûrement leur être
parvenu. A ce moment-là, Cognat * était en vacances. Les photos, à elles seules,
valent plus de 200 Frs. –4 photos à 50
Frs. Vu me paye 125 Frs. pièce d’autres photos.
Merci aussi pour les journaux – mais pourquoi tant
dépenser pour cela ? Si tu me les envoies sous bande, cela ne coûtera que
10 ou 30 cts.
Ci-inclus aussi, copie de la lettre de l’Argus. Je ne lui
dois que 100 Frs. comme tu pourras le voir. Tu as, entre temps,
téléphoné ?
A part ça, rien de neuf.
Je travaille farouchement.
Et suis souvent près de toi,
I.
* Raymond Cognat,
Rédacteur en Chef du Monde Illustré
lettre
de Claire à Paris à Ivan Goll à Sori 11 octobre 35MST p.
178/179/180
19,
rue Raffet, Paris , XVI
vendredi1935
Chéri,
Merci
pour ta longue et belle lettre. j'espère que tu as beaucoup de soleil, que tu
vas bien et que tu es en harmonie avec toi-même, avec les pins et les oliviers
(et avec moi) et que tu es sur les traces d'une maisonnette . Naturellement, je
rendrai à Lindner ses livres, y compris Jean d'Agrève et Crime en Province,
comme je le lui ai promis.
À sa Lore j'ai envoyé un collier de bulles de savon
Clauzel a enfin répondu à D. mais il n'insiste que sur le
mot "départ ".. Il dit qu'il est volontiers prêt à résilier le bail.
Ma lettre, dont je t'ai expédié une copie, lui sera envoyée bientôt, mais il
faut encore que l'avocat la relise et l'approuve. Ci-joint les deux nouveaux
contrats pour le nouvel appartement ; il faut que tu me les renvoies, signés
(sous pli recommandé à Claire Lang). Ne prends pas ombrage des formules
démodées du contrat, c'est ainsi qu'elles sont dans le Code Civil et Monsieur
Migeon, qui a hérité sa maison de ses grands-parents, imite encore les usages
de ses ancêtres, car sa maison existe depuis 1860 et est aussi vétuste que ses
locataires. Nous sommes les premiers à y introduire une radio, à ce qu'il m'a
dit. Cela te permettra d'évaluer quelles sortes de fossiles sont là, en train
de regarder paisiblement, de leur fenêtre, couler la Seine. Quoi qu'il en soit
: c'est tranquille à l'intérieur, moins à l'extérieur. Mais sur tous les quais,
c'est la même chose. Ce n'est pas mieux chez Lise, et pourtant, tu voulais
l'ile Saint-Louis.
Cependant,
pour que nous soyons plus libres et pour que, selon les circonstances, nous
puissions quitter à nouveau cet appartement sans nul regret, et plus facilement,
j'ai décidé - après quelques réflexions - de ne pas installer de chauffage :
rien qu'un radiateur à gaz dans chaque pièce ; la compagnie du gaz les louent
et les installent à très peu de frais. De la sorte, il ne nous reste à faire
que l'installation de la salle de bains, dans la 4e pièce, qui est sombre, et
que notre propriétaire, dans le contrat, appelle sans vergogne une 4e chambre ;
avec la lumière électrique, on pourra l'utiliser à cela.
Nous
emploierons mes appareils sanitaires, qui seront arrachés de notre salle de
bains actuelle, et cela ne coûtera pas cher. Si tu pouvais, avant d'aller chez
tes parents, venir rapidement ici pour voir l'appartement, j'aimerais
réellement mieux ça que d'en prendre toute la responsabilité. Il faudrait alors
que ce soit dans les prochains jours, car Monsieur Migeon a déjà prié de lui
verser ses premiers 1.200 francs le 15 octobreJ'ai dit : " mon mari est en Italie... " . lui : " Ah !
vous avez sûrement ici une aussi petite somme". S'il savait que j'ai encore
145 francs dans mon sac, car j'en ai versé, à l'instant, 48 à ma femme de
ménage... Ci-joint, de plus, deux lettres de banques. Qu'advient-il à présent
des 12.000 prélevés par l'Angleterre ? Ainsi donc, viens, si cela peut se
faire. Sinon, renvoie les contrats. Car enfin, cet appartement est ridiculement
bon marché, de l'avis de D.. Sa situation est ravissante, et il est pratique et
vaste. Et contre le bruit du quai, on se fera poser, comme Lise, des doubles
fenêtres !
Tous mes
voeux pour toi !
En
grande tendresse
Ta
Suzu
Je vais tout à fait bien. L'intestin fonctionne
brillamment de. Ne te fais donc pas le moindre souci. C'est seulement la
nourriture des David, à-bas qui m'a nui.
PS J'ai encore une fois tout à l'heure reparlé à D. Il veut
aller voir encore Monsieur Migeon pour lui faire rogner un demi-terme,
c'est-à-dire que nous n'aurions à payer le loyer qu'à partir du 15 novembre,
donc 600 francs seulement pour 1935, étant donné que les travaux dureront bien
six semaines. À moins que tu veuilles aménager avant le 15, car, au cas
contraire, tu devras attendre à Nancy . Ecris donc par retour : viens-tu de
suite, et en passant, regarder l'appartement ? Quand emménageons-nous ? Dès le
15 novembre ? Il faudra alors que je porte des contrats à cet homme, pour qu'il
y ajoute une phrase concernant le demi-terme, c'est ce que m'a dit D. Il est
inutile de les envoyer avant cette modification.
lettre
d'Ivan Goll Sori à Claire 19, rue Raffet, Paris du
11.10.35MST p. 180/181
Sori, 11 oct.
35
Ma chère Sou
Merci
pour ta gentille lettre et pour tout : Paris-Soir, le Japon, etc..
Avant hier, j'ai déjà répondu d'avance à tes demandes
concernant Cogniat et l'Argus.
Tout à fait excellent, le brouillon à Clauzel. En retour,
ci-joint. Il faut que cette lettre soit en sa possession avant le 15 ! je
trouve absolument génial la situation extraite de sa propre lettre du 28 mars.
Et déjà
je m'apprivoise avec l'idée du Quai aux Fleurs.
Ici, il
n'y a toujours pas de soleil - mais du travail et une paix agréable . Tous les
jours, je cherche Tusculum dans à la région. Difficile à trouver. Tu as raison,
naturellement : seulement petit, rien que des oliviers et la mer. On m'offre,
de bien des côtés, du terrain, par exemple près de la propriété du Comte C..
Construire une maison reviendrait à 20.000. Mais...
Et tout
serait encore beau ici pour le moment, si je n'avais pas trouvé par hasard
cette coupure sur Marie Bashkirtcheff ! Quelle peur ! Probablement
l'autrichienne. Je suis malade de désespoir. Que dois-je faire ? Peux-tu
obtenir des renseignements ? Téléphone à Bruckner. Son adresse provisoire, en
été, était chez Jenny Holt, cette petite actrice, tu sais, dont il était aussi
question pour MB. Galvani 78-18, 1, rue Catulle Mendès. Là, tu en apprendras
plus long. Oh ! Aide- moi !
Mon
doigt a été guéri au bout de deux jours.
Je
t'enverrai prochainement deux paragraphes achevés de Tascheljuskin.
Combien
je suis heureux que maintenant, tu te portes bien.
Très
tendrement ton
Ivan
Va aussi chez Alice Cocéa. Une bonne occasion pour la
connaître dans son intérieur, rue Nungesser et Coli. Tu trouveras la maison.
Elle est là, tous les soirs, vers 6 heures, même le dimanche. Demande-lui
d'abord ce qu'elle pense de M.B. ; au cas où sa réponse serait négative,
raconte-lui les histoires Pitoëff - propose lui d'entrer en concurrence avec
elle. Elle a le manuscrit.
lettre
d'Ivan Goll Sori à Claire 19, rue Raffet, Paris du
12.10.35 ***MST p. 181/182
Sori, 12 oct.
35
cinq heures du
matin
Chère petite
Zou,
Je suis de
nouveau, indiciblement triste, depuis que le monde extérieur, sous la forme
d'une petite coupure de presse, a fait irruption dans mon paisible tête à tête
avec la nature!
Ma destinée
toute entière m'est apparue clairement : rien ne me réussira, rien ne doit me
réussir !
N'ai-je pas de
talent ? n'ai-je pas de zèle ! n'ai-je pas de patience ? Peut-être beaucoup
plus que d'autres. Et cependant, rien ne me réussira !
Marie
Bashkirtcheff en est le meilleur exemple, le dernier peut-être, car maintenant,
je jette le manche après la cognée.
Tout un hiver, avoir étudié le sujet, tout un
printemps avoir écrit la pièce, tout un été, avoir cherché un théâtre et une
actrice ! ceux qui ont lu la pièce en ont fait l'éloge. En vain ! en vain ! le
jour même où la pièce était terminée et où je voulais la donner à Bruckner,
j'apprends qu'un autre auteur a choisi le même sujet et l'a déjà fait
représenter à Vienne !
C'est ainsi
qu'on devient un raté !
J'avais pensé
à Cocéa , à Marie Bell , à Boggaert, à Ozeray - pas à Ludmilla, que j'avais
sous la main - et le destin m'a joué son tour.
C'en est trop
! comment aurais-je à présent le courage d'entreprendre un travail de quelque
importance ?
Un raté, un
déchu, un oublié !
Sori,
ensevelis-moi sous tes oliviers !
Ma place n'est
pas en ce monde.
Et où
est-elle, la maisonnette aux murs délabrés, hantée de lézards, qui me cachera
définitivement à tous ? Aucun travail ne me la procurera. La Bashkirtcheff
devait me la fournir...
Pleure avec
ton
Ivan
Sori, 12 oct.
10 heures du matin
Le désespoir dure.
Je ne supporte plus de rester à
Sori.
Les David ne sont certes pas les gens qui peuvent consoler
quelqu'un. Je ne le leur dirai pas du tout. Croirais-tu que ce pédant [David]
travaille actuellement au "Tscheljuskin"
? Il copie d'abord proprement mon autre texte…Cela l'occupe jour et nuit ;
C'est ainsi qu'il m'a composé deux chansons, "Berceuse pour Karina"
et une autre. Mais ce n'est que du bricolage. Tu sais comment il travaille. Il
faudra des semaines, des mois. Et ils partent le 29. Mais Tscheljuskin n'est pas là. Et qu'arrivera-t-il ensuite, à Moscou ?
Encore un été perdu, un automne...
Le Tscheljuskin est-il mauvais ? Le talent a-t-il manqué,
ou le travail ? ou la patience ?
Le destin ne me fait pas la faveur d'un seul succès !
Il me faudrait si peu pour être heureux.
Jamais
je ne parviendrai à avoir une petite maison !
Hier,
j’ai vu quelque chose de splendide ! à Mulinetti, en face de Becco, sur
une hauteur qui domine tout le golfe, un
palais, 2.000 m² de terrain, la maison magnifiquement conservée, des murs épais
d'un mètre. Au rez-de-chaussée, une salle gigantesque et une autre au premier
étage, au deuxième quatre petites chambres, les escaliers en marbre, une
citerne de grande dimension ; propriétaire : un avocat gênois, ex préfet,
70.000 lires. C'est donné. À Maisons-Laffitte, cela coûterait 800.000 francs.
Qui sait s'il n'y aura pas, un jour, une grande hausse sur cette côte ? 300
arbres fruitiers : citronniers, orangers, pêchers, etc.
Et si, de plus, la lire baisse ?
Incroyable de bon marché !
À
Sori, un terrain seul coûte 35 lires le mètre carré ; cela fait 70.000 lires
pour 2.000 m². Juste celui qui est derrière le Conté, là où il y avait un
écriteau.
Du
coup, j'en oublie presque ma souffrance.
Dieu,
je serais si facile à contenter ! avec un palais !
Ivan
Crois-tu
que l'on peut encore sauver quelque chose pour Marie Bashkirtcheff ? Il le faut
! Ô tourment Je ne supporte plus d'être iciJe voudrais rentrer à la maison la semaine
prochaine, par exemple le jeudi 17. Quelle maison ? Sais-tu où je pourrais
loger à Paris ? Écris-moi vite ce que tu en penses.
En Octobre 1935, David et son épouse partent pour
l’Union Soviétique. Li David-Nolden est engagée au Théâtre National à Engels,
Hans David devient directeur de la chorale allemandede la Volga.
lettre
de Claire à Paris à Ivan Goll à Sori 13 octobre 35MST p.
183/184
19, rue
Raffet, Paris XVIème
Dimanche
Cher petit Yvan,
Je suis
très attristée par la nouvelle que la Pitoëff veut jouer la Bashkirtcheff. La
malchance, cette fois, est réellement bouleversante, mais vois, mon pauvre
petit garçon, il se peut que la pièce viennoise déplaise, et alors tu pourrais
encore arriver avec la tienne, à moins que tu ne te hâtes et paraisses le
premier : car la Pitoëff semble, en effet, mettre cette pièce à son programme,
mais ne pas avoir l'intention de la jouer en premier lieu. En tout cas, je ne
puis faire grand-chose à cela . Même si je vais voir Alice Cocéa elle te
connaît bien. Éventuellement, elle me jettera dehors parce que je suis une
femme. Avec beaucoup de grâce, sans doute, si tout va bien. Non, il faut ici
que tu voies toi-même ce qu'on peut faire d'autant plus que je crois ta présence
utile pour l'appartement. J'hésite de plus en plus à louer celui du Quai aux
Fleurs . Il y a beaucoup de bruit par devant, même pour toi ! on est obligé de
fermer les fenêtres pour pouvoir causer, à ce que m'a dit imprudemment le
propriétaire lui-même, ces jours-ci . En hiver, la Seine donne des brouillards.
Sans doute, j'ai du soleil par derrière, mais tu vas recommencer à geler. Il y
a aussi que l'installation du gaz est payante, contrairement à ma supposition,
et le chauffage au gaz coûte cher. D'autre part, installer le chauffage central
et les bains dans cette maison vétuste, peut-être pour peu de temps, cela
profiterait ensuite, encore une fois, au propriétaireBref : j'hésite et je crois devoir attendre
que tu décides (après avoir visité). Certes, il faudrait alors que tu viennes
vite et, en conséquence, prendre quelque temps une chambre d'hôtel quelque
part, tandis que je resterais rue Raffet, et j'incline de plus en plus à
trouver que ce dernier appartement n'est pas trop cher car lorsqu'il faut payer
7000 plus le chauffage pour trois vieilles chambres, plus le déménagement, Dieu
sait combien, l'installation électrique, le tapissier : de nouveaux papiers
muraux, car là-bas il n'existe rien, des rideaux, des placards, l'impôt qui est
de 5000, te non de 2000, etc. .On peut dire que 9000 pour la rue Raffet, ce
n'était guère excessif. Si seulement, on pouvait s'entendre avec Clauzel !
lundi, je lui enverrai la lettre contresignée par l'avoué.
À
présent, on trouve beaucoup de grands appartements, mais rarement de petits.
Je ne sais pas si Cogniat me donnera les 200 francs
vendredi matin (son jour de réception). Le mieux est que tu m'envoies un peu
d'argent. Ici, il fait très froid. As-tu du soleil ? Travailles-tu ? Dans la
Italia Letteraria a paru un grand article sur Chaplin et ma "célébrité internationale
". Et dans le dernier numéro, un superbe article de Carossa sur Rilke
Gemma
Luini, - tu te rappelles cette admiratrice de moi ? - veut écrire un livre sur
moi. J'en suis presque honteuse. Devant de telles manifestations d'admiration,
on se sent toujours si minuscule.
Je
continue à ne porter très bien corporellement et je deviens très gâtée. Aussi,
sois sans aucun souci en ce qui me concerne. Espérons que ton âme est
intérieurement aussi rose que la Casina l'est extérieurement.
En
grande tendresse
Ta
Zouzou
lettre
d'Ivan Goll Sori à Claire 19, rue Raffet, Paris du
13.10.35MST p. 185
Sori, le 13 octobre 1935
Dimanche matin
Petit Zou,
À l'instant même, la lettre express. Elle me ramène à des
pensées plus salubres . Vite la réponse :
Demi-
terme ou pas du tout.
Voici ce
qui plaide en faveur du demi-terme :
1) Si je
viens aussi à Paris, je peux habiter dans un hôtel quelconque. Je connais aussi
un sculpteur à Boulogne, tous près, qui loue 1 ou 2 chambres charmantes.
2)
J'arriverai probablement à la fin de la semaine, en particulier à cause de
Marie Bashkirtcheff. Je dois aussi aller à Nancy. Impossible de préciser
déjà le jour de mon arrivée, vu que je n'ai pas 1 centime, et que Daniel,
avant-hier seulement, m'a demandé 500 lires.
3)
Peut-être, tout de même, un chauffage à l'eau chaude ? Alors, cela durera
longtemps.
a)
Combien coûte l'installation ? 2 500 ?
b) Je
crains, en effet, que le chauffage au gaz soit follement coûteux ! Tes poêles,
le bain, la cuisine, 500 francs par mois, sûrement ! Par contre, le chauffage à
l'eau chaude pourrait servir en même temps le bain et la cuisine. Comment ?
Jadis, Hellessen avait à payer 500 francs de gaz. Non : le chauffage au gaz
est impossible.
Et tu ne
pourrais pas te décider pour un petit poêle à combustion continue, à
l'anthracite ?
Mais peut-être pourra-t-on reculer jusqu'à la
fin de la semaine toutes ces signatures de contrats ? Dis pourtant à Migeon que
je lui verserai volontiers de suite les 500 francs. Quel chiffre agréable !
Je vais
m'arranger pour arriver dans la matinée, et t'enverrai alors un pneu, pour que
nous nous rencontrions.
Je ne
comprends pas ta question au sujet de la banque de Londres : les 12.000 francs
= 180livres y sont placés. Il faut les laisser
dormir.
Aujourd'hui
je suis plus gai.
Je
voudrais envoyer cette lettre en express mais aucun courrier ne part avant
demain matin. Je vais la porter au chemin de fer et la donnerai à un voyageur
allant à Gênes. Espérons que ça ira.
Comme
c'est magnifique que tu sois si bien portante ! Magnifique.
Et
beaucoup de remerciements pour ton amour.
Ton
Ivan
À l'instant, deux exemplaires Paris-Soir Mais, 1,50 c'est
trop cher. Les David les rapportent toujours à présent de Rapallo, où leurs
parents séjournent.
Merci
encore
Carte
de Claire à Paris à Ivan Goll à Sori 13 octobre 35MST p. 186
Dimanche 13
Chéri,
Encore
une fois, j'ai passé l'après-midi à parcourir l'île Saint-Louis. Rien que des
appartements a 10, 12 ou 15.000. Finalement, je suis passée, sans être vue par
la concierge, dans la maison du Quai d'Anjou, dont l'appartement nous a
échappé. Les gens déménagent après-demain et ils m'ont fait visiter : deuxpièces et demie, tout y est ravissant et
remis à neuf par ces gens. Douche, waters, lavabo, délicieux.
J'avais le coeur très lourd. Pourquoi, à ce moment, ne
m'as-tu pas laissé partir ? Mais ils m'ont dit qu'à cause des déchargements sur
les quais, il y a plus de bruit sur le quai d'Anjou que sur le Quai aux Fleurs.
Là-dessus, j'ai été tourner plusieurs fois autour de notre future demeure. Elle
est joliment située et très appréciable, si seulement elle avait le chauffage
et une salle de bains. Il faut que tu viennes vite : éventuellement, un aller
retour, en troisième classe.
Momentanément je suis au
Napolitain avec Jacques Audiberti. Il me conseille l'appartement, mais
seulement si nous y faisons mettre le chauffage ; car le gaz est trop
malsain et trop coûteux, et sans chauffage, l’appartement est invivable
Tendrement
tienne
Zouzou
Lettre
d'Ivan Goll Sori à Claire 19, rue Raffet, Paris du
15.10.35MST p. 186/187/188
Sori,
15 octobre, 35
Mardi
matin
Ma chère Zou
Ta carte
etta lettre de dimanche arrivent à
l'instant, aussi vite que des express. Leur contenu coïncide tout à fait avec
celui de ma lettre de dimanche, que tu as reçue tout aussi rapidement, je
l'espère ? Je m'inquiète un peu, car je l'ai donnée à un inconnu, à la gare, à
dix heures, pour qu'il l'emporte à Gênes, et celui-ci a fait un salut très
fasciste. Il inspirait la confiance.
Dans
cette lettre, je répondais à presque toutes tes questions : nous sommes
d'accord pour trouver qu'il ne peut être question de chauffage au gaz je
comprends aussi ta peur du changement de logis et surtout ta crainte de
l'inconnu. Je redoute également pour toi les froides brumes nocturnes de la
Seine. Et si réellement cela nous donne tant de peine d'installer et
d'organiser quelque chose dont on est persuadé que ce n'est pas "pour la
vie", il y a de quoi s'inquiéter. Je le comprends bien.
Attends
donc jusqu'à mon retour. Je ne puis encore préciser exactement le jour : je
voudrais partir à la fin de la semaine, si l'argent arrive à temps. Dimanche,
je ne peux pas partir, car, - étant donné que le train quitte Gênes vers 4 ou 5
heures, je voudrais consacrer la journée (de 10 heures à 4 heures) à faire
là-bas des achats (Instant-Café, etc. et billets de chemin de fer). Je ne
pourrai donc partir que lundi, mais c'est le dernier délai ; je serais mardi
matin à Paris. Je t'attendrais pas exempt à 10 heures, au Café-Tabac de la
place du Trocadéro.
Ces deux
jours y compris le dimanche n'ont plus beaucoup d'importance. J'avais fait un
grand pas : j'ai commandé à Rapallo, sur les conseils de David, un costume
authentiquement anglais,dans une étoffe qui durera dix ans, tailleur de
première classe, 350 lires, le même qui à Paris me coûterait 1000 . Le tailleur
est un maître, un personnage d'Opéra ; quand je pense à la saleté que j'ai eue
à Paris pour le même prix sur les Boulevards, et que je vais revendre, je
l'aurai jeudi.
Mon
énervement à propos de Marie Bashk s'est quelque peu apaisé. Mais ce malheur a
aussi éteint mon enthousiasme pour une maison. Oui, avec les droits d'auteur
sur la pièce on aurait pu faire tout cela ! Hélas !
Peut-être
peux-tu encore d'ici mon retour regarder autour de toi, à Neuilly, ne serait-ce
que par curiosité. Fais un petit tour à droite et à gauche près,de la Seine, en
arrivant à gauche du Boulevard de Neuilly, on a construit là de magnifiques
maisons neuves .
Rends
donc une fois visite à Ophuls, Maillot 56-59, 10 rue Ernest Deloison, Neuilly .
Ce qui ne veut pas dire que nous abandonnons complètement l'idée du Quai aux
Fleurs . Mais, ne pas se fixer à tout prix.
À oui,
s'il y avait une entente sur la rue Raffet, est-ce que tu préférerais cela ? de
toute façon tu n'es pas à la rue . Nous avons trois mois. N'est-ce pas ?
Que
Gémina Luini ait envie d'écrire 1 livre sur toi, je trouve cela splendide et
plus que largement mérité...
Tu devras absolument l'y encourager. Grandiose !
Je te conseille aussi aller à la N R F : de là, tu
pourras consulter sans frais toutes les coupures de presse sur le
livre-Chaplin.
Et
ensuite, tu achètes les plus intéressants des journaux en question.
As-tu
reçu la lettre de Guttmann ? (*)
Sotte,
tu pourrais aussi bien aller lundi ou mardi chez Cogniat. ! préviens-le par
téléphone : ELY 93-64. Le jeudi seulement, il est à l'imprimerie.
Va
tranquillement voir Cocéa. De ce côté, il n'y a plus grand-chose à perdre, de
toute manière. Je ne crois pas qu'elle jouera cette pièce sinon, j'irai la voir
avec toi, mardi après-midi. Cela t'intéressera et nous n'y retourneront
tout de même jamais plus
La
traduction avance convenablement. Presque page 300. Le plus difficile est fait.
Ici aussi, il continue à pleuvoir. Plus question de la
mer ni du soleil. Mais les pentes sont toutes vertes, pleines de nouvelles
fleurs. Vraiment, un second printemps ! Pour cette terre-ci, l'été était pays
béni !
La
minestra a toujours bon goût. Et cela d'autant plus que je te sais
momentanément bien portante.
Je
te prends dans mes bras
Ivan
(*) Bernard Guttmann, écrivain et journaliste.
Correspondant du Frankfurter Allgemeinen Zeitung à Londres, Berlin et
Paris
Ivan rentre
à Paris le 22 octobre.
de novembre
1935 au 1er janvier 1936, il habitera dans la maison d'un ami sculpteur tout
près de Paris (Boulogne)
Claire habite 19, rue Raffet puis 19, rue
Copernic
lettre d'Audiberti à Claire du 2 novembre
1935
Liebessima Claire !
on me dit que vous
êtes malade. Etes-vous malade - malade ou seulement malade ?
Je veux dire,
est-ce grave, inquiétant, ou seulement - et fâcheusement, bien sûr - une
manifestation de votre coutumière fragilité ? Un mot pour me rassurer, je vous
prie. J'étais étonné de ne plus recevoir de vous quelque bleue petite lettre si
chaude au cœur.
Donnez-moi de vos bonnes nouvelles,
bien chère amie,
et sachez que je pense à
vous
Audiberti
SDdV Aa38 (187)- 510.299 III
lettre d'Audiberti à Claire du 12 novembre
1935 [mardi]
Chère amie,
bien que vous
soyez, à mon égard - non, je ne veux pas dire ce que vous êtes - je vous écrit
deux mots, pour vous dire que j'ai très mal dormi, moi chanteur de la solitude.
Rendez-moi deux services (vous allez dire non, n'est-ce pas ? C'est mon
habitude d'entendre qu'on me dite non). Indiquez-moi, si vous le pouvez, le
dispositif de double vitre dont vous m'avez parlé, et puis, ne montrez pas
cette lettre (je veux dire, celle que j'ai la faiblesse de vous remettre)
Je ne baise pas vos
mains.
Je ne vous dis rien
d'agréable
J
SDdV Aa39 (190)- 510.299 III
1936
1er janvier : Yvan
et Claire louent un logement 37, Quai d'Anjou
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 2
janvier 1936 ImsL p.387/388
Iwan
à traduire
* Ma mère part ce soir
Paula LudwigEhrwaldà Ivan à Parislettre du
2 janvier 1936 IsmL p.388 à 391
à traduire
carte d'Ivan Goll Paris
à Paula
Ludwig Ehrwald 3 janvier 1936
ImsL p.391
Ton
Iwan
à traduire
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 17
janvier 1936 ImsL p.392/393
Ton
Iwan
à traduire
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 23 janvier 1936 ImsL p.393
Paris,
Jeudi [23.1.1936]
Ton
Iwan
à traduire
carte d'Ivan Goll Paris
à Paula
Ludwig Ehrwald 29 janvier 1936
ImsL p.394
Paris,
mercredi
Ton
I.
à traduire
lettre d'Audiberti à Yvan Goll du 30
janvier 1936 [jeudi]
Cher Ivan Goll,
Je vous parlerai
de ce que vous me dîtes dans votre si belle, si juste lettre, quand bientôt,
j'irai vous voir, berger d'hexagones, ami de la Seine. Je suis bien fatigué par
la bronchite,bien fatigué par un
déménageur (" Nous, c'est moralement que nous déménageons…") Certes,
la révolution n'est pas finie. Elle commence (Quand je parlais de réaction, je
parlais d'un certain formalisme substitué à un certain manque de formalisme,
mais nous reparlerons de ces choses)
J'ai bien reçu les épreuves. Je vous
annonce tout de suite qu'il y a, sans compter la dernière, dont vous me dites
qu'elle est à la composition, encore deux ou trois strophes à rajouter. Je vous
les enverrai insérées à leur place exacte dans le poème.
(Vous pensiez bien, n'est-ce pas ?
qu'il était loin d'être fini)
Bien cordialement
l'amen, cher oiseleur de fumées qui savent où elles vont, o l'auteur de
Thanatos en pleine course, que j'aime tant
Audiberti
SDdV Aa40 (194)- 510.299 III
lettre d'Audiberti à Yvan Goll du 1er
février 1936 [samedi]
Cher Ivan Goll,
et voici la
catastrophe. Ecoutez, je ne pouvais laisser le poème tel quel…
Ce n'était rien, rien qu'un thème, un
tremplin. Il part, maintenant, il est parti. Il se compose donc de 15 strophes
que voici, plus celle que vous avez entre les mains (ou dans un tiroir ou dans
un vieux soulier). Je me rends bien compte que c'est tout un nouveau travail
pour l'imprimeur, et un retard pour la revue. Mais je ne pouvais pas faire
autrement. Je suis bien certain, d'ailleurs, que vous aimerez beaucoup plus
cette présente version.
Je serais très content d'avoir de nouvelles
épreuves, non pour les chambouler encore, mais dans l'intérêt de Jeune Europe,
de la poésie et du mien.
Je vous serre très cordialement la
main, Ivan Goll, et vous prie de m'excuser mille fois
SDdV Aa41 (194)- 510.299 III
Les Nouvelles littéraires n° 694, 1er Février 1936. Direct. Maurice
Martin du Gard.
Ivan Goll : La Chanson de Jean sans Terre
carte d'Ivan Goll Paris
à Paula
Ludwig Ehrwald 1 février 1936
ImsL p.394
Paris,
samedi soir
Ton
I.
à traduire
Pneumatique de Claireà Ivan Goll à
Paris 3 février 1936MST p.188/189
Lundi 11h30
[3.2.36,19, rue Copernic]
Chéri
Je me suis rendue libre
pour toi ce soir et je t’attends donc chez moi à 8 heures et demie. S'il te plaît, apporte une grande de faim, et aussi l'autre
coquillage, mais sans Vénus !
Je
voudrais vivre encore une fois la belle indécision d'hier.
La
dernière page de la nouvelle est peut-être terminée ?
Un salut
à la blanche feuille de trèfle, de la part de celle qui t'est tendrement
dévouée,
Suzu
lettre d'Audiberti à Yvan Goll du 4 février
1936
[
4.2.36] ?
Cher Ivan Goll,
encore tout charmé de cette heure (plutôt deux
qu'une) au bord de la Seine, je vous
envoie ce petit
souvenir. Si vous avez une gomme, passez la sur le crayon. Merci.
Et bien
cordialement
SDdV Aa40 (198)- 510.299 III
Du 5 février au 25
mars, Yvan vit chez Paula Ludwig à Ehrwald
lettre
d'Ivan Goll, Landeck à Claire 19, rue Copernic Paris du 06.02.1936MST p.189
Landeck,
6.2.1936
12h
(11h en France)
L. Z.
[Chère Zouzou]
Je
viens à l’instant même d’arriver à la gare de la vallée. Départ retardé :
toute la nuit allongé, endormi. Presque comme un wagon-lit.Peu de passagers. Hier ! une heure
d’arrêt : je ledécouvre municipal,
bizarre.Et il me vient à l’esprit que
j’ai naturellement oublié le plus important, mon complet de sport
habituel : il est plus important que mon pantalon de Golf : s’il te
plaît, envoie-le moi tout de suite comme échantillon sans valeur. Ce ne fera
pas un paquet volumineux. Je peux me passer de la veste .Envoie-moi aussi s’il
te plaît. les longues chaussettes blanches que tu trouveras dans ma nouvelle
armoire.. Merci.
Je pensais très fort à toi et à tes
grands yeux dans le bleu de la nuit de la pleine lune, mais ils ne doivent pas
pleurer, n’est-ce pas ?
Si
j’en ai encore le temps, je m’occuperai aussi de l’étoffe.
Ivan
Goll Ehrwald/Tyrol à Claire
37, Quai d'Anjou Paris du
08.02.1936MST p.189/190
Ehrwald,
8.2.1936
Chère
Zou,
Après un jour de neige et de tempête, le soleil le plus
merveilleux rayonne aujourd'hui de toutes parts : nous avons même pu ce matin,
prendre le petit déjeuner sur le balcon. Paula dit que sous ce soleil de
février, on brunit vite, parce qu'en cette saison, les rayons ultraviolets sont
plus actifs ; quel dommage, petite Zuzu, que tu ne puisses prendre ta part de
cet air et de ce soleil, et de cette abondance de lait et de ces montagnes de
beurre : pourquoi faut-il toujours que chacun de nous soit heureux à sa
manière, et n'ait pas le droit de partager avec l'autre, comme il le voudrait,
ses jours de bonheur. Et pourtant, ces
expériences n'existeraient pas, si chacun n'avait justement conquis pour
lui-même et à sa manière d'autres univers humains, d'autres fragments de la
planète.
Ainsi que l'enrichissement et l'achèvement
soient pleinement accordés à chaque partie de notre alliance amicale. C'est là
l'avantage que présente notre philosophie de la liberté, sur la morale
bourgeoise de la persistance, qui, elle aussi, a certains avantages.
Je ne me suis pas encore risqué à
faire du sport. Mais j'essaierai bientôt les skis de Friedl.Nous ferons aussi
de la luge.
Ehrwald est paisiblement enneigé et
abandonné. Ici, personne ne s'occupe de ses semblables. A l'hôtel, il y a
quelques françaises qui sont très courtisées.
J'ai oublié tout ce qui est
important : pour travailler à la maison, ma robe de chambre rouge me manque. Ne
pourrais-tu, s'il-te-plaît, me l'expédier vite ? j'espère que cela ne te
causera pas trop de travail. A part cela, comment vas-tu ? Comment tes visites
se sont-elles passées ?
Tendrement
Mignon
Ivan
Goll Ehrwald à ClaireParis du
10.02.1936MST p.190/191
10.2.1936
Lundi
soir
Chère
petite Suzu[Ehrwald]
Il faut que je te renseigne plus en
détail sur cette belle existence que je mène à Ehrwald. Hier et avant-hier,
nous avons eu deux magnifiques journées de soleil. Dès 9 heures du matin, le
soleil flambait au-dessus des montagnes neigeuses. Le ciel était d'un mauve
joyeux, jamais vu encore. Et dans les endroits abrités, le soleil était si
chaud qu'on pouvait s'y exposer tout nu. Mais il paraît que de semblables
journées sont rares en février : en mars, par contre, elles sont très
fréquentes. On affirme que je suis déjà bruni.
Et maintenant, j'apprends réellement
à faire du ski. Tout d'abord, j'ai hérité des skis et du costume de skieur de
Friedl. Je t'enverrai bientôt une photo de mon coquet équipement.
Les
guides de montagne et skieurs, Mertl et Lucki, sont les meilleurs compagnons de
beuverie de Paula, pendant ses mois de solitude. Ils restent assis longuement
dans le "Gasthaus in Stern" pour boire un bock. Mertl nous donne
quelques cours de skis : quand j'aurai bien appris dans la colline en pente
douce, je pourrai plus tard faire des tours avec eux. Mais, j'en suis encore
loin. Sur la colline d'essai, il n'y a pas le moindre danger. D'ailleurs, il
faut attendre que la neige soit favorable.
Personne ne devinerait qu'on est si
près de Garmisch. Comme je l'ai déjà dit, personne ne s'occupe de ce qui se
passe là-bas. C'est la vie silencieuse d'un village autrichien, sans la moindre
nuance politique.
Naturellement, Paula m'a reçu tout à
fait solennellement. On avait retardé l'arbre de Noël jusqu'au jour de mon
arrivée (il était plus frais que le nôtre !) Et, nous nous sommes faits des
cadeaux. Ta veste verte a produit une grande impression. Le coquillage rose a
ététrès bienvenu: nous avons feuilleté
un manuel illustré et nous avons trouvé son image : il s'appelle "oreille
de Diane".
Je suis heureux que tu aies passé
quelques bonnes soirées. Ne te laisse surtout pas envahir par le spleen.
Après quelques journées consacrées à
la joie du ski, je me mettrai à finir la traduction de César.
Comment marche ta Nouvelle ? As-tu
été chez Elie Richard ?
De
temps en temps, tu pourras m'envoyer "Paris-Soir". Ici, le papier est
très apprécié (pour le chauffage). Et les journaux allemands sont mauvais et
coûteux.
Je suis seulement peiné que tu
m'aies expédié le costume de sport complet : si cette lettre n'arrive pas trop
tard, laisse la robe de chambre tranquillement pendue à son cintre. Entre
temps, j'ai su m'organiser.
Avec mon plus tendre souvenir,
Ton
Iwan
Ivan
Goll Ehrwald à Claire 19, rue
Copernic Paris du 13.02.1936MST p.192
Ehrwald
Jeudi
13.2.1936
Chère petite Suzu
Merci pour cette triste petite
lettre bleue qui me remplit de mélancolie, comme toujours, et pour le reste du
courrier
Il semble que Shermann soit devenu
fou. S'il te plaît, mets dans une boîte aux lettres la missive ci-incluse à son
client. Pour le tranquilliser, je lui ai écrit que tu me représentes à Paris.
Laisse paisiblement déferler sur toi sa correspondance. Satisfais peut-être à
l'une ou l'autre de ses petites demandes. Quand il viendra à Paris, tu pourras
peut-être, tout de même, entreprendre avec lui quelque chose qui rapporte de
l'argent. Mais ne lui révèle surtout pas le nom du journal n qui m'a écrit à
cause de lui : dis que je ne t'en ai rien raconté.
Merveilleux temps ensoleillé.
Aujourd'hui, bain de soleil tout l'après-midi sur l'Alm (1800m). Puis, descente
vertigineuse en ski, non sans peine, il est vrai.
Je lis un livre merveilleux :
"Schau heimwärts Engel" ! de Thomas Wolfe, un jeune américain. Edité
par Rowolt. Si tu peux l'emprunter dans une librairie amie… Toute l'Amérique y
est :psychologie balzacienne, plus le style de Joyce, qui est continuellement
dompté
Je pense tendrement à toi.
Iwan
Ivan
Goll Ehrwald à Claire 37,
Quai d'Anjou Paris du 18.02.1936MST p.192/193
Ehrwald,
18.2.1936
Chère
Zou,
Aujourd'hui, je t'envoie un nouveau
poème de la Seine [1], pour te
prouver que je ne vis pas seulement à Ehrwald, mais aussi, par instants, à
Paris, Quai d'Anjou, en ta délicate présence. J'ai écrit cette chanson ce matin
au réveil, d'un seul trait, et je crois, à vrai dire, qu'elle est bonne, bien
que je n'aie pas encore le recul nécessaire.
Depuis avant-hier souffle le foehn
et la neige est rapidement devenue mauvaise. Il fait, à nouveau un temps tiède.
Cependant, on attend une nouvelle neige (?). Le costume de sport que tu m'as
envoyé me rend à présent les meilleurs services. Et la robe de chambre est
arrivée à l'instant, en sorte que j'aurai maintenant de confortables matinées
de travail. Merci, merci beaucoup.
N'es-tu pas seule ? pas trop triste
? J'ai vu Dans la National Zeitung ta fameuse histoire de Jeanne. Comme elle
est merveilleusement réussie !
Je t'embrasse
bien tendrement.
Iwan
Ivan Goll Ehrwald
à Claire Paris, Quai d'Anjoudu 19.02.1936MST p.193/194
Ehrwald
19.2.1936
[mercredi]
Chère
petite Zouzou,
Ce matin, la carte postale, si
triste exprimant ton abandon. Et pourtant, que je t'ai écrit de choses ! Et
j'avais l'impression qu'il y avait une déficience dans les communications postales.
Dès samedi, je l'ai senti…
Laisse-moi récapituler :
Le vendredi 14.2. je t'ai expédié
une longue lettre à Copernic, avec une lettre à Daniel et une à un client de
Shermann. Régulièrement, tu aurais du la recevoir dimanche matin.
Samedi 15.2. une carte postale sur
laquelle je te confirmais (également à Copernic) la réception du costume de
sport, ainsi que la lettre du vendredi, qui t'annonçait qu'une lettre du lundi
précédent t'attendait au bureau de poste Victor Hugo.
Mardi 18/2, j'ai envoyé une carte à
Copernic, qui t'annonçait simplement que le même jour :
Mardi 18/2, une lettre épaisse
t'était adressée à Victor Hugo, avec une lettre pour Daniel et un poème: Chanson des pêcheurs et des goujons.
Tu vois donc que je ne t'oubliais
pas, au contraire, j'étais encouragé par ta pensée et passionnément uni à toi.
Redoutant que du courrierse soit réellement perdu, j'adresse cette
lettre Quai d'Anjou.
Elle contient un nouveau poème :
"Chanson des grues", dans laquelle je développe mon expérience au
bord de la seine. Cela formera un cycle avec la "Chanson sur les
Ponts" et d'autresIl s'intitulera
" Chanson de la Seine". Mais je n'ai aucune idée de ce que vaut ce
nouveau poème. Je te l'envoie seulement pour rester en contact chaleureux avec
toi. Pardonne si c'est manqué. Par ailleurs, j'attends que tu me fasses une
critique détaillée, aussi bien de la Chanson d'aujourd'hui que celle d'hier.
En
tout amour
Ton
Iwan
Ivan
Goll Ehrwald à ClaireParis du
20.02.1936MST p.194/195
Ehrwald
20.2.1936
Chère
petite Zou petite soeur,
Ta
lettre de mardi a balayé mon inquiétude. A présent, tu ne te plaindras plus de
la rareté de mes lettres. Je t'inonde maintenant, à proprement parler, de ces
feuilles vertes d'hiver. Mais je ne sais toujours pas exactement à laquelle des
3 adresses je ferais le mieux de les envoyer. Tu sembles ne pas aller très
volontiers à la poste Victor Hugo.
Je continue à travailler ferme au
cycle de la Seine. Preuve, ce troisième poème, qui n'est en réalité pas
nouveau, mais une fusion de deux précédents, celui "Sur les Ponts" et
un que tu ne connais pas. Comment te plaira-t-il ? Il y a deux versions.
Laquelle prendre ?Aujourd'hui déjà,
celui d'hier "Les Grues" me semble t'avoir été expédié prématurément.
C'(est certainement le plus faible des trois. Je voulais fusionner en une
vision les 3 concepts "grues" : oiseau, mécanique, putain. Entreprise
peut-être impossible.
Cette histoire de la note
d'électricité m'irrite. J'espère qu'elle n'a pas provoqué la mauvaise humeur de
la concierge ? Tu as bien fait de payer les 20 Frs.
A présent, c'est la note du Gaz qui
arrivera ces jours-ci. Environ 95 Frs. S'il te plaît, paye la de suite avec
l'argent du 1er mars. De plus, je voudrais te prier de donner 10 francs à la
concierge. Cela suffit.Après
que tu auras souscrit de l'argent de mars ta part et le montant du gaz, je te
prie de m'envoyer le reste. Ce sera très maigre. Jusqu'à présent, je continue à
jongler avec les 250 francs que j'ai emportés. Paula fait très bien la cuisine.
Aujourd'hui, il y a un énorme chou-rouge avec du lard, qui suffira pour 2
jours. Le dimanche, nous sommes régulièrement invités chez une amie riche.
J'ai pris très à cœur tes désirs de
tissus.
Magnifique, que tu aies découvert
pour toi la piscine Molitor. Cela te procurera un renouveau de force vitale.
Quand il fait beau, tu devrais t'y rendre à pied.
Ici aussi, tout est devenu
printanier. Ci-joint la première petite fleur qui s'est épanouie sous la neige.
Ton
tendre
Iwan
Ci-inclus,
je t'envoie aussi la déclaration d'impôts. Je n'ai déclaré que ce que nous
gagnons en réalité, afin qu'on nous respecte. Mais il faut que tu te renseignes
auprès de la concierge sur l'adresse de notre nouveau Contrôleur des
Contributions directes de Paris IV.
Cependant,
expédie toi-même la déclaration : elle n'a pas besoin d'y jeter les yeux
Ivan
Goll Ehrwald à ClaireParis du
22.02.1936MST p.195
Ehrwald
22.2.1936
Chère
petite Zou,
Merci pour ta lettre de jeudi. Comme
je suis heureux que tu déclares valable la "Chanson des goujons". Tu
me donnes du courage. A présent, les autres.
La critique du "Mercure de
France" m'a amusé.
Sur la carte de Flouquet, j'ai
aussitôt rédigé ma réponse à l'enquête : la voici, adressée à Pulings, l'enquêteur.
Mets-la dans une boîte aux lettres. Flouquet sera trop jaloux s'il apprend que
je suis dans le Tyrol. L'autre fois, il s'est fort excité au sujet de mon
voyage en Italie : et je ne puis payer l'édition ?
Ah ! comme cela m'accable, que tu
continues à être si malade !
Va
donc vite, je t'en prie, chez ce médecin allemand qu'on t'a recommandé de
plusieurs côtés : même si tu n'as pas confiance, il faut tout essayer. Et son
influence psychique peut avoir de bons effets. Il paraît que c'est un type si
consolant.
Je pense à toi, plein de douleur et
d'amour.
I.
Ivan
Goll Ehrwald à ClaireParis du
23.02.1936MST p.196
Ehrwald
23.2.1936
Chère
petite sœur,
Ta
tristesse persistante à laquelle s'ajoute ta faiblesse corporelle me donnent un
grand souci. Je t'entends pleurer dans les nuits. Je voudrais tellement te
venir en aide. Tu es dégoûtée de tous les médecins. Je me demande si peut-être
l'influence de ce sage et bon Jean Boos ne te ferait pas du bien. Ecris-lui que
tu veux le voir. 17, rue Lévis, Paris XVII. Mais sois prudente.
Sassia, qui était autrefois si
généreuse, est devenue très jalouse à la suite de nombreuses désillusions. A
présent, je ne sais pas du tout si elle est encore en voyage : Alger-Le Caire,
etc.... Depuis Noël, je n'ai pas entendu parler d'elle. Mais tu peux écrire à
Boos, que tu as besoin de le voir, en mon nom, à cause de Shermann, auquel il
s'intéresse démesurément. Et comme celui-ci viendra prochainement à Paris, tu
peux lui proposer de les réunir : dis-lui que je suis au Tyrol, etc...
Après les 3 chansons, une pause
subite s'est faite dans mon travail.
Cette nuit, il a beaucoup plu ici et
s'en ai fini momentanément des excursions à ski, etc. Par contre, nous avons eu
quelques soirées de carnaval très animées, comme elles ne sont possibles qu'en
Autriche. Il y a eu, presque tous les 2 jours, un bal masqué, une fois au
"Gasthaus von Stern"[Auberge
de l'Etoile], puis au "Grüner Baum" [
L'Arbre Vert ].
Tu sais que j'ai écrit quelque chose
sur les déguisements et masques tyroliens, si dramatiques. Mes amies ont
l'usage de se déguiser et se masquer ; ensuite elles se cachent et se cherchent
l'une l'autre. J'ai participé à ce jeu. Un soir, j'étais costumé en vieille
femme, avec tous les accessoires : jupon, jupe, châle, jabot de dentelle,
chapeau, sac à main, parapluie, bas, gants : tout m'allait et c'était criant de
vérité. Les gens du village se prêtent les uns aux autres toute leur
garde-robe. Personne ne m'a reconnu. C'était charmant.
Mais à partir du Mercredi des
Cendres, Ehrwald redeviendra un petit trou silencieux et endormi.
J'espère recevoir bientôt de
meilleures nouvelles de toi et je reste
celui qui t'aime toujours
Iwan
Ivan
Goll Ehrwald à ClaireParis du
26.02.1936MST p.197/198
Ehrwald
26 février 1936
Chère
petite sœur,
Tes lettres sont de plus en plus
tristes et mon cœur de plus en plus battant. Tu ne dois pas t'abandonner à des
pensées si sombres. Tu dois t'adonner aux forces de la confiance. Le printemps
est proche et le Portugal nous fait signe...
As-tu été chez le docteur ? Et as-tu
écrit à Boos ?
En ce moment, je suis dans une bonne
"passe" de travail, comme on dit ici. En dépit du ski et du carnaval.
L'atmosphère poétique est favorable.
Aussi, je continue à écrire des poèmes, même
alors qu'ils ne sont pas toujours réussis. Pourquoi déconseilles-tu les
chansons populaires, alors que sur les 3 chansons, 2 t'ont bien plu ? (il
m'intéresserait, en outre, de savoir pourquoi la 1ère version de
"Pont-Marie" t'a séduite et pas la 2ème. Dans quelle mesure la
première est plus forte ?)
A présent, voici un nouveau chant de
"Jean sans Terre". Je suis absolument incertain de sa valeur. C'est toi
qui décideras. Je crois que toute une série de chants analogues (Jean sans Terre
au Ghetto, etc., etc.) pourrait constituer un bon cycle ? Tu remarqueras que ce
nouveau chant a un rythme beaucoup plus strict que le premier. Je me laisse
maintenant, très volontiers, séduire par la forme, qui n'est, à vrai dire,
qu'une femme coquette, mais qui enflamme fort le poète.
Mais peut-être cette Chanson du
Pont, par laquelle je voudrais en finir avec le motif du pont, n'est-elle bonne
qu'à jeter au fumier ? Je m'y attends.
Merci pour les autres développements
de tes lettres. Mais j'ai dû sourire du trait rouge dont tu as souligné
l'information, qu'une des poésies publiées dans "Les Cahiers du Sud"
portait en dédicace le nom de Thérèse Aubray. Voici l'explication. Tu pourras
lire sur la première page de la revue que Th. A. fait partie du comité de
rédaction. Or, tu sais que, dans le volume, une poésie lui est dédiée *. Elle
m'a prié de lui laisser choisir les textes à reproduire dans la revue. Pourquoi
pas ? elle a choisi justement le poème qui lui était dédié. Sinon, jamais un de
mes poèmes n'aurait paru là-bas, peut-être. C qui, d'ailleurs, ne serait pas un
malheur. Mais...
Plus d'argent pour le port d'un
exemplaire ? Pauvre malheureuse !
Mais à
la fin de cette semaine, arrivera le chèque violet de Nice.
Prends
pour toi, comme je te l'ai dit, ta part, paie le gaz et l'électricité, et
adresse-moi le reste. Donne-au concierge 20 Frs. Car le 15 avril approche.
Je te serre sur mon
cœur,
Yvan
"Le
septuple Tour" : il y a dans le 1. poème:
Il
fait sept fois
Le
tour de la terre
[ Jean
sans Terre sur le Pont ]
*Les
Veuves, 31 ème poème du "Métro de la Mort".
24 février, premier poème de Jean sans
Terre : J.s.T. fait 7 fois le tour de la terre
3 mars : 2 autres dont Dom Juan sans Terre
et sans femme
Ivan
Goll Ehrwald à ClaireParis du
4.03.1936MST p.198
Ehrwald, 4 mars [1936]
Chère petite Zou,
Tes
lettres se font plus rares. Ta dernière paraissait avoir été retardée, car elle
m'annonçait l'arrivée des fruits confits de Nice, alors que déjà on
s'inquiétait d'eux par télégramme. Comment as-tu pu attendre si longtemps pour
me les annoncer ? Je n'avais pas encore rédigé ma lettre de remerciements, car
je ne pouvais pas non plus supposer que ma mère enverrait déjà l'argent le
lundi 24 ! Sans doute sur tes instances. Et celle qui t'était adressée devait
provoquer une confusion complète ! J'avoue que ce fut le cas aussi dans mon
esprit. Je ne sais plus du tout quand et quoi je dois écrire.
Crois-tu
que la carte d'anniversaire pour le 6 mars aura remis tout en ordre ?
J'espère
que tu as, au moins écrit pour arranger cela.
Voici encore un chant de "Jean
sans Terre".
Sans
doute, tu m'adresses des louanges pour le premier, mais elles ne sont pas très
convaincues. S'il te plaît, dis-moi exactement ce que tu penses des 3 poèmes,
et si je ne m'expose pas, dans ces eaux, à un danger réel. Tu t'exprimes trop
peu, et tu n'es pas assez attentive aux vers. Est-ce qu'ils ne t'intéressent
pas ? Ou désires-tu ne pas me désillusionner ?
J'ai été
très heureux d'apprendre que tu vas mieux, et qu'en outre, tu as été bien
soignée.
Ton état
moral semble aussi être redevenu plus ensoleillé.
Ici le
foehn souffle à travers la maison et le cœur.
Qu'il
porte mon baiser jusqu'à toi.
Yvan
Merci pour Paris-Soir
Ivan
Goll Ehrwald à Claire 19, rue
Copernic, Paris du 06.03.1936MST p.199/200
Ehrwald,
6 mars [1936]
Chère
petite Zouzou,
Encore aujourd'hui, pas de lettre de
toi.
La communication avec Nice-Nancy est
complètement interrompue. C'est grave. Comme je te l'ai dit, tu ne m'as jamais
fait savoir si les fruits confits étaient arrivés. Aujourd'hui, je ne sais pas
s'ils sont encore dans le Midi ou non. Que dois-je écrire ?
Voici, peu à peu, un nouveau Chant
de "Jean sans Terre". Si je t'ai priée, dans ma dernière lettre, de
discuter ces poèmes avec moi, à fond, c'est parce que j'ai réellement besoin
d'une directive. Tu auras sans doute remarqué que ce thème lyrique se développe
lentement en une œuvre assez grande, dans laquelle je voudrais dire tout ce
qu'on peut dire à un homme d'aujourd'hui. Je reprends et rassemble en un tout
les contenus de centaines de petites poésies éparpillées que je n'ai jamais
achevées, et je cherche à leur donner une forme définitive.
Bizarre, peut-être : la forme rigide
m’est extraordinairement utile et ne me freine à aucun moment, mes idées sont
aussi libres et facilesà exprimer que
précédemment dans le vers libre. Je voudrais apprendre de toi si je ne me
trompe pas. Je t'en prie, donne-toi cette peine et soumets le tout à une
réflexion sérieuse.
Il n'est
pas encore nécessaire de montrer ces Chants à d'autres, tels qu'Audiberti,
etc.. Je te prie de n'en rien faire.
Je continue à travailler.
Finalement, qu'est-ce que ça peut faire, même si je me trompe ? La neige
et le soleil ne me détournent guère de mon chemin.
Tendrement
ton
I.
J'envoie cette lettre rue Copernic,
car il me semble que tu vas maintenant plus rarement Quai d'Anjou.
Tes corrections sont-elles arrivées
de Bruxelles ?
As-tu envoyé ma lettre aux Döblin ?
Je n'ai pas reçu le numéro des
Cahiers du Sud.
N'envoie Paris-Soir que lorsqu'il
s'y trouvera quelque chose d'important, pas régulièrement : le port est si
coûteux.
Reçu les 131 schilling : et avec ça,
je dois tenir pendant 31 jours ! ici ou là !
Je donne à présent des leçons de
français à une dame : à 3 schilling. De quoi payer mes cigarettes.
A l'instant je trouve à la poste la
lettre ci-incluse de Jahr-Salzburg, avec échantillon.
En effet, je ne suis pas passé par
Innsbrück, car je me suis arrêté à Landeck, où le train arrive une heure avant,
et d'où un autobus conduit maintenant à Ehrwald.
Rien que le voyage jusqu'à Innsbrück
coûterait 25 schilling.
Réponds, s'il te plaît, et renvoie
la lettre et l'échantillon.
(Les
boutons ne sont pas encore arrivés à ce jour).
Ivan
Goll Ehrwald à Claire 37,
Quai d'Anjou Paris du 7.03.1936MST p.200/201
Ehrwald,
7 mars [1936]
Chère
Zou,
Encore une journée sans lettre.
A présent, tu inaugures la lettre
hebdomadaire. Bon. Je me suis seulement énervé à cause de Nancy, etfinalement, aujourd'hui, dernier délai, j'ai
rédigé une lettre au petit bonheur. S'il te plaît, lis-la exactement, ce
que tu ne fais pas toujours. Je crois que Daniel commence à être très méfiant,
et si tu trouves une faute quelconque dans cette lettre, ne l'expédie pas.
Mais, fais-moi savoir aussitôt en quel sens je dois écrire.
Malheureuse
:un nouveau Chant de Jean sans
Terre te choit aujourd'hui sur la tête ! Peux-tu te représenter ce
qu’aurait été notre petit univers si depuis vingt ans j’avais fait des poèmes
sous cette forme ? Peut-être alors te serais-tu détournée de moi beaucoup
plus tôt.
Mais ne t'endors pas, ne baille pas. Malgré ce ronron, tu
trouveras, de-ci de-là une pensée bien construite et une strophe pleine de
sens. Heine a bien écrit « Deutschland » de cette manière. Et tous
les autres. Tout dépend de la construction et du sens - de cela, je suis de
plus en plus conscient.
Surtout
ne crains pas que le public s’ennuie : tel est lesecret d'œuvres plus secrètes. En outre cela
ne va pas continuer longtemps de la sorte. Il y aura probablement 7 Chants en
tout, sur lesquels tu en possèdes 5. Et je sais dès à présent que certaines des
strophes devront être rayées ou changées ou remplacées, parce qu'on les a
dactylographiées trop tôt.
Je pense
que tu me feras savoir comment tu vas.
Ton
Iwan
Les
boutons d'argent t'ont été expédiés ce matin
Ivan
Goll Ehrwald à Claire 37,
Quai d'Anjou Paris du 11.03.1936MST p.201/202/203
Ehrwald,
11 mars 36
Chère
petite sœur,
Merci pour tes lettres de vendredi
et de lundi, entre lesquelles il est survenu un si grave événement historique [2].
Il est d'une très grande portée, mais il
ne conduira pas à la guerre! Encore une fois, la réaction des gouvernements
occidentaux sera tiède, bien trop tiède : on le remarque déjà à l'attitude de
l'Angleterre .On écoute Hitler, on pèse ses paroles : on réfléchit ! au lieu
d'ordonner aussitôt, avec une énergie de fer : "Halte-là ! Cette fois, non
! Arrière ou…",Mais devant ce
"ou", tout le monde a peur, et il est pénible de lire que même le
ministre français de la guerre apaise le pays, cherche à expliquer que
l'occupation de quelques forteresses à l'Est était prévue de toute manière.
Encore une fois, ce tour de Hitler paraît presque réussi. Il ne lui arrivera
rien. Il a eu raison !
Ainsi
donc, les choses n'en sont pas encore arrivées assez loin pour qu'on
s'inquiète. Je suis attentivement le déroulement de la situation. on négociera
de nouveau - ce qui était démilitarisé sera remilitarisé. Ça dure ainsi depuis
15 ans - jusqu'à ce que ça explose. Mais sans crier gare. Quand ça lui
plaira. Les démocrates sont bien trop convenables pour pouvoir s'entendre avec
des démons.
Je crois que nous pouvons continuer,
encore un bout de temps, encore un bout de temps à faire des poèmes. Plus très
longtemps. Mais juste assez longtemps pour qu'on ait vidé son cœur. Après nous
le déluge. Tu as tort de croire qu'on n'a pas le droit de se contempler dans un
miroir : qu'y a-t-il de mieux à faire, je te prie ? Je veux dire : de mieux,
qu'écrire des poèmes comme "Jean sans Terre" ? Je te suis très
reconnaissant de ta critique ; mais cette fois, elle ne me persuade pas et,
Dieu merci, ne me décourage pas non plus. Je veux continuer à rimer aussi
longtemps que ça ira : et voir ensuite, après deux mois de rafraîchissement, ce
que vaut le vin. Il me semble malgré tout que la forme me fournit un grand
appui et une économie des moyens de composition. Que reste-t-il alors de toutes
ces choses sans forme que j'ai créées antérieurement, et les années précédentes
? Toujours, j'avais devant les yeux une grande composition poétique compacte,
et toujours tout se dissolvait, parce que je n'avais pas trouvé de forme.
Ne plaisante pas sur ce vers court.
C'est une lame difficile à manier. Autant que je puisse m'en souvenir, cette
strophe brève et rimée a souvent été employée dans les oeuvres classiques
étrangères, comme par exemple le romancero espagnol, et - je te l'ai déjà dit -
dans les longues compositions de Heine. Ou devrais-je peut-être choisir
l'alexandrin ? Jamais !
En admettant que, de ci de la, une
strophe puisse être raturée, par exemple l'espagnole -Et puis après …il subsiste tout de même
quelques valeurs poétiques. Donc je continue, jusqu'à ce que je ne puisse plus.
Et cela pourrait bien arriver assez tôt.
Je sens mes forces m'abandonner.
Mais je ne voudrais pas fixer une date d'avance pour mon départ d'ici.
Il faut aussi qu'à ce moment, la
traduction de César soit terminée. Il y a une chose que tu devrais, tout de
même, me concéder : c'est que j'ai travaillé beaucoup et avec acharnement, et
que ce n'est certainement pas du temps perdu.
Chanson des Goujons et Chanson du
Pont-Marie paraissent déjà prochainement dans un tirage à part des Quatre
Chemins.
Hier, un jour après leur réception,
je t'ai envoyé les feuilles corrigées de "Métro", avec la prière de
les faire suivre aussitôt à Bruxelles. Merci bien. Ainsi, à mon retour, j'aurai
à m'acquitterd'un joli service de
presse.
S'il te plaît, ne prends pas trop au
sérieux la lettre du Dr. Mayer. L'homme et la lettre sont beaucoup plus
inoffensifs que tu ne crois. Mais le "Don Juan sans Terre et sans
Femme" doit t'irriter fortement. Je lui envoie une carte illustrée d'ici
et je lui dis que j'aimerais bien mieux aller bientôt au Portugal qu'à
Boulogne.
Ci-inclus,
une lettre de Shermann, arrivée aujourd'hui. Il sera à Paris vendredi soir,
comme tu peux le voir. Il ne faut pas que je le laisse tomber, il est le seul
espoir qui me reste de gagner quelque argent. S'il te plaît, remplace-moi
sérieusement auprès de lui, jusqu'à mon retour. Tu peux faire cela pour moi.
Sinon, où serait la fraternité ? Je t'en prie, cultive-le soigneusement pendant
quelques jours. Téléphone-lui samedi matin dès 9 heures, et dis-lui que tu veux
le voir en mon nom. Vous pourrez déjeuner ensemble, dimanche. Tu peux lui dire
aussi le nom du journal qui veut entreprendrequelque chose avec nous : c'est Philippe Soupault qui est
maintenant le rédacteur d'Excelsior (Petit Parisien, rue d'Enghien). Téléphone
aussi, samedi matin à Soupault et va ensuite le voir, éventuellement, avec
Shermann. Une conversation avec Soupault t'intéressera certainement, en même
temps.
Par ailleurs, je crois que Shermann,
pour le début, sera un peu ladre, jusqu'à ce qu'il ait repris pied. Si tu ne
lui téléphones pas, il nous échappera. Drach, qui est sans situation en ce
moment, va vouloir le tirer à lui.
Et voici une nouvelle lettre à mes
parents. Quand leur as-tu envoyé la précédente (de samedi) ? Pas trop tard,
j'espère. La chute des rentes de lundi est une belle histoire. Hélas, hélas,
mes prévisions se réalisent …
Comme je me réjouis de ta meilleure
santé corporelle ! De ton Philipp, de tes perce-neige, de tes soirées chez
Deharme et Desnos.
Avant-hier, je suis descendu sur mes
skis de la Stugspitze : excursion divinement belle, diablement fatigante. Tout
s'est bien passé.
Aujourd'hui, c'est de nouveau le
printemps ici, et je t'envoie un petit zéphyr-baiser.
Iwan
J'écris
à Salzbourg. As-tu reçu les boutons, as-tu choisi, et m'as-tu réexpédié le lot
?
Ci-inclus,
les formulaires remplis : porte-les de préférence toi-même au bureau
(renseigne-toi pour savoir où), la concierge n'a pas besoin de jeter un regard
sur notre âge, notre origine, etc.
lettre d'Audiberti à Yvan Goll du 14 mars
1936 ***
mon cher Ivan Goll,
Vos vers me
paraissent très significatifs de cette maladie que je vous ai communiquée,
celle de la méningite chorégraphique, de l'algèbre mnémotechnique, de la
périodicité du remords, de l'angle droit qui serait une circonférence, de la
circonférence qui, dans le secret d'elle-même, se veut un paraphe tendu vers
l'ailleurs, vers le sud sublime ou le nord le plus grand. Voilà bien des mots
pour essayer de désigner l'aptitude prosodique que le mystérieux murmure des siècles
humains nous confia pour que nous en fassions le meilleur usage. En réalité, il
est bien inutile, sinon dans l'intention évidente de dresser un petit autel du
pur verbiage, de s'embarquer dans un démontage ou une justification de ce
procédé - la prosodie régulière - qui, comme la plupart des créatures de ce
monde, comme toutes, puise sa plus efficace référence, et découvre aussi sa
plus touchante excuse, dans ceci qu'elle existe. Tout ce qui existe est sacré,
n'est-ce pas ? Tout ce qui existe, une punaise, un camembert, une sirène, un
pied, un silence et la peur, renferme, suppose, oblige, annonce et remplace
tout le reste de ce qui existe. Mets-toi devant un arbre, o Goll, et mange-le.
Mange le des yeux. Mange le du cœur. Touche le tant que tu peux. Qu'il t'entre
! Qu'il te possède : son poids supputé… sa couleur percée … son branchage
appris, et, sans doute aimé … ses feuilles comptées, et chacune écoutée …Et
bientôt, son langage et, bientôt, sa chanson, de l'écorce venus par les chemins
du rêve et de la contemplation … Le monde sur le plateau que portent les bras
d'un arbre… Ainsi de la poésie classique …Un thème d'activité sensible, une
déesse, un peu maigre et fade, de l'école, avec son organisme, sa façon
générale, sa place dans l'espace, dans l'histoire. Eh bien ! si ce n'est pas la
seule des déesses, si même ce n'est que la plus humble d'entre elles, si ce
n'est pas la plus auguste des religions, si même ce n'est que le plus modique
des ritualismes, contemplons la, pressurons la, visitons la, faisons la vibrer
à fond, trions en toutes les odeurs de la semence, conférons lui, sur les
ambigus divans des noces, toutes les attitudes possibles de la volupté et de la
terreur et ne la laissons que comblée et vidée, son trésor en nous et le nôtre
en elle, ointe d'humain des pieds à la tête, et nous-mêmes tout rayonnant des
prestiges subli-physiques dont les rapports si poussés nous valurent le
singulier revêtement. Tendons, avec elle, aux plus parfaites épousailles, non
parce qu'elle est elle, mais parce qu'elle est une bête au torse de matière,
aux ailes d'inconnu, et qu'un travail achevé, une passion emplie à ras bord,
une totalité qui se conçoit et s'exprime, cela avance extrêmement l'homme vers
la connaissance, c'est à dire vers le divin, c'est à dire vers la beauté.
Naturellement, on
pourrait nous répondre que d'autres occupations, le billard, la philatélie,
l'alpinisme, comportent les mêmes privilèges d'exaltation subjective, aux yeux
des témoins attentifs qui, dans leurs mains, tiennent la terre, la même vertu
spectaculaire. Rétorquons que la poésie est de race hautement royale et qu'il
existe une hiérarchie dans les maîtresses symboliques qui attendent - et
menacent - l'homme laborieux et créateur.
En ce moment-ci,
je suis étrangement bien portant… Vais-je perdre une inspiration qui semblait
assez liée à ce que de solitude et d'effroi perpétuels engendrait ma fatigue
haletante? Par contre, je m'initie aux ennuis d'argent, sévèrement.
J'ai été chez vous
hier, à dix heures et demie, mais vous n'y étiez pas (vous seriez bien surpris
si je vous annonçais que vous y étiez…) J'ai salué avec sympathie la voiture
d'enfant qui se trouve en-bas, dans le vestibule.
Avez-vous toujours ma jeune fille,
et meiner Baum[ mon arbre ]
Ne les perdez pas.
Merci.
Herzlichst
SDdV Aa43 (200/201/202)- 510.299 III
Ivan Goll Innsbruck
à Paula
Ludwig Ehrwald 24 mars 1936 ImsL
p.395/396
Ma
à traduire
Yvan chez sa
mère à Nancy[ 25 mars 1936 ] à son
oncle (?)
Mes chers,
Vu
tous ces bruits de mobilisation, je viens vous prier de tenir strict silence
sur tout ce qui me concerne et où je me trouve. Si un avis militaire devait
être envoyé à mon adresse, mettez le s.v.p. sous nouvelle enveloppe et
envoyez-le immédiatement ici à l'adresse Daniel Kahn. Je ne sais pas encore ce
que je déciderai et à quand mon retour. Il est sûr qu'une fois à Metz, il me
serait plus facile de retraverser la frontière.
La population ici est très énervée.
En cas de guerre, je ne sais pas encore quelle marche il y aurait à suivre.
Néanmoins tout n'est pas perdu. Nous avons encore tous un peu d'espoir.
Quelques nouvelles de Metz nous feraient bien plaisir, peut-être un conseil
émanant de la famille à mon sujet !
Je vous réitère de ne répondre que
vaguement à toutes les questions sur moi.
Voici un Tischebof qu'on célébrera dans un
état d'âme bien ressemblant à l'histoire. Tachez, sous toutes ces circonstances
de garder le sang froid et une bonne santé. Je voudrais bien être autour de
vous et suis pourtant si heureux d'être auprès de ma chère maman et de Daniel
qui ne sait que faire pour moi.
Je vous embrasse ainsi que toute la
famille bien affectueusement
Mig
/ Détruisez toute notre correspondance aussitôt lue.
SdDV 510311
carte d'Ivan Goll Paris
à Paula
Ludwig Ehrwald 27 mars 1936 ImsL
p.394
27
mars [1936]
[Paris]
Chère
Palu
Iwan
à traduire
lettre d'Ivan Goll Paris
à Paula
Ludwig Ehrwald 29 mars 1936 ImsL
p.394
Paris 29 mars 1936
Chère
Palu
Ton
passionné Ma
à traduire
lettre d'Ivan Goll Paris
à Paula
Ludwig Ehrwald 4 avril 1936 ImsL
p.399
[Paris le] 4 avril 1936
[
Hôtel Majestic, Av. Kléber]
Chère
Palu
Je me
réjouis de ton nouvel article.
Ton
inondé par la pluie Ma
à traduire
lettre d'Ivan Goll Paris
à Paula
Ludwig Ehrwald 9 avril 1936 ImsL
p.400
Jeudi
vert
[Paris9 avril 1936]
Chère
Palu
Ton
joyeux excité
Ma
à traduire
lettre d'Ivan Goll Paris
à Paula
Ludwig Ehrwald 10 avril 1936 ImsL
p.401
Vendredi-Saint
[Paris10 avril 1936]
Chère
Palu
Palu,
comme je t'aime !
Ma
à traduire
lettre d'Ivan Goll Paris
à Paula
Ludwig Ehrwald 20 avril 1936 ImsL
p.402
[Paris le] 20 avril 1936
[
Hôtel Majestic, Av. Kléber]
Chère
Palu
Ton
frémissant (tremblotant?) Ma
à traduire
lettre d'Ivan Goll Paris
à Paula
Ludwig Ehrwald 24 avril 1936 ImsL
p.402/403
[Paris le] 24 avril 1936
[
Hôtel Majestic, Av. Kléber]
Chère
Palu
Je
t'embrasse Ma
à traduire
29 avril 1936, mort brutale à l'âge de 73 ans, de
Daniel Kahn, beau-père d'Yvan
lettre d'Ivan Goll Paris
à Paula
Ludwig Ehrwald 29 avril 1936 ImsL
p.403/404
Paris29 avril 1936
Chère
Palu,
Mon adresse à Nancy :
Poste Restante, Bureau Saint-Jean,
Nancy, Meurthe-et-Moselle, France
Ton
très abattu-brisé
Iwan
à traduire
lettre d'Ivan Goll Nancy
à Paula
Ludwig Ehrwald 4 mai 1936 ImsL
p.404/405/406
Nancy4 mai 1936
Chère
Palu,
Ton
tout frémissant
Iwan
à traduire
Ivan
Goll Nancy à Claire 37, Quai
d'Anjou Paris du 4.05.1936MST p.204
Nancy,
4 mai 36 [lundi]
Chère
petite Zouzou,
Rarement,
j'ai éprouvé un sentiment si noir et si étouffant qu'hier après-midi après que
tu m'eus laissé derrière toi - pour tout l'avenir me sembla-t-il - dans l'atmosphère
grise de cette ville et dans le froid mortel de la maison maternelle.
Pour
me consoler, en quittant la gare,j'ai
voulu boire quelque chose d'intellectuel et j'ai acheté Les Nouvelles Littéraires. Et qu'y ai-je
trouvé ?Mes poèmes sur le Printemps et
la Mort,qui avaient certainement paru
le 1er mai,jour de l'enterrement du
pauvre Daniel(1) alors que je me
trouvais effectivement en face du printemps et de la mort au cimetière de
Préville !
Ce
matin, de nouvelles causes de souci s'abattent sur nous en tempête. Ces
élections à la Chambre ! Je me suis battu comme un lion avec ma mère, qui ne
voulait rien savoir et ne pensait qu'à sa douleur, et j'ai obtenu tout de même
qu'elle m'autorise à placer une somme, comme j'en avais l'idée depuis longtemps.
Dans
ce but, je viendrai demain à Paris. Je pars à 8 h. 48 d'ici, suis à 13 h 18 à
la gare de l'Est, m'acquitte aussitôt de mes affaires et repars à 18 h. pour
Nancy.
Si
tu reçois cette lettre à temps, je te prie d'être au Café Napolitain à 3 H.
Ensuite, je ferai encore un saut au Quai d'Anjou.
L'action
et le mouvement ont secoué l'abattement où je me trouvais.
En
tout amour
Ton
Yvan
(1) beau-père d'Yvan Goll
lettre 7 mai
1936 de Goll, Nancy à la Loyd and
National Provincial, Paris
Nancy7 mai
1936
Lloydsand National Provincial,
Foreign
Bank Ltd
Agence Paris
Paris
Je vous
envoie ci-inclus :
18
Bons du Trésor4 ½%1934à 1000fr
N°01708813à 01708820
N°01317282à 01317286
N°01440453à 01440459
5Bons du Trésor4%1935à
1000fr
N°00609045à 00609049
1Bon du Trésor4%1935à 5000fr
N°00089015
et vous prie de les vendre au mieux
à la Bourse la plus prochaine.
En
outre, je vous prie d'acheter
à la même bourse pour la contre-valeur
du
rendement de ces Bons un chèque en
Livres Sterling
sur Londres ou mieux,
et envoyez-le à mon compte de votre
maison
de
Londres : West End Brand, 72 Kaymarket
à mon crédit
Comme
je suis en voyage, conservez toute la
correspondance à ma disposition à vos
guichets.
Et croyez à mes salutations distinguées
Isaac
Lang
37
Quai d'Anjou
Paris
lettre d'Ivan Goll Nancy
à Paula
Ludwig Ehrwald 8 mai 1936 ImsL
p.406/407
Nancy8 mai 1936
Chère
Palu,
Ta
fleur printanière
Iwan
à traduire
Ivan
Goll Nancy à Claire Paris, 31
rue Raffet du 8 Mai 1936MST p.204/205
Nancy,
8 mai 36
Chère
petite Zouzou
Tous mes voeux de santé et d'amour
dans ta nouvelle cellule (°), qui sera ouverte à tous les vents !
Merci beaucoup aussi pour ta carte
de beurre.
Maman est maintenant un peu plus
calme. Il s'est passé toutes sortes de choses que je te raconterai oralement.
Nous partons dimanche matin pour
Metz et je reviendrai probablement à Paris lundi. En conséquence, s'il te plaît,
ne fais plus suivre de courrier
Ton
un peu moins pâle
Yvan
(°)
l'architecte parisien Germain DOREL avait bâti pour moi et m'avait offert un
appartement "duplex", avec terrasse fleurie, ayant vue sur le Bois de
Boulogne. Yvan et moi voulions faire un essai d'existence séparée.
Après cinq mois, [de mai à septembre 1936] nous
retournâmes vivre ensemble.
carte d'Ivan Goll Paris
à Paula
Ludwig Ehrwald 15 mai 1936 ImsL
p.408
[Paris 15 mai 1936]
Chère
Palu
Iwan
à traduire
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald
16 mai
1936 ImsL p.408
16 mai 1936[Paris]
Chère
Palu
avec
mon salut d'oiseau
Iwan
à traduire
lettre d'Ivan Goll Paris
à Paula
Ludwig Ehrwald 23 mai 1936 ImsL
p.409
Paris23 mai 1936
Chère
Palu,
Ton
Mignon
à traduire
carte d'Ivan Goll Nancy
à Paula
Ludwig Ehrwald 27 mai 1936 ImsL
p.410
Nancy27 mai 1936
Chère
Palu,
Dans
cette ville, il y a une grande place totalement entourée de grilleset de portails en fer forgé recouverts d'or
que l'on doit à Jean Lamour. Dans laquelle, rêve de toi ton
Jean
sans Terre
Ivan
Goll Metz à Claire
Paris,du 28 Mai 1936MST p.205
Metz,
28 mai 36
Chère
petite Zouzou,
Partout,
à chaque pas, je redécouvre les chemins, les routes, les rêves de mon enfance.
Metz est vraiment une ville très vivante, et la nature qui l'environne pourrait
bien nourrir et enchanter un cœur de poète. D'ailleurs, je n'ai aucune raison
d'avoir honte de cette ville natale : non seulement Verlaine, mais aussi
Gustave Kahn, le premier des symbolistes, ami de Mallarmé, et à une époque plus
récente, de Ribbentrop et Adrienne Thomas ont passé leur enfance et leur
jeunesse entre ces murs. Tante Gaby a collectionné pour moi ces certitudes
historiques.
J'aurais bien aimé partir dès demain
pour aller te rejoindre - mais Mère désire que je l'accompagne demain, encore
une fois, à Nancy, où elle doit faire beaucoup de commissions pénibles. J'ai
donc décidé de rentrer à Paris dimanche : je prends le train à 12 h 03 et
arrive à 16 h 45 à la gare de l'Est. C'est une heure où tu pourrais très bien
venir me chercher à la gare : alors, nous irions ensemble prendre le thé Quai
d'Anjou.
En ce qui concerne l'argent, ma mère
affirme qu'elle est obligée d'aller le chercher à Nancy : et demain, cela
n'aura plus guère de sens de l'expédier extra : je l'apporterai dimanche avec
moi. Ce jour-là, il me sera d'autant plus facile de partir que Mère sera
emmenée par Edgard en excursion automobile dans le Luxembourg. J'étais invité
aussi, mais tu vois ce que commandent mes sentiments à ton égard.
Je me réjouis beaucoup de te revoir
Yvan
Ivan
Goll Metz à Claire
Paris,du 30 Mai 1936MST p.206/207
Metz,
30 mai 36
[samedi]
Chère
petite Zuzu,
Je suis obligé de te décevoir
terriblement : je ne peux pas encore revenir demain dimanche ! Crois-moi, c'est
pour moi une plus grande punition que pour toi.! Mais les affaires règnent sur le monde, tu le sais (peut-être trop
peu) : pour les autres, toute l'année, pour moi, parfois 3 jours à la
Pentecôte.
Comme tu le sais, j'ai été hier,
avec ma mère, à Nancy. Là-bas, nous avons cueilli à la banque les gentils
petits coupons multicolores. Alors, il s'est agi de les réaliser, et dans ce
but, nous avons été, ce matin, jusqu'au poétique Luxembourg, où ces fleurettes
printanières sont cotées plus haut que chez nous.
Mais hélas, que notre déception fut
grande : ce pays-la est si saint, que les bureaux y ferment dès le samedi de la
Pentecôte, tandis que chez nous, et aussi, comme tu le sais, dans toutes les
villes civilisées, ils restent ouverts jusqu'à midi. Résultat : un voyage pour
rien. Il faut que nous y retournions mardi. Tu ne peux pas te représenter
quelle torture a représenté pour moi ce voyage manqué et inutile en compagnie
d'une femme hypernerveuse. J'avais dû me lever à 4 h 1/2 pour prendre le train
de 6 h 50. Et nous étions déjà de retour à 11 h., pour prendre le train de 12 h
15 … et ces dépenses inutiles !
Néanmoins, je ne dois pas me
relâcher. Si elle s'habitue à entreprendre sans moi ce genre de choses, ma
présence perdra plus tard toute valeur à ses yeux.
En outre, pour le placement des
fonds, il faut que je me tienne encore énergiquement derrière elle. Là, il
faut, une bonne fois, dominer sérieusement la fameuse sentimentalité.
A présent, j'aurais voulu t'envoyer
aujourd'hui les 500 fr. en guise de consolation : mais, même en recommandé,,
comme en mandat, ils ne te seraient pas remis un jour férié. C'est pourquoi, je
préfère inclure ici 100 fr., et je te donnerai le reste mardi - car ce jour-là,
je me rendrai directement à Paris.
J'ai été très surpris que tu ne
m'aies pas écrit un seul petit mot de tous ces jours-ci : pas fait
suivre de courrier, pas de nouvelles de Shermann, Deharme, Mozart, ni de ta
santé ! Et le chèque Brody n'est-il pas arrivé ?
J'espère que tu ne passes pas là-bas
une Pentecôte trop triste.
Excuse et comprends l'importance de
ma présence ici, surtout en considération de la semaine Blum, qui menace plus
gravement. Et ne va pas croire que l'excursion automobile dont je te parlais
dans ma dernière lettre me ravit ! L'atmosphère, ici, est telle que je sors de
mes gongs et que j'en ai sérieusement mal au foie. Mais, c'est trop important !
Je
t'embrasse très chaleureusement
Yvan
carte d'Ivan Goll Echternach
à Claire Goll, Paris 2 juin 1936 MST p. 207
Mardi de Pentecôte
[Echternach
2 juin 1936]
Etrange
vision : des dizaines de milliers de pèlerins sautent, au son d'une polka,
trois pas en avant et deux en arrière: symbole de toute notre Europe actuelle
moyenâgeuse.
Cent
baisers
I.
carte d'Ivan Goll Echternach
à Paula
Ludwig Ehrwald 2 juin 1936 ImsL
p.410
Mardi
de Pentecôte
[Echternach
2 juin 1936]
La même vision de la procession
des habitants d'Echternach : des dizaine de milliers de pèlerins sautillants au
son d'une polka, trois pas en avant, deux pas en arrière : exemple de toute
l'Europe d'aujourd'hui. Comme je serais heureux de vivre cette journée avec toi.
Ton
I.
Goll est de
retour à Paris le 4 juin, va à Nancy le 15 juin, retour à Paris où il reste
jusqu'au 30 juillet. C'est le 30 juin que paraît : La Chanson de Jean sans Terre
lettre d'Ivan Goll Paris
à Paula
Ludwig Ehrwald 4 juin 1936 ImsL
p.410/411
De
nouveau Paris19 juin 1936
Chère
Palu,
Ecris
vite à ton triste Ma
à traduire
carte d'Ivan Goll Nancy
à Paula
Ludwig Ehrwald 16 juin 1936 ImsL
p.411
Nancy16 juin 1936
Chère
Palu,
Mignon
à traduire
lettre d'Ivan Goll Paris
à Paula
Ludwig Ehrwald 20 juin 1936 ImsL
p.412/413***
Paris20 juin 1936
Chère
Palu,
à traduire
Maintenant, la froidure de mai
dans lequel ton cœur se glaçait est depuis longtemps passée et les ailes de ton
esprit se mettent à frémir comme nos papillons de mars : l'été brûlant est là,
le souffle de l'Etna, les feux de la Saint-Jean et les vers luisants doivent
aussi nimber ta chevelure d'amour. J'espère voir les feux de la Saint-Jean chez
mes chers parents patients ?…
Mais tu ne sais plus maintenant
toi-même à quel saint te vouer. Tes quatre strophes de Jean sans Terre sont
aussi sévères que lui-même. Et je deviens triste quand j'y pense comme si la
mort pouvait anéantir notre été
à traduire
La critique du Frankfurter est
très correcte et très soignée. Je te l'envoie à part. Ci-joint 20 sh. pourles nouveaux flirts que tu dois rapprocher de
moi.
M.
lettre d'Ivan Goll Paris
à Paula
Ludwig Ehrwald 7 juillet 1936
ImsL p.413/414**
Paris7.7.36
Chère
Palu,
à traduire
carte d'Ivan Goll Paris
à Paula
Ludwig Ehrwald 17 juillet 1936
ImsL p.415Paris 17.7. [1936]
Chère
Palu,
I.
à traduire
lettre d'Ivan Goll Paris
à Paula
Ludwig Ehrwald 19 juillet 1936
ImsL p.415/416**
Paris7.7.36
Généreuse
Palu,
à traduire
Je te raconterai la prochaine
aventure de Jean sans Terre et de ton persécuté
Ma.
lettre d'Ivan Goll Paris
à Paula
Ludwig Ehrwald 26 juillet 1936
ImsL p.417/418**
ParisDimanche 26 juillet. 36
Chère
Palu,
Je
pense à toi : je suis encore à Paris, et j'ai ta lettre de Saint-Jean qui m'est
parvenue ici. Quel bonheur ! Je reviens ce matin de Nancy et j'étais très
triste de n'avoir rien reçu là-bas.
Comme tu vois, c'est une affaire grave
de retourner une expédition. Mais je reste encore quelques jours à Nancy; après
l'adresse de ma mère ne sera plus valable, car elle s'installe à Metz. Les deux
villes sont seulement à une heure de trajet. S'il te plaît, écris-moi ta
prochaine lettre à Metz, Poste Restante (France). Cela suffit.
"L'Enfant au Village"
m'a diverti pendant quelques jours.
à traduire
Ivan
Goll Nancy à Claire
Paris,du 31 juillet 1936MST p.207/208/209
Nancy, 31 juillet 1936 [vendredi]
Chère
petite Susu,
Tout couvert et tout gris de la
poussière des plâtres et du fatras d'un demi-siècle de désordre bourgeois,
rongé de vert-de-gris et de rouille, je ne jette même plus un regard au-dehors,
tant que tout n'est pas accompli ici. On
ne peut pas se représenter ce qu'une économie ménagère conduite par des êtres
primitifs et moyenâgeux peut engendrer de stupidités désespérantes, de crasse
inhumaine - la description du tiroir dans Le
Microbe de l'Or, est encore un conte de fées, à côté de la réalité que je
trouve dans la demeure de ma mère.
Par là-dessus, la pluie lorraine,
cinq jours de pluie continuelle : grise et automnale, comme il n'en existe que
dans ces régions. Mais elle m'a fait du bien, elle m'a lavé un peu, et purifié.
Qu'aurait-ce été, s'il avait brillé un beau soleil du sud !
Cependant, hélas, il brille ce
vendredi matin et il me rend tout triste. Non seulement à cause de mon âme de
mineur, mais encore parce que c'est demain l'ouverture des Jeux Olympiques et
que le monde entier va crier à nouveau : C'est un temps pour Hitler ! Pendant
six semaines, un ciel endeuillé s'est étendu sur l'Europe, mais à chaque date
de triomphe nazi, Dieu sourit sur l'Allemagne. Il y a déjà trois ans que cela
dure. N'est-on pas obligé d'y apercevoir réellement quelque chose de fatal ?
Et, dans le monde, cela poursuit son
cours ! Toujours plus mal, toujours plus dangereusement pour nous ! Est-ce
qu'en Espagne maintenant, ne se forme pas un troisième front fasciste contre la
France et contre la liberté ? Bientôt, nous serons pris comme des souris dans
ce beau silo à blé.
Comme je te l'ai déjà annoncé, nous
irons demain et dimanche à Metz, 5 rue Dupont des Loges : mais je n'ai pas
encore reçu, ici, que ta lettre d'hier, avec le maigre courrier. Merci.
Tranquillise-toi d'ailleurs : le jour précédant mon départ, j'avais déjà
expédié l'argent, - l'Argus, ta lettre est donc superflue.
Le mardi, aura lieu le vrai
déménagement. Tu sais ce que cela signifie.
Je suis heureux que l'édition de
Candide t'ait plu. Lis et deviens sage, apprends là, comment Voltaire, avec une
simplicité grandiose, parfois presque naïve, traite des vérités des plus
profondes, valable pour tous les temps. Candide reste pour moi le chef-d'œuvre
de la littérature française.
Une montagne de littérature
classique s'est abattue ici sur moi. Je suis rompu. J'ai lu cette nuit, Boileau
et Lamartine, en vrac : cela reste de la toile raide. Et pourtant, je veux
m'occuper davantage à présent de l'étude des vieux maîtres : je connais bien
trop peu Rabelais, Chamfort, Vigny.
Une petite partie de la bibliothèque
de Daniel pourrait être vendue. Un jeune professeur boira avidement à la source
des précurseurs. Pour nous, ce n'était que du verbiage grammatical. Mais j'en
traînerai une grande partie jusqu'à la maison.
Hier, nous avons empaqueté le linge
de maman - quelles magnifiques toiles anciennes, par instants : beaucoup de
pièces qui n'ont jamais été touchées ni lavées depuis cinquante ans.
Elle nous donnera tous les draps,
torchons, etc. Ainsi que la célèbre théière. Et de la vaisselle.
Comment vas-tu au point de vue santé
? Dans ta haute tour, si près du ciel, tu respires l'air de la campagne. N'aie
pas trop vite la nostalgie de venir ici : tu tomberais dans une atmosphère
affreuse.
Je pense beaucoup à toi et j'aimerais,
bien plus encore que les années précédentes, parcourir avec toi un paysage
italien : mais la mort et le destin m'enchaînent sans condition à cette région
sans âme.
Mon âme ne s'en révolte que plus
fort et voltige vers toi
Yvan
lettre d'Ivan Goll Metz
à Paula
Ludwig Ehrwald 1er août 1936 ImsL
p.418/419***
Metz 1 août 36
Chère
Palu,
Ma.
à traduire
Claire Paris à Ivan Goll Nancydu 2
août 1936MST p.209
[
Paris, 2 août 1936 ]
Laisse-moi
venir à Nancy, je t'en prie; Je vais devenir folle ici .
Je
t’en supplie, ne fais pas venir maintenant Paula . Tu le feras dans deux
mois quand je me serai habituée au Quai Bourbon. Je ne peux plus, je ne peux
plus vivre pour l’instant rue Raffet, Je préfère encore mourir. Je me cache
toute la journée. Dès 5 H. je ferme les rideaux et les volets pour que l’on ne
voie aucune lumière. Là je suis délivrée d’elle et je ne veux plus
désormaisla voir.Plus tard mais pas maintenant. Je t’en supplie encore une fois. :
Tu as maintenant une bonne excuse : Renvoie-la chez elle ! J’en ai
beaucoup supporté toute une année, mes nerfs sont à bout et il va y avoir un
malheur. Je ne peux pas vivre au Quai Bourbon à cause du poêle défaillant et
parce qu’il n’est pas encore là. Séparons-nous, ensuite tu seras libre.. Mais
délivre-moi d’ici.. J’ai jusqu’à présent tout fait par amour pour toi, fais
maintenant le nécessaire à mon égard. Je suis très mal en point, je cherche
maintenant la force qui me manque pour subsister
Suzu
Fais-moi
venir vite !
Demander
son avis à Nicole, s’agit-il d’un homme ou de Paula ?
Claire Paris à Ivan Goll Nancydu 2
août 1936MST p.209
[
Paris, 2 août 1936 ]
Laisse-moi venir à Nancy, je t'en prie; Je vais devenir
folle ici .
Je
t’en supplie, ne fais pas venir maintenantPaula . Tu devais partir
dans deux mois quand j’aurais été habituée au Quai Bourbon. Je n’en peux plus,
je ne peux plus momentanément vivre rue Raffet, Je ne peux plus qu’y mourir. Je
me cache toute la journée. Dès 5 H. je ferme les rideaux et les persiennes pour
que il ne voit pas la lumière. Ici, je lui suis livrée et je ne veux pas le
voir maintenant.Plus tard
mais pas maintenant. Je t’en supplie encore une fois. : tu as maintenant
un bon prétexte : Renvoie Paula chez elle ! J’en ai trop supporté pendant
une année, mes nerfs sont à bout : il arrivera un malheur. Et je ne peux
pas vivre Quai Bourbon à cause du poêle manquant et parce qu’il n’y a encore
rien là-bas. Déménageons-nous, ensuite tu seras libre.. Mais fais-moi partir
d’ici. Car enfin,j’ai fait à cause de toi, fais maintenant le nécessaire à mon
égard. Je suis tombée trop bas, je n’ai plus la force de continuer à vivre
Suzu
Fais-moi
venir vite !
Ivan
Goll Nancy à Claire Paris du 4 août 1936MST p.210
Nancy,
4 août 36 [mardi]
Chère
petite Souzou
Merci
beaucoup pour ta lettre d'un dimanche de pluie. Je suis heureux que tu
supportes si bien la solitude. Ton commerce avec Chateaubriand est précieux.
Peut-être travailles-tu aussi ?
Les
grands d'aujourd'hui ne sont nullement aussi petits que tu le dis. Nous
manquons de recul pour apprécier leur grandeur. Je parie qu'un Montherlant est
égal à Chateaubriand puisque nous parlons de celui-ci. Peut-être même un
Cocteau. Lis-tu, depuis trois jours son reportage : Tour du Monde en 80 jours
dans Paris-Soir ? C'est tout aussi beau, si ce n'est même plus poétique que
"L'itinéraire de Paris à Jérusalem".
Avant-hier, sa vision d'Athènes
était un poème inimitable. Il a également senti remarquablement Rouen. J'ai
gardé ses articles, si tu ne les as pas ?
Je
ne veux rien te dire de ma situation ici : je suis moralement si brisé, je me
sens si abaissé, humilié par toute cette atmosphère, qu'il m'est impossible de
reprendre un peu de gaieté. La douleur, au lieu de rendre ma mère plus sage,
l'a rendue encore plus "rapiate", encore plus impitoyable, encore
plus nerveuse que naguère. Le ton des paroles, le train de vie, chaque parole,
chaque geste, sont pour moi des gifles. Je ne puis me risquer à te faire venir
ici : tu aurais à subir d'indicibles tourments. Je préfère revenir à Paris la
semaine prochaine, je te propose un séjour de vacances, le 15 si le temps ne
veut pas redevenir beau. D'ailleurs, le 15 tombe un samedi. On le remarquera à
peine. Puis nous ferons des projets pour la suite.
Demain,
transfert définitif à Metz, 5 rue Dupont des Loges.Adieu, Nancy, prison dorée - porte Stanislas.
Il s'en ouvre une plus noire à ton
Yvan
Ivan Goll Metz à Claire Paris du 6 août
1936MST p.211/212
Metz, 6 août 36 [vendredi]
O petit cœur,
L'averse
de tes larmes a ébranlé ce matin, en une heure étrange, les fondements et les
caves de cette maison natale dans laquelle j'ai de nouveau dormi en qualité de
fils, pour la première fois depuis trente ans : ta lettre, féconde et lourde
d'un amour contenu depuis vingt ans, a touché ma vie même, juste comme je
dressais un bilan mélancolique.
Après
les jours noirs que je viens de vivre - noire comme le Tischo Beav - ton amour
s'est ardemment rappelé à moi : une grande porte claire née de ma sombre
jeunesse. Et rappelle-toi avec quelle force et quelle ferveur, avec quelle ruse
et quel désespoir j'ai combattu pour toi. C'est pourquoi, on n'a qu'un seul
grand amour dans sa vie : parce que l'énergie humaine ne peut parvenir deux
fois à cette intensité.
Par
toi, j'ai appris à connaître les parfums des fleurs, le nom des oiseaux, la
puérilité des femmes, les Lieder de Schumann, tels que les a sanglotés une
gorge tremblante… Par toi, j'ai été délivré de la cécité de notre temps et de
la malédiction du sang qui naguère a abreuvé toute la terre …
Vois
donc, mon petit cœur ! ne pleure pas des larmes si insensées. Nous nous
appartenons l'un à l'autre jusqu'à la mort, qui en aucun cas n'est plus
lointaine, dût-elle se faire attendre encore quarante ans ! Car dans une
existence humaine, il n'y a pas autant d'expériences à faire qu'on le croit.
Seule la première est grande !: toute répétition a perdu la force lumineuse et
la robuste foi de la première.
Si
tu demandes si je suis heureux - en un temps où tu es loin, loin de moi, et si
triste - je ne puis malheureusement pas nier, pas complètement, que je le suis.
Mais cela ne provient pas du fait que je ne peux plus t'accorder ma protection
aimante, ou que je pourrais en aimer d'autres mieux, - la cause en est toujours
restée une grande énigme pour toi. "Je solliciterais vainement d'être
introduite devant tes yeux … " écris-tu. "Toujours, on s'égare avec
toi et on ne sait où on va ".
Ne
pourrais-tu écrire la même chose des yeux d'un chat (que nous avons si souvent
loués, presque enviés ?).
J'ai
toujours été un solitaire, sauf avec toi. Toute ma jeunesse, je me suis assis à
une table familiale où l'on criait et se querellait ;j'ai dû m'évader, et j'ai construit en moi
les collines d'Arcadie artificielles.
C'est
ainsi que je suis devenu un isolé. Aujourd'hui, précisément, je comprends à
quel point ce masque était et demeure nécessaire.
Auprès de
toi, j'ai vécu simplement et avec des yeux chaleureux, brûlants. ici, ils
redeviennent de verre.
Mais combien
je suis heureux, quand je puis à nouveau rêver dans la prairie, sans me
cuirasser, sans me boucher les oreilles. De là, mon être, qui n'est pas double,
mais qui a un visage et un masque.
C'est par
la dureté que je suis devenu solitaire. Ah ! quand je n'ai plus besoin de
l'être, quand je peux me blottir dans la chaleur infinie de la Femme, quelle
molle tendresse apparaît dans mes yeux ! Comme je me donne volontiers, moi qui
étais si réservé.
Mais,
prends garde à la nuance : "me donner" est autre chose que
"donner".
De quoi
parlons-nous ? Si je suis heureux ? peut-être oui, parce que tu es toujours
debout à l'arrière plan de ma vie, parce que tu m'éclaires, tu brilles sur moi
:. Si tu n'étais pas en ce monde, j'y serais certainement l'Errant sans appui,
qui depuis longtemps me guette au fond de moi. Tu es ma bouée, et tu n'as pas
le droit de l'oublier jamais. C'est pourquoi tu n'as jamais à douter de notre
amour,
qui est
aussi mouvant, mais aussi éternel que la mer
Ton
Yvan
Ivan
Goll Metz à Claire Paris du 8 août 1936MST p.212/213
Metz,
8 août 36 [samedi]
Chère
petite Souzou,
Cela va déjà mieux moralement.
Tes lettres bleues s'ouvrent devant
moi, comme au milieu des nuages ces lambeaux de ciel nouveau qui font présager
un temps meilleur.
Nous allons voir un peu ce qui
serait possible comme séjour à la campagne. En tout cas, pour ce qui est du 15,
jour férié universel, où tous, du bourgeois à l'ouvrier, se donnent pour tâche
d'aller se faire refuser par les hôtels bondés, nous le passerons
tranquillement sur notre quai paisible. Ne m'as-tu pas dit déjà que, pour toi
aussi, c'est un "jour rouge" ?
J'ai écrit une nouvelle ballade, ce
matin, de bonne heure. Regarde si elle vaut quelque chose.
Ci-joint, mes deux derniers coupons,
avant une attaque éventuelle au moment du départ.
Ma mère est quelque peu apprivoisée.
Et je suis un peu plus
calme
et plein
d'amour pour toi
Ton
Yvan
lettre de Rebecca Metz à Claire Paris 9 août 1936
Metz le 9 août 1936 [dimanche]
Ma
chère Claire,
Merci d'abord, de votre si charmante
lettre qui m'a fait un immense plaisir et si je ne l'ai pas fait plus tôt, ce
sont les travaux de tous genres qui m'ont absorbée constamment. Je veux aussi
vous dire combien mon cher Ivan m'a été d'un grand secours, car il m'eût été
impossible d'entreprendre une pareille besogne sans aide. Grâce à Dieu, le
ménage est ici maintenant, mais il y a encore beaucoup à faire, mais,ayant
l'existence pour cela, je prendrai mon temps, puisqu'aujourd'hui, je suis
absolument seule et pour longtemps peut-être. J'apprends avec peine que
votre fragile santé est toujours très précaire, mais je sais que vous luttez
avec tout le courage nécessaire, contre le mal si tenace qui vous accable.
Prenez courage et soignez vous de votre mieux puisque pour vos travaux
littéraires et de l'esprit il faut aussi être d'aplomb. Je vous renverrai Ivan
avant la fin de la semaine, à mon très grand regret, comme bien vous le pensez.
Recevez, chère Claire, mes baisers les meilleurs,
R.
carte d'Ivan GollMetz à Paula Ludwig Ehrwald
10 août
1936 ImsL p.419
Metz 10 août 36
Chère
Palu,
J'espère que tu as reçu mes envois
jusqu'à aujourd'hui sans retard.
Aujourd'hui seulement ce mot pour
te dire qu'après-demain je retourne pour dix jours à Paris, pour y régler
quelques affaires pour ma mère
Ensuite, je reviens en Lorraine et
ensuite …
Donc, s'il te plaît, tout courrier
chez mes parents
Saluts radieux à vous deux et à
tousIwan
carte d'Ivan GollMetz à Paula Ludwig Ehrwald
12 août
1936 ImsL p.420
Metz 10 août 36
Chère
Palu,
I.
à traduire
Le 15 août Goll revient à Paris et il repart à Metz
fin août pour emmener sa mère dans le sud de la France
lettre d'Ivan Goll Paris
à Paula
Ludwig Ehrwald 19 août 1936 ImsL
p.420/421/422**
Paris 19 août. 36
Chère
petite Paula [ Paulchen]
I.
à traduire
lettre d'Ivan Goll Paris
à Paula
Ludwig Ehrwald 25 août 1936 ImsL
p.422/23/24/25***
Paris 25 août. 36
Chère
Palu
I.
à traduire
carte d'Ivan Goll Ile
de Port-Cros à Paula Ludwig Ehrwald
28 août
1936 ImsL 425[Ile de Port-Cros, Var] 28.8.36
Chère
Palu,
I.
à traduire
Ivan Goll Port-Cros
à Paula
Ludwig Ehrwald 4 sept. 1936 ImsL
425/426
Port-Cros 4 septembre 36
Chère
Palu,
Ma.
Ile de Port-Cros (Var)
Hostellerie Provençale
à traduire
Paula Ludwig Ehrwald à Ivan Goll Ile
de Port-Cros 7 septembre 1936 ImsL 426/427/428***7. Sept. 36
Cher
Ma -
Ton
impatiente
Palu
à traduire
Ivan Goll Port-Cros
à Paula
Ludwig Ehrwald 7 sept. 1936 ImsL
429 Port-Cros 7 septembre 36
Chère
Palu,
Ma.
à traduire
carte d'Ivan Goll
Port-Cros à Paula Ludwig Ehrwald 12 sept 1936 ImsL
425Ile
de Port-Cros, 12.9. 36
Chère
Palu,
TonI.
à traduire
Ivan
Goll, 37 Quai d'Anjou à Claire 31, rue
Raffet du 16 sept. 1936MST p.213/214
mardi
matin 4H [ 37 Quai d'Anjou ]
Chère petite Suzu,
Quatre heures : ton
réveil était inutile. Ton destin m'empêche de dormir. Je pars avec un coeur
déchiré, dans ces jours de fête.
Mais bientôt, tout ira
bien de nouveau.
J'ai réfléchi que je pourrai te consacrer toutes mes
soirées, même pendant que Paula sera là, de 7 à 10 . Je dînerai avec toi et je
te mettrai tous les soirs au lit. À elle, je dirai que j'ai un service dans une
rédaction, de 7 à 10. Cela ne lui fera rien : elle sait qu'un homme ne peut pas
et ne doit pas être toujours là.
Puisque
tu seras ma voisine, quai Bourbon, tout cela sera facile et splendide. Le matin
aussi, je ferai un saut chez toi, et t'apporterai ton déjeuner. Je ferai
simplement les provisions en double.
Ainsi
donc, installe-toi bientôt quai Bourbon! Alors, tout sera immédiatement
arrangé. Dès la semaine prochaine.
Ne
serait-ce pas mieux pourtant que nous achetions tout de suite au moins
les tapis et les rideaux, avant que le prince Bibesco revienne et s'en avise
lui-même ? 150 francs est un prix ridicule. La tenture rouge, à elle seule,
vaut davantage. Peut-être téléphoneras-tu ce matin pour dire à Richer qu'il
écrive tout de même à Bibesco, comme déjà dit, dans le sens où nous en étions
convenus hier. (Mais ne montre pas ta hâte au téléphone !) Dis-le, comme ça,
incidemment : et en ce qui concerne les meubles, nous nous entendrions sûrement
avec le Prince. Mais il faudrait que tu aies un contrat ferme au sujet de la
moquette, car tu désires déjà tout de suite faire poser les papiers peints,
longtemps avant octobre, avant l'arrivée de Bibesco. Et il est nécessaire que
ces papiers muraux soient harmonisés avec les tapis et les rideaux. À présent,
au moment où Bibesco apprendra qu'on lui verse tout de suite 7000 comptant, il
donnera les choses à bas prix.
Ensuite,
qui sait ?
Ce
soir je prie pour toi
Ivan
Ivan Goll Metz à Paula Ludwig Ehrwald 19 septembre 1936 ImsL p.430/431
Metz 19 sep. 36
Chère
Palu,
Ton
impatient I.
à traduire
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 23 septembre 1936 ImsL p.431/432
Paris 23 sept. 36
Chère
Palu
I.
à traduire
28 septembre Paula vient à Paris et habite 37, Quai
d'Anjou ; elle va y rester jusqu'au 4 novembre
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Zurich 29 septembre 1936 ImsL p.431/432
Paris mardi soir
[29.9.36]
Chère
Palu
Ton
I.
à traduire
Ivan
Goll, 37 Quai d'Anjou à Claire
31, rue Raffet 8 octobre 1936MST p.214/215
Jeudi soir
Dix heures [ 8
octobre1936 ]
Chère petite Suzu,
À
l'instant, il y a 10 minutes, j'ai reçu le télégramme ci-inclus, qui bien entendu
m'inquiète fort
Je pars
demain matin à 7 heures pour Metz. Je ne crois guère que la maladie soit très
grave, car avant hier soir, ma mère m(a encore écrit une longue lettre où il
ressortait qu'elle était très gaie.
Paula reste pour l'instant dans mon appartement.
Je crois qu'en tout cas, il vaut mieux que vous deux,
vous ne vous rencontriez pas.
Si je devais être retenu trop longtemps à Metz, elle
retournerait simplement à Zurich et à Ehrwald.
Mais il est possible que tu sois obligée de venir à Metz
! Je t'écrirai demain, aussitôt, avec précision.
Aujourd'hui, j'ai appelé au téléphone à midi moins le
quart et à 8 h et quart : chaque fois, tu étais sortie "depuis quelques
minutes "Dommage que je n'ai pas
pu te parler. Je voudrais savoir comment tu vas.
Dans l'inquiétude et l'amour
Ton
Ivan
Le poêle est arrivé aujourd'hui et il brûle
magnifiquement.
du 9 octobre au 12 Goll vient auprès de sa mère à Metz
Claire 31, rue Raffet
àIvan
Goll,Metz 9 octobre 1936MST p.215
vendredi
9.10.36[Paris ]
Chéri,
A
l'instant, ton pneumatique. Verte espérance. Merci pour le chapitre et pour ton
amour. J'espère que la maladie de ta mère n'est pas grave. Je t'en prie, ne
prends pas froid toi-même dans sa demeure glaciale ! Dois-je écrire tout de
suite quelques lignes à ta mère? Rédige-les, je t'en prie, à cause des gaffes.
Ici, les
jours s'écoulent amers et noirs comme le Styx. J'ai déjà un pied dans ce
fleuve... Et l'autre dans la Seine, Quai Bourbon, espérant le printemps.
N'as-tu pas oublié de donner congé ? Fais-le, en
recommandé. Tu peux d'autant mieux le faire, que je conserverai toujours cet
appartement, ici. Car tu connais la loi : plus l'un des 2 est froid et
lointain, plus l'autre le désire. Ainsi en est-il maintenant ici : seulement,
l'autre ne désire, comme déjà dit, qu'une ombre du Léthé.
Je suis
toujours avec toi, réchauffe-moi de tes yeux.
En
tout amour
Ta
Zouzou
Ivan
Goll, Metz à Claire Paris 9 octobre 1936MST p.216
Metz.
9 octobre 36
Chère petite
Souzou,
Fausse
alerte ! Dieu merci ! J'arrive ce matin à 10 heures à Metz : ma mère est folle
de joie de me voir. Jamais encore elle n'avait eu si bonne mine . Les lèvres
rouges, une langue tout à fait saine, elle n'avait qu'un refroidissement intestinal,
le médecin lui avait prescrit quelques pilules, et lui avait demandé si elle ne
voulait pas aller dans une clinique, étant donné qu'elle est seule et sans son
soins. "Non, mon fils peut très bien me soigner, il fait excellemment la
cuisine fermer ", et le télégramme est parti. Ce voyage était absolument
inutile, Gaby en a convenu elle même. Une autre fois, je téléphonerai d'abord,
avant de partir.
Dimanche,
je reviendrai en toute hâte j'espère que tu ne coules plus des jours aussi
sombres. Pour les éclairer, voici 1 livre = 104 francs changeables n'importe
où.
Travailles-tu
?
(Peut-être
partirai-je dès demain soir : alors je pourrai cuisiner pour toi, dimanche à
midi ?) je téléphonerai dimanche matin, si...
Un
baiser aimant
Ivan
lettre d'Audiberti à Claire du 25 octobre
1936
Très chère
J'ai tardé à vous
écrire, occupé que j'étais à mettre au point ce poème que je ne trouvais pas
très réussi
Je baise vos mains trop belles
Audiberti
A bientôt ? Tout mon
cœur …
J
SDdV Aa37 (204)- 510.299 III
lettrede Goll Paris 3 novembre 1936 à Paulo Duarte, lui disant son intention de reporter son voyage au
Brésil, pour mettre en ordre ses affaires, Claire l'accompagnera, voir article
de Pierre Rivas dans Europe : Goll codirigerait le Département du patrimoine
historique et artistique du Musée de Saõ Paulo et Claire en deviendrait la
Secrétaire Générale.
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 5 novembre 1936 ImsL p.433
Paris 5 Nov. [1936]
Chère
Palu
Ton
solitaire
Ma
à traduire
Carte d’IvanSchlettstadt à Claire Paris du 8 novembre 1936MST p.213
Schlettstadt
1. septembre 36
Cher
Ange céleste,
Mon père te remercie pour ton cœur
aimant et il t’envoie , en échange ces fleurs,
Eternellement
tien, Ivan
carte d'Ivan Goll
Colmar à
Paula Ludwig Ehrwald 9 nov. 1936 ImsL
434
Colmar, 9 nov. [1936]
Chère
Palu,
TonMa
à traduire
carte
d'Ivan Goll
Colmar à
Claire, Paris 9 novembre 1936 MST p.217
Colmar,
9 novembre [dimanche]
Chère
Zou,
Je me
suis agenouillé dans l'éclat du soleil devant le tombeau de mon père et tout de
suite après, sous la voûte conventuelle, devant la résurrection de cet esprit
immortel (Isenheimer Altar). Un jour saint.
L'Alsace
m'a accueilli de façon touchante, par du beautemps, après une nuit reposante, pendant laquelle j'ai beaucoup et bien
pensé à toi. J'espère revenir vendredi et je te rapporterai de Schlettstadt un
rameau de lierre.
Ton
Yvan
Ivan Goll Zurich à Paula Ludwig Ehrwald 10 novembre 1936 ImsL p.434/435
10 Nov. 36
[ Zurich, Select Bar, Limmatquai, 16]
Chère
Palu
Ton
Ma
à traduire
Ivan
Goll, Metz à Claire Paris 12 novembre 1936MST p.217/218
Metz le 12
novembre 1936
Chère petite Zouzou,
Pluie et
jours inactifs. Un monde sombre et sans âme, ce Metz tout en pierre
Il est
loin derrière moi, ce jour traversé d'éclairs de soleil, au-dessus dede l'Alsace : des éclairs qui faisaient
éclater les tombeaux et libéraient le Sauveur.
Ici,
parmi les vivants, on ne fréquente que la mort grise et les hommes nombreux..
Ma mère s'agrippe à sa douleur personnelle et ne lui laisse aucune relâche.
Et
pourtant, je ne peux pas encore partir demain : je dois l'accompagner à Nancy
chez le notaire. En sorte que je ne reviendrai à la maison que samedi soir, et
pourrai alors de préparer un dimanche hospitalier au quai d'Anjou.
Depuis
mon départ, je suis en très bonne santé, peut-être grâce à ta prière bleue du
soir.
Voici 50
francs pour les jours supplémentaires, et la chaleur de mon coeur.
Ivan
carte d'Ivan GollMetz à Paula Ludwig Ehrwald
13
novembre 1936 ImsL p.435/436
Metz 13 Nov. [1936]
Chère
Palu,
Ma
à traduire
Paula Ludwig Ehrwald à Ivan Goll Paris
19 novembre
1936 ImsL 436/437***Ehrwald 19 Nov. 36
37, Quai d'Anjou !
Paulalu
à traduire
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 23 novembre 1936 ImsL p.438/439/440***
37, Quai d'Anjou
23 Nov. 36
Palu,
Je crois à ta souffrance.
Je la comprends.
Mais, je veux t'aider
Iwan
à traduire
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 24 novembre 1936 ImsL p.438/439/441/442*** *******
37, Quai d'Anjou
24 Nov. 36
Chère Palu,
Iwan
à traduire
[ deuxième lettre 24.11.36]ImsL p.442/443
Ton
Iwan
Paula Ludwig Ehrwald à Ivan Goll Paris
29
novembre 1936 ImsL 443/444/445/446/447***
**********************************29
Nov. 36
[Ehrwald]
Cher Yvan
Mon Ma - Ma colombe noire
J'ai écrit si longuement et si intensément à Yvan -
à traduire
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 2 décembre 1936 ImsL p.447/448/449
Paris
2. Décembre 36
Palu !
Iwan
à traduire
Claire, 31, rue Raffet
à Ivan Goll, 37 Quai d'Anjou 12 décembre 1936MST p.218
samedi
[12.12.36 - Paris, 31, rue Raffet]
Chéri,
J'y ai encore
attentivement réfléchi : je ne veux pas entrer lundi dans un appartement où
tout n'est qu'à moitié prêt, j'en ai assez des ouvriers
C'est pourquoi j'ai
téléphoné à Dumur et, sur ma demande énergique de remettre la date au même
prix, nous sommes tombés d'accord pour jeudi à deux heures. Ainsi l’électricité
pourra être installée, le W-C et le placard à linge mis en place . Celui-ci ne
sera pas dans le coin , mais au milieu du mur, et son côté ouvert sera fermé
par une planche faite par le menuisier
En conséquence de
quoi, je viendrai chez toi pour déjeuner, dimanche vers midi.
En tout amour
Ta
Zou
Et s'il te plaît, range un peu, c'est-à-dire ne laisse
traîner ni la broche d'Andrée ni la chemise de nuit de Gaby et surtout pas les
balbutiements d'amour de ta nouvelle épouse morganatique, la fille de Georges
Feydeau.
L'ordre économise et les souffrances.
Quand
tu viens chez moi, tu ne vois pas non plus la moindre cravate de D.
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 21 décembre 1936 ImsL p.449/450/451
Paris
21 Décembre 36
Chère Palu
Iwan
à traduire
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 24/25 décembre 1936 ImsL p.451/452/453
Nuit
de Noël 1936 [Paris]
Manyana
I.
à traduire
Carte d’Ivan
Goll, Metz à Claire Paris 1936MST p.219
Metz.
29 décembre 36
Chère petite Zouzou,
Voici un petit
échantillon d'art lorrain ancien.
Il fait ici terriblement
froid et brumeux ; tu y aurais passé des journées bien tristes. Quelle chance
que je ne t'ai pas emmenée.
Ma mère était
justement malade à nouveau, quand je suis arrivé, et elle a été très heureuse
que je puisse l'aider.
Nous ne chauffons qu'à
1/4 le fameux poêle à combustion continue, et il n'y a pour le dîner qu'un oeuf
et du fromage de Munster.
Je rentrerai jeudi à 4
heures et me rendrai tout de suite au quai Bourbon pour en rendre l'appartement
plus hospitalier. Arrive vers six heures. Le soir, nous sortirons peut-être
pour réveillonner.
J'apporte des rideaux,
de la vaisselle et beaucoup d'amour.
Ivan
Ci-joint 50 fr.
Ivan GollMetz à Paula Ludwig Ehrwald
30
décembre 1936 ImsL p.453/454
Metz
30 Déc.. [1936]
O Paulchen, Paula, Palu,
Ma
à traduire
lettre de la maman d'Yvan (non datée) est-elle de 1936 ou de
1939 à replacer
Jeudi soir,
Cher
Mig
Ta
lettre reçue ce matin m'a complètement atterrée en la lisant : Que l'on te
faisait une proposition, tu m'en avais touché un mot ces temps derniers, mais à
laquelle je n'ajoutais aucune importance.
Aujourd'hui,
tu sembles emballé, cette nouvelle et ton emballement m'ont atterrée à tel
point que j'ai cru sentir la terre s'entrouvrir et m'engloutir : Songes donc
que je n'ai que toi et ne vis que pour toi. Je suis sortie de cette stupeur
toute anéantie, ne pouvant plus ni causer ni respirer c'est à dire que j'ai
ressenti une syncope. Est-ce possible que je devrai survivre à cette nouvelle
catastrophe, moi qui ne vis que de ta présence, lorsque tu me quittes, je
supporte le temps jusqu'au moment de te revoir et je ne vis que dans cet
espoir: te revoir. Enfin s'il m'est donné de supporter une nouvelle épreuve
Dieu seul sait si j'aurai le courage d'aller jusqu'au bout sans fléchir. Ce
traître de Daniel m'a déjà tuée à moitié, je ne suis plus que l'ombre de ce que
j'étais et j'aurai à supporter l'autre moitié :en suis-je capable ?
On fait miroiter à tes yeux les 3000 Francs
mensuels mais la moitié ne t'est-elle pas assurée et plus ici, sans compter les
surplus* ? c'est cela qui t'enchante. Mais je suppose que tu vas réfléchir et
songes aussi que depuis quelque temps ta santé laisse à désirer. Claire de même
est souvent patraque as-tu aussi réfléchi si le climat vous sera favorable ? au
pays déjà vous n'êtes costauds qu'à demi, que sera-ce au Brésil ? Si vous êtes
malades, les 3000 Francs seront vite volatilisés et là-bas je ne vous viendrais
pas en aide et qu'est-ce cette somme pour s'expatrier ? Quant aux 4000 F
envoyés, ce n'est même pas suffisant pour la traversée à deux.
Enfin, réfléchissez bien, et
donnez-moi vite un mot qui me sorte de l'angoisse, qui me rassure et qui me
confirme que c'est à tort que tu t'es emballé.
Ta mère qui n'a que toi et qui t'embrasse de tout son
cœur
Rifka
* Rebecca versait 1500
Francs mensuellement à Goll et faisait face aux imprévus
Saint-Dié 510.340
1937
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 3 janvier 1937 ImsL p.455/456 ***
carte d'Henri de Montherlant à Claire Goll
du 5 janvier 1937
Nice
5.1.37
Chère Madame
Les "Dieux", comme vous
dites, sont actuellement enfouis dans leur propre création et ne sauraient plus
distraire sans péril grave, celui de perdre l'unité de leur pensée et de leur
mouvement. Oh ! mon Dieu ! Perdre son unité, ce serait horrible ! Mais quand
nous serons redescendu des sommets, nous lirons avec plaisir, l'histoire de
l'enfant abandonné après vous avoir fait un signe de nos sourcils.
Montherlant
Yvan est à Nice,
avec sa mère depuis le 7 février 1937
Lettre d'Audiberti à Yvan Goll du 11
février 1937 ***
En réponse à
une lettre d'Yvan (Nice) accompagnée du poème JsT épouse la lune soumis à
l'avis critique de Jacques A. qui sera en mai 38 dans le deuxième livre de JsT.
Mon bien cher
Ami,
J'ai
reçu avec la plus grande joie, partagée par ma petite Marie-Louise, la gentille
et douce boîte de fruits confits.Je
vous remercie de ne pas oublier votre camarade métrique.
Jacqueline, la
pauvre, n'a pas pu participer au repas sucré de votre amitié. Elle est couchée
depuis quinze jours, non plus à cause del' rhume, mais elle nous fait quelque
chose comme une dysenterie amibienne. Hier, une consultation a eu lieu ici.
Aujourd'hui, je dois porter dans un laboratoire ses déjections, pour que l'on
sache exactementquelle médication lui
appliquer.
Pardonnez-moi de
ne pas vous avoir écrit plus tôt. Je suis soumis à de fortes peines.
Le quatrain héliumpéplum, n'est pas évidemment, dans le
jaillissement de ce que j'eusse moi-même écrit, non plus que "insouciantes
tètent", mais là n'est pas la question. Personnellement, je n'aime pas
énormément nous drape un péplum. Nous tisse un péplum est mieux (Ici, c'est le
mystère de la voix personnelle, et je suis moi-même trop lié à une certaine
forme d'expression pour que mon jugement soit tout à fait valable).
La strophe : le
blême liquide ... m'enchante.
Mon bon ami, ne
m'en veuillez pas d'être si bref. Je dois partir au laboratoire.
La vie est
exigeante... dure parfois. Ce que vous dites de Nice m'enchante. Tout cela est
si juste. Ce faux soleil, ces cadavres debout mais il y a la vieille ville, la
patrie nissarde. Allez la saluer, place Saint-François, ou bien au coin de la rue
Colonna d’Istria et de la rue de la Préfecture. La mer et la montagne
forniquent là dans l’ordure. Le Dialecte y célèbre le Scepticisme et la
Famille. Et les pigeons prennent de beaux virages ramés. Allez, avec votre
maman, manger "Da Bouttan", place du marché aux herbes, à huit pas de
Santa Reparata. Montez au premier étage. C’est chiqué, littéraire, mais tout de
même, il y a des vestiges, des
allusions authentiques. Le patron a l'accent marseillais, mais le garçon parle un
bon niçard.
Nice ... Tout y
est faux, mais la mer, même sous les pilotis de la Jetée-Promenade, a cette
voix profonde et régulière
A bientôt ? Et merci, et pardon
J
SDdV Aa45
(257)- 510.299 III
Lettre
d'Yvan (Nice) à Claire(Lastra -
Florence) 12 février 1937 MST p.219/220
Nice
12.2.37
Chère petite Suzu
Aujourd'hui vendredi matin, rien d'autre à la Poste que
ton télégramme qui m'attriste, car je t'avais envoyé une longue lettre mardi et
je suis désolé que ce soit aussi long pour arriver. Tu l'as maintenant
certainement en sécurité entre les mains.
Hier, ta lettre a coloré en bleu toute ma
journée, bien qu'il ait plu et que je me sois montré sur la Promenade des
Anglais avec mon beau costume, comme tous les snobs. L'atmosphère ici est
toujours répugnante. D'ailleurs, du matin au soir il fait très frais et humide
si bien que beaucoup de gens ont pris froid. Je ne regrette plus autant
maintenant ton départ.Et quand le
soleil luit sur tes bosquets d'oliviers, ce doit être là-bas complètement
magnifique, à Lastra. En outre, le soleil brouille complètement le vide babil à
côté de moi. Je suis immatériel et intérieurement encore je n'ai jamais baigné
dans un tel gris et un tel néant comme actuellement. Impossible de penser à
autre chose qu'à cette idée; Qu'allons-nous manger maintenant ? Combien ça va
coûter ? Et à cause d'un bruyant désespoir j'ai fumé toute la semaine comme un
malotru si bien que je me sens maintenant complètement mal. Je me laisse aller,
je ne fais plus aucune culture physique, ne lisais rien : - pourtant, hier
matin, j'éprouvais un tel dégoût que je pris une grande résolution ! Voulais-je
réellement devenir déjà un vieillard grisonnant ? Je mangeais un kilo d'oranges
et je décidais de ne plus jamais fumer !
Aujourd'hui, ça
va déjà mieux.
Dis à Kurt Wolf que je le
remercie de sa lettre et que je verse aujourd'hui 500 frs. sur la Banque de
Barclay. Combien te compte-t-il la pension ? Sinon, pas de courrier que
l'invitation Eliat. Ecris-lui une petite carte,
et
salue tous les loups [Wölffe]
pour
ton mouton
Yvan
lettre
d'Yvan (Nice) à Claire(Lastra -
Florence) 17 février 1937 MST p.220/221
Chère petite Suzu,
Ta lettre
de vendredi dernier a enrichi de ton sourire ma journée d'hier. Et j'en avais
amèrement besoin. Si je ne t'ai pas écrit tout de suite, c'est que j'allais
assez mal. Trois maux se sont abattus sur moi. Le rhume du début ne s'améliore
pas dans cet air humide. Il souffle un mauvais vent ; mais le soleil brille
dangereusement et cela vous induit toujours en erreur. C'est ainsi que j'ai
pris un coup de soleil et de forts maux de tête. Troisièmement, voici que
fleurit à mon cou un gentil furoncle, proprement attisé par le mauvais régime
du Prix-fixe : c'est ainsi que déambule sur la promenade des Anglais ma
silhouette mélancolique, bandée et frissonnante … Ma mère me fait des
pansements … et le fameux Midi me malmène.
C'est une
chance que tu aies fui ce rivage. Et je suis heureux que tu te trouves si bien
chez les Wolff, et que tes petits amandiers soient plus poétiques que ceux
d'ici. Le froid de Florence est certainement plus sain que la chaleur niçoise.
Ici, tout
est faux même le soleil.
Ma mère
reste jusqu'à la fin du mois : cela ne fait plus bien longtemps. J'espère qu'à
ce moment-là, ma furonculose sera guérie. Je n'ai pas encore décidé si j'irai
alors te rejoindre : je n'en ai pas grande envie. Je suis bien trop désireux de
me remettre à faire confortablement ma cuisine, car je suis sursaturé des
nourritures d'hôtel.
Absolument
aucun courrier intéressant : rien que cette coupure de La Revue Doloriste avec
ton très intéressant article. Je déplore cependant que tu cherches trop à y
faire preuve de savoir et ne parles pas assez de ta propre douleur. Quand,
quand telaisseras-tu aller entièrement
dans tes écrits, quand y seras-tu toi-même ? Se donner tout simplement, tout
humainement, avec moins de style ? Entièrement femme ? Entièrement Mansfield ?
Comme je
te l'ai dit, 500 lires ont été versées chez Barclay pour Kurt Wolff. 500 autres
lires suivront dans quelques jours.
Salue
tout le monde, y compris Hasenclever, dont, si bizarrement, tu ne dis rien.
En
tout amour, ton
Yvan
lettre
d'Yvan (Nice) à Claire(Lastra -
Florence) 19 février 1937 MST p.221/222
Nice,
19.2.37
Chère petite Suzu
Comme
testrois violettes sentent bon : plus
enivrantes que les buissons de mimosa et d'oeillets du marché niçois ! C'est
par un matin ensoleillé que tu m'as fait fleurir ce don, et je suis à nouveau
riche d'espoir.
De mes
trois maux il ne me reste guère que le bouton de furonculose, sur lequel je
pose une des trois violettes : d'ailleurs, il se guérit déjà grâce à un sérum,
qui stoppe toute propagation du mal.
Le ciel
est doux, et mon cœur aussi.
Comme je
me réjouis que tu te portes bien. Mais pour que non seulement ton petit corps,
mais aussi ton âme engraissent, je te l'annonce tout de suite : je viens !
Ma mère
part d'ici le 28. Moi le 1er mars, je partirai pour Gênes, Lastra et Santa
Clara.
Ce seront
alors les jours où se répandra sur les collines florentines le plus rose délire
des amandiers.
Oui, les
petites maisons avec leurs oliveraies, ou même sans, me séduisent beaucoup, et
aussi leur prix. Nous examinerons tout cela tranquillement.
Pas de
courrier. Pas de travail. Rien que des fleurs et du soleil.
Mais
prends en considération ma dernière critique : n'écris qu'avec abandon !
Tendrement
à toi
Yvan
lettre
d'Yvan (Nice) à Claire(Florence) 23
février 1937MST p.222/223
Nice,
23.2.37
Chère petite Suzu,
J'ai reçu
tout à l'heure, ensemble ta lettre de samedi et ta carte de dimanche (mais le
télégramme hier matin).
Tu me
plonges dans la perplexité. Avant toutes choses, tu devrais dire aux Wolff que
je peux rester, tout au plus, de 8 à 10 jours. Notre billet échoit le 12 mars,
Et pour d'autres raisons encore, nous devons rentrer à Paris.
Est-ce
bien la peine que les Wolff bouleversent tous leurs projets pour si peu de
temps ? Est-ce la peine de s'installerdans un appartement avec cuisine, pour une semaine ? Juste le temps que
je fasse connaissance avec les casseroles ?que j'ai appris à faire le marché ?
D'un
autre côté, l'invitation à Rapallo est aussi très séduisante.
Mais
puisqu'il ne s'agit que de toi, puisque je ne vais en Italie que pour toi, je
te laisse choisir le lieu où nous pouvons passer ces dix journées de mars.
Télégraphie-moi ta décision.
J'ai
versé aujourd'hui, de nouveau, 500 lires à la Banque de Barclay pour K. W. Fais
donc les comptes avec lui. Si je ne viens pas, j'en verserai encore autant,
afin qu'il puisse te transmettre un peu d'argent de poche.
Ci-inclus,
des cartes postales de Nice.
Je suis
de nouveau, tout à fait bien portant et je fais de splendides excursions, seul
à Cagnes, à Eze, etc.
A la
roulette, j'ai gagné 400 Fr. en 20 minutes, mais le jour suivant j'en ai
reperdu la moitié.
Mes
meilleurs saluts à tous. A toi, beaucoup d'amour
Yvan
lettre
d'Yvan (Nice) à Claire(Florence) Mardi
Gras 2/3/16/23/30 vérifier mars MST p.223/224
Nice, Mardi-Gras 1937
Ma chère Zouzou,
Avant-hier, en causant avec un Italien venant de Bologne,
qui m'apprit qu'il y pleuvait depuis trois jours, je ne pus retenir un de ces
cris rauques, coutumiers à mes ancêtres les hiboux. Je rageai une fois de plus
de t'avoir laissée partir de ce paradis, où il fait du soleil tous les jours,
où douze douzaines d'oeillets gros comme le poing coûtent 10 frs., où tu
n'aurais eu qu'à te laisser vivre, par exemple dans un hôtel de Cimiez à 15m.
du centre de Nice en bus....
Au lieu de cela, tu es allée te jeter sous les averses de
Florence, dans les hôtels désuets et dans la gueule des loups....
Certes, il y a ma mère, mais pas aussi encombrante qu'on
eût pu le croire. L'Hôtel Félix Faure est ma foi, très confortable, situé juste
à côté du Grand Hôtel que nous avons vu de loin, de la place Masséna, te
rappelles-tu ? Et nous mangeons dans des restaurants qui valent bien Le Rallye.
J'ai trouvé la cavalcade vraiment intéressante. Les têtes
sont modelées par de vrais artistes, et elles ont souvent cette force de
comique ou de tragique que nous recherchons dans les masques des primitifs
La bataille aux confettis
de plâtre, qui tombent de certains chars ou lancés sur le public avec des
pelles et avec la force de mitrailleuses, est exubérante et déchaîne des
tonnerres de rire et d'effroi, car ils font mal, et le public est forcé de se
munir de véritables masques défensifs; le roi Gustave V lui-même l'a porté.
Pour le
reste, évidemment, il est entendu que Nice n'est qu'un cimetière où les vivants
plus que morts mènent une sarabande effrayante. Tous les vieillards d'Europe
gâteux et galetteux se sont donné rendez-vous devant le Ruhl sur la promenade
des Anglais. On frissonne en les voyant, lorsque, quelques minutes auparavant,
on a lu un discours du sud ou du nord. Ici, on assiste vraiment à la fin d'un
monde. Et tous ces spectres ingurgitent paisiblement leurs menus à prix fixe.
J'attends
avec anxiété de tes nouvelles. Es-tu contente, ou regrettes-tu ton départ?
C'est de cela que dépend la couleur des jours prochains
de
ton éternel amant
Yvan
lettre en français **
Claire
(Florence) à Yvan, 49 Quai de Bourbon à Paris (IV ème) 28 mars 1937MST p.224
A
Jean sans Cœur
Mon Chéri,
J'aime ta
présence et ton absence, car tu es davantage présent quand tu es absent. Je me
réjouis dès le matin de te revoir le soir après une absence douloureuse et pleine
de dangers inconnus. Et le soir, je m'endors en attendant le matin pour te
revoir pour la première fois. Innombrable et étrange, je te rencontre partout
et tu ne me reconnais jamais. Seule, mon écriture - témoigne de ma main droite
et de mon cœur plus que gauche - est pour toi une preuve certaine que j'existe
malgré moi et surtout quand tu m'admets dans tes rêves en voyant ma signature.
Claire
Sans Lune
(A
la veille de l'anniversaire de "Jean sans Terre")
carte-lettre
d'Ivan (Metz) à Claire (Haybes s/Meuse) 14 avril 1937 MST p.224
Metz
6h. du soir
Chérie,
Quelle chance tu as dans ton château!: ici l'appartement
n'est pas chauffé. Vers le soir maman a essayé d'allumer le poêle, mais elle
n'a réussi qu'a remplir toutes les pièces de fumée.
Il est
vrai qu'il y a du bon pot-au-feu et des carpes farcies.
Pendant
tout le voyage, je ne pensais qu'à toi et je t'aimais davantage à chaque
kilomètre.
Sois
patiente et écoute le chant du pluvier, mon frère
Ton
Ivan
Ecris-moi encore, s'il-te-plaît poste restante
Carte-lettre
d'Ivan (Metz) à Claire (Haybes s/Meuse) 15 avril 1937 MST p.225
Chérie,
Je pense à toi avec de la peine au cœur : il fait si
froid. S'il te plaît, dis à la Baronne [Catoir] que tu es disposée à payer du
bois en supplément, comme à Lastra [chez Kurt Wolf] : qu'on t'en donne beaucoup
!
En
tout amour,
Ivan
Dédicace d'Audiberti à Yvan et Claire Goll
du 3 juin 1937 ***
à Ivan et à Claire
au bord de la Seine, qui, déjà,
roule nos cadavres, mais vers
quelle éternité ? Je n'ai, une
fois encore, à donner que mon
cœur lourd de mots... Mais je
voudrais, mais je veux que, parmi
ces mots, germe, lève et fleurisse,
sans cesse, laperledemon
amitié et de ma pure tendresse
pour Jean - Sans - Terre (qui m'a
attendusurlarouteetpour
Claire qui se méfie de Dieu .
Audiberti
3juin
1937
lettre
d'Yvan (Metz) à Claire (49, Quai de Bourbon) 30 juin 1937 MST p.225/226
Metz
30 juin [37]
Chère
petite Suzu,
Ta lettre bleue a apporté un peu de ciel dans cette
demeure grise. Tu sais que ma faculté de souffrir est inouïe et que le froid de
cet été m'atteint durement. Je recommence à devenir de plus en plus jaune.
Si le
temps était beau, j'aurais nagé dans la Moselle, j'aurais fait l'ascension du
Mont St-Quentin, la montagne de mon enfance.
Mais il
me reste peu de temps pour cela. Hier, j'ai téléphoné au notaire, à Nancy, qui
nous a fait savoir qu'il a enfin la réponse des parents, mais que celle-ci est
en partie négative en ce qui concerne les prétentions de ma mère. Pour mettre
cela au clair, nous devons aller demain à Nancy, et je ne lâcherai pas prise,
jusqu'à ce que toutes les questions soient éclaircies jusque dans le détail.
Cela peut durer des
heures.
Mais les
récents événements de Paris indiquent toujours plus nettement qu'il faut
résoudre, le plus vite possible, toutes les questions en suspens. C'est encore
un nouveau glissement vers l'abîme.
Dans ces
conditions, je ne rentrerai à Paris que vendredi; et probablement tard dans la
nuit. Je ne veux pas t'indiquer d'heure précise, car tout est encore dans le
vague.
Espérons
que l'après-midi d'aujourd'hui, chez Grasset, t'a donné pleine satisfaction. Le
succès de ton livre dépend de ton charme, pas seulement de ta coiffure.
L'emploi de tes soirées est fixé : hier, Audiberti,
aujourd'hui Beye, demain Grabinoulor, et après-demain je serai de retour.
Je suis
très content de l'article de Maxence.
Et
surtout de te retrouver
Ton
Y.
Yvanavait préparé la fuite de Paula de l'Autriche
en raison de l'aggravation de la situation politique et il avait loué dès le 10 juillet 1937 un
petit logement pour Paula dans la rue Saint-Louis-en-l'Ile. Quand Paula viendra
quelques jours à Paris à la mi-avril 1938, sans que Claire en soit informée,
elle ne s'installera pas dans l'île Saint-Louis mais prendra une chambre rue
d'Assas dans le VIème arrondissement
carte-lettre
d'Yvan (Metz) à Claire (Paris) 20 septembre 1937 MST p.226
Metz
20 septembre 37
Chère
petite Zouzou,
Ma mère
se réjouit fort de mon arrivée. C'est réellement pour elle un jour férié.
Depuis ce matin, nous nous occupons de choses sérieuses. Je ne peux pas
aujourd'hui pousser à aller à la Banque et pense t'envoyer les 100 frs. demain
matin. Pourvu que tu te remettes bien et que tu sois de nouveau calme et gaie.
Ton
Vani
Je me
suis régalé de tes magnifiques sandwichs
lettre
d'Yvan (Metz) à Claire (Paris) mardi 21 septembre 1937 MST p.226/227
Metz
21 septembre 37
Chère
Zouzou,
A peine
suis-je depuis une heure à Metz, que la vie y reprend son cours comme si,
depuis 30 ans, je n'avais jamais quitté cette ville. Ni les gens ni leurs
affaires ne semblent avoir changé, et on en éprouve une sorte d'horreur de
soi-même.
Demain,
mercredi, ma mère et moi partirons pour Nancy, et nous espérons y mettre fin à
cette histoire d'héritage. Mais il n'est pas certain que tout ira sur des
roulettes. Si oui, nous nous rendrons jeudi au Luxembourg, en sorte que je ne
pourrai sûrement pas quitter Metz avant vendredi matin : j'arriverai alors à
Paris à midi et je serai dès 1h½ au Quai Bourbon, où un repas frais et pur, à
la Bircher Benner voudra bien m'attendre. Ici, je recommence à manger beaucoup
de viande.
Les deux
abcès sont apparemment guéris : celui du bras est tout-à-fait fermé, et celui
du cou est en régression.
Comment
vas-tu ? Comment te réussit la solitude ?
Tu
devrais peut-être un matin, chercher encore dans les quartiers du Luxembourg et
de Grenelle, s'il n'y aurait pas un appartement intéressant. La guerre se
rapproche toujours, vue d'ici, et 13.000 Frs. paraît être un chiffre trop
pesant. Se retirer à la campagne serait le plus sage, en gardant un tout petit
pied-à-terre à Paris.
Voici 100
frs. que je t'ai promis, pour les dépenses d'intérieur.
Salutations
de Rifka
et
de ton vieil
I.
carte-lettre
d'Yvan (Luxembourg) à Claire (Paris) jeudi 24 septembre 1937 MST p. 227
Luxembourg24 septembre
37
Chère
Zou,
nous sommes arrivés ici de grand
matin. Levés à 5h. pour être à 8h. à la Poste. Mais le temps est devenu
magnifique et la Banque offre un bon accueil. Malheureusement, je ne peux pas
t'envoyer d'ici le billet que je t'ai promis : étranger. Ce soir, au retour au
pays, je te l'envoie dans une enveloppe.
Peut-être que je trouverai une autre lettre de toi à Metz,
avec des nouvelles de toi et de Doralies ?
Bons baisers
de ma partRifka
carte-lettre
d'Yvan(Metz) à Claire (Paris)9 novembre 1937 MST p. 228
Chère petite Suzu,
Merci pour ta lettre bleue
papillonnante. Je reviens après-demain vendredi. . Je pars d’ici après-midi et
serai vers 20 heures à la Gare de l’Est
TonI.
Beaucoup de tendresses de ma
mère chérie
(et de
l'autre côté de la carte, en français)
Ma chère
Claire,
Inutile de
vous décrire le plaisir que j'ai éprouvé en ouvrant la porte d'y trouver mon
cher Mig qui est venu combler un moment ma solitude journalière. Je vous
remercie également de la gentille missive que vous m'avez adressée, elle m'a
procuré une vive joie ;
Recevez ici
les meilleures tendresses de ma partRifka
lettre d'Yvan
(Metz) à Claire Vendredi 17 décembre 1937
MST p. 228/229
Metz 18 décembre
37
Cher petit
cœur,
Jamais on ne verrait à Paris une
journée aussi grise, aussi inhospitalière, qu'ici à Metz. Les jours diminuent
encore (jusqu'au 24), ils sont de plus en plus privés d'âme, et c'est à peine
si l'on sent la vie qui s'en va, et à quel point on disparaît soi-même, déjà
apparenté au néant.
J'ai lu dans le train quelques
chapitres de "Espoir" de Malraux : Tolède, où les hommes rejettent
leur peau et leur haut idéal, comme un vieux manteau : les Espagnols et les
Chinois se laissent écraser à mort comme des fourmis, et le monde fait comme
s'il ne se passait rien : en fait, il ne s'est rien passé.
Et je me sens parfois, maintenant,
dans cette froidure, que mon cœur s'arrêtera, une fois - et rienne se sera passé...
Il n'y aura eu que ton chaud
sentiment et ton angoisse douloureuse à mon sujet, et les larmes auront animé
des fleurs éphémères - il ne faut sans doute rien demander de plus.
Enveloppons-nous pour la nuit dans
ce manteau glacé de la lucidité et soyons bons et aimants l'un envers l'autre.
Yvan
lettre d'Yvan
(Metz) à Claire Samedi 18 décembre 1937 MST p. 229
Cher petit
cœur,
Pourquoi me sens-je aujourd'hui pareil à un
vieillard ? Tous les membres las, abandonné par tous les esprits vitaux et le
cerveau tout glacé. Aucun hiver n'est aussi froid, aussi désespéré que celui
d'une belle petite ville de l'Est, d'une rue aussi hermétiquement close, d'une
demeure comme celle-ci, dont une seule pièce est chauffée par des boulets que
l'on compte un à un.
Mon âme
est frissonnante et vieille : lentement, la mort me devient familière.
J'ai bien
dormi, avec une bouillotte dans mon lit, apportée par ma mère. Mais mes
engelures m'ont réveillé dans la nuit, et je n'osais pas ouvrir la fenêtre, et
alors, les pensées inquiètes, à ton sujet, m'ont assailli.
Je suis
très angoissé de rester si longtemps loin de Paris. Ton "non" à ma
question, de savoir si tu ne commençais pas à prendre de mauvaises habitudes,
était si faible et si incertain. Mon absence et l'appartement vide vont te
pousser à sortir : vois-tu, tu as besoin d'un nouveau présent, et moi qui suis
ici, dans le chaud appui maternel, je ne peux pas compter sur toi, quand je ne
suis pas là pour te tenir - cela est tout à fait la même chose que si je
t'étais infidèle, comme tu appelles ça.
Ou alors
voudrais-tu m'écrire bientôt une lettre souriante ?
Ton
triste
Yvan
lettre d'Yvan (Metz) à Claire Lundi 20
décembre 1937 MST p. 230
Metz,
lundi 20.12.37
Cher petit
cœur,
Ta lettre claire et bleue de samedi voltigea
comme un papillon dans ce monde hivernal, si froid. J'ai eu du remords pour ma
lettre amère qui t'est tombée dans la main, au même moment, mais qui te
confirmait en même temps mon complet dévouement (oh ! quel mot !). Jamais plus
je ne m'éloignerai de toi pour si longtemps, au plus pour trois ou quatre
jours, jamais plus pour sept.
Je passe
à présent mes journées à taper activement les Brigands. Peut-être
téléphoneras-tu à Charles pour le lui faire savoir. Je voudrais suivre de loin
ton emploi du temps : demain Frensky et Grabinoulor, et pour le soir de Noël,
je me réjouis d'aller avec toi à Saint-Etienne du Mont.
Je porte
à présent des sous-vêtements et ne souffre plus autant du froid. Ma mère a fait
rôtir aujourd'hui une belle cuisse d'oie.
Je me
porte bien de nouveau,
et
je te caresse tendrement
Yvan
1938
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald3 janvier 1938 ImsL p.483
à traduire
Le 20 janvier 1938, Yvan Goll signe un bail de
location pour un appartement, 14 rue de Condé dans le VIème arrondissement de
Paris. Ildéménage et s'y installe du 28
au 31 mars 1938.
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald22 janvier 1938 ImsL p.484
à traduire
Le 22 janvier Yvanavait invité Paula à veniràNice, où il serait avec sa mère, mais Paula n'avait pu accepter à cause
de la situation politique.
Du 26 janvier au 3 mars Yvan, sa mère et
Claire sont à Nice, Saint-Paul de Vence et Cannes.
daté
du 24 Janvier 1938,se trouve aux
mêmes archives, le double d’un virement d’honoraires de 350 roubles pour Tscheljuskin à « Mr. Ivan Goll,
Paris/France, 49, Quai de Bourbon »Sous le titre Tscheljuskin. Auszüge
aus einer Kantatel’oeuvre de Goll fut publiée en Février
1938 dans Das Wort
(« These », « Der Reporter », « Das Lied vom Genossen
Schiff », « Der Reporter », « Das Lied vom gefährlichen
Leben », « Der Reporter », « Ballade der 104 »)
100.
Carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald mercredi
26 janvier 1938 ImsL p.483
à traduire
Le 13 mars, les troupes d'Hitler occupent l'Autriche.
Paula fuit par Zurich ; elle viendra à Paris autour du 10 avril. vérifier car
Yvan lui écrit encore le 12 à Zurich
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula LudwigZürich17 mars 1938 ImsL
p.485/486
à traduire
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula LudwigZürich22 mars 1938 ImsL
p.487/488
à traduire
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula LudwigZürich30 mars 1938 ImsL
p.488/489
à traduire
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula LudwigZürich 8 avril 1938 ImsL p.489/490
à traduire
Yvan se rend du 11 au 17 avril à Metz puis à
Luxembourg pour y régler des affaires d'argent.
lettre d'Ivan Goll Metzà Paula LudwigZürich 12 avril1938 ImsL
p.490/491
à traduire
lettre d'Yvan
(Metz) à Claire (14, rue de Condé Paris) 12 avril 1938 MST p. 231
Metz 12 avril
Chère
petite Zouzou,
Ta lettre
de dimanche soirvient d'arriver mais
elle contient encore assez de tension et ta carte du 11, lundi matin, arrvera
ici aujourd'hui ou demain.
à traduire
O si seulement il faisait aussi chaud danston âme que dans ta maison
C'est
ce que je te souhaite
Ton
Yvan
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula LudwigZürich 14 avril 1938 ImsL p.491
à traduire
Paula Ludwig à Parisà Ivan à Metz :
lettre du 14 avril1938 *** IsmL p.492/493
(lettre douloureuse à
traduire)
elle n'a plus d'argent, plus de papier pour écrire, plus de
timbre-poste
Par hasard se produit une rencontre entre Claire et Paula
dans le VIème arrdt. le 17/18 avril
qui permet une explication entre elles.
Télégramme Ivan Goll Zürich à Paula Ludwig Paris21 avril 1938 - 12h30 ImsL p.493
à traduire
lettre d'Audiberti à
Claire du 19 mai 1938
Très chère amie,
Je sais mes torts, mais ne
m'accablez pas.
Mon père … Ma femme absente toute la
journée, et les deux enfants,
parfois, à
garder un peu. Et cette roue des
jours qui
est à la fois si rapide, si pesante.
Je ne sais pas trop si je mérite votre
affectueuse fidélité. En tout cas,
je vous
remercie de me la conserver, malgré
tout.
Herslichst
J
A
vendredi, 10 heures, bistrot Odéon
SDdV Aa50 (218)- 510.299 III
pneumatique d'Audibertià Claire et Yvan du 3 juin 1938
Au moment
où l'Académie Mallarmé vient de consacrer tant de kilomètres de solitude, ma
pensée affectueuse et fidèle va vers vous qui toujours m'avez aidé et soutenu.
Toutes mes tendresses et pour Yvan, ma chaude amitié.
Jacques
lettre d'Audiberti à Claire du 6
juin 1938
Chère
Claire,
Je suis honteux de ne pouvoir venir
demain, "Vendredi" me demande un grand article
et je dois le
livrer mardi à midi. Il faut que je livre mardi et que je l'écrive. Je crois
que c'est important n'est-ce pas ? Mercredi, si vous voulez bien, même endroit,
même heure.
Regrets et
affectueuses
amitiés
Jacques
SDdV
Aa52 (285)- 510.299 III
Lettre d'Yvan à sa
mère du 6 juin 1938, de retour à Paris
Chère
petite maman,
Je tiens à te rendre
compte immédiatement des résultats de ma journée d'hier qui s'est passée
exactement selon le programme établi. Le voyage en Pullman s'est effectué comme
dans un rêve : juste le temps de me raser dans une cabine magnifique, et la
moitié du parcours était déjà fait. Arrivé vers 1 heure ¼, je suis allé manger
un morceau.
Comme j'ai eu raison
de prendre le premier train, car j'ai été retenu jusqu'à 4h½, courant d'un
guichet à l'autre, et voulant mettre un ordre définitif dans toutes les
questions.
Eh bien, tout est
fait.
Tous les coupons sont
mis à l'encaissement, je tiens le bordereau à ta disposition.
J'ai déposé au compte
les 10000 frs. billets et les 15 Bons ainsi que les 14 Crédit National.
Le reste est allé au
coffre, soigneusement trié et inscrit.
Enfin, j'ai donné
l'ordre d'acheter ce que nous avions décidé. Et rien ne se vend pour le moment.
Je pense que nous
pouvons être contents tous les deux de cette journée, malgré la fatigue
encourue.
Finalement, j'ai dû courir à pied à la gare, dans la
pluie, ne trouvant pas de tramway, et n'ayant même pas le temps d'acheter des
cigarettes. J'ai sauté dans le train, deux minutes avant le départ. Mais, à
22h50, j'étais rendu en gare, et Claire me reçut avec joie, m'ayant attendu sans
grand espoir.
A bientôt tous les détails.
Bon dimanche et mille
baisers
Mig
SDdV
510.311 III Rés 780 2)
Lettre d'Yvan
Parisà sa mère du 10 juin 1938
Ma
chère maman,
Sans nouvelles de ta part, je pense
néanmoins que tu te portes toujours bien et que tu arranges tranquillement ta
petite vie.
Aujourd'hui, je tiens à joindre à
mes dernières explications des pièces justificatives qui te montreront ce qui a
été fait lors de mon dernier voyage.
Nous avons à notre crédit :
10000 frs. en espèces
8000 frs. de Bons de la Défense au 7 juin
5000frs. de Bons de la Défense au 6 octobre
10000frs. de Bons de la Défense au 20 octobre
33000 frs.
pour lesquels j'ai acheté ou
commandé diverses devises. Dès que leur acquisition me sera confirmée, je t'en
aviserai.
Le coupon du Crédit National se
détache le 15, et c'est seulement après que je le ferai vendre.
Pour les 2000 autres Bons de la
Défense, j'ai également acheté des Livres.
Claire me charge de t'envoyer ses
bons baisers
Je
reste ton très affectionné
Mig
SDdV
510.311 III Rés 780 3)
Du 20 au 23 juin, Yvan et Claire vont à
Metz puis à Luxembourg
lettre d'Ivan Goll Metz à Paula LudwigParis20 juin 1938 ImsL p.494
à traduire
Carte d'Ivan Goll Metzà Paula LudwigParis21
juin 1938 ImsL p.494
poème àtraduire
lettre I d'Ivan Goll Metz à Paula LudwigParis21 juin 1938 ImsL p.495/496
lettre II d'Ivan Goll Metz à Paula LudwigParis21 juin 1938 ImsL p.496/497
lettre d'Ivan Goll Metz à Paula LudwigParis22 juin 1938 ImsL p.497/498
à traduire ***
Le 23 juin,Ivan et Claire rentrent ensemble à Paris
le 29 juinils
s'embarquent à Southampton.
lettre d'Ivan GollSouthamptonà Paula LudwigParis30 juin 1938 ImsL
p.499/500
à traduire ***
lettre d'Ivan GollSouthamptonà Paula LudwigParis1 juillet 1938
ImsL p.501
à traduire **
Carted'Ivan GollSouthamptonà Paula LudwigParis4 juillet 1938
ImsL p.501
à traduire **
Du 4 au 9 juillet Ivan et Claire sont à Londres
lettre d'Ivan GollLondresà Paula LudwigParis6 juillet 1938
ImsL p.502/503/504
à traduire **
lettre d'Ivan GollLondresà Paula LudwigParis9 juillet 1938
ImsL p.504/505
à traduire **
Le 9 Ivan et Claire reviennent à Southampton
Le 13 juillet Ivan et Claire quittent
Southampton pour Paris où ils arrivent le 14 juillet.
Le 21 juillet, Claire fait seule un voyage surprise à Metz
et revient le 22 au soir à Paris
Lettre de Claire à
Ivan du 23 juillet 1938 MST p. 232
23 juillet 1938
9 h du soir [Paris, 14 rue de Condé]
Mon
Iwan,
Tu
as écrit un jour :
Pour
qu’un jour dans notre vieillesse
Nous
nous contemplions l’un l’autre
et voici que mon rêve de
vieillir ensemble avec toi tombe en poussière. Car on m’a changé mon Iwan
d’autrefois. Et,en ce moment,où je dois rendre des comptes,je sens plus fortement que jamais à quel
point je n’ai pas du tout changé,et
t’aime encore du bel amour de notre bon vieux temps,quand tu répondais à mon sentiment avec le
sérieux d’une vraie et rare parenté d’âme. Sans égards,une troisième a plongé un dard dans ce
sentiment et m’a,ce faisant,poussée dans la mort. Et s’il est vrai
que,dans ces minutes,je pardonne tout,je t’adresse cependant une prière sacrée
:ne vis pas avec Paula L. Tu ne peux
pas jouir de l’existence avec l’être humain qui me l’a volée,et qui,depuis bien des mois,connaissait
l’approche du dénouement inéluctable. Une mauvaise magie s’est abattue sur nous
depuis neuf ans,tu me dois une
pénitence pour ces tourments d’une si longue durée que je n’ai plus la force de
supporter et qui m’arrachèrent des cris furieux,au lieu de mots d’amour. Mon chéri,derrière les cris,le vieil amour pleurait, 'enfantin,vindicatif,buté) au point d’en rendre l’âme. Cette âme veillera sur toi,l’avenir appartient au remords,qui n’a pas assez prié. Je construirai autour
de toi une prière forte comme une tour. Là-dedans,elle te trouvera,la vraie :la jeune fille qui te donnera l’enfant dont tu as la nostalgie. Sois
béni,Aimé,pour tes longues années de bonté. Et sois remercié
pour tout l’indicible. Ne sois pas triste,mon grand enfant!Pense à ton
art,peut-être fera-t-il ton deuil plus
profond et plus grand.
Sois
doux envers ta mère,ne la laisse plus
si souvent seule. Elle est une brave femme,je le sais maintenant,dans
l’instant où l’on sait tout. Embrasse-la pour moi ; une lettre t’attend là-bas
chez elle. Et sois paternel pour ma pauvre Doralie.
Je
vais penser à toi avec une tendresse transcendante,aussi longtemps que je pourrai penser,et je baise avec dévotion tes chères mains.
Dans
toute l’éternité
Ta
Zouzou
Sur l’original de cette
lettre (en allemand) donc à Marbach,Claire a écrit en 1966,ce qui
suit :
Ce soir-là,je pris du véronal,car Iwan m’avait dit adieu pour toujours.
Deux jours avant,il était
"parti" avec une grande malle et m’avait fait croire qu’il quittait
Paris avec Paula Ludwig. En réalité,il
avait été rejoindre une jeune fille pour laquelle il louait,depuis plusieurs mois,un petit appartement dans la rue Saint-Louis-en-l’Isle,à Paris. Le 24 juillet,de bon matin,quand il vint prendre en cachette,son courrier chez notre concierge,celle-ci lui dit qu’elle était inquiète,que,la veille au soir,j’étais complètement bouleversée. Il se
précipita avec elle à l’étage,et ils me
trouvèrent.”
Jean Sans
Terre veille une Morte
Ivanà
Claire (Hôpital Cochin) 24 juillet 1938 MST
p. 233
Dimanche
après-midi
Chère petite
Zouzou,
Enfin
tu te réveilles à la vie, dans le milieu doré de l'été.
Je
voudrais bien rester à ton chevet, mais on me le défend.
J'aurais
préféré te confier à une clinique privée, mais je n'avais pas le choix. Affolé,
j'appelais Police-Secours et
l'ambulance t'amena aussitôt à l'hôpital Cochin.
Quelques
heures de patience et je tiendrai tes mains, de nouveau.
Ton
Ivan
Ivan (14, rue de
Condé Paris) à Claire (Hôpital Cochin) 25 juillet 1938 MST p. 233
Madame Claire Goll
Pavillon
Cornil
Lundi matin 9 h [le 25 juillet]
Chérie,
On ne me permet pas d'aller te voir ce matin
mais on me dit que tu as passé une bonne nuit.
A 1 heure, je serai admis à te voir
A la visite du docteur, entre 10 et 11h tu
apprendras si tu peux quitter l'hôpital aujourd'hui.
Je t'apporterai à 1 h une valise avec une
robe etc.
A
tantôt, bonne patience
Yvan
pneumatiqued'Ivan GollParisà Paula LudwigParis28 juillet 1938
ImsL p.505
à traduire **
Yvan arrive chez sa mère à Metz entre le 5 et 7 août ?
lettre d'Ivan Goll Metz à Paula LudwigParis10 août 1938 ImsL p.505/506
Metz
10 juillet
[exact 10 août]
Ma chère Palu,
Ici depuis quelques jours - mais
tout est passablement détraqué. Ma mère, qui ne m'avait pas prévenu dans sa
lettre, m'accueillit avec une fureur glaciale. En dépit de la calamité
suivante, la trahison de Claire avait lentement porté ses fruits : la tromperie
de Nice et toutes les histoires de couple du fils ne pouvaient laisser intact
un cerveau aussi bourgeois.
Elle est amèrement déçue et je
peux à peine lui en vouloir pour cela. J'ai perdu sa confiance pour toujours,
si bien que la vie quotidienne, avec repas et excursions se poursuivent en
silence. Il faudra beaucoup de patience et de temps pour cicatriser les
blessures sans qu'elles soient effacées.
Mais toi, comment vas-tu ?
Je souhaiterais bien t'entendre et
savoir si tu as bien reçu celuici et mes précédents envois.
En amour, Ton
Yvan
vérifier ma traduction
lettre d'Ivan Goll Metz à Paula LudwigParis14 août 1938 ImsL p.506/507 à traduire
lettre d'Ivan Goll Metz à Paula LudwigParis18 août 1938 ImsL p.507à traduire
lettre d'Ivan Goll Metz à Paula LudwigParis26 août 1938 ImsL p.508/509 à traduire
Le 28 août Claire et
Yvan vont ensemble à Chambéry pour la cure de Claire à Challes-les-Eaux, où ils
occupent 2 chambres dans la "Villa Eugène" qui dépend de
l'hôtel du Château
Carted'Ivan GollChambéryà Paula LudwigParis1 septembre 1938
ImsL p.509
lettre
d'Ivan Goll Challes-les-Eaux à sa maman à Paris du 1/9/1938
Chère maman,
J'ai bien reçu ta lettre du 30, qui
ne contenait hélas, pas de nouvelles de toi, mais une missive de Strasbourg,
avec un article sur moi que je joins à celle-ci, et que je te prie de me
retourner. On me dit m'avoir envoyé 2 exemplaires de la "Revue du
Rhin" : si tu as reçu ces "imprimés", je te prie de me les faire
également suivre, en biffant simplement l'adresse de Metz, et en inscrivant à
côté celle de Challes, et en la portant à la poste, sans supplément
d'affranchissement.
J'ai également reçu déjà la réponse
de Zurich que le surplus du paiement des coupons Reichsb. A été effectué le 20
juillet :
d'une part 50 et d'autre part 27
coupons.
On devrait toucher 11,90 à 8 %
et les sommes sont réalisées à 18
francs Suisse pour 100 Marks. Il n'y avait sans doute pas plus à en tirer.
Nous t'avons écrit lundi soir pour
t'annoncer notre agréable installation ici. Pendant 3 jours, il a fait froid et
pluvieux, mais ce matin, un soleil radieux éclate sur les montagnes qui nous
environnent. Je me prépare à faire un grand tour en vélo, tandis que Claire se
rendra à l'établissement thermal
Nous t'embrassons affectueusement
Mig
SDdV
510.311 III Rés 780 1)
lettre d'Ivan Goll Chambéryà Paula LudwigParis2 septembre 1938
ImsL p.509/510
à traduire ***
Le 11 septembre Yvan va seul chez sa mère à Metz et de là
le 12 à Luxembourg puis à Bruxelles, avant de revenir à Paris le 20 septembre
Carted'Ivan Goll Luxembourgà Paula LudwigParis12 septembre 1938
ImsL p.511
à traduire ***
Claire revient à Paris le 13 septembre
lettre
d'Ivan Goll à Bruxellesà Claire Paris 13 septembre 1938MST
p.234/235
[Bruxelles
13.9.38]
Chère petite Zouzou,
13
septembre,
Hitler
a parlé !
La bombe siffle — et ne tombe
pas !
Sentiment intolérable. Les gens
continuent à se rendre gaiement à leurs affaires. A Bruxelles, c'est comme si
rien ne se passait.
Et
hier, il y a eu dans mon âme une telle alarme. L'excitation du grand voyage
d'adieu de ma mère. Mon départ à 2 h pour le Lux. Là-bas, réglé beaucoup de
choses. Pris à 7h le train pour Bruxelles. Arrivé à 11h à Bruxelles-Nord, et je
me rends tout de suite à notre vieil hôtel qui en est proche : Hôtel Splendid,
14, rue des Croisades, chambre à 30 Frs. Puis, redescendu : dans les rues on
diffuse le discours d'Hitler, qui me déplaît beaucoup et qui fait présager le
pire. Mauvaise nuit, et la décision prise d'aller, ce matin, interroger une
agence de voyages.
Mais,
vers midi, tout demeure paisible, je sonde les journaux, qui recommencent déjà
à tout déguiser sous des formules d'optimisme démocratique, à tout alléger.
D'ailleurs, j'ai maintenant un
plan : si les choses se gâtent, un bateau part d'Anvers tous les vendredis en
direction de Göteborg (Göteborg, Centervall) et Oslo : il arrive le dimanche
là-bas, traversée directe sans escale, relativement pas chère, et pour
l'instant sans visa.
De là, il y a des bateaux
directs pour New-York. Voilà dons une voie, pour le plus pressé.
Sinon, il faut sans doute de
longs préparatifs et toutes sortes de paperasses, — pour le Brésil.
Mais à présent, que faire si les
choses traînent encore en longueur ? Dois-je revenir à Paris ?
De
toutes manières, il me semble prématuré pour toi de te rendre à Bruxelles avec
tout ton bagage et attirail d'hibernation, pour que nous y restions dans
l'attente et l'indécision. Je pense recevoir demain matin une lettre de toi.
Peut-être par la poste aérienne. Il n'est, en fin de compte, pas grave que
j'attende ici pendant 1 ou 2 jours.
Je suis tout seul, je
reste seul. Cela je te le jure. Personne ne doit savoir que je suis ici,
et je n'irai pas voir non plus Flouquet, etc..
La
situation est sérieuse, crois-moi sur parole !
Mais
mettre en branle tout ton dispositif de voyage, alors que tu franchirais
toujours la frontière... pas encore.
Peut-être
aussi reviendrai-je déjà demain ou après-demain
J'attends ton conseil.
S'il
nous reste du temps, nous nous attaquerons au problème difficultueux du Brésil.
Un
temps terriblement superbe. Quel dommage !
Raconte-moi
en détail ton voyage de retour et ce qu'a fait ma mère ce matin.
En
tout amour,ton
Yvan
télégramme
de Claire à Paris à Ivan Goll à Bruxelles 13 septembre 1938 /18h40MST p.236
MAMAN PAS ARRIVEE TA LETTRE VIDE
QUE FAIRE[ Claire ]
lettre
de Claire à Paris à Ivan Goll à Bruxelles 13 septembre 1938MST p.235
Bien-aimé,
Enfin
ton télégramme. Tu es là-bas ! A présent, je pourrai retrouver le sommeil, que
j'avais perdu depuis 2 nuits. Ah ! Promène-toi au soleil et repose-toi, mon
cœur ! Comme j'ai souffert à cause de toi ! Mon cœur battait tumultueusement !
Le rein, enflammé, a des élancements, la tête me battait. Depuis que tu es
parti, je n’ai rien mangé, je n’ai que les souvenirs de nos repas... Ce matin,
36 de température seulement au lieu de 38 hier., Comme tu l'avais télégraphié, ta
mère qui devait arriver à 10h37, n’y était pas ,. Une erreur de toi, ou
peut-être de la poste ? Et dans ta lettre, il n'y avait qu'une feuille de
papier blanc. Je te demande de m'envoyer au plus vite un mot.
A
présent, il est deux heures et Maman n'est pas encore là. Suis très inquiète.
Quand y aura-t-il à nouveau du soleil et quand serai-je près de toi ? Je gèle
de fièvre.
Avec
un amour bien trop grand, t'embrasse
Ta
Zouzou
lettre
d'Ivan Goll à Bruxellesà Claire Paris 14 septembre 1938MST
p.236/237
Bruxelles,
mercredi 14 septembre 1938
10h.¼
Bien-aimée,
A
l'instant, je reçois ta lettre bleue d'hier : quelle peur !
Dans ma lettre de Metz, il n'y
avait qu'une feuille de papier blanc ? Comment est-ce possible ? je t'avais
écrit 2 longues pages sur ma mère et mes projets : elle devait quitter Metz,
mardi à 7h. par la Micheline et arriver à Paris à 10h.37 à la gare de l'Est.
(Peut-être aussi ai-je perdu la tête à Metz ; j'ai écrit l'adresse à la gare).
De plus, nous étions accompagnés par tante Justine et oncle Alphonse. Ma mère
devait repartir à midi de la Gare Montparnasse en direction de Dinard et elle
portait tous ses trésors sur elle.
Tu
peux te représenter combien je suis inquiet.
Et surtout du fait que tu as
trouvé une feuille blanche dans mon enveloppe. Qui en a extrait la lettre ?
Je t'y écrivais au sujet de mon
voyage ici et de mes projets concernant notre déplacement vers l'Angleterre ou
la Suède. Je t'ai récrit tout cela dans ma lettre d'hier soir, que tu devrais
avoir reçue aujourd'hui mercredi matin.
En
outre, je t'ai expédié ce matin à 9h. une lettre par avion, avec un billet de
1000 Frs. car j'avais interprété ton télégramme "lettre vide" comme
s'il signifiait que la lettre ne contenait pas d'argent. Par contre, dans ma
lettre de Metz, je t'avais fait savoir que ma mère te remettrait 1000 fr. en
mains propres lors de son passage à Paris. Tu vois, j'avais pensé à tout.
En
ce moment, le valet de l'hôtel frappe à ma porte et m'apporte ton télégramme de
9h.44. Il est 10h.35.
Donc,
tu as reçu ma lettre d'hier. Bon. Vers midi, tu devrais recevoir le billet de
1000 fr. dans la lettre par avion : malheureusement, je n'ai pu recommander
cette lettre, il était trop tard. Elle est partie à 9h. Télégraphie-moi de
suite un accusé de réception.
A
l'instant, on affiche des télégrammes très inquiétants. Chute de la Bourse.
Graves événements à Prague. Midi.
Apporte-moi
encore les deux carnets de chèques pour les banques anglaises : un grand noir à
reliure dure, et un qui est dans une enveloppe de lettre recommandée, ainsi que
le carnet d'adresses. Tout cela, je te le demandais déjà dans ma lettre de
Metz, et j'avais confié la clef à ma mère : car tout cela se trouve dans mon
tiroir de droite, ou peut-être de gauche. force-les : ce n'est pas difficile.
Prends aussi avec toi les lettres de Duarte, qui s'y trouvent et sont faciles à
découvrir dans leurs enveloppes.
Ensuite,
mon pardessus d'hiver, 2 manteaux gris, les chemises et pyjamas qui sont bons,
le complet bleu-lavande, quelques "Chansons Malaises" et "Poèmes
d'Amour"
Ecris
aussi souvent et aussi vite que possible.
En
tout amour
Ton
Yvan
Apporte aussi la Radio.
4h. Si Prague accepte le
plébiscite, tout se calmera. Attends, pour venir ici, que je t'appelle. Ne te
mets pas en voyage avant d'avoir reçu un télégramme de moi.
lettre
de Claire à Paris à Ivan Goll à Bruxelles 15 septembre 1938MST p.237/238/239
15.9.38 [jeudi]
Mon cher petit Yvan,
Merci
pour la lettre et l'argent, qui m'ont délivrée de multiples soucis. Mais le
plus important, plus important que le sommeil, la nourriture et la lumière, ce
sont les mots que tu m'adresses. Si seulement, ils venaient plus souvent, si tu
prenais un peu plus de temps pour m'écrire !Alors, hier, devant cette feuille blanche et vide, je n'aurais pas été
prise de panique et je n'aurais pas déjà cru voir ta mère assassinée dans son
lit ! Car, lorsque tu télégraphies : "train et chercher Maman", qui
penserait à une Micheline et un train de correspondance ? Je pensais qu'elle
habiterait chez moi, avais préparé un repas de fête, que finalement j'ai jeté à
la poubelle sans y avoir touché, et naturellement j'ai couru chez Henri avec ce
feuillet blanc et, malheureusement, ils sont au courant. Mais je leur aiexpliqué aujourd'hui que j'ai reçu maintenant
ton explication : tu étais troublé. Ta mère, souffrante a conduit son frère
très âgé à Dinard, étant donné que les vieillards doivent être évacués de Metz
et elle t'a prié de chercher quelque chose à Bruxelles pour elle et pour moi. A
l'avenir, soyons très précis et complets quand nous nous écrivons ou
télégraphions.
Oui,
et maintenant, la situation semble se prolonger ou s'éclairer. C'est que les
guerres, maintenant, on les fait à la manière de Hitler, ce suranimal. Et le
Français, plus humain succombera, comme toujours, au muscle.Que l'univers tout entier parle jour et nuit
d'un homme avec lequel aucun homme intelligent ne voudrait converser cinq
minutes car il est tellement médiocre. Et un Chamberlain qui s'enfuit à
Canossa, ô honte ! Mais Holopherne aussi a trouvé une Judith !
Comment
passes-tu ta journée en Belgique, mon chéri ? Et, la nuit ? Ecris plus souvent,
toi aussi, nous en avons malheureusement le temps.
Comme
toujours il fait beau, pour aggraver la torture d'être seule et la lune allonge
les nuits blanches.
J'aspire
douloureusement l'odeur de ta chambre et quand je veux manger, cela me reste
dans la gorge. Mais avant tout, tu es enfermé dans la chambre secrète et
spéciale de mon cœur et nul chirurgien ne pourra plus t'en déloger. Une maladie
honteuse, cet amour immémorial.
Sois
gai, tu vis et tu es un poète rare, que veux-tu de plus ?
Je crois en toi, en la vérité du
sentiment et l'éternité de la bonté, mais je ne crois pas à la guerre et à la
destruction.
En
toute tendresse
Ta
Zouzou
En tous cas, vois un peu à
Bruxelles et dans les environs s'il y a possibilités d'habitation, car nous
devrons peut-être partir d'ici tôt ou tard.
2ème
de Claire à Paris à Ivan Goll à Bruxelles 15 septembre 1938MST p.239/240
15.9.38 [jeudi]
Mon tout doux,
Je
n'ai reçu qu'hier soir ta lettre par avion, à9H., et il était trop tard pour te répondre.
Vers
6 H. j'ai aussi reçu un télégramme de ta mère, avec réponse payée de Dinard :
"Où envoyer billet
baisersRéb." Sans indication
d'adresse, en sorte que je n'ai pu lui répondre, bien que j'aie passé 36 heures
dans une affreuse angoisse à cause d'elle, la voyant assassinée dans sa
demeure, et que je lui aie télégraphié à Metz et que le télégramme me soit
revenu, car là-bas non plus, elle n'a pas laissé d'adresse. Quel dommage, que
vous perdiez ainsi la tête tous les deux, en un moment où il est nécessaire
d'être aussi précis que possible et où l'on devrait prendre son temps quand on
écrit une lettre ! C'est ainsi, par exemple, que je ne trouve pas ton livre sur
Alexandre, car tu ne m'indiques pas où il est rangé. Tu n'écris pas si tu veux
ton smoking, une chemise blanche, des chemises de couleur neuves, un pyjama
etc. Car, cette fois, il s'agit de renoncer à tout ce qui reste dans la maison.
Avec Manchez (*) on ne plaisante pas. Je pense aussi à mes livres, à mes
articles dans le B.T., à toutes nos critiques, à toutes tes oeuvres, etc.: ne
devrais-je pas, dès maintenant, en expédier un certain nombre d'exemplaires, en
petite vitesse, au Splendid ? Qu'en penses-tu ?
En
outre, je ne crois pas que mes vêtements d'hiver et les tiens tiennent dans le
CG et dans la malle-cabine, il faudrait une malle plate assez grande, d'autant
plus que la mienne est détériorée. Comme nous avons manqué de prévoyance !
Tu
n'écris pas non plus s'il faut mettre Goll ou Lang - tu me l'écris seulement
dans ta lettre par avion. Et tu réponds trop tard à mes deux télégrammes, au
lieu de rentrer souvent à ton hôtel, où il peut toujours arriver un mot
important de moi. Fort heureusement, cette fois, le billet était inclus dans ta
lettre, mais je crois que l'on n'a pas le droit d'inclure quoi que ce soit dans
les lettres. Et maintenant, chéri, ton intention de te rendre en Angleterre ?
On peut bien faire annuler ou un dépôt par écrit. Ou est-ce que tu veux te
rendre compte un peu à Londres, qui sera immédiatement bombardée, de la
négligence que tu as eue ici ? Quand on est déjà dans un pays neutre, à quoi
bon se transporter dans un pays belligérant !
Fais-toi, éventuellement verser
une très grosse somme, mais:
1°) l'Angleterre est riche, elle
ne fera pas banqueroute
2°) dès le début des hostilités,
les banques dirigeront certainement les biens de leurs clients vers l'intérieur
du pays. C'est ce qui aura lieu en Suisse aussi, espérons-le puisque nous y
avons tout laissé en plan.
Bruxelles,
cette fois-ci me paraît à l'abri de tout danger. D'abord, parce que la
princesse héritière d'Italie (alliée d'Hitler) est une Belge. Tout au plus les
vivres peuvent-ilss'amoindrir, mais
qu'est-ce que cela nous fait ? Mais si tu veux aller en Angleterre, le mieux
sera que nous y allions ensemble. Je ne peux pas, moi non plus, attendre la
dernière minute, car avec mes nombreux bagages, je ne trouverai plus de taxi
(ils seront aussitôt réquisitionnés) et les gares, les trains ne seraient
presque plus accessibles qu'aux militaires. Déjà, avant-hier, quand j'ai voulu
aller chercher ta mère, la gare de l'Est était partiellement barrée à cause des
réservistes. On ne distribuait plus du tout de billets de quai. En plus de toutes
ces courses et empaquetages, j'ai été indisposée la nuit dernière, en sorte que
je me sens fort misérable sans ta proximité.
Mais
à présent, il ne s'agit pas de gémir, mais de ne pas manquer le moment décisif.
Réponds de suite, si tu crois
devoir encore aller à Londres.Mais
comment pourrons-nous ensuite en ressortir avec les mines tout autour, ou y
rester? Non.dans notre cas particulier.
J'enverrai cette lettre par
avion, si c'est faisable.
En
amour
Ta
Zouzou
(*) notre propriétaire, ami
intime du Ministre Flandin, qui était pro-Hitler
Carted'Ivan Goll Bruxellesà Paula LudwigParis15 septembre 1938
ImsL p.512
à traduire ***
Le 20 septembre Goll
était de retour à Paris; Le 24 septembre, il envoyait 10 exemplaires de leurs
livres à Dinard ainsi que différents objets de valeur. Le 25 septembre Yvan
part en train pour Bruxelles et Ostende et va à Londres pour réaliser des
ordres bancaires, il revient le 28 septembre à Bruxelles avant de rentrer à
Paris le 1er Octobre.
Carted'Ivan Goll Bruxellesà Paula LudwigParis25 septembre 1938
ImsL p.512
Paula Ludwig part
début octobre à Ascona pour y passer quelques semaines avec son amie Nina
Engelhardt ; après son départs Goll loge dans sa chambre, rue d'Assas ; Paula
ne reviendra à Paris que début décembre
lettre d'Ivan Goll Parisà Paula LudwigAscona7 octobre 1938
ImsL p.513
lettre d'Ivan Goll Parisà Paula LudwigAscona14 octobre 1938
ImsL p.514/515
lettre d'Ivan Goll Parisà Paula LudwigAscona15 octobre 1938
ImsL p.515/516/517
à traduire
lettre d'Ivan Goll Parisà Paula LudwigAscona4 novembre 1938
ImsL p.517/518
lettre
d'Ivan Goll à Metzà Claire Paris 8 novembre 1938MST
p.240/241/242
Metz 8 novembre 1938
Aimée,
La
journée d'hier lundi a été bien remplie, riche en expériences très diverses, et
elle s'est achevée par un splendide clair de lune. Cela commença par la grande
aurore à Bâle, après un intéressant parcours nocturne, avec le grand Suisse
auquel tu m'avais confié; Il m'a pris sous sa protection virile, comme c'est
son habitude professionnelle, car il est un célèbre guide de montagne des Alpes
bernoises. Un merveilleux enfant de la nature. Chose touchante, il venait de
passer deux jours à paris avec son jeune ami, et tous deux avaient parcouru la
ville à pied : de la Tour Eiffel au Sacré Cœur. Ce qui l'a le plus étonné,
c'est qu'il n'a pas été accosté par une seule femme, et que, par conséquent,
Paris n'est pas la Babylone du péché comme il l'avait cru: comment avait-il pu se l'imaginer ?
Ensuite, il m'a raconté pendant des heures des histoires de ses montagnes, avec
un tel amour pour la nature alpestre, pour les secrets des glaciers - jusqu'à
26 ans, il était pâtre, sur un pâturage élevé, à trois heures de la plus proche
habitation. Il n'était "descendu" qu'une fois, pour son service
militaire. Ensuite, il devint un guide recherché et héroïque. Cet été, il a
fait 59 fois l'ascension du Pic Palu, 41 fois une autre, etc.; et il a gagné
3.000 francs suisses. Mais à Paris, il a dépensé 20 frs. suisses en tout et
pour tout. Quelle âme pure. Cette chasteté - il a 46 ans, n'est pas marié,
parce que son métier est trop dangereux. Son père et ses trois frères se sont
tués en montagne. il sait que cela lui arrivera un jour - mais il accepte la
mort avec beaucoup de simplicité. Le plus bel être humain que j'ai rencontré de
ma vie. Et, comme il parlait des fleurs, des levers de soleil ou du pain !
Ensuite, à Zurich, j'ai
rapidement réglé mes affaires. L'employé que je connais, à la banque, s'est
réjoui de me voir, et a été très content que je lui offre "Jean sans
Terre", - une idée de toi. Je suis reparti l'après-midi et j'ai eu assez
de temps d'attente à Bâle - à cause de la différence entre l'heure de l'Europe
centrale et celle de l'Ouest - pour aller au Musée, où j'ai fait intimement
connaissance avec Konrad Witz, Holbein et Urs Graf.
Lors du voyage de retour
(Bâle-Strasbourg-Metz-Luxembourg) on passe par Schlettstadt : peut-on passer
ainsi tout simplement, à toute vitesse, devant le tombeau de son père ? Je
résolus de descendre, bien qu'il fût déjà 7 h. du soir, pour rendre une visite
nocturne à ce cimetière de légende. Il faut marcher environ ¾ d'heure à travers
des champs et des vignobles. Au ciel étincelait la plus pleine de toutes les
lunes. J'étais parcouru par des frissons de peur, mon ombre m'effrayait. Loin,
à l'horizon, les Vosges argentées. Mais plus j'approchais du cimetière, plus
j'étais épouvanté. Enfin, le grand et vieux mur. Devant, la maison du gardien.
Trois chiens aboyaient, trois êtres humains tout noirs passèrent la tête à
travers la grille. Moi, je me dissimulai derrière des buissons, trouvai
entrouverte la porte qui mène aux tombes, ce qui est étrange, et bondis en
plein mystère.
Je
trouvai sans peine la pierre tombale de mon père, un peu oblique, toute
habillée de lierre, et je restai longtemps à genoux… mais le gardien, ses
chiens et sa famille ne reposaient pas - tandis que je dialoguais
convulsivement avec les étoiles et avec le mort.
Finalement,
ils me trouvèrent et poussèrent de grands cris, dont j'eus honte en présence de
ces ossements. On me traita comme un profanateur de cadavres, comme un
criminel, et le silence ne se rétablit que lorsque je mis un billet de 50 fr.
dans la main de l'homme.
Le
gardien m'avoua que, de toute sa carrière, rien de semblable ne lui était
jamais arrivé. S'il raconte cette histoire à ma famille, on en déduira que je
suis mûr pour l'asile d'aliénés.
Sur
le chemin du retour, la lune commença lentement à pourrir, comme une pomme dans
laquelle on mord, et qui s'oxyde. Des ombres bondissaient sur la vaste plaine.
Une nouvelle forme de peur m'assaillit.
Mais bientôt je perçus le signe
accueillant que me faisait le clocher de Schlettstadt, petite ville typiquement
alsacienne. A vrai dire, c'est d'abord une haute tour carrée qui me reçut, - on
l'appelle la Tour des Sorcières. En bas, se trouve un restaurant. Les repas
d'enterrement y sont quelque chose de particulier, qui réconcilie l'homme avec
la terre. Je commandai un menu fabuleux avec poularde et vin pétillant d'Alsace,
le vin même que mon père aimait tant et dont il avait dans sa cave de pleins
tonneaux, ce qui me remplit d'admiration posthume à son égard. Posséder un
tonneau et descendre, tous les soirs, à sa cave, quel sentiment de richesse
cela doit inspirer !
Pendant
le dîner, la tragédie lunaire était arrivée à son dénouement.
Un
seul hôte était assis près de moi, un authentique Alsacien, avec lorgnons et
redingote ; il mangeait un brochet au bleu. Comme tout cela évoquait ma patrie
!
Vers
10h., l'express doré fila avec un bruit de tonnerre à travers la nuit - passant
devant le cimetière et effarouchant les spectres.
Comme
une journée de 24 heures peut être remplie à éclater, de vivants et de morts,
d'aventures alpines, de frayeurs lunaires, de danses macabres d'Holbein et de
paysages féériques !
Et
seul un solitaire peut vivre aussi pleinement !
Mais
à présent, grâce à cette lettre, toi aussi tu prendras part à tout ceci.
Ton
Yvan
Carted'Ivan Goll Parisà Paula LudwigAscona 9 novembre 1938
ImsL p.518
Carted'Ivan Goll Metzà Paula LudwigParis 10 novembre 1938
ImsL p.519
lettre d'Ivan Goll Parisà Paula LudwigAscona14 novembre 1938
ImsL p.517/518
à traduire
Paula Ludwig
rentre à Paris début décembre
1939
Claire, Yvan et Paula envisagent de partir au Brésil
mais Claire ne souhaite pas prendre le même bateau que Paula Ludwig
Le 16 mai 1939 Ivan et Claire obtiennent un visa
provisoire de la Préfecture de Police de Paris valable jusqu'au16 novembre 1939 pour se rendre au Brésil à compléter
*** p.522
Télégramme
d'Yvan rue de Vaugirard, Paris à
Claire Paris 6 10/1/1939 12h40MST p.243
Metz 6661 - 11 heures 55
Les rythmes de la "Dichterliebe" d'hier me
projetèrent passionnément vers les "Sources de Claire " Ivan
lettre
de Claire à Paris à Ivan Goll à Metz 10/1/1939MST p.243/244
Paris, mardi
10 - 1.39
Mon petit coeur douloureux,
Ton
télégramme bleu a mis fin, vers une heure, à cette matinée grise et inquiète.
Il m'a communiqué du sang, du courage et de l'appétit, et je crois donc que je
survivrai tout de même à cette semaine.
Mais
lorsque, ce matin, je t'entendis courir enrhumé, dans ton épais pardessus, vers
le métro (la rue de Condé m'en renvoyait l'écho), je prévoyais naturellement
déjà toutes les formes d'une congestion pulmonaire et je passais les heures à
aller et venir dans le quartier, le visage à l'envers, car il ne fallait pas
songer à travailler.
À
présent, cela va beaucoup, beaucoup mieux, bien que chaque passage à travers ta
chambre nécessite encore toujours toutes sortes de stratégies ; car cela fait
mal, de se voir rappeler un poète par des feuilles de papier vert-espérance,
couvertes de "petits oiseaux ", et par un carnet d'autobus abandonné,
le méchant homme dans le coeur est si bon.
Mais,
Dieu merci, le train est bien arrivé et je n'ai plus qu'à espérer maintenant
que ta mère te gave bien et que tu y contribue activement en mangeant des
gâteaux .
Demain
matin, j'espère taper beaucoup, grâce à ton aide.
Quand tu
iras te promener, ne choisis pas des régions trop solitaires, il y a tant de
racaille, et prends une carne. Et habille -toi chaudement, surtout sur les
épaules, - que je caresse tendrement.
Le merle
était là tout à l'heure et il m'a rajeunie. Bientôt, tu recevras le nouveau
complet marron, qui rajeunira aussi tes yeux bruns et de la sorte, le printemps
finira peut-être par arriver.
Je baise tes
chères mains.
Ta
Suzu
lettre
d'Ivan Goll à Metzà Claire Paris 11 janvier 1939MST
p.244/245
Metz,
11.1 - 39
Mercredi
soir
Coeur douloureux, toi !
C'est à
toi que revient ce nom, et il faut que tu le gardes, tandis que l'abrupt
Iv ou If me convient plutôt ! Toute la journée déjà, je
voulais écrire cette lettre, mais j'étais comme paralysé et ne parvenait pas à
m'y mettre. Une sorte de grippe me privait complètement de volonté et
d'activité. Après une mauvaise nuit dans la glaciale pièce d'à côté,
j'éprouvais une telle peur de me lever... Seule la salle à manger est chauffée,
et presque trop, en sorte que c'est une entreprise follement téméraire d'en
sortir, pour passer soit dans la cuisine, soit dans les chambres à coucher. On
ne bouge plus de l'endroit où l'on est . Alors, le corps et l'esprit sont
entièrement rouillés. De plus, on est tout abruti par le poêle.
Voilà
que ma pauvre mère s'est imaginée qu'on doive vivre inconfortablement. Mais ces
privations ne sont plus sans lui laisser, à elle aussi, leurs marques : elle a
beaucoup vieilli. Son organisme semble s'épuiser Elle ne dort que trois heures, ses mains
tremblent par instants, elle éprouve souvent un point au coeur - cet hiver l'a
fortement éprouvée. Mais remarque la différence avec ta mère : pas un mot de
plainte, pas une tentative pour améliorer sa situation ; on sera forcé de l'y
contraindre ! Je ne puis la laisser plus longtemps seule pendant ces dures
semaines, pendant lesquelles elle continue à monter elle même, de sa cave
obscure, les seaux de charbon.
Elle
s'est persuadée qu'elle ne peut pas partir, à cause des conduites d'eau gelée
et éclatée : elle se fait l'esclave de ses maisons. En outre, la peur
l'assaille quelquefois dans cet appartement vide. Elle se relève, la nuit, pour
aller voir si tout est bien verrouillé. Dieu merci, la locataire du deuxième
étage va bientôt déménager, à ce qu'elle a écrit.
Malgré
toutes les mesures de prudence, ma mère avait encore une grande inondation dans
son propre appartement. Le soir, à huit heures, l'eau a jailli dans la cuisine.
Elle était tranquillement devant sa radio, et n'a rien entendu. Au bout d'une
demi-heure, le corridor, le salon, et même la chambre où elle se tenait,
étaient inondés, et elle ne s'en apercevait toujours pas. Dieu merci, les
locataires du 3e étage attirèrent son attention en sonnant ; ensuite, elle a
épongé le l'eau jusqu'à onze heures du soir et et de tout cela, elle ne nous
a pas écrit un seul mot !
J'ai de
grands soucis à son sujet. Il faut que je la persuade de venir à Paris le plus
tôt possible. Le climat est épouvantable et elle sort 10 fois pour avoir un
quart de litre de lait.
Cet
après-midi, je l'ai emmenée voir le fils de "Katia ", avec Danielle
Darieux, et elle m'en a été très reconnaissante. Mais, toute seule, elle ne
peut pas y aller ! D'ailleurs, le film est extrêmement mauvais - le principal
interprète est John Loder (l'empereur Alexandre II), un idiot parfait, qui ne
sait même pas parler le français, une bûche avec un beau visage. Après demain,
on donnera " Pension d'artistes ".
Ta
lettre était indiciblement tendre et touchante. Elle m'a donné la force de
recommencer à embrasser plus tendrement ma mère, et de t'aimer. Il faut que je
redevienne fort, pour te venir en aide, et aussi être plus gai.
Demain,
nous allons au Luxembourg, et par ce temps sombre, cela sera passablement
fatigant pour la petite mère.
Nous
t'enverrons une carte de là-bas.
Je te
prends tendrement dans mes bras.
If
lettre
de Claire à Paris à Ivan Goll à Metz 11/1/1939MST p.245/246
[Paris, 11. 1. 1939]
Chéri,
Reçu à l'instant ta
petite carte, sur laquelle tu ne parles plus de rhume. Le climat du Luxembourg
va, je l'espère, te rétablir complètement. En revanche, je vais moins bien, du
côté du coeur, je dois continuellement prendre des gouttes, pour pouvoir tenir.
Une nouvelle magnifique : "Marcel Mihalovici termine
actuellement une cantate pour baryton, choeur de femmes, la Genèse, sur un
texte d'Ivan Goll" - authentique entrefilet de presse. La"Corneille" hivernale est arrivée
encore une fois de et m'a apporté la fiche ci-incluse avec la menace de fermer
le gaz dans cinq jours. Je suis inquiète ; ne m'as-tu pas raconté qu'il était
payé ?
Le temps
qu'il fait t'est favorable. Je me réjouis de cette température modérée, en
songeant à ton séjour dans votre maison glacée.
Hier, je
ne suis pas allée à la conférence, j'étais trop malade.
Le livre
de Carrell est d'une grande envergure, n'est-ce pas ? On en oublie les petits
soucis du monde environnant.
Aime-moi
; je le sens très bien quand tu oublies de m'aimer. Pendant ton voyage, j'ai
reçu par deux fois une véritable gifle électrique, - par deux fois, mes
oreilles ont bourdonné follement, c'est ainsi que j'ai perçu le courant de ta
tendresse. Le soleil brille, je dois rester étendue, et ne puis travailler à
rien, j'espère que ça ira à peu près bien, à cinq heures, quand Paolo viendra,
et que je pourrai sortir avec lui.
Je
me jette dans tes bras en fermant les yeux.
Ta
Suzu
lettre
d'Ivan Goll à Metzà Claire Paris 12 janvier 1939MST
p.246/247
Metz 12
janvier 39
Mon coeur de souffrance,
Ta
lettre de ce matin m'a consumé le coeur. Oh toi, délicate aile de papillon, qui
frémit au moindre souffle ! Plus fragile que la graine du Bouton-d'or : comme
je veux être bon pour toi, te choyer, caresser et aimer...
Ne
crains donc rien, sois vaillante à nouveau, et interdis à ton coeurde te jouer
des tours si lamentables.
Puisque
le tréfonds de ton coeur peut être si fort et si courageux, si virilement
circonspect et pensant, le visage de ton oeuvre semble ressembler tout au plus
à ta tête, mais jamais à ta poitrine.
Je pense
perpétuellement à toi, et tu devrais le sentir, être très tranquille.
Ce
matin, levé à cinq heures, afin de partir à six heures au Luxembourg.
Après
une bonne nuit, ma mère est tout à fait rétablie, tout à fait redevenue ce
qu'elle était, - une femme qui décourage toute pitié.
À
Luxembourg, il y avait tant à faire que nous ne trouvâmes pas une minute pour
t'écrire une carte, et ma mère ne voulait en aucun cas rester jusqu'à midi et
déjeuner là-bas. Le train partait à 11 heures 31. Nous avons parcouru la ville,
au pas de course, jusqu'à la gare.
Comme tu
le penses bien, la magnifique nouvelle au sujet de Mihalovici m'a
profondémentréjoui. Mais dans un
journal était-elle ?
Je
quitterai donc Metz samedi à 15 heures 30 et arriverai à 20 heures 15 à la gare
de l'Est.
Pour
Werfel, c'est tout à fait bien. Si tu es fatiguée, ne viens pas à la gare : je
serai près de toi à 20h. 40 , me chargerai de vêtements en cinq minutes, et
alors...
Petite
mère te salue, et ne veut pas encore nous laisser fixer une date pour son
voyage à Paris.
Je
t'effleure, te caresse et t'aime.
Ivan
lettre
d'Ivan Goll Parisà Paula LudwigParis3 avril 1939 ImsL p.521 date
à vérifier
....En
amour ton
Ivan
à traduire ***
lettre d'Audiberti à Yvan et Claire Goll du
3 avril 1939 ***
Chers amis,
ces
temps derniers, je suis allé deux fois chez vous, vous laissant, dans la
serrure un petit mot. Peut-être n'étiez-vous pas à Paris. Je vous donnais
rendez-vous, et vous n'êtes pas venus. Aujourd'hui, je reçois ce Jean sans
Terre qui aura beaucoup de gloire, qui a beaucoup de grandeur, et qui
m'enchante, car je suis un peu à l'origine, cher Yvan, de cette révolution
prosodique qui s'est accomplie chez toi. Il y a, dans ce "Jean", des
pièces de la plus grande beauté. La première poésie, et ce dernier vers qu'elle
a, "la force de ma religion" me ravissent. "Le mal de
Terre", "Ci-gît Jean s T" sont bouleversants.
Il y a là un ton
particulier, une cadence de fièvre apaisée. Le violoneux juif se mêle à la
ronde villageoise, mais un peu de l'oreille velue ou du pied fourchu dépasse —
mais, c'est peut-être de la corne dorée du luth de David.
Maintenant, une
petite réserve. Les trois premières strophes de J s T veille une morte sont
admirables. Mais je déplore que tu aies écrit : «Hier déesse immortelle / Dont
je fus sacrifié/ Ton cœur et ta cervelle / S'écoulent liquéfiés ». Cela sonne
mal, et les deux premières lignes sont embarrassées. Non ?
Donnez-moi de vos nouvelles.
Pourquoi ne pas se voir mercredi à
midi aux Deux Magots, Yvan ou Claire ou vous deux ?
Bien affectueusement
Audiberti
SDdV Aa57
(237)- 510.299 III
lettre
de Claire à Paris à Ivan Goll à Metz 4 avril 1939MST p.247/248
Chéri,
Ta lettre m'a donné
une grande joie : ce qui était entre les lignes et entre les feuillets.
Quelle réception superbe ! On se demande seulement
combien de temps devra durer le poulet. Peut-êtrela semaine, et la carcasse sera encore servie
samedi en bouillon. Je te vois nettement à la table de fête,louchant sur le poulet et dévorant en pensée
ailes et cuisses ; Ainsi vous vous
faites mutuellement plaisir : l'un offre le rôti et l'autre n'en mange rien.
Plus il en reste, plus tu es rassasié, ô Jean sans chair !
Hier, je
suis allée avec Irma au restaurant chinois de la place de la Sorbonne. La,
c'était superbe.. Près de nous, il y avait Kurt Seligmann avec sa femme et un
intéressant peintre japonais, que tu connais aussi. Ensuite, Kurt Seligmann
nous invita au d'Harcourt et nous fit des récits du monde entier, et Irma fut
enchantée de lui et de sa soirée.
Ci-joint
une lettre : "Mesure et Valeur".
Invite
cet homme chez nous pour samedi ou dimanche soir. Non, pas dimanche, car Adèle
ne vient pas ce jour-là, et l'appartement n'est pas fait.
Quel
temps ! Le Saint-Quentin est sûrement entouré de Niagara !
J'ai
hérité de ton rhume, un rhume méchant et perfide, et comme ça, je ne suis pas
seule.
Ne
m'oublie pas au sujet de Fassnidge !
J'espère
que tu as chaud.
Le
Triolet, son article n'est pas très artistique. Mais j'ai le temps, j'attends
ton retour pour ajouter certaines choses à mon essai sur Rilke. J'y ai déjà
introduit Valéry et ce que Rilke m'a dit de lui.. Je peux encore prendre, dans
une lettre, un passage sur Gide.
Mais n'y
mettre rien de personnel, ça rapetisse tellement tout.
En
toute tendresse,
Ta
Zouzou
lettre
d'Ivan Goll à Metzà Claire Paris 5 avril 1939MST p.248/249
Ma chère
Zouzou,
J'ai mangé les herbes amères,
j'ai bu le vin rouge et chaud accoudé sur le côté gauche, j'ai chanté la chanson
du cabri poursuivi par le boucher — et la poularde de trois livres, ainsi que
le brochet vert furent excellents. Jamais Maman ne fut plus alerte et plus
heureuse. Je profite de ces quelques journées pour lui consacrer une présence
gaie et chaleureuse, sans lui dire un mot de nos ennuis.
Ta lettre de ce matin m'a fait
grand plais et la soirée Ychou-Séligmann a du être bien attrayante. En ce
moment tu es peut-être avec Audiberti et tu n'oublies pas de lui parler de son
article de la NRF.
Voici encore
100 fr. pour la réception des Fassnidge vendredi. Je pense rentrer, comme
convenu, samedi soir à 20h15 où tu devrais venir me prendre à la gare.
J'invite Lion
pour dimanche soir à dîner : es-tu d'accord ?
La soleil
enchante la vallée de la Moselle et je m'apprête à monter au St Quentin, d'où
je t'envoie une branche de cerisier fleuri
ton
Yvan
lettre de Rebecca à Yvan 20 avril 1939
Metz le 30 avril 1939,
Mes
bien Chers,,
J'ai bien reçu ce
matin vos bons souhaits de fête et ainsi que le superbe sac que vous m'avez
adressé ; grand merci mais vous avez fait trop bien les choses. Le sac est trop
beau ! je serai fière de m'en servir. Oui, comme le disait ma lettre d'hier
j'ai cru revenir au reçu du télégramme et je demande à Dieu de n'avoir pas à
regretter cette résolution. Ce matin j'ai fait comme je te l'avais dit un
nouveau ballot, que je pense expédier à Dinard, il contient duvet, couvertures,
manteau de fourrure, et quatre draps... qu'en penses-tu ? Ici on est perplexe,
et on se demande s'il faut quitter son chez soi où on est si bien ? Espérons
que d'autres nouvelles nous permettront de ne plus vivre dans une anxiété
perpétuelle afin d'être plus tranquilles et de jouir du beau printemps que nous
avons par ici. Encore une fois grand merci pour vos bonnes intentions et
recevez tous les deux mes tendres baisers
Rifka
P.S.: Gaby sort d'ici elle vous envoie
ses compliments
Lettre de Rebecca à Ivan 23 avril 1939
Metz
le 23 avril 1939,
Mon
Cher Mig,
Tu seras peut-être
quelque peu surpris de recevoir la présente mais ayant quelques détails
financiers à te faire savoir, je n'attends pas à te les communiquer de suite :
il se trouve dans le paquet que tu sais, deux obligations Arbed à cinq et quart
n° 7783 - 1190 de 150 dollars qui d'après la rubrique du journal que je te
joins à la présente sont remboursables entre le 20 et le 30 avril donc
incessamment . Veux-tu donc faire faire le nécessaire afin que ce remboursement
ne soit pas périmé, le délai de présentation étant si court.
J'ai omis
dans ma dernière de répondre à ta question au sujet de 6.000 francs , il est
inutile de les déposer au Crédit Lyonnais à mon compte. Conservez-les, ce sera
une provision pour les prochains mois.
Ne voulant pas te
gâter la joie que tu éprouvais à m'offrir un si joli sac, je n'ai pas cru
devoir te dire dans ma dernière qu'à l'intérieur de ce bel objet, le fermoir
intérieur de la poche de moire était tombé au fond de cette pochette : comme
c'est un objet de prix, passe à la maison d'où il vient et préviens-les de ce
défaut. À l'occasion, tu le reprendras pour qu'ils en fassent la réparation.
Je
regrette de te procurer cet ennui mais le sac est tellement beau, il serait
regrettable que déjà la pochette ne puisse se fermer.
J'aime à croire que
Claire et toi vous vous portez bien , ici le calme est relatif et on espère
toujours. Faites-en autant de votre part et en attendant vos bonnes lignes,
recevez tous les deux mes affections bien tendres
Rifka
P.S. j'ai reçu hier la réponse que tu as écrite au sujet
des Modderfenten, elle se compose d'un chèque de L 1.4.10 me revenant
Arbed : le bilan qui sera présenté à l'assemblée 28
courant fait ressortir un bénéfice de 40 millions luxembourgeois contre 93
millions dont 5 % soit 2 millions contre 4 millions seront affectés à la
réserve légale 40 millions contre 80 millions à la répartition aux dividendes à
160 francs luxembourgeois contre 320 brut et 4000 contre 9000 aux allocations
statutaires (anciennes gratifications)
La société rachètera toutes les obligations de l'emprunt
dollars US à 5 1/4 % 1927 encore en circulation et qui lui seront présentés du
20 au 30 avril prochain : inclus coupon n° 26 attaché échéance juillet 1939 aux
conditions suivantes : par obligation de 600 dollars il sera payé net 23.000
francs luxembourgeois ou 28.750 francs belges et par obligation de 150 dollars
il sera payé net 5.750 francs luxembourgeois ou 7.187,50 francs belges.
Lettre de Rebecca à Yvan 5 mai 1939
Metz le 5 mai 1939,
Mon
bien cher Mig,
à copier
lettre de Rebecca à Yvan 5 mai 1939
Metz le 5 mai 1939,
Mon
bien cher Mig,
à copier
Le 16 mai 1939, Yvan et Claire Goll obtenaient des titres d'identité et
de Voyagesde la préfecture de Police de
Paris valables jusqu'au 30 novembre 1939 pour se rendre au Brésil.
lettre de Rebecca à Yvan 19 mai 1939
Mon
bien cher Mig,
Ton épître est
toujours reçue avec un nouveau plaisir ; ainsi que le fragment du journal que
tu y as joint.. Tous mes compliments pour la rédaction de ton article, qui
cette fois, est de beaucoup supérieure aux précédents, et j'ai éprouvé une
grande surprise en jugeant des progrès qu'avec le temps tu acquiers : continue
. Inutile de te dire que je serai à l'écoute le 30, et je me réjouis de pouvoir
t'applaudir, même d'ici. Je puis t'annoncer la nouvelle que Gaby a loué son
appartement, ce n'est pas d'elle que je le tiens ; voilà quinze jours que je
n'ai vu le bout de son nez c'est au café qu'on le raconte et qu'ils quittent
Metz complètement pour rejoindre Vichy où ils vont fin du mois, pour habiter
Paris. Le temps est jusqu'alors très défavorable, il a encore plu ce matin à
torrents, l'après-midi semble vouloir être sec ; avec cette humidité il fait
très frais, presque froid. Ce n'est guère le temps de schevouoth qui se
célébrera mardi soir. J'espère aller au temple comme de coutume d'ailleurs,
espérant
que Claire et toi vous portez bien, recevez ici mes baisers les plus affectueux
Rifka
lettre de Rebecca à Yvan 26 mai 1939
Metz le 26 mai 1939
Mon
bien cher Mig,
Les fêtes terminées je m'empresse de te donner de mes
nouvelles, elles se sont déroulées comme de coutume, je suis allée au Temple où
l'office ne s'est terminé qu'à 11 heures 50, c'est dire si les matinées étaient
occupées, les deux. L'après-midi je suis donc allée à Montigny ; Alphonse est
souffrant, garde le lit j; e veux espérer que cela se dissipera comme c'est
venu, tout à fait subitement : les premiers symptômes m'ont beaucoup allarmée,
mais il semble que cela ne se reproduise ( il a vomi du sang) hier il était
beaucoup mieux. Je ne doute pas que tu sois très occupé à la veille de la
présentation de ta pièce. Inutile de te souhaiter bonne chance. Avec toi je
serai heureuse de venir passer un moment parmi vous. Je comblerai ainsi ma
solitude, entourée de vos gentillesses. Je vous suppose Claire et toi en bonne
santé et très pris. Chez moi grâce à Dieu je me porte bien
Recevez
tous les deux mes bons baisers
Rifka
Le 30 mai 1939
diffusion de Georg Kaiser : Du
matin à minuit (adaptation radiophonique en 7 tableaux d'Ivan Goll sur Radio Paris
(Yvan Goll), présentation de Pierre Descaves)
Le
texte de cette adaptation, 77 pages, l'exemplaire de Jacques Baumer qui jouait
le rôle principal,est à la Bibliothèque
de l'Arsenal référence:4- YA 2734 Rad. Du matin à minuit.
lettre de la maman d'Yvan (non datée) est-elle de 1936 ou de
1939 ?
Jeudi soir,
Cher
Mig
Ta
lettre reçue ce matin m'a complètement atterrée en la lisant : Que l'on te
faisait une proposition, tu m'en avais touché un mot ces temps derniers, mais à
laquelle je n'ajoutais aucune importance;
Aujourd'hui,
tu sembles emballé, cette nouvelle et ton emballement m'ont atterrée à tel
point que j'ai cru sentir la terre s'entrouvrir et m'engloutir : Songes donc
que je n'ai que toi et ne vis que pour toi. Je suis sortie de cette stupeur
toute anéantie, ne pouvant plus ni causer ni respirer c'est à dire que j'ai
ressenti une syncope. Est-ce possible que je devrai survivre à cette nouvelle
catastrophe, moi qui ne vis que de ta présence, lorsque tu me quittes, je supporte
le temps jusqu'au moment de te revoir et je ne vis que dans cet espoir: te
revoir. Enfin s'il m'est donné de supporter une nouvelle épreuve Dieu seul sait
si j'aurai le courage d'aller jusqu'au bout sans fléchir. Ce traître de Daniel
m'a déjà tuée à moitié, je ne suis plus que l'ombre de ce que j'étais et
j'aurai à supporter l'autre moitié :en
suis-je capable ?
On fait miroiter à tes yeux les 3000 Francs
mensuels mais la moitié ne t'est-elle pas assurée et plus ici, sans compter les
surplus* ? c'est cela qui t'enchante. Mais je suppose que tu vas réfléchir et
songes aussi que depuis quelque temps ta santé laisse à désirer. Claire de même
est souvent patraque as-tu aussi réfléchi si le climat vous sera favorable ? au
pays déjà vous n'êtes costauds qu'à demi, que sera-ce au Brésil ? Si vous êtes
malades, les 3000 Francs seront vite volatilisés et là-bas je ne vous viendrais
pas en aide et qu'est-ce cette somme pour s'expatrier ? Quant aux 4000 F
envoyés, ce n'est même pas suffisant pour la traversée à deux.
Enfin, réfléchissez bien, et
donnez-moi vite un mot qui me sorte de l'angoisse, qui me rassure et qui me
confirme que c'est à tort que tu t'es emballé.
Ta mère qui n'a que toi et qui t'embrasse de tout son
cœur
Rifka
* Rebecca versait 1500 Francs
mensuellement à Goll et faisait face aux imprévus
Saint-Dié 510.340
Rebeccaest venue à
Paris chez les Goll du 7 au 30 juin 1939
lettre de Rebecca à Yvan 4 juillet 1939
Metz le 4 juillet 1939,
Mon
cher Mig,
Tu seras
peut-être surpris de recevoir la présente mais dans notre région règne le
pessimisme en plein,. Je viens te demander si je ne devrais pas préparer ce
que j'ai de plus précieux et songer à aller vers à climat moins frontières
? Justine m'engage fermement à partir avec eux. La date de leur départ d'ici
est fixée au 13 juillet. Il quitteraient Metz à 12 heures 08 pour arriver à
Paris à cinq heures ,coucheraient àParis et partiraient vendredi quatorze à 12
h gare Montparnasse pour être le soir à Dinard. Dis-moi ce que tu penses à ce
sujet. Je suis perplexe, certes je pensais rester chez moi et ne partir qu'à la
rigueur, mais m'entêter n'est peut-être pas intelligent ? Ici la vie continue.
Les fraisescoûtent 2 francs 50 au
détail, 2 francs par panier et la salade trois têtes pour 1 franc, les légumes
en général très abordables. J'ai bien retrouvé mon couteau dans mon sac noir. À
l'occasion je te remettrai le tien, utile pour éplucher les légumes. Comment
vous portez-vous chère Claire ? Votre malaise est-il disparu avec le régime
sévère? Chacun était heureux de me revoir et j'ai retrouvé mon clan au complet.
J'espère avoir le plaisir de te lire bientôt. Dans cette attente recevez tous
les deux mais baisers bien affectueux
Rifka
lettre de Rebecca à Yvan 10 juillet 1939
Metz le 10 juillet 1939,
Mon
cher Mig,
Très
surprise de ne pas avoir eu de réponse à la lettre que je t'adressais au reçu
de la tienne. Je suppose que la présente se croisera avec la tienne et que
malgré ce silence, rien de fâcheux ne s'est produit parmi vous . Je viens de
relire ta lettre : oui , je suis d'avis de vendre tous les Reichsbank et ne pas
racheter de valeurs allemandes ; car comme tu le dis bien, on ne peut compter
sur cette sorte de citoyens qui n'ont aucune parole. Quant au réemploi, je
supposais se vous voir arriver bientôt et de vive voix on en aurait causé.
Avez-vous décidé votre voyage ? Est-ce celui de Challes qui sera le premier ou
celui de Metz ? Autant de demandes de ma part. Chez moi grâce à Dieu, la santé
se maintient. Justine m'engage beaucoup à les accompagner à Dinard, moi, si
tout reste au calme je préférerais rester ici. Certes s'il le fallait je
n'hésiterais pas à quitter mais la situation n'est ni meilleure ni moins tendue
: j'attends. Espérant te dire et recevoir quelques réponses à mes demandes,
recevez tous les deux, Claire et toi, mes baisers les meilleurs
Rifka
lettre de Rebecca à Yvan 18 juillet 1939
Metz
le 18 juillet 1939,
Mes chers Claire et Mig,
J'ai été
quelque peu surprise en recevant ta missive hier, en lisant, que votre voyage
ici n'était pas encore décidé. Je veux supposer cependant que ce ne sont pas
des raisons de santé qui vous obligent à ne rien préciser encore chère Claire.
Inutile de vous dire que je serai très heureuse de vous posséder ici et que le
changement de climat ne pourra, je crois que vous être favorable à tous les
deux, la température est plutôt douce en ce moment
T'ai-je
dit, cher Mig,Edgar est venu m'inviter
à la,Brasonila, mais pour raisons de santé, elle n'a pas eu lieu . Pour être
agréable à Gaby, j'ai été samedi faire ma visite officielle. Elle est donc
repartie ce matin pour Vichy, où elle attend tout son monde là-basJ'espère que si toutefois vous ajournez votre
séjour ici à courant fin juillet ou août, vous m'en prèviendrez aussitôt que
vous-mêmes en serez fixés, ce qui je suppose ne tardera pas.
A bientôt
donc chère Claire et Mig, recevez en attendant mes baisers bien affectueux
Rifka
lettre d'Ivan Goll Parisà Paula LudwigParis1 août 1939 ImsL
p.522/523
lettre d'Ivan Goll Parisà Paula LudwigParis2 août 1939 ImsL
p.523/524/525
lettre de Rebecca à Yvan vendredi 4 août 1939
Vendredi 4 août 1939
Mes bien Chers
Votre mot
reçu hier m'annonçant votre arrivée prochaine pour lundi 7 m'a faitle plus grand plaisir et je me réjouis de
vous revoir surtout Claire en meilleure santé s'il plaît à Dieu. Vous n'avez
rien à regretter de ne pas être à Challes , jusqu'alors le temps des plus
variables (il pleut si souvent) ne vous procurerait qu'une villégiature relativement
agréable. Espérons que ces jours prochainsvous nous apporterez le beau temps, c'est-à-dire le temps de la saison.
Donc, convenu votre arrivée pour 12 heures 05 gare de Metz , je crois ? En cas
de contre-ordre, un petit mot s'il vous plaît ce que je n'espère pas. À bientôt
donc
en
attendant, recevez mes bien affectueux baisers R
Rifka
P.S. : l'épaule de mouton est à 9 francs ici,donc cher Mig, ne t'en embarrasse pas. Quant
aux questions Reichsbank , je crois que verbalement on décidera plus facilement
lettre de Rebecca à Yvan dimanche 6 août 1939
Metz, le 6
août 1939
Mon cher Mig,
Je viens
de recevoir ton mot m'annonçant un retard de quelques jours pour votre voyage
en Lorraine. Je conçois fort bien que chère Claire hésite à quitter son home si
sa santé est encore chancelante, car malgré le confort que l'on peut trouver
dehors, on n'est pas chez soi. À dire vrai j'ai eu une petite déception parce
que, votre arrivée était annoncée pour lundi et comme les magasins sont fermés
à-demi, j'avais dû songer à quelques achats, qu'à cela ne tienne. Mais je tiens
à te faire remarquer que le délai du 15 août expire la possibilité de
l'arrangement Reichsbank, donc en conséquence renseigne-toi au reçu de la
présente chez les banquiers allemands, d'abord à Zurich ensuite à Luxembourg
pour connaître le prix de la liquidation des 22 restants.. Car sache que la
première vente a été très déficitaire mais je crois que tu ne vois pas de même
que moi à ce sujet. Donc entendu, écris de suite aux maisons citées plus haut
afin que notre revente n'arrive pas après coup.
Bons baisers en attendant de vous revoir ,Rifka
P.S. : Donc agis de suite
À te faire remarquer à partir du 12 les Bourses sont
fermées.
Je suis très désireuse de faire le
transfert entre question le plus vite possible
Yvan et Claire
auraient dû arriver à Metz lundi 7 août à 12h05 mais voyage reporté
Le 8 août un télégramme de Metz annonce à Yvan une fracture du fémur sa
mère. Goll arrive par le train de nuit.
lettre
d'Ivan Goll à Metzà Claire Paris 9 août 1939en françaisMST p.250/251
Metz 9 août
1939
[mercredi]
Mon cher Ange,
Ce que j'ai vu
ce matin en arrivant brise ma vie. Maman s'est brisé le col du fémur. Je crois
que c'est très grave. Non point douloureux, ni dangereux en soi, mais
incollable, il me semble.
Le médecin que
je suis allé voir dès 9h. que la première et la seule chose, à peu près à faire
: est de rester immobile !
Rester
immobile, pour ma mère, qui avait le sang d'un salamandre, toujours vive,
toujours active. Ne plus courir pour elle va être la plus pénible des épreuves.
Clinique : le
médecin, elle y avait pensé ! Le médecin m'a dit que le vrai danger de ces
cassures fréquentes chez les vieilles femmes, c'était le brusque changement de
vie active et trépidante en immobilité forcée. Ça doit être insupportable. Elle
qui courait comme une belette pour une chopine de lait ! Il y a danger de
pneumonie après quelques semaines, pour des poumons qui ne s'essoufflent plus,
qui ne travaillent plus.
Voilà comment
c'est arrivé, le plus bêtement du monde: lundi, déjà à 2h., elle est tombée
dans sa chambre devant son armoire à glace. Et que fit-elle ? Elle n'appela au
secours, mit un quart d'heure pour se relever, puis se traîna, devine où, au
lit ? Non, au Café Excelsior ! Ses amies la ramenèrent en taxi et appelèrent le
médecin, qui ne se prononça pas sur le champ, mais il l'a fit radiographier
hier matin, là se révéla la cassure.
Eh bien non, la
clinique est une formule trop commode. La mettre entre des mains étrangères.
Alors qu'aucun soin, aucun médicament ne sont applicables ! Simplement
immobilité. La solitude là-bas aurait pour elle un effet désastreux : sans
appétit, sans consolation. Alors qu'un fils est là et n'a rien à faire qu'à
aller se promener à Challes.
Donc j'ai
décidé de rester auprès d'elle, secondé par une femme de ménage. Dans ces
conditions, que vas-tu faire ? Ton séjour dans cette maison sens dessus-dessous
va être des plus misérables.
Si tu allais
seule à Challes, au Château, tant pis. Je ne vois d'ailleurs pas d'autre
solution : plus question pour moi de m'y rendre.
Enfin,
réfléchis, réfléchissons.
Je commence
déjà à expier mes années insouciantes, pourtant pas tellement gaies : voici
d'abord les maladies des proches, puis suivront les miennes.
Je suis sur
l'autre pente.
J'agite vers
toi mon mouchoir en descendantton
Yvan
lettre d'Ivan Goll Metzà Paula LudwigParis9 août 1939 ImsL
p.523/524/525
lettre
de Claire à Paris à Ivan Goll à Metz 9 août 1939MST p.251
9
août 1939
Chéri,
Je
suis très bouleversée. La pauvre maman ! Elle qui était toujours si
alerte.! Une des fractures les plus
graves ; comment guérira-t-elle, et quand ? Un bon médecin l'a-t-il
radiographié ? Est-elle dans le plâtre ? S'il te plaît, dis-lui qu'après sa
guérison, il faudra absolument qu'elle vienne vivre avec nous. Nous ne la
laisserons plus seule dans cette maison sombre. Sans doute, pour l'instant,
elle devra rester étendue de longs mois. Mais, rue Dupont des Loges, il manque
les conditions d'hygiène élémentaires pour un bon traitement. Elle serait
beaucoup mieux dans une clinique. Quel souci pour nous tous, mon pauvre petit
garçon !
J'ai
reçu ton télégramme alors que je revenais de l'ambassade américaine; le
vice-consul m'avait priée par lettre de venir avec les passeports. Il
m'expliqua aimablement que, le jour où nous apporterions les billets, nous
obtiendrions les visas. Certainement, mais aussi les formulaires blancs; il
faudra tout recommencer depuis le début. Enfin, cette question de notre destinée
est maintenant totalement résolue.
J'espère
recevoir bientôt des nouvelles détaillées de toi et de l'accident.
J'ai
voyagé avec toi, sans sommeil, toute la nuit. Mon petit garçon aimé, je te
prends tendrement dans mes bras et je vous embrasse tous les deux, bien des
fois.
Zouzou
Paula Ludwigà
Parisà
Ivan à Metz : lettre du 10 août 1939
*** IsmL p.526/527/528
lettre
de Claire à Paris à Ivan Goll à Metz 10 août 1939MST
p.251/252/253
Jeudi
[Paris
10. 8. 39]
Bien-aimé,
Tu
ne peux pas t'imaginer de quelle pitié profonde me remplissent ces nouvelles de
ta mère. Je remarque à présent aux sentiments que j'éprouve, qu'elle m'est
(malgré tout) beaucoup plus proche que je ne le pensais. Et je voudrais que
tout soit fait pour lui alléger cette longue épreuve.
Naturellement,
tu resteras près d'elle, et je devrai donc me rendre seule à Challes.
Néanmoins, j'aimerais auparavant lui faire une visite. Cela me paraît
inévitable, et ce ne sera pas de ma part, un geste conventionnel, mais un geste
parti du cœur; il est inutile que ce soit un long séjour, mais je suis certaine
que, si pareille chose m'arrivait, elle viendrait me voir. Mais, veux-tu
réellement la laisser étendue pendant des mois dans sa sombre chambre, comme au
Moyen-Age ? Tu peux prévenir la congestion pulmonaire dont elle est menacée, en
l'installant dans une maison de santé, avec jardin. En outre, une fracture ne
peut guérir que lorsqu'elle a été réduite par un chirurgien, car sinon, à
chaque mouvement (même inconscient pendant le sommeil), les muscles en jeu
déplacent les parties osseuses en contact. Voir le Larousse Médical :
"Dans certaines fractures, celles de la cuisse notamment, pour lutter
contre l'action des muscles fléchisseurs qui tendent à faire chevaucher les
fragments, on pratique l'extension avec certains appareils dont les plus usités
sont les appareils de Hennequin, de Heitz-Boyer et de Tillaux.Dans certains cas, il est nécessaire de
recourir à l'anesthésie pour permettre la réduction exacte des fragments."
Cependant, notre Larousse est de l'année 1912, et de nos jours, un grand
chirurgien s'y prend sans doute d'une autre manière. C'est ton devoir d'en
consulter un immédiatement et de lui faire examiner Maman. Car chaque fois
qu'elle urine, etc....les fragments d'os se déplacent.Comment cela pourrait-il guérir sans être
artificiellement immobilisé ? En outre : il faut qu'elle soit frictionnée,
massée tous les jours, pour éviter une atrophie des autres organes. Agis
donc conformément à ton époque et non à la sienne ! Si tu la laisses
ainsi couchée, elle mourra prochainement. Lorsqu'elle sera dans le plâtre ou
dans un appareil, on pourra l'emmener de Metz en ambulance (mais naturellement
pas, telle qu'elle est maintenant). Car enfin, tu ne peux pas la laisser périr
sous les balles de Hitler.
Pense à la femme de Lindner, qui
fut, elle aussi, après sa fracture de la hanche, si abîmée par un charlatan
gênois, parce qu'elle alla trop tard chez Sauerbruch. Dans ces cas-là, il faut
agir dès les premiers jours. Si son passage à l'Excelsior n'était pas aussi
triste, on serait forcé d'en rire.
Ne te plains pas. Némésis, dans
la mythologie, ne poursuivait pas seulement les parjures. Ne m'as-tu pas juré,
l'an dernier (comme il y a une semaine), sur la vie de ta mère, de ne plus voir
P. L. ? Ta santé et la sienne dépendaient de tes actes. Pourquoi restes-tu ici
? Le démon de P. L.nous a apporté en un
an, beaucoup de malheur. Ma maladie de cœur, les passeports, l'épuisement de ta
mère. L'ombre de cette femme est très noire. Que Dieu lui pardonne !
Je suis toujours avec toi, je
t'embrasse ainsi que Maman.
Zouzou
lettre d'Ivan Goll Metzà Paula LudwigParis11 août 1939 ImsL
p.529/530
lettre
de Claire à Paris à Ivan Goll à Metz 11 août 1939MST p.253
[Paris
vendredi 11. 8. 39]
Cher coeur,
Un triste
matinée : pas de lettre de toi, temps gris,
mauvaises nouvelles. Avant-hier chez Chardonne, Delamain aussi bien que Müller
ont refusé à cause de la forme épistolaire du roman *. Il m'a conseillé de
l'offrir à Plon, qui pourrait plus facilement l'imprimer à frais d'auteur,
puisqu' il a sa propre imprimerie., Poupet, qui part ce soir, me reçoit le
matin à 11 h. Suis complètement découragés et sans force. Mon coeur s'arrête.
Voici un
formulaire de la Société des Auteurs, qui est à remplir.
Toutes
les personnes à qui je raconte l'accident de ta mère sont d'avis qu'avec une véritable
fracture, on ne peut pas faire trois pas, encore moins aller jusqu'à
l'Excelsior. Il faut que le médecin 'ait "monté un bateau", dit
Monsieur Henry. Et sa femme m'a raconté que son grand-père, s'étant brisé le
fémur à quatre-vingts ans, ne put plus faire aucun mouvement, fut tout de suite
mis dans le plâtre, et survécut encore huit ans, après que la fracture eût été
guérie en six mois. Il ne peut donc s'agir chez Maman que d'une fêlure ou de
quelque chose d'autre.
Consulte
donc un chirurgien ! Envoie-moi les petits oiseaux de ton écriture ; si demain
matin je ne les trouve pas sous la porte, je pourrai difficilement vivre tout
le jour.
En
tout amour.
Ta
Zouzou
* Il s'agit du roman "La passion selon Jean" , écrit et
dactylographié entre janvier 38 et juillet 39 qui sera publié à New York aux
Editions de la Maison Française en 1941 sous le titre "Le Tombeau des
amants inconnus".
Trouvé à l'instant ta lettre, comme je revenais de chez
Plon. Le meilleur remède pour mon coeur malade. Tout de suite, ça va mieux. Je
ne pourrais sans doute plus tenir longtemps dans l'appartement. Le mieux serait
que j’aille vous rejoindre. Peut-être dimanche, ou lundi ? Que conseilles-tu ?
Ne cherche pas querelle au destin !
Maman aurait pu se blesser encore bien plus gravement. L'essentiel, c'est
qu'elle ne souffre pas physiquement. Déjà une grande faveur. N'a-t-on toujours
pas consulté un chirurgien ?
Ai téléphoné tout à l'heure à
Mihalovici, mais il n'était pas là. J'essaierai plus tard
Poupet ne voulut
rien savoir du compte d'auteur. Il dit que Plon ne le fait jamais et que
j'aurais ainsi encore moins de chances d'acceptation. Réponse à la rentrée.
Par contre, Chastel, à qui j'ai
téléphoné, a été ravi des imprimés offerts aux frais de l'auteur. Dès que le
comité de lecture se réunira (début septembre), il fera lire le manuscrit en
premier lieu et me fixera alors, cinquante manuscrits attendent déjà ce comité
de lecture. En encourageant !
Je tourne de-ci de-là, et je te vois
surgir dans tous les coins, "le Lorrain volant", "Jean sans
Terre", et je suis triste comme un petit chien qui a perdu son maître. Je
me tiens debout dans ces coins, attends, écoute à la porte si tu ne viens pas :
un peu égaré et mouillé de pluie. Je n'ai pas encore appris, depuis vingt ans,
à manger sans toi, à rire et à vivre sans toi. Il est maintenant trop tard pour
l'apprendre. L'école fermera bientôt.
Je t'aime,
que Dieu me vienne en aide, je ne puis faire autrement.
Ta Zouzou
lettre
d'Ivan Goll à Metzà Claire Paris 12 août 1939en françaisMST p.254/255
Metz 12 août
1939
10H.
du matin
Mon Angelette,
Ta
lettre m'a fait beaucoup de peine ce matin. Cet échec chez Stock est bien
pénible. Et tes autres démarches me laissent rêveur..
Aussi ne prolonge pas
inutilement en séjour à Paris. Tu vas devenir tout à fait neurasthénique. Fais
immédiatement et mâle et pars.
Si tu te décides de Metz, c'est demain à 13 heures 35
mais réfléchis encore : tu vas de nouveau perdre ici des journées précieuses.
Et quelles fatigues : déballer, remballer.
Quand partiras-tu pour Challes ? tu sais que vers le
vingt-quatre, tes journées rouges reviennent.
Il faut
que tu y sois avant. Sans cela, ce serait le 1 septembre, bien tard.
Puisque tu descendras au Château, autant y aller tout de
suite. Tes préparatifs sont les mêmes. Ensuite tu reviendrais par Metz. Maman
ne t'en voudra pas.
Avec
cette tension politique, ne vaut-il pas mieux en finir immédiatement avec
Challes ? Le 28 août, les nuages recommenceront à s'amonceler.
Voici
encore 150 francs pour ton voyage. Ton train pour Chambéry part à 7 heures 30
de la Gare de Lyon, et arrive à 15 heures 40
Prends
un billet aller et retour valable quarante jours, en 2 ème cela doit coûter 350
francs.
Peut-être,
lorsque tu auras fini ta cure, Maman ira mieux, et nous pourrons songer à faire
ensemble un grand voyage.
Prends
courage, je sais qu'il est difficile de partir seule, mais il le faut cette
fois. Il en serait de même dans huit jours, si tu devais partir d'ici.
Pas de
sentimentalité. Inutile de faire une visite de convenance à Maman, elle t'en
dispense.
C'est
d'ailleurs moi qui aurai eu le plus à souffrir de ton absence, je ne peux pas
bouger de la maison, de peur qu'on sonne : le médecin ou une visite... Tantôt,
c'est le vase de nuit qu'elle demande, tantôt du café...
Dans ces
conditions, tu partirais donc lundi matin.
J’espère
que cette lettre te parviendra encore ce soir +, je la porte à la gare pour le
train de midi
Mais
enfin à une tu décideras toi même.
Télégraphie-moi
ta décision.
Je
t'embrasse
Ivan
+ Non, elle ne peut en aucun cas te parvenir ce soir ;
c'est pour cela que j'envoie le télégramme de 11 heures 30, afin que tu fasses
tes préparatifs.
.
lettre
de Claire à Paris à Ivan Goll à Metz 12 août 1939 MST p.254
[Paris
samedi 12. 8. 39]
Très cher,
Reçu ta lettre ce matin et ton
télégramme vers 1 H. La visite du second médecin est très rassurante, bien que
je ne crois pas non plus que quatre semaines d'immobilité suffisent, pour
guérir une fracture à cet âge là.
L'argent
me fait grand plaisir, car je vais encore aujourd'hui chez le coiffeur (toute
ébouriffée comme je le suis de nouveau), et j'ai aussi acheté un costume de
bain, étant donné que j'ai l'intention de partir lundi pour venir vous rejoindre.
Challes
est maintenant impossible. Jusqu'au 25 août, toutes les mansardes du Château
sont retenues à des prix élevés. Je sais cela d'expérience. Et aussi, je hais
l'animation. Il s'agit donc d'attendre un peu. Si je ne télégraphie plus,
je serai partie lundi à 1h.35; viens alors me chercher à la gare.
Aujourd'hui
est arrivée La Revue du Rhin avec la critique et avec ton poème "La
Cathédrale de Strasbourg", si beau qu'il m'a arraché des larmes.
Quelle
grandeur digne de Villon dans la tristesse, et cette fin :
Et
je réclame
Ton
doux baiser
Grande
Madame
Pour m’apaiser
Quel grand poète tu es ! et
comment ne t'aimerais-je pas !
Ton
éternelle élève t'embrasse avec fierté et admiration
Zouzou
lettre d'Ivan Goll Metzà Paula LudwigParis14 août 1939 ImsL
p.530
lettre d'Ivan Goll Metzà Paula LudwigParis21 août 1939 ImsL
p.531/532
lettre d'Ivan Goll à Paula LudwigParis25 août 1939 ImsL
p.533/534
Télégramme d’Ivan à sa mère 25 août 1939
Madame Kahn
Clinique
l’Espèrance
Rempart
Thiebaut
Metz
Espoirattends un jour pour évacuation Patrons hélas
Adieu
Mignon
Ivan à sa mère, à bord duVeendam25 août 1939
Veendam
En
rade à Southampton
Ma chère Rifka,
J’ai été arraché à cette terrelorsque le bateau partir du port d’Europe.
Que
va-t-il advenir à cette merveilleuse France ? Et je pense à toi, chère
maman, qui peut-être aujourd’hui samedi, as fait un voyage infernal pour te
plonger dans la paix d’un autre havre ?
Je pense à toi, je pleure, je suis
si triste – et je voudrais déjà tant pouvoir revenir !
Vers toi , dans tes bras !
Dans 4 semaines, s’il n’y a pas la
guerre .
Il faut l’espérer, des journaux le
disent encore ce matin . et mon cœur le crie.
Je t’embrasse bien fort !
Je t’aime, maman !
Excuse mon départ, il le fallait.
Puisqu’il me fût possible !
Bonne santé !Grand courage !
A bientôt
Tonchéri
Mig
Et Claire t’embrasse en
pleurant
SDdV
510.311 F
25 août 1939 : Ivan et Claire Goll
quittent la France depuis le port de Boulogne à bord du Veendam, bateau
Hollandais quiles mène à New-York le 6
septembre 1939.
Paula Ludwig devait partir fin août au Brésil où
vivait sa sœur Martha et Nina Engekhardt
lettre d'Ivan GollSouthamptonà Paula LudwigParis26 août 1939 ImsL
p.534/535
à traduire **
lettre d'Ivan GollNew-Yorkà Paula LudwigParis13 novembre 1939
ImsL p.535/536
à traduire **
Du 13 au
16 novembre Yvan et Claire essayèrent d'obtenir leur changement de visa auprès
du Consulat Général de France à New-York mais ils restèrent ensuite sans
J'arrive de Marseille, je repars
pour Marseille, mais; entre temps, je trouve votre télégramme, et je connais
toute ma honte et tout mon remords. Pardonnez-moi, Claire, de ne plus pouvoir
aimer, comme ils le méritent, et comme je le mérite, mes amis. La vie, de plus
en plus, m'apparaît atroce.
Comment jamais
plus pourrons-nous tirer quelque joie de nous-mêmes et de ceux que nous aimons
quand des créatures à notre ressemblance, avec un corps comme le nôtre,
souffrent ce qu'on souffert les incendiés de Marseille et les malheureux de
Berlin et de toute l'Allemagne. Je suis si faible et si petit. Je ne puis rien.
Je ne puis qu'augmenter, par ma propre détresse, le niveau de l'émotivité
générale, l'aptitude du monde humain à la souffrance.
Je sais votre tendresse, Claire, et
combien mes silences, mes absences ont pu vous sembler peu amicales. Je suis
pris, déchiré, tenaillé - par les besognes, la famille, ce terrible sommeil
toujours insatisfait, ce poids d'organes et de grippe. Mais rien ne saurait me
faire oublier mon amie, ma très grande amie Claire
[2]7 mars, plébiscite :99 % des allemands approuve la politique d'Hitler, le jour-même où le
Führer, dénonçant le pacte de Locarno, fait pénétrer les troupes de la
Wehrmacht dans la zone démilitarisée de la Rhénanie.
Ivan a
quitté Claire le mercredi 26 février pour affaires littéraires à régler à
Francfort
Lettre Ivan Goll (Francfort/Main) à Claire à Paris du 27 - II - 1930
Francfort/Main
Hôtel
Cour d'Angleterre
jeudi
27. II. 30
Chère Susu,
Cette
nuit a été la plus chaude que j'aie jamais passée : seul dans mon compartiment,
enveloppé de couvertures, de sweaters, couché sous mon manteau et par
là-dessus, le chauffage marchait à plein ; j'ai transpiré mieux que dans mon
lit, pour guérir ma grippe. Je suis arrivé tout frais à l'hôtel, en face de la
gare. Meyer était déjà là, et le Dr Goyert. Meyer, un type qui n'a rien de
juif, rien de rusé, mais des cheveux blancs et un visage rouge, m'a reçu avec beaucoup
de cordialité. Nous avons parlé de plusieurs choses, rien de définitif. Demain
viendra le Dr Brody, et alors seulement ce qui vaut la peine d'être dit sera
jeté sur le tapis. Mais avec Meyer il fait bon vivre. Un " bon vivant
" allemand.
Le temps, magnifique. La ville,
terriblement provinciale et ennuyeuse. Le Römerberg
(place
de l'Hôtel de Ville), un joyau fait de vieilles maisons bariolées.
Aujourd'hui, je n'irai sans doute
pas au théâtre. Mais demain. Je verrai jouer une pièce, mais ne parlerai pas
aux gens de théâtre.
J'espère que tout va bien pour toi.
J'ai dévoré toutes tes provisions, et toi ? pense à moi et nourris-toi bien.
Et
sens mon baiser électrique, proche et lointain.
Ivan
Lettre Ivan Goll (Francfort/Main) à Claire à Paris du 28 - II - 1930
Francfort/Main
vendredi
28. II. 30
Très chère Suzu,
Suite à
la séance du Rheinverlag avec le Dr Brody. Le "livre blanc" s'est
rempli. Nos poèmes d'Amour seront imprimés au printemps, après le Livre Blanc.
Meyer et Brody sont réellement aussi gentils que l'est, de son côté Lohmeyer.
Il y aura encore de beaux jours. Meyer s'est intéressé beaucoup aussi à
"La Perle" et il connaît une bonne et nouvelle maison d'édition
(dirigée par Kläber), à laquelle il va recommander le livre. Il est donc
certain qu'il paraîtra bientôt en allemand.Les
nombreuse autres affaires sont en suspens.
J'ai
téléphoné à Hanau. La lampe Sollux coûte ici 70 M = 468 frs, au lieu de 850.
Mais demain samedi, j'irai là-bas : le directeur connaît tes articles E. T.,
s'y intéresse beaucoup, et je crois que nous pourrons obtenir un prix de
faveur.
Au théâtre, hier soir (une
représentation berlinoise de Jules César, vraiment tout à fait remarquable,
avec des batailles mouvementées sur la scène tournante !).
Parlé au
Sassheim, ou plutôt au Sassheimchen : un petit Juif tout contraint, tout
intimidé. N'a naturellement jamais le temps. Kronacher est à Leipzig, revient
demain, et m'a fixé un rendez-vous pour dimanche. Il faudra que j'agisse avec
diplomatie.
J'ai également
porté l'Erika à la succursale d'ici : vis neuves, cylindre neuf et nombreuse
réparations sont indispensables, qui coûtent 15 M. (prix ridicule) et seront
terminées lundi.
Un soleil
merveilleux, Pré-printemps. Comment vas-tu ?
Vais-je recevoir une lettre ? Je pense beaucoup à toi :
toutes les heures, je me dis : à présent elle fait ceci, à présent elle fait
cela. Demain chez les Clermont-Tonnerre cela promet.
Je
te prends toute dans mes bras.
Ivan
Claire
(Paris) à Ivan (Francfort)1er mars 1930
19, rue Raffet, Paris XVIème
samedi(1er mars 1930)
Chéri, à
l'instant ton télégramme ! En remerciement, ce baiser ultra-rouge de mes lèvres
à la fin de cette épître. Quel type tu es ! A présent, j'espère seulement que
tu auras de la chance au théâtre et qu'une lampe Sollux s'allumera sur ton
talent. Et remets-toi bien à la campagne, car Francfort est sûrement la
campagne à côté de Paris.
Dis à
Meyer que je le supplie d'arracher mon "Allemande" aux serres de
Wasservogel. A quel éditeur pense-t-il pour "La Perle" ? Rütten et
Loenig à Francfort ? Les histoires d'animaux sont chez l'imprimeur. Une dame,
Kate Hirschmann, a envoyé un pneu au sujet de Pascin pour Vanity Fair. Elle
voulait publier quelques reproductions et ta photo. Je lui ai répondu par
pneumatique, qu'elle trouvera cela chez Martinie.
Amy
Linker m'a fait une robe délicieuse. Avec Patou, rien pour l'instant, bien
qu'hier il soit entré et se soit assis sur le bureau de Bernard, pour se faire
admirer, ce dictateur des tissus, si avare. Dans une heure, Georges Devereux
viendra me chercher pour aller au cocktail de la Duchesse de Grammont. Ainsi
donc, prends ce baiser comme acompte.
Ta
Susu
James
Joyce m'a chanté un beau Lied au piano.
C'était
ravissant :
" The dark-haired girl " était le
titre. Sentimental et triste.
Ivan Goll
rentre le 3 ou 4 mars et repart le 5 août pour Largentière travailler sur un
scénario de Film avec Walter et Nina Ruttman.Il y restera jusqu'au lundi 18 août.
Claire
(Paris) à Ivan (Largentière)6 août 1930
mercredimatin 1930
Ceci
est une goutte de pluie,
Je
suis couchée à la fenêtre
et
il pleut à verse
Chéri, petit cœur,
J'ai
encore voyagé toute la nuit avec toi (comme toujours). J'étais couchée dans tes
doux yeux bruns. Quelquefois, je les grignotaisLes gâteaux de miel sont rares en France. J'espère que tu as là-bas du
soleil et beaucoup de joie.
Je viens
de faire faire le ménage à fond de ta chambre.Toutes ces pensées méchantes et aimantes à mon sujet, qui voltigent
partout, les voici dévorées par l'aspirateur !
Perpetuum vacuum mobile.
Et les
150 frs suisses duRheinverlag ont été
payés, et l'argent pour moi vient justement d'arriver.
Ce soir,
Maria est avec moi, et la femme me fait la cuisine, en revanche l'après-midi.
Les
pigeons sont venus dès le petit matin et n'ont pas voulu manger, par ce que tu
es parti. Les vignes laissent pendre leurs feuilles et l'acacia secoue sa belle
chevelure verte. Avant-hier, j'étais enceinte de tristesse, mais à présent,
cela va mieux ; je fais des progrès en gaieté et j'attends angéliquement, comme
un ange de Fra Angelico, l'annonce de ton retour à la maison.
Rodier
m'a fait cadeau d'une couverture extraordinaire, une prairie de cachemire.
Récemment, il n'a donné à Colette qu'un châle. J'ai presque honte - mais
seulement presque. C'est une couverture céleste, on voit tout de suite qu'elle
est faite avec la laine des chèvres qui vivent au Tibet à une altitude de 5000
mètres. Sous cette couverture, j'apprendrai à voler et à rimer, et à faire des
poésies sur " petit cœur ".
Au
revoir, vis bien, - mieux que jamais ; bonjour de ma part à Rut (°) et à
"Niemann". Et écris bientôt. Envoie à la cousine Lucie le Mont Elimar
et à moi la fleur blonde du midi, et salue aussi de ma part Zouzou, si tu la
rencontres.
En
amour,
Ton Vani
(°)Walter Ruttmann
extrait
d'une lettre Ivan Goll (Largentière) à Claire à Paris du 7 août 1930
7
août 1930
Et c'est pourquoi, Aimée, tu ne dois pas être triste si
j'aime à présent ton œuvre, c'est-à-dire moi, plus que son sculpteur. Si je
suis heureux dans la solitude. Si je m'épanouis dans les sentiments dont tu
m'as fait don.
Oh, tu
meurs parce que tu ne me touches pas ? Mais moi, je crains ce qu'il y a de
périssable dans le contact. C'est pourquoi j'ai fui. Mais vers moi-même, vers
moi seul. Parce que j'aime plus l'amour que l'accomplissement.
Lettre Ivan Goll (Largentière) à Claire
à Paris du 8 août 1930
Largentière
vendredi8 août 30
Chère Zouzou,
Comme elle était douce, ta lettre de
pluie, écrite mercredi. Par contre, ma lettre de soleil, écrite hier, était
beaucoup plus âpre. Pardonne. Mais je ne serai pas délivré de mes soucis, tant
que tout ne sera pas fait pour protéger contre les éléments terrestresta gracilité de fée. Ce stupide mois d'août,
si pluvieux qu'il soit, sera bientôt fini, et il est vraiment très important
que tu fasses encore ta cure à Challes. Comme je te l'ai dit, je reviendrai
peut-être seulement à la fin de la semaine prochaine, et tu gaspilles à Paris
tes meilleurs jours. C'est pourquoi je te conseille ce petit effort : quand tu
seras assise dans le train, tu seras contente.
Nous
travaillons à trois au découpage : le matin, l'après-midi, le soir, - étendus
dans une prairie ou assis à une table sur la terrasse.
Largentière,
une très vieille ville, avec des ruelles mal famées, des balcons en ruines.
Beaucoup d'animaux pour le film sonore : ânes, chats, et tout autour une nature
de "midi moins cinq", comme dit Nina. Vraiment très aimables, Rutt et
sa femme, et quand le film sera réalisé, j'aurai certainement collaboré à une
belle œuvre d'art. C'est seulement au travail que l'on constate combien
Ruttmann a un talent symphonique et pictural !
Très
dommage que tu ne sois pas la quatrième dans cette coalition, mais, à
l'exception de nos rires retentissants, - tu ne supporterais pas les menus.
Je
te caresse la plante des pieds
Ivan
Lettre Ivan Goll (Largentière) à Claire
à Paris du 10 août 1930, terminée le
11
Largentière
10
août 30
Très chère Zouzou,
Il faut
que je te parle un peu de notre vie à trois, ici. Ruttmann * et Nina sont très
cordiaux à mon égard, mais ils forment un tout, et je reste en dehors. Ils sont
terriblement amoureux, surtout Nina, et il est souvent difficile de supporter
le spectacle de cet amourachement, bien qu'il soit absolument sincère et senti.
Nous travaillons toute la journée, à partir de 9 heures du matin, et
l'après-midi dans une prairie, sur les collines qui surmontent la ville.
Crissement de grillons, ombre des châtaigniers, et tout près de là, des
pruniers dont les fruits mûrs nous rafraîchissent. Chacun déballe ses idées.
Ruttmann dirige, il a la parole, et j'écris en français ce qui est accepté.
Mais la discussion est quelquefois difficile, précisément à cause de cet
amourachement. Ruttmann parle sans cesse en fixant Nina dans les yeux, c'est
pour elle qu'il invente. Tout dépend de son approbation. Quand il a trouvé
quelque joli effet, elle fait des yeux de bienheureuse, se colle à lui, pleine
d'admiration, baise sa main, son épaule ou sa joue mal rasée. Ils travaillent
d'un seul élan, pour ainsi dire l'un dans l'autre, le jour et... la nuit, et
j'ai souvent de la peine à les convaincre de certains changements dans les
vers. Souvent, le travail continue encore, le soir, dans leur chambre. Nina dit
que c'est une tâche historique, car ce sera le premier film sonore construit
selon des lois internes, comme une symphonie de formes picturales et tonales.
Je crois que nous avons déjà découvert beaucoup de choses neuves, fondamentales
pour l'art du film sonore. Quelque chose comme les premiers jeux mystères.
Et
cependant, le séjour ici est pour moi très rafraîchissant. Je t'ai déjà écrit
quelles débauches nous faisons en ce qui concerne la nourriture. Aujourd'hui
dimanche, par exemple, il y avait le matin des brioches faites à la maison,
avec le café ; Ruttmann nage dans la joie à cause du vin rouge qui coule sans
arrêt. Je sors dès 6 heures du matin et je fais une marche de deux heures à
travers les vignobles. Les repas sont très animés. Nous rions beaucoup. Mais
tout cela reste naturellement sain et sans apprêts. Pour toi, ces assiettes
seraient trop mal lavées et chaque rôti contreviendrait à ton régime. Dommage
tout de même que tu ne sois pas ici. Le temps est aussi beau qu'on peut
souhaiter : pas encore une goutte de pluie depuis notre arrivée, seulement des
nuages deci-delà, pour qu'il ne fasse pas trop chaud. Une chaleur prolongée,
ici, serait sans doute pénible. Je me remets bien, et suis déjà tout bruni.
Toi seule
me cause des soucis. Depuis ta première lettre, je n'ai pas reçu de nouvelles,
et ne sais ce que tu as décidé au sujet de Challes. Peut-être une lettre
arrivera-t-elle à midi ?
Dimanche
midi - Pas de lettre. (Seulement l'imprimé, merci).
Lundi
midi, toujours rien ? !
Je viens de te télégraphier pour te dire :
1) que
nous restons ici jusqu'à lundi prochain le 18 août : nos billets peuvent être
prolongés avec un petit supplément.
2) que
j'espère apprendre qu'entre temps, tu es enfin partie pour Challes. Un petit
effort, et tu y seras. Quelqu'un t'aidera bien.
3) que je
t'appellerai demain matin au téléphone, pour entendre à nouveau ta voix
d'oiseau. Si tout se passe comme je l'ai prévu, je pourrai aller te voir à
Challes le mardi 19 et rester 2 ou 3 jours près de toi, mais pas davantage, car
je ne dois, sous aucun prétexte, laisser les Ruttmann livrés à eux-mêmes, tant
que le manuscrit n'est pas terminé et envoyé. Mais avant la version définitive,
il faudra sûrement encore deux semaines.
Continue
à me faire confiance et à aimer ton
éternellement
dévoué
Ivan
* Ivan et Walter Ruttmann font ensemble un scénario.
Claire
(Paris) à Ivan (Largentière)11
août 1930
lundiaprès-midi
(Paris 11 août 1930)
Chéri,
Merci
pour ta chère lettre. Je pars jeudi pour Challes et te confirmerai encore mon
départ télégraphiquement. Mais vraiment, tant qu'il pleut et vente de la sorte,
je n'ai rien perdu à ne pas être là-bas.
Je suis
heureuse de savoir que vous travaillez si bien et que vous avez beaucoup de
soleil. Sûrement, tu reviendras bruni et fort, les poches pleines de poésies et
l'âme pleine de fleurs. Fifi est perché là et bat de ses ailes blanches, comme
s'il voulait applaudir au fait que je vole vers toi, là, dans ma lettre. Je
vole vers toi, en effet, souvent, - plus souvent que tu ne penses, et je te
caresse. Aujourd'hui, j'ai regardé longtemps ta photo et j'ai causé avec elle.
Ce soir,
je vais avec Maria à la sauterie, au Bal des coeurs de la rue des Vertus. Quels
doux noms, n'est-ce pas ? Ensuite, je dormirai près de toi, cela me fera grand
plaisir.
Ma
"Salade" a paru, ainsi que 2 articles géants d'Iris Scarawaros sur
moi, - à Athènes. Je ne peux pas bien t'écrire, car j'ai égaré mon stylo et
j'écris avec de l'encre et une plume appartenant à René. D'ailleurs, les
Claudel sont charmants, ils m'apportent à manger et prennent soin de moi d'une
manière touchante. Ne sois pas inquiet, je suis bien remise et je me sens, pour
le moment, en excellente santé. - J'ai écrit à tes gens, mais sans parler de
ton voyage. - Je viens de réfléchir : si tu reviens lundi, je pourrais, au
fond, t'attendre ici ; il doit faire à Challes un temps épouvantable. Ici, au
moins, je peux chauffer. Télégraphie-moi tout de suite, pour me dire si je ne
dois pas t'attendre.
Je
t'embrasse avec une grande tendresse.
Ta
Susu
Claire part
le 14 août pour Challes. Ivan revient à Paris le 18 août
Lettre Ivan Goll (Paris) à Claire à
Challes-les-Eaux du 22 août 1930
Paris
22 août 30
Très chère Zouzou,
Fausse
alerte ! Mon télégramme d'hier " Réconcilié avec les Ruttmann" avait
été possible dans l'émotion de notre revoir. J'ai rencontré le couple hier
matin, à son retour de ce long voyage. Nous devions nous mettre d'accord,
recommencer à collaborer, et c'est aujourd'hui seulement que je devais apporter
le contrat...
Et
aujourd'hui, après une nuit, les visages étaient redevenus sombres. On a
discuté par-ci par-là, marchandé : nous avons fini par reconnaître que, dans
ces nouvelles conditions, un travail en commun n'est plus souhaitable. Donc,
tout est bien, voilà une solution claire, au moins et mon inquiétude de ces
derniers jours est tombée comme une fièvre. Terminé. Un contrat a été fait,
dont je te parlerai...
Ah ! que
tes trois cartes étaient délicieuses ! elles signifient pour moi un langage
plus intime, plus de soins et un souvenir profond. J'ai grand besoin de ton
amour, j'ai tant souffert ! Et j'ai tant besoin de sécurité pour achever mon
drame futur !
Lundi, je
pars pour te revenir. Tout, tout ce que tu as noté te sera apporté. Il faut
encore que je lise à la Bibliothèque les documents "Mélusine". Une
dame très mystérieuse, sur laquelle on a peu écrit, à ma grande surprise. Eh
bien, Mélusine sera donc de moi.
Voici
quelques photos que j'ai été chercher au magasin où on les a développées, et
que j'ai reproduites immédiatement pour toi. Très bonnes, avec cet appareil bon
marché !
Oui, je
t'apporterai aussi Contrepoint : entre nous, Colombat a puisé sans savoir dans
le dernier feuilleton de Jaloux, dans Les Nouvelles Littéraires. J'aurais aussi
bien pu te le dire.
Travailles-tu
?
Avec
tout mon amour
Ton
Ivan
Il ira
retrouver Claire à Challes le lundi 25 août. Ils restent tous deux à Challes
jusqu'au 13 septembre car Claire rentre à Paris. Ivan reste dans la chambre
d'hôtel de Claire pour travailler sur sa pièce Mélusine sans doute jusqu'au 20
septembre.
Lettre Ivan Goll (Challes-les-Eaux ) à Claire
à Paris du 14 septembre 1930
Dimanche
14 sept. 30
Chère Zouzou,
Ta petite
lettre, avec le lambeau de nuage, vu de ce train, m'est arrivée en voltigeant,
aujourd'hui déjà à midi, - tout à fait inespérée en ce premier jour de
solitude, - jour sans distribution de courrier. Sache le tout de suite,
l'argent suisse est tout de même arrivé hier soir, et malheureusement trop
tard. Il suffit tout juste à payer la dernière note d(hôtel, et peut-être aussi
la prochaine, ainsi que le voyage. C'est pourquoi je ne t'ai rien envoyé
aujourd'hui.
Il est
beau d'habiter ta chambre, et rien de ta nervosité n'était resté sur
l'oreiller, j'ai dormi magnifiquement bien, sans moustiques.
Mais
quelque chose de ton esprit plane cependant entre les murs et m'environne,
tandis que je travaille à la Mélusine. Aujourd'hui, j'ai achevé à peu près le
premier acte. Mais si je compte, de plus, 2 jours pour dactylographier chaque
acte, je n'arriverai pas à partir d'ici avant la fin de la semaine.
Le temps
continue à être frais et pluvieux. Pietro est très gentil pour moi
Mais seulement une portion de glace. A part
ça, rien de changé.
Prie
pour Mélusine et pour ton
Iwan
Claire
(Paris) à Ivan (Challes-les-Eaux)17
septembre 1930
mercredi
Chéri,
Merci
pour ta petite lettre. Il arrive à Mélusine la même chose qu'aux lézards :
quand on leur arrache la queue, elle repousse par petits bouts. Tu lui en as
greffé une neuve : espérons qu'elle sera dix fois plus belle que l'ancienne.
Ici, il
n'y a rien de nouveau. Le courrier manque tout à fait de tempérament.
Seulement, une charmante lettre de remerciement de Cassou, dans laquelle il dit
qu'en octobre (à la rentrée de tout le monde), il écrira quelque chose de beau
sur nous. Les truffes ont eu, cette fois-ci, une puissante action sur l'âme.
Les
Clauzel me réconcilient avec la nourriture et sont délicieux. Achète pour
Madame Clauzel des truffes que tu lui rapporteras (si tu as, à Chambéry, le
temps de faire cet achat) ; aux petites filles, j'ai apporté, tu le sais, les
bracelets. Il faut que nous leur donnions quelque chose en échange de tout ce
qu'il font pour nous.
As-tu été
avec Simone chez la "Madone noire" ? Salue-la cordialement de ma
part, ainsi que Muttery. Et aussi Pietro, Etienne et Dufour.
Je
travaille à des articles et je chauffe ma chambre, car il fait froid et il
pleut.
Les
pigeons m'ont fait un accueil suave. Fifi s'est perché sur mon bras (Renée en
est témoin) et m'a picorée avec zèle. Puis il a posé une petite patte sur la
vigne, étendu une aile au-dessus de ma main et a pris doucement les miettes de
pain dans mes doigts. Il t'envoie un baiser de pigeon et je t'en envoie trois,
cela fait quatre.
Avec
amour
Ta
Zouzou
Tout le
courrier conservé du
Marquis de Casa-Fuerte Alvarez de
Toledo à Claire 1931 et 1932?
Samedi matin
Mon Eliane, mon Amour ! J'aurais du partir
ce matin pour le Basilicate (?) et je ne pars pas.
A la suite de mon voyage à Naples, aux cours
à la recherche des fiefs abandonnés est retardée. Le cousin qui est intéressé
comme moi bien qu'en des proportions moindres, à cetteretadication (?) m'avait promis son aide
et m'avait dit de m'entendre avec son homme d'affaires qui est à Naples, et
c'était pour voir cet homme d'affaires que j'avais pris le chemin de ma ville
natale. Mais cet homme m'a dit que pour le moment mon cousin ne pouvait pas
disposer d'argent. Je ne veux pas faireface seul aux frais que cette affaire exige. J'ai déjà dépensé pas mal
d'argent pour cela. J'attendrai donc ou son concours ou le concours de
quelqu'un d'autre ou de pouvoir le faire seul. D'autre part, une affaire, qui
avait l'air de marcher bien, me semble compromise. C'est, tu le vois, mon Ange,
toujours les obstacles qui surgissent devant moi, qu'il faut que je vainque. Tu
me trouves un peu découragé, mais cela passera. Tu sais que je tiens bon. La
solution, je l'aurai ici. Il faut que cela soit. J'ai reçu de Marseille
mon premier acte copié à la machine, mais en un seul exemplaire alors que
j'avais demandé deux exemplaires. Comme cet exemplaire contient des fautes, il
faut que je l'envoie corrigé à Marseille. Je vais leur demander de m'envoyer un
double exemplaire du texte, car je veux t'en envoyer un.S'ils ne le font pas,
je le ferai copier quelque part. Mais, tu ne me dis rien de ta date. Je vois
qu'ils ne se pressent pas beaucoup à Marseille et je ne sais pas quand ils
pensent faire partir ma pièce. On me la demande pour Rome : on m'a déjà offert
de la traduire en italien mais j'ai prévenu que la censure ne la laisserait pas
passer; et puis, je ne vois pas quelle troupe italienne pourrait bien la jouer.
On m'a offert, en outre, de la donner ici, en français, dans une salle privée -
peut-être à l'Ambassade de France - et que je prie un des …
…"Grosse " affaire et à 3 h avec
Aymard
Eliane, je t'adore
Illan
1931
…3h½ - Je t'écris d'un petit café de la rue
Réaumur. Aymard m'attendait chez lui, mais pour sortir car il devait aller à la
Liberté, de sorte que nous avons parlé en cours de route, dans son auto. Je
m'occuperai pour lui trouver quelque chose de très sérieux et important dans
quelque grosse société. Je t'en ai déjà parlé, mais, c'est si difficile
actuellement et les plus florissantes sociétés réduisent leurs frais et leur
personnel. C'est une question de patience encore. Aymard peut beaucoup de par
sa situation. Nous verrons. Il faut s'en remettre dans la main de Dieu, s'aider
- Aide-toi, le Ciel t'aidera, dit le vieux proverbe. Continuons donc à
lutter-Chaque jour suffit à sa peine - Ayons courage -
Le vacarme de cette rue est assourdissant.
Mon Dieu, avoir du silence et un peu de calme -, une vie faite de douceur — Je
vais reprendre ma vie, mes gens, mes rendez-vous. Je viens avec toi. Cette
lettre est la dernière à Bühl (°). Ne maigris plus. - Plana a mangé devant son
petit lit et Jean devant sonvileau(?).
C'était exquis pour moi de les voir devant ces jouets que tu as choisis et que
tes mains ont touchés.-
Reviens à Paris en bon état. Dis "au
revoir" àBühl, aux astres, au
paysage, à la gare. Dis à toutes ces choses que nous reviendrons si Dieu
veut.
Je
suis à toi, mon Eliane, pour
toujours
tonIllan
(°)Clairefait une cure à Bühlerhöhe-Baden du 31 mars
au 14mai 1931
(SDdV 510.306)
¹
Dimanche soir
10h½
Mon Eliane adorée, Je suis
encore tout bouleversé par le son de ta voix.Elle était si claire, elle
reflétait si bien ton âme, elle était tellement toi. - Cette semaine
doit être une semaine décisive pour moi, pour nous.Les Grosses affaires que j'ai en train doivent
se décider cette semaine. Je ne parle pas de l'hôtel de l'Av. Hoche montré à
l'Anglais qui a eu une très bonne impression, mais cela ne se fera que dans
quinze à vingt jours, ni dans la vente de quinze immeubles rue Marbeuf pour 70
millions, au sujet desquels j'ai rendez-vous mardi, mais j'ai une ouverture de
crédit qui devrait être faite avant la fin du mois et sur cela, je compte bien
- je seraifixé mardi -, et un prêt
hypothécaire de 70 millions qui devrait être décidé également dans le courant
de la semaine - J'ai l'affaire Ummeyer, mais elle ne se fera pas de suite, et
j'ai demain peut-être la vente d'un Watteau que je montre dans l'après-midi —
Pour la Grande Armée, qui aurait été signée sans nous, je ne sais pas encore si
l'affaire est faite. - Mercredi, j'ai un Conseil d'Administration pour la
Société de Produits chimiques dont les gens de Toulouse se disputent avec ceux
de Paris, mais j'ai été diplomate et je suis bien avec les deux groupes.
Pourrai-je partir Samedi matin si ma présence ?
(mardi)
Je ferai tout ce qu'il faut pour
partir samedi. Je n'ai pas d'argent. Je tâcherai de m'en procurer pour cela.
Demain, je dois avoir une réunion pour la Société de Produis chimiques qui me
doit de l'argent et je demanderai un acompte aux gens de Toulouse qui tiennent
à être bien avec moi - Je te montre tous mes trucs !
Ce qui pourrait me retenir, ce
serait la signature pour samedi ou lundi d'une affaire importante et qui
serait, mon Ange, le sauvetage complet * Mais je ne puis y songer.
je
t'aime
mardi 3 J.
Mon Eliane, mon Amour. Tu as eu raison de me
parler de tes ennuis matériels : je te l'avais demandé et je ne t'ai jamais
caché les miens. IL faut savoir le plus possible de celui que l'on aime. Je
veux te parler tout de suite de la reconnaissance. Ecoute-moi bien -Tu te rappelles quand, en juillet, j'étais
désespéré de ne pouvoir envoyer 50 francs pour ta chaîne ? En quittant Paris,
ne décembre dernier, j'avais donné la reconnaissance à Mr Mangin,5, Bd des Italiens qui m'avait avancé 50 frs.
dessus. J'avais payé les intérêts (5 frs. Par mois) sauf une fois, que je
t'avais priée de lui envoyer cette forte somme - C'est lui qui s'est
chargé de payer les intérêts au Mont-de-Piété après les 6 mois, il a payé et
m'a fait savoir combien je lui devais. Cela formait une cinquantaine de francs,
et c'étaient ces cinquante francs que je voulais lui envoyer. Voici une carte de
lui, pour que tu saches bien son nom et son adresse et voici une carte de moi
pour que tu règles avec lui. Car il y a les deux hypothèses : ou bien il a
laissé vendre le bijou, et je ne le crois pas car il a renouvelé à l'échéance,
ainsi qu'il me l'avait écrit, ou bien il a continué l'opération. Enfin, va le
voir. C'est un brave homme, malgré le métier qu'il exerce.En lui payant les cinquante francs et les
quelques mois d'intérêts jusqu'à présent, il devrait te rendre la
reconnaissance. Et alors, tu pourrais alors dégager la chaîne et la vendre si
tu veux ou bien la garder. Tu peux te défendre avec lui, car en lui donnant la
reconnaissance sur laquelle il m'avait avancé 50 frs., je lui avais dit qu'il
s'agissait d'un ami qui m'avait demandé de lui rendre ce petit service, dans ce
cas, c'est toi l'ami — Comme il m'est pénible de savoir que tu te débats
dans de misérables ennuis d'argent, mon Eliane, et de ne rien pouvoir pour le
moment ! J'ai accompli, comme je te l'ai dit, plusieurs petits miracles qui m'ont
permis de vivre et d'envoyer quelques francs à St-Brion (?) pour mon petit
Jean. Ne meurs pas de faim, mais depuis que je suis rentré à Rome, je n'ai pas
pu donner un centime à l'hôtel Hassler (?). Je dois deux mille francs.
On ne me fait pas d'ennuis, car ils me connaissent. Mais cela ne peut
évidemment pas durer longtemps.
Vraiment Saint-Pierre m'a toujours donné de
cruelles désillusions. Cette majestueuse froideur, ce colossal du pompeux, ces
statues représentant des géants de l'histoire de l'Eglise, ces mosaïques trop
reluisantes, ces colonnes torses païennes. Il est vrai que les anges du Bernin
sont merveilleux encore qu'énormes, que la grande place bien connue est
magnifique, et d'une proportion et d'un dessin uniques –
J'ai voulu aller au bureau de Poste du
Vatican. Un garde suisse, trouvant que j'avais probablement que j'avais l'air
peu étranger, puisque je n'avais pas de guide à mon bras, m'a demandé avec un
accent germanique ce que je désirais–
ce sont tous des suisses allemands– Je lui ai répondu que je voulais acheter
des cartes postales–Le bureau de Poste est allemand–
On y
parlait toutes les langues et des Français jacassaient comme aux Galeries
Lafayette–
Je suis allé déjeuner dans un restaurant
hongrois, juste en face de Saint-Pierre, d'où je t'écris. J'ai mangé du jambon,
bien entendu de Prague,, du Goulasch, du raisin, que je pense venu de la
campagne romaine, et j'ai bu de la Pilsner Urquell. Je suis dans un charmant
Schattiger Garten. Les tables sont occupées par des citoyens de l'Europe
centrale, sauf quatre séminaristes anglais. Le toit est en verdure, est au
centre, il y a un petit bâtiment qui a les prétentions de grandir. Voici la
photographie du Garde qui m'a interpellé tout à l'heure. Son costume a été
dessiné par Michel-Ange. Mais pourquoi suis-je seul à cette table ? Pourquoi
n'es-tu pas avec moi, mon Ange ? Pourquoi es-tuseule à la table de Challes ?
Je rentre en Italie !
Je
t'aime
Illan
De l'Hôtel 6 h.
Mon Eliane, En Italie, j'ai retrouvé
Peppino, que je quitte à l'instant. Demain matin, nous irons avec son auto à
Baliano (?). Je viens de télégraphier là-bas, pour qu'on nous attende. J'espère
bien tout régler, revenir ici demain soir même. Lundi matin, je te
télégraphierai car je pourrai fixer mon départ. Peut-être pourrai-je partir
mardi matin et être dans tes bras mercredi-matin.
Mon
Amour, mon Amour, à toi tout moi
ton
Illan
Lettre Ivan Goll (Berlin) à Claire (Paris) du 1.II.1931
Dimanche
1. II. 31
Chère Zouzou
Je vais te faire mon rapport sur
le Bal de la Presse ; ce n'était pas un bal, mais une promenade triste à
travers les salles du Zoo. Dans une des salles principales, il y avait une loge
officielle et le flot des fracs et des redingotes tournait autour de cette
salle, en rond, comme dans une cour de prison. A d'autres tables, étaient
assises des délégations de grands-mères avec leurs diamants, celles du monde
théâtral et du cinéma, avec de jolis dos, celles de l'armée avec des croix de
fer, etc... Effrayant ! Chacun n'était là que pour lui-même. Chacun voulait
être contemplé bouche bée. Il en résultait que personne ne voyait rien, ni
n'était vu. Ensuite, il y avait les tables. Ceux qui se connaissaient s'étaient
rassemblés en constellations. Là, on était entre soi, comme à la maison. Je
connaissais seulement les Stern, qui avaient à leur table les invités habituels
de leur salon. Mais, Betty par ailleurs a été très gentille : elle me prit par
le bras pour faire un tour dans les alles, et à chacune de ses relations, elle
criait : c'est Ivan Goll ! A vrai dire, cela leur était terriblement égal.
Mais, tout compte fait, ça a fini par deux conversations plus tranquilles avec
deux dames intéressantes : Sibylle Binder, qui était magnifique : longue robe
de soie blanche, petit boléro de dentelle noire, gants et souliers rouges.
Le raffinement même. Et Agnès Straub, avec qui je me suis aussi beaucoup
promené.
Plus tard, nous allâmes au bal
masqué de la Volksbühne, où c'était plus gai, naturellement. Là, Mme Straub m'a
présenté au metteur en scène Aufricht, qui s'écria : « Je sais, je sais déjà !
vous avez 2 pièces, Mme Stern me l'a dit tout à l'heure. Apportez-les moi !»
Aufricht a le théâtre du Kurfurstendamm. Etaient également présents Francesco
et Mendelsohn.
Aujourd'hui dimanche, la journée
s'est présentée tout autrement. Georges Manfred, qui habite maintenant à
Berlin, 10, rue Bach, près de la gare Tiergarten, avait invité les gens les
plus en renom à une discussion sur le "drame contemporain ",le drame didactique:il y avait Brecht,Döblin,Diebold,Faktor,Herzfelde,Wolfenstein,Willy Haas,Kersten,Guilbeaux,Cranach,Carola Neher,Marina,Werner Hegemann,etc. etc…Rien que des chefs de file. Donc, en face de ce bloc, Brecht dont on a
représenté récemment un drame didactique communiste "Die Massnahme
",et qui affrontait ces artistes
et ces critiques,pour la plupart
libéraux,avec une superbe et une ironie
que j’admirais,prit la parole. La
discussion déviait sans cesse et s’éloignait du sujet,c’était un chaos incroyable d’idées,de thèses différentes. On n’arrivait pas à y
voir clair. Et comme s’était bienfaisant pour moi,qui ne pris pas la parole,d’observer cet abîme de sottises émanant de
porte-plume les plus lus !Seul,Brecht était supérieurement brillant.
Georges Manfred et sa femme, très
gentils. Nombreux sont ceux qui ont demandé de tes nouvelles. Il y avait des
petits fours et des boissons de premier ordre. Mais une réunion de ce genre n'a
lieu qu'une fois ou deux dans la saison.
Demain, une nouvelle semaine
commence. Jusqu'à présent, rien n'est encore atteint. A qui donnerai-je d'abord
la Mélusine; après Lisl ? Chez Bloch Erben, je rencontre Kronscher, qui est
justement ici. Mercredi soir, je parle à la Radio.
Malheureusement, Piscator est en
prison depuis 3 jours, ce qu'on a beaucoup déploré à la réunion chez Georges
Manfred
Je te remercie pour ta lettre et
pour les Nouvelles Littéraires, je t'envoie l'almanach du Bal de la Presse et
la "Radio"
et reste ton vieil
Ivan
Je t'enverrai
demain 100 marks.
(Claire Goll & Ivan Goll,Meiner
Seele Töne, Scherz,1978 (p..58-59-60).
nouvelle édition annotée
avec de remarquables commentaires de Barbara Glauert.
La traduction française de
ces lettres, due à Claire Goll, reste inédite à ce jour)
Télégramme d'Ivan Goll à Paula Ludwigdu 22/2/1931 à 18h20 IsmL p.5
Suis désolé - impossible de
venir aujourd'hui souffrant de doigts malades - Ivan
lettre Ivan Goll de Berlin à Claire Goll à Paris du 22 février 1931
(manque la première page
égarée)
... J'ai aussi fait la
connaissance de Paula Ludwig. Etrange fille de paysans, son père fabriquait des
cercueils; une tête un peu "bois gravé", mais une belle âme? Elle
évolue lentement et devient peu à peu une Lasker-Schuler chrétienne . Elle a
aussi un fils de 13 ans, qui vit dans une colonie scolaire au bord de la mer.
Enfant illégitime. Elle a été femme de chambre, modèle à Münich, souffleuse ; à
présent, elle écrit des poésies dédiées à son petit garçon. Et quelle modestie
dans la pauvreté !
Remarques-tu quelque chose dans
mon écriture ? J'écris avec le pouce et le majeur, car mon index droit est
malade de nouveau ; grosse bosse de pus, cataplasmes et toute la suite. C'est
ainsi que je devrai écrire les scènes de "Germaine" (Berton).
Beaucoup de tendresse de ton Ivan. MST p.60
lettre Ivan Goll de Berlin à Claire Goll à Paris du 25
février 1931 MST p.61
Berlin,
25 Févr. 31
Chère Zouzou,
Betty vient de me téléphoner et elle m'a lu ta
lettre d'une voix enthousiasmée, disant que cette lettre est géniale, bien plus
belle que tous les Youssoufde la
Lasker-Schuler, et qu'elle la porterait dorénavant sous son corset, sur la peau
(pauvre lettre !). Par ailleurs, elle a de plus en plus la folie des grandeurs
; encore aujourd'hui, elle rêve de cette réception dont le compte-rendu a paru
dans le "Petit Journal" que je t'ai envoyé. Tous briguent ses
faveurs, et tous se moquent de ses prétentions.
Je travaille comme un enragé à cette
conférence radiophonique sur James Joyce. Pioché encore une fois tout le texte
d'Ulysse ! En outre, je souffre à devenir fou, depuis 3 jours. Mon doigt est
presque guéri - dimanche soir, je n'en pouvais plus et j'ai couru à 11 heures
chez le Dr Gumpert, qui l'a incisé - mais à présent, un nouvel abcès commence à
me pincer l'omoplate. C'est horrible. Quand serai-je enfin délivré de cette
calamité ?
En ce qui concerne les fonds : voici
d'abord 2 chèques. un de 323 frs 75, pour nous débarrasser définitivement du
boucher (un autre abcès) - porte-lui le chèque. Ensuite, un chèque de 1500 frs
pour toi. Je ne puis absolument pas envoyer plus que ces 1800, pour l'instant.
Fais patienter Ozenfant et le pharmacien jusqu'à mon retour. Peut-être
aurons-nous une rentrée avant. Je t'ai écrit, la dernière fois, que j'ai de
nombreuses choses en perspective, mais seulement si j'ai de la patience.
Espérons que nous saurons bientôt
quelque chose de certain sur la Bovary. Demande en tout cas, une option de 3
mois, immédiatement !
Oui, d'après tout ce que j'entends
dire sur les sanatoria, les prix de Bühlerhöhe me paraissent tout à fait
acceptables. St-Hubertus, tellement près de Berlin, ne vaut rien,
naturellement. Loschwitz aussi est une sorte d'îlot des nerfs. A Bühlerhöhe, je
pourrai venir passer quelque temps, étant donné que je devrai travailler à
Francfort, avec Sassheim, à la "Kapellmeisterin".
As-tu vu, entre temps, Mme
Hesterberg ? Tu n'as jamais écrit comment les choses ont fini avec Desnos. La
Symphonie de psaumes, de Stravinsky, a été donnée ici, à Berlin, avant de
l'être à Paris.
Avec tendresse
Ton
Ivan
Ivan Goll à Paula Ludwig : pneumatique du 27/2
à 18h IsmL p.5
Viens vers minuitI.
Ivan Goll :2 mars 1931,poème pour Paula
Ludwig IsmL p.5/6
lettre Ivan Goll de Berlin à Claire Goll à Paris du
samedi 7 mars 1931MST p.62/63
Chère Suzu,
Que ta dernière lettre était
merveilleuse ! Si sûre et si compréhensive. La voix de ton cœur est un alto apaisant.
Oui, je suis maintenant très bien installé chez Paula Ludwig. Elle m'a très
bien soigné pendant ma maladie. Ce furent des jours terribles. J'avais un vrai
bubon de pus, ce qui ne m'est encore jamais arrivé. Finalement, j'ai dû faire
venir un médecin, le Dr Pinkus, qui m'a soulagé aussitôt. Mais j'ai porté,
longtemps encore un pansement, et n'ai pu me montrer nulle part. A présent, je
redeviens lentement un Européen.
Dans mes travaux
aussi, j'ai été très gêné. J'ai pu tout juste encore mettre au point, en
partie, le montage sur Joyce : car la Radio va l'étirer : une heure et demie à
notre disposition. D'abord une courte discussion entre Hirschfeld et moi, au
sujet de Joyce, puis des lectures extraites des divers chapitres d'Ulysse, par
des acteurs de premier ordre, et enfin, le disque enregistré par Joyce.…et cela
nous rapportera aussi un beau petit pécule. Mais
toujours encore, je n'ai de l'argent - qu'en perspective ! Néanmoins, j'ai une
grande surprise pour toi :je t'ai
acheté un châle chinois en soie, avec de grandes fleurs rouges sur fond
blanc, brodé sue les deux faces, avec des franges nouées à la main. Il m'a
coûté cher, mais c'était tout de même une occasion. A Paris, il coûterait trois
fois plus. Très grand. Et beaucoup plus beau que les châles espagnols.
En
es-tu heureuse ? Cela me fait si mal d'apprendre que tes bronches ne sont
toujours pas en bon état. Pourquoi traînes-tu dans ce climat pseudo-printanier
de Paris ? Naturellement, il a toujours été malsain. Je te conseille vivement
de partir le plus tôt possible pour Bühlerhöhe.Les prix dont on t'a parlé sont réellement doux auprès de ceux que l'on
entend ici. Venir à Berlin, je ne te le conseille pas. D'abord, à cause de ta
santé. Et puis aussi, parce qu'au point de vue affaires, il n'y a rien de neuf
à espérer. Les Moser Ullstein licencient, tant qu'ils le peuvent. Ils ne
veulent souscrire de nouveaux engagements sous aucun prétexte. Pinthus m'a dit
qu'il n'y a aucun espoir que la "8-Uhr-Abendlblatt" m'engage ferme en
ce moment, même pas à 100 marks par mois, pour lui fournir plusieurs articles.
Tous les journalistes se plaignent. Même le traitement de Bloch va être
diminué.Dans ces conditions, je n'ose même plus avouer à qui que ce soit que tu
reçois 100M. par article, comme par le passé. Tu es une exception tout à fait
inouïe. Et, de plus, on imprime un si grand nombre d'écrits de toi ! Oui, mais
aussi, ils plaisent tellement partout où j'en entends parler ! Tu as maintenant
entre les mains un joli monopole.
Je
dois aller finalement, de toutes manières, à Francfort, au cours du mois de
mars : donc, nous nous retrouverons là-bas. Ensuite, on sera à la veille de
Pâques. Tout le monde ici pense déjà à partir en vacances.
Mais
que ferons-nous de Rosa ? Je suis absolument d'avis qu'il faut la congédier
avant ton départ. Elle nous a rendu les meilleurs services, cet hiver ; en été,
nous serons, l'un et l'autre, très peu de temps à Auteuil. A la longue, elle
serait une charge trop lourde et inutile. Dans un tel cas, il n'est pas
nécessaire de faire du sentiment.
Je
me réjouis beaucoup du pyjama : demande un numéro pour un homme grand, très
mince, de longues manches, une taille très fine, col 40.
N'oublie
pas la Bovary ! Nous pensons maintenant à la faire jouer par Lisl (°)
En
grande tendresse
Ton
Ivan
(°) Elisabeth Bergner
lettre Ivan Goll de Berlin à Claire Goll à Paris du
jeudi 12 mars 1931MST p.63/64/65
Berlin,
12. 3..31
Chère Zouzou
Depuis
trois jours, violente tempête de neige sur Berlin. Elle mugit autour de
l'atelier, d'une façon inquiétante. Par les vitres cassées, la neige entre en
tourbillonnant. Les pièces sont difficiles à chauffer. Il faut être encore
romantique comme je le suis pour aimer tout cela ; mais jamais je n'oserais te
conduire sous un abri aussi inconfortable, bien qu'il soit situé sur le
Kurfurstendam, mais le pavillon, qui plane au-dessus des toits, contient une
bohème des plus modestes.
Pour
d'autres raisons encore, il n'est vraiment pas à conseiller que tu viennes
maintenant à Berlin. Comme je te l'ai dit, il ne faut pas penser à de nouveaux
contrats en ce moment. Tu sais que les Allemands tombent toujours dans les
extrêmes : autant ils étaient larges naguère, autant ils sont maintenant
rétrécis : la conjoncture des restrictions est un fait, et personne ne se
risque à faire exception. L'exemple de la "8 Uhr Abendblatt" est
typique. Chez Mosse par exemple les coursiers et les dactylos sont congédiés,
et Pinthus, entre autres, doit s'offrir une dactylo personnelle.
Et
pourquoi faire ce détour, puisque je dois, de toutes manières, redescendre
bientôt ? Le mieux est donc que tu attendes la fin de ton indisposition et que
tu voyages alors, sans hâte vers Bühlerhöhe. Mais tu devrais t'y annoncer dès
maintenant. Vers Pâques, il y a plus d'affluence.
Au
début de la semaine prochaine, je te ferai envoyer encore une fois 1500 francs
de Zurich. Cela suffira bien pour le voyage ?
Le
cas Rosa n'est pas aussi simple. Tout ce que tu décideras sera juste et bon.
Mais elle me fait pourtant l'effet d'un fardeau. Une entrave à ma liberté. Je
me propose de ne plus coller aussi étroitement à Paris, de me déplacer beaucoup
plus qu'auparavant, de voyager beaucoup au printemps et en été. Puisqu'aucune
profession fixe ne m'enchaîne, Dieu merci.
L'avenir
idéal, voici comment il m'apparaît : milieu d'avril, toi et moi, encore en
Allemagne. Ensuite, deux ou trois semaines à Paris. Pas plus. Et un grand
voyage d'été, aux eaux ou à la mer. Durant des mois.
Tu
éprouves probablement un grand besoin de repos : et Rosa représente à tes yeux
une certaine sécurité. Peut-être as-tu raison. Mais d'ici, j'envisage la
situation sous un autre angle. Donc, je te laisse le choix. Pendant notre
absence, elle serait obligée de travailler au dehors, pour gagner sa vie, ne
recevant plus de nous que la moitié de ses gages mensuels et le logement. Je
crois que, même ainsi, ce serait pour elle une excellente solution.
Et
maintenant, Bovary. C'est La Lisl qu'on a maintenant en vue pour ce rôle. Elle
a eu vraiment un très grand succès avec son premier film parlant
"Ariane" (Claude Anet).Elle a atteint le rang de première star
allemande du film sonore. Sans le moindre doute, dans toute la Presse.
Elle
m'a dit qu'elle pensait déjà depuis longtemps à Bovary. Plusieurs auteurs de
scénarios, dont Harry Kahn, flirtent depuis longtemps déjà autour de ce sujet
et autour d'elle. Par conséquent. Il est essentiel que tu nous assuresimmédiatement la priorité, ne te
relâche pas, rends-toi, samedi matin, encore une fois, personnellement, chez
Bloch ; insiste, promets tout, fais-toi donner une option. Il faut qu'on
nous la donne de suite. Il ne faut tout de même pas que la mort d'une vieille
femme mette tout à l'eau. Une petite fortune est cachée là. Tant que nous
n'avons pas Bovary, il ne faut pas que tu quittes Paris.
En
grande tendresse
Ton
Ivan
S'il te plaît, envoie-moi tout
de suite le livre de Laforgue "Berlin", qui doit être sur la pile du
coin, sur ma commode.
Les 20 M. sont déjà donnés à ta
mère depuis lundi. Je me réjouis pour le pyjama.
Ivan Goll de
Franckfort à Paula Ludwig télégramme du
29/3/1931 à 9h40
Je t'aime - Ivan
Ivan Goll à Paula Ludwig télégramme du
31/3/1931 à 11h45
Accompagne Claire malade au
Sanatorium de Bühlerhöhe - irai demain à Franckfort - retour dans tes bras le
lendemain Vendredi-Saint - PARCIGOLL
Ivan Goll à Paula
Ludwig : longue lettre du 1er avril depuis Bühlerhöhe ****IsmL p.7/8
Ivan Goll à Paula
Ludwig : autre lettre du 2 avril depuis BühlerhöheIsmL
p.8
Bühlerhöhe où Ivan va rester jusqu'au 8 avril avant de revenir à
Berlin
lettre d'Ivan Goll Berlin
à Claire à Bühlerhöhe-Baden du 8 avril 1931 *** MST p.65/66
Chère Liane
nouvellement fleurie,
Comme tes deux lettres du
vendredi-saint et du dimanche de Pâques étaient pieuses : la piété de l'amour,
la piété de la vie. Amour né de la douleur, toi ma ressuscitée ! Comme tes
yeux, qui ne sont pas terrestres, ton sentiment devient plus grand que nature,
il s'accroît, devient la mer, m'inonde, me submerge : tu triomphes.
Ceci est le premier cri que je t'adresse
de Berlin. Je sais maintenant que tu as vaincu, tu n'auras plus jamais à être
triste, à l'heure cosmique du réveil, à l'heure du merle. Je t'aime.
Je t'aime pour toutes les raisons et
toutes les déraisons.
Mais je t'aime aussi pour la sagesse
avec laquelle tu laisses mûrir et tomber ce qui vit, * l'été brûler et se
faner, sachant que des printemps sont là, derrière, avec nos violettes à peine
fleuries de la Forêt noire.
Certes, dois-je le dissimuler ? Un
feu de la Saint-Jean flamboie sur le toit de Halensee et un tel incendie est
rare sur les collines de l'Aujourd'hui. Et ce flamboiement va bien à mes joues
longtemps solitaires. Avoue-le, comprends-le. Et sache : les feux de la
Saint-Jean ne durent qu'une nuit.
Moi, je brille plus que je ne brûle.
Et je me réjouis d'avance d'une
lumière plus sereine et plus intérieure, comme la lumière florentine, que le
mois de mai nous promet. Je me réjouis de deux grandes étoiles, dans lesquelles
rien ne vacille plus, où veille une clarté déjà divine, et qui sont toujours au
ciel, même le jour, quand on ne les voit pas, même mortes, quand elles ne
s'éteignent qu'en apparence.
Toi, tes yeux. Et tu peux faire ce
que tu veux, tu ne peux plus les cacher ! Les autres aussi commencent à
découvrir leurs rayons célestes. Même si tu baissais tes cils. J'ai trouvé le
mot : je parlais de feu, de brûlure et d'éclat : mais toi, tu rayonnes,
comme un diamant secret, comme un bijou de radium ; tu es tous les lointains,
toutes les terres, tous les cieux.
En même temps que la troisième
lettre, est arrivée une note de la Schweitzer Bankgesellschaft, disant qu'elle
t'a envoyé les 200 M. Mais à quelle date ? Le 7 avril. Ah ! terrible m'est la
pensée que tu n'as pas reçu cet envoi à temps et que tu t'es désolée. Ces
Suisses, ils ne pouvaient donc pas te faire l'envoi, en vitesse, le samedi !
Etant donné que tu devras, cette
fois-ci, être d'autant plus ponctuelle, je te donne ci-inclus, tout de suite,
100 M. qui suffiront bien pour cette semaine, si tu paies le dimanche.S'il te
plaît, dis-moi régulièrement combien il te faut.
Comme je suis heureux que les gens
de là-haut soient tous si gentils pour toi ! J'en suis heureux, mais je trouve
cela naturel. tu es l'être fabuleux qui manquait à la Foret Noire. La chambre à
loggia, la sympathie des infirmières, la louange des Grossmann, c'en est à
peine assez pour toi. Toute la louange du monde t'est due.
Tu es là, maintenant, dans les mains
de Strohmann, fais-lui confiance. Ne te laisse pas sans cesse influencer par du
nouveau. La foi est efficace. Même si un diagnostic berlinois était différent :
la guérison de ton intestin ne peut être obtenu que grâce à la patience et en
fortifiant le reste de l'organisme.
Notre arrangement-radio sera émis
lundi prochain, 13 avril à 11 heures 1/2 du soir, je crois. Insensé ! Je
t'enverrai vendredi le programme. En tout cas, il était grand temps que je
retourne à Berlin, pour la répétition.
Ensuite, j'aurai du temps pour
"Germaine".
En attendant d'entendre ma voix
(réellement, cette fois) écoute le battement de mon pouls.
Ton
Ivan
Claire à Bühlerhöhe-Baden à
Ivan Goll à Berlindu 9 avril 1931MST p.67
Sanatorium
Bühlerhöhe
ChériJoints quelques bouts de papier qui te concernent. Avant tout,
Daniel a versé de l'argent. Dis, quand recevrai-je les premières scènes de
"Germaine" ? Ecris-tu quelque chose pour l'Intran ou sur la France,
pour des journaux allemands ? Fais-tu des poèmes ? Manges-tu bien, aimes-tu
beaucoup ?
Moi, je vais beaucoup mieux.
Aujourd'hui, grand examen intestinal et j'en suis effrayée. Je suis souvent
invitée chez les Strohmann, lui et elle sont des gens très distingués et très
aimables.
Aujourd'hui, il y a du soleil, les
oiseaux chantent et je suis presque heureuse. Mais, comment ne le
deviendrais-je pas avec tous les fortifiants que je prends en ce moment ! En
pensée, je peux déjà arracher des sapins, mais seulement des petits-fils de
sapins.
As-tu écris à Rosa, lui as-tu
envoyés les 200 frs ?
Je trouve le livre de Klaus Mann si
jeune, plein de curiosité et souvent sympathique. Il pense beaucoup, lit encore
plus, aime et souffre ; je l'aime bien, quoique son article sur nous soit
superficiel.
Peux-tu m'expliquer pourquoi on lit
dans la version française de l'Evangile de Saint-Jean :
"Au commencement était le Verbe
… "
alors que
c'est, en allemand :
"Im Anfang war das Wort …"
Dans Faust,
Goethe se demande s'il doit traduire "Wort" par"Tat".Mais, "Verbe" inclut une toute
autre signification ?
Ecris-moi encore. Quel dommage que
tu n'aies pas trouvé, ou peut-être pas cherché, un petit fer électrique de
voyage, qui marche sur tous les voltages, cela m'aurait évité ici bien des
frais de blanchissage.
Avec mon ancienne grande
tendresse
Ta
Liane
Claire à Bühlerhöhe-Baden
lettre jamais
envoyée
«… Elle est bien portante, elle a
son petit garçon, je n'ai que toi.
Elle trouvera un autre homme, avant
qu'il soit passé beaucoup de temps. Moi je ne peux trouver qu'un représentant
pour ne pas périr de douleur, jamais je ne retrouverai un autre.
Il y a trois mois tu n'étais pas
encore dans sa vie. Mais tu es ma vie, depuis plus de quinze ans. Comment
pourrais-je le supporter ? »
Peut-être aurait-il mieux valu
toujours tout te dire, au lieu de me taire, par une fierté puérile, et d'en
mourir, car je crois que ma santé n'aurait pas ainsi périclité, siYvanClaire n'était devenu Yvan et Claire.
31/01/32 une lettre que je t'ai écrite l'an dernier, de
Bühlerhöhe, et que je ne t'ai pas envoyée :
Télégramme d'Ivan
Goll Berlinà Claire à Bühlerhöhe-Badendu
11/4/1931 à 18H30
de
Berlin Halensee 9.18.30
Crains Ivan le Terrible
Le Journal des Poètes 1ère année, n° 2 - 11 avril 1931-
Ivan Goll : Rue de la mort et reproduction du dessin de Chagall
(couverture de " Poèmes
d'Amour", Fourcade 1930) Bruxelles.
Sous
ta poitrine de ciment,
Sous
tes paupières de fer,
Ville
narcotisée,
J'entends
ton sang qui bat.
J'entends
tes femmes qui chantent,
Sources
chaudes souterraines ;
Tes
escaliers qui pleurent
Et
tes morts aux lèvres plombées.
Il
y a les hommes qui se réveillent
Au
milieu de la nuit,
Soudain
ils comprennent
Qu'ils
ont oublié de vivre.
Des
rues désespérées
Courent
en vain après le ciel
Et
tremblent
De
tous leurs réverbères.
Est-ce
toi, solitude ?
Qui
grelottes sur la Place
Dans
ton manteau de vent,
Prostituée
qu'aime un poète ?
Un
autobus malade
Transporte
les soucis des gens
De
l'aube au soir et retour
Sans
jamais calmer son angoisse.
Quelquefois
une porte
Restée
ouverte
Comme
la bouche d'une morte...
Je
suis son dernier confident.
lettre
d'Ivan Goll Berlin à Claire à Bühlerhole-Baden du
3 mai 1931***MST p.68/69
Berlin3 mai 31 [dimanche]
Plus que Liane,
Je
t'envoie ci-joint la fin de la pièce : les 6 dernières scènes. Entre temps,
j'ai également trouvé un titre : "Die Jungfrau de Paris", qui semble
plaire généralement ici. Ton enthousiasme pour les 6 premières scènes me donne
de la confiance, des ailes … Lipmann et moi, nous travaillons sans
discontinuer, ces jours-ci pour arriver à la fin. Nous nous étions fixé le 3 mai
comme dernier délai et nous nous y sommes conformés.
A
présent, vite l'organisation technique : demain lundi, nous portons la pièce à
Oesterheld et à K. H. Martin. Après Martin, à Rheinardt. Il y aura certainement
quelques jours de discussion - car au théâtre, comme tu le sais, rien ne marche
sans encombre, et aussi, on ne trouve pas les gens comme on le voudrait.
Quand vais-je partir ? Tu seras pourtant
toi-même d'avis qu'il n'est pas sans importance pour moi de prendre part aux
discussions. Je devrai partir en fin de semaine, 2 ou 3 jours à Munich…
Perds-tu
patience ? Comment avais-tu imaginé la chose ?
Voudrais-tu
rentrer à la maison ? Dis-le moi franchement. Et dis-moi si tu trouves qu'il
est très nécessaire que j'aille te chercher à Bülhlerhöhe. Est-ce que le mari
ne jouera pas maintenant un rôle moins brillant qu'au début, alors que nous
tenions notre chambre verrouillée contre tous les intrus jusqu'à 11 heures du
matin ? Et alors que, présomptueuse, tu expliquais au Dr Strohmann : "Mon
mari et moi, vous comprenez, nous nous aimons tellement …"
La
cour que te fait Monsieur le Marquis a probablement chassé deBülhlerhöhe tout souvenir du tendre début
d'avril... chez les laquais, veux-je dire, naturellement.
Certes,
j'aurais bien voulu apprendre ce qui ne va pas dans ton état de santé. Tu ne
m'as jamais communiqué le résultat des examens.
D'autre
part, à mon retour de Munich, je passerai de toutes manières dans le duché de
Bade. Cela, de toutes manières. Mais réfléchis bien. Je trouverais très naturel
que tu me précèdes seule à Paris, de quelques jours : on te fera très bien tes
malles àBülhlerhöhe, la correspondance
des trains est très facile, le voyage agréable - seulement il ne faudra pas,
cette fois, que Casa Fuerte aille te chercher à la gare, ni qu'il t'aide à
défaire tes bagages... car ce serait alors très grave (et à quoi nous sert Rosa
?.... il ne doit pas savoir du tout que tu rentres seule.
Si
nous décidons cela, il en résulterait aussi qu'en passant par Nancy, je m'y
arrêterais 24 heures - ce que je ne ferais jamais, ö grand jamais, avec toi !
En aucun cas. Nos retrouvailles ne devront pas se faire dans une pareille
atmosphère. (Ce point est d'ailleurs sans importance : je pourrai aussi
retourner à Nancy, de Paris, en 4 heures).
Quoi
qu'il en soit, je suis ici en pleins préparatifs de départ.
Hier,
j'ai été pour la dernière fois chez Else Herzog, pour y prendre enfin ta
fourrure. Invité à déjeuner. Menu splendide. Mais quel bordel ! Rien que des
couples de tapettes ! Elle s'en est plainte à moi : "Chaque homme amène
ici son petit ami ; ah ! il ne nous reste rien, à nous les femmes !" Mais
voilà de quoi elle s'entoure exclusivement. Dans sa maison immense, elle a
plusieurs chambres pour ses "invités" de passage. Pouah ! rien que de
les regarder...
Je
m'occuperai de toutes les autres affaires.
Depuis
hier, temps merveilleux ici.
Depuis
tes lettres de grande dame, j'ai préféré ne plus parler de Paula Ludwig. Tu as
compris pourquoi.
Car il faut que
nous recommencions entièrement notre amour, depuis le commencement.
Il
n'en deviendra que plus fort.
Iwan
Ivan Goll à Paula
Ludwig : télégramme du mardi 12 mai de
Münich à 10.05IsmL p.9
Ivan Goll à Paula
Ludwig : lettre du 12 mai 1931 de
Münich Hôtel Schottenhamel IsmL p.9
Ivan Goll à Paula
Ludwig : lettredu 15 mai1931 de Bühlerhöhe IsmL p.10/11
lettre poétique, parle de 3 poèmes de Paula
qu'il va traduire pour Le Journal des Poètes
Ivan Goll à Paula
Ludwig : longue lettre du 18 mai 1931 de Bühlerhöhe IsmL p.11/12
…avec beaucoup d'amour de ton Ivan
recopier mes notes
Du 19 mai au 28 août Ivan et Claire sont à Paris 18 rue Raffet.
Ivan Goll à Paula
Ludwig : lettre d'amour de Paris du 25 mai
1931 *** IsmL p.13/14
lettre
au papillon "Quel droit avais-tu d'être méchante ?... Seulement on peut
souffrir. Mais c'est ça l'amour..."
Ivan Goll à Paula
Ludwig : lettre amoureuse de Paris du 29 mai
1931 *** IsmL p.15/16
Paula va en juin voir son fils à
Juist avant de se rendre début août à Ehrwald, Ambach où elle reste jusqu'au 20
août
Ivan Goll à Paula
Ludwig : lettre amoureuse de Paris du 4 juin
1931 *** IsmL p.17/18
James Joyce
(Londres) à Ivan Goll (Paris) 30 juillet 1931
«… Maintenant aussi à Francfort la Frankfurter Zeitung du 19 juillet publie
une page entière de texte pour J.J., auteur d'Ulysses, traduite du manuscrit
anglais par Irène Kafka. Qui est-elle ? Où a-t-elle trouvé ce manuscrit que le
journal m'attribue ? Je l'ignore. Je ne la connais point. Je n'ai jamais écrite
cette sotte nouvelle qui s'appelle Vielleicht
ein Traum aber bestimmt eine Schweinerei.»
Télégramme d'Ivan Goll à Paula Ludwig à Juist du 11 juillet
1931 à 11h10
étémalade -lettre suit - de tout coeur - Ivan
Ivan Goll à Paula
Ludwig à Juist : lettre de
Paris du 10 juillet 1931IsmL p.19/20
…et je t'embrasse Ivan
Ivan Goll à Paula
Ludwig à Ehrwald : lettre de
Paris du 3 août 1931IsmL p.20/21
Ivan Goll à Paula Ludwig à
Ehrwald : lettre de Paris du7
août 1931IsmL p.22
Paula Ludwigà Ambach
à Ivan à Paris : lettre du7 août 1931 *** IsmL p.22/23/24
Télégramme d'Ivan Goll à Paula Ludwig à Ehrwald du 10 août
1931 à 23h30 Gare du Nord
Ivan Goll à Paula Ludwig à
Ehrwald : lettre de Paris du11 août 1931 ***IsmL p.24/25
Ivan Goll à Paula Ludwig à
Ehrwald : lettre de Paris du13 août 1931IsmL p.25/26
Télégramme d'Ivan Goll à Paula Ludwig à Ehrwald du 13 août
1931 à 16h50
N'ENVOIE-PAS LA LETTRE A
BONSELS UNE AUTRE SUIT
Paula Ludwigà Ehrwald
à Ivan à Paris : lettre du 14 août
1931 IsmL p.27
Ivan Goll à Paula Ludwig à
Ehrwald : lettre de Paris du 24 août 1931IsmL p.28/29
Ivan Goll à Paula Ludwig à
Ehrwald : lettre de Paris du 25 août 1931IsmL p.29/30
Claire part le 28 août en cure à
-les-Eaux, Hôtel du Château.
carte postale d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig à Ehrwald
du 29 août 1931IsmL p.30
lettre
de Claire à Challes-les-Eaux à Ivan
Goll à Parisdu 29 août 1931MST p.69/70
[Challes-les-Eaux]
[Hôtel
du Château]
[
samedi 29.8.31]
Mon petit Ivan,
Un si beau temps et tu n'es pas
là ! Le court de tennis t'a déjà réclamé. Tout d'ailleurs t'a réclamé, depuis
Rochette jusqu'à Pietro.
La maison était encore complète.
Je remercie mon dieu spécial, car grâce à lui, j'ai pu être logée dans la plus
belle chambre de l'hôtel, tout à fait derrière au 3 ème étage. Tout à fait
tranquille, avec un balcon donnant sur les montagnes et la campagne; là je
rêve, les yeux perdus dans le ciel, matin et soir, longtemps, jusqu'à ce que
les anges en sortent. C'est une chambre à grand lit pour 2 personnes, elle
devrait coûter 60, et mademoiselle Buet, me l'a laissée pour 55. On mange
remarquablement bien, comme naguère, et je me dis à chaque plat que ces bonnes
choses se transformeraient dans ton estomac en force et en globules rouges.
Enfin, ce qui n'est pas sera sans doute bientôt.
Où
en es-tu avec Beye et le bouchon ? Si vous partez pour Marseille, dis à Beye de
prendre une auto à l'arrêt le plus rapproché de Challes et vous viendrez me
voir. Est-ce que Rose te soigne bien ? Manges-tu bien, dors-tu et
…travailles-tu ? Je pense que, depuis longtemps déjà, les cigarettes ont teint
en brun tes doigts et tes poumons.
Je me couche à 9 heures et je dors 9 heures
sans moustiques. Ce soir, il y a des myriades d'étoiles, tout est encore très
estival, mais il fait très froid le matin et le soir.J'espère qu'il viendra bientôt du courrier.
Sinon, on a l'impression d'être toute seule au monde.
Etant
donné qu'on paie toutes les semaines, tu devrais m'envoyer de l'argent
mercredi. A part cela, je n'ai pas de frais ; Dufour m'a donné beaucoup
d'entrées gratuites.
Et
maintenant, viens bientôt, ou envoie bientôt une feuille de papier à lettre
couverte de petits oiseaux. je t'embrasse tendrement.
Ta
Zouzou
J'ai oublié le sablier pour les
pulvérisations, et la vapeur abîme complètement ma montre. Il est violet foncé
et se trouve peut-être dans un des tiroirs de la cuisine, ou bien au mur de la
cuisine, là où les clefs sont pendues, ou encore éventuellement dans le tiroir
à pharmacie, chez toi. (Ne pas confondre avec le sablier pour cuire les œufs
dans la cuisine !)
lettre
de Claire à Challes à Ivan Goll à
Soridu 31 août
31 ou 35, n’est pas dansMST
à traduire
Ivan Goll à Paula Ludwig à
Ehrwald : lettre de Paris du 4 septembre 1931IsmL p.31/32
Du 16 au 20 septembre 1931, Ivan est
chez sa mère, Rebecca Kahn à Nancy
Ivan Goll à Paula Ludwig à
Berlin : lettre de Paris du 21 septembre 1931IsmL p.32
Du 21 septembre 1931 au 31 décembre
1931, Ivan et Claire vivent à Paris,19 rue Raffet
et Paula Ludwig à Berlin.
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 26
septembre 1931IsmL p.33
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 30
septembre 1931IsmL p.34/35
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 4
octobre 1931IsmL p.35/36
Carte postale d'Ivan Goll, Bruxellesà Paula Ludwig Berlin lundi 12.10.1931IsmL p.36
Télégramme d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 13.10.1931 à 10h35 IsmL p.37
à l'instant-même retour de Bruxelles à la maison après avoir
reçu une merveilleuse lettre d'amour. Lettre suit Ivan
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 13
octobre 1931IsmL p.37/38 ***
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 16
octobre 1931IsmL p.38/39 *****
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 17
octobre 1931IsmL p.39/40 ***
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin
du17 octobre 1931IsmL p.40/41 ***
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin
du17 octobre 1931 IsmL p.41/42 *****
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 25
octobre 1931IsmL p.42/43/44 *****
Télégramme d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 2 novembre 1931 à 11H IsmL p.44
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 2
novembre 1931IsmL p.45/46/47 *****
Carte postale d'Ivan Goll, Bar-le-Ducà Paula Ludwig Berlin 10 nov. 1931 IsmL p.47
(sur le trajet de Nancy)
Télégramme d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 14.11.1931 à 10h35 IsmL p.48
ANGINE
HOLLANDE IMPOSSIBLE
ECRIS SAINTS PERESGOLLIVAN
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 16
novembre 1931IsmL p.48
lettre
d'Ivan Goll Paris à Clairedu 17 novembre
1931MST p.70/71
Paris17 novembre 31 [mardi]
Chère Zouzou,
Tu
paraissais bien triste, aujourd'hui au téléphone. Mais aussi, nous n'avons
presque parlé que d'argent, et je m'attriste moins de la tristesse en pensant
qu'elle vient plus de la bourse que des cavités du cœur.
Mais
pour te distraire un peu, je vais te raconter l'histoire suivante. J'ai fait un
pas de clerc. Et cela, auprès de Lisl (°). Dimanche m'est venue l'idée subite
de l'appeler au téléphone. J'ai entendu nettement la gouvernante discuter avec
elle de ce qu'elle aurait à me répondre, à savoir que sa patronne "n'était
pas là".
Là-dessus,
j'envoie à Lisl la lettre ci-incluse.
Et,
c'est un fait : j'écume littéralement d'avoir porté pendant quatre ans la bague
d'une personne, qui pendant ces quatre années, n'a même pas trouvé nécessaire
de m'appeler au téléphone, ni de vouloir me voir.
Cela
ne va plus. Plus avec moi. Je ne suis (pour une dame dont je porte la bague
d'amitié, ni un Feist, ni un Harry Kann, qui a la permission de lui
rendre visite dans sa loge.
Ou bien la bague n'a aucune
signification. Quand on me demande : Qui vous a donné cette belle bague ? Je ne
peux plus répondre : Mme Bergner. Car ce serait un mensonge.
Le
jour suivant, elle me demande au téléphone et dit qu'elle n'est pas fâchée. Que
je vienne la voir un jour à l'Atelier. Je lui réponds : " A
l'Atelier" ? Comme Harry Kahn ? Non ! Si tu m'aimes, comme tu l'affirmes
(et c'est ce qu'elle affirmait au téléphone), alors j'exige seulement ceci :
Que, dans le courant des 4 prochaines années, tu me téléphones au moins une
fois de toi-même".
Avais-je
raison ?
J'avais
raison.
Et
maintenant, moque-toi de ton petit garçon.
Ivan
Je veux porter maintenant, une bague
venant de toi !
Je n'ai pas encore donné
l'autre.
(°) Elisabeth Bergner,
comédienne, belle et célèbre
Lettre d'Ivan Goll Paris à Elisabeth
Bergner 15 novembre 1931 MST p.71
Lisl, (*)
J'ai donné aujourd'hui ta
bague à quelqu'un d'autre. J'ai compris qu'elle ne signifie aucunement
l'amitié, et j'ai honte de l'avoir portée pendant quatre ans comme symbole
d'une erreur.
Je ne te la renvoie pas, car
je ne veux pas que cette bague, qui contient en elle beaucoup de mon être,
risque d'être donnée à quelqu'un qui le mérite encore moins que moi.
(*)
Elisabeth
Bergner
Carte
postaled'Ivan Goll Paris à Paula
Ludwig Berlinmercredi 18 novembre 1931 IsmL p.49
Ce texte a été donné en
représentation publique par Charlotte Köhler pour la première fois le 22 avril
1931 au Stadsschouwburg d’Amsterdam. Devant le succès,il fut repris et redonné en présence d’Ivan Goll le 21 novembre 1931
lettre d'Ivan Goll Amsterdam à Paula Ludwig Berlin du 22 novembre 1931IsmL p.49/50
Le Journal des Poètes 2ème année, n°2 - 22 nov. 1931- Bruxelles.
Douze poètes de l'Allemagne contemporaine (dont 5 traductions d’Ivan Goll
: Le coeur d’Alfred Wolfenstein,J.S.
Bach jouant de l’orgue la nuit d’Oscar Loerke,Pour Hilda de Jacob Haringer,Mort argentée de David Luschnat et Poèmede Paula Ludwig.).
Poème
Je ne sais jouer que de la flûte,
Je n'ai que cinq sons …
Mais quand je la porte aux lèvres,
Les caravanes rentrent du désert
Et les oiseaux de leurs sombres ciels.
Les pêcheurs se hâtent sur le rivage,
Et le soir parfumé délaisse les Orients du matin.
Adossée à l'érable
Dans l'ombre de lierre
J'envoie ma chanson à ta recherche.
(Traduit par Ivan Goll
C’est la troisième fois que les noms d’Ivan et de
Paula sont juxtaposés ; leur aventure amoureuse commencée en février 1931
restera constante et passionnée, brisée par le départ d’Ivan avec Claire Goll
pour les U.S.A. en août 1939)
Carte postaled'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlinmercredi 24/11/ 1931IsmL p.50
Suis
de retour à Paris et rien de P. chez les saints-pères ?
O
I
wan
Lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 4
décembre 1931 ImsL p.51
lettre
d'encouragement à poursuivre son œuvre à traduire
Carte postaled'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin vendredi 11 déc. 1931 ImsL p.51/52
lettre
d'encouragement à poursuivre son œuvre à traduire
Le Journal des Poètes 2ème année, n°5 - 12 déc. 1931- Bruxelles.
p.1 -2 Géo Charles : Interview
de Claire et Ivan Goll sur la Poésie :
Geo Charles. La représentation de votre
"Mathusalem" à Bruxelles,
mon cher Ivan Goll, nous a fourni l'occasion d'apprécier, une fois de plus, une
oeuvre du "Théâtre poétique moderne
".
Cette formule
exprime bien la tendance et le mouvement de ce théâtre dit - toujours - "d'avant-garde" bien qu'il ait pris
naissance longtemps avant la guerre. Je range sous ce signe : « Ubu Roi » de Jarry, « Les Mamelles de Tirésias »
d'Apollinaire, certaines pièces de Ribemont-Dessaignes, et justement ce « Mathusalem ».... Pourriez-vous préciser
votre conception personnelle quant à "l'esprit poétique" de cette
œuvre ?
Ivan Goll : J'estime que toutes les
pièces que vous venez d'énumérer sont avant tout, en effet, des oeuvres de
poètes que j'opposerai aux auteurs dramatiques. Comment les distinguer par une
formule ? Ceux-ci excellent à copier la vie au théâtre, tandis que les poètes
ont avant tout le désir de recréer la vie. Ils ne veulent pas du tout en
donner, par exemple, une image exacte, mais plutôt révéler la signification
profonde des faits et des paroles qui unissent les personnages dans une action.
Geo Charles:Et créer des prototypes ?
Ivan Goll : Oui. Et « Mathusalem » par exemple, c'est
l'éternel Bourgeois. Il ne parle pas la langue courante du théâtre habituel et
conventionnel. Il dit des phrases, les phrases-type que chaque bourgeois, dans
n'importe quel pays, répète suivant sa prononciation. L'action de la pièce
n'est pas individuelle et unique : le cas est applicable et nettement imputable
à tous les bourgeois du monde entier.
Geo Charles:Et rien de plus banal que les propos d'un
tel héros !
Ivan Goll : «L'expression » en est apparemment banale,
mais avant tout elle est vraie. Et cette transposition du « vrai» me rappelle une autre formule, celle
de « surréaliste» dans le sens où
Apollinaire l'entendait. Vous savez, n'est-ce pas qu'il inventa le vocable «
surréaliste» pour désigner
précisément« Les Mamelles de Tirésias » que vous citiez à l'instant parmi les
pièces du théâtre poétique.
Geo Charles: En effet, c'est d'ailleurs dans la revue
"Surréalisme" que vous avez
dirigée que Pierre Albert-Birot a fixé ce point d'histoire de la façon suivante
:«....Quant au mot « surréalisme», nous l'avons, Apollinaire et moi,
choisi et fixé ensemble. C'était au printemps 1917, nous rédigions le programme
des « Mamelles » et, sous le titre,
nous avions d'abord écrit « drame »
et ensuite je lui ai dit : ne pourrions-nous pas ajouter quelque chose à ce
mot, le qualifier, et il me dit en effet, mettons « surnaturaliste » et aussitôt, je me suis élevé contre
surnaturaliste, qui ne convenait pas au moins pour trois raisons, et
naturellement, avant que j'eusse fini l'exposé de la première, Apollinaire
était de mon avis et me disait :« Alors mettonssurréaliste ». C'était trouvé.... La
lettre d'Apollinaire à Paul Dermée écrite également en 1917, et reproduite dans
la même revue, confirme les souvenirs de Birot....» Et vous Goll, rangez-vous « Mathusalem
» sous la même formule ?
Ivan Goll : Mon Dieu, si une formule
est nécessaire !
Geo Charles: Nous appelons les pièces
de ce théâtre - et « Mathusalem » -
poétiques. Certaines de ces oeuvres, et particulièrement la vôtre, présentent
un curieux mélange de poésie et de prosaïsme....
Geo Charles:Qu’en pensez-vous Claire?
Ivan Goll : J'attendais cette objection. J'ai donné à chaque
personnage la langue de son âme. Ainsi, la jeune fille, Ida, sent et parle en
vers, et je ne crains pas de lui ^prêter les images les plus lyriques, comme
dans les pièces en alexandrins. Par contre le frère, voué aux affaires
modernes, n'emploie que le style haché des appareils Morse. Et ainsi de suite
...Mais le langage truculent et
terre-à-terre du père n'est pas moins poétique que celui de sa fille, s'il crée
l'atmosphère élémentaire du personnage.
Geo Charles: Vous confirmez l'impression
que me laissa la représentation de Bruxelles. Du lyrisme pur cette réplique
d'Ida :
«
Je ne connais plus d'autre jour que
celui-ci
Où des narcisses remplacent
l'herbe des gazons.
Le soleil est un
chrysanthème que tu m'offres,
Ton front pâle est une tour
d'ivoire
Sur laquelle je monte pour
voir le monde.
C'est toi qui bâtis les
tours apocalyptiques,
Les temples d'Asie et les
docks d'Amérique
Les places portent toutes
ton nom,
Les horloges sonnent à
chaque heure ton nom
Et les navires en mer ne
sont partis que pour te voir.»
Ce
poème pourrait très bien être tiré des « Poèmes
d'Amour » que vous avez publiés avec Claire Goll.
Claire Goll: Oh, je n'accepte que les
poésies qui me sont adressées personnellement !
Ivan Goll : Mais tout ce que j'écris
s'adresse à toi ! Pour qui écrit-on, par qui veut-on être compris, sinon par
l'être qu'on aime et dont on veut être admiré ?
Claire: Tu me trompes !
Ivan: Avec toi-même !
Geo Charles: Je pense que vous allez
faire dévier publiquement en "scènes
de ménage" vos beaux " Poèmes
d'Amour ". Au fait, si vous continuez, je pourrais dire que vos poèmes
d'amour ne sont pas autre chose... finalement !
Claire: Eh bien, vous donneriez une
belle idée de notre poésie !
Ivan: Mais Claire, après tout, je ne serais pas éloigné
de croire que dans les poésies d'amour de tous les temps, les poètes ne sont
occupés qu'à exprimer à leur amante des reproches et, sous forme de compliments,
des sottises !
Geo Charles: Qu'en pensez-vous, Claire ?
Claire: Pour moi il n’existe qu’une sorte de
poésie,celle de l’amour. Une femme ne
doit chanter que l’amour. Ce n’est que par l’amour qu'elle participe de la vie
du monde. Les seuls poètes que je relis toujours,que je comprends et que j’éprouve jusqu’au
fond des moelles sont Marceline Desbordes-Valmore et Elisabeth
Barrett-Browning.
Geo Charles: L’essence de leur poésie est la souffrance.
Claire: L’essence de l’amour est la souffrance.
Ivan : - Peut-être y a-t-il là
comme une accusation ?
Claire:Non,c’est
une déclaration d’amour. Géo Charles notez vite. Je prétends que c’est celui-là
(qui me fait tant souffrir) qui m’a faite poète. Je lui dois d’avoir appris à
exprimer en vers cette affection que toutes les autres femmes expriment en
soupirs.
Geo Charles: Vous avez su prolonger à deux - en des oeuvres
toujours lyriques et en des "Poèmes
d’amour" que je relis avec une joie critique sans cesse accrue - votre
amour de la Poésie. Votre double rêve a su se réaliser et se poursuivre en
cette époque si bassement matérielle,si
misérable,selon un rythme de beauté et
d’idéal !
Ivan :Ce rêve nous sauve!Tout ce qui se passe en dehors de lui et de
notre amour devrait nous laisser indifférents. Nous sentons confusément que les
soucis du jour sont des soucis bien lamentables,mais aussi passagers. Les époques où
l’humanité a faim,reviennent toujours.
Cette fois,sa détresse provient de sa
bêtise. Mais passons. Parlons d’amour qui est la seule raison d’être et qui est
éternel. Thème peu actuel Thème qui le redeviendra au prochain printemps,soyez-en sûr ! Sinon,dans cent ans. Et il vaut mieux avoir raison
dans cent ans que l’année prochaine. La vérité se mesure par siècles. »
Je
laisse Claire et Ivan, assis en leur jolie terrasse d'Auteuil, dont j'aime tant
caresser les feuilles. Lui, grapillait les raisins qui pendaient au vieux cep
qui épouse la grâce de la balustrade, elle, appelait une demi-douzaine de
pigeons blancs et leur donnait à manger dans sa main pâle … Les deux
silhouettes, les bêtes et les choses, se composaient dans des attitudes qui me
sont familières depuis longtemps … en cette petite terrasse du jardin automnal
d'Auteuil qui m'apparaît toujours comme un carrefour rustique où la vie et la
poésie viennent s'unir.
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 12
décembre 1931 ImsL p.52/53/54
lettre
d'encouragement à poursuivre son œuvre à traduire
Télégramme d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 23.12.1931 à 12h10 IsmL p. 54
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 24
décembre 1931 ImsL p.54/55/56
lettre
sur son livre " Dem dunklen
Gott
"
Paris
24 décembre 31
Sainte Paula
Je
tiens pour la première fois ton livre dans mes mains, c'est un grand, un
à traduire
«
Mais hélas, Paula, quand vient la sentence : " Ce n'était qu'un humain !
Ce n'est qu'un homme !"
Est-ce
que tu me le pardonneras jamais ?»
Ivan
Paris
24 décembre 31
2
Paula,
entzückend Mütterliche
Je
dois te remercier aussi pour la ….
Dein
Buch, auf dessen erster Seite du mir sechs Verse zurûck-rufst, die mir längst
entfallen waren : du hast sie aufgehoben aus dem Staub meines Weges, und siehe,
weil du sie so entzückend in deinen Händen präsentierst, sehen sie auch schon
nach etwas aus. Deine Geste freut mich desalb,
weil sie
à tradui
1932
Télégrammed'Ivan Goll Amsterdam
à Paula Ludwig Berlin du 4 janv. 32 ImsL p.59
à traduire
Du 5 janvier à la mi-mars 1932 Ivan Goll habite
chez Paula Ludwig à Berlin,
Claire
est à Paris, 19 rue Raffet, puis une semaine à Cagnes avant de revenir à Paris
lettre
de Claire à Paris à Ivan Goll à
Berlindu 9 janvier 32MST p.72/73
ChériAimé.
Tu réussiras avec ta pièce. Mais
patience ! j'ai une grande confiance en ta confiance.
Je
suis très touchée que tu aies pensé à moi et, qui plus est, en laine. J'ai
égaré le numéro de téléphone de Cassou, s'il te plaît, renvoie-le moi, je
l'appellerai alors d'une voix très suave, une voix de 18 ans.
Voudrais-tu chercher dans l'annuaire
de Berlin l'adresse de Oscar Ludwig Brandt ? Il lit toujours des poèmes de moi
à la Radio. Il m'a écrit, il en demande de nouveaux, et naturellement, j'ai
jeté la lettre.
Oui, j'ai été voir le
"Maximilien". Pour des oreilles de spécialistes, c'est dynamique,
contrapunctique, rythmique, certainement grandiose, mais musicalement triste et
gris. Musique cérébrale. Le public est resté tiède. Le parterre applaudissait,
en riant méchamment, aux passages les plus chargés de dissonances. Il y eut
aussi des coups de sifflet. Ceux-ci, du moins, n'étaient pas antimélodiques. De
toute manière, le texte de Werfel était tout à fait impropre à fournir un
livret. J'avais une telle nostalgie de sons, de chants et d'émotion, que j'irai
lundi à la Traviata. Et tout Paris naturellement. Je pensais tellement à toi
que je restais très loin de Illan, et il déclara que je lui avais gâché sa soirée.
Le travail va bien, le roman est
presque fini. Hellé, disposée à dactylographier, m'a écrit qu'elle acceptait
mon offre de pension : 30 francs par jour, pour des raisons de chauffage, de
bonne, de nourriture plus soignée et à cause de mon estomac délicat. A présent,
je peux déguster sans remords de conscience, et je n'attends que l'argent pour
me mettre en voyage. Kurt viendra me chercher à la gare avec sa voiture. Il a
écrit ; " Allah est grand et je suis son chauffeur ".
Rosa a encore brisé, avec le manche
de l'aspirateur, 4 carreaux de la lampe-Chareau. Elle éclaire maintenant très
mal, mais je ne peux pas la remplacer. A part ça, Rosa est très gentille et
économe. Nous vivons de nouilles et de salade, et malgré cela, mon intestin ne
veut pas se mettre à la raison.
Je suis heureuse que tu aies de
nouveaux souliers. Puissent-ils te porter vers le bonheur et le succès !C'est ce que souhaite de tout son grand cœur
ta
petite Zouzou
A
l'instant, la petite veste de laine ! J'en avais justement besoin d'une
semblable, et elle est ravissante. Je baise la main qui a acheté cette cote de
mailles en laine. Mais à présent, Chéri, j'ai assez de petites vestes. Et ne te
laisse pas éblouir par les prix de là-bas, ne te laisse pas tenter. La qualité
ne peut pas se comparer à celle d'ici, et ce n'est presque pas meilleur marché,
d'autant plus que j'ai dû payer 5 frs de douane.
lettre
de Claire à Paris à Ivan Goll à
Berlindu 12 janvier 32MST p.74/75
Très cher,
Reçu
ta lettre. Non, il y a ici une erreur. Je ne considère pas mon voyage à Nice
comme un contre-poids de ton séjour à Berlin; En ce cas, je devrais rester à
Paris, car ici, je suis infortunée-bienheureuse. Je n'ai d'ailleurs l'intention
que de rester quinze jours. Pas plus longtemps. Jusqu'à ce que le roman soit
tapé. Et pendant ce temps, j'en discuterai avec Kurt Wolf. D'autre part, je
pense que la mer et le soleil me feront du bien, car là-bas, c'est déjà le
soleil et le printemps. Ne le penses-tu pas aussi ?
Je ne congédierai donc pas Rosa.
Elle coûte vraiment un minimum, je m'en suis assurée. Pourquoi ne
pourrions-nous pas la garder, aussi bien que d'autres, qui ont encore bien plus
de soucis pour garder leurs domestiques ?
Je
téléphonerai à Cassou, dès que j'aurai son numéro. Mais je te prie de m'éviter
la visite à Joyce. Je ne pourrais d'ailleurs pas écrire un seul mot sur lui.
A
tes parents, j'adresserai quelques lignes gentilles, avant de partir. C'est
pourquoi tu n'auras pas besoin de dire que je suis à Berlin.
La
phrase de ta lettre : " Nous n'aurons jamais rien à nous reprocherl'un à l'autre", je ne l'accepte pas de
toi, ou tout au plus dans ce sens, que nous nous reprochons de ne pas être
assez heureux pendant que nous sommes séparés.
J'ai,
en ce moment, une période très lyrique, et suis contente d'en être presque à la
fin du roman. Il y a tant de choses tendres à dire. Je veux, à présent, me
transformer tout à fait, à nouveau. Ce n'est pas moi qui le veux ; ça veut.
Revenir à moi, dans le rêve.
S'il
te plaît, continue à m'écrire ici, je te télégraphierai au dernier moment,
juste avant mon départ. Tu sais bien combien il m'est difficile de m'arracher.
Je préférerais traîner avec moi, comme un escargot, ma chambre et sa solitude,
son tourment et sa nostalgie de merles.
J'ai
la Pedrazzinis :
Demain,
je serai interviewée pour "La Scène"[1], avec photo.
Quelqu'un m'a téléphoné.
Ce serait un coup, si le Staatstheater
acceptait ta pièce ! Qui est Bildt [2] ? Tu écris si
rapidement. N'expliques jamais rien. Par exemple, tu ne m'as même pas donné la
nouvelle adresse de Joyce et tu voudrais que j'aille le voir.
Hier,
j'ai entendu la Traviata (Dame aux Camélias) de Verdi, pour la première fois de
ma vie. Au Théâtre des Gobelins. Dans un faubourg. Et pourtant, mes larmes ont
jailli. Si on entendait beaucoup de Verdi, on deviendrait plus croyant et
meilleur, car il remue le plus intime et le meilleur de nous. Et maintenant :
tous mes voeux pour ton succès ! ! ! !
En
amour
Ta
Zouzou
A
partir du 14 janvier, Claire sera chez l'éditeur Kurt Wolf qui réside à
Cagnes-sur-Mer, avec son épouse, pour son livre Un Crime en Province qu'elle a traduit en allemand "Arsenik".
Claire
rentrera à Paris le 5 février.
lettre
de Claire à Cagnes/Mer à Ivan Goll à
Berlin mercredi 20 janvier 1932MST p.75/76
mercredi
[20.1.32]
Yvannot (Ivlein) Il pleut
aujourd'hui. Naturellement, parce que nous voulions aller à Nice et au Cap
Ferrat ! Les orangers, devant ma fenêtre se réjouissent de cette pluie, qui va
faire grossir leurs fruits. Cette localité toute échafaudée sur des rochers
géants descend au bas de mes deux fenêtres à balcon, et je comprends qu'ici les
peintres ne sachent pas par où commencer, tant il y a de beauté. De l'autre
côté, il y a la mer, et les jardins étagés avec des buissons de camélias et les
mimosas, les cèdres, cousins de ceux du Liban.
La
maison de Kurt (*) est ravissante ; elle se compose d'un rez-de-chaussée avec
salle à manger et cuisine ; au premier étage (mon appartement) comprenant une
chambre avec balcon, une salle de bains avec tout le confort et le raffinement
le plus moderne, puis un salon. Au-dessus, se trouve un immense atelier, où
demeurent Kurt et Hellé.
Je
ne comprends pas du tout pourquoi nous n'avons pas toujours loué une
maisonnette de ce genre ? Peut-on vivre ailleurs qu'au soleil ? Et pourtant, il
est vrai qu'il est nécessaire d'y être doux et tendres l'un pour l'autre, comme
le sont ces deux-là, car Kurt s'est prodigieusement transformé. Jamais il n'a
été si digne d'affection (en tant qu'être humain) - je ne veux pas dire en tant
qu'homme, - et si intériorisé. Imagine-toi qu'il nous prépare à tous le petit
déjeuner, les toasts. Il met le couvert, il l'enlève, bref il est arrivé au
point d'où tu étais parti, et son opinion est que cela seul est juste. Je lui
ai demandé tout à l'heure, alors qu'il m'apportait mon thé au lit et me
beurrait mes tartines, pourquoi tu ne peux plus le faire. Mais il ne
peut pas t'expliquer à moi. Qui peut expliquer ?
Je
travaille beaucoup au roman, et sur moi-même ; si je n'acquiers pas ici
l'esprit de mon âge, où l'acquerrai-je ?
Je
ne veux pas jouir, mais devenir. C'est là qu'est la différence entre nous.
Et
ta pièce, très cher ! J'attends enfin des nouvelles de toi.
Il y a des jours que je n'ai
reçu un mot. Cela me rend inquiète.
Si
le Halensee n'est plus ce qu'il était l'an dernier, c'est de ta faute. Il faut
faire d'un être humain que l'on aime, plus qu'il n'était, et non moins
; sinon, on s'est trompé.
...En toute tendresse et amitié
Ta
Zouzou
....Kurtme prie instamment, pour la énième fois, de
te dire que tu devrais lui envoyer Mathusalem, Mélusine et Pleite. Veux-tu ?
(*) Kurt Wolff, éditeur
Claire Goll: Un crime
en province Roman, In - 16254 p.
Paris Editions des
Portiques,1932
lettre
d'Ivan Goll Berlin à Claire à Cagnes/Mer du
22.1.1932MST p.77/78/79
Berlin
Halensee
22.1.32
[vendredi 22]
Chère Zouzou,
Ta première lettre de Cannes est
bleue, détendue, pensive, franche, elle ne respire qu'amour pour ton
"Yvannot".
Ce doux diminutif, plus doux
qu'aucun autre, est adopté dorénavant.
Yvannot
te répond. Il répond à trois grandes et sérieuses phrases de ta lettre. Il
croit pouvoir le faire.
" Si je n'acquiers pas ici l'esprit de
mon âge, où donc l'acquerrai-je ? Je ne veux pas jouir, mais devenir. C'est là
qu'est la différence entre nous", écris-tu.
Et
: " Qui peut t'expliquer à moi ? "
Et
; " Si le Halensee n'est plus ce qu'il était l'an dernier, c'est de ta
faute. Tu t'es trompé".
Je
vais te répondre à ces trois questions sous la forme d'un livre. Un livre que
je n'ai pas écrit, mais qui a été écrit à travers moi. Un livre que je n'ai pas
senti, mais qui a été senti à travers moi. Donc un livre auquel j'ai pris une
grande part, bien qu'il ait été fait tout à fait en dehors de ma volonté. Tu
devines : Paula Ludwig a réuni des poésies qu'elle a écrites depuis le
printemps dernier, et dont tu connais déjà une bonne moitié; elles les a
publiées, peu avant Noël. A vrai dire, ce ne devrait pas être Yvannot qui
t'envoie ce livre, et pourtant, Yvannot peut-il attendre qu'il te soit donné
par des tiers ? D'ailleurs, je ne te l'aurais jamais adressé à Paris - mais
là-bas, entourée d'amis exceptionnellement sincères, et près d'un homme qui est
certainement le plus loyal que tu aies rencontré au début de ta carrière
sentimentale, - aujourd'hui je peux te le mettre entre les mains, peut-être,
d'un cœur paisible.
Il
y a derrière toi quelqu'un qui saura, lorsque tu détourneras instinctivement la
tête, te la remettre doucement dans le bon sens : la tourner vers moi et vers
ce livre!
De
ce fait, ta première question recevra une réponse : tu trouveras l'esprit de
ton âge, et c'est d'un cœur clarifié que tu tourneras les pages.
Mais
de ces pages monteront pour toi les réponses à ta deuxième question : elles
m'expliqueront à toi. Et si tu ne sais pas lire, dans les vers entre les vers,
tu auras près de toi celui qui pourra te les interpréter. S'il est loyal, ce
Don Kurt Juan, il me comprendra et il m'expliquera à toi. S'il est
"loyal". Je ne sais pas s'il l'est. Je ne sais pas non plus si je le
serais à sa place.
Pour
t'aider à passer de l'enfance à la maturité spirituelle, il te dira ceci :
l'homme qui est chanté dans ce livre, l'homme qui est l'objet de cette
incantation, n'a rien fait d'autre pour cela que d'être lui. Il est seulement
l'objet de cet amour. Il a un rôle passif. Il a fait don à l'élue de beaucoup
de douleur, beaucoup, et rien de plus. Et, sans doute, il était bon, et ne
voulait pas donner tant de souffrance - mais il ne pouvait cependant
rien donner d'autre, rien de ce qu'on lui demandait, il ne pouvait pas
s'extérioriser et se perdre complètement.
Vois-tu,
il en découle tout naturellement aussi la réponse à ta troisième question. La
réponse que tu lui fais toi-même est inexacte, car tu rejettes la faute du côté
où elle n'est pas. C'est de ma faute si le Halensee n'est plus si beau
que la première fois - et pourquoi ?
parce que je ne suis qu'un homme
!
K.
W. me prie de lui envoyer mes livres. Je ne lui enverrais ni Mathusalem, ni
Mélusine ni Congo-Caoutchouc, mais bien "Die Eurokokke", si je ne
trouvais plutôt que le livre de P. L. suffit aujourd'hui pour qu'il apprenne à
me connaître plus complètement et mieux qu'ailleurs.
Il devra t'apprendre à le lire, le lire avec toi,
et ensuite, te renvoyer à moi, afin que mûrie et plus compréhensive, tu puisse
m'aimer et en recevoir du bonheur. (Montre-lui cette lettre).
Et
tandis qu'Yvannot te sourit,
Ivan
t'embrasse
lettre de Claire à Cagnes/Mer à Ivan Goll à Berlin en1932*** MST p.76/77
écrite en français et non datée mais nécessairement du 22 ou 23 ou 24 janvier
Yvan
Tu
m'as promis ton écriture et jusqu'à l'arrivée de cette lettre je ne serai qu'un
être qui végète et qui souffre.
Mon
Yvan, dès que je me réveille, dès que je pense à toi, mes yeux se remplissent
de larmes. Pardonne-moi de ne pas tenir ma promesse, de n'être qu'une faible
femme, ta femme, et de mourir après toi comme une pauvre petite chose malade.
Ah si seulement tu n'as pas trop de peine, mon chéri, à cause de ces phrases
insensées ! Moi, qui voudrais t'inonder de bonheur et te donner de la joie et
toujours de la joie !
Pourquoi
cette nostalgie qui brûle comme du nitrate d'argent ? Pourtant il y a la mer
immense et le soleil ardent. Il y a des chansons, chantées par un jeune
guitariste, ami de Kurt, mélodies accompagnées d'une lune raffinée. Mais je
n'entends que ta voix, mon Amour.
Je
ne vois que toi : dans les jardins chastes, dans la mer toujours en fuite, dans
les rayons du soleil qui me corrodent le cœur.
Oui,
j'entends ta voix dans le silence et la moindre fleur me rappelle ton extase
devant la nature indomptable, nos extases communes devant tout ce qui exalte.
Je
te dois tant, Chéri, jamais je ne te remercierai assez. Mais comprends-moi :
malgré mes infidélités, je suis à toi comme je n'ai jamais été à personne, mon
Petit, mon Grand, ma Vie.
Je
baise tes mains aujourd'hui et toujours
Zouzou
(voir
au recto !) Je n'ai plus de papier à écrire
(au dos) De
sepulcro en sepulcro
Voy preguntando
Cuantos hombres habian
muerto amando,
Me contestó uno ;
Mujeres a millares,
Hombres, ninguno
lettre
d'Ivan Goll Berlin à Claire à Cagnes/Mer du
24.1.32MST p.79/80
Chère Zouzou,
Ma
lettre d'hierétait réellement
dogmatique et sentimentale.
Quand je me transporte dans ton
cœur, je suis à même de mesurer ce qu'elle y a déchaîné- mais la proximité de tes amis, qui sont de
bons juges en fait de choses aussi profondes que celles dont il s'agit dans ce
livre, me confirmait que la discussion s'élèverait immédiatement au-dessus du
plan personnel, et gagnerait le plan des grandes douleurs humaines. Toute la
douleur qui est accumulée dans ce livre, doit désarmer quiconque a des soucis
plus terrestres. Cette douleur que, moi le premier, je n'ai pas pu combattre.
Après une première révolte, tu ne
sentiras bientôt plus que mon infinie pitié pour cette victime qui a saigné à
mort et poussé un cri qui semble être, au dire d'une de ses amies, son
testament.
En ce qui concerne l'épigraphe,
c'est seulement un extrait d'un poème dont le manuscrit était chez elle et dont
je n'avais plus moi-même le moindre souvenir. Donc, c'est une épigraphe comme
beaucoup d'autres - et qui n'a aucune signification de plus pour les tiers, les
lecteurs du dehors.
Aujourd'hui, j'ai de bonnes
nouvelles à te donner au sujet de Congo-Caoutchouc.
La Production Aufricht, qui
représente en ce moment "Managony" de Brecht-Weill au Kurfurstendam,
s'intéresse à ma pièce et veut la monter après la " Petite Catherine
" de Savoie, - également une nouveauté. On prévoit Forster pour le rôle
principal. A vrai dire, en ce moment, à Berlin, les choses sont telles qu'on
n'est sûr de rien, plus de deux semaines d'avance. C'est pourquoi... attendons
!...
S'il se présente quelque chose
de mieux, je saisirai l'occasion... si ça doit se faire plus tôt...
J'ai
rencontré Hell Herzog ; comme je laissais entendre que tu étais absente de Paris
pour quelques jours, elle joua la surprise : "Maintenant, elle doit être
là-bas. J'y vais le 1er février et lui téléphonerai aussitôt" … Ceci, pour
que tu sois au courant.
A
part cela, je cours énormément à travers Berlin. Suis peu à Halensee. Je dois
faire un nombre inouï de démarches pour l'anniversaire de Joyce. Brody le veut
absolument. Il a raison. Mais, depuis décembre, il n'a pas payé.
Nous
avons eu dix journées merveilleuses, très tièdes ensoleillées, tout à fait
printanières. Nous avions pitié de toi qui es là-bas sous la pluie. Mais à
présent, le ciel se venge … brouillard, froid, gelée accablent Berlin depuis 3
jours.
Au
café, j'ai rencontré les Eisenlohrs. Ils sont allés à Majorque en octobre et
novembre, et ils en sont enthousiastes. On va, d'abord, en train à Barcelone,
puis on passe toute une nuit en mer et on débarque, le matin, dans une île de
légende, où l'on vit dans une nature féerique, plus silencieusement et de façon
plus concentrée qu'à Ascona …Je me réjouis beaucoup de t'entraîner jusque
là-bas en mars, et de me remettre à la cuisine.
Ton
"Yvannot"
lettre
de Claire à Cagnes/Mer à Ivan Goll à
Berlin 28 janvier 1932 ***MST p.80/81/82
Monsieur le Dr Iwan GollCagnes
/ Mer
chez Paula Ludwig,[ jeudi ] 28.1.32
112 Gastenhaus-Atelier
Berlin-Halensee
Yvannot,
Ta lettre et le livre sont ouverts
devant moi. Je ne t'aime pas pour ce que tu dis, mais pour la façon dont
tu le dis.
Personnellement; je ne voudrais pas
critiquer ce livre en soi.
C'est la
confirmation officielle de votre vie en commun, devant le monde littéraire. Tu
loues la force de la douleur de ton amie. Est-ce donc que la douleur imprimée
t'émeut plus que la douleur cachée ? Je ne crois pas qu'on puisse souffrir plus
que je ne l'ai fait, chaque nuit, depuis des mois et des mois. Laquelle de nous
deux est la plus heureuse ? Goethe te répondra à cette question :
"Il m'a donné un dieu pour que
je puisse lui dire ce que je souffre".
Apprendre à te
connaître, petit Iv., c'est une chose que je ne peux pas faire non plus grâce à
ce livre. Tu m'as priée de le montrer à Kurt, ainsi que ta lettre. Il est seulement
mon ami, pourquoi mets-tu en doute sa loyauté ?
Après avoir lu la lettre, il a dit :
"Toi et lui, vous allez bien ensemble. Toi et Illan, vous n'allez pas
ensemble ". (Je lui avais montré des lettres)
Il a dit du livre :
"Ces
poésies ne me regardent pas et ne regardent d'ailleurs personne. C'est une
affaire privée entre Ivan Goll et Paula Ludwig. Une expérience personnelle, et
pas un monde. Quand une de Noailles ou une Lasker écrivent une poésie, cela me
regarde. Car là, on ne sent jamais que l'étreinte s'est convertie en encre
d'imprimerie.
Que deux
personnes couchent ensemble et se fassent souffrir l'une et l'autre, soit :
mais, au nom du ciel, qu'elles n'en fassent pas part au monde entier !
Croire qu'on
peut apprendre à connaître Goll à travers ces poèmes, quelle erreur enfantine !
D'abord, parce qu'il n'y est nullement, on n'y trouve qu'elle. N'importe quel
autre nom d'homme pourrait y figurer. Goll n'a été que le moyen d'atteindre le
but ; sinon, quel autre aurait joué ce rôle.
Jamais on ne peut apprendre à
connaître un être humain à travers la littérature.Je te donne, comme exemple,
un des plus beaux poèmes d'amour adressés par Goethe à Madame von Stein :
Pourquoi nous donnes-tu ces regards
profonds qui prévoient notre avenir ?
Puis-je chercher à trouver, dans ces
vers Mme von Stein ?
Absolument pas,
je ne sens et je ne vois que la grandeur de Goethe."
Voilà pour Kurt.
Hellé a dit : " Je trouve
épouvantable ce manque de distance entre son propre sentiment et le partenaire
sentimental. De telles exagérations d'un être humain, cette façon de le
diviniser, cela produit toujours une impression pénible. Ce n'est pas parce
qu'on aime quelqu'un qu'il devient, de ce fait, un dieu, ni s'en approche. Chant
du Moi, qui ne touche pas les tiers. Art pour l'art, qui aurait dû se réfugier
dans une édition privée. Cette sorte de viol de soi-même, je l'appelle :
flibusterie. Nous, les jeunes d'aujourd'hui (Hellé a 24 ans), nous n'avons
aucun goût pour cette sorte de littérature. "
Voici donc la critique de deux
personnes qui ont, tout au moins, des vues nettes sur l'art. Mais tu t'es livré
en pâture au public : reçois donc ton jugement !
Et maintenant, mon enfant, mon petit
garçon, je t'envoie ci-inclus une fleur. Toutes sont déjà là : les iris et les
narcisses, dans le jardin, près des roses. Les petits amandiers sont en fleurs,
le soleil rit, moi seule ai désappris la joie.
Mais à toi je souhaite le sourire,
le bonheur dans l'amour, une expérience positive. Et aussi que ces poèmes te
rendent heureux : les hommes sont si fiers quand ils ont fécondé, inspiré. Et
qui possède assez de mesure et de lucidité pour ne pas se prendre finalement
pour un roi, pour un dieu, lorsqu'on le hausse jusqu'au ciel en lui donnant ces
noms ?
Moi aussi, je t'ai chanté naguère,
mais plus tard, après que nous eussions traversé ensemble des années. A
présent, je te tais.
Je continue à t'attendre avec une
infinie tendresse.
Ta
Zouzou
Encore un P.S. pratique. Envoie
un chèque, pour que je puisse payer K. ponctuellement. Tu sais que sa mère
était née Marx. Peut-être a-t-il hérité d'elle ce côté mercantile : car,
lorsque nous faisons nos comptes, la cupidité de ce bel homme le rend
réellement laid.
Même
autrefois, quand il brûlait d'un amour ardent pour moi, ce vice qu'il a,
m'obligeait à douter de lui. Un homme avare n'a qu'une passion : l'argent. Avec
ça, il disposait à cette époque, des millions de sa première femme (Merck-Chemie-Darmstadt).
Quand moi, qui étais alors une enfant innocente, ignorant tout de la
littérature, je fis pour lui mes premiers vers, il s'écria : " Tu es
stupéfiante, l'égale d'une poétesse nommée Else Lasker-Schuler ! ". Mais
jamais il ne pensa à faire publier ces poésies : ça aurait coûté de l'argent !
Et moi, tu me connais. Les calculs, l'exploitation de quelqu'un, tout cela
m'est bien étranger.
Curieux,
ces deux types de juifs : les Shylocks, qui s'obstinent sur leurs créances et
attisent l'antisémitisme universel, et les juifs messianiques, avec parmi eux
le plus messianique de tous : mon Ivan.
Claire
à
Cagnes/Mer à Ivan Goll à Berlin
dimanche 31 janvier 1932MST p.83/84
Cagnes31..1.32
Dimanche
Yvannot,
Nous
avons tellement parlé de toi que tu es presque là, parmi nous ; tu devrais
pouvoir sentir les mimosas.
Figure-toi
que Madame de Maubeuge possède ici une ravissante maison ancienne (pension).
J'y suis allée. La femme de chambre de Cavalaire est encore là et elle m'a
reconnue. Mais les choses d'autrefois, qui étaient là tout autour, ne m'ont pas
reconnue, parce que j'ai oublié le bonheur et que j'ai trop pleuré.
Récemment,
étant à Cannes, j'ai vu Théoule de loin, et près du port de Cannes, j'ai
retrouvé la boutique de fruits où tu m'as acheté une si belle pêche, j'en avais
l'eau à la bouche et les larmes aux yeux. Tu es si bon.
Je
travaille trop, au grand regret de Kurt (*). Pendant les heures de soleil, on
n'arrive pas à me tirer de ma chambre, ni à m'entraîner à des excursions en
auto. Pendant ces promenades, tu me manques toujours et il paraît seulement
anormal de devoir jouir à quatre ou à cinq de ces merveilles qu'on devrait voir
à deux, - car chez nous, il y a toujours des invités. De toute manière, Kurt
est bien un peu surpris d'avoir pour hôtesse une femme si triste. Mais ici,
tout rappelle sans cesse Ascona, le Jura d'autrefois. Comment ne serait-on pas
infiniment triste ?
J'ai
trouvé une lettre que je t'ai écrite l'an dernier, de Bühlerhöhe, et que je ne
t'ai pas envoyée :
«…
Elle est bien portante, elle a son petit garçon, je n'ai que toi.
Elle
trouvera un autre homme, avant qu'il soit passé beaucoup de temps. Moi je ne
peux trouver qu'un représentant pour ne pas périr de douleur, jamais
je ne retrouverai un autre.
Il
y a trois mois tu n'étais pas encore dans sa vie. Mais tu es ma vie, depuis
plus de quinze ans. Comment pourrais-je le supporter ? »
Peut-être
aurait-il mieux valu toujours tout te dire, au lieu de me taire, par une fierté
puérile, et d'en mourir, car je crois que ma santé n'aurait pas ainsi
périclité, siYvanClaire n'était devenu
Yvan et Claire.
Au
revoir, toi ! Samedi, je rentre à la maison.
Ta
"biche pourchassée et muette" te regarde avec des yeux tristes.
(*) Kurt Wolff(dirigera Pantheon
Books, New York après 1940)
lettre
de Claire à Cagnes/Mer à Ivan Goll à
Berlin 2 février 1932MST p.84
Mardi
[Cagnes
s. Mer2..2.32]
Yvannot,
Ta
lettre était très belle. Cela me peine de t'avoir envoyé entre temps une lettre
si triste, qui a peut-être assombri tes jours de fête. Ne prends pas cela trop
au sérieux ; j'ai passé des années à pleurer toutes les nuits et ensuite je
l'ai oublié pendant des années. Cette souffrance-ci, elle aussi, sera submergée
par la joie. N'est-ce pas ?
Oui
le séjour ici m'a fait beaucoup de bien. L'opinion mûrit toujours davantage en
moi, qu'on devrait mettre fin à ses jours quand on est aussi malade que moi, et
que ce monde appartient aux bien portants.
K.W. qui a lu
ta lettre et l'a trouvée très émouvante, a demandé un peu ironiquement si ce
que tu appelles : " devenir conscient par la misère, les tourments et les
luttes " consiste à forniquer et danser aux bals de Presse. Et, comme je
pleurais, parce que tu vois notre "union indivisible" dans le fait
qu'une Cranach ou une anonyme disent que " nous sommes une idée ",
ilse moqua de moi et prétendit que cela
n'était pas tellement grave. Car tu es un poète, qui vit des choses imprimées,
ce qui ne t'empêche pas d'être un homme tout à fait charmant.
Pour
ta pièce, il y aura sans doute des difficultés, mais pourquoi n'aurais-tu pas
autant de chance que d'autres, moins doués que toi ? Si ça ne marche pas à
Berlin, ça marchera sûrement à Paris.
Je
t'enverrai le roman, dans 8 jours à peu près de Paris.
Je
pars samedi et serai rentrée dimanche à la maison, si l'on peut s'exprimer
ainsi.
Merci
aussi pour les 50 M. d'hier et pour ceux que tu me promets pour aujourd'hui.
Rappelle-toi aussi que Rosa et moi, nous avons besoin de vivre. Et maintenant,
je vais tout de suite chez un spécialiste de l'intestin, je n'en peux plus.
Vomissements et diarrhée tous les 3 jours.
Au
revoir, mon cœur, je t'aime tant.
Zouzou
lettre
de Claire Cagnes/Mer à Ivan Goll Berlin 4
février 1932MST p.85/86
4.
2. 32
Cagnes
s. Mer
Yvannot, 6 heures du matin, le
soleil se lève. Je suis devant lui, et en ce moment-même, tu dis peut-être :
"Ma douce Paula" ou "Ma délicieuse Emmy", et cela me fait
penser " qu'il y a tout de même en nous une loi morale", et que celui
qui la foule aux pieds sera puni. La même loi, selon laquelle le ciel rougit.
Un
petit amandier fleurit non loin d'ici. Kurt m'a dit que les tilleuls
fleurissent, tout le long des avenues. Je n'en sais rien, car j'ai passé 6
jours au lit, malade, mais ce seul petit amandier remplace tous les autres. Ah ! les lieder, laisse là les lieder! Je sais que tu le fais sans plaisir, et que
tu aimes à traîner mes souhaits en longueur, si longtemps qu'à la fin ce ne
sont plus des souhaits. Quand l'autre n'est pas désireux de faire plaisir, que
reste-t-il du souhait?
J'enverrai
le roman dans 8 jours. Kurt a dit que ce n'est rien pour le magazine " Die
Dame ". Le dernier chapitre est presque de lui, je n'en pouvais
plus. Tout devient toujours si clair, quand on cause avec lui. Le nouveau roman
aussi. On sait immédiatement ce qu'on a à faire, ce qu'on voulait faire de
travers.
Mais
hier, lui qui ne prend que trop souvent ton parti, il était terriblement fâché
par ta lettre. « Quoi, pas payé, criait-il, une inconvenance envers Rosa, un
suicide au "Matin", et toi, te laisser dans l'atmosphère que crée un
loyer impayé, inexcusable, tant qu'on possède encore 1 centime en Suisse ! On
ne paie pas ses dettes, prétextes d'habitués de café…»
Tu
sais comment les Clauzel regardent quelqu'un, dès qu'il n'a pas réglé sa note
de gaz. Mais le loyer, le gaz, l'électricité !
«On n'a pas le droit, pourtant, de donner
toujours la préséances à ses fautes et à ses plaisirs, et de sourire des
travailleurs dans les "Romanische Cafés" (cette phrase n'est pas de
moi), mais lorsqu'un homme commence à nager dans ses eaux-là …»
Demain,
je rentre à la maison. Schneider veut immédiatement une chronique des modes
d'été, le "Berliner Tageblatt" doit aussi être renseigné là-dessus ;
il faut que je parle aux Herzog …D'abord, le devoir, qui est de satisfaire à
mes engagements ! Certes ce serait plus beau de rester ici.
Ma
santé n'a supporté que 3 excursions, c'est peu en 3 semaines. Et je ne suis
sortie que 4 fois 1 heure, au soleil de midi, c'est tout. Mais un jour viendra
peut-être ou plus de soleil brillera sur ma vie. C'est toi qui travailleras, et
moi je me reposerai.
Landau,
cet animal, a dit à Illan, il y a 3 semaines, qu'il partait pour Nice et me
paierait directement. Mais il n'a donné aucun signe de vie. Après-demain, je
l'appellerai au téléphone dans son cantonnement : le Claridge.
Je
serai très seule à Paris, car je n'ai plus répondu à Illan malgré des lettres
embrasées et pleines de reproches.
Laisse
donc Beye et Monsorten. Tout cela est de la saleté : basse, impure, allemande.
A
la protection de qui puis-je à présent recourir ? Si seulement on pouvait
croire à quelque chose ! Une ardeur pour un avenir intérieur, non pas un avenir
de théâtre ou de roman
Un succès intérieur, non extérieur.
Mais
je le souhaite à toi aussi, naturellement.
Ta
malheureuse Zouzou
Kurt est d'avis que je devrais
aller trouver ta mère à cause du loyer.
Si tu n'as pas payé dans 6
jours, je le ferai.
lettre
de Claire à Paris à Ivan Goll à Berlin 6 février 1932MST p.86/87
Paris, samedi
Aimé, je suis revenue rue
Raffet. Je suis partie dès avant-hier, à cause de la Mode. Avant, j'ai encore
causé longuement avec Kurt (*), son avis est que tu ne peux absolument pas
rester à Berlin. Tu n'as jamais été reconnu en tant que dramaturge, en
Allemagne, et l'on peut donc attendre bien longtemps un résultat
positif....Nous avons parlé en outre (avec Hellé) du fait que "ton
cas" est celui de beaucoup d'hommes de quarante ans. Epoque de crise. Pour
parer au vieillissement et à l'ambition insatisfaite, au moyen d'un excès de
sensualité. L'un cède à son avidité de jouissance, chez l'autre elle est
freinée par la tendance morale. Le père d'Hellé, qui avait été un homme
délicieux, succomba aussi de cette manière. Ne te crois pas un cas unique...
La plupart voudraient faire
comme toi, mais nous n'avons pas le droit d'obéir à notre luxure.
Comme
me le disait Mme Herzog, tu passes pour être le "mari" de Mme Ludwig
et d'autres femmes. Ce bruit circule. Au Bal de la Presse, tu présentas une
très jolie femme, etc. On peut faire tout cela, mais est-ce permis ?…Je
voudrais à présent aller chez ta mère et lui raconter tout depuis le début.
Peut-être nous fera-t-elle une rente mensuelle et te rendra-t-elle ainsi
possible cette griserie, qui ne rapporte, en vérité, pas un centime, comme tu
l'écris, mais qui te procure une ambiance nécessaire, - paraît-il -, - à un
"poète". La luxure, dit Kurt, devrait cesser à notre âge; il est trop
commode de réclamer les joies de cette sorte au nom de mille faux-fuyants.
Werfel lui aussi est un grand poète, et il vit dans la plus grande et la plus
concentrée des solitudes.
Ta
mère me comprendra.
Entre temps, le loyer a été payé
avant-hier, mais les Clauzel m'ont déclaré, à plusieurs reprises, qu'ils ont
déjà réglé 2 mois de Gaz. Ils n'ont pas payé l'électricité, et la Compagnie m'a
écrit très aimablement qu'elle va me couper le courant.... De plus, la note du
pain est devant moi, ainsi qu'une demande pressante de la Bizot, de lui payer
les 400 Fr que je lui dois ; le pharmacien, lui aussi, a choisi le moment le
plus propice pour me déclarer que mon compte se monte à 700 Fr.
Or,
je ne suis certes pas trop aristocratique pour travailler, mais tu comprends
qu'à la fin, j'en ai assez, et que mon épuisement physique est si grand qu'il a
porté un coup à mon énergie de travail. Et d'ailleurs, pour les 30 M. que je
recevrais au B.T. ! J'en ai assez, assez, assez !
Claire
* Kurt Wolf
Le Journal des Poètes 2ème année, n° 11 - 6 février 1932
Deux poèmes de Paula Ludwig -
traduction de l'allemand d'Yvan
Goll - Bruxelles.
Extrait de la traduction d'une lettre d'Ivan Goll Berlin à Claire
Paris du 7.2.32 (SDdV 65/145) lettre
que je n'ai pas trouvée dansMST mais
dans :
Iwan Goll Claire Goll Briefe, Florian
Kupferberg Verlag Mainz / Berlin (262 p.) 1966, pages 86 et 87, mais, avec
cette référence :
Sur un papier laissé sur sa table de travail, en 1932, Goll écrit au
sujet de cette crise :
«
Le
Démon, voilà son nom. Voilà le nom de l'être que tu n'as pas nommé et que tu
voulais que j'admette.…Eh bien, je l'admets, comme toi. Ne l'appelons pas
" le destin ", et surtout ne le repoussons pas sur d'autres
personnes. Le démon est en moi, je le montre du doigt. Je ne suis pas lâche
comme tu le pensais. Il est la troisième personne de ton rêve étrange et
lumineux, nous sommes toujours trois : toi, moi et le frère noir …l'amer profil
que je suis forcé de porter pendant le jour, la voix voilée qui pend comme un
rideau devant mon âme farouche.
Mais
il dépend de toi, Souverain du Songe, que ce soit moi ou lui que tu appelles.
Il
est vrai, les deux craignent la vie, le présent. La danseuse : parce que la
confusion est une telle torture.
Le
frère, parce qu'il traîne toujours avec lui le sac rempli de chagrin, le corps
plein d'inquiétude millénaire, plein de départs et d'arrivées millénaires.
Souviens-toi
de ma peine dans la longue nuit, quand je ma suis sauvé dans la chambre
glaciale, te quittant vers trois heures de la nuit bienheureuse. Souviens-toi
comme mes pieds se démenaient, ces pieds du Juif Eternel, qui ne peuvent
oublier l'errance sans fin !
Souviens-toi
de l'agitation dans mes yeux, entre deux patries, éternellement l'homme sans
terre, l'hybride entre femelle et mâle, entre la foi et la pourriture, entre le
désir et l'ennui.
Ivan
»
lettre
de Claire à Paris à Ivan Goll à Berlin 10 février 1932MST p.87/88
Paris 10.2.32
Non,
toi, tu ne dois avoir honte de rien.Tu
as été bon pendant des années, tu peux continuer à vivre sur ce fonds. Tu as
encore un grand crédit dans mon cœur. Et peut-être gagnerai-je bientôt assez
pour nous deux. Ne te tourmente pas à ce sujet, toi, mais ne dis pas : "
L'époque est pourrie, je veux m'adapter à elle". Nous avons en nous une
loi morale, nous le sentons bien, cela est au-dessus de toutes les époques, et
tu ne dois pas agir contre cette loi, parce que quelques littérateurs et
quelques idiots méconnaissent que tu es un poète.
Chéri, laisse ce cynisme bon
marché à d'autres, plus petits que toi par ex. à Steinthal. Mais toi, lutte,
lutte, monte, et ne sombre pas, ne te contrains pas à être plus mauvais que tu
n'es. Et pourquoi ne te fais-tu pas plus rare ? Ne crois-tu pas que, sous tous
les rapports, tu aurais plus de succès qu'en étant là sans cesse ? Comme ça c'est
passé avec Beye et Cie. Ne vas donc plus dans cette cave des sous, où ils n'ont
pas d'affection pour toi. Ne t'occupe pas de ces sous perdus et sales, mais des
pièces d'or.
J'ai
envoyé aujourd'hui à Madame Landau, qui est encore à Beaulieu, une lettre
diplomatique, recommandée. Ce faisant, le sentiment que j'ai pour toi me
pénétrait malgré tout et j'ai écrit :
"Trude
(*), Beye, M. Schönherr ont dit à Yvan qu'ils ont réglé tout le monde en
janvier, sauf lui, parce qu'ils ne peuvent pas le souffrir. Les larmes me sont
montées aux yeux. On voudrait bien, parfois, se suicider.
"Le
pauvre malheureux garçon ! Parce qu'il a lutté désespérément pour gagner un peu
d'argent à sa femme malade, ils ne l'aiment pas. Si seulement ils le
connaissaient, s'ils savaient combien il est triste et fier, et combien il est
bon, lorsqu'il s'agit de plus pauvre que lui ! En tout cas, je vous prie de ne
pas me faire porter le poids de cette antipathie, etc.…"
S'il devient insolent, je
pourrai toujours encore le menacer de Me Saviac. En fin de compte, il faudra
bien qu'il paie, fût-ce plus tard, puisque nous n'avons jamais d'argent, et
pouvons en avoir besoin à tout instant.
Bonne nuit, toi, je suis fiévreuse
et lasse. Encore une journée de crampes intestinales terribles et du travail le
plus éreintant ; la voici terminée, encore une fois. J'ai travaillé sans arrêt
de 7 heures du matin à 11 heures du soir. Demain je t'enverrai le roman.
Et sois réellement fier de la façon
dont je t'aime et t'aimerai un jour à nouveau
Zouzou
(je
n'irai chez le médecin que lorsque tu seras revenu). »
(*) Trude Esterberger
lettre
de Claire à Paris à Ivan Goll à Berlin 12 février 1932MST
p.89/90/91
Vendredi
[Paris
12.2.32]
Yvan
Je t'écris encore une fois aujourd'hui et
ensuite je cesserai de le faire pour longtemps. T'émouvoir par des lettres, non
!
Finalement,
certaines « autres personnes », s’y connaissent un peu en poésie, et
elles ont trouvé comme moi que les deux poèmes traduits sont insuffisants. Le
jugement de l'Amérique en de qui concerne Joyce n’est pas valable. C'est le
pays de beaucoup de poètes mais pas des
poètes. Il est déjà,assez significatif que les Etats Unis avec leurs millions
d'hommes aient produit au cours de ces trois siècles si peu de génies en
poésie :Whitman, Poe, Hart Crane et peut-être Ezra Pound, qui nous est
d'ailleurs apparu, quand nous l'avons connu, humainement comme quelqu'un de bien
médiocre. Et s’il est vrai que le don littéraire et la moralité ne se
contrebalancent pas toujours, on devrait pourtant dans un grand artiste pouvoir
deviner une certaine grandeur d'âme.
Et l'Angleterre aujourd'hui ? Où
sont ses poètes importants ? Combien sont-ils ? William Butler Yeats, le jeune
Dylan Thomas, dont t'a parlé Eliot. Eliot est d’ailleurs américain, et comme il
me l'avouait lui-même, influencé par Rilke. (et d’abord par les Français, en
commençant par Laforgue …) A l'époque où j’ai rendu visite àEliot à Londres, il n'était pas du tout encore
Eliot.
Non, ton enrégimentation de
Joyce parmi les grands écrivains de langue anglaise m'apparaît trèscontestable. Et le culte de Joyce pourJames Stephens me semble puéril. Tout ce qui
vient de Dublin est pour lui sublime. C'est seulement parce que le rôle le plus
brillant de son ami Sullivan est Guillaume Tell qu’il considère que cet opéra
est un chef-d'œuvre et qu'il nous en chante des airs chaque fois que nous
sommes chez lui avec enthousiasme (et pour mon supplice). Maisla note qu'il a dictéepour mettre
au bas du poème de Stephens est carrément naïve. Joyce est un génie en prose
mais pas en poésie.
Bref : "Donnez-nous la
libertéde pensée - (et de jugement),
Sire ! " Permets-moi, s'il te plaît de ne pas partager ton opinion.
Pourquoi
ne pourrais-tu pas toi aussi te tromper ? Rappelle-toi la critique que tu
fis de la prose de Illan. Et il a reçu, il y a quelques semaines, une lettre
enthousiaste longue de quatre pages de Max Jacob, où celui-ci " lui baise la
main, cette main infiniment bienveillante qui a écrit de telles choses " !
Et on ne peut
pas dire que c'est un jugement de complaisance d'un homosexuel à un autre, car
Illan est, Dieu le sait, un coureur de jupons.
Rappelle-toi
aussi ce que tu m'as toujours dit de mon roman Une Perle :"trop réaliste". Comme tu m'as découragée !
Dès la parution, rien
que des articles élogieux de la presse française et de la presse des États-Unis
pour l'édition américaine ! Signés Thomas Mann, Stéphan Zweig etc.. Et cette
phrase qui revenait souvent dans les comptes rendus : "Un Emile Zola
d'aujourd'hui", - ce qui n'est, après tout, pas à un blâme. Il y a un
réalisme qui n'est pas forcément anti artistique.
D'ailleurs, tu sais très bien que j'ai lu un unique livre
de Zola et que je l'estime, mais ne l'aimait pas, car ma passion, de Paris à
saisir année, va à Dostoïevski. C'est aussi pourquoi nous nous sommes tellement
disputés à Chambon/lignions, nous essayons de décrire ensemble un roman. Nos
idées ne sont pas les mêmes.
Tu seras d'autant plus
approuvé et confirmé dans ton culte de Joyce, par une autre artiste.
Mais à présent,
tu me l’as écrit assez clairement : il n’y a , en ce monde, qu’un style,
qu’une bonté, qu’une artiste !
Adieu
!
Claire
*
* Voici les deux
poèmes en question.
Voici l'enfant -Du sombre passé -
Un enfant est né - De joie, de peine -
Un Coeur s'égrène - Au calme berceau -
La vie éclot. - Que l'amour pieux -
Décèle ses yeux. - Haleine qui passe -
Vite sur glace - Monde à peine là -
Qui déjà s'en va. - Un enfant dort -
Un vieillard est mort.
James
Joyce (traduit par Yvan Goll)
Le vent hurle à haute voix
Et silfle furieux sur ses doigts.
Soulève les feuilles trépassées
Se bat avec la forêt déchaînée.
À mort ! Hurle-t-il. Une mort folle
Dieu est de nous. Un homme une parole.
James
Stephens (traduit par James Joyce et Yvan Goll)
lettre
de Claire à Paris à Ivan Goll à Berlin 12 février 1932**** MST p.91 à /94
Paris, 12,2,32
vendredi
soir
Aimé, oui tu l'as senti et, le soir,
ton télégramme devait réparer l'effet de cette lettre sans cœur, mais alors, il
était déjà trop tard. Songe à ce que toute une journée de détresse peut
déchaîner et détruire chez un être humain. Mais je préfère me taire là-dessus,
il ne faut plus déclencher des émotions. Soyons donc positifs.
Tu m'as écrit que mes lettres,
finalement, te déçoivent toujours. Ah ! si je voulais te dire quelles grandes
déceptions les tiennes n'ont été que trop souvent pour moi, et comment, bien
des fois, elles tombaient aux moments où j'étais le plus disposée à l'amour et
aux sacrifices. Tu as écrit plus loin : Paula a crié : Je te louerai un
Théâtre, je ferai représenter ta pièce ! - Tu oublies que, pendant les
premières années de notre inclination mutuelle, j'ai crié des choses
semblables. Et moi aussi, l'an dernier, j'ai dit des choses de ce genre à Illan.
Amoureuse depuis un an, songe donc ! Je souhaite que Paula te le dise encore
après 16 ans.
Ce matin, je t'ai dit que je ne
t'écrirais plus, et ton télégramme ne peut rien changer à cela. Je dois
seulement t'envoyer encore ce post-scriptum, tu verras tout de suite pourquoi.
Je n'écrirai plus, car je ne veux
plus rien savoir de toi et je veux que tu ne saches plus rien de moi. Je ne
demanderai plus rien non plus. Ni ton retour, ni ton aide financière.
Le
"Matin" sera aussi mon dernier souci. Je m'en tirerai bien, aussi
bien que d'autres, et si, un jour, les choses vont bien pour moi, alors je
partagerai certainement avec toi, je n'ai pas besoin de te le dire d'abord,
mais je le ferai.
Aime et vis, libre et indépendant.
Je ne sais pas où je serai, quand tu
reviendras. Quelque part dans le monde. Peut-être irai-je à Berlin, dès que tu
n'y seras plus.....
Je ne te le dis pas pour te rendre
des comptes, mais pour que tu ne crois pas que c'est une revanche. A quoi bon ?
je n'ai rien à te pardonner, ce que tu m'as fait n'existe plus.
Pourquoi t'écrire encore cette
lettre ? parce que j'ai envoyé, ce matin à Daniel (Kahn, Professeur d'allemand et beau-père d'Yvan), les 30 premières
pages de la traduction de Germaine (Berton)
et que je leur ai fait savoir que j'étais revenue de Berlin à cause de la
collection de printemps....
Adieu, sois heureux, laisse-toi
aimer. Je ne peux rien t'écrire de plus tendre en guise d'adieu. Sinon, tu
pourrais croire, encore une fois, que je cherche à t'émouvoir.
Claire
»
Et à
présent, je voudrais te prier, chéri, de ne pas perdre courage, si tout le
monde ne s'arrache pas tout de suite ton manuscrit. Je pense qu'il devient
difficile de vivre de son art, et que ce le sera toujours davantage. Mais une
autre fois, quand tu seras "d'humeur massacrante", ne m'écris pas.
Pas de lettre, cela vaut mieux qu'une lettre pareille. Et d'ailleurs mon
"insouciance"! As-tu pensé à mes petites demandes :
1) « De mes grandes douleurs je fais
de petites chansons »
« Un jeune homme aime une jeune fille …»
«L'Ode saphique » de Brahms
Pour:
Mezzo-soprano,
pour une voix que tu aimeras peut-être entendre à nouveau, dans un an ou dans
trois ans.
2) Christa Winsloe
3) Droits d'émission et date de
A la recherche de la voix perdue.
Donc,
j'ai parlé à Joyce, tout à l'heure au téléphone. Voici textuellement ce qu'il
m'a dit :
"
Madame, j'aurais été très heureux de vous serres la main, puisque nous sommes
voisins, mais je ne puis pour le moment, voir aucune personne, je suis dans un
état épouvantable."
Moi
: " Je sais, Maître,Monsieur votre
père…Etait-il donc si âgé ?"
Lui
: " Non, cela n'est pas la cause de mon tourment. Il est mort de
vieillesse. 80 ans, c'est un âge normal. Mais je l'aimais beaucoup et je n'ai
même pas pu aller le voir pendant ses derniers jours. Ma femme et mes enfants
ne l'ont pas voulu et moi-même, je ne me sens pas en sécurité là-bas. Car ces
gens ont brûlé toute l'édition de Dédalos
en 1912, lors de mon dernier séjour. Vous comprenez pourquoi je n'ai pas pu
aller là-bas."
(à
vrai dire, je n'ai pas compris s'il avait eu à craindre le bûcher pour lui-même
: ou seulement pour ses recueils de poèmes !)
Moi
: " Oh ! naturellement, je vous comprends. Depuis combien de temps
n'aviez-vous pas revu votre père ?"
Lui
: " Depuis 20 ans ! Vous comprenez mon désespoir."
Moi
: " Et vous ne vous écriviez-pas ? "
Lui
: " Naturellement si, et je lui envoyais aussi des cadeaux ".
Moi
: " Mais, cher Monsieur Joyce, ce n'est donc pas de votre faute si vous ne
pouviez plus vous voir, la faute en est aux circonstances …"
Lui
: " S …"
Moi
: " Allo ! "
Lui
: " Oui, j'entends. De toutes manières ne m'en veuillez donc pas, si je ne
puis vous voir en ce moment ".
Moi
: " Mais je suis chargée de vous demander quelle est votre position au
sujet de votre 50 e anniversaire".
Lui
: " Ces choses n'ont pour l'instant, pas le moindre intérêt à mes yeux.
Excusez-moi donc auprès d'Yvan Goll. Je vous recevrai avec joie dans quelques
semaines."
Moi
: " Au revoir, cher Monsieur Joyce, et croyez à toute notre
compassion."
Lui
: " Merci de tout cœur, mes souvenirs à Goll, au revoir."
Au revoir, - je te souhaite beaucoup
de bonheur et d'amour à Berlin.
Zouzou
»
Enveloppe sans lettre, écrite de la main
de Claire :
Herrn Dr. Iwan Goll
bei / Ludwig
112,
Gh. Atelier, Kurfürstendamm
Berlin-Halensee
Cachet de la Poste : Paris XVI,
Rue Singer, 13. II.32
lettre
d'Ivan Goll Berlin à Claire à Paris du
17.2.1932MST p.94/95
Chère
Claire,
(Zouzou est réellement devenu trop
petit pour toi !)
Ce soir, j'ai lu Arsenic (version
allemande de Un crime en Province)
jusqu'au bout. Un grand, un très grand livre !
Tant de matériau humain, extrait des
profondeurs de la chair et amené au soleil, tant de savoir universel, de
connaissance de l'âme, de force expressive, d'acuité visuelle et de finesse
d'ouïe…
Se
transporter ainsi dans un autre être, haïr, assassiner, souffrir avec lui,
l'éclairer du dedans et du dehors, disséquer, éplucher…le retourner en tout
sens à la flamme de l'art, comme un poulet à la broche…
Et
puis, la vie de la petite ville : magistrale. Au début, on a des doutes : c'est
tout de suite si fort. On se demande : comment soutiendra-t-elle ce ton, sans
se répéter, sans ennuyer ?
Tu as résolu entièrement le
problème. Une des tâches les plus difficiles que puisse se proposer un artiste.
Une tâche que peut seul aborder celui qui sait ce que sont les nuits
inquiétantes, les tentations de l'instinct, le besoin de sacrifice, le sens de
la mort …
Inutile, n'est-ce-pas, de dénombrer
les passages qui sont d'une grandeur classique : la nuit du premier
empoisonnement, la mort de Gaby, cruellement exacte…et combien de petites
phrases pleines de savoir !
Mais à la fin, cette sonorité
apaisante (inconnue de moi), cet écho final proche du ciel !
Tout à fait grand !
On ne peut que t'admirer !
T'admirer, créature insondable !
Mais, o toi qui n'es pas heureuse,
qu'arriverait-il si tu descendais, une fois, aussi profondément en toi que dans
les tréfonds de ta Suzannne, si tu projetais ta lumière jusqu'entre tes côtes,
qui sont souvent les barreaux de prison empêchant d'accéder à la sagesse et à
la liberté. Toi qui a sauvé la plus misérable de toutes, pourquoi ne te
sauves-tu pas par la connaissance ? Tuer ne sert à rien, ni mourir : mais
savoir !
A la dernière page, on se met à aimer
Suzanne !
Ivan
P.S. Je porte demain le manuscrit à
KROLL / mais ULLSTEIN le trouvera trop lourd de contenu, bien trop bon.
Ensuite HILDEBRANDT. Mais combien de
copies as-tu ? Tu n'as pas besoin là-bas d'en garder plus de 1 ou 2 en allemand
! Envoie-moi encore un exemplaire, afin que je frappe tout de suite à la porte
d'un éditeur, pour que nous ayons "deux fers dans le feu".
Plus tard, je n'ai trouvé presque
plus rien qui nécessite des améliorations
lettre
de Claire à Paris à Ivan Goll à Berlin 20 février 1932MST
p.95/96/97
samedi
6
heures du soir
[Paris,
20.2.32]
Aimé,
je reviens à l'instant d'une merveilleuse excursion d'une journée dans la
vallée de Chevreuse et je trouve tes Lieder. Ah, toi !
Dois-je les chanter à l'Amiral
que j'ai ramené ici ? Il est perché sur le Pascinet il est encore tout tremblant de son destin
tragique : être un papillon en février ! J'ai aussi cueilli les premiers
chatons de saule. Et il y avait sur les bois de bouleaux un reflet mauve, à
faire perdre la raison. Et, vers le soir, il y a eu la lune, la pleine lune. Et
toutes les villas et les maisons qui bordaient la route, je rêvais que j'étais
dedans, environnée d'enfants. C'était un home et un refuge, on appartenait à un
lopin de terre, on n'était plus nomade, on n'était plus ballottée par le monde,
empoisonnée par la solitude. Quel lourd fardeau que d'être artiste ! Walter me
disait récemment: "Tu as un destin d'homme", - c'est une triste vérité.
Et
là-bas, dans les forêts, vivent les petits lièvres, et on les chasse, c'est le
destin des lièvres. Dieu est insaisissable dans cet univers ; et cependant, je
le pressentais et le saisissais aujourd'hui dans chaque jeune mauvaise herbe
fleurissant le long de la route.
Hier;
charmante réception chez Lise (*). Tu te rappelles cette belle femme aux
cheveux noirs (une raie au milieu, un front florentin) qui nous a frappés
naguère dans les "générales" des théâtres parisiens ? C'est elle.
Elle a divorcé de son premier mari et épousé un bel homme, très fin, dont elle
a maintenant un petit garçon (avec une petite fille du premier), et une maison!
Ah ! tu le verras bien, il y a chez eux tous les mois, une réunion poétique, 30
poètes étaient là, Flouquet, Ribemont-Dessaignes, des jeunes comme Colombat,
Desnos et Youki, etc..
A
toi, j'adresse en outre, 2 volumes de Lieder en retour : j'ai déjà Schumann et
Schubert est pour soprano, alors que je suis mezzo-soprano. Echange-les contre
Hugo Wolf et les Lieder de Brahms.
Parmi
ceux-ci, je voudrais surtout :
"Aussi
vrai que le soleil brille, aussi vrai que la nuée pleure". Je crois que
c'est de lui. Ou bien, me trompes-je comme "De mes grandes douleurs je
fais de petites chansons", que tu as si gentiment cherché et retrouvé
parmi les Lieder de Franz.
Je
suis de retour depuis 15 jours et je n'ai pas encore vu Illan, ne lui ai pas
fait savoir que je suis ici.
Il y a en ce moment, bien des choses à voir,
et je sors donc beaucoup, pour parfaire ma culture. Surtout pour affiner, en
compagnie de Français, ce mauvais style que tu me reproches tant. "O
chaînes de roses" (°)…! Et : le style c'est l'homme, ce n'est pas la
femme. C'est la qu'est mon excuse. Excuse-moi, oui, je suis heureuse, moi
aussi, pour une fois. J'ai reçu un nombre effrayant de piqûres destrychnine, et, à en croire le prospectus,
elles provoquent la gaieté et un état d'ivresse. Foin de la mélancolie et des
larmes, qui émeuvent !
Ci-joint
la facture du Matin ; malheureusement, j'ai dû tout payer, il n'y avait plus
rien à faire. Egalement pour le Gaz pour décembre : 234 frs., excuse-moi
encore, mais la vie est faite de choses de ce genre.
A
l'instant Mlle Stil a téléphoné, aspirant à toi. Je l'ai consolée aussi bien
que je l'ai pu, je lui dit que d'autres dames t'ont également appelé au
téléphone, et que tu es chez Paula Ludwig.
"
Oui, elle le savait, mais combien de temps encore ? "
J'ai
dit que seuls le savent les dieux de l'amour.
Ta
lettre et ton télégramme, qui exprimaient ton bouleversement à la lecture de
mon roman, m'ont profondément émue. Tant de sympathie artistique, c'est
toujours stimulant.
Néanmoins,
je t'envoie ci-joint la critique, elle servira peut-être pour le placer.
Voudrais-tu corriger un second manuscrit pour Tal, en le comparant avec le premier
ou dois-je l'envoyer à Tal comme il est ?
As-tu
des perspectives chez Deutsch ?
Le
petit Walter (**) a reçu hier comme dessert : "Der Dunkle Gott". Le livre a remplacé une piqûre de
strychnine. " Ce jour-là, ils ne me racontèrent pas davantage", comme
il est dit dans les Mille et Une nuits.
Et
maintenant :
Vis
heureux, vis content,
Comme
le roi Salomon
Qui
chantait assis sur son trône
Tout
en mangeant du foie gras.
Excuse-moi,
mais je ne suis pas une poétesse, mais seulement
la
naguère pauvre
Zouzou
aujourd'hui riche
Avant-hier
et le jour précédent, une dame a téléphoné, qui a demandé sans arrêt à Rosa:
"Alors il est en voyage, mais pas avec sa femme …pourriez-vous me donner
son adresse ?" Rosa ne l'a pas donnée, elle a déjà beaucoup appris, et
elle a dit : " Qui sait, peut-être a-t-elle besoin du soutien de Monsieur
". J'ai beaucoup ri.
(*) Lise Deharme avait un célèbre salon
littéraire d'avant-garde à Paris
(°) Allusion à une lettre inédite d'Yvan à
Claire du 12.2.1917 qui contenait la phrase :
"Chacun
garde sa liberté jusqu'à ce qu'il se soit forgé lui-même ses chaînes : Chaînes de roses", phrase dont je
me moquais tout le temps.
(**)
Walter Mehring, écrivain de gauche, correspondantdu Berliner Zeitungen à Paris de 1921à 1928,
à Berlin jusqu'en 1933, puis à Vienne. Interné en France en 1939 avant de
partir en 1940 pour la Martinique et les USA. Rentre en Europe en 1945.
lettre
de Claire à Paris à Ivan Goll à Berlin 22 février 1932MST p.97/98
Paris, 20.2.32
J'ai
eu tout à l'heure avec Tagger (*) une longue et amicale conversation.
Tu
sais qu'il n'a aucune raison d'être mesquin ou réservé, lui qui est le
dramaturge allemand ayant le plus de succès.
Donc,
avant tout, il trouve que cette pièce vient beaucoup trop tard. Les pièces sur
le monde des affaires ne sont plus demandées. Il trouve aussi que ce n'est pas
dans ta ligne. Ta direction, c'est celle de "Mathusalem". Dès que tu
t'en écartes, les pièces deviennent mauvaises. Il te conseille d'écrire une
pièce qui soit pleine d'âme, artistique ou vibrante de satire, mais non pas
torturée et "voulue". Il dit "qu'il est tout à fait inutile de
tenter encore quoi que ce soit à Berlin, pour cette pièce, tu n'arriveras pas à
la placer".
Voilà
donc l'avis d'un homme de métier. Je n'ai rien à y ajouter. Tagger dit qu'il
avait lui aussi, écrit diverses pièces qui n'ont jamais été jouées.
Hasenclaver,
lui aussi, revient à l'art, après tant d'erreurs et de fours. Il compose une
nouvelle pièce, en vers
Il
faut donc être modeste, et non trop orgueilleux. L'œuvre dont on doute est
toujours plus grande que celle dont l'auteur crie : "On va me l'arracher
des mains !". Je doute tellement de mon "Arsenic" que j'ai déjà
voulu attenter à ma vie.
Sois
fort et comprends ! Tu as observé maintenant tant de matériel vivant, en
Allemagne ; pourquoi ne pourrais-tu pas faire une pièce enflammée sur
l'hystérie des Berlinois ?
"Krankheit
der Jugend" est un grand succès à l'Oeuvre
Un jour, tu auras, toi aussi, des succès de ce
genre, mais seulement quand tu te feras petit devant l'art théâtral, comme tu
l'es, depuis longtemps, devant la poésie.
Quand
on est quelqu'un, les gens vous courent après (Pirandello) et on n'a pas besoin
de faire un pas ; tous tes reproches sur ce sujet étaient injustes.
Je
t'envoie par le même courrier le second manuscrit "Arsenic".
J'ai obtenu et signé,
aujourd'hui même, un excellent contrat d'un éditeur polonais pour "Ein
Mensch ertrinkt". C'est chez lui qu'ont paru Morand, Maurois, Benoit, etc.
(*) Théodore Tagger véritable
nom du dramaturge Ferdinand Bruckner, dont la pièce "Krankheit der
Jugend" (1929) se joua avec un grand succès à l'œuvre.
lettre
de Claire à Paris à Ivan Goll à Berlin 25 février 1932MST
p.99/100/101
Paris, 25.2.32
Mon
petit garçon,
"Découragé"
? pourquoi ? toute déception sert à quelque chose. Celle-ci n'échappe pas à la
règle. La prochaine fois, quand tu n'attendras rien d'une œuvre, quand tu seras
tout humble devant elle et ne la tiendras pour rien d'autre qu'un début, alors,
le succès te surprendra. En admettant que l'approbation de nos misérables
contemporains mérite qu'on lui sacrifie le peu de paix intérieure dont on jouit
chez soi, entre ses quatre murs, cette paix qu'on abandonne pour une chose aussi
inexistante que la prétendue gloire.
Mais,
sot enfant, à quoi bon te faire des soucis ? C'est moi qui paie le loyer
avec mon roman. Bien que je ne mette jamais, comme tu le fais dans ta lettre, à
jongler avec des chiffres tels que 5000 ou 10000 marks. Pourquoi toujours
exagérer ? Naturellement, lorsque l'on est sur une telle corde d'or et
qu'on en tombe, le choc est rude.
Et
véritablement, je ne veux pas rompre mon contrat avec Tal.* Je suis pour la
fidélité à la parole donnée et je n'aime pas faire de dettes. Tu me connais. Je
me refuse donc, sous ce rapport à recevoir des leçons des Allemands. Et
d'ailleurs, ne vivent-ils pas, en réalité, dans des conditions impossibles ? Je
les supporte mal. Et il est encore plus facile de vivre avec le plus petit Français
sain et honnête, qu'avec les Allemands les plus raffinés. Je l'ai
constaté avec Kurt Wolff. Ici, nul ne s'immisce par force dans ton ordonnance
intérieure, nul ne te divise, tu restes toujours solitaire et libre. Quel
équilibre on gagne au contact des Français, et comme on perd pied aussitôt, ne
fût-ce que pendant une conversation, avec les Allemands ! Comme ils sont
indiscrets, même dans leur discrétion, et éhontés, sans pudeur d'âme ! Non, je
n'aime que Paris, et cependant, je voudrais aller un jour à Berlin, pour
plusieurs raisons.
Maintenant, en ce qui concerne
les gains d'argent, les possibilités, tous mes amis et toutes mes relations me
disent que c'est à Paris seulement que l'on peut encore se faire une place.
Tant dans l'édition (tu l'as bien constaté, toi-même l'an dernier avec ton
livre sur la photographie) que dans les journaux (où tu as joliment lâché Fels
!). Paris-Soir s'est monté et tue momentanément l'Intran, et a un tirage de
250.000; que n'aurait-on pu y faire ! Des rapports illustrés d'Allemagne, ou
bien ici, la chronique des livres, etc..
Desnos,
lui aussi est un poète, ce qui ne l'empêche pas de faire toutes sortes de
besognes à côté.
En
ce qui concerne Maria Deutsch-Piscator, je pense qu'une visite adroite de ta
part aurait beaucoup plus de succès que des approches féminines.
Non,
tu te trompes, je n'attends pas impatiemment ton retour, cette époque est
révolue depuis longtemps. Je vis actuellement avec Rosa, qui me soigne avec
amour, m'envoie prendre l'air, ferme la fenêtre quand elle trouve qu'il fait
trop frais, etc.. Dans une tranquillité conventuelle. Je ne souhaite rien
d'autre. Tu te trompes aussi lorsque tu crois que je ressens plus
douloureusement ma solitude, parce que j'ai terminé ma tâche qui me remplissait
toute. Comme tu aurais pu le deviner, j'ai déjà commencé un nouveau roman, -
j'en suis tout au moins à sa préparation.
Je
lis de bon livres (anciens), beaucoup de Goethe ; j'ai près de moi une
jacinthe, en faut-il plus pour se sentir infiniment riche ?
Aujourd'hui,
j'ai acheté pour ton vase vert de la salle-à-manger, afin d'y remplacer la
bruyère, un bouquet de roses en cire, de toutes les couleurs, qui aurait
inspiré Rousseau.
A
présent, je vais le regarder à tout instant et je me réjouis de sa suavité : un
bouquet de noces. Car, tu le sais bien, les choses simples, primitives,
déclenchent en moi les joies esthétiques les plus fortes. Je peux m'occuper
toute la journée de ce bouquet, alors que je ne supporte pas les êtres humains
plus d'une heure. Mais aussi, quelle différence entre l'être humain et la
fleur, fut-elle artificielle !
A
l'instant, je viens de préparer ton paquet : "Die Alpenpassion der
Jungfrau von Paris".
Demain
matin à huit heures, je le porterai moi-même à la poste, car, tu ne le sais pas
encore, à huit heures juste je prends l'autobus, boulevard Suchet, jusqu'à la
place Victor Hugo, et de là, je vais à pied jusqu'à l'avenue du Bois de
Boulogne. Là, on me nourrit artificiellement, parce que mes organes ne veulent
plus travailler eux-mêmes : ils sont morts. Il y a quelques jours, j'allais si
mal que j'ai donné à Rosa - inondée de larmes -, - un télégramme à ton adresse
pour le cas où il m'arriverait quelque chose.
Ainsi
donc, je reçois chez Meunier 1 litre de lait, 2 œufs, 1 beafsteack et j'ai
engraissé déjà d'une livre en 3 jours. Il considérait ma "ligne
haute-couture" comme un grand danger.
Cela
coûtera peut-être beaucoup d'argent, mais grossir, cela vaut de l'or. Je lui
suis très reconnaissante et me sens déjà mieux.
Il
est maintenant plein de prévenances, et veux me faire des prix spéciaux. Il m'a
pris 350 frs. pour un premier examen avec analyse de sang et de l'urine, radio
et sondage de l'estomac. J'ai payé de suite, c'était inévitable. Généralement,
il prend mille francs, m'a dit sa secrétaire. Ce que le sanatorium de
Bühlerhöhe n'a pu faire, l'avenue du Bois le fait. Là-bas, on me donnait du
lait et des œufs nature, et, bien entendu, je ne les tolérais pas. Ici, une
fois avalés, ils sont artificiellement digérés par un appareil.
Si
seulement tu me racontais un peu plus en détail comment s'écoulent tes
journées !
Adieu,
je suis si fatiguée, j'ai beaucoup travaillé et j'ai toujours 38 ° de
température, le soir. Adieu
Zouzou
Voudrais-tu
me répondre à une question importante ? (Ne pas oublier !) Hildenbrandt est-il
de nouveau à la rédaction du feuilleton du Berliner Tageblatt, ou le chef
est-il toujours Sinsheimer ? Tu indiques toujours tout d'une façon vague, et me
laisses dans l'incertitude.
Ce
serait délicat de ta part d'écrire quelques mots à Mlle Stil. Elle a été opérée
de l'appendicite, et je crois qu'elle a été très malheureuse quand je lui ai
dit sur un ton moqueur qu'elle devrait prendre patience, qu'elle n'est pas la
seule, etc.. Le même jour, une de tes "amies" avait téléphoné. D'ailleurs,
Marianne Oswald téléphone si souvent et insiste tellement pour me revoir, que
j'ai dû finalement l'inviter. Sinon, tu m'accuserais d'impolitesse.
* Verlag E.P. Tal & Co.
Leipzig/Vienne
lettre
d'Ivan Goll Berlin à Claire à Paris du
29.2.1932 MST p.101/102/103
Berlin
29.2.32
Chère Zouzou.
29
février : on nous fait cadeau d'un jour de plus cette année ! Avez-vous, à
Paris, vous aussi, des jours de soleil-fixe, des jours clairs ? Pour Berlin,
c'est un hiver tempéré ; il gèle bien, mais il ne tombe pas de neige. Ce climat
m'est favorable. Je n'ai pas encore eu une seule crise de grippe. D'autres
personnes aussi ne se plaignent jamais de cette espèce de faiblesse qu'apporte
à tous l'air trop mou de Paris. Mais tu me parles déjà d'amiraux et de
primevères : tu baises déjà le printemps, qui paraît encore ici quelque chose
d'impossible !
Et
o ta dernière lettre si douce ! comme j'ai eu envie de te serrer dans mes bras
avec ta taille de figurine de mode, d'observer combien tu engraisses depuis que
Meunier t'injecte ton beafsteack quotidien : te sens-tu mieux maintenant ? Je
me lève avec toi, je te vois partir dès 8 heures pour le Boul. Suchet; à ce
moment, ici, il est déjà 9 heures ; et je te vois rentrer à la maison avec le
bouquet de roses de cire !
Est-ce
que le merle picore les baies du lierre ?
Et
tu rêves déjà d'un nouveau roman, et tu y travailles. Oh ! dis vite ce que
c'est ?
Ici,
j'ai fait une trouvaille merveilleuse : " Das deutsche Lesebuch" de
Hugo von Hofmannsthal contient les joyaux de cent années de prose allemande. On
découvre tous les jours, dans ce livre, de nouveaux trésors. Je te le
rapporterai.
Comment
je vis, à part ça ? Toute la journée, je cours après mon avenir. Je ne compte
plus beaucoup sur la pièce. Je ne cherche plus qu'à bondir sur la selle de
cinéma, et ensuite, ayant un peu de sécurité, je m'adonnerai modestement à
l'art, à la poésie. C'est pourquoi je me cramponne encore à l'espoir de Mme
Topoly, et appelle Paris à l'aide. Sinon, je ferai encore "antichambre"
ici pendant des semaines.
Merci
pour la "Jungfrau von Paris", mais - hélas - j'ai besoin plutôt de
l'autre version, qui est également dans le classeur ; c'est un manuscrit tout
semblable, et je te prie de me l'envoyer immédiatement - j'oubliais que celle-là
aussi était restée à Paris.
Soir.
Je
viens de téléphoner à Krell : il n'a pas encore lu "Arsenic".
Ces gens ! Avec Tal, nous allons voir : mais attends maintenant et ne dis rien,
tout au moins à lui.
Téléphoné
aussi à Mme Topoly : le Dr Deutsch est en voyage pour toute la semaine. Oh !
l'impatience me fait grincer des dents ! Rien, absolument rien, ne veut me
réussir ! et pourtant, je cherche honnêtement une occupation, fut-elle peu
honorifique : synchroniser ! Le temps presse. Rien n'arrive. Et je tourne en
rond. C'est pourquoi, encore une fois, une incitation venant de Paris était
devenue nécessaire.
Articles
? cela aussi. "Vu" organise un numéro sur l'Allemagne. Vogel est à l'Adlon,
avec tout un état-major de collaborateurs, parmi lesquels Soupault. Un soir,
nous sommes sortis ensemble. J'écris aussi quelque chose pour ce numéro :
"Paris à Berlin", et j'ai déjà reçu 50 M. Mais, dois-je, comme tu le
proposes, me contenter éternellement des détritus de "Vu" et de
"Paris-Soir" ? Alors, seras-tu fière de moi ?
Sinsheimer
est, et reste, bien entendu, le chef des feuilletons du Berliner Tageblatt.
Hildenbrandt s'est encore une fois mis en congé. Il aurait, de nouveau, quelque
chose à dire chez Mosse. Possible, mais …
J'ai
de la nostalgie : une grande nostalgie intime de toi, Zouzou.
Mais
je ne peux pas, je ne veux pas rentrer à la maison en pauvre Moïse inactif !
Comprends-tu
ton
impatient
Garçon
?
lettre
de Claire à Paris à Ivan Goll à Berlin 3 mars 1932MST p.103
3.3.32
Chéri,
J'ai
envoyé une lettre à Maria Deutsch (*), car j'ai trouvé cela mieux qu'un coup de
téléphone, parce qu'au bout du fil elle se récuse le plus souvent. J'ai écrit
que je voulais la voir, je l'ai remerciée aussi pour ses dispositions amicales
à nous aider. A présent, il faut attendre qu'elle ait l'idée de me répondre et
de vouloir me voir.
Par
le même courrier, l'autre "Germaine".
Prends
tout ton temps, ne sois pas impatient. Je ne le suis plus, moi non plus, nous
arriverons toujours une fois à Majorque. Renate Green est partie hier là-bas
pour quatre semaines. Tout s'envole là-bas, comme tu le vois par la coupure
ci-jointe.
Le
nouveau roman ? Un roman d'amour naturellement. Mais comme c'est donc
difficile!
Le
papillon est encore toujours chez nous. Les merles chantent à6 heures ½ (heure de Berlin) et je chante :
[Iwan]
(*) Maria Deutsch-Piscator
Le 15 mars 1932 Ivan Goll quitte
Berlin pour Paris
Paula passe la semaine de Pâques
(dimanche 27 mars) avec son fils à Salem/Bodensee et ensuite vraisemblablement
à Voralberg
lettre d'Ivan Goll Cologne à Paula Ludwig Berlin du 15
mars 1932 ImsL p.59/60
à
traduire depuis
la salle d'attente à ta table
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 17
mars 1932 ImsL p.61
à
traduire
carte postale d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 24
mars 1932 ImsL p.61
à
traduire
Le 24 mars 1932 Claire part en cure
à Saint-Jean de Luz, près de la frontière espagnole
lettre
de Claire train Paris-Biarritz à Ivan Goll à Berlin 24 mars 1932MST p.104/105
[Train de nuit
Paris-Biarritz]
[24
mars 1932]
Cher
toi, à l'instant encore, j'ai vu à la fenêtre ton pâle, triste visage. Et
maintenant, tu es poussière, déjà insaisissable, évanoui. Pourtant, je tiens
encore ta tête contre mon cœur.
Mais je ne puis presque pas le
faire, car je vois toujours cette tête couchée sur le sen d'une autre.Pourtant, comme je voudrais maintenant, te
voir planer dehors, dans le sombre ciel de la nuit, près de moi, souriant et
léger, encadré d'étoiles ! Pourquoi ne peut-on toujours être avec l'autre que
dans la solitude, dans la séparation ? Pourquoi le présent est-il toujours un
frein, pourquoi refroidit-il l'âme ? Dès que l'on voudrait aller l'un vers
l'autre le gel est là, des glaçons dans l'âme. Et tu n'aurais qu'à tendre la
main, à ouvrir les bras. Cela suffirait-il ? Oui, c'est justement cela. La
nuit, il est plus difficile d'avoir un sot orgueil. Quand un train roule, et
qu'un adieu brûle, ah ! comme on presse alors son amour contre soi ! Comme on sent
le temps perdu qui ne peut plus être rattrapé. La fugacité de tout crée alors
la même angoisse que si deux êtres, qui devraient n'en faire qu'un, étaient
dispersés dans des univers différents.Toi, mon petit garçon, moi une petite fille, pourquoi nous rendons-nous
mutuellement si pauvres ? Pourquoi, n'étais-tu pas là cet après-midi quand le
merle chantait, pourquoi ne voyages-tu pas à présent avec moi et l'étoilé ?
Le
train dit : "Jean-de-la-lune", "Jean-de-la-lune". La
légende de l'homme qui est dans la lune. La lune viendra bientôt et alors, je
te reverrai. Bonne nuit!
J'ai
vu se lever une grande lune d'or rouge, mais tu n'étais pas dedans. Elle était
encore tout contre la terre, et aplatie du bas comme une pièce d'or limée par
la rotation.
Le sommeil n'est pas venu, mais
le matin. Des pins avec leurs petits pots à résine contre leur tronc, des
camélias, des amandiers en fleurs et les "landes" infinies. Quel pays
digne d'amour, cette France !
Et
maintenant, je suis déjà au lit (9 heures du matin), j'ai pris un bain et je
regarde, par la fenêtre, le soleil et l'azur qui environnent le palais que ce
sont fait construire naguère Napoléon III et Eugénie.
Bientôt
viendront le "vin d'honneur" et le réveil dans la banalité.
J'ai
une grande surprise pour toi. Le directeur m'a confié cette nuit qu'en mai, il
y aura une nouvelle caravane vers l'Espagne jusqu'à Majorque, et que Claire et
Yvan en feront partie. Souris donc vite
Ta
Susu
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Salem/Bodensee
Vendredi-Saint 25 mars ImsL p.62/63
à
traduire
: parle de la Passion
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Salem/Bodensee
Samedi-Saint 26/3/1932 ImsL p.63/64
à
traduire
Ivan
qui t'aime
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Salem/Bodensee5 avril 1932 ImsL p.64/65
à
traduire
carte postale d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 14
avril 1932 ImsL p.65
à
traduire
…O je suis très inquiet.
I
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 19
avril 1932 ImsL p.65/66
à
traduire
Ton
Mignon
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 24
avril 1932 ImsL p.66/67/68/69
à
traduire
Mignon
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 1 Mai
1932 ImsL p. 70/71
à
traduire
Paula Ludwig Berlin à Ivan à Paris : très longue lettre du 3 mai 1932 IsmL p.71 à 75
à traduire****.
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 10 mai
1932 ImsL p.75 à 78
à
traduire
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 20 mai
1932 ImsL p. 78
à
traduire
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 26 mai
1932 ImsL p. 79/80/81
à
traduire
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 4 juin
1932 ImsL p. 81/82
à
traduire
carte postale d'Ivan GollNancy à Paula Ludwig Berlin10 juin 1932 ImsL p.82
à
traduire
Télégramme d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 22
juin 1932-11h50 ImsL p. 83
IMPOSSIBLE
AVANT LE 15 JUILLET
FURONCLE.
FINANCES
LETTRE
SUIT
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 22
juin 1932 ImsL p. 83/84/85
à
traduire
Paula Ludwig Berlin à Ivan à Paris : très longue lettre du 23 juin 1932 IsmL p.85/86
De toute mon âme
Paula
à
traduire
Paula Ludwig Berlin à Ivan à
Paris 24 juin 1932 ImsL p. 87/88
Fais que ce ne soit pas trop lourd pour moi
Paula
à traduire ***
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 28
juin 1932 ImsL p. 88 à 92
à
traduire
Paula Ludwig Berlinà Ivan
Goll Paris 29 juin 1932essentielle ImsL p. 92à 97
Et ainsi je demeure Ta
Paula
*** à traduire
Je t'aime
Ma prochaine adresse :
Ehrwald
Tyrol
Maison 321
Autriche
carte postale d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald5 juillet 1932 ImsL p.98
à
traduire
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald11 juillet 1932 ImsL p.98/99/100
à
traduire
au
départ d'Ivan, Claire Goll
trouve le petit mot habituel sous son duvet 18.07.1932MST p.105
ZOUZOU
Crois
en moi
Attends-moi
Je
t'aime
Yvan
Du 18 juillet
au 5 septembre, Yvan est chez Paula Ludwig à Ehrwald/Tyrol
à
vérifier
lettre
de Claire à Paris à Ivan Goll à Ehrwald 18/7/1932MST p.105/106
Paris 18 juillet 32
Sois là-bas, et non ici, et livre-toi au
bonheur.
Travaille et achève"l’Eurocoque".
J’attends et sais que lorsque cette
attente-ci sera terminée,
ces deux années seront mortes et nous
ressusciterons tous deux,
-enlacés comme jadis :
C laire
Iwan
Une seule chose, - même aux instants où
je perdais la tête et les
"cuisses" : jamais je n’ai
permis à un autre de te critiquer, jamais
je n’ai encouragé quelqu’un à le faire.
Je sais que Paula L., travaille
tant qu’elle peut, à détruire l’image de
moi que tu portes dans ton cœur.
Tu es mon mari, mon frère, mon ami.
C’est au dernier que je m’adresse, au
noble ami, afin qu’il me
Protège contre le premier, qui, par
instants, a soif de se venger.
Aux soirs de
notre passion, entre 1921 et 1928, quand je te
chantais les Lieder de Brahms, Schubert et Schumann, tu me
demandas,
les larmes aux yeux : " Promets-moi de ne jamais
chanter pour un autre".
Là-dessus, tu
juras solennellement de ne jamais jouer du Chopin
pour une autre.
J’ai tenu ma
parole à travers toutes les années. A vrai dire, je n’ai
pas non plus ton génie de virtuose. Je te libère de ton serment.
Mais
quelquefois, quand tu joues de la mandoline ou de la guitare,
Rappelle-toi que tu fus mon " Mandolinete ",mon " Mandolinschen "
Les
sons de mon âme t’appartiennent. Mes doigts ne sanglotent
Que pour
toi . Seule la mort délivre du " serment Chopin ".
Personne
ne sait que je joue de la mandoline .
Mandolinete
( Meiner Seele Töne : Les sons de mon âme est le titre choisi pour la
correspondance Claire/Yvan Goll )
Télégramme d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 23
juillet 1932-10h00 ImsL p. 100
ARRIVE
MARDI SOIR VIA MUNICH
IVAN
Télégramme d'Ivan Goll Munich à Paula Ludwig Ehrwald 26
juillet 1932-7h30 ImsL p. 101
ARRIVEEDEJAMIDI
IVAN
Yvan arrive le 26 juillet à midi et vit jusqu'au 5 septembre 1932
chez Paula à Ehrwald
à
vérifier
lettre
d'Ivan Goll Ehrwald à Claire à Paris du
4.8.1932MST p.106/107
Ehrwald, 4 août 32
Chère
petite Zouzou ,(Zuzulein)
Le
moment est aussi peu propice que possible aux brisements de
Cœur. Les médecins spécialistes disent que le mois d’août
ne s’y prête pas du
tout. Avril et mai ont été là pour ça, avec leurs petites
cruches lunaires remplies du
miel de la consolation. En août, on devrait voyager et
oublier. C’est le mois
" bête ". Sois donc sage , et vas bientôt à
Schall et à Challes .
Je t’ai fait
transmettre hier par la Schweizer Bankgesellschaft 500 Fr pour que
tu les portes immédiatement à la Perception, 6, rue
Poussin, en y joignant la feuille
bleue que je t’ai laissée. Tu auras à payer 509 Fr. :
9 Fr est le supplément pour les
frais qu’a causés, l’autre jour, la visite des deux
messieurs en noir . Et je serais en
grand souci, si cela arrivait encore, au cas où tu ne
porterais pas cette somme tout
de suite.
Il y a
eu, à la fin de la semaine dernière, trois jours éblouissants, pendant
lesquels j’ai fait de grandes excursions : à
l’Ehrwalder Alm, au Fernpass. Comme
c’était bon de se détendre encore une fois ! Mais
depuis lundi, il pleut sans arrêt :
peu importe, dans les montagnes, même la pluie est belle .
Entre
temps, les poèmes dont je t’ai parlé par lettre m’ont paru de plus en plus
Pâles . Je t’enverrai néanmoins l’un d’entre eux. Il faut
espérer que, d’ici à Paris, il
ne s’évanouira pas complètement .
Et
je te prends
Dans
mes bras en silence
Iwan
lettre
d'Ivan Goll Ehrwald à Claire à Paris du
24.8.1932MST p.107/108
Ehrwald, 24 . 8 . 32
mercredi
Chère
Zouzou,
Suite et
fin de ma lettre d’hier.
Nul ne
pourra m’empêcher de proclamer encore une fois , et toujours
à nouveau, que ton livre est d’une forme tout à fait
grandiose .
Deux résultats qui portent ton empreinte :
1) La
province enfin clouée au pilori, vue jusque dans le plus petit
détail, étudiée avec une patience divine . Quel
regard ! Quelle ouïe ! Jusqu’à
un demi-siècle, personne ne pourra le refaire mieux .
2) Un
meurtre de femme, éclairé jusque dans les mouvements les plus
secrets de l’âme, expliqué, excusé ! Vécu !
Souffert ! Payé ! Suzanne, que cette
meurtrière est belle, bonne, digne d’être aimée .
Quelles profondeurs de la destinée terrestre
sont sondées, découvertes par l’accomplissement obligé de cet acte !
Je sais ce livre au-dessus de tout ce qui
a été écrit en France, ces dernières
Années : au-dessus de Mauriac, qui est bien plus
pauvre, de Green, qui est bien plus
nerveux, et des autres, qui sont bien plus éparpillés .
Ton" Crime en province " est
émouvant, supérieur, sûr, plein d’âme, et surtout, plein
de toutes les souffrances du
monde et d’un cœur de femme . Parfois, en une seule
phrase, quelles lueurs projetées
dans les ténèbres de notre être. Dans un paragraphe,
quelle étreinte de la triste créature
avec la magnifique nature .
Je te
renvoie donc aujourd’hui les corrections. Mais cela me semble être les
premières "bonnes feuilles". Tu recevras
certainement encore la mise en page. Dans
cette multitude d’améliorations (qui, toutes, relèvent si
considérablement le style !) tu
devras t’assurer encore une fois que le type a tout
compris correctement. Et sais-tu
que ces corrections vont coûter terriblement cher, presque
plus que le texte lui-même ?
au moins 1.000 ou 1.500 Fr. Ton éditeur Burnand sera
furieux. Et s’il te retient ses frais,
il ne te restera rien du paiement convenu. En conséquence,
je réclamerais tout de suite le
paiement, sous un prétexte sentimental quelconque : voyage
à Plombières, etc.
Car il
faut que le livre paraisse dès maintenant . Burnand est complètement engagé.
Et quand ? Je vois peu de possibilités,
techniquement, pour qu’il paraisse avant le 25 septembre : encore des
bonnes feuilles, l’impression, le brochage … et cette date est
préférable pour toi.
Donc,
entre temps, tu iras à Plombières . Est-ce que ces quelques jours à Challes
suffisent vraiment ? Tu te maltraites. Mais ne perds pas de temps à Paris,
cette fois ! Repars vite.
Rosa a
des vacances magnifiques. Il est impossible que tu lui donnes de nouveau 400
Fr.le premier du mois, plus 250 Fr pour manger . Tâche d’arranger ça autrement
. C’est trop bête de gaver ainsi une esclave.
Et, avant
tout, pense à ta santé
Et
à ton
Iwan
Télégramme d'Ivan Goll PARIS à Paula Ludwig Ehrwald 6
Septembre 1932 - 11h03 ImsL p. 101
AIMEMETROUVEMEREMALADE
SUISMOI-MEMEMORTDET'AVOIRQUITTEE
IWANA
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald6 Septembre 1932 ImsL p.101/102
à
traduire
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald8 Septembre 1932 ImsL p.102/103
à
traduire
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald10 Septembre 1932 ImsL p.103/104
à
traduire
Paula LudwigEhrwaldà Ivan à Paris : du 13 SEPT 1932 IsmL p.104 à 106
***
à traduire
Paula LudwigEhrwaldà Ivan à Paris : longue lettre du 14 SEPT 1932 IsmL p.107/108
à
traduire
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald16 Septembre 1932 ImsL p.108 à110
à
traduire
Paula LudwigEhrwaldà Ivan à Parislettre du
17 septembre 1932 IsmL p.110/111
à
traduire
Le 19 septembreYvan et Claire vont à Majorque pour une
nouvelle cure de Claire et ils reviennent à Paris à la mi-octobre
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald19 Septembre 1932 ImsL p.112/113
à
traduire
Paula LudwigEhrwaldà Ivan à Parislettre du
21 septembre 191932 IsmL p.113 à 115
à
traduire
Carte Ivan Goll Palma de Majorque à Paula Ludwig Ehrwald22 Septembre 1932 ImsL p.115
à
traduiredonne
son adresse
Ivan Goll Palma de
Majorque à
Paula Ludwig Berlin27 Septembre 1932
ImsL p.116/117
Totalement totalement à toi
I
- Wana
***
à traduire
1
Je
veux parfumer l'aube comme l'anis
Pour
que ton cheval trouve plus vite
Le
sentier de ma solitude
Je
veux être plus faible que le nuage
Suspendu
au-dessus du volcan
Et
qui tombe au premier souffle du vent
Plus
douce que la pistache verte
Tes
dents aimeront me broyer
Me
mêler à ta chair
Palma de
Majorque 29 Sept. 1932
2
Cueille
: o toi qui les choyas
Les
deux oranges de mes seins
Tu
les as voulues lisses
Pour
plaire à tes paumes
Et
fraîches pour la soif nocturne
Ouvre-les
Dévore-les
Que
leur sang d'or
T'abreuve et te nourrisse
Palma de Majorque 30 Sept. 1932
Ivan Goll Palma de
Majorque à
Paula Ludwig Berlin5 octobre 1932
ImsL p.119/120
Je ne suis pas en Espagne, je suis en ton sang
ton
Wana
*** à traduire
Ivan Goll Palma de
Majorque à
Paula Ludwig Berlin6 octobre 1932
ImsL p.121/122
Je suis Ton Ta
Wana
à traduire
Télégramme Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin2 novembre 1932
ImsL p.134
SUIS 10 NOVEMBRE
DANS TES BRAS
WANA
Télégramme Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin10/11/1932 - 0h35
ImsL p.137
LUNDIMINUIT
TON
WANA
Le lundi 14 novembre, Yvan part pour Berlin. Il vit
chez Paula Ludwig jusqu'au lundi 26 décembre car il a l’excuse d’un rendez-vous
à Munich avec le Dr. Daniel Brody, Directeur de Rhein Verlag le lendemain de
Noël. Il rentrera à Paris pour le réveillon du Jour de l'an. Claire Goll vit à
Paris.
lettre
d'Ivan Goll Berlin à Claire à Paris du
15.11.1932MST p.107/108
Berlin,
15.11.1932
Aimée,
Depuis que je
sais quelle chaude flamme s’est remise à brûler à Auteuil, le Halensee me
paraît plus gris et plus froid qu’à mes séjours précédents. Je peux ddès
maintenant te révéler que tu as accompli un geste diplomatique et courageux,
lorsque tu m’as renvoyé.
Et si tu
supportes jusqu’au bout cette vraie solitude avec un calme boudhique, la
victoire nous sera certainement assurée à tous deux.
Je te remercie
aujourd’hui pour tout, et suis, à toutes les heures, près de toi.
Iwan
lettre
de Claire à Paris à Ivan Goll à Berlin novembre 1932MST p.109
Paris
Novembre
Mon tout doux,
Sauve
toi, je suis très touchée par le petit cheval, notre nouveau Pégase si fragile.Il est à espérer que ton œuvre s’achève ..
Sois
aussi heureux que tu le pourras.
En
grande tendresse
Sousou
lettre
de Claire à Paris à Ivan Goll à Berlin 4 décembre 1932MST p.109
4 déc. 32
Bien-aimé,
Je
suis très effrayée. S’il te plaît, rassure-moi de suite, car tu ne sembles pas
tout me dire. Tu n’es pas sérieusement malade ? Quel est le médecin qui te
soigne ? Consulte tout de suite un spécialiste éminent, car ils ont un
diagnostic plus sûr pour les maladies internes.
L’argent, ça n’entre pas en
ligne de compte ! Accepte de moi ce qu’il faut dans ce cas . S’il te
plaît, envoie-moi un télégramme, je suis toute malheureuse et inquiète. Est-ce
le cœur ? est-ce une maladie du sang ? Les globules blancs
mangent-ils les rouges ? C’est peut-être à cause de cela que tu ne
m’aimes plus. Chéri, je te serre sur mon cœur, dis-moi la vérité ! Va tout
de suite voir un spécialiste, demande le nom d’un très grand médecin au Dr Hans
Kleinmann, à la Charité.
Ta
Zouzou
Nous avons connu Kleinmann à
Malcesine, dans la pension Geyer, te rappelles-tu ?
lettre
de Claire à Paris à Ivan Goll à Berlin décembre 1932MST p.111
Parisdéc. 32
Chéri,
Il
me sera difficile de te répondre. Ta lettre m’a fait mal. Oui, je m’étais
beaucoup réjouie de te revoir. La dernière phrase de ton écriture agitée
parle-t-elle de la joie que tu en auras aussi ? Je veux essayer de le
croire .
Trois
jours ? et je dois en faire cadeau ? comme si tu n’étais pas libre de
faire ce que tu veux. Seulement, il était indélicat de renier les 15 années
écoulées pour justifier un manquement à ta parole. Dans ces 15 années, il y a
eu autre chose que "le fait d’aller nous coucher à neuf heures".
Et
n’y avait-il pas, auparavant, des possibilités de faire cette connaissance plus
intimen puisque Rowolt est l’amant de l’amie de Paula ? . . .
Méfie-toi
du médecin allemand.
Hormones,
hypophyse . . . je ne connais ça que trop bien, par Strohmann. Pense à lui et à
Meyer-Hermann, il y a un charlatan en tout médecin allemand.
Sois
heureux, car tu peux bien l’être, puisque tu es aimé.
Zouzou
lettre
de Claire à Paris à Ivan Goll à Berlin lundi 26 décembre 1932MST p.110/111***
Lundi
Iwan, l’as-tu senti que, ces nuits-ci, je criais. Mais ta
lettre express est tout de même arrivée trop tard. Tu peux l’interpréter comme
tu veux, aimé, - que tu passes ces jours de Noël là-bas, cela me fait plus
mal que le reste des 6 semaines. Que m’importe le Mingpferd.
Cet enfant est broyé par
son mauvais guide .
Que dois-je entreprendre à présent, je souffre tant Je
n’ai pas voulu voir I., bien que je connaisse son adresse depuis longtemps, et
bien qu’il m’ait écrit. J’ai échappé à tout le reste, mais tu étires la durée
de notre séparation, faut-il donc que je continue à ne rien pouvoir faire de
moi ?
Depuis longtemps, nous ne sommes plus quittes. Ceux qui
ont pris ton parti, ceux qui ont entendu nos accusations réciproques, comme
Lucie et Renée (*), te proclament plus que coupable.
Et veux-tu faire semblant de ne pas avoir eu 4 semaines
disponibles, et de ne pas avoir encore largement le temps de faire une
excursion de 3 jours à Munich. Parce que tu n’as pas l’argent du voyage.
Ci-joint un papier de la Deutsche Bank qui prouve le contraire. A cause de la
" mitraillade de Kiepenheuer et de Rohwolt". Mais Kiepenheuer t’a
décommandé, d’après ce que tu m’as écrit la dernière fois, et Rohwolt doit être
conquis par une fête. La même fête où tu te montres publiquement comme mari de
P. L.
Pendant qu’ici, avant-hier, chez Monsieur et Madame
Pabst, je me battais pour t’obtenir une situation artistique : je
l’obtiendrai très probablement. Je n’ai pas soufflé mot de moi-même, comme tu
le crois toujours. J’ai fait là-bas la connaissance de Mittler, et rencontré
Leonhard. On me pose toujours des questions au sujet de mon mari. Comme si j’en
avais encore un !
Parlons maintenant de ta maladie. Tu la partages avec
Hélène Eliat. Elle aussi, elle a été traitée à Berlin par les plus grands
spécialistes des glandes, à cause d’une faiblesse de l’hypophyse.
On
lui a injecté de l’extrait d’hypophyse et des hormones. Elle a supporté
extrêmement mal l’un et l’autre. Là-dessus, elle a reçu un médicament, dont
elle m’a donné aussi, car "tous les gens doués souffrent plus ou moins de
déficiences de ladite glande", a dit le spécialiste. A moi, ce remède n’a
fait aucun bien. Elle, dès qu’elle a cessé de la prendre, elle a eu des
insomnies. A présent, il la traite avec des fortifiants de l’état général.
Elle m’a dit : la question des glandes est bien loin d’être éclaircie, et
l’on se sert des gens comme cobaye. En outre, se faire soigner les glandes est
devenu une mode.
Scherl
a refusé mon roman depuis longtemps : je n’ai plus besoin de Monsieur Distler.
J'ai de l'affection pour toi, beaucoup
d'affection. Je n'ai jamais cessé de t'aimer, même à l'époque du plus violent
égarement. Dieu
seul sait combien je me suis torturée dans ces années-là. Rappelle-toi donc un
concert de l’an dernier. I était assis derrière nous (Salle Pleyel). Je me suis
penchée vers toi et j’ai murmuré : "Mais je n’aime que toi"
Quand pourrai-je jamais supporter, à
nouveau, la musique ?Tous les violons sautent et les archets sont
surtendus. Mais je crois au dieu juste des juifs, et il doit comprendre que,
s'il y a "œil pour œil", il n'y a pas "deux yeux pour un
œil", deux yeux qui s'usent à pleurer, nuit après nuit, tandis que l'autre
rit et célèbre des fêtes.
Zouzou
(*) Madame
Philippe Soupault
1933
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 6
janvier 1933 ImsL p.147/148
Chère Palu
ton
petit W
à
traduire
La Voss [3] m'apporte
beaucoup, beaucoup de joie. Beaucoup de joie parce qu'elle t'en apporte autant
à toi, tout autant que les heures saintes que nous appréhendons pour notre
destin. La tête de Méduse devait consacrer ta puissance. Mais la fleur d'or de
ce jour qui arrive, j'espère, ne se flétrit pas et doit t'apporter un bonheur
tendre dans une année nouvelle de travail et de recueillement
Wana
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 11
janvier 1933 ImsL p.149/150
à
traduiremercredi
soir11.1.33
WANA
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 12
janvier 1933 ImsL p.149/150
à
traduirejeudi
matin12.1.33
carte
postale d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 20 janvier 1933 ImsL p. 152
à traduire
Paula Ludwig Berlin à Ivan à Paris : longue lettre du 21 janvier 1933 IsmL p. 152/153/154
21.1.33
[Berlin]
Mon petit Wana, Palu a fait un
long somme. Sa tête plongeait dans la mousse des forêts de la mélancolie.
Elle
raconte son rêve) à traduire
Et à
cet instant, un ami, (un ami naturellement) me montre un magazine. La photo
d'un couple d'écrivains et m'interroge : "Le sais-tu ? Mais je n'arrivais
pas à reconnaître. La détresse ralentit mon cœur
à traduire
Une
toile d'araïgnée était suspendue à ton cher visage et au premier plan, il y
avait une esquisse qui me faisait peur […] Le fait que pendant 15 ans, tu as
vécu à côté d'une femme dont émane une telle froideur assassine […] Mais où est
le grand, le remarquable Yvan, élargissantant ma nuit, comme un démon. L'esprit
auquel mon livre fait allusion, la personnalité qui surpasse toutes les
personnes de ma vie […] Explique toi à moi, explique toi, avant que le gel ne
touche toutes les fleurs de notre foi. Combien de morts as-tu encore en réserve,
qui doivent émaner sans cesse comme des fantômes et qui obligent mon âme à
quelque chose d'incompréhensible, à la solution d'énigmes que je ne peux pas
toucher de mes mains. Est-ce que toute ma capacité de résistance ne m'a servi à
rien, le fait d'ignorer cette existence - de sorte que maintenant, en me
tournant vers le monde objectif, revenant en arrière, je dois reconnaître que
mon propre territoire est en grande difficulté. Ce territoire qui semblait
destiné à être un Paradis, est blanchi par l'hiver. » (IG /PL, p.153/154)
manque
la fin de la lettre
à
traduire
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 27
janvier 1933 ImsL p.154/155/156
Paris
27.1.33
Chère petite Paula
Depuis ma dernière carte bleue,
j'ai attrapé une mauvaise grippe.
à traduire
carte postale d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 20
janvier 1933 ImsL p. 156
2.2.33
Mais Palu,
à
traduire
Lettre d'Ivan Goll à Georges Hugnet
Paris, 1er
février 1933
Hans Arp est en ce moment chez moi et me dit que vous
êtes prêt à me donner un manuscrit pour la collection de poèmes que je prépare.
Je m'en réjouis beaucoup et vous prie de me l'envoyer aussitôt que possible,
car tous les autres sont déjà sous presse.
Bien amicalement
Votre Ivan Goll
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 2
février 1933 ImsL p. 157/158
Paris
2.2.33
Chère Palu
Je
à traduire
carte postale d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 3
février 1933 ImsL p. 158
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 6
février 1933 ImsL p. 158/159
Paris 6..2.33
Chère petite Paula
à
traduire
Feuillet trouvé sous mon édredon (Claire Goll)
9.
2. 33
Beaucoup d'amour pour toi
est dans cette maison
et dans mon coeur.
Ivan
lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 11
février 1933 ImsL p. 160/161
Paris 11 février 33
Ma chère petite Paula
à
traduire
Lettre d'Ivan Goll à Claire
Nice, 12 .
2.33
Chère Suzulein,
Ce vendredi matin,
rien d'autre au courrier que ton télégramme, qui m'attriste, car je t'avais
écrit mardi une longue lettre et cela me peine qu'elle soit restée si longtemps
en route. Tu l'as sûrement reçue à présent.
Hier, ta lettre a coloré toute ma journée : en bleu, bien
qu'elle vienne des contrées pluvieuses, tandis que, comme tous les fats, je
montrais mon beau costume sur la promenade des anglais. Ici, l'atmosphère est
de plus en plus désagréable. Et de plus, il fait très froid et très humide le
soir et le matin, en sorte que beaucoup de personnes sont enrhumées. Je ne
regrette plus autant ton départ.
En outre, le soleil m'ess complètement assombri par le
bavardage qui m'entoure . Jamais encore que je ne me suis noyé spirituellement
et intérieurement dans une telle grisaille, un tel néant. Impossible de penser,
ne fût-ce qu'une seule idée. "Qu'allons-nous manger ?" "mais combien
cela coûtera-t-il ?". De désespoir, j'ai fumé comme une cheminée, toute la
semaine, et finalement je me suis senti tout à fait mal. Je me laissais aller,
ne faisais pas de culture physique, ne lisais pas, - mais hier matin, je me
suis réveillé avec un tel sentiment de dégoût que j'ai pris soudainement une
grande résolution ! Réellement, dois-je déjà devenir un vieillard à cheveux
gris ?
Je mangeai 1 kg d'oranges et décidai de "ne plus
fumer". Aujourd'hui, ça va déjà mieux. Dis à Kurt Wolff que je le remercie
de sa lettre et que je verse aujourd'hui 500 francs à la banque Barclay. À quel
prix compte-t-il la pension ?
À part ça, aucun autre courrier que l'invitation
d'Eliott. Écris-leur une petite carte. Et salue tous les (Wölfe)
"loups"
de
la part de ton agneau
Ivan
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald20 février 1933
ImsL p.161
Paris 20 février 33
Palu
Manyana
à
traduire
*
Le poivre rouge crie
Il ne peut plus taire son désir
Le buisson de vanille
Est un nuage de volupté
Une tempête de cannelle envahit le monde
L'arbre de pluie
M'a jeté sa première larme
Paris 22.2.33
[CHANSONSMALAISES1935 (9)II/184]
Paula LudwigEhrwaldà Ivan à Parislettre du
29.2.1933 (????) IsmL p.163 à 165
à
traduire ****
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald3 mars 1933 ImsL
p.167/168
Paris 3.3.33
O Palu
A la 3 ème heure du 3 ème jour du
3 ème mois de l'année 33, je recevais tes 3 lettres
elles sentaient ton haleine, ta
révolte, ta grâce et se mettaient à trembler de ta colère, mais à cette heure,
comme tu le désire, je lève trois doigts et je jure :
Jamais je n'étais autant toi
qu'aujourd'hui, totalement ton outil,totalement ton œuvre !
J'écrivais ces lettres dans une
extase riche en malheur..
vérifier
ma traduction et traduire la suite
Manyana
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald15 mars 1933 ImsL
p.170
Ides de mars 33
Von schwarz und weissen Federn
Palu ist deine Krone
Federn trugen des Vogels Gesang
Federn trugen sein
bleierner Sarg
Von Schwarz der fragende
Nächte
Von Weiss der wissenden
Tage
Sei deine Herrschaft
Prinz der Welt
II/188
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald17 mars 1933 ImsL p.170/171/172
Paris 17.3.33
Ma chère Palu
Ton
I.
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald17 mars 1933 ImsL
p.172/173
17.3 [1933]
[Paris]
Je serais coupable si je ne te donnais pas encore
maintenant beaucoup de réponses:
Rien de nouveau, encore jusqu'à présent pour mon
"Lucifer vieillissant". A cause des circonstances en Allemagne. Je ne
me risque pas davantage de demander à Kiepenheuer et Rhein-Verlag.Et eux, ne prennent pas le risque de
répondre. Entre temps, de mon côté, je travaille encore. J'ai résoluintégralement la partie du milieu : toutes
les histoires de femmes qui te
vérifier
ma traduction et traduire la suite
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald27 mars 1933 ImsL
p.173/174/175/176
Paris 27 mars 33
O Palu
traduire
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald29 mars 1933 ImsL
p.173/174/175/176
Paris 29 mars 33
Chère Palu
traduire
carte postale d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald[mars/avril 1933]
ImsL p. 177
Chère Paula : vient d'arriver de
Garmisch splendide livre avec les oeuvres d'art de. Prends ici en attendant un
triple merci et salut pour tout 321.
I.
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald12 avril 1933 ImsL
p.178/179
Chère Palu
traduire
Paula LudwigEhrwaldà Ivan à Parislettre du
18 avril 1933IsmL p.179/180/181
mardi
de Pâques 33
Ma main est encore chaude de la
dernière chaleur du petit oiseau qui mourait ce matin dans ma main.
à traduire **** la fin de la lettre manque
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald24 avril 1933 ImsL
p.181/182
Ma Palu
traduire
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald10 mai 1933 ImsL
p.182/183
Chère Palu
traduire
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald18 mai 1933 ImsL
p.184/185/186
Chère Palu
traduire
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald31 mai 1933 ImsL
p.186 à 189
Chère Palu
traduire
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald14 juin 1933 ImsL
p.189 à 192
Chère Palu
traduire
de la
mi-juin au 11 juillet, Paula est à Berlin. Du 12 juillet au 5 août, elle vient
voir Yvan à Paris avant de repartir à Berlin
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin6 juillet 1933
ImsL p.192/193
Chère Palu
traduire
S'il te plaît, écris-moi
immédiatement
Et salue Berlin - non !
Mais Nina
et Gisèle et les amis d'autrefois
Ton
I
Claire part en cure à Plombières du 10
juillet au 8 août, date où elle se rend à Haybes-sur-Meuse au Château de
Moraypré
lettre
de Claire à Plombières à Ivan Goll à Paris 10 juillet 1933MST
p.112/113
Bien-aimé,
Voici que nous sommes
séparés depuis dix minutes et et j'en ai passé neuf à sangloter comme une
orpheline. Blottie derrière le fourgon à bagages, je te voyais t'envoler et te
métamorphoser de mille manières avec le paysage. Oui, voler comme un ange
gardien, avec de petits flacons de parfum, du jambon et du fromage, chargé de
valises, transpirant et toussant. Si seulement les anges gardiens ne prenaient
pas froid à faire tout cela ! Mais je pense qu'un autre ange gardien te
protégera aussi. En tout cas, je t'embrasse pour tous ces dons d'amour - et ces
gestes d'amour, je te baise les mains avec ferveur, encore une fois, ces chères
bonnes mains qui ont eu tellement chaud pour moi.
Maintenant, il y a tant de roses épanouies en pleine
splendeur, dans les petits jardins des vilains pavillon, qu'ils anoblissent la
banlieue. De même que tu m'as donné - en flacon - tous les muguets de
Chantilly, je voudrais t'envoyer dans ta petite chambre des roses sauvages,
pressés avec mon coeur. Jamais on ne s'aime assez. Par fierté, par timidité, on
reste toujours tellement le débiteur de l'autre, et on en souffre.
Et les
sanglots montent et descendent dans la gorge, comme dans un thermomètre, selon
qu'on pense plus chaleureusement ou plus froidement, et selon les rafales du
"foehn" de l'adieu.
Mais à
présent, le train me secoue si terriblement que je ne peux plus rien écrire,
mais seulement sentir. Sens tout, toi, ce que je ne peux pas dire, mon doux
petit grand garçon, que je prends dans mes bras avec tendresse et prudence. .
Ta Zouzou
Plombières-les-Bains, Grand Hôtel, neuf heures du soir
Chéri, me voici assise
pour dîner, après avoir, depuis six heures, couru partout pour trouver une
chambre. Pense donc, je suis même grimpée jusqu'à l'Hôtel des Rosiers, et j'ai
regardé, le coeur saignant, notre fenêtre d'autrefois. Ah ! tout était complet.
Et en bas, c'est affreux et ça coûte toujours 45 ou 50 francs. Mais à présent,
je suis dans le plus bel Hôtel de Plombières, et je mange une brioche divine et
des fruits paradisiaques sur de la glace, et "avec ça", une pleine
assiettée de cette pâtisserie "maison", qui représente pour moi la félicité,
et l'orpheline se croit dans un rêve ou dans un film. Il y a même un Pope
roumain, avec une lourde chaîne d'or, un haut bonnet, une soutane neuve
flottante doublée de violet. Et j'ai une chambre qui est la plus belle de la
dépendance de l'hôtel, sur la colline boisée de pins. Rien ne manque, que toi.
Étant donné que cet un vrai " Hôtel à 4 étoiles" doublement souligné,
et grâce à lettre de "l'Intran", j'ai obtenu que le prix soit abaissé
à 50 francs par jour. C'est beaucoup pour nous et peu pour ce palace. Mais
quand tu seras ici, ce sera moins cher, puisque tu dormiras avec moi dans mon
grand lit. Ah ! Si tu pouvais bientôt partager avec moi ma nourriture, mon lit,
et mon coeur !
Ta
Zouzou
lettre
de Claire à Plombières à Ivan Goll à Paris 11 juillet 1933MST
p.113/114
Plombières-les-Bains,
Mardi après-midi
Peut
coeur, je ne trouve toujours pas pourquoi le bon Dieu est triste. Mais c'est
que je suis si fatiguée. Le "Stieffel" qui dirige ma cure
(collaborateur de Geiger chez Bensaude et à Saint Antoine) m'a prescrit un bon
traitement.
Mais les bains coûtent cher, ici. J'ai payé aujourd'hui
30 francs à la caisse et c'est ce que j'aurais dû payer tous les jours, si
l'administrateur, un-ex collègue (journaliste) ne m'avait fait obtenir la réduction
énorme et extrêmement rare de 50 %, ce que n'espéraient pas mon médecin et mon
hôtelier, qui disaient que mes demandes de réduction serait assez vaines, parce
que Plombières appartient à l'État. Il n'empêche que la carte d'entrée pour les
Thermes et les Sources coûtent, chaque fois 25 francs, le cataplasme 15 francs
et un médicament qu'on m'a prescrit 25 francs, si bien que je tremble pour ma
fortune. Mais je me réjouis que les 300 francs économisés compensent la cherté
relative de l'hôtel.
J'espère recevoir demain une lettre de toi, contenant un
bulletin "tout à fait en bonne santé".
Je rêve
que tu viendras et que je t'aimerai au son de la harpe et des chants d'oiseaux.
Car une dame a apporté sa harpe, en-dessous de moi, dans la petite villa, sur
la colline où j'habite, et c'est le plus joli bruit qu'on puisse imaginer, un
bruit enfin qui n'est pas négatif, mais positif.
Je suis
un peu préoccupée à ton sujet, mince visage de petit garçon, manges-tu bien,
dors-tu bien, te ménages-tu un peu, pour ne pas retomber dans cet état de
faiblesse d'il y a deux ans ? Si seulement on pouvait déjà se voir à distance !
Merci de
m'avoir renvoyée ici et sens mes lèvres longtemps, longtemps, sur ta main.
Ta
Zouzou
lettre
d'Ivan Goll Paris à Claire à Plombières du 12
juillet 1933MST p.114/115
Paris, 12
juillet 1933
Chère Zouzou,
Comme je
me réjouis que tu sois bien logés et que tu aies eu le courage d'aller au Grand
Hôtel : truites, pâtisseries au beurre, harpistes, popes roumains, bois de
sapins : si tout cela ne console pas l'orpheline ! Si tout cela n'inspire pas,
pour le moins, à la poétesse devenue muette, quelques pages de journal intime -
ou des lettres, où elle raconterait un peu plus d'elle-même.
Ta cure
sera, il est vrai, fatigante, mais tu seras spirituellement libérée et cesseras
d'être lasse, et je me promets d'avoir avec toi des jours de travail actif !
Ton petit visage d'orpheline et ton âme en deuil devraient reprendre des forces
dans la paix consciente et reposée de ce paysage vosgien. Oui ?
En ce
qui me concerne, tout va bien de nouveau. La grippe est déjà oubliée. Mais je
dors beaucoup, car je me sens encore très fatigué.
Hier, Mihalovici est
venu me voir, il a été ravi de la "Genèse", et il a trouvé très juste
que le bon Dieu soit triste. Il a promis de mettre cela en musique avant son
départ.
La pomme mûre est
revenue, rôtie, de Belgique. Elle trouve Coq-sur-Mer très beau et bon marché.
Einstein relativement gentil. Il aimera peut-être aller aussi là-bas, plus
tard. Mais, pour l'instant, il ne peut pas en être question, car il doit faire
des études préliminaires à la bibliothèque de Vincennes, pendant 2 ou 3
semaines. En même temps, il me dicte, le soir, les prémices de ce qu'il a
récolté dans les journaux. Hier soir j'ai été à la N R F et j'ai porté à Malraux la table des matières
et l'anthologie des écrivains "brûlés", 25 grands noms, qui ont fait
bonne impression sur lui (et aussi sur moi). Peut-être cela réussira-t-il tout
de même, et là aussi, il rentrera peut-être un peu d'argent.
D'ailleurs, Malraux a
été spécialement gentil.
J'ai vu aussi Guéguen. Il viendra, un de ces après-midi,
sur notre balcon. Nous politiserons alors ensemble. Edwige a bien lavé, hier.
Demain elle repassera. Elle vient tous les 2 jours.
Je t'envoie 2 livres. Nemikowski et Döblin : Alexanderplatz.
Pour le dernier, tu pourrais envoyer à Clara Malraux une gentille carte
postale.
J'espère que ces
livres t’inspireront pour ton travail.
Ci-joint 3 lettres :. tu peux prier la Société
Générale, par lettre, de t'envoyer l'argent à Plombières par la Poste.
Avec ces mains que tu
as baisées
je te bénis
Ivan
lettre
de Claire à Plombières à Ivan Goll à Paris 14 juillet 1933MST p.116
Le Grand Hôtel
(ex Napoléon)
Plombières Vosges 14
juillet
Jour national de pluie
Sois
rassuré, chéri, au sujet de ton bulletin de santé.
La "Création" est une
oeuvre ravissante et Mihalovici pourrait composer là-dessus des choses
merveilleuses. Oui, mais le peut-il ?
Encore
quelques-uns de ces nouveaux poèmes et tu auras un volume, qui te rapportera
beaucoup d'amour. Quelque chose de" gollien ", et non les boutons de la 7e " Hose"
(°).
Comme
c'est gentil de m'avoir envoyé ces livres ! Je t'en suis très reconnaissante.
Journal
intime ! Imagine-toi que mon serveur (garçon) écrit, lui aussi, un journal
intime, et un chevalier d'industrie italien m'a raconté qu'il a écrit un roman
sur sa fille. Bientôt, les gens "bien" n'écriront plus rien. Par
ailleurs, je suis tellement fatiguée par la cure que je tombe comme du plomb,
le matin et l'après-midi, sur mon lit. Hier, j'avais même de la fièvre et j'ai
passé une nuit agitée, asthmatique.
Il
pleut beaucoup. Mais je suis tout aussi triste quand le soleil brille. Ma
meilleure compagnie, ce sont quelques hautes onagres jaunes, des cerisiers
sauvages et des buissons de roses. Tout cela pousse non loin de l'hôtel, en
dehors du village, sur une colline vosgienne très authentique.
La
harpiste - une déception. Une dame hautaine qui ne sait jouer que quelques
gammes. Mais celles-ci sonnent sur cet instrument avec une beauté supra
terrestre. Et cette harpe se dresse là comme monument, grande, majestueuse.
Malheureusement,
trois enfants ont emménagé hier et ils s’ébattent bruyamment dans le jardin,
sous ma fenêtre. Peut-être m'enfuirai-je ailleurs. Pour me sentir libre et ne
pas être liée à cet hôtel, je voudrais te demander de m'envoyer par la poste
600 francs.
Cela fera lundi sept jours à 60
francs, plus de 10 % de service.
Si
seulement tu mangeais bien ! Quand je pense à toi, il arrive que je ne puisse
plus avaler mes repas.
Si tu
étais ici et si nous faisions notre cuisine ! Il y a beaucoup de jolies
chambres avec des cuisines, comme ce serait bon marché ! Mais tu n'es pas ici.
En revanche je suis en pensée près de toi
Ta Zouzou
Puis-je te demander encore deux
choses : m'envoyez 2 blocs de Goy-Laffitte et un numéro de l'Intran :
"J'ai mendié", la première partie. Cela se trouve dans le secrétaire
Biedermeier, quand on lève le pupitre à glissière. Merci.
(°) Jeu de mot
intraduisible : Une plaquette de vers d’Ivan Goll s’intitulait « Die
siebente Rose » ( la septième Rose) Hose (pantalon) rime avec Rose
lettre
de Claire à Plombières à Ivan Goll à Paris 15 juillet 1933MST p.117
Le Grand Hôtel
(ex Napoléon)
Plombières
Vosges
Samedi 15 juillet 33
8 heures du soir
Chéri,
Tout
à l'heure j'ai passé une heure avec toi, dehors, avec les molènes. J'étais
assise là, recueillie devant la vallée et je pleurais, songeant que moi, petite
chose, il m'était permis de ressentir tout cela : le ciel rose du soir et les
hirondelles, les cerisiers sauvages et les buisson de roses, les pavots de
toutes les couleurs, mêlés aux orties passionnées. Mais surtout, par dessus la
colline et les sapins bleus, notre chambre avec l'amour d'autrefois,
impérissable. Oh ! comme je t'aimais dans tout cela, rétrospectivement et
par anticipation. Tellement une avec toi et avec Dieu. Une fois encore. Il m'a
tendu la main, à nouveau, après tant de temps.
Et
c'est pourquoi je te raconte tout de suite, car tu es Son poète.
Laisse
et les soucis et les Clauzel. ! A eux appartiennent le temps et le loyer
mais à nousl’éternité sans limites.
Ta Zouzou
lettre
de Claire à Plombières à Ivan Goll à Paris 16 juillet 1933MST
p.117/118/119
Le Grand Hôtel
(ex Napoléon)
Plombières Vosges
167. 33
dimanche matin
Chéri,
reçu tout à l'heure ta lettre. Je me réjouis beaucoup de te revoir. On dira à
tes parents qu’on me fait ici un prix spécial comme journaliste, parce que j'ai
promis d'écrire sur Plombières dans l’Intran (40 francs par exemple) mais que
eux ne peuvent profiter de ces conditions de faveur ; aussi vais-je leur
chercher une chambre dans un autre hôtel. Tu pourras dormir avec moi
gratuitement, je pense ; éventuellement, je prendrai mes repas avec vous et je
ferai déduire ici mes repas. J'en parlerai plus tard au directeur.
Je ne
pourrais déménager qu’après avoir reçu les fonds etje ne saurais où aller. Je t'avais parlé
d'une chambre dans l'autre hôtel mais entre-temps, elle a été occupée, et
d'ailleurs, je n'aurais pas beaucoup aimé aller là-bas. Un silence complet
s'est refait aux alentours de ma chambre. Les enfants sont logés dans une autre
aile de la villa et ils jouent dans le jardinet de l'autre façade.
Mais
la plus grande objection que j'aià
faire à un changement, c'est la situation idéale de cette villa. En face des
Thermes. Après la cure terriblement fatigante, je n'ai qu'à monter un escalier
et qu'à me jeter sur mon lit. Dans l'état d'épuisement où je suis
momentanément, c'est un avantage que tu ne peux pas te représenter.
Faire
mes malles et déménager, cela m'enlèverait une partie du bénéfice de la cure,
il est maintenant trop tard pour cela. Simplement, nous tiendrons tes parents
éloignés du Grand Hôtel, c'est la meilleure solution. De plus, le mieux sera
que je ne mange qu'à midi avec vous, et que j'aille prendre le dîner au Grand
Hôtel à neuf heures du soir. Ici on mange très tard, tandis que les autres
hôtels servent à 7 heures. Je pourrai donc être avec vous tous les après-midi,
jusqu'à neuf heures, et cela suffit.
Ils pourront voir ma chambre et
s'y tenir tout le temps ; elle est démodée et sans aucun luxe, et ils croiront
facilement que c'est une chambre bon marché.
Ce
n'est pas le luxe et qui m’importe, c'est la tranquillité. Si j'avais, les
premiers jours trouvé une chambre d’angle comme celle ici, à l'étage supérieur,
ailleurs,je m'y serais
certainement transportée pour économiser de l'argent. Mais c'était toujours de
telles chambres que je savais, d'avance n’y pouvoir rester trois jours.
Écris-moi
combien devra coûter la chambre pour les tiens, avec la pension, et
combien de jours ils resteront
Je
partage, chéri, beaucoup plus que tu ne crois, tes soucis d’eau et de gaz, y
compris l’eau minérale de la cure. Car sous ce rapport j'ai le sang encore plus
lourd que toi, et je me fais vraiment des cheveux gris : ce n'est pas une façon
de parler.
Adieu,
et bien que je te cause tous ces tracas, aime-moi un peu
Ta
Zouzou
Le docteur Stieffel, un
assistant de Bensaude (comme Geiger) est remarquable. Il change ma cure tous
les quatre ou cinq jours pour ne pas me fatiguer exagérément, étant donné que
je fais Luxeuil en même temps que Plombières mais l'eau contient beaucoup de
radium, ce qui cause cette faiblesse.
2h½
de l'après-midi.
Chéri, après un déjeuner
paradisiaque, avec poulet et tarte aux fruits "maison". (le garçon
qui me sert m'en donne toujours une double portion : c’est un sentimental,
qui écrit son journal), - j'en reviens, encore une fois, à cette affaire de
visite. Ce matin encore, j'ai consciencieusement cherché partout une chambre.
Mais vainement. Je reste donc, avec d'autant plus de joie, dans la mienne. J'ai
également parlé, tout à l’heure, avec le propriétaire. Tu pourras dormir
gratuitement dans mon lit et manger où tu voudras. Pour tes parents, il y a de
bonnes chambres avec pension à 40 francs dans les autres hôtels. Cela va-t-il ?
Moins cher, il n'y a rien de convenable. En outre, l'hôtelier me fera très
volontiers un double fictif de ma facture, pour que tes parents voient que je
paie, moi aussi, 40 francs.
carte de Claire à Plombières à Ivan Goll à Paris 18 juillet 1933MST p.119
Plombières-les-Bains,
18,7,1933
Chéri,
Je suis triste. Tu ne m'as pas écrit hier, aussi n'ai-je
rien reçu aujourd'hui. Tu m'as oublié aussi bien que la petite plante pendante
sur notre balcon. Je me suis réveillée, ce matin, avec une grande angoisse pour
elle.
Maintenant, c'est l'heure des onagres. Quel beau soir et
comme je souhaite que tu puisses t'adonner au paysage et à l’airavec ta sauvagerie si particulière.
Je t'aime beaucoup. J'espère que tu ne me seras pas, de
nouveau, complètement volé.
Ta
Zouzou
Surtout par, encore une fois, par la femme de
Saint-Exupéry !
lettre
de Claire à Plombières à Ivan Goll à Paris 20 juillet 1933MST
p.119/120
jeudi matin
Chéri,
"Belle", ma lettre ? Ne
s'agit-il pas plutôt de sa chaleur ? Je veux t'approcher de près, mais non
faire de la littérature. Mais tu restes lointain ; à peine un écho me
parvient-il ; je ne veux donc plus insister sur mes sentiments.
Il fait
maintenant un temps merveilleux, quelle misère que Paris te retienne. Pour l'an
prochain, j'ai trouvé une solitude paradisiaquepour nous dans ma ferme : on entre dans "l'appartement" par la
grange à foin. Un peu notre "Zabern" d'autrefois, notre idylle
alsacienne. Coût : zéro
L'argent, demander de
l'argent, c'est ma plus grande de torture.
Si l'arrivée de tes
parents n'étaient pas à l'horizon des Vosges, je serais partie et rentrée,
hier, avec l'argent, et nous n'aurions plus ce souci. Quand il est arrivé,
j'avais déjà pris mon billet de bain aux Thermes, à crédit. Il me reste donc
100 francs sur les 600, j'espère m’en tirer avec cela jusqu'à la semaine
prochaine. Si seulement je n'étais pas obligée de laisser 30 francs à la caisse
de tous les deux jours !
Cet idiot de médecin
qui me prescrit des médicaments que je n'achète d'ailleurs pas. Si je gagnais
quelque chose ! Je travaille bien, mais à quoi cela sert-il, pour le moment ?
Ah ! Il y en a tant
qui sont plus malheureux que nous. Soyons reconnaissants et baisons les pieds
de Dieu.
En
amour
Ta
Zouzou, qui se réjouit de te revoir.
(Que devient ton travail ?)
lettre
de Claire à Plombières à Ivan Goll à Paris 21 juillet 1933MST
p.120/121
Le Grand Hôtel
(ex Napoléon)
Plombières Vosges
Vendredi matin
1933
Chéri,
Attention ! La photo
est dans cette lettre. J'en avais une, par hasard, dans mon porte-cartes.
J'espère que tout ira bien.
Dufour m'a écrit qu'il a un appartement ravissant : 1.400
francs pour la saison. Tu parles ! Et s'il doit me réserver la place de la
"mendiante officiele" à l'entrée de l'établissement. ? (*)
Reçu tout à l'heure
une carte de tes parents. Ils viendront donc ici mercredi matin à onze heures,
de Vittel, en autocar. Comme je me réjouis de te revoir ! et comme ce climat
magnifique te fera du bien ! Tu en a tellement besoin !
On ne porte pas ici
des tenues de golf. Prends ton bon complet gris clair et peut-être un pantalon
de flanelle avec une chemise de sport, pour les excursions. Tes souliers blancs
et jaunes, et tes bottes de marche. Le soir, il fait frais et la pelisse m’est
très utile. Je regrette même de ne pas avoir emporté la grande de couverture.
Pour toi, ton imperméable suffit. Apporte un peu de café moulu. Je n'ai plus de
Sanka et ne suis pas assez riche pour m'en acheter. Apporte un exemplaire du
" Crime en province".
Et maintenant, dois-je
louer une chambre pour tes parents ? Comme je te l'ai dit, c'est 40 francs par
personne.
Reçois un long baiser
comme acompte,
En tout amour
Ta Zouzou
26 et 27
juillet Yvan et ses parents vont ensemble à Plombières-les-Bains
carte d'Ivan Goll Plombières à Paula Ludwig Paris autour du 26 juillet 1933 ImsLp. 177
Chère Palu
Que dis-tu de cette concurrence
qui est célèbre dans toutes les Vosges ? Cela ne pourrait-il pas devenir
intéressant d'entreprendre une course avec une telle maîtresse ?
I
carte d'Ivan Goll Plombières à Paula Ludwig Paris du 26 juillet 1933 ImsL p. 177
Bien que je sois totalement fasciné
par le regard des résidents, je reviens demain jeudi soir vers mon chef de
tribu. Arrive à destination aux environs de 11¾ : autour de minuit, je suis
alors dans tes bras
I
lettre
de Claire à Plombières à Ivan Goll à Paris 28 juillet 1933MST p.121
Plombières,
28,7,1933
vendredi matin
Mon grand
petit garçon,
Hier soir, après le dîner, je suis
encore retournée à la gare, mais rien n'y restait plus de notre adieu. Je n'en
ai pas à retrouvé une miette sur le quai, ils ne m'avait laissé que le billet
de quai, en guise de pièce à conviction pour me persuader d'un éternel abandon
au bord des voies, d'une inguérissable solitude.
Ce matin je t'ai déjà rendu
visite, tu dormais profondément et ta chevelure de petit garçon, hirsute et
sauvage, te pendait méchamment dans les yeux. Le jour se démenait déjà pour
entrer et tu ne pouvais déjà plus rien faire de moi. Ne te surmène surtout pas
trop, tu sais que nous sommes dans une courbe ascendante et qu'en conséquence,
nous n'avons rien que de positif à attendre, en ce qui concerne les événements
extérieurs. C'est ainsi que j'ai reçu aujourd'hui même une réponse très aimable
de Szofranski (dela "Dame"),
qui équivaut peut-être à une proposition. De toute manière, je ne veux pas
concevoir trop d'espérance, car mon nom est Goll et mon mari a brûlé sur le
bûcher, et les Hindoues" ariennes ", elles aussi, avaient l'habitude
de suivre leur mari dans l'autodafé.
S'il te plaît, signe tout de suite
la lettre ci-jointe et envoie-la par le prochain courrier.
Et
abonne les Vionnet pour mardi et si tes occupations te laissent un temps de
répit pour cela, aime un peu.
celle qui
t'embrasse tendrement
Suzu
lettre
d'Ivan Goll Paris à Claire à Plombières du 28
juillet 1933MST p.122/123
Paris
Vendredi
soir... [28 juillet 1933]
Chère Zouzou,
Dès huit
heures du matin, Apfel a sonné à ma porte et ne m'a plus lâché. Je dus me
rendra à son hôtel à 10 heures et demie. Il tenait à la main un papier sur
lequel il avait noté tout ce dont il voulait parler avec moi : il commença à
majuscule A et ne s'arrêta qu'à M.
L'affaire
du film avec Pabst semble marcher, car il va demains le porter à Einstein en
passant par Coq-sur-mer. Puis, douze choses sur notre livre. Et ensuite nous
avons été voir Joisson, qui a travaillé très mollement jusqu'à présent.
Bref, je
ne parviendrais pas à t'écrire avant ce soir, tard, pour te redire combien ces
journées avec toi ont été rafraîchissantes : un bain dans les eaux claires de
tes yeux, et dans le vert des Vosges. Et se rendre compte qu'un être humain
peut avoir une âme si délicate, si prête à la souffrance, si vraiment humaine,
et un amour si inextinguible !
Par
ailleurs, la dernière heure entre Plombières et Aillevillers a été très agitée
: d'abord, j'obtins encore de ma mère 300 francs, qui représentent tout ma
réserve pour les prochains jours. Ensuite, nous avons bu de la bière au buffet
d'Aillevillers tout en conversant de telle sorte que je dus bondir de ma
chaise, une minute seulement avant le départ du train, qui se trouvait trois
voies plus loin ! En courant, j'arrivai tout juste pour y sauter, sans avoir pu
prendre réellement congé de mes parents, qui criaillaient derrière.
Mais représente-toi ces heures épouvantables, de 6 à 10
heures du soir, dans ce désert le d'Aillevillers, au pouvoir de mes parents, si
j'avais manqué le train ! Indescriptible.
Dans le
train, j'ai terminé les corrections.
Et
aujourd'hui, il pleut ici ; il pleut d'une façon céleste sur le balcon embaumé,
sur l'acacia qui se secoue et sur la plante pendante, que j'ai posée sur la
terrasse.
Tout
s'équipe pour ton retour.
Mardi
matin, la Vionnet doit venir et à faire cuire un bon bouillon de légumes.
Tu pars
à 2 heures 40 et tu arrives à 8 heures 30.
Jusque-là,
je n'écrirai plus.
À la
gare, je te prendrai au piège dans mes bras.
Ton
Ivan
Carte de Claire à Plombières à Ivan Goll à Paris 30 juillet 1933MST p.123
Dimanche
[30.7.1933]
[Plombières-les-Bains]
Petit coeur,
Merci pour la lettre. Pourvu que tu ne te laisses pas
mettre de côté par Pabst. Est-ce que Apfel maintenant après Einsteinva t’emmener enfin chez lui ?
Je me réjouis tant en pensant au prochain mardi, à toi,
au balcon, au bouillon de légumes et aux légumes cuits à la maison
Amoureusement
Ta
Zouzou
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Paris du 30 juillet 1933 ImsL p. 177
30
juillet 33
Rue
Alain Chartier
[Studio
Hôtel, 25 rue Alain Chartier, Paris 15]
Mit dem Blatt des Aneth
Hab ich meine Hüften eingerieben
Dass die Herden deiner schwartzen Lämmer
Unddie Herden deinerweissen Traüme
Sich nicht irren auf dem Weg zu mir
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin7 août 1933 ImsL
p.194/195
Chère Palu
Je souhaite à Friedel un très bon
anniversaire. Je me souviens qu'il y a un an, nous allions le chercher à
Garmisch ! Ah ! …Je veux bien lui faire goûter un nouveau café glacé !
Merci pour la rose rouge de ton
arrivée !
Mais pourquoi un si long silence
depuis ce temps-là ?J'étais allé de
nombreux jours en vain à la Poste. Et j'aurais bien aimé savoir comment allait
Gisèle, comment va le béret basque, si vous nagez beaucoup ?
Chaque fois que le thermomètre
monte, je me fais beaucoup de remords parce que tu n'es plus avec moi dans la
petite chambrebrune ombragée et avec la
Tour-Eiffeldans le ciel dessinait …mon
profil !
à traduire
O, je suis triste
Ton
I
En passant sur la route des seigneurs
Tu ne regardes pas le safran pauvre
Mais ton manteau le caresse en secret
Emportant tout de même
Un peu de poussière dorée
De son amour
7 août 1933
Jardin des Plantes
Je ne voudrais être
Que le cèdre devant ta maison
Qu'une branche du cèdre
Qu'une feuille de la branche
Qu'une ombre de la feuille
Que la fraîcheur de l'ombre
Qui caresse ta tempe
Pendant une seconde
9 août 1933
Jardin des Plantes
lettre
de Claire à Haybes à Ivan Goll à Paris 9 août 1933MST
p.123/124/125
Château
de Moraypré, Haybes
mercredi
matin
[9
août 33]
Aimé,
Je
crois m'être réveillée dans un rêve. Du lit où je suis couchée, je vois par
deux grandes fenêtres, à travers deux acacias, un large fleuve qui coule
doucement, la Meuse, derrière laquelle s'ouvrent de grandes prairies où je vois
des vaches tachées de noir et de blanc engraisser de minute en minute. Derrière,
un peu plus haut, un train passe toutes les demi-heures, allant et venant entre
la Belgique et la France, si petit qu'il semble sortir d'une boite à bijoux.
Et, derrière tout cela, montent les forêts des Ardennes. Oui, depuis hier
seulement, je sais ce que sont les forêts. Quel pays magnifique, et si frais !
Hier soir, dans le parc du château où j'étais étendue, mon manteau de fourrure
et ma couverture de fourrure m'ont manqué.
La
carte que je t'ai laissée rend très imparfaitement la grandeur et la beauté de
ce château.
Au
premier étage, il y a une sorte de fenêtre en saillie : c'est là, à l'intérieur
que je suis couchée et que je t'écris. A côté, se trouvent ma chambre et ma
salle de bains. Tu vois : presque toute la façade m'appartient. La chambre
voisine est celle de Madame d'E.[baronne Catoir d'Epstein], et sa salle de
bains est à l'angle, aussi grande que tout notre appartement de Paris. Puis, il
y a la salle de bains d'une des invitées, une Belge, et celle-la est aussi
vaste qu'une salle de danse.
Dans
ma salle de bains, outre le lavabo, le water, le bidet à eau froide et chaude,
il y a un système de douche dans une sorte cabine, et je me suis mise dessous
avec une sorte de volupté. Chaude, naturellement. Et maintenant, viens avec moi
devant la maison. Là, t'attendent des bouquets de roses et de pois de senteur,
avec d'autres fleurs dont je ne connais pas les noms, et quand on a passé
devant une grotte ravissante, on arrive à la piscine, toute entourée de vieux
arbres merveilleux et de petits ruisseaux. Ah ! une piscine ! comme je maudis
ma mauvaise santé ; il y a quinze ans, j'y aurais nagé du matin au soir. En
revanche, hier soir, je suis passée devant deux vieux moulins, j'ai franchi un
pont et je suis arrivée à un étang baigné de lune. C'est ici que Mélisande a dû
perdre sa couronne; et derrière l'étang, des forêts à l'infini escaladant des
hauteurs. Et jamais aucun être humain n'a accès à tout ceci, car cela
appartient au château. Sans parler de la mare aux canards, des poules et des
agneaux de la ferme. Vraiment un rêve !
Et l'hôtesse est si bienveillante et
toujoursgrande dame, et elle doit avoir
été autrefois très belle. On comprend le roi des Belges, dont elle fût, comme
elle me l'a racontée (il y a cent ans), la maîtresse.
Des
bateaux montent et descendent le fleuve et leurs sirènes crient de loin pour
qu'on leur ouvre les écluses, un peu plus bas. Et le long du fleuve court un
chemin de halage réservé aux chevaux qui tirent les bateaux.
C'est
aussi dans ce château qu'habita jadis George Sand ; elle a laissé aux parents
de la baronne d'E. une photo dédicacée, que les hordes allemandes ont volée,
lors de leur invasion en 1914. Et sur le parquet de la chambre d'où je t'écris,
on voit partout des marques de baïonnettes ; car, ici aussi, ils ontassassiné 40 femmes du châteauqu'ils avaient prises en otage pendant qu'ils
incendiaient et pillaient complètement Haybes. C'est pourquoi la baronne
n'apprécie guère de parler allemand.
Si
seulement, je pouvais t'envoyer un peu de fraîcheur, mon petit garçon chéri, et
faire surgir dans la rue Jasmin un petit bout de paysage ! Hier, pendant que je
traversais ces forêts, quel chagrin j'éprouvais de te savoir dans la chaleur de
Paris !
Toi,
mon aimé, pars bien vite retrouver Einstein et ne te détruis plus en restant à
Paname.
Envoie-moi des nouvelles du
Marché aux fleurs et du film, mange bien, ne fais pas de bicyclette ou pas
trop, et pense de temps en temps à celle qui t'embrasse tendrement
Suzu
N'oublie pas l'article !
lettre
d'Ivan Goll Paris à Claire à Haybes s/ Meuse du
10 août 1933 MST p.125/126
Paris
XVI
10
août 33
Quelle lettre
merveilleusement belle, embaumée de l'odeur des forêts, et enfin heureuse !
Comme je me réjouis que tu aies enfin trouvé un petit coin où la bonté d'une
femme, le silence des êtres humains et la dévotion à la nature t'aident à te
reposer en toi-même. Il fallait que tu trouves ce château, pourront
redevenirMélusine, pour éprouver le
renouveau de ton propre ensorcellement. J'espère qu'il ne surviendra rien pour
t'effrayer et te chasser de toi-même à nouveau : un moustique ou une personne
méchante ! Et que devient le corps ?
Reçois
de moi la plus apaisante des nouvelles : cet après-midi, j'ai fait de la
confiture de reine-claude ! Elles étaient tellement bon marché : 90 centimes la
livre. Je l'ai faite tout seul. Ce matin j'avais fait laver les pots de verre
par Marie.
Car il
fallait que j'aille en ville, au Marché aux fleurs, où tout a marché
magnifiquement. Nous avons à présent la tranquillité pour de longues années.
Ci-joint, une photo de ces jours-ci.
À midi,
j'étais invité à déjeuner par Apfel, dans à très bon restaurant. Mais ce
n'était qu'une façon de me rendre la politesse que je lui avais faite en lui
offrant hier soir à dîner : oeufs à la tomate, courgettes, maquereaux, melon.
Il était enthousiasmé. Et il m'a raconté, d'une façon ravissante, notre
prochain chapitre.
Mais ce
méchant veut me retenir ici. J'en suis très malheureux. Il fait honteusement
chaud et lourd en ville, le ciel reste impudemment bleu et je voudrais, je
devrais partir. Sinon, que sera cet hiver !
J'espère
pouvoir m'échapper dimanche, - aller à Coq-sur-mer. Mais naturellement, il ne
débourse pas d'argent.
Le film
n'est pas tout à fait satisfaisant. Et puis d'autres sont déjà sur ce projet :
Les Kortner - Lania ont déjà traité presque le même sujet.
Et
maintenant, il faut que je connaisse tes plans ! Plus longtemps tu pourras
rester, mieux cela vaudra pour ta santé. Si tu as besoin d'argent, je t'en ferai
envoyer de Zurich : je veux dire, pour le voyage à Challes. Mais d'ici là, nous
nous écrirons encore.
Ce qui
me pousse en outre à partir, cette aussi la feuille ci-jointe de Marie. Elle
aussi sera absente jusqu'au mois de septembre. Afin que tu le saches, quand tu
rentreras.
Mais je
ne partirai peut être toi, ou seulement pour cinq ou six jours. Tout cela,
c'est encore des projets en l'air.
Le
principal, c'est que tu marches, que tu te couches sur une terre qui te plaît,
et que tu y rêves, entre autres choses, de ton fidèle
Ivan
Les Daniel sont depuis mardi à
Ostende [ses parents : Daniel et Rebecca Kahn]
Quand tu auras tout pris de moi
La peau de ma chair
La chair de mes côtes
Le ciel de mes yeux
Les yeux de ma tête
Quand je ne serai plus qu'un souffle
Pour prononcer ton nom
Alors je saisirai peut-être
Combien je t'appartiens
Auteuil
12 août 1933
lettre
de Claire à Haybes/ Meuse à Ivan Goll à Paris 14 août 1933 ***MST
p.127/128
Château
de Moraypré, Haybes
[lundi
14 août 33]
St. Ivannet, mon pauvre martyr aux doux yeux
bruns, rôti au soleil d'août à Paris ! Saint Yvan devant le photomaton. Ah !
toi, pourquoi dois-je être seule à respirer le bon air pendant que tu n'avales
rien que des microbes ! Mais la récompense viendra pour toi, cette année t'est
propice, petit cœur. Je crois en ton étoile. Et quand je la vois d'ici, le
soir, je la caresse des yeux. La nuit, quand il fait si glacial que je tremble
sous mes nombreuses couvertures, ton étoile me réchauffe. Encore un peu de patienceMoi aussi, j'en ai tant, car je souffre
toujours, mon intestin ne va pas du tout et néanmoins mon âme plane par-dessus
l'étang, légère et libre. Si torturé qu'on puisse être, la vie est pourtant
belle. Et la source près de laquelle je suis étendue, si pleine de fer, toute
brun-rouille, tout un symbole.
Selon
l'effet qu'aura la lune sur mon sang, je prolongerai mon séjour ici, ou je
l'abrégerai. Mais attendre ici ces jours,
c'est bien le mieux, non ? Mon chéri à moi, qui ne mange pas bien ? Toi ? Qui
ne dort pas assez ? Sûrement toi. J'espère que la mer t'a un peu calmé.
Avant-hier, il y avait ici des relations de la Baronne, venue d'autres
propriétés : Province. Entre autres, une veuve sortie de
"Mathusalem".Nous avons
essayé de faire tourner une table. La veuve s'appelle Thibaud. Tout à coup,
elle demande à l'esprit de la table : « C'est toi, Thibaud ?» La table répond
:« Oui ». Elle :« Combien de messes veux-tu que je fasse dire
pour toi ?» La table :« Trente ». La
veuve, extrêmement avare essaya de marchander avec l'esprit. Je mourais de
rire.
Les
photos sont très amusantes et pleines de drôlerie. Daniel est vraiment un
personnage.
Si
tu veux être gentil, envoie-moi100
Francs, on a tout de même besoin ici de quelques petites choses.
Et
merci pour tout, et beaucoup d'amour et de tendresse de
Ta
Suzu
lettre
de Claire à Haybes/ Meuse à Ivan Goll à Paris 15 août 1933 ***MST
p.127/128
Château
de Moraypré, Haybes
Mardi
15 août 33
Yvetot,
Les
cloches sonnent ce jour de fête. Les gens vont à l'église et je viens à toi.
Car tu es bien saint par quelque côté, quoique
je l'aie contesté par instants. Malgré tout, tu restes ma seule foi. Quoi qu'il
ait pu arriver, tu restes le véritable amant de mon cœur, toi, mon frère et mon
mari ; à cela, nul homme et nulle femme ne pourront jamais rien changer.
Il
fait un temps brumeux, et mon malheureux corps tente à nouveau de me jouer des
tours de toute espèce. Je suis terriblement fâchée contre lui. Qu'un matériau
aussi mauvais puisse renfermer une âme forte et résistante !
Chéri,
pourvu que tu aies eu beau temps au bord de la mer ! Je ne suis pas tout à fait
innocente du changement de temps, car j'ai souhaité la pluie. Car on ne peut
travailler ou se concentrer sur soi-même, que quand il fait gris dehors.
Je
t'aime beaucoup, Yvetot, et je suis ton plus grand admirateur, et cela, tu ne
dois jamais l'oublier. Je t'embrasse tendrement, je te remercie d'exister et
d'exister pour moi.
Ta
Suzu
lettre
d'Ivan Goll Paris à Claire à Haybes s/ Meuse du
16 août 1933 MST p.128/129
Paris, 16 août
1933
Chère Susu,
Hier
soir, je suis revenu du bord de la mer, consolé secrètement par la pluie.
Sinon, je l'aurais été difficilement. Ce furent trois journées fortifiantes. Je
me suis beaucoup baigné et je suis parvenu tout de même à me faire brûler
cruellement par le soleil à travers les nuages en marche. C'est-à-dire que j'ai
les bras et les pieds non pas bruns, mais rouges, et il me cuisent. Un bon
souvenir.
Je suis
bien portant - et néanmoins, mon âme est si triste, si triste. Plus le temps
s'écoule, plus je me sens seul. Est-ce que les hommes sont toujours seuls ?
Nous deux, quand nous sommes ensemble, nous ne l'éprouvons jamais : les
couleurs du jour et la fatigue... des nuits nous procurent cet état
chloroformées. Ou est-ce l'état de communauté qui rend heureux ?
Là-bas,
il y avait tant de jeunesse blonde, souriante, consciente d'elle. Et je sentais
que je n'en faisais pas partie. Et il y avait des familles satisfaites, repues,
et je sentais que je n'en faisais pas partie. Toutes les portes de la ville
étaient ouvertes, et je n'entrais par aucune.
Mais
pourquoi ne fais-je plus de.poésie ?
Cependant,
toi, la plus malheureuse, tu es encore bien plus à plaindre. Il estincompréhensible que tu aies été accablée
ainsi de maux, juste après Plombières. Comme tu es courageuse de supporter cela
avec tant de patience ! Je voudrais les enlever de toi, ces maux, te revoir
riante et forte.
Soyons
donc reconnaissants au destin qui t'a conduite dans un tel château de Mélusine,
autour duquel les sources chantent leurs mélodies et dans lequel les gens
semblent bien te soigner. Oui, puisqu'il en est ainsi, je te conseille de
passer là-bas tes jours de fatigue.
J'ai
trouvé ici beaucoup de courrier, une carte de Doralies, de Berlin. Et une
lettre de mes parents qui, samedi dernier, après avoir passé à peine quatre
jours à Ostende, se sont enfuis de nouveau et sont retournés â Metz ! Pourquoi
? Parce que leur maison à brûlé ! Cela ne peut arriver qu'à eux ! Toute la
charpente et le premier étage. Le reste inondé, naturellement. Les coupures
ci-jointes avec reportages photographiques, de la "Metzer feuille de
chou" te montrerontl'étendue de
cette catastrophe de petite ville. À cette occasion, tu verras aussi, une fois,
"notre maison". Très "seigneuriale", n'est-ce pas ? À
présent, les pauvres, ils ont enfin, de nouveau, quelques soucis !
Et
maintenant encore, une surprise merveilleuse. Le livre qui doit devenir ton
"Journal" est arrivé, envoyé par Brody. Avec une innovation
intelligente et simple : il consiste uniquement en une couverture et un bloc.
La face supérieure est disposée, à l'intérieur, de telle sorte qu'on peut y
remettre les pages écrites, séparés, et refermer. Le tout est en toile à sac vert
pistache. Bon goût munichois. Puisque tu vas revenir bientôt, ce serait trop
compliqué de t'envoyer le tout. Mais je t'envoie au moins le bloc, sur lequel
tu peux commencer tout de suite à écrire, d'autant plus que tu souhaitais la
pluie et sentais probablement les approches d'une inspiration ?
Demain
je t'en reverrai les 100 francs.
Aujourd'hui,
cent baisers
Et
mon chaleureux amour
Ivan
lettre
de Claire à Haybes à Ivan Goll à Paris 17 ou 18 août 1933MST
p.129/130
Château
de Moraypré
17
ou 18 août 33
Mon Ivannot,
Triste ?
Je suis triste aussi. Et c'est un privilège et nous ne devons pas être ingrats.
Sans tristesse, pas de poésie et existe-t-il quelque chose de plus noble que
les larmes qu'on ne pleure pas ? Qu'importe qu'on souffre si cela nous fait
pressentir plus largement Dieu et la mort !
Famille,
jeunesse ! Nous avons été tout cela, et nous le redeviendrons.
"Aujourd'hui" n'est qu'une transition, puisque nous sommes immortels.
Hier nous étions là et demain nous reviendrons ; entre temps, un peu de
"mal du siècle", un peu de désespoir et de clair de lune avec
Clairivan. Evade-toi de toi-même au contact des étoiles infinies et tu
transformeras ta plainte en jouissance.
Aujourd'hui
je reste couchée, et je pourrai probablement rentrer à la maison lundi. Te
télégraphierai à temps, chéri.
Mange
bien, dors beaucoup et mets en vers ta souffrance !
Je te
remercie d'avance pour l'envoi des feuilles. Tu as toujours des gestes gentils
qui n'appartiennent qu'à toi, et pour lesquels on ne peut jamais cesser de
t'aimer et de trembler un peu pour toi comme pour une chose très précieuse.
Le grand
feu dans la maison Lazard m'apparaît comme un petit châtiment du destin. Car
tout est châtiment ou récompense. Mais cela me fait beaucoup de peine pour ta
mère. J'ai de la pluie à présent, tant que j'en veux et je m'en réjouis en
cause de toi.
Maintenant
sois fort pour quelques jours encore. Jette-toi dans un livre : dans mabibliothèque, il y a Nietzsche, Rilke,
Hölderlin, et je suis dans ta chambre. Tu n'es pas seul.
Une
prière : envoie-moi par retour du courrier le numéro d'Excelsior Hôtel (ou
Hôtel Excelsior), rue La Boétie, où habitait Madame Aliventi. Cet hôtel est
dans la partie supérieure de la rue, vers les Champs Élysées, et tu le
trouveras dans l'annuaire par rues, non dans l'alphabétique.
Adieu
chéri, je baise tes mains,
Ta
Suzu
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin18 août 1933 ImsL
p.198/199/200
Chère Palu
ton
M
lettre
de Claire à Haybes à Ivan Goll à Paris 21 août 1933MST p.130/131
Lundi
après-midi
[Château
de Moraypré, Haybes]
[21.8.1933]
Chéri,
Merci pour ta carte
chaleureuse.Oui, je voulais partir
aujourd'hui, mais l'homme propose et … le vin rouge dispose. Mon amie Jane m'a
grisée hier soir par ruse. Je devais "goûter" aux vins de sa cave, et
à force de "goûter", tout à coup, c'en était fait de moi. On m'a
portée au lit et j'ai dormi comme …Verlaine. Et quand je me suis éveillée, le train de Paris filait sur
l'autre rive. Aujourd'hui, j'ai la "gueule de bois", mais Jane m'a
avoué sa faute et pour me dédommager, elle me fera faire demain un tour en
auto. Je ne partirai donc que mercredi : mais c'est définitif. A 1 heure et je
serai dans tes bras à 6 heures, les bras tendres et doux d'un long petit
garçon, qui m'en voudrait sûrement beaucoup, qui m'en voudrait de l'avoir si
longtemps laissé seul avec sa mélancolie, s'il n'avait pas un cœur si rare.
Je
quitte à regret cet endroit de rêve où je suis gâtée d'une façon céleste. Mais
je trouve pourtant que je n'ai pas le droit d'être heureuse par trop longtemps
sans toi : une joie partagée est tout de même autre chose que celle qu'on garde
pour soi.
Je
baise tes chers yeux bruns et suis
ton
éternellement dévouée
Suzu
lettre
d'Ivan Goll Paris à Claire à Haybes s/ Meuse du
22 août 1933 MST p.131/132
Paris, 22 .8. 33
Chère Zouzou,
Ta
lettre d'hier est heureuse, légère, grisée par ces vins fins ! Comme je me
réjouis que la vie te berce, qu'il y ait une amie Jane qui ne te laisse pas
partir, et que les fleurettes du paysage te soient bienveillante ! C'est ce que
j'ai toujours souhaité pour toi.
Et quand tu planes ainsi, il ne me viendrait, en aucun
cas, à l'idée de te rappeler. S'il te plaît, n'interprète pas mes dernière
lettre en ce sens, et ne crois pas non plus que je souhaite le moins du monde
t'avoir ici, seulement parce que je traverse une cruelle période de solitude.
Elle est cruelle, mais je ne la maudis pas. Tout est très beau dans la vie, tout,
même l'immobilité des murs qui ne respirent pas, même l'impatience, riche en
peur, de la nuit.
Ce qui est seulement
terrible, c'est quand, dans toute la grande ville, il n'y a pas une seule
personne à qui tu puisses téléphoner, c'est quand tu peux suivre les Boulevards
pendant des kilomètres et t'asseoir à 1000 terrasses de cafés, sans qu'une main
se lève pour serrer la tienne.
Mais je jouis aussi de
cette souffrance. C'est que je suis un jouisseur ! et si tu savais seulement
comment je vis, avec 5 francs par jour.
Je travaille
maintenant très bien.
Je voudrais beaucoup être un moine. Et puis, de nouveau,
par période, un libertin.
En ce qui te concerne,
je ne suis heureux que lorsque tu prends du bon temps. N'est-ce pas cela,
l'amour ?
Mais réfléchis un peu
et si ton amour pour moi est pareil ? Ressemble-t-il au mien ?
Sur un seul point, je te gronde : iras-tu encore à
Challes ? Je n'ai attendu ici que pour régler ton arrivée et ton départ. Sinon,
je pourrais aussi bien être aux Indes.
Ton
Ivan
Je suis couverte de sept voiles
Pour que sept fois
Tu puisses me découvrir
Je suis ointe de sept huiles
Pour que sept fois
Tu puisses me sentir
Je t’ai dit sept mensonges
Pour que sept fois
Tu puisses m’anéantir
Auteuil 25
août 1933
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin28 août 1933 ImsL
p.202/203
Ma grande Palu
ton
Yvan
Fin août
Claire est de retour à Plombières
lettre
d'Ivan Goll Paris à Claire à Challes-les-Eaux du
30 août 1933 MST p.132/133
[ mercredi]
Paris, 30.8.33
Chère Suzu
Combien
m'a ému ta lettre est écrite dans le train, dont le rythme sanglotant m'arriva
d'Aix- d'ailleurs, je l'attendais un
peu, ce matin, après une nuit qui ne m'a procuré, à nouveau, que quatre heures
de sommeil (malgré la Passiflorine que tu m'as envoyé avec tant de sollicitude)
et six heures de rêverie, ce qui est, tout de même, plus intéressant que le
rêve. Il ne me déplaît pas du tout de me livrer ainsi aux eaux noires de la
nuit, et de me laisser emporter, submerger.
Puis la
journée été si belle que je suis parti faire un grand tour à bicyclette, et
sans l'avoir décidé tout d'abord, j'ai été jusqu'à Saint-Germain-en-Laye, ce
qui fait quarante-cinq Km aller et retour. Maintenant seulement, je suis
entraîné et puis songer à de vraies excursions. Je ne savais plus du tout
qu'elle est l'aspect de Saint-Germain-en-Laye, ou plutôt, je me souviens d'y
avoir été une seule fois, avec une tournée d'autocar, et qu'il y a là-bas un
pavillon Henri IV : je n'avais pas remarqué, cette fois-là, le château très
beau et très sévère, le parc profond et rêveur et la terrasse longue de
plusieurs kilomètres dominant l'Ile de France. Mais peut être connais-tu cela
mieux que moi - tu as eu plusieurs fois l'occasion d'y aller en auto.
Ensuite
Apfel est venu chez moi. Il est pris de la folie des grandeurs littéraires, il
se croit déjà un auteur important. Il devient plus difficile de travailler avec
lui. De toute façon, il a été très satisfait du Chapitre Kienle. Mais il n'y a
plus moyen de lui soutirer de l'argent. Avec beaucoup de ruse, il se plaint
encore plus que moi, et se plaint le premier.
Ce
matin, il y a un grand brouillard sur la ville : l'automne. Vers midi, le
soleil a percé les nuages - mais la nuit et la matinée étaient très fraîches. C'est
pour cette raison que j'ai lu ta seconde lettre sans inquiétude, celle où tu
m'apprends que tu t'es installée dans ma chambre, au Château. Les quelques
heures de l'après-midi ne seront pas si terriblement chaudes. D'ailleurs, je
trouve que la solution de ton séjour est très réussie, contrairement à tes
regrets. Car dès que l'hôtel commencera à se vider, tu obtiendras facilement
une meilleure chambre pour le même prix, à condition de jouer avec
intelligence. Et c'est tout de même une bonne perspective. Aussi, quelle chance
que Challes reste ouvert jusqu'au 30 : tu ne pourra d'ailleurs pas partir avant
le 18 ou le 20, si les "jours rouges" arrivent entre temps. Ce que je
ne parviens pas à comprendre, c'est ta peur de la famille Lévy.
Incompréhensible !
Mais
aujourd'hui, tu t'es sûrement très bien habituée. Les inhalations favorisent
peut-être aussi l'inspiration. Et tu as déjà commencé ton roman ? Ce serait
magnifique. Où donc habite les Lévy, d'habitude ? Toujours à Alger ou à Paris ?
Pourquoi n'ont-ils jamais donné signe de vie à Paris ?
Donc,
chère enfant, sois vaillante, vaillante, vaillante et continue à aimer ton
Ivan,
qui t'aime
À présent, Duarte vient d'arriver ; il m'apporte les
séries de photos. La poste n'a apporté rien du tout.
Lettre
d'Ivan Goll Paris à Claireà Challes-les-Eaux du 1 septembre 1933 MST p.133/134
Paris,
1er septembre 33 [vendredi]
Chère Zouzou
Mais on
se sent triste pourtant, par ces jours qui commencent à diminuer, qui
commencent par du brouillard et, ensuite, s'arrondissent et se dorent : on se
sent triste, dans cet automne, de ne pas avoir été aussi un pommier d'où
tombent les fruits ronds et murs, mais de s'éterniser dans une nostalgie qui
n'est plus de notre époque.
Au
milieu du jour, on oublie ce que vous a chuchoté le milieu grave de la nuit...
Et on se nourrit des raisins récoltés par les autres.
Je
souhaite beaucoup qu'à Challes, tu inhales une nouvelle confiance en toi-même,
et que le souffre ne te guérisse pas seulement de nez, mais aussi l'âme. Et
peut-être travailles-tu déjà ?
Ci-inclus
une lettre de Klaus Mann, qui accepte le "petit singe"* et qui
t'apportera, en outre, un nouveau courage au travail.
Et moi : si des pommes ne tombent pas de moi, par contre,
le docteur Apfel me porte sur les nerfs. Il a l'habitude de faire danser les
gens au son de sa flûte, mais je préfère danser avec des tailles plus fines.
Duarte°
m'a apporté, encore une fois, des photos splendides. En outre, il ne veut
recevoir aucun honoraire, il demande seulement que je lui envoie des livres de
temps en temps. Le 7 septembre, il repart pour le Brésil. Mais auparavant, nous
organiserons encore un dîner chez moi, et la petite femme veut préparer un menu
brésilien, avec de la viande séchée brésilienne, des haricots noirs et rien que
des plats indigènes, qui seront cuits dans notre cuisine. Ce sera un festin,
dont tu n'aurais certainement pas le droit d'avaler une bouchée. Mais comment
sont les repas, cette année au Château ?
J'ai
rencontré dans la rue Walter Menring avec sa pauvre petite mère tout
chiffonnée. Dès que tu seras de retour, il faudra que nous les invitions à un
repas.
En ce
qui concerne les finances, ma mère a été presque touchante : la lettre cachetée
contenait 1.200 francs au lieu de 1000, et sans autre raison : peut-être
pourras- tu les utiliser ! Mais hélas ! Cinq minutes plus tard, 1000 étaient
chez les Clauzel et 200 à la banque, plus dix-sept dans ma poche, qui n'est
plus aussi percée. (À propos, n'écris pas à Nancy que tu es à Challes).
Joisson
doit revenir lundi... J'enverrai l'argent pour ton hôtel avec deux jours de
retard, mais il y en aura d'un seul coup pour deux semaines.
Je
t'embrasse longuement,
Ivan
* Nouvelle de Claire
° Ministre brésilien qui avait quitté le Président Vargas
Paula Ludwig de
Berlin à Ivan à Paris : lettre du2
septembre 1933 *** IsmL p.204 à 208
Correspondance à traduire (superbe lettre d'amour)
lettre
d'Ivan Goll Paris à Claireà Challes-les-Eaux du 6 septembre 1933 MST p.134 à 136
****
Paris,
6 septembre 33
Chère Zouzou,
Je porte
partout avec moi une souffrance tellement étrange : il me semble à présent que
je ne pourrai jamais devenir bien portant et une souffrance qui croît en moi
comme une mauvaise plante qu'on ne pourra peut-être plus déraciner. Quand tu es
là, je crois ne plus l'entendre, souvent, et je m'imagine que je vais bien.
Mais ensuite je sais à nouveau que je ne peux plus être sauvé. Une telle
solitude depuis quarante années...
Et
personne ne peut le remarquer. Et bien des gens qui me connaissent, me prennent
au contraint, pour un enfant né coiffé, né le dimanche de Pâques à cinq heures
de l'après-midi.
Et
pourtant, depuis des années je me consume et ne suis jamais joyeux. Sûrement,
il y a beaucoup de raisons qui y contribuent : la foi en notre unité s'est
brisée, puis la foi enmoi, en mon don
de poète, et finalement aussi la foi en un avenir tranquille.
J'ai de plus en plus la sensation d'étouffer.
Je lutte pour trouver de l'air, la nuit dans ma tour, et le jour dans les rues.
Comme Paris me rend misérable et solitaire !
Mais si je ne m'en vais pas du tout cet automne, si
bientôt une saison commence sans moi et contre moi, abandonné, oublié, comment
le supporterai-je et pourquoi ?
En
conséquence, j'ai pris une décision : je dois partir, ne fût-ce que pour deux
ou trois semaines. Je n'ai rien à chercher ici. Le travail avec Apfel ne
m'intéresse plus, parce qu'à présent, il écrit tout et que je ne suis plus, en
somme que son traducteur. ça, je pourrais le faire partout.
Tu m'as
dit trois ou quatre fois dans ta bonté compréhensive, que je devrais aller voir
Paul Ludwig, ou encore la faire venir à Paris. Or je sais que dans les deux cas
malgré tout ton courage tu en seras blessée . Il s'offre une troisième solution
: : elle est invitée en Italie, je pourrais la rencontrer là-bas.
Mais je
suis incapable de me décider, donne-moi donc toi impulsion, comme il y a dix
jours ; tu savais alors pertinemment que cela ne te ferait rien perdre. Si
seulement j'étais sûr, que tu es cette année raisonnable et que tu restes bien
consciente que tu ne perds rien quand je m'enrichis !
Encore
ceci : même chez Paula Ludwig je reste indiciblement seul. J'ai seulement
auprès d'elle comme d'ailleurs auprès de toi le sentiment de ne pas être
totalement sans valeur pour ce monde. Ne me rappelle pas le fait qu'on ne doit
rien croire de ce que vous disent ce qui vous aiment. car alors, il me faudrait
admettre que ceux qui ne m'aiment pas ont raison de me rejeter. .
Voilà à
quoi on en arrive, quand on est un solitaire, un esseulé qui a repoussé la
chaleur de la vie courante, famille, enfants, sentiment d'appartenance à une
communauté. Paris...
Je
n'irais pas mieux non plus en Italie : seulement, pendant ces trois semaines,
j'oublierai qui je suis... J'aurais le sentiment apaisant d'avoir tenu une
ancienne promesse... qui, si je la reniais, me tourmenterait tout l'hiver. Oh!
surtout pour celaEt bien moins pour
moi-même.
Mais
voilà qu'en vieil égoïste, je n'ai parlé que de moi tout le long de cette
lettre sans penser combien tu es devenue triste en la lisant.
Et tu te
donnes, depuis longtemps, tant de peine pour me rendre du courage, tu m'écris
de belles lettres, comme il y a quinze ans, - ensuite nous avons été si
inséparables que nous n'avions jamais aucune occasion de nous adresser des
lettres.
Je te suis très
reconnaissant pour la connaissance accrue que tu as de moi, et la bonté qui en
jaillit. Mais d’où vient cette bonté : de l'intelligence ou du coeur ? Il
me semble que c'est ton intelligence qui t’a fait me conseiller de revoir Paula
Ludwig. Oh ! Comme je voudrais aussi que ton coeur me veuille du bien...
Même si, pendant trois
semaines, cela doit te secouer, si cela ne se passe pas aussi bien que
d'habitude... Si tu es obligée de voyager, d’arriver ici, etc.... seule.
Si je pars, je prendrai
l’un des billets de vacances les plus réduits, qui ne coûte que 350 francs
aller retour (3e classe) et n'est valable que trois semaines. Presque pas plus
cher que pour aller à Challes.
Si seulement je suis
assuré que tu veux mon bien, que tu ne pleureras pas, que tu ne te vengeras pas
: je ne vais pas chercher là-bas du bonheur, rien que l'oubli de moi-même !
Alors, je partirai déjà
vendredi ou samedi soir : loin de cette tour, où je n'ai dormi qu'une heure,
cette nuit ! Mon lieu de destination Fiesole. Je t'écrirai dès que je serai
arrivé ; mais auparavant une lettre de toi peut encore m’atteindre à Paris,
avec ta bénédiction !
Ci-inclus 800 francs,
pour deux semaines à l'Hôtel du Château à 42 francs. Cela met la semaine à 300
francs - Pourboire 350. Pour la dernière semaine, je te ferai encore envoyer de
Zurich 600 francs.
Je suis heureux qu’humainement,
tu te sentes de nouveau bien, au Château. Je savais que Lévy est un poète.
En ce qui concerne
Platon et Spinoza : oui, oui, tu as raison. Je t'envie pour cette sagesse, qui
te donne à présent de l'avance sur moi.
Mais lorsque l’âme est
malade ?
Tu sais que je n'ai pas
l'habitude de gémir. Laisse-moi donc gémir, pour une fois.
Je t’aime beaucoup, beaucoup, et j'ai besoin de toi aussi
! Je me réjouis à la pensée d'un paisible début d’hiver.
Ton Yvan
Télégramme Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin5 septembre 1933 ImsL p.208
[Paris5.9.1933]
PREPARES-TOI A UN VOYAGE EN
ITALIERENDEZ-VOUS A BOLOGNELE 11
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin5 septembre 1933 ImsL p.209/210
Paris 5 septembre 33
Chère Palu
la fin de la lettre manque
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin7 septembre 1933 ImsL p.210/211
jeudi 5 heures
Rue des Saint-Pères
[cachet de la Poste
7.9.33]
Chère Palu
Vient d'arriver ton télégramme
d'aujourd'hui 2 heures à la rue des Saint-Pères !
Bravo: Florence lundi 2h53 !
J'arrive par le train.
à
traduire
Je
t'aime
Manyana
Télégramme Ivan Goll Zurich à Paula Ludwig Berlin9 septembre 1933 ImsL p.211
[Zürich9.9.193310h08]
ECRIS A MUNICH ET FLORENCEREÇOIS UNE MOISSON DE BENEDICTIONS
DIVINES(?)
lettre
d'Ivan GollFlorenceà Claire à Challesdu 13 septembre 1933
MST p.137 à 138
Florence, 13
septembre 1933
Chère Suzu,
La joie
d'être à Florence m'a été gâchée, pendant ces premiers jours, par un très
vilain temps de pluie. Depuis longtemps, je n'avais pas vu tomber de pareilles
"hallebardes" ! Et les jours précédents, cela se préparait par un
temps lourd et un ciel plein de nuages menaçants. Après trois mois de beau fixe
et de sécheresse, on ne peut pas dire que c'est de la chance.
Et
pourtant c'était une chance que je sois à Florence, et non, par exemple, à Fiesoleou au bord de la mer : car ici, il y a un
tant à voir, tant d'églises, chapelles et et de musées à admirer chaque jour,
que le soleil n'est presque pas nécessaire. C'est une surabondance de trésors
d'art, qu'on ne peut pas dénombrer, qu'on ne peut même plus assimiler, à la
longue. Un si grand nombre d'artistes doués richement étaient compris,
encouragés, aimés par tant de familles remarquables ! Ce qu'on apprend de ce
14e et de ce XVe siècle florentin, c'est la foi dans le grand art authentique,
la foi dans la lutte pour cet art, dans l'amour inébranlable pour cet art. Car
ici, on peut redevenir pieux.
Ici, je
reprends courage pour affronter notre époque tellement détournée de l'esprit,
où l'on aime à regarder des visage souriants de stars, mais non des visages
d'hommes et de femmes qui souffrent. Je suis confirmé dans ma certitude que le
succès, provenant de cette humanité hébétée, serait pour nous le contraire du
succès...
Tant que
le baromètre sera bas, je ne ferai pas de projets, et j'irai voir Giotto, car
de lui émane une essence divine, dont on peut aussi espérer recevoir pour
soi-même une bénédiction.
Mais je
garde intacte, sur ma tête, ta bénédiction à toi, qui a jailli de tes grands
yeux bleus aiguisés, exactement pareils à ceux d'un ange de Giotto.
Je t'aime
beaucoup et je t'en suis si reconnaissant. Tu as raison : dans l'éloignement,
on ne fait que se rapprocher de l'être aimé, de l'être de sa vie.
Comment
vas-tu ? J'espère que tu peux suivre ton programme à la lettre - après Challes,
qui est certainement très vide en cette saison et dont le silence t'est
peut-être agréable, tu devais rester très peu de jours à Paris et repartir
aussitôt pour Haybes - en conséquence, j'ai donné aujourd'hui ordre à Zurich de
t'envoyer 700 francs qui pourront sûrement suffire pour l'instant, étant donné
que tu as déjà ton billet de retour : 350 - 400 Château, 100 pourboires, 200
voyage à Haybes.
Puisses
tu te remettre et te sentir bien et rester mon Aimée.
Ivan.
Carted'Ivan GollFlorenceà Claire à Challesdu 14 septembre 1933
MST p.138
Florence le 14 septembre 33
Chère
Souzou : j'ai reçu ton télégramme cinq heures après avoir posté ma dernière
lettre pour toi, dans laquelle je t'annonçais justement le virement de 700
francs de Zurich. Etait-ce de la transmission de pensée si j'ai justement fait
envoyer 700 francs ? En tout cas j'avais donc retourné dans ma tête toutes tes
réflexions et plans avec toi. Par même courrier est partie la commande à
Zurich. Espérons que d'ici samedi tu seras en possession de l'argent et que tu
auras liberté de mouvement. Par contre, la pluie ici ne nous en donne
aucunement. ?
Baisers
ardents
ton
Ivan
Ivan Goll est parti pour l'Italie retrouver Paula Ludwig
le samedi 9 septembre à Fiesole ou à Florence le 10 septembre et ils y restent
jusqu'au 21 ou 22 pour aller à Sienne.
Lettre
d'Ivan GollFlorenceà Claire à Challes du 17 septembre 1933 MST p.138/139
Florence,
17 septembre 1933
Chère Zouzou,
Ce
matin, j'ai reçu ta lettre bleu-double, attendue avec nostalgie depuis
longtemps, et qui contenait ta lettre précédente, de Paris. Oh ! Comme celle-ci
m'a ému !
Quelle
transformation tu as subie ! Ta sage maturité résonne harmonieusement à mes
oreilles, comme un alto, et je ne l'apprécie certes pas parce qu'elle me
facilite l'existence, mais surtout parce qu'elle va si bien à ton nouveau
visage. Sans doute, ton âme est toujours un enfant, et elle restera telle,
éternellement - car l'âme est la seule chose au monde qui ne vieillisse pas et
ne mûrisse pas, l'âme est invariable comme le bleu de l'éther. Et la tienne a
la pureté de la brise du matin. Mais ton visage humain a beaucoup pleuré, connu
beaucoup de douleur, plus que n'importe quelle autre que je connaisse, et si je
l'ai tant aimé autrefois pour ses yeux, qui ont la grandeur et la forme de ceux
de la déesse de Giotto, je l'aime encore plus aujourd'hui pour cette expression
de savoir qui le domine de plus en plus.
C'est
vrai : pour ce qui est des expériences vécues, je suis réellement encore un
petit garçon, et cela me fait tant de bien que tu passes une main caressante à
travers mes cheveux, - par lettre, il est vrai, plus que dans la réalité, - et
alors je reconnais aussi que cela est de beaucoup le plus important.
Ainsi
tu te mets lentement à jouer le rôle qui m'appartient (à moi !). Mais cela ne
veut aucunement signifier que j'ai changé. Je suis un vieux petit garçon, et je
devrais en avoir honte, si je n'étais aussi un poète. Mais si j'en suis un,
c'est à toi que je le dois et aussi d'être resté si jeune.
Si
tu me connais bien, tu sais que dans ce pays lointain et suprêmement beau, je
suis près de toi comme presque jamais je ne l'ai été. Pour le moment, je suis
apaisé, mais ce n'est pas le repos de l'accomplissement, comme tu parais le
penser, cette une hébétude de mes nerfs, qui semblent être très malades. J'ai
éprouvé trop de déceptions, à Paris, depuis le début de l'année, et la crise qui
m'a poussé à la fuite - à me fuir moi-même - n'était ni sentimentale, ni
érotique, mais presque matérielle. Trop de soucis, trop peu de succès. Pour être
en état de supporter l'hiver qui vient, il fallait que j'aie d'abord une
détente, et que renaisse en moi le sentiment que je suis quelqu'un ! C'est
pourtant ce que je t'ai écrit dans ma dernière lettre de Paris. Pourquoi
n'as-tu pas voulu admettre cette interprétation ?
Florence
ne laisse pas le temps de se ressaisir. Peut-être partirons-nous, au milieu de
la semaine prochaine, pour une plus petite ville, peut être irons-nous à
Sienne. La vie est extraordinairement bon marché. Figues, 50 centimes le kilo,
raisins, pêches, le même prix. Mortadelle 50 centimes l'etto, ghirlandais1lire
le mètre.
Cette
lettre arrivera probablement à Paris le même jour que toi. Est-ce que Challes
t'a fait du bien ? Ne reste pas trop longtemps dans notre appartement, qui
n'est pas refait, ne perds pas ton temps et ton argent à le réorganiser : pars
vite pour Haybes. Entre-temps, je reviendrai ; je ferai de beaux préparatifs et
mettrai tout à neuf pour te recevoir.
En
éternel amour
ton
Ivlein
Claire est de
retour à Paris le 20 septembre
Tu
as planté devant ma porte
Un
jeune citronnier
Il
n'a que deux branches
L'une
porte un fruit d'or
L'autre
une fleur d'argent
Comment
me préfères-tu
Vierge ou mère ?
Sienne 21
septembre 1933
Lettre
d'Ivan GollSienneà Claire à Paris du 24 septembre 1933 MST p.140/141
Sienne,
24 septembre 33
Chère Souzou,
Nous
voici, depuis quelques jours déjà, à Sienne : une des plus vieilles villes
d’Italie, bâtie sur trois collines. On est sans cesse obligé de monter et de
descendre. La rue principale n'est large que de 6 m et de hauts palais la
bordent, comme une citadelle, - on a l’impression d'être dans une prison. Sans
doute, on dit que la ville est environnée du plus beau paysage et des collines
les plus séduisantes : mais on ne retrouve pas la sortie, tant que l'on n'est
pas initié à ses secrets..
Le jour de mon arrivée,
je t'ai écrit, probablement par gratitude pour ta prière sur la terrasse du
Château. Les étoiles brillaient. Mais le soleil, jusqu'à présent, n'a pas paru.
Pendant des jours et des jours, il a fait gris et brumeux, on sentait se
préparer le mauvais temps qui a éclaté hier, avec éclairs et cyclone suivis
d'une pluie chaude et persistante.
Ajoute à cela le
sentiment d'être muré dans un cachot ! Tu objecteras : mais, à deux, c'est
pourtant beau ! Peut-être mais avec du soleil et du clair de lune, ce serait
encore plus beau. C'est la première fois que Paula Ludwig vient en Italie et
elle n'y trouve que des brouillards nordiques et des tempêtes.
Une autre raison encore
de me sentir comme emprisonné, c'est que j'attends en vain une somme que ma
promise Apfel. Peut-être dois-je t’expliquer plus en détail les quelques
allusions que je faisais sur ma dernière carte.
Ce qui m'a incité à ce
départ subit, entre autres choses, c'est la dispute que j'ai eue avec Apfel.
Savoir que j'ai perdu tout un été pour lui. Je ne sais plus si je t'ai raconté
déjà qu'il m'avait finalement dégradé et réduit aux fonctions de traducteur :
ce que je préférais d'ailleurs, ou presque, car de toute façon, et depuis
longtemps, je ne voulais pas mettre mon nom. Mais jusqu'à ce jour, mes efforts
n'ont servi à rien. Les chapitres Wessel et Kienle n'ont servi à rien Monsieur
Apfel se découvre un talent d'écrivain. Bon. Mais qu'ai-je à faire avec ça ? Il
exige même que je traduise littéralement jusqu'au plus petit point sur les i de
son ennuyeuse prose...
Aussi, tout ce qui
m'intéresse encore, c'est l'argent : vingt fois, il m'a proposé de
"financer le contrat". Vingt fois, il s'est récusé. Il prétend ne pas
avoir d'argent, mais il vit largement et il a des amis qui sont les plus riches
de la colonie d'émigrants. Avant mon départ, il m'a promis 2.000 francs, je
l'ai prié d'en donner 1000 aux Clauzel, sous prétexte que je n'ai toujours pas
payé le loyer, et ceux-ci devaient remettre la somme. Et de m'envoyer le reste
en Italie. Rien n'est arrivé encore...
Et toi, de ton côté ?
Je suis sans nouvelles depuis huit jours. Dans ta dernière lettre de Challes,
tu semblais projeter à nouveau de faire un assez long séjour à Paris.
Certainement, tu as vite remarqué que Paris est cher ; est-ce que tu as pu t'en
tirer saine et sauve, c'est-à-dire partir pour Haybes ? Mais j'espère encore
que tu es vite repartie, que tu n'as pas entrepris tout d'abord de nettoyer
l'appartement... Car cela n'en finit jamais plus... et que tu me laisses ce
soin, puisque je rentrerai rue Raffet bientôt, avant toi, et que je veux tout
préparer pour ta rentrée triomphale.
Oui, oui, chère Suzu,
je reviens d'Italie purifié, apaisé, revigoré, et je veux à nouveau te
reprendre dans mes bras, toi qui pries avec tant de ferveur. D'ici là, de mon
côté, vendredi prochain soir, je prierai pour toi. mon Kol Nitrai * sur une
colline d'oliviers.
Je prie ma mère de
t'envoyer les 1.000 francs.. Mais économise quelque chose. Le mois d'octobre
sera long. La note du téléphone n'était pas encore arrivée ?
Et fais en sorte que j'oublie un peu tous ces soucis et crois
en moi, qui redeviens pieux
Ton
Ivan
Carted'Ivan GollSienneà Claire àParis du 25 septembre
1933 MST p.141
Sienne 25
Septembre 33 [lundi]
Chère Suzu,
Merci,
merci pour ta lettre du 22 * ; Comme c’est dommage que tu ne puisses pas
aller à Haybes ! Essaie donc de le faire. Promets 40 Fr, de pension.
Aujourd’hui , le soleil est arrivé avec les cloches de l’angélus d’une
douzaine d’églises. L’automne peut devenir beau. Pars donc ! Je te fais
envoyer les 1000 Frs de Nancy pour l’usage domestique et privé. Ecris toi-même
là-bas qu’ils envoient l’argent plus tôt, et souhaite leur de bien jeûner à Yom
Kipour . Ardemment à toi, celui qui est heureux par toi,
Ivan
·Cette lettre est égarée, il n’y en a plus trace.
Carted'Ivan GollParisà Claire à Perougesdu 1 octobre 1933 MST p.142
1 Octobre 33
[Pérouse]
Chère Suzu,
Dernière étape : Pérouse, petite ville
authentiquement italienne construite sur une colline, et dans laquelle la
chaleur est enfin revenue. Pour ne pas rentrer scandaleusement dépourvu de
bronzage, j’ai allongé le voyage de quelques jourset j’arriverai vraisemblablement samedi à 22
h. à Paris et dans tes bras aimés. Maintenant, je suis depuis si longtemps sans
nouvelles de toi : depuis ta lettre du vendredi 22, rien ! Rien de
Nancy, rien d’Apfel. C’est sans doute dû à la Poste et je suis très inquiet.
S’il se passait quelque chose de particulier, envoie un cable : Pérouse
Poste restante.
Tout
à toi, à toi
I.
Que
ne suis-je une datte
Brune
et nue
Nue
et brune
Pour
n'être qu'un midi qui brûle
Un
désir qui fond
Un
parfum pour ton âme
Un
miel pour ta langue
Une
chair douce douce
A
ta chair forte forte
début octobre 1933
Ivan revient à Paris le
samedi 7 octobre à 22h. oùilretrouve Claire qui ne luia plus écrit depuis
le 22. sept.
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Marienberghütte par Biberwier, Tyrol8 octobre 1933
ImsL p.213
Paris 8 octobre 33
Chère Palu
Ma
à
traduire
Paula Ludwig
Marienberghütte à Ivan à Paris 16 octobre 1933 *** IsmL p.214 à 217
Cher Ma
Palu
correspondance à traduire (superbe lettre d'amour)
carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Marienberghütte
par Biberwier, Tyrol18 octobre 1933 ImsL p.217/218
Paris 18 octobre 33
Chère Palu
Ma
Seul Saint - François doit te
rendre visite
à
traduire
carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Marienberghütte
par Biberwier, Tyrol23 octobre 1933 ImsL p.218
Paris 23 octobre [1933]
Chère Palu
Ma
à
traduire
carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Marienberghütte
par Biberwier, Tyrol26 octobre 1933 ImsL p.218
Paris 26 X. 33
Chère Palu
Ma
à
traduire
carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Marienberghütte
par Biberwier, Tyrol4 novembre 1933 ImsL p.219
Paris 4 XI. 33
Chère Palu
Ma's
à
traduire
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Marienberghütte par Biberwier, Tyrol7 novembre 1933
ImsL p.220/221/222/223
Paris 7 novembre 33
Chère Palu
Ma
à
traduire ***
carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Marienberghütte
par Biberwier, Tyrol10 novembre 1933 ImsL p.223
Paris [10.11.33]
Chère Palu
Lucifer vit.
Dans sa nouvelle armure. Dans
l'éclat de Vénus. Avant la fin du mois, il se présente dans un manteau vert
pour toi. L'éditeur était très amical et prend tous les frais à sa charge.
Un salut de l'Hôtel Studio qui me
faisait signe en passant sans m'arrêter
Ma
carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Marienberghütte
par Biberwier, Tyrol16 novembre 1933 ImsL p.224
16.11.33 Paris
Chère Palu
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Marienberghütte par Biberwier, Tyrol23 novembre 1933
ImsL p.224/225
Paris 23 novembre 33
Chère Palu
Ma chambre est totalement devenue
une vallée de pins. Une fenêtre est entièrement devenue verte.
Manyana
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald5 décembre 1933
ImsL p. 225/226
Chère Palu
Ton
Ma
traduire
Manyana
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald20 décembre 1933
ImsL p. 227/228
Paris
20 décembre 33
Chère Palu
Ton
Ma
Adresses amitiés pour tout 321
traduire
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald31 décembre 1933
ImsL p. 228/229/230
Paris
31 décembre 33
Chère Palu
Yvan
Ton anxiété sur la catastrophe de
chemin de fercomme celle-là m'affecte
aussi.
traduire
1934
Paula Ludwig Ehrwald
àIvan Goll Paris2 janvier 1934 ImsL p. 231 à 235
2.
1. 34
J'avais repris hier soir pour la
première fois en mains le livre de Florence et le relisais. Je l'avais si
longtemps protégé comme un jeune vin que l'on garde intact et maintenant,
j'allais chercher ton vin ressorti des plus profondes caves de l'été, et mon
cœur débordait. Je regardais les images et caressais de la main les murs du
Palazzo
traduire
Yvan : immortelle constellation
de mon âme
Je
t'embrasse avec un nouveau cœur
Je
t'aime d'un amour nouveau
[dans la marge gauche]
Les pierres de tes manchettes ne
sont pas des améthystes mais des grenats, des grenats presque noirs, tirés des
montagnes de ce pays.
carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald,
Tyrol5
janvier 1934 ImsL p.235
5.1.33
[mais cachet de la Poste : 1934 Paris]
Chère Paula
Tu reçois aujourd'hui ou tu dois
recevoir 1 manuscrit et un cartable - Fra Angelico : dans la crainte qu'il
m'arrive le même tour qu'avec les coraux je t'envoie mes voeux par le chemin
habituel afin que tu vives une année aussi grande aussi enthousiasmée que cette
déesse.
En tout cas, dés lors, je
m'incline devant toi
Yvan
[dans la marge gauche]
Je me réjouis de ton arrivée
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald, Tyrol18 janvier 1934 ImsL p. 236/237/238
Paris 18 janvier 34
Chère Palu
traduire
Yvan
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald, Tyrol30 janvier 1934 ImsL p. 238/239/240
Paris 30.1.34
Chère Palu
traduire
Yvan
carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald,
Tyrol10
février 1934 ImsL p. 240
[
Paris 10.II.34 ]
Chère Palu
Ma
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald, Tyrol23 février 1934 ImsL p. 241/242
Paris 30.1.34
Chère Palu
traduire
Ma's
carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald,
Tyrol9
mars 1934 ImsL p. 242
[
Paris 9.III.34 ]
J'attendais avec beaucoup
d'inquiétude ta "publication"
Ma
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald, Tyrol22 mars 1934 ImsL p. 242/243/244
Paris 22 mars 34
Chère Paula
J'ai du relire plusieurs fois
d'un bout à l'autre ta lettre : je ne savais passi je la trouvais triste, ou si elle était le
reflet de l'amertume de ton humeur ou tantôt optimiste ou tantôt dépitée ; j'ai
mis longtemps à me décider et je te réponds aujourd'hui, bien que je ne sache
pas bien encore si je suis arrivé à un résultat. Ceci me gêne, en effet, de
m'approcher plus souvent de toi
vérifier mon
bout de traduction et traduire la suite
Yvan
Paula Ludwig Ehrwald
àIvan Goll Paris25 mars 1934 ImsL p. 244 à 248
Ehrwald
- Dimanche des Rameaux
25.
3. 34
traduire ****
le 26 mars 1934, Paula revient à Berlin
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin2 avril 1934 ImsL p. 249/250
Paris
lundi de Pâques
[2.4.34]
Ma Chère Palu
o mon ravisseur -
Ma
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin15 avril 1934 ImsL p. 251
15.4.34
Chère petite Paula
Many
Paula Ludwig Berlin,
àIvan Goll Paris,18 avril ****1934 ImsL p. 251 à 254
18
avril 1934
Ma chère Manyana -
traduire,
manque la fin de la lettre
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin28 avril 1934 ImsL p. 255
Paris
28 avril 34
Chère Palu
traduire
Ma
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin3 mai 1934 ImsL p. 256/257
Paris
3 mai 34
Chère Palu
traduire
Ta
Ma
carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin30 mai 1934 ImsL p. 257
30 mai 1934
[Paris]
Chère Palu
traduire
Salut
à Nina, à Falk et tiens-toi en bonne santé
Ma
Le 1er juin 1934, Paula quittait définitivement Berlin pour Ehrwald
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald3 juin 1934 ImsL p. 258/259
Paris
3 juin 34
Chère Palu
traduire
Ma
Paula Ludwig Ehrwald,
àIvan Goll Paris,8 juin 1934 ImsL p. 260/261
Ehrwald
8 juin [1934]
Chère Ma.
Ton
Palu
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald15 juin 1934 ImsL p. 260/261
Paris
15 juin 34
Chère Palu
traduire
Ma
Marcel Raymond
(Bâle) à Yvan Goll le 23 juin 1934
Bâle le 23 juin 34
Cher
Monsieur,
Vous êtes très aimable d'avoir songé
à m'envoyer votre "Lucifer". Je le lirai à l'ombre dans quelques
semaines. Quant à votre "Orphée", que je connaissais en partie, il me
rappellera cette atmosphère de Parisd'après-guerre, qui était assez enivrante, et qu'on ne peut oublier.
J'ai lu avec intérêt votre
"Surréalisme" ; en pensant à lui, j'ai des remords …, mais je vous
l'ai déjà dit.
Nous vous attendons à Bâle, vous et
Madame Goll, n'est-ce-pas ?
A bientôt, j'espère, et
croyez-moi votre dévoué
Marcel
Raymond
P.S.:Nous quittons Bâle vers le 10 juillet : du 1
août au 15 octobre, nous serons à Genève(Chemin Bizot), puis à nouveau à Bâle
SDdV
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald26 juin 1934 ImsL p. 261/262
Paris
15 juin 34
Chère Palu
traduire
Pourquoi
?
I
Claire Goll,
part vers le 25 juin en Italie pour un séjour en cure (?).
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald3 juillet 1934 ImsL p. 262/263
Paris
15 juin 34
Chère Palu
traduire
Ton
I
Et j'ai aussi de l'argent; sois
sans souci. Salue la petite Nina. Mais ne parle à personne d'autre de mon
arrivée. Je veux rester entièrement caché.
Claire a
envoyé un télégramme laconique le samedi 7 juillet, depuis Rome. Yvan lui écrit
Poste Restante. Yvan sait qu'elle est avec l'homme avec lequel elle était en
Italie en 1931, et à la même adresse
lettre
d'Ivan Goll Paris à Claire Italie du 7 juillet
1934 MST p.142/143
samedi
7 juillet 1934
Chère
petite Suzu,
Cette
nuit a été l'une des plus douloureuses de ma vie : étrangement pleine de voix
et d'appels - de tes appels - et de vertes cimes d'arbres, parce que
là-bas, il y avait une fête nocturne sur les lacs du Bois.
Symbole
: je devais recueillir seul les comètes qui tombaient sur notre balcon, tandis
qu'au loin, tu ramassais de tes mains d'enfant, la lune brisée, dans les champs
de blé mûr, et te brûlais …
L'aube
vint de bonne heure, mais non le repos. Je fis un séjour avec toi à Turin, à
Gênes ; tu te montras enchantée de la langue italienne, puis vint cette
expérience avec la mer étincelante. Je ne sais pas quel fut ton parcours, mais
je l'ai vécu.
Ensuite,
m'arriva avec le courrier, ta lettre apaisante de Laroche, avec la fraîcheur
paisible despeupliers crépusculaires
qui t'ont vue. J'allais mieux. Mais à 5 h 35, la fièvre monte de nouveau ;
as-tu vu tout de suite, en face de la gare, le Museo delle Terme ?
Une
grande souffrance est en moi, d'autant plus grande que je sais l'avoir méritée.
J'aurais parfois grande envie de
ramper sous le piano. Je vais subir de lourdes épreuves, et je crains la plus
lourde, au Tyrol. Ce ne sera pas comme les années précédentes. Le long
pèlerinage que je projette me conduira finalement à toi, - définitivement. J'ai
le sentiment, pour la première fois, que je ne vais là-bas que pour poser un
point final.
Mais
le temps de l'attente, ici, sera encore plus cruel. Encore dix jours au moins.
Chez
Halphen, il n'y avait pas encore de robe.
Mary
a disparu depuis huit jours, sans laisser de trace. Elle m'a fait dire que les
photos sont rue du Bac, mais le photographe n'en savait rien. C'est tout à fait
Mary.
Et
maintenant, puissent les dieux de Rome te bénir !
Ivan
Lettre
d'Ivan Goll Paris à Claire Italie du 8 juillet
1934 MST p.143/144
Dimanche
soir 8 juillet 1934 [Paris]
Chère
petite Suzu,
Étranges sont les voix
du destin. Hier, après n'avoir pas quitté de toute la journée, la fraîche
terrasse, je suis allé au café et j'y ai trouvé une ambiance bien italienne :
là se trouvait, en effet, le peintre Cristofanetti et sa femme. Te rappelles-tu
que j'ai fait la connaissance de cette dame, il y a deux ans, dans le train du
Tyrol, alors que je me hâtais de revenir à toi ! Autour de lui, dix autres
italiens étaient assis, et j'entendais parler cette langue céleste avec autant
de pureté que si j'avais été au Café Cok de la Piazza Venezzia.
On m'a
submergé de lettres d'introduction pour toi. D'abord à Son Excellence le
Conseiller d'Etat Luigi Cristofanetti, père de notre ami, qui pourra te
recommander en tous lieux, peut-être même au Duce, si tu en as envie.
Une
autre dame d'un certain âge, qui joue, paraît-il, un rôle dans le parti
fasciste, te recommande à l'Hôtel National, où tu trouverais éventuellement une
chambre pour 6 lires, si tu n'as rien trouvé de bien ailleurs. Ton télégramme
laconique d'hier m'a fait supposer que tout n'est pas si simple.
Cependant,
il se peut que tu n’aies aucun besoin de recommandations, et c'est même
probable, car on peut découvrir sans elles les colonnes, les temples et les
chapelles, et finalement c'est ce qu'il y a de plus intéressant à Rome.
J'espère
que tu as de très belles impressions.
Ivan
lettre
d'Ivan Goll Paris à Claire Italie du 12
juillet 1934 MST p.144/145
Paris
Jeudi 12
juillet 1934
Chère petite Suzu,
Tes
impressions grandioses sur Rome ne feront que s'intensifier chaque jour. C'est
la seule ville où pareille chose est possible.
Dommage
que je ne puisse toucher, dans cette lettre, qu'au côté administratif de ton
voyage - mais explique-moi ce qu'est un appartement ? Depuis le début, je ne
l'ai pas compris, étant donné que l'Italie est si diverse, et qu'avec un billet
comme le tien, on ne veut pas séjourner dans un seul endroit, surtout avec ton
programme, qui comporte certainement encore Florence, Assise, sinon Naples ?
Pourquoi un appartement ? Je t'adresse une très importante recommandation à
l'Hôtel National, un des plus grands de Rome, où tu n'aurais à payer que 15
lires lieu de 40.
Mais
tout cela est déjà passé, probablement.
Je
voudrais que tu retires de ce voyage de belles impressions.
Je donne
aujourd'hui à la Schweizerische Bankgesellschaft l'ordre de t'envoyer 800lires, qui viennent être converties en
liquide, grâce à une vente de titres à Madame Lang.
Entre-temps,
j'ai eu beaucoup de peine et j'ai dû m'humilier pour obtenir seulement quelques
centaines de francs (300 francs) chez Shermann ou Drach. Cela est terminé.
Je n'ai
reçu qu'aujourd'hui l'argent pour Halphen. La petite robe part aujourd'hui. La
jaquette demain. Toujours poste restante.
Je pars
au début de la semaine prochaine : mais d'ici là, écris à Paris. Ensuite, je te
donnerai mon adresse. En hâte.
Ivan
a) s'il te plaît, ne m'écris pas tes belles lettres sur
ces étroites feuilles de bloc ; prend un grand bloc, car cela m'irrite toujours
qu'il y ait si peu de place.
b) 300 lires de gaz et d'électricité : c'est la
consommation d'une famille avec trois enfants pour trois mois d'été ! Alors que
tu ne peux pas faire cuire un oeuf. Qui fait la cuisine ?
(Ivan Goll écrit un livre sur le
psychographologue Shermann, qui fut retenu en Allemagne contre son gré jusqu'en
1933. Raphaël Shermann "l'écriture ne ment pas", Gallimard 1935
Drach, éditeur de la
revue "Vu" qui publia en 1934 des passages du livre).
carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald13 juillet 1934 ImsL p. 263
Paris
13 juillet 34
Chère petite Paula
S'il n'est pas possible
d'intervenir entre cela, je pars le mardi soir d'ici et je suis mercredi, vers
1 heure à Innsbruck. A l'avance, je t'envoie déjà mon bonheur
lettre
d'Ivan Goll Paris à Claire Italie du 14 juillet
1934 MST p.145
Paris
14 juillet
1934
Chère Suzu,
Je te
félicite : ton acte de vengeance a réussi cent pour cent. Ta théorie du rachat
se réalise pleinement.
Ici
encore, un complément à ma première lettre :.
Pendant
la nuit que j'ai passée en voyage avec toi, j'eus soudain une vision : le
chapeau mou, gris-pigeon, qui était posé dans le coin, en face de toi, près de
la casquette de voyage et de Gringoire, je le vis sur une tête que je connais
très bien, et nullement sur celle du vieux monsieur qui se tenait dans le
couloir. C'était assez bizarre que cet inconnu restât absent si longtemps, et
qu'il n'assistât pas à notre dernier baiser.
J'envoie
donc ton adresse au receveur ; elle n'est pas nouvelle pour moi, car j'y ai
télégraphié plusieurs fois, il y a trois ans.
Sans
doute, tous mes envois ont été faits " fermo posta ": a) le petit
costume en 2 envois.b) 1.000 lires (au
lieu de 800), qu'à la dernière minute, je t'ai fait adresser télégraphiquement
par la SchweizBankgesellschaft ..
Je pars
mardi.
Au
revoir,
Ivan
I
lettre
d'Ivan Goll Paris à Claire Italie du 14
juillet 1934 MST p.145/146
Paris
14 juillet
1934
Chère Suzu,
Reçu à l'instant cette carte de Doralies. Il faut
que tu y répondes, vite, que nous serons probablement à Paris dans la seconde
moitié de septembre, que tu lui paieras, bien entendu, le voyage vers à
Paris(très petite somme) étant reçue
chez nous, elle n'aura guère de dépenses à faire ici.
Faire
une autre réponse est presque impossible. Anvers est à peine à cinq heures de
Paris. Il faut apprendre aux mères à faire leur devoir. Voilà ce qui arrive
quand on a des filles.
Ci-inclus
aussi le Zuri Zittig.
Ton
Ivan
Peut-être
la vision dont je t'ai fait ce matin le récit n'est-elle que l'hallucination
d'un torturé ?
À partir de mercredi : Innsbruck, poste restante.
Yvan arrive le
17 juillet chez Paula. Ils prennent quelques jours de vacances ensemble à
Schönwies dans le Tyrol avant de revenir à Ehrwald.
lettre
d'Ivan Goll Schönwies,Tyrol à Claire
Italie du 19 juillet 1934 MST
p.146/147
Steinseehütte (1934)
par Schönwies ( Oberinntal)
jeudi 19 juillet (1934)
Chère petite Suzu,
La première chose que
j'ai faite, lors de mon arrivée à Innsbrück, (à une heure de l'après-midi), ce
fut de me précipiter à la poste, où j'ai trouvé ta lettre d'amour, non plus
bleue, mais d'autant plus céleste. Je suis si heureux que tu aies compris tout
de suite mon état d'âme et ma peine. Je suis heureux de ton expérience romaine
et de la force dont tu fais preuve, dans cette solitude relative. Et je t'envie
presque pour les petits frottements humains que tu as rencontrés dans cette
ville unique en son genre : c'est par eux que l'on peut le mieux connaître une
atmosphère. Dans les grands hôtels, où tout marche sur des roulettes, on n'a
pas cette occasion.
Au Tyrol, tout se passe comme prévu. Je n'irai pas à
Ehrwald ce qui va te rassurer beaucoup. Paula m'attendait à la gare
d'Innsbruck, nous allâmes aussitôt au bureau de tourisme et nous rendîmes, dès
le soir, ici à Schönwies un tout petit trou villageois. Ce matin, nous allons
monter à Steinseehütte, avec des sacs à dos, et y rester éventuellement
quelques jours ou plus longtemps. Ce sera selon... Nos bagages restent en bas.
Peut-être ne nous plairons-nous pas là-haut, et alors nous irons ailleurs mais
pour l'instant, mon adresse est celle indiquée ci-dessus.
En
outre, je sais déjà que je suis réuni à Paulapour la dernière fois. Cette part de ma vie est déjà morte pour moi. Je
regrette presque d'être venu . Je crains qu'elle soit déçue et qu'elle remarque
trop tôt que je ne suis plus le même que l'an dernier. Je le pressentais déjà,à
Paris, mais ici, maintenant, je le sais et j'aurais peut-être dû procéder d'une
façon plus abrupte.
Il est à
espérer que la nature et le soleil nous aideront à écarter de nos esprits ce
malentendu de notre actuelle rencontre. À parler franc, j'ai presque peur de
m'ennuyer bientôt.
Et je
répète, en l'inversant, la phrase de ta dernière lettre : malgré les belles
impressions (Rome) du Tyrol, je désire vivement être, de nouveau, réuni à toi,
dans un lien indivisible. Comme les attirances corporelles sont faibles.
Mais les
liens d'amour entre nos âmes sont éternels.
Ivan
lettre
d'Ivan Goll Schönwies,Tyrol à Claire
Italie du 21 juillet 1934 MST p.147
Schönwies,
samedi 21 juillet 1934
Chère petite Suzu,
Aujourd'hui samedi,
nous sommes déjà redescendus . La Steinseehütte, que tu vois sur les deux
cartes incluses, était située à 2.000 m, nous avions monté pendant cinq heures,
par des gorges et des lieux sauvages : c'était fatiguant, surtout ainsi, sans
transition, après avoir respiré l'air du métro parisien pendant une année, -
mais une fois arrivé en haut, nous avons été déçus : car le chalet était tout
petit et ne comportait qu'une pièce avec seize couchettes...
Nous
restâmes néanmoins deux jours là-haut, nous baignant dans le lac glacé,
cueillant ces petites fleurs si délicates, aux couleurs profondes, dont je
voudrais poser quelques unes contre tes joues : même quelques edelweiss, dans
des endroits accessibles sans danger, et des buissons de rhododendrons.
Toutefois,
nous dûmes nous décider à redescendre. Nous allons maintenant rester un peu à
Schönwies, puis continueront peut-être à explorer la vallée.
Mais en
ce qui concerne le courrier, ce sera de plus en plus difficile. Je crois qu'il
vaut mieux que tu recommences à écrire à Innsbruck, poste restante.
Je pense
beaucoup à toi ; chaque pas que je faisais à la rencontre des sommets me
donnait le sentiment que je me rapprochais de toi. Chaque fleur que je
cueillais était pour toi, et chaque étoile qui s'allumait pour moi avait
l'éclat de tes yeux aimants.
Ivan
lettre
d'Ivan Goll Ehrwald,Tyrol à Claire
Italie du 24 juillet 1934 MST
p.148/149
Ehrwald
Mardi 24
juillet 34
Chère petite Suzu,
Nous
avons encore erré, trois jours, dans les vallées Tyroliennes et sur des
Alpages, sans trouver nulle part un lieu de séjour durable. Partout manquait,
même dans les montagnes les plus éloignées, l’isolement. Ensuite, le temps est
devenu mauvais - plusieurs violents orages, puis une pluie torrentielle : bref,
nous avons dû nous réfugier à Ehrwald, où Paula possède un ravissant petit
appartement, installé de façon coquette, avec bains, balcon avec vuesur un panorama de montagnes : à gauche le
Zugspitze, à droite, la Sonnenspitze.
Et des
livres, autant qu'on veut. Ici enfin, nous nous sentons bien.
Par
ailleurs, pas la moindre crainte à avoir. Ehrwald est totalement désert. Pas un
seul vacancier. Les habitants eux-mêmes sont complètement absorbés par la
moisson et les soucis de ravitaillement. Pas une être âme ne se soucie de nous.
L’appartement est tel que je n'ai ni besoin ni envie de faire un pas au dehors.
Politiquement, on est ici totalement apathiqueJe m'étonne moi-même, à présent, de nos inquiétudes. Personne ne sait
rien de moi
Enfin je
me remets de mes douleurs musculaires, de mes coups de soleil, de ma
fatigue.Paula me soigne bien. Mais je
pense beaucoup, beaucoup à toi, petite Suzu, trois lettres (2 bleues, et ce
sont quand même celles que je préfère) et 1 express. Toutes trois expriment le
même souhait : celui de nous rencontrer dans quinze jours à Florence, Capri ou
Portofino.
Je
réfléchis, je calcule, je médite. Mon désir de te voir est si grand..
Mais en premier lieu :
peux-tu vraiment te passer de ta cure à Challes ? Pense aux nuits parisiennes à
venir. Je me souviens que tu affirmais, il y a trois semaines, que Challes
t'était indispensable ; tu aurais mieux fait d'y aller dès le printemps. Ç'aurait
été le plus simple, que tu accomplisses d'abord ton devoir à Challes et
t'offres ensuite l'Italie comme récompense, - et si nous avions agi de d'une
façon mieux concertée, si j'avais pu atténuer ta soudaine soif de Rome, si nous
avions mieux réfléchi. Mais cela est du passé. Nous ne devrons plus commettre
de faute.
D'abord, j'ai peur de l'Italie en
août. Ensuite, je ne voudrais pas aller à Challes, surtout parce que cela
reviendrait très cher. Là-bas, la journée coûte au moins 60 francs - 20 schillings,
par tête, tandis que je ne dépense ici pas plus de 3 schillings.
Alors, qu’en dirais-tu, si après ton
mois triomphal à Rome, tu allais à Challes, je t'y reprendrais vingt jours plus
tard, donc par exemple le 20 août, et nous irions tous les deux encore une fois
en Italie.
Cela ne
reviendrait pas cher. Car sur ton billet actuel pour l'Italie, tu paierais
pendant trente jours 2 % de supplément, donc 60 %, et tu en perdras tout le
bénéfice. Un nouveau billet pour l'Italie, fin août, et pour tout le mois de
septembre coûte moins que rien, comme tu le sais. Et alors nous serons libres
et pourrons rester aussi longtemps que nous le voudrons, tandis que le souci de
Challes et le souci du billet (avec ton ancien billet) ne nous laisseraient pas
de répit. Pour Challes, septembre est trop tard ; pour Florence, c'est le mois
idéal.
Troisième
point : tu laisseras alors tes malles à Chambéry, et bondiras avec moi sur les
collines de Fiesole, en petite tenue de voyage, ne cherchant à plaire qu'à moi.
Ou bien nous irons au bord de la mer à Gênes, à Portofino. C'est égal. Mais
nous serons libres. Tu as eu assez de temps pour séduire les Romains avec ton
chic parisien. En aucun cas je ne supporterais d'être chargé de 50 kg de
bagages (je me vois suant, le 15 août, à la gare de Torentolo, bifurcation pour
Assise - Horrible !) le parcours de Chambéry à Modane ne coûte, lui non plus,
presque rien. Veux-tu donc, cette fois, réfléchir mieux, avec moi, à ce projet,
et être très raisonnable ? Je te promets d'aller te chercher à Challes au bout
de 18 à 20 jours ! Cette cure n'est-elle pas alors supportable, après Rome et
avant Florence ? Songes-y bien attentivement.
Par
contre, si je me précipite tout de suite vers toi le 1er août, - que
ferons-nous, en septembre, le billet étant utilisé ?
Mais
avant tout, avant tout, sache que je t'aime, que je n'aime que toi. Je cherche
seulement à rendre aussi belles que possible les circonstances de notre revoir,
et je ne pense qu'à ton émouvant cadeau de Mélusine.
Ton
Ivan
Ici, l'expérience Tyrol achève de mûrir et se termine
entièrement ; je pourrai peut-être encore achever un travail.
Le 27 juillet
Yvan part d'Innsbruck vers Vérone, pour y retrouver sa mère, puis Claire Goll à
Port d'Ischia
carte d'Ivan Goll Fernpass
à Paula
Ludwig Ehrwald27 juillet 1934 ImsL p. 264
Fernpass
9H
Hôtel
des Alpes
Chère chère grande Palu
Tout à l'heure, je voyais dans le
Blindsee les rêves qui nous ont déjà jeté depuis deux ans dans des problèmes
très vert-bleu mieuxtraduire ça et la suite
carte d'Ivan Goll Innsbruck
à Paula
Ludwig Ehrwald27 juillet 1934 ImsL p. 265
Trop triste était ce superbe
trajet vers le bas sans toi ! Pas sans toi, car j'emportais avec moi te yeux
bruns d'hermine - j'embrassais tes mains - j'aime ton âme.
Ma
Ivan Goll Vérone à Paula Ludwig Ehrwald27 juillet 1934 ImsL p. 265/266
Vérone vendredi
soir
[27
juillet 1934]
Aujourd'hui, j'écris à la pauvre,
la petite, la petite Paula, toujours abandonnée …
Yvan
J'ai grimpé dans le néflier
Pour suivre ta course
Vers la montagne bleue
J'ai vu ta route à travers les rhododendrons
Des nuées de perruches blanches
S'élevaient comme une poussière
Autour de tes pas
Et lorsque tu passas le dernier col
J'ai vu dans un nuage
Ton ombre retournée vers moi
écrit entre le 1er et le 7 août 1934(Chansons Malaises 1935(31)II/197)
La
neige parfumée du caféier
A
rouillé en trois jours
L'amour
roux de l'abricotier
A
duré moins longtemps
Le
melatta pourrit
En
une nuit de pluie
Mais
moi présomptueuse
Dardant
mes seins
A
la lune
Au
soleil
Croirais-je
donc ma beauté immortelle ?
Hélas
bientôt refleuriront
Anis
safran et poivrier
Et
les branches de mon squelette
Resteront
nues
écrit entre le 1er et le 7 août 1934(Chansons Malaises 1935(33)II/197)
Je
te croyais le soleil qui fait éclater
les rhododendrons
Je
te croyais la statue de pierre qui
ordonne la marche des jours
Je
te croyais le roi étincelant qu'aucun
mortel n'ose approcher
Mais
de mon doigt de nacre
Frôlant
ton épaule orgueilleuse
J'ai
fait de toi un tout petit garçon
Qui
cache son angoisse sous mon
aisselle
brune
écrit entre le 1er et le 7
août 1934 (Chansons Malaises 1935(28)II/199)
Quelque part fleurit l'épice amère
La sens-tu ?
Quelque part est perché l'oiseau aveugle
Le vois-tu ?
Quelque part souffle le vent noir
L'entends-tu ?
Quelque part se lève l'ombre glacée
Le sais-tu ?
écrit entre le 1er et le 7
août 1934Chansons Malaises 1935(37)II/199
L'oiseau
chanta comme tous les matins
Et
je voulus te réveiller
Car
la rizière est loin
Ma
main pour te chercher
Erra
tout le long de la couche
S'allongea
jusqu'aux Iles
Et
parcourut toute l'Asie
Oh
j'avais dormi seule :
Mais
l'oiseau chantait tout de même
écrit entre le 1er et le 7
août 1934Chansons Malaises 1935(32)II/199
Seras-tu
l'oiseau rapace
Frère
de l'Est ?
Seras-tu
la colonne du temple
Frère
du Sud ?
Seras-tu
mon étoile
Frère
de l'Ouest ?
Seras-tu
ma tombe
Frère
du Nord ?
Qui
que tu sois : je t'attends ! je t'attends !
écrit entre le 1er et le 7
août 1934Chansons Malaises 1935(29)II/201
Mon amant le pêcheur
Me quitte chaque nuit
Comme s'il me trompait
Il se penche sur la mer pâle
Les vagues ont des corps de femmes
Habillées de dentelle
Il leur tend longuement les bras
Il se penche toujours plus bas :
Va-t-il tomber ?
Mais dès le petit jour
Il se redresse, levant au soleil
Ses paniers tressés d'or
Il vient déposer à mes pieds
Comme un bouquet de fleurs
Ses plus beaux poissons roses
écrit entre le 1er et le 7
août 1934Chansons Malaises 1935(30)II/201
Le 7 août Ivan part
avec sa mère pourPort d’Ischia, ils
retrouveront Claire qui partira en cure à Montecatini le 4/5 octobre
Ivan Goll Port
d'Ischia à
Paula Ludwig Ehrwald 8 août 1934 ImsL p.
274/275
Port d'Ischia
8.8.34
Chère petite Paula,
…
Yvan
Ivan Goll Port
d'Ischia à
Paula Ludwig Ehrwald 16 août 1934 ImsL p.
275/276
Port d'Ischia
16.8.34
Chère Palu,
…
Ma
Ivan Goll Port
d'Ischia à
Paula Ludwig Ehrwald 24 août 1934 ImsL p.
277/278
Port d'Ischia
16.8.34
Chère Palu,
…
Ma
Ivan Goll Port
d'Ischia à
Paula Ludwig Ehrwald 29 août 1934 ImsL p.
277/278
Ischia 29
septembre 34
[
la date exacte 29.8.34 ]
Chère Palu,
…
Ma
Dans
ton baiser plus profond que la mort
Je
sens ta rage de rentrer en terre
De
retourner vers ton néant
Tu
te dissous
Tu
te détruis
Nuage
tu tombes
Fleuve
tu cours vers ta mer
Et ma chair te reçoit comme un sépulcre
écrit en automne 1934 Chansons Malaises 1935-
20 -II/203
J'habite le corps d'une morte
Toute ma joie s'en est allée
Mes yeux écarquillés ne captent plus
la
lumière
Mes genoux s'effritent comme du
sable
Tout me fuit
Seuls les fauves continuent à rôder
Flairant la charogne de mon cœur
écrit pendant l'automne 1934 Chansons Malaises 1935(39)II/204
Je
ne suis que du sable
Du
sable indifférent
Sous
le soleil roux
Je
ne suis qu'une rive
Eperdument
perdue
Au
bord de l'infini
Mais
je t'attends toi qui me veux
Toi
marée léonine
Dieu
qui me créas pour me dévorer
Eau
qui me boiras
Feu
qui m'incendieras
J'attends
que tu m'exauces me dissolves
En
sable encore plus fin
Encore
plus indifférent
Sous
le soleil roux
écrit en automne 1934 Chansons Malaises 1935-
22 -II/204
Je
suis l'amphore qu'un potier savant
A
voulu svelte et accueillante
Mais
je t'attends : o ma substance !
Verse-moi,
mon amant
Le
vin de ta force
L'huile
de ta bonté
L'eau
fraîche de ta foi !
Peu
m'importe : exauce-moi
Et
donne-moi mon nom !
écrit en automne 1934 Chansons Malaises 1935-
12 -II/206
Ivan voyage avec sa mère en Italie depuis le 7 août 1934
Ivan
Goll dans le train Florence/Bologne à Claire Montecatini 5 sept.
1934 MST p.150
Signora Claire Goll
Albergo "Villa Berta"
Montecatini - Terme5
septembre 1934
dans
le train Florence-Bologne
Mon tout petit enfant,
J'ai
tout juste eu le temps de courir à l'hôtel : le portier n'était au courant de
rien et il sonna la femme de chambre au moins cinq minutes, mais on ne put la
trouver nulle part. Finalement, je dus repartir en toute hâte sans être
renseigné, car le train partait cinq minutes après, il m'emporta.
Je pense beaucoup à toi et à ta triste destinée. Ah !
j'ai si mal au fond du coeur : un tel enfant, ma petite Suzu !
Le portier de l'hôtel, qui est très
gentil, a ton adresse et t'écrira si l'on trouve quelque chose. Je suis monté à
la chambre. Elle est louée, à nouveau à un petit couple.
Qu'elle fut belle,
cette nuit de colombes, auprès de la fille de légende que j'aime.
Ivan
Je
suis la terre
Que
tu laboures
Pour
semer le riz et la joie
Sous
l'allégresse de tes pieds
Mes
prairies dansent
De
ta tête ruisselle le soleil
Mais
quand tu jettes l'ombre
J'ai
froid comme une morte
Un
jour en me creusant
Tu
trouveras ta tombe
écrit en automne 1934 Chansons Malaises 1935-
14 -II/206
Ivan arrive le 5
septembre à la Torbole( lac de Garde) avec Paula Ludwig
Ivan
Goll Torbole, lac de Garde à Claire Montecatini 6 sept.
1934 MST p.150/151
Torbole
Lago di Garda
Villa Helvétia
Chère petite Suzu8
septembre 1934
Ta
lettre rafraîchissante et pleine de bonté, de la Fontaine Rinfresca, a conforté
ton voyageur fatigué, à l'heure voulue.
Hier, en
minuit, je suis tombé comme un aveugle dans un lit d'hôtel,sans le regarder :
mais, ce matin, un train omnibus m'aa bientôt amené à la Riva simili -
mondaine, toute rutilante d'or, mais ennuyeuse à bailler.
Je
m'enfuis, peu après, sur une route brûlante, à 4 km de là, à Torbole : dans ce
coquet village de pêcheurs, j'ai trouvé la chambre que je souhaitais, sur le
lac, avec possibilité de faire la cuisine, pour 11 lires. La dame, une
Suissesse, met à ma disposition sa vaisselle et ses services : en présent
seulement, je comprends combien on nous estampait à Ischia.
Sous ma
fenêtre, le bateau à vapeur du Lac de Garde a sa station.
Mais à
chaque heure, je me représente ce que tu es en train de faire :
Es-tu courageuse ?
Bois-tu ce qu'il faut de Regina ?
Comment se porte notre cyprès d'adoption ?
Te pèseras-tu demain ?
Tes oreilles s'habituent-elles aux coraux ?
J'espère, ici, bien travailler.
Le ciel s'ennuage.
Mes
pensées d'amour
nagent
vers toi
Ivan
Je suis ton ruisseau
Ivre de menthe
Penche-toi sur moiQue
je te ressemble
Baigne en moi
Et sens comme je tremble
Mange mes poissons
Pour mieux m’engloutir
Bois-moi
Pour mieux m’anéantir
Aime-moi
Je t’aiderai à te noyer
écrit en automne 1934
Chansons Malaises 1935- 17 -II/208
Ivan
Goll Torbole à
Claire Montecatini 10 sept. 1934 MST
p.151/152
Torbole,lundi 10 septembre 1934
Chère petite Suzu
Talettre calme et tendre de samedi m'a rassuré
bien que je sache qu'entre les visites au château et au cinéma, il te reste
encore assez de temps pour une pénible solitude. Et je subis cette séparation,
commune une épreuve, presque autant que toi-même.
Il est
vrai que je suis très bien ici. Le repos complet de l'esprit et du corps.
Jusqu'à ce jour, nous avons été au lac, pour nous baigner, dès neuf heures du
matin. Il faisait un temps divin. Torbole est vide et semble n'appartenir qu'à
nous. À midi, avant de rentrer, nous achetons un poisson - une truite de taille
moyenne, 3 lires, - la propriétaire de la maison nous a préparé des pommes de
terre.
Mais
hier soir a éclaté un violent orage : toute la nuit, les éclairs illuminaient
la chambre comme en plein jour - à présent, il pleut. Je vais donc me mettre à
travailler. D'abord, au premier acte de la pièce. Dès que j'aurai terminé cette
lettre. Tout est déjà prêt sur la table, dans un petit cabinet attenant que
j'ai réquisitionné pour mon travail.
Car je
sais qu'à Paris, en ce moment; devra commencer une période de grande activité,
si nous ne voulons pas être complètement submergés. Ou une pièce de théâtre, ou
une machine à café expression, quelque chose doit être fait maintenant et
conduire au succès !
Je pense
déjà à notre voyage de retour : je quitterai ce lieu, probablement dimanche en
8, donc le 23 septembre car la traversée jusqu'à Decenzano dure cinq heures.
Mais, le dimanche, elle coûte sensiblement moins cher. Je passerai la nuit à
Decenzano,serai lundi matin à Milan, et
le soir, vers cinq heures, à Paris.
Il faut
encore que tu m'envoies ici là l'adresse des éditeurs de Milan etles indications précises sur les démarches
déjà en cours auprès d'eux.
Je
recevrai après-demain de l'argent de Suisse et je t'en enverrai alors.
Mange
bien, bois bien, engraisse
et
aime
ton
Ivan
Ivan
Goll Torbole à
Claire Montecatini 13 sept. 1934 MST
p.152
Torbole, 13 septembre 1934
Chère petite Suzu,
Le
développement de mon aventure avec Paula - qui fut interrompu prématurément au
Tyrol - a maintenant atteint son point culminant dans le paisible isolement du
Lac de Garde : celui-là même que je t'avais précédemment fait entrevoir : nous
avons décidé de ne plus nous revoir après ces journées d'automne. Notre
actuelle vie en commun n'est qu'une fête d'adieu. Nous y sommes prêts, tous les
deux, consciemment et calmement. Car je ne peux plus répondre au sentiment de
Paula, qui est grand et total, avec la même plénitude ; et cela, parce que je
ne peux pas disposer de la liberté de messentiments et de mon coeur, - les ayant déjà engagés (devines-tu à qui
?). Mais ce serait une trop grave responsabilité que de continuer à peser sur
sa liberté et sur ses sentiments ; et elle n'a pas le droit de continuer à
amputer sa vie.
Je
te le fais savoir en mots tranquilles, comme une donnée objective, et non parce
que je souhaite te rassurer, te tromper ou t'influencer d'aucune manière.
Mais,
étant donné que tu sens et souffres avec moi, depuis le début, tu as aussi le
droit d'être instruite du dénouement.
Le
programme des prochaines semaines est le même : mais si ta cure ne te réussit
pas ou s'il y a quelque chose d'autre en vue, pourrait-on éventuellement partir
trois jours plus tôt ?
Je
m'étonne de ne plus avoir un signe de vie depuis si longtemps (depuis samedi !)
et je t'étreins.
Ivan
Ivan Goll Torbole
à Claire Montecatini 14 sept. 1934 MST p.153
Torbole, 14 septembre 1934
Chère petite Suzu,
Tes deux
dernières lettres, qui sont arrivées aujourd'hui en même temps, avaient une
nuance mélancolique. Te voilà donc malade, de nouveau et je ne m'en étonne pas.
Je l'ai crains, dès que j'ai vu le premier menu de l'hôtel : pas trace de
régime. Et, comme tu obéis sagement aux prescriptions de Landau - engraisser -
tu manges des choses défendues ! Ces stations thermales ! Donc, ce Montecatini
aussi est une faillite. Tu allais certainement mieux à Albergoll Ischia.
Maintenant,
je n'ai plus confiance en Montecatini. Et toi ? Et qu'en pense Landau ?
Peut-être pourrais-tu partir un peu plus tôt que prévu ? Par exemple, le samedi
22 septembre ? Deux jours plus tôt ? En ce cas, je partirais moi-même dès le
vendredi 21, et resterai un jour entier à Milan, pour rendre visite à Léonard
de Vinci et aux éditeurs . Je t'attendrais alors le samedi à 18 heures 35 à
Turin ? C'est à voir car enfin, nous avons le champ libre .
Bien
entendu, tu devras prendre un nouveau billet jusqu'à Pise. C'est ainsi que je
l'ai toujours compris et tu feras enregistrer ta grande malle jusqu'à Modane
(et non : Modène).
Mais
nous pouvons aussi en rester à l'ancienne date.
Une
petite surprise désagréable, c'est que le petit déjeuner n'est pas compris dans
le prix. Dans ce cas, je me ferai moi-même mon thé, pour ne pas avoir
inutilement traîné avec moi le grille-pain..
As-tu
déjà reçu une facture ? Tu recevras directement de Suisse 500 lires, et de-moi
le reste, dès que je pourrai me rendre compte approximativement de la somme
totale. Je vends, je vends, à Zurich - les bourses mondiales ont ressenti cette
secousse !
Merci de
me transmettre les diverses lettres. Ci-inclus, une lettre pour Nancy, dans
laquelle j'envoie à Daniel l'articles Angeler (*) que j'ai récemment écrit, en
attendant que je le donne à l'Intran.
Je
travaille tout seul à la pièce.
Tu as du
recevoir ma lettre d'hier, qui contenait le "faire part" dans tu
parlais justement.
Ainsi
donc, la tête haute, la poitrine en dehors, le ventre rentrée, la bouche en
pointe pour le baiser.
Ivan
(*) Pêcheur, peintre du Dimanche à Ischia
Ivan
Goll Torbole à
Claire Montecatini 15 sept. 1934 MST
p.154
Torbole, 15 septembre 1934
Chère petite Suzu,
Voici,
en hâte, une petite lettre entre deux autres. La poste d’ici est lamentablement
mal dirigée. Une lettre de toi met souvent deux jours et demi à me parvenir. Je
me fais des soucis à ton sujet.
En
outre, il y a eu aussi un retard dans les envois de Zurich : c’est
pourquoi, je t’envoie d’ici, en hâte, 100 lire d’argent de poche. J’espère que
le reste suivra aussitôt.
Landau
n’a pourtant pas raison d’exiger de toi qu’à Montecatini tu grossisses
immédiatement. Son régime convient pour après . En ce moment, tu dois
boire de l’eau, etc. Et cela ne fait grossir personne !
Il
a plu ici, à seaux, toute la semaine. Aujourd’hui, le ciel s’éclaircit.
J’attends
bientôt une longue lettre de toi et je t’embrasse
Ivan
Sous
les rosiers qui t'émerveillent
J'ai
planté le goena-goena
Mon
herbe maléfique
Bientôt
dans le thé d'or
Tu
boiras une goutte rouge
Une
goutte du sang lunaire
Ta
lèvre oubliera les autres noms
Tes
pieds ne pourront plus courir
Ta
tête croulera sur ton épaule
Tu
m'aimeras
Malgré
toi
écrit en automne 1934 Chansons Malaises 1935-
26 -II/208
Ivan rentre à Paris le 24
septembre à 17h
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald5 octobre 1934 ImsL p. 286/287
Paris
5 octobre 34
Chère Palu
Ma
traduire
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald5 octobre 1934 ImsL p. 288
5 octobre 34 [Paris]
II
Embrasse Nina !
traduire
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 15 octobre 1934 ImsL p. 288/289/290
Paris
15 octobre 34
Chère Palu
Ma
traduire
Paula Ludwig Ehrwald,
àIvan Goll Paris,17 octobre 1934
ImsL p. 290/291/292/293/294/295 ****
17
octobre 1934 [ Ehrwald]
Johannes Thor (Goll publiera son dernier recueil de Poèmes en allemand en 1948 sous le nom de Tristan Thor)
à traduire impérativement ***
P.
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 23 octobre 1934 ImsL p. 296/297
Paris
23 X 34
Chère Palu
Ma
traduire
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 1er novembre 1934 ImsL p. 297/298/299
Paris
1 nov. 34
Chère Palu
Je
t'aime
Ma
traduire
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 8 novembre 1934 ImsL p. 297/298/299
jeudi
8 nov. 34 [Paris]
O Palu
Ma
traduire
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 11 novembre 1934 ImsL p. 300
Paris
11 nov. 34
Chère Palu
traduire
mais
la suite de la lettre manque
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 11 novembre 1934 ImsL p. 300/301
IIParis
11 nov. 34
Chère Palu
traduire
Ma
Paula Ludwig Ehrwald,
àIvan Goll Paris,13 novembre 1934 ImsL p. 301/302/303/304/305 ****
Ehrwald- mardi
[13
novembre 1934 ]
Oh Ma -
à
traduire impérativement ***
Ta Palu
carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 13 novembre 1934
ImsL p. 300/301
Paris 13 nov. [1934]
à
l'imprimerie
Chère Palutraduire
Ma
Télégramme Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald17 novembre 1934 -
10h45 ImsL p.306
à traduire
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 17 novembre 1934 ImsL p. 306/307
Paris
17 nov. 34
Chère Palou
traduire
Ma
traduire
Je t'aime
je m'affaisse encore une fois
et dès lors éternellement pâle et
tien
Yvan
Merveilleux tes "Honneurs
funèbres", merveilleux la fameuse récompense à travers la« Neue Rundschau ». Tu as sans doute besoin
d'une épreuve ?Ici ! Dis-moi
vite encore : comment veux-tu signer ? «Palou» ou «Paula Ludwig» ?
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 23 novembre 1934 ImsL p. 308
Paris
23 nov. 34
Chère Palu
traduire
Ma
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 23 novembre 1934 ImsL p. 308/309
23
XI 34
[Paris]
traduire, manque la fin de la lettre
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 1er décembre 1934 ImsL p. 309
Samedi
1.
Déc. [ 34Paris ]
Chère Palou
Voici le nouveau cliché : ton
souhaitn'est-il pas accompli avec
célérité et immédiatement ? J'ai dessiné …
traduire
Ma
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 8 décembre 1934 ImsL p. 310/311
Paris 8. Déc. 34
O Palu
Ton
Ma
carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald8 décembre 1934
ImsL p. 312
Samedi
soir
[Paris
8. Déc. 34]
Chère Palu
A la dernière minute avant la
fermeture des magasins je reçois ta lettre : je voudrais t'acheter le premier,
lundi matin, Chanel 5 et pouvoir l'expédier : le 10 décembre.
traduire
I
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald13 décembre 1934
ImsL p. 313/314
Paris
13. Décembre 34
Palu !
traduire
I
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald19 décembre 1934
ImsL p. 314/315
Paris
19 XII.[1934]
Chère Palu
Tout à l'heure, ta lettre double
pour moi et Friedel.
Je te réponds rapidement de la
Poste : Friedel n'est pas encore arrivé à Paris
traduire
Oh
! comme ta joie me réjouis !
Yvan
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald21 décembre 1934
ImsL p. 315/316
Paris
vendredi soir [21 décembre 1934]
Chère Palu
Tout à l'heure, ta lettre !
Je te réponds rapidement de la
Poste :
traduire
Demain, une longue lettre
ton
Yvan
Paula Ludwig Ehrwald,
àIvan Goll Paris,22 décembre 1934 ImsL p. 316/317/318/319/320/321
****
22.
Déc. 34
[
Ehrwald]
Mon cadeau de Noël va pour la
Saint-Sylvestre !
Cher Yvan - Justement un
télégramme de Friedel est arrivé
à
traduire impérativement ***
Je t'aime
Palu
Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald27 décembre 1934
ImsL p. 321/322
Paris27.12 [1934]
Chère Palu
traduire
1) tes 52 dessins et 7 Chansons
Malaises
2) Le Dunkle Gott sur parchemin
3) 2 gravures pour Palu et Nina
4) 1 livre et 1 béret basque pour
Friedl que j'avais déjà préparé avec beaucoup de soin à Paris…
vérifier et
traduire la suite
Ma
1935 au Brésil ? en Afrique
orientale ? Aux Galapagos ? Tente de déchiffrer cela à l'aide de ton
stylo-mine.
Rainer-Maria Rilke - Manoir Shönenberg bei Pratteln, Bâle 2 mai1920
J'ai honte,
Chère Liliane, d'avoir laissé sans réponse vos messages, jusqu'au point que vos
dernières lettres aient dû faire un long long détour pour arriver à moi.
Vous me voyez dans un moment d'une telle incertitude, que
j'aurais de la peine à vous exposer ma situation. Mon séjour en Suisse est à la
veille d'expirer —, par raison d'argent le seul pays qui me serait possible
c'est l'Allemagne, mais vous comprenez que ce n'est pas vers cette direction
que je me sens attiré. D'ailleurs, le gouvernement bavarois refuse le séjour à
tous les étrangers, qui n'étaient pas fixés à Munich avant le 1er août 1914, il
est très probable qu'on ne me laisse pas entrer. Désormais, j'ai le droit sur
un passeport tchécoslovaque, j'espère que l'on me le délivrera ces jours-ci, il
faciliterait mon retour à Paris, mais le change est encore trop mauvais pour
que je puisse y vivre avec mes marks. C'est cette même difficulté qui m'empêche
d'aller en Italie...je ne sais donc pas où me diriger et vous comprenez que
cette incertitude me ronge. C'est elle, du reste, qui cause et qui prolonge mon
silence, avec, en même temps, beaucoup de malaise dont je suis tracassé les
derniers mois.
Le sort de mon
appartement à Munich se décidera ces jours-ci. Je crains de n'être plus en état
d'en disposer en faveur de Marie Laurencin, car j'ai du prier quelqu'un de
s'installer sur le champ, c'était le seul moyen d'empêcher que le bureau de
logement y mit d'autres locataires.
Comme je suis
content de savoir à Paris Mme de W. Laurencin, vous lui direz, j'espère, de ma
part, tout un bouquet de souvenirs en fleurs, je n'ai pu écrire à elle non plus
—, jugez par cette lettre combien je suis incapable d'en écrire...
J'avais bien
tort, je le sais, de ne pas vous envoyer mon adresse, lors de votre premier
signe, rien ne m'eût été plus bienfaisant que d'avoir de bonnes nouvelles de
Paris —, et ma satisfaction aurait été parfaite à l'idée que vous pouvez en
donner de vous-même. Vous voilà enracinée en ce sol heureux, qui, comme nul
autre, nourrit et exalte. Je vous souhaite, ainsi qu'à Goll, que ce soit le
commencement d'une longue et active prospérité d'âme et de cœur.
Ah, chère amie,
vous vous proposez de me trouver un palais, si je viens à Paris, hélas, ce
serait pour y mourir de faim que j'y entrerais ! Mais, envoyez-moi ce que vous
m'avez annoncé, seulement ayez de l'indulgence si je ne réponds que plus tard.
Actuellement, l'avenir tout impénétrable que j'ai devant moi, m'empêche de voir
assez clair même pour écrire trois lignes.
Je vous écris en
français, car je ne sais pas si on n’ouvre pas les lettres à la frontière. Et
que ce peu vous soit assez éloquent pour que vous sentiez que c'est moi qui
vous parle.
Rainer
Claire Goll : Rilke et les
femmes, Falaize 1955 p.65 à 68
Rainer-Maria
Rilke - Manoir Shönenberg près Pratteln, Bâle 7 mai1920
Rapidité,
bonté, fidélité, je ne sais pas, Liliane, quoi louer et chérir davantage dans
ta lettre. Même dans sa sévère qualité de lettre
d'affaires, elle ne m'a pas déçu. L'immobilité et l'impossibilité des
circonstances est bien prévisible d'ici et je n'ai pas espéré que tu pourrais
m'ouvrir les portes de Paris. Mais tu fais tout ce qui est possible par tes
conseils et par tes voeux !
Le fait que
vous-même, après quelques difficultés, ayez pu vous y installer et consolider,
est une victoire de votre jeunesse, de vos coeurs, de vos convictions. Mais mes
affinités étrangement compliquées et pourtant si bienheureuses envers Paris,
que j'ai acquises au long des années, ne me permettent pas de vouloir un retour
quelconque, à tout prix, à moins qu'il soit inscrit dans mes étoiles. Tu
comprends. Ce n'est pas mon genre de forcer, avec entêtement, des circonstances
nées d'une violence si inouïe. Quand j'imagine qu'il me serait donné, un jour,
de remonter la rue de Seine, d'aborder le paysage rythmique du Luxembourg et de
m'appuyer à la petite balustrade au-dessus de la fontaine de Médicis où comme à
mon pupitre, j'ai si souvent travaillé sous les aubépines en fleurs... rie
qu'en imaginant cela, mon cœur m'interrompt par son rythme accéléré... Mais je
heurterais ce rythme même, si mon retour était dû à une insistance qui n'est
pas dans ma nature. Tout ce qui a trait à cette expérience indicible doit
encore rester distant ou ne donner lieu qu'aux accointances les plus discrètes
tôt ou tard. Oui, si je dois l'avouer, j'imagine que cela devrait un jour se
passer comme avec ces serrures fortes et imposantes du 17 e siècle, qui
emplissent tout le couvercle d'un bahut, de toutes sortes de verrous, de
griffes, de barres et de leviers : alors qu'une seule clef douce retirerait
tout cet attirail de défense et d'empêchement de son centre le plus centré.
Mais la clef n'agit pas seule. Tu sais aussi que les trous de serrure de
pareils coffres sont cachés sous un bouton ou sous une languette, qui
n'obéissent, à leur tour, qu'à une pression secrète. Ce ne sont, la plupart du
temps, pas les mécènes qui savent faire fonctionner le secret. Comment
persuader quelqu'un que ma place est à "paris au lieu que j'aille
m'installer à tel ou tel endroit moins risqué.
Quant aux
traductions, comment ne pas remercier M. Paul Budry de ses bonnes intentions ?
Mais, sache, ma précaution, ma foi ou ma superstition, appelle-les comme tu
voudras, vont si loin, que je ne conseille même pas cela : qu'une œuvre de moi
soit traduite avec précipitation et répandue, rien que pour préparer mon
retour.
Quant au Malte, il existe déjà quelques fragments
de traduction par André Gide (je ne crois même pas que tous ceux qui existent
ou qui ont été au moins amorcés, — ont été publiés à l'époque dans la Nouvelle
Revue France—). A ce que je sache, Gide
ne repoussait pas tout à fait l'idée d'accomplir un jour ce qu'il avait
commencé avec tant de grandeur ! et je ne voudrais pas qu'on prévienne son
intention peut-être ravivée dans l'avenir par un travail, qui ne pourrait être
justifié, cette fois-ci, que s'il s'agissait d'une traduction complète pour
laquelle je désirerais naturellement, dans mon immodestie, une prose d'une
qualité Gidienne. Par contre, j'accueillerais toujours une bonne traduction de
poésies avec une joyeuse approbation. Tu me connais trop bien pour deviner que
je n'ai ici aucun de mes propres livres, mais je vais tâcher de trouver les
deux que tu proposes.
Le Poète
Rustique est sur ma table, depuis qu'il se trouve dans les librairies de
Bâle— mais je n'en ai lu qu'un quart.
C'est certainement un beau travail pour toi.
Adieu en
attendant—, je remercie Ivan Goll et
toi-même pour toutes vos attentions. N'est-ce pas, tu ne prends pas pour de
l'ingratitude mes restrictions pointilleuses : c'est pour être juste là, où la vie l'était toujours avec moi !
Claire Goll : Rilke et les
femmes, Falaize 1955 p. 68 à 73
Plus de courrierentre Rainer et Claire pendant 2 années :
lettre suivante le 11/04/1923 -
1921
21 juillet 1921 : mariage d'Isaac Lang et de Claire Aischmann
née
à Nuremberg le 29 octobre 1890,fille de
Joseph Aischmann et de Malvine Further,domiciliés à Munich,Hannhauserstrasse 19,divorcée de
Henri STUDER,depuis le 27 mars 1919,domiciliée 27 rue Jasmin. Il n'a pas été fait
de contrat de mariage. …. en présence de Joseph Rivière,homme de lettres,et de Adrienne Pompont,épouse Rivière,sans profession,rue Ramey,59,témoins majeurs....en la
mairie du XVI ème arrdt.
Le 16 octobre 1921 Ivan et
Claire chez Carl Einstein à Berlin (Carnets de Pierre-Henri Roche)
lettre
d’Ivan (Francfort/M) à Claire (Savoy-Hôtel) du 23 octobre 1921 MST p. 29/30/31
Ma chère enfant,
Si je voulais obéir à cette
heure (6h1/2), j'écrirais : partout un monde désolant, la même gare bête, la
même grande rue, des automates empestant la saucisse. Froid ! C'est pourquoi je
pense à toi : il fait déjà nuit et tu pleures…
Ne pleure pas, j'ai travaillé
tout ce jour à te libérer, si tu ne le supportes plus. Mais procédons
chronologiquement.
Hier
soir, je me suis précipité à la gare en vingt minutes, tout plein de toi.
Descendu la pente en aveugle, le regard fixé sur mon étoile. Sans trébucher. Ai
été couché, pendant six heures, à Nordhausen : jusqu'à quatre heures.
Grincements de dents. Guigne. Le train avait 1 heure 1/2 de retard. J'arrive à
Francfort comme un abruti. Etranger. Froid. Télégramme au Frankfusterhof : ne
viens que dimanche soir ! Un bon point. Quel bonheur que je ne t'ai pas quittée
hier. Les maladies ont leur bon côté.
Ainsi,
je te donnai ce jour. Par hasard, je rencontre mon train électrique,
"Homburg". Monté dedans, 50 minutes. Dîné magnifiquement à l'Hôtel
Braunschweig, Souccot ! 4 plats pour 25 M. Fabuleux. Comme c'est dommage
que tu doives manger des pommes de terre. J'ai juré de te libérer.
En
une heure, tous les sanatoria - visité 4 d'entre eux. des choses splendides.
Mais coûteuses. Pas moins de 200 M. par jour : Kurpark Sanatorium Dr Pariser,
par exemple.
Cure
de suralimentation125
M.
Chambre50 M.
Service25 M. (15 %) etc. etc.
Mais :
J'ai
trouvé une splendide clinique privée. Située merveilleusement à côté du Kurhaus,
vue sur les jardins - anglais - de Homburg. Une fête. Conseil médical : Dr
Rosenthal avec sa femme et quelques fils qui étudient la médecine. Bon type.
Fera quelque chose pour toi. Maison pieuse et prude ! Donc...
En été, jusqu'à 30 hôtes. En ce moment, toi seule. Tu
pourras choisir ta chambre.
Prix :110 MChambre
et pension
10 M5
% service
10 Mpar
jour, chauffage central.
Comme tu
vois, pas trop bon marché. Mais nous pouvons faire cela. Donc : si tu te sens
malheureuse, inconfortable, mal portante, agis comme suit :
Jeudi
prochain, rends-toi à 9 heures à la gare Sachsa (heures approximatives). train
pour Nordhausen. Correspondance entre 2 et 3 pour Francfort - Arrivée àFrancfort, 11 heures du soir. Prends aussitôt
une chambre, en face, au Habig-Hôtel. Vendredi matin, prends le tramway devant
l'Opéra, pour Homburg. Là, descends au Kurhaus. Téléphone à la Promenade
Kaiser-Friedrich, 49 (5 minutes). Ils t'attendent vendredi. Mais télégraphie
d'abord (Homburg v.d.Höhe) que tu arrives. Signe : Frau Dr. Goll.
Eulingswiese
a donc, entre temps, gagné ton cœur,
A 3
heures, j'ai été en ville et j'ai vu les "Rondes" de Schnitztaler.
Très belle chose, surtout sur l'esquisse. Mais finalement monotone. Toujours la
même saleté.
Frankfusterhof
est bondé. Savoy-Hôtel agréable. Lohmeyer doit venir à 9 heures.
Demain matin, je continuerai mon voyage.
Beaucoup
de baisers, d'espoirs, de joie, baisers, baisers.
Ton
Ivan
Ivan
(Paris) à Claire - Kurheim Eulingwiese près de Saxa (Harez) du 27 octobre
1921MST p. 31/32/33
jeudi
soir11 heures
dans
ton lit
Ma chère, chère enfant,
Je me
sens tenu de te raconter ce que je deviens, tout de suite et avant de dormir de
bonne heure, car enfin je me retrouve - après tes deux lettres divines. Mais,
toute cette semaine, j'ai été stupide, plus stupide, le plus stupide. Traqué
comme une bête sauvage. A quoi bon ? Cette dernière lettre de
Francfort-Heidelberg : j'ai honte. Poussière d'express. Epuisé, j'arrivai alors
à KEHL. En pleine nuit. Désespéré. Et vers minuit, à Nancy, où une pauvre mère
m'attendait sur le quai.Là-dessus, j'ai dormi deux nuits et un jour, la tête et
la panse remplie, incapable de t'écrire, ne fût-ce qu'une seule ligne.
C'est
aujourd'hui seulement que je suis revenu à moi : j'ai erré à travers ma
Lorraine rude, automnale. Vieux sentiers, murailles, vignobles. j'ai dormi une
journée - la seule de l'année, probablement - à l'herbe et au soleil. Et
ceux-ci ont été si reconnaissants qu'ils m'ont presque rendu la santé. Ah ! une
heure seulement de soleil. Nous n'en avons pas eu à Paris ni à Berlin. Et je
songeais combien ce doit être magnifique, en ce moment, de nouveau à
Eulingwiese, et j'ai eu peur, pendant ces deux jours, peur que tu en sois
partie. Il est bon que tu aies tout supporté vaillamment au début, et aussi que
tu n'aies pas cédé à mon influence : maintenant, tout est mieux ainsi. Comme tu
es forte, au fond, et comme tu seras plus forte encore, pour moi dans trois
semaines. Eh oui, dans 3 semaines déjà, retour. Tu es sage et tu joins les
mains à table comme une écolière attentive, n'est-ce pas ? Et mange bien. Tu
sais bien que tu dois engraisser. Et cet air !
Oui,
Lohmeyer, ce fut un problème. Mais un bon type. Mais trop mou avec ces gens.
Que de choses inexprimées qui planaient entre nous pendant ces deux années, et
qui ont enfin fait explosion !
Tout
d'abord, il me fît l'effet de négliger sa maison d'édition, et je lui dis qu'il
était trop épris, qu'il faisait depuis des mois, des voyages de noces et
d'affaires.
Cela le
blessa, ce qui me prouva que j'avais raison. Rappelle-toi ses lettres de Suisse
: Staffa, Arosa, une fois toutes les quatre semaines. Ensuite, je me mis en
colère et devins brutal : il n'a pas fait encore un seul bon livre, lui dis-je.
Le Voltaire, dont il est - ô honte - si fier, une misérable saleté ! Quoi.
Vert-pistache et or, Voltaire ! Cela le renversa purement et simplement.
Mais il
en résulta quelque chose de beaucoup plus grave : les actionnaires sabotent
leur propre maison d'édition. Ces lamentables Suisse, qui ne sont fiers que de
leurs petits écrits suisses et ne veulent pas entendre parler des éditions
parisiennes du Rhin, ils les considèrent comme un luxe privé du pauvre Dr
Lohmeyer ! Et écoute : les volumes de Rathenau sont terminés depuis deux mois,
mais n'ont pas le droit de sortir, pour ne pas contrevenir aux accords de
Wiesbaden. Aujourd'hui Rathenau est limogé.
Entre
temps, on aurait vendu 10.000 exemplaires ! Je grince des dents.
manquent ici 9
lignes non traduites de la page 32 (M S T) à traduire
Ce
fut une fête pour moi que ce kilog de courrier qui m'attendait. Tu peux bien te
l'imaginer.
1) Tes
deux lettres, oh ! comme elles me remplissent infiniment d'amour et de bonheur,
renversant tout l'univers, toi, toi seule es la cause unique de ma vie.
2) Lettre
de Georg Kaiser avec - comme c'est gentil - deux coupures de Presse, dont l'une
ci-jointe te fera certainement plaisir (elle émane probablement de A. R. Meyer)
3) Des
invitations pour nous deux, des appels cordiaux, soucieux, d'Edmond Fleg,
Izdebeska, Rivière, André Lhote et Mannes Sperber.
Demain
matin, je me précipiterai en ville, pour Rathenau, qui doit faire à présent
beaucoup de vacarme, pour aller à la Chambre-Rhénane, à la banque, et t'envoyer
un chèque.
Vendredi
matin
Je
m'endormis et rêvais à toi.
Réveil
avec du soleil : comme cet automne est heureux pour toi. Demain ton
anniversaire (née le 29 octobre 1990)
; si tu savais ce que je me propose pour toi. Recevras-tu encore ces lignes,
demain ? De toute façons, la mésange te dira ce que j'ai pensé pour toi.
Halte-la. Vite été chercher Coco, qui dormait encore hier soir. Mme Mention
avait déjà fait sa toilette : sable frais, eau, graines. Il paraît qu'il a été
très sage. Mais à moi, il a d'abord tourné le dos : en punition de ce que nous
l'avons laissé seul si longtemps. C'est seulement lorsque je lui eus parlé
longtemps de Lilalein, et l'eus embrassé, comme toi seule sais l'embrasser,
qu'il cessa de faire le bossu polonais et se montra réconcilié. Maintenant, il
plane à la fenêtre, - feuilleverte.
Sont déjà
prêts :
1) les gants de laine blanche 2) les souliers noirs en caoutchouc
S'ajouteront
:
3) La chemise américaine. N'y-a-t-il aucun danger que tout
cela se perde ?
11h30
Ici un chèque de 1000 M. - sur la Deutsch Bank. Donne-le à
n'importe quelle petite banque privée de Sachsa. Ou alors à tes logeurs : tu
écris au dos « Payable à l'ordre deMonsieur Kronberg etc.»
Tu verras bien.
Si tu as besoin d'argent, écris-moi. J'ai payé 82 Frs pour
ça. Laisse plutôt l'argent suisse de côté pour l'instant.
12h15
Voilà :
et la petite chemise américaine des Galeries Lafayette. Je conserve l'étiquette
pour le cas où tu désirerais l'échanger : mais j'ai pris ce qu'il y avait de
meilleur. J'espère que tu la recevras et que tu la feras craquer, tant tu as
engraissé.
Jusqu'à
présent personne n'est venu se présenter, sauf un employé de la Banque, qui
fera peut-être avec moi l'affaire du film.
Demain
c'est le grand jour, où tu auras 27 ans [ 31 ans ] et
où tu dois peser 100 kilogs. Toutes mes pensées sont près de toi, et mes
sentiments et mes baisers aussi, pour l'éternité.
Ton
Ivan
J'ai repris ici ma bonne santé et suis comme un poisson
dans l'eau (assez fâcheux pour cette atmosphère)
Ivan
(Paris) à Claire - Kurheim Eulingwiese près de Saxa (Harez) du 30 octobre
1921MST p. 34/35
Claire Studer30
octobre 21
Kurheim Eulingswiese(Paris,
27 rue Jasmin)
Ma chère enfant,
Ce
dimanche est bien gris. Sans une lettre de toi. Je n'ai pas osé sortir, mais
voici qu'un pneumatique de Gleizes ¹ m'apporte une nouvelle vraiment terrible.
Déconcerté. Madame Nathalie Curtis-Burlin ², il y a aujourd'hui 8 jours a été
écrasée par une auto, Boulevard Montparnasse, en face de la rue
Campagne-Première ; sa tête a été effroyablement réduite en bouillie (elle
descendait du tramway). Donc, c'est inexprimable. Juste cette femme, qui était
comme un petit oiseau, une personne d'une telle valeur ; pendant que des
millions de repus sont bien assis dans leur auto. La vie est insensée. Combien y
a-t-il de gens qu'on puisse aimer ? Et, précisément, celle-ci, il faut que la
roue la broie. Désespérant. Son mari était à Marseille. Les formalités à la
Morgue ont duré une semaine. C'est seulement demain lundi qu'elle sera enterrée
au Père-LachaiseQu'est-ce que ses
Indiens Mexicains peuvent bien en dire ? Celle qui les a si bien chantés a dû
se laisser tuer à Montparnasse par une machine de mort.
Je vais
maintenant à 5 heures chez les Gleizes. J'y ai vu … et Mela ³. Elle a été très
attristée d'apprendre que tu avais été si mal. Il est possible qu'elle retourne
dans le Midi en janvier, et j'ai promis qu'elle devrait t'y emmener de suite.
Mais n'y compte pas trop. Pour l'instant, il faut que tu retrouves ta santé.
Fais-tu tout ce qu'il faut pour cela ? Beaucoup de lait. Beaucoup de repos.
J'ai été irrité de savoir que le trajet jusqu'à Nordhausen t'avait tellement
énervée. C'est fou : pour un si petit détail. On te rendra bien ton passeport.
Car enfin, tu resteras encore des semaines là-haut. Mais, si tu veux, je peux
aller à l'ambassade ; pour rien à mon avis. As-tu du soleil ? du bon air ? Dis
bonjour de ma part à la dame rouge qui est si gentille pour toi.
A part
ça, je vais tout à fait bien. Je ne mange pas à la maison, mais une fois par
jour chez Chartier et, d'autre part, j'ai découvert sur les boulevards une
bonne table d'hôte à 4 frs 50. Pour quelques jours, ça sera toujours assez bon.
Ce matin,
j'ai été extrêmement en colère contre la concierge : j'ai trouvé dans la boîte
aux lettres la feuille ci-jointe. Quelle insolence. Je lui ai jeté l'argent à
la tête. Aurais-je plutôt dû lui dire que, ce mois-ci, elle n'avait rien eu à
faire pour nous ?
Vendredi
soir, chez Mercereau *. Toujours la même saleté. Les littérateurs pfff ! Longue
discussion avec cet idiot de Marcello Fabri, qui s'est plaint de ce que j'avais
insulté sa revue. Je l'ai simplement réprimandé, en lui disant : oui, car
justement votre revue me déplaisait.
Coco
chante et s'ennuie de toi.
Ah !
encore une chose importante, agréable. L'Intransigeant ** avait institué un
Prix des Treize, pour le meilleur volume de poésies qu'on lui enverrait. J'ai
rassemblé mes diverses poésies françaises et j'ai été le deuxième sur 97
concurrents français ! Risible. En effet, il n'y avait qu'une récompense :
l'impression du livre - et c'est un individu de second ordre qui l'a reçue, un
employé des PTT. N'importe, cela a fait du bruit. Fels a dit que c'était un
second Charleroi (défaite française). Qu'en penses-tu ?
Le soir
tombe. Triste.
Demain,
on enterre Mme Curtis.
Tu n'as
rien à envier à ceux qui habitent Paris. Reste avec tes mésanges et les dames.
Le
facteur t'a-t-il apporté mon bouquet pour ton anniversaire d'hier ? (Je lui
avais donné 10 frs pour ça ; j'espère qu'il ne l'a pas oublié).
Et écris bientôt
à ton solitaire
Ivan
¹ Albert Gleizes, un "camarade" de Goll,
voir dédicace de 1919.
² femme du peintre américain Burlin
³ Mela Muter connue par ses portraits de Barbusse,
Tagore, Courteline, Pompon, Goll etc.
* Alexandre Mercereau, écrivain.
** Grand journal du soir de Paris
Ivan
(Paris) à Claire - Kurheim Eulingwiese près de Saxa (Harez) du 1er novembre
1921 MST p. 36/37
Paris,
1er nov. 21
27
rue Jasmin
Chère, chère enfant,
Je vois à
ta dernière lettre que tu perds déjà patienceJe t'en prie, tiens bon ! carParis te répugnerait au bout de deux jours. Hier, au Salon d'Automne, -
vernissage ennuyeux. Léger m'a raconté qu'il y a 4 jours, sa femme est partie seule
pour le Tyrol où elle resterasix
mois. Courageux. Elle n'y tenait plus, même à Fontenoy. Si nous avions su cela
! Vous auriez peut-être pu vous réunir.
Hier, la
cérémonie d'incinération de Mme Curtis-Burlin, au Père-Lachaise ? a été
sinistre. j'arrivai un peu en retard et vis les cheminées qui fumaient déjà.
Peu de monde : seulement Gleizes, Allendy et deux autres. Une dizaine de dames.
Dehors, une grande foule de bourgeois errait autour des tombes, semant les
chrysanthèmes comme des confettis. A l'intérieur, un morceau de musique, puis
une heure d'attente, énervante, jusqu'à ce que tous les os soient brûlés,
jusqu'aux délicats talons. Un silence consterné. Burlin, terriblement frappé,
presque fou. A la fin, on a muré la petite cassette dans une niche de pierre.
Terminé. Les nègres auraient mieux su élever "L'oiseau sanglotant "
dans l'arbre éternel.
Le 1er
novembre, il y a deux ans, nous arrivions ici. Il faisait aussi froid
qu'aujourd'hui. Te souviens-tu ?rue
Pigalle, Vildrac, Porte Maillot, brrr. Et pourtant c'était beau. C'est toujours
beau quand nous sommes ensemble,n'est-ce pas ? je pense continuellement à toi, je me dis qu'avant tout,
il faut que tu guérisses, donc prenons patience tous les deux. Donne-moi des
détails. Que dit le médecin ? Comment te sens-tu ? Quel poids ? Manges-tu bien
? Travailles-tuà quelque chose ?
Coco est assis près de moi sur le bureau : il
ne se tient pas de joie tandis que je t'écris,il louche sur ton nom, fait des
yeux tout blancs, tape son perchoir du bec, diaboliquement, mange, pour me
faire plaisir ; il est hors de lui, et ne sait comment exprimer son amour :
comme moi à ton égard. Mais il faut que tu restes tranquillement dans tes
forêts de sapins, que tu m'écrives et que tu deviennes tout à fait bien
portante.
Hier
soir, le rédacteur de L'Intran m'a conduit à "Art et action"* :
entendu ! Nous le représenterons ! Je m'arrangerai pour que tu joues la grosse.
Je jouerai aussi. Du cinéma en plus. Seuls joueront des amateurs, pas des
acteurs, ce sera magnifique. Pour les décors, Léger.Il y a là-bas des gens sympathiques : Mme
Lara, une femme divine. Quelle ferveur ! Elle et son mari organisent un théâtre
à eux dans leur atelier, sous le toit. Ils font eux-mêmes l'aménagement, ils
confectionnent les sièges avec des cordes ! De la ferveur à cette époque communiste
! mais c'est d'un très haut intérêt.
La
première pièce est de Claudel. Ensuite, Chapliniade.**
Je
t'aime. Nous allons bien travailler.
Toujours
à toi
Ivan
Ci-joint
: coupure du Berliner Tageblatt. A garder
* Théâtre d'avant-garde
d'Autant-Lara qui,le 20 mars 1926
donnera "Assurance contre le Suicide" écrit en 1918,publié dans "Le Nouvel Orphée" aux
Editions de la Sirène en 1923
** La Chapliniade ou Charlot
poète a été publiée dans La Vie des Lettres - Vol. V, juillet 1921
Ivan
(Paris) à Claire - Kurheim Eulingwiese près de Saxa (Harz) du 5 novembre
1921MST p. 37/38
Paris
5 nov. 21
Très chère à moi,
J'ai reçu
ta carte de mercredi soir et la lettre illustrée de jeudi matin. Au même
moment, Gleizes a téléphoné et remercié pour ta carte. L'exposition Sturm
commence ici la semaine prochaine : un Léger et l'Archipenko y seront (vente de
l'A. ?) Peut-être.
Comme
c'est merveilleux que tu vives dans ces sapins. Il faut avoir beaucoup de
patience, n'est-ce pas ? Ta nostalgie me pèse bien. J'irai bientôt te chercher.
Mais, mon Dieu,à Paris tu ne pourras
pas non plus y tenir. Ou alors, promets-moi que tu n'iras jamais en ville.
Crois-moi, au bout de trois jours, tu en auras assez, même des Boulevards. Que
dis-je ? au bout d'un jour ! Insensé. Avant tout, être bien portante. Je suis
très inquiet que tu n'augmentes pas de poids.
Je
t'enverrai incessamment plusieurs compositions de Walden, Zenit * avec ton
portrait, Astral. Malheureusement, je ne trouve pas Sartre ; en revanche tu
recevras demain un Oulenc ou un Auric, quelque chose de sauvage. Et aussi du
savon, tout de suite. Je te souhaite tout. Le collier d'ambre. Lui aussi, devra
être passé à ton cou : la plus belle princesse. J'ai perdu l'adresse. Mais le
prochain chèque sera, pour ça de 1 500 au lieu de 1 000 M.
La lettre
de Voigt est gentille. Il recevra Zenit.
Ci-joint
la lettre de Marion ** : sans commentaire. Ecris-lui gentiment, sans exprimer
ton sentiment. Pauvre, pauvre âme.
Chana
Orloff nous invite, quand tu seras de retour. Demain je commence chez Rivières,
ensuite nous irons à Saint-Cloud, chez les Grecs. Il faut que je les
"tape". Je ne donnerai plus gratuitement d'après-midi à cette fade
société.
Le
capricieux Fels n'a pas encore publié ton poème : il est trop pris par ses
inclinations personnelles : Gabory, etc., et n'imprime que ce genre-là. De moi
non plus, il ne veut plus rien. "Vie des Lettres" n'est pas encore
là.
J'ai
écrit à Nazariant ***, lui demandant s'il connaît une villa pour nous. Oui, mon
enfant, tendre cœur d'oiseau, je veux t'envelopper dans du soleil, de la ouate
et des anémones. Tiens bon. Bientôt !
Toujours
près de toi
Ton
Ivan
* Revue internationale yougoslave mensuelle. Goll y publie
ses grands textes théoriques et en est le co-éditeur à Belgrade avec Ljubomir
Micic à partir d'octobre 1921(N° 8 au N° 14)
** Marion Eggeling
Ivan
(Paris) à Claire - Kurheim Eulingwiese près de Saxa (Harz) du 10 novembre 1921
MSTp.38/39
Paris, XVIe, le 10 nov. 21
27, rue Jasmin
Ma chère bonne pauvre enfant,
Maintenant
tout se révèle. Combien je te plains ! Ces jours de pluie angoissants, gris,
être seule. Toi. Cela me fait si éternellement mal. Il ne faut pas que cela
continue. Et puis cette nourriture affreuse : oh ! je le savais et je me
berçais d'illusions, grâce à tes lettres pleines de cœur. Pourquoi n'es-tu
partie pour Homburg ?Ça aurait pourtant
mieux valu. Ainsi, pas de soleil du tout ?. Ce n'est pas possible, non, je ne
le veux pas.
Oh ! à
présent, je peux te dire combien notre chaleur t'attend et te désire, combien
je regrette chaque heure perdue, tant que tu n'es pas avec moi. L'appartement
est si magnifiquement chauffé. Il y a une atmosphère si intime. Viens, reviens
vite, tout de suite. Coco te réclame en pleurant. Je fuis l'appartement vide ;
à partir de 9 heures du matin, je suis toujours en ville. Oui, il y a tant à
faire, et pourtant on arrive à si peu de choses.
J'ai
réussi sur quelques points. J'ai donné l'article à Zimmer. Après-demain, je
recevrai 300 frs. On les mettra de côté pour l'Angleterre, n'est-ce pas ?
Reviens
vite. Fais tes bagages, pars lundi, si tu veux. Il fait froid : viens sur mon
cœur. S'il fallait que j'aille te chercher, ça durerait trop longtemps. Paris,
c'est la patrie, chaude, même quand il pleut. Je te soignerai. Il ne faut pas
que tu aies à te lever. Il faut que tu manges des rumstecks fantastiques et,
tous les jours, un quart de crème. Je vais tout de suite chez Amélie.
Viens,
enfant aimée. Oui, cessons de nous appeler et de gémir. Je vole tellement à ta
rencontre !
Ton
Ivan
le
11 novembre 21
jeudi
matin
J'ai porté ton linge à la
blanchisserie et d'autre part, j'ai envoyé à ma mère un gros paquet. Les
Preslier ont apporté tout à l'heure un bon drap de lit et ont remporté celui
qui était troué. Par ailleurs, depuis deux jours, il fait ici très froid, mais
le temps est clair, ensoleillé. Neige. Gel. Chez vous aussi ? C'est pourquoi tu
pourrais tout de même rester encore ? Comme tu veux. A ta place, je m'épargnerais
de passer par Berlin. Toute ta force du mois, et beaucoup d'argent (le double)
y seraient gaspillés. Tu devras payer en France ton billet de chemin de fer à
partir de la frontière. Je te mets donc ci-joint 100 frs, espérant que tu les
recevras. (Je me renseignerai tout à l'heure, à la poste, là-dessus). Sinon, ce
sera difficile.
Hier, j'ai passé l'après-midi à
présenter le film * à de nouvelles personnes. Il plaît. J'ai bon espoir. (Pour
l'instant, je n'ai rien à faire en Allemagne : donc...) Je pourrai certainement
le placer. Mais tu ne sais pas ce que cela représente de courses. Et porter ce
film à travers tout Paris.
Lundi prochain, on présente ici le
Dr Caligari. Cette semaine, on donnait "Le Kid", queue devant tous
les cinés, à partir de 7 heures 1/2. Landru fait des blagues. Salue Justus de
ma part. Je suis très fier et heureux de ton amour.
Totalement, infiniment,
toujours tien
Ivan
Claire(Berlin)à Ivan (Paris)novembre 1921 MST p. 39/40/41
Mon chéri,
Si seulement je t'avais
suivi ! Tu m'avais mise en garde contre Berlin. Et, comme toujours, tu avais
raison. Aussi ne resterai-je plus que deux jours, pour faire les démarches.
Walden m'a installée au de sa maison. Naturellement, la
"Tempête" a recommencé aussitôt. Je lui ai déclaré : "Ou la
tempête se calmera, ou je me transporterai à l'hôtel.". Tripoter avec de
platoniques gants de papier d'étain est pire encore que l'attouchement qui se
pratique couramment en Allemagne. (vois Tagger).
Maintenant, W. me
laisse bien tranquille, mais il me dévore seulement des yeux. Et quand il les
ouvre trop grands et que j'éclate de rire, il demande : "Pourquoi ris-tu
?" puis-je lui dire que semblable au Petit Chaperon rouge, je le vois
couché dans un lit avec un bonnet sur la tête ? "Oh, mère-grand, comme tu
as de grands yeux !" - "C'est pour mieux te voir." Le nom de
mère-grand lui va bien. J'ai le sentiment que sa virilité est concentrée
derrière son immense front, et ne fonctionne pas plus bas. Cette tête énorme
sur ce corps de garçonnet chétif ! Je me demande jusqu'à quel point il est le
mari de L.*. Deux fois déjà, il m'a comparée à elle : "Vous êtes toutes
les deux des femmes-enfants. D'ailleurs, toutes les femmes sont des enfants."
La seconde fois, j'ai
bondi. Je suis si profondément différente d'elle. Déjà son caractère
querelleur... Je l’entends encore criailler à notre table de café, à Zurich,
devant Léonard Franck. Avec quelle jalousie méchante elle m'attaquait, moi la
plus jeune, parce que tu lui plaisais ! Et comme elle se réjouissait de mes
larmes ! Moi qui fais volontiers des cadeaux, je regrette encore ce bracelet
Empire en émail noir garnie de perles, que tu m'incitas à lui offrir
lorsqu'elle vint chez nous, Hadlaubstrasse, pour s'excuser.
W. veut des contes de
nous pour le "S". Il trouve tes poésies très " fortes".
Sur ce point, tu as presque le droit d'être fier, car en
général, il érente tous ceux qui ne collaborent pas à "S".
Aujourd'hui, il a
trouvé un prétexte pour me suivre à Paris. Il m'a demandé si je ne pourrais pas
lui arranger, à Paris, une soirée musicale chez des amis..** J'y ai consenti.
Les compositions qu'il m'a jouées ne sont pas inintéressantes, mais elles ne
sont sûrement pas en avance sur leur temps, comme l'art des peintres dont il se
fait le champion avec tant de clairvoyance. Lui qui a découvert tant de talents,
des dizaines d'années avant les snobs, il paraît être encore infecté de wagnerisme.
D'où le prénom : Herwarth. Quand on s'appelle Lewin ! vive nos Germain Juifs !
Il m'a offert deux
colliers ravissants. L'un de quartz rose, l'autre d'améthyste. Avec un dessin
montrant comment on peut réunir avec art les deux colliers en seul, en séparant
les boules par de petits cubes de cristal.
Non, chéri, ne hausse
pas le sourcil gauche avec inquiétude. Mon coeur est froid comme le cristal.
Qui pourrait t'être
dangereux ? Quand je pense à ta haute stature avançant vers moi, transformant
la gare en un Palais, alors, oui, il "fait tempête" en moi.
L'enfant terrible
suspend ses bras autour de ton cou, une chaude chaîne, et t'embrasse tendrement
Ton
Enfant
( Je télégraphierai demain l'heure de mon arrivée )
* Else
Lasker-Schüler
** Quelques
semaines plus tard, les Goll organisèrent une soirée pour W. dans la belle
demeure de l'architecte
bien connu Pierre Chareau, qui collaborait avec le peintre Jean Lurçat.
Malheureusement, la musique qu'interpréta W. n'eut pas de succès auprès des
artistes et des critiques parisiens qu'on avait invités.
16/12/1921 : Certificat de
l'éditeur
« Nous confirmons que M. Iwan
Goll, demeurant à Paris, 27 Rue Jasmin, est dûment mandaté par nous de
représenter et de diriger les "Editions du Rhin" dans toute la
France, et que nous lui avons confié l'administration de nos intérêts
1923
Rainer-Maria
Rilke - Château de Muzot sur Sierre, Valais 11 avril1923
(lettre précédente du 7
mai 1920 - Rien pendant presque deux années)
Liliane,
J'espère que tu n'es pas encore dans la jungle africaine,
mais encore accessible à l'un de ces exercices européens, comme l'est une
petite lettre. Oui, je désire beaucoup, beaucoup de t'atteindre par cette
feuille — car j'ai à réparer tant de silence—vraiment à réparer, avant tout parce qu'il s'étend sur une époque
où tu avais pu l'interpréter comme une certaine préméditation !
Mais, si cette fois-ci, je n'ai pas répondu tout de suite,
c'était parce que j'espérais pouvoir t'envoyer en même temps mes deux nouveaux
livres, la récolte de l'hiver 1921/1922—(ou plus précisément d'un seul
mois, béni au-delà de toute mesure humaine ; février 1922—) : ceux-ci m'auraient, d'un seul coup
disculpé auprès de toi. Que mon silence ait pu ainsi durer, n'est que l'effet
d'un tel ébranlement par le travail, jamais je n'ai subi d'aussi violents
orages de l'émotion : j'étais devenu un élément, Liliane, et je pouvais tout ce
dont les éléments sont capables. Et malgré que cet hyménée fut court pour la
mesure humaine (mon corps, d'ailleurs, ne l'eût pas supporté plus longtemps),
tout, avant et après, était cependant déterminé et commandé par lui,—et
des lettres, qui exigeaient la même plume, je n'en écrivais que dans des cas
indispensables.
Pourtant,
aujourd'hui, je ne peux pas encore te faire parvenir mes livres (de l'un, je ne
possède que quelques exemplaires, l'autre, n'est pas encore sorti des presses)
mais, fais-moi savoir combien de temps tu resteras encore à Paris, j'espère que
tu les recevras encore avant ton départ, ou, du moins, lorsque tu reviendras
avec la Panthère !.
Je te
remercie pour tes livres et aussi pour ta pensée de me les envoyer.
(Ivan Goll aussi
m'a envoyé le sien, sans que j'ai pu lui accuser réception et lui répondre,
transmets-lui mes chaleureux remerciements et amitiés).
En ce qui
concerne les tiens, l'AnthologieAméricaine m'avait déjà donné beaucoup de joie. Mais le tien, bien
davantage naturellement. Tu as une admirable capacité de trouver en toi même la
mesure de ton expression, ma chère Liliane, et c'est bien cela qui signifie
pour une femme être poète.
Toujours
je te reconnais, souvent avec une sorte de jubilation, —mais les Films
Lyriques m'ont prouvé combien nos inspirations sont les mêmes, seulement
elles se trouvent, parfois en contraste par la manière inconsciente que nous
avons de les soutenir.
Je suis
heureux que tu connaisses (et aimes) ce Valais incomparable, mais, sans doute,
n'auras-tu pas trouvé, à l'époque, ma vieille tour. De l'avoir trouvée, en été
1921, fut mon salut.
Rainer
( paru dans Claire Goll
: Rilke et les femmes, Falaize 1955 p.74 à 77)
Rainer-Maria
Rilke - Château de Muzot sur Sierre, Valais 24 juillet1923
Liliane,
Enfant si riche et, pourtant, qui tend les mains, poétesse
mobile de toi-même,— si je ne t'ai pas
fait cadeau d'une lettre, c'est parce que j'étais absent six, sept semaines, et
que je vais tout de suite repartir et qu'on ne m'a fait suivre aucune missive
pendant mon absence de sorte que j'en ai maintenant (comme tu peux l'imaginer)
des montagnes sur mes tables...une Suisse de lettres, hélas, et j'aurais
tellement envie d'une plaine. Tes deux petites lettres n'étaient pas écrasées
sous la masse, elles reposaient légèrement comme descendues dans leur (ton)
vol.
Ecoute !
Les Elégies ! Pour le moment il n'y a
qu'une édition de luxe, dont je ne reçois que deux ou trois exemplaires et
autant de hors commerce, en tout.
Mais l'un
de ceux-ci t'appartient, Liliane. Je te l'envoie aujourd'hui : il n'y avait pas
moyen de faire le paquet plus tôt.
Et,
maintenant, lis-le avec ton cœur. Il n'y a personne au monde, Liliane,
personne, qui ne devrait pas avoir mon adresse. Pourquoi t'en voudrais-je que
tu l'aies donnée à Marthe. (Reproche suffisant pour moi qu'elle ne l'avait pas
déjà).
Au
revoir, bientôt à Paris.
Rainer
(Claire Goll
: Rilke et les femmes, Falaize 1955 p.77 à 79)
Ivan voyage en qualité de
directeur parisien de Rhein-Verlag, Bâle-Zurich ; il va voir à Stuttgart Bosch
qui finance cette maison d'édition. Il laisse Claire dans la Villa de notre
ami, Henry Kahnweiler, négociant en tableaux, à Boulogne/Seine (note de
Claire Goll)
Ivan
(Paris) à Claire (Boulogne/Seine)septembre 1923 MST p. 41
Paris Jeudi soir
Chère enfant adorée,
Encore
une pensée que je t'adresse du Kid's Palace *.
Mon cœur était si plein de toi et de tes larmes. Il m'est
très difficile de partir. Mais tu seras si bien et si au frais. Une seule chose
: s'il te plaît, ne réclame rien, cette fois ; au contraire, allège le travail
de Lucie **. Et tu fais quelque chose de gentil : achète dès demain un gros
poulet à 20ou 25 frs et apporte-le
leur. Si tu vas à Montmartre pour tes cheveux, achète un poulet tout rôti.
Sinon un frais. Première qualité.
J'apporterai
aussi de Nancy quelque chose de joli... et avant tout : vois-moi, vois mon cœur
débordant, vois mon amour et ma fidélité tout à fait consciente et sûre.
Ivan
* c'est ainsi que Goll appelait leur
appartement 27, rue Jasmin
** Lucie
Kahnweiler. Claire se trouvait à Boulogne /Seine chez leur ami Henry
Kahnweiler.
Claire
(Boulogne/Seine) à Ivan (Nancy ou Stuttgart)septembre 1923 MST p. 41/42/43
Boulogne
Mon plus que cher,
Nous allons
en ville dans une demi-heure, c'est pourquoi je ne puis qu'insuffisamment
suivre les commandements de mon cœur.
Avant
tout, ne te fais pas le plus minuscule des soucis pour ton enfant chéri. Il se
comporte avec autant de bienséance qu'on peut l'attendre d'une élève de Goll.
Tous sont
charmants pour moi. Je dors avec Béro*. Elle est drôle, rit beaucoup et sa
gaieté innocente est contagieuse pour moi, si mélancolique,. Hier soir, avant de
nous coucher, nous nous sommes respectivement mesuré les "coupoles"
de nos seins, à l'aide de deux bols à café de grandeurs différentes. Nous avons
constaté que B. a encore moins que moi de cette poitrine qui vous est si
précieuse, à vous les hommes. Tu as donc tort de m'appeler ton
"garçon". Tout au plus ton: garçon de joie.
Pour la
poule, je devrais recevoir le "Mérite Agricole". Je l'avais farcie
avec tant de sentiment que la famille a affirmé que c'était la meilleure poule
de leur vie. Et j'avais tellement tremblé d'être encore une fois de tomber sur
un poule dûre comme de la pierre, comme ce fossile que je t'ai rapporté du
marché un jour. Ce poulet historique qui t'a décidé à faire le marché toi-même
dorénavant. Mais cette fois-ci, on n'a jeté que les os rongés et non la poule
toute entière.
Lucie l'avait d’ailleurs préparée de façon
très raffinée. Elle cuisine magnifiquement. Je vais grossir, c'est sûr. Haini**
est, comme toujours, tout de chevalerie et de charme. Zette*** sort, certes,
d'un tableau de Greuze ou deBoucher,
mais elle est également froide comme une peinture. Elle n'a pas la chaleur de
Béro.
Je suis allée chercher notre courrier. Rien
d'important sauf une lettre d'André-**** :
"Mon cher Goll, quand revenez-vous ?". Il
t'attend d'urgence avant la fin du mois parce qu’ il veut te procurer, grâce à son
père des actions à un prix inférieur.Ainsi, j'apprends l’existence de tes transactions bancaires que tu m’as
toujours cachées avec soin. D’accord, je n'y entends rien et cela m'ennuie.
Mais dans ce cas ! Mon cheri, on ne fait pas d'affaires avec des amis. C'est
déjà assez qu'André t'ait racheté le film. Certes, il ne l'a pas fait pour des
raisons humanitaires mais par un malentendu au sujet de l'expressionnisme
allemand. Mais il se débarrassera difficilement de ce film.
Je t'en
prie, perds de l'argent au jeu, mais ne joue pas une amitié qui m'est
particulièrement précieuse !
Se faire guider
par A. à travers le Musée Cernuschi est un plaisir extraordinaire. Mais, ne
fais pas avec lui de promenades boursières !
Ah, je sais bien que je prêche dans le désert. Tu adores
spéculer sur les valeurs-papiers. Sûrement tu aimes l'incertitude de ce jeu. A.
peut se permettre cela. Il reçoit les "tuyaux" de son père. Mais toi,
tu es un génie du rêve et non un génie de finance. Pour le premier, tu es un
gagnant, mais dans le second tu es un perdant. Nous en avons déjà souvent fait l'expérience.
Que de
fois, ai-je constaté l'attraction magique qu'exerce sur toi ne serait-ce que la
roulette d’une baraque de foire !. A ce moment-la, je découvre sur ton
visage cette passion bien française pour le hasard, l'inattendu, la chance . Cette
chance dont Lessing (est-ce lui ?) disait comiquement « Corriger la Fortune, en
allemand, il veut dire "tricher". Ah que la langue allemande est
pauvre, quelle langue lourdaude! ». En quoi il se trompait, car, comparée avec
la langue allemande, c'est le français qui est la langue pauvre.
Evidemment,
si, à cause de ces actions, tu avançais la date de ton retour, alors, dans ce
cas, je prendrais les éventuelles pertes avec félicité. Donc ;, pour quel
jour dois-je annoncer ton retour à André ? Quel ? Quel ?
On m'appelleIls attendent en bas. Je suis obligée de
terminer. Je dois te saluer cordialement de la part d’eux tous.
J’ajoute
à ces salutations, un long baiser avec ce souhait : apporte beaucoup de sang
dans ce cœur " qui déborde ",
anémique
de sang et d'amour
Ton enfant
Belle-sœur de Henry
Kahnweiler, mariée ensute au peintre Elie Lascaux
**Henry Kahnweiler
*** Belle-sœur de Henry Kahnweiler, mariée ensuite à
l’ecrivain Michel Leiris
**** André Malraux
***** Directeur d’une Banque
lettre de
Rainer-Maria Rilke -Berne22 octobre 1923
Berne, Hôtel
Bellevue,
Le 22 octobre 1923.
Liliane,
Avant de t'envoyer ceci, j'ai déchiré une lettre écrite pour toi,
avant hier soir car je ne voudrais pas te dire les généralités au moment où tu
me demandes assistance. Et pourtant, sache toi-même comment trouver
l'exceptionnel, qui ne serait valable que pour toi, puisque je ne connais que
sommairement cette sorte d'affliction qui t'accable et te met à une dure
épreuve.
Vois-tu, il me
semble, qu'en ce jour, où pour la première fois il est exigé de toi d'éprouver
la mort à travers la mort de l'être infiniment proche, toute la mort (en
quelque sorte bien davantage que la tienne, l'éphémère), le moment est venu où
tu puisses être le mieux capable de percevoir le pur secret qui, crois-moi,
n'est pas celui de la mort, mais celui de la vie.
Il s'agit
maintenant, avec la générosité inouïe et inépuisable de la douleur,
d'incorporer à sa vie la mort, toute la mort, devenue palpable (et presque ta
parente) à travers un être des plus chers, une mort qu'on ne peut plus ni
décliner ni renier.
Attire à toi
cette épouvante, feins aussi longtemps que tu en es capable, une intimité avec
elle, ne l'effarouche pas, en t'effrayant devant elle, comme font les autres.
Apprivoise la,
ou si ta capacité de la surmonter est trop faible, tiens-toi tranquille et
silencieuse, afin qu'elle puisse t'approcher, cette présence toujours écartée
de la mort, et qu'elle t'étreigne. Car voici ce qu'est devenue pour nous, la
mort. elle, qui, toujours pourchassée, ne pouvait plus se faire connaître.
Si la mort, au
moment où elle nous blesse et ébranle, trouvait le plus humble parmi nous,
confiant (et dénué d'épouvante) avec quels aveux se livrerait-elle à lui, enfin
! Il suffirait d'un simple moment d'élan, d'une brève suppression du préjugé et
la voici déjà prêt à des confidences infinies, qui dompteraient notre
appréhension et qui nous forceraient de l'accueillir dans une tremblante
attente.
Patience,
Liliane, rien qu'un peu de patience !
Admise à l'essentiel, initiée, tu célèbres la première fête du
détachement de toi-même.
Dans la mesure
où tu perdis une protection et où tu en es frustrée, tu deviens toi-même plus protégeante,
donneuse de protection.
L'esseulement, qui t'assaillit, te rend capable de mettre en
équilibre la solitude des autres.
En ce qui
concerne ton propre accablement, tu t'apercevras bientôt qu'elle a donné, à ta
vie, une nouvelle mesure, une nouvelle unité de mesure dans l'effort et dans
l'endurance.
Je conseille seulement, Liliane, je ne tente pas autre chose que
d'être près de toi dans ces simples paroles.
Un jour, plus
tard, tu me diras, si elles ont pu te diriger car nul n'atteint à l'assistance
et à la consolation, sauf par la grâce.
Rainer
(Claire Goll : Rilke et les
femmes, Falaize 1955 p.79 à 83)
1924
lettre de
Rainer-Maria Rilke - Château de Muzot sur Sierre, Valais 5/2/1924
J'ai bien, vers
Noël, senti ton approche légère par Le
boulevard nostalgique, tendre Liliane, et j'ai voulu te répondre sur le
même plan. Si je suis tard, c'est que je passe un assez piètre hiver, j'ai même
dû - le cœur gros - quitter dernièrement ma bonne vieille tour, pour aller
faire un traitement à la montagne près de Montreux. Je suis de retour depuis
peu. Je m'arrange mal à cette nécessité d'aller quérir les médecins : moi qui
pendant 23 ans, ai vécu sans jamais recourir à un interprète pour m'expliquer
avec ma nature. Nous étions tellement du même langage !
Assez, n'y
pensons pas.
Je viens de
recopier pour toi de mon carnet de poche quelques improvisations qui te
reviennent par ton gentil „ Boulevard
”. Je n'ose pas dire que ce soit du français; c'est un élan du souvenir vers
une langue entre toutes aimée. Les vers qui un peu, malgré moi, s'y
rapprochent, sentent, je crains, le pastiche. Mais chez toi ils ne seront ni
blâmés, ni méconnus -, mais aimés tout simplement.
J'ai hâte de les
expédier me rappelant tes projets d'Afrique. Quand est-ce que tu partiras vers
la Panthère ? Fais-moi un petit signe au moment du départ pour que mes pensées
puissent te suivre dans l'éblouissante aventure
Rainer
(Claire Goll : Rilke et les
femmes, Falaize 1955 p.83 à 85)
lettre de
Rainer-Maria Rilke - Château de Muzot sur Sierre, Valais 2/6/1924
Juin
…
Et ici, je m'arrête déjà,
Liliane — on peut écrire trois fois Mai
d'une haleine, dans ton haleine, mais trois fois Juin …?
Et, je m'arrête de nouveau — tout effrayé, que je t'impose comme tu prétends, un destin, Liliane... hélas, s'il en était
ainsi (tu me connais) que pourrais-je faire pour l'alléger, pour le changer ?
(: tout au plus échanger ses chagrins contre d'autres !) Mais il n'en est pas
ainsi, il ne doit pas en être ainsi—tu te trompes dans ton ardeur infinie,
égarée par toutes ces voix d'oiseaux dans la chaude nuit de ton cœur que tu
m'énumères.
Je suis seul ; et je serai tout
heureux, ma petite Liliane de te montrer ma vieille tour et mes cent roses qui
commencent à s'ouvrir à l'été…, seulement je crois, que tu dois
seulement venir si tu te trompes, si je ne t'impose
pas de destin quel qu'il soit. Sans cela, ce serait une tristesse de se revoir
au lieu d'une joie et si tu venais, ce n'est qu'elle que je te demanderais, la
joie, et plus elle serait grande, mieux il vaudrait.
Et il faudrait
que tu viennes vite, très vite, car il se peut que je sois obligé de m'absenter
pendant quelques jours, vers le dix, Tu descendras à Sierre et je serai obligé
de te loger au Bellevue. Envoie-moi un télégramme.
( baldigst, sein, denn es
wäredenkbar, das ich so um den zehnten herum für ein paar Tage fortginge. Die
Station ist Sierre, ich müste Dich auch unten im „Bellevue” logieren. Schick ein
Telegramm.)
Au revoir, Liliane, aux beaux bras et au cœur plein d'oiseaux,
Rainer
(Claire Goll : Rilke et les femmes, Falaize 1955 p.85 à
87)
Télégramme en français Rainer-Maria
Rilke - Sierre, Valais 5/6/1924
Madame Claire Goll
27, rue Jasmin, Paris - 16 ème
Sierre,
5/6
Donc à plus tard
car je pense être Muzot à l'époque indiquée. Autrement j'espère qu'alors on
pourra se rencontrer dans ville suisse sur ton passage. Rainer
Claire Goll : Rilke et les femmes, Falaize 1955 p.
87/88
Si je lis bien, Liliane, ton message aux ailes tendres et rapides
—, tu n'entreras en Suisse que le 20 août passé ? Cette période me semble si
lointaine dans les improvisations de mon été que je réalise au fur et à mesure
des circonstances souvent imprévues, que je ne saurais pas encore te dire, si
tu me trouveras à Muzot ou ailleurs.
Je suis à Ragaz, je vais
à Zurich, et je pense rentrer à Muzot le 2 Août. Y resterai-je ? Je ne sais. Il
y aura certaines difficultés, changement de bonne etc.
- Mais n'importe où tu me
trouveras, si tu me fixes à temps ton itinéraire. Etes-vous bien à la campagne
? Donne-moi alors de tes nouvelles, Liliane, ce serait une désolation de te
manquer lors de ton passage, mais nous allons tout faire pour éviter une telle
déconvenue -
Rainer
(Claire Goll : Rilke et les femmes, Falaize 1955
p.88/89)
lettre de
Rainer-Maria Rilke - Château de Muzot sur Sierre, Valais 15/8/1924 (vendredi)
Dis-moi vite, Liliane,
si tes projets s'accompliront comme tu l'avais prévu ? Car : si tu entres en
Suisse tout de suite après le 20 de ce mois, je pourrais encore t'attendre ici
et te faire voir ma demeure et ce beau pays devenu mien. Ce qui serait parfait.
Autrement, il faudra se donner rendez-vous ailleurs, car je compte de repartir
des Grisons peu après cette date. Donc : les tiennes, Liliane. Que je me
réjouis à l'idée de te revoir bientôt !
Rainer
(Claire Goll : Rilke et les femmes, Falaize 1955 p.90 -
lettre en français)
lettre de
Rainer-Maria Rilke - Château de Muzot sur Sierre, Valais 20/8/1924
Pauvre Liliane,
et moi qui
m'attendais à recevoir la nouvelle de ton arrivée ! mon premier sentiment fût :
si seulement tu avais pu venir vite jusqu'à moi, comme cela m'aurait fait du bien
de t'assister dans ta grande et subite douleur, le milieu et le paysage, tout
m'aurait peut-être secondé dans cette tâche. Et je te demanderais encore à
l'envisager, si mon propre départ n'était pas imminent, car ce n'était plus que
toi que j'attendais.
Toutefois,
fais-moi savoir, où tu te rendras de Zurich, dès que tes plans se dessineront.
Il est, d'ailleurs probable que je passerai par Zurich avant ton départ et
alors, nous pourrions nous y rencontrer. Je te préviendrai.
Pour le moment,
j'attends moi-même des nouvelles qui préciseront le jour de mon départ et les
étapes de mon voyage. Et ici, il tombe une pluie froide comme on y est peu
habitué dans le Valais, au mois d'août.
Une chance,
Liliane, que tu sois chez des amis. Sens ma présence et mon désir de te
consoler, bien que, je le sais, il sera impuissant, comme nous le sommes tous.
Rainer
(Claire
Goll : Rilke et les femmes, Falaize 1955 p.91/92)
Lettre de Goll (14 octobre
1924) à Claire,27 rue Jasmin, Paris (Goll habite pendant son séjour à Berlin chez Georg Kaiser)MST p.43/44/45
Berlinmardi matin (14 octobre)
Mon
ange lointain,
Ainsi ce fut
vraiment un succès hier soir. (Générale de "Mathusalem") Six rappels.
Beaucoup de rires, et sans cesse des applaudissements au cours de la pièce.
Le metteur en scène Neubauer est un poète. Cet Autrichien des
Alpes plein de fantaisie, fit montre de tant de passion et d'enthousiasme qu'il
obtint de l'éditeur Kiepenheuer que la présentation de la pièce à Vienne soit
supprimée et que Berlin obtienne la Générale. Un type un peu fou, sanguin et je
ne peux pas lui en vouloir. Il a merveilleusement réaliséMathusalem. Le Rêve - la triple figure de
l'étudiant - le Duel - magnifique, et très souvent des morceaux de jazz dans le
spectacle ainsi que pendant les entractes. Mouvement, mouvement.
Et tu n'as donc rien
perdu (sauf la pièce) à ne pas être présente. J'étais assis, tout
recroquevillé, dans une loge. Tout seul. Je ne vis presque personne. Après,
vint une dizaine de gens: Kiepenheuer, les deux Angermeyer, Arnolt Bronnen,
Neubauer le metteur en scène avec sa femme et quelques jeunes gens; tous
allèrent chez Bressel, mangèrent des "schnitzel", burent peu, se
séparèrent à minuit. Je n'aurais pas non plus voulu que tu te montrasses en
public.
Toute la soirée
tu fus mon ange lointain et souriant et je ne pensais qu'à toi, songeant
combien tu es belle dans ta "robe de corbeille" (un cadeau de Paul Poiret). Mais tu as raison : seule la séparation
prouve l'immense amour que nous avons l'un pour l'autre. Tu es un fragment de
moi-même, non la moitié mais les trois-quarts, et sans toi, je flotte,
inexistant, à travers la ville, le long des êtres humains.
Mais ne regrette
pas trop de ne pas être ici : ce soir, il est impossible d'avoir des places pour
" Sainte Jeanne ".(de G.B. Shaw, Jeanne jouée par Elisabeth Bergner
dans une mise en scène de Max Rheinhardt, Générale le 14 octobre au Deutscher
Theater de Berlin)
Tout se passe hors de
nous, de ce que vivent les autres individus, on ne sait rien. On ne peut savoir
qu'un sentiment, un amour, et même pas le savoir : le vivre, si fort qu'on ne
le remarque pas clairement. J'aimerai toi seule, toujours. Tout le reste, c'est
la vie quotidienne.
Ce matin, j'ai été me
promener pendant deux heures dans le parc du Château, près de la Luisenplatz.
Bel automne encore estival, les bons vieux arbres, un étang à l'abri de toute
critique. Tout ce qui est humain me répugne vraiment.Je ne me réjouis pas, non : depuis longtemps,
je n'ai été si triste. Au fond, rien de ce qu'on fait n'a le moindre but. Le
parc lui aussi est ennuyeux. Et la nature, on ne peut pas la supporter.
Si tu étais là !
avec ton Wani
Ne tu
pourrais-tu pas venirencore ?
Georges Kaiser n'est pas encore arrivé à Berlin, fidèle à son
principe, qui est de ne pas aller au Théâtre. Les Angermayer sont réellement
très aimables. Dieterlé est hostile, Mathusalem l'irrite. Je ne sais pas encore
du tout, à vrai dire, à quel concours de circonstances je dois cette Générale,
si vite décidée, presque soudaine. Concurrence avec Vienne ? Kiepenheuer
s'intéresse à tes oeuvres : je les lui apporterai jeudi.
Salue Wagner (le cousin d'Elisabeth Bergner).
Ecris-moi bientôt tous les détails de toutes tes minutes.
S'il te plaît, quand Clara (Malraux)
habitera avec toi, enlève de la cheminée le casier qui contient les lettres.
J'apprends à
l'instant que Hasenclever est à Paris, envoyé par le 8 - Uhr - Abendblatt.
C'est une grossièreté. Je ferai du raffut, là-bas. Ne l'invite surtout pas
avant que je sois revenu.
Ivan Goll à Claire
à Paris (15 octobre 1924)
chez Georg Kaiser, 3 Luisenplatz,
Berlin-Charlottenburg
mercredi matin
Que pourrais-je dire
ou faire de cet automne plus beau que tous les autres ? qui sème sur les dames
les feuilles d'or et les mille journaux où il n'est question que de Goll et de
Mathusalem et de Z.R.III. Je t'ai envoyé les plus importants : Kerr est
étrangement fameux : 8 Uhr Abendblatt fait de moi un Werfel …, suivent
aujourd'hui le Vorwärts avec un hymne de louanges mais il y a aussi les
insanités les plus merveilleuses de la presse réactionnaire, dont tu riras
beaucoup plus même que de Mathusalem. Malheureusement Ihering n'a rien écrit et
Faktor est sévère. En tout et pour tout, je sens que cette pièce vient tout de
même quatre ans trop tard : la plupart de ses pointes sont émoussées ici.
Berlin ne s'étonne plus de rien, cette ville a été lessivée par toutes les eaux
d'égouts.
Réellement, la
représentation est remarquable - et que tu ne la voies pas, cela m'attriste
tant. Je suis malade de tristesse. Je n'ai pas une minute de joie. Je n'ai
pensé qu'à toi sans cesse. " A quoi cela me sert-il, puisqu'elle, avec ses
grands yeux bienheureux, n'est pas là ?" J'aimerais mieux repartir tout de
suite. J'erre dans Berlin comme un perdu. N'ai de plaisir à rien et pas envie
de faire des affaires. Je ne mange pas. Je maudis les parcs dorés qui sont en
face de ma fenêtre, où je ne peux pas te situer.
A l'instant ta
lettre arrive, après qu'hier j'ai plusieurs fois rouspété au téléphone (à la
Schmiede [ Berliner Verlag Die Schmiede qui va publier en 1925 Germaine Berton d'Ivan Goll]), Tout va
bien : mais que tes douleurs aient recommencé d'une façon si aiguë. T'étais-tu
tellement énervée, dimanche ? je veux que tu m'écrives tous les jours. *
Toutes tes
commissions seront faites. Tes soucis apaisés. Je n'ai pas été, hier soir, voir
"Sainte Jeanne", car je ne voulais rencontrer aucun des hommes de lettres.
Mais dis à Wagner que j'irai voir Valentin. Le reste de la littérature me rend
si malheureux. Dans l'ensemble, tu n'as absolument rien perdu à ne pas venir
ici. C'est seulement la pensée qui fait si mal.
Comme c'est
splendide que tu aies commencé le roman.
Je me réjouis tant de travailler avec toi. Bientôt.
Plus
que jamais
ton
Vani
Mosse a parlé de ton volume de poésies dans le Vog-Zeitung.
Paraîtra bientôt.
Le "Triangle", (Das Dreick) nouvelle revue, donne une
poésie française de toi.
* Adresse : Monsieur Iwan Goll,
chez Georges Kaiser,
Berlin-Charlottenburg,
Luisenplatz, 3.
carte-lettre de Goll adressée à Francis
Picabia du 23 novembre 1924 :
Mon
cher Picabia
Je viens vous demander,
comme de juste, deux places pour la
Première
soirée de "Relâche" : inutile de vous dire que ce n'est pas avec des
sifflets mais avec des Trombones que "Surréalisme" viendra.
début janvier 1925,
Rainer-Maria Rilke est à Paris, Hôtel Foyot
pneumatique écrit en français de Rainer-Maria
Rilke(Paris) 25/2/1925 à
Liliane (Claire)
Paris,
25/2/1925
ce mercredi matin
Enfin, je vois un peu plus clair dans la disposition difficile de
mon temps, j'ai dû combattre pour garderlibre l'après-midi de demain, jeudi, à partir de cinq heures.
Voudras-tu me le rendre
familier en me donnant cette heure tranquille que je désire depuis des semaines
?
S'il n'y a pas de
réponse, j'admets que tu m'attends.
Au
revoir, Liliane
enfin!
Rainer.
(Claire Goll : Rilke et les femmes, Falaize 1955
p.92/93)
pneumatique écrit en français Rainer-Maria
Rilke(Paris) 26/2/1925 à
Liliane (Claire)
ce même
jeudi, 4h.10
Dommage,
Liliane,
et tu ne t'es pas fait bander les yeux pour
me trouver au « Luxembourg »?
S'il ne m'arrive pas de
contretemps, d'ailleurs, ou du côté de ma santé, je te prie de m'attendre,
samedi, chez toi.
Samedi après-midi. Cela te convient-il ? Je me réjouis de te
revoir.
Rainer
Claire Goll : Rilke et les femmes, Falaize 1955
p.93/94
lettre de
Liliane (Claire,
traduite de l'allemand par elle) Paris à Rainer-Maria Rilke
Paris,
Avril 1925
Maintenant j'ai déjà vécu quatre semaines depuis notre
rencontre,
Rainer.
On s'enrichit tant à te regarder et encore davantage à
t'entendre. Et je me suis forcée à me taire, quoique mes sentiments pour toi
prennent l'allure d'un Niagara. A présent je ne peux plus longtemps ériger un
barrage, mais ne t'effraie pas :ce
n'est pas une chute bruyante, déchaînée, mais tendre et sauvage, que je
n'arrive plus à dompter.
Le printemps et toi sont à Paris ! Je longe les rues, par
lesquelles tu as peut-être marché. Je cueille au Luxembourg les boutons et les
regards que tu as peut-être frôlés. Mais je languis tant après ta voix, ta voix
magnifique, qui fait de la musique avec les pétales de roses. Lorsque je pense
à toi, je rougis comme elles, elles que tu as inventées, car avant toi elles
n'existaient pas.
Ah, sois généreux, viens, apporte-moi pour une heure
seulement ta main, afin que je puisse l'adorer. Car pour t'admirer, il me
faudrait toute une vie.
Tu le sais bien que depuis
huit ans je n'ai pas encore osé savoir si tu es Rilke ou le bon Dieu. Et
pardonne-moi de t'aimer sans limites !
Liliane
lettre de
Rainer-Maria Rilke(Hôtel Foyot, 31 rue
de Tournon, Paris) 29/6/1925 à Liliane
Liliane
à traduire elle est dans mes dossiers
Ceux qui viennent n°4 -
juillet/août 1925
"Ivan Goll habite à Passy,rue Jasmin...Dans le petit salon où flamboient quelques Picasso,Gleizes et Delaunay,un fort beau chat siamois saute sur mes
genoux. C'est un rugbyman convaincu qui passe ses dimanches a s'entraîner avec
un petit ballon. "Vrai sportif de la jungle" me dit Goll.
“ La fonction de la poésie aujourd'hui ?
— Le revirement a pris naissance vers 1910-12. Ce fût une véritable
révolution...De là datent les "ismes":cubisme en France,futurisme en Italie,expressionnisme en Allemagne. Grande
divergence de forme dans ces écoles,mais bien des traits communs:l'amour de la vie,de l'activité
nouvelle et ce je ne sais quoi poétique qui est un parallèle du mouvement plus
rapide de notre existence. C'est Picasso,Delaunay,Cendrars,Apollinaire,Salmon qui furent les principaux meneurs à Paris.
La guerre... elle effaça en réalité presque toutes les tentatives
d'action artistique. Et la paix,jusqu'en 1924,eut une influence
encore plus néfaste sur le développement de l'art moderne....En 1924,il y a du nouveau:Dada touche à la banqueroute,les cubistes retouchent à l'objet...J'écrivis
dans Paris-Journal un article contre l'art snob,prétentieux et pédéraste qui avait pris le
haut du pavé. Les véritables poètes se cachant,les salles de spectacle s'emplissaient de la sottise quotidienne. Le
théâtre était mort,remplacé par le
ballet russe,suédois ou nègre.....ce
n'est qu'au théâtre que l'art pourra devenir excessif,brûlant comme du vitriol et surréaliste,c'est à dire plus puissant plus
fiévreux,plus vrai que la vie.
— Surréaliste...Nous y voilà !Parlez-moi donc du surréalisme.
— Oui,surréaliste. Pour moi
surréalisme signifie plus que la réalité,la réalité à outrance,la vie
radiographiée,nue jusqu'aux os,et toute chair incendiée ; la vie vue à la
loupe...
— Mais que pensez-vous du surréalisme de la rue de Grenelle?..
— C'est presque l'opposé extrême,oui ; mais vous verrez qu'à la fin les extrêmes se touchent. Les
surréalistes bretonniens préconisent la surréalité,qui signifie au-delà de la réalité ou l'autre
réalité... Parce qu'ils sont partis du rêve....ils ont conservé du rêve la
notion enfantine qu'il est quelque chose d'irréel. Mais pour moi le rêve n'est en
aucune façon à distinguer de la vie. Il en est au contraire la continuation
sournoise et peut-être encore plus directe. Mes rêves ne sont pas des
promenades dans un absolu inconcevable pour mon être conscient,mais des continuations immédiates de ma vie
journalière. Ils jugent ma vie. Dans le rêve je vois plus clair et je pense
plus logiquement. Je l'attends pour résoudre les questions embrouillées par la
"logique",par la
diplomatie,par le cynisme des jours. Le
rêve est donc pour moi une réalité plus intense,plus lucide,plus directe.
— Et le rôle du rêve dans la poésie ?
— En temps que songe matériel,aucun rôle. La surréalité des grands poètes de toutes les époques,arabes,grecs ou lapons,est due à cette
extase qu'on a toujours appelée inspiration et qu'il est inutile d'appeler
aujourd'hui surréalisme. Ne sera pas poète qui veut et qui,sans s'abreuver d'opium,se mettra consciemment dans cet état
d'inconscience que Breton et ses amis conseillent pour former une génération
soi-disant plus géniale que toutes celles qui vécurent depuis 5.000 ans.
— Qu'elle est alors la fonction politique de votre surréalisme ?
— Mon surréalisme est beaucoup plus modeste ; il ne cherche pas à créer
une école absolument nouvelle et différente de tout ce qui exista jusqu'à nos
jours. Il ne veut que grouper sous une formule les poètes qui expriment la
volonté actuelle de faire des œuvres où coule la vie et où celle-ci puisse être
construite d'une façon presque aussi parfaite que notre système cardiaque.
lettre de
Liliane (traduite
de l'allemand par Claire Goll) Paris à Rainer-Maria Rilke
Rainer
Je t'en prie, rassure-moi par quelques mots
sur ta santé ! Est-ce que le vent du Valais est venu à ta rencontre ? Est-ce
que ta « Tour »t'a reconnu ? Et les
roses, ont-elles attendu ton retour pour fleurir ? Chaque fleur de Sierre
doit-être concernée par ta guérison.
Ah, si tu savais combien intensément cette
santé préoccupe mon cœur !
Et combien je
suis attristée que nous nous soyons revus à Paris à un moment où le corps avait
transmis sa lassitude à notre amour, lassitude amaigrissant l'âme.
Mais tes yeux avaient augmenté. Souvent ces
yeux m'ont parlé au-delà des frontières. Alors je me reproche de ne pas avoir
suffisamment et avec assez d'humilité baisé tes mains.
Un mot, je t'en supplie !
ta
Liliane
1926
Mort de Rainer Maria Rilke
(Prague 1875† sanatorium de Val-Mont,
Montreux 1926)
"Ivan
Goll, l'homme qui chante tout le
long de sa vie. Impossible de ne pas voir qu'il est allemand. Il a un rire
couleur du Rhin. Des lunettes qui agrandissent l'oeil,clignant comme les lumières de
Nuremberg,dans la nuit de la fantaisie.
Impossible de ne pas voir qu'il est français. Il est plein de sourires,d'ironie foraine. Son oeil se fixe sur tout
spectacle,il en profite pour oublier la
versification ; il crée de mystérieux projets de cosmogonies nouvelles.
Mon
cher Robert Delaunay,surveillez Goll ;
c'est l'homme qui un jour ou l'autre vous volera la tour Eiffel pour
l'emporter. Où ?"
Claire
(Paris)à Ivan (Nancy)14 octobre 1926 MST p. 19****
Dimanche(1926)
(Paris)
Mon Chéri
Tu me
manques de bout en bout, et surtout au bout du jour. Car, lorsque vient le
soir, je ne me supporte simplement plus. Voudrais hurler à pleine voix, comme
un jeune chien.
"Tu
ne peux vivre sans moi", dis-tu. Cela n'est que trop vrai. Et si, de ci de
là, je te suis infidèle, ce n'est réellement que par désespoir, parce que je ne
sens pas autour de moi tes bras bénisseurs.
Une corde
de ta guitare a sauté, hier, de douleur, avec un son mineur. Une seconde
auparavant, je lui avais donné le diapason avec ma voix sanglotante.
Fan-Fan
*, comme toujours, saute le matin sur mon lit, fait ses caresses et ses
exercices de gymnastique sur mon cou : en avant, en arrière, puis il m'enfonce
brusquement ses griffes dans la chair, parce qu'il est furieux de ton absence.
Tu vas prétendre qu'il a de l'excitation érotique. Et je réponds : Non, il
ronronne parce que tu n'es plus là, et qu'il ne trouve plus d'épaule pour faire
de l'alpinisme. Sans cesse il va avec moi à ton bureau, pour tourner autour du
poète qui y est assis. Et soudain, il s'aperçoit que j'ai seulement évoqué la
vision du poète, et ses yeux bleus deviennent rouges de colère. N'est-il pas
déjà profondément vexé, que je le laisse seul toute la journée ? Mais, c'est
qu'il y a aussi chaque jour un voyage pour aller chez Kokoschka. Tu sais qu'il
habite à l'autre bout de la ville. Hier, quand je suis rentré à la maison,
Fan-Fan m'a flairée sur toutes les coutures. Avait-il senti l'autre bête de
proie, le Kokoschka ? Bref, il me mordit au bras et me griffa par jalousie. Et
pourtant, ni lui ni toi n'ont la moindre raison d'être jaloux. Je ne pose pas
pour K., assise mais étendue, et ce faisant, je me sens toute triste. La
"Ceinture" n'est pas loin, et quand j'entends passer un train, je
voudrais le prendre pour aller te retrouver. Donc, je suis étendue. Tu sais
bien que je ne peux pas rester immobile en position assise. Il viendra un
moment où K. déchirera son dessin et m'en jettera les morceaux aux pieds. Comme
l'a fait Archipenko avec ma tête presque entièrement terminée, qu'il fit voler
en éclats. Ou peut-être me transformera-t-il en un rouge lac de montagne, comme
fit Meidner. Mais aussi, avec ce dernier, comment aurais-je pu poser sans
bouger ? La peur m'entraînait à
droite, puis à gauche, dès le moment où il m'ouvrait la porte, avec son
casse-tête caché dans sa manche, ou encore quand il buvait son thé dans des
boîtes de conserves qu'il avait ornées de têtes de mort. Chez K. non plus, je
ne me sens pas tranquille. Est-ce que cela vient de ce que l'atelier est meublé
de désespoir et de faim expressionnistes ? Le baron, son ami, m'a mis en garde
: "Au nom du ciel, n'apportez rien à manger à K. ! il vous jetterait dans
l'escalier avec votre paquet ! "
De lui
aussi, K. a refusé toute aide et tout argent. Il est vrai qu'en France,
personne ne le connaît. La France s'en fiche des génies. Qu'il se pende comme
Gérard de Nerval ! Beaudelaire n'avait jamais d'argent non plus. Et Gauguin,
Van Gogh, le Douanier Rousseau n'ont-ils pas vendu leurs toiles pour un dîner
ou une note de blanchissage ? Donc, je fais comme si je ne voyais pas qu'il
meurt de faim et j'apporte seulement une grande quantité de tartelettes aux
fraises. A 5h., pour le thé, je grignote mon gâteau, bien que l'appétit me
passe quand je regarde cet homme couleur de lune. J'attends qu'il morde à son
tour dans une tartelette. Mais sa fierté lui donne l'énergie de n'en prendre
aucune. Alors, je reprends la pose étendue. Son visage ravagé doit se refléter
dans le mien. Certainement, personne n'a encore fait de moi des dessins aussi
tristes. Chagall a projeté dans ma figure son génie positif, affirmatif, Robert
**son dynamisme, et quant à Albert ***, j'essayai de le tenter avec "mon
regard de sirène" (comme tu l'appelles). Ensuite, quand sa moralité pédante
commençait à fondre, je devenais de glace et il jouait au bilboquet pour
retrouver son équilibre cartésien. Mais ici, : rien que du tragique et du
chaos. Une matière explosive incontrôlable. L'élément allemand. Peut-être aussi
un peu de sang slave.
Lorsqu'ensuite,
je m'en vais, il me rappelle. J'avais oublié mes gâteaux, dit-il. " Mais,
Koko, dis-je, vous ne voulez tout de même pas que je traîne avec moi jusqu'à la
maison cette pâte au beurre ramollie".
Et ce
n'est certainement pas plus gai pour toi, à Nancy, entre ta mère et ton
beau-père. Oh ! cette séparation !
J'espère que
K. ne me dévorera pas et que bientôt, je m'étendrai, de nouveau, pour
toi.
Ton
inconsolable Zou
* Chat
siamois offert par Jacques Villon aux Goll
** Delaunay
*** Gleizes
1927
Lettre Ivan Goll (Metz) à Claire à Paris du 26 juillet 1927 [
mardi]
Metz 26 juillet 1927
(mardi)
Chérie,
Il faut
que je raconte une histoire très drôle : hier soir, nous avons été invités tous
les trois chezmon paysan d'oncle. (Il y
eut d'ailleurs un dîner très rustique : des quantités immenses de lait, de
crème, de fromage, de lait caillé, d'œufs et de tomates étaient venus d'une
ferme qu'il possède. C'était une débauche de produits lactés sans précédent).
Et là-dessus, on nous a offert un concert : la pauvre petite Liliane, tu sais
est condamnée à mort. C'est terrible à voir, et il faut convenir que ses
parents lui achètent tout ce qu'elle désire. Elle possède depuis huit jours un
poste de radio à 4000 francs, et alors, on nous a offert de la musique de tous
les coins : des marches militaires de la Tour Eiffel, - de Londres, les
chansons populaires de Doodlesack, et ensuite, on s'est branché sur Langenberg,
une sorte de Königswusterhausen. Il y avait justement une soirée américaine :
uneSymphonie américaine, puis du Jazz,
des chants nègres, et enfin... une lecture tirée du "Nouveau Monde"
de Claire Goll, paru aux éditions S. Fischer : 4 poésies de Carl Sandburg,
Kreymborg, Ezra Pound, etc. Cela dura une bonne demi-heure, projeté dans la
pièce par un récitant talentueux, pathétique. Ton nom sonna haut et clair, tous
le comprirent, et tu avais un peu vaincu. (*) Mais surtout : cela te
rapportera, cette fois encore, environ 40 ou 50 M. au moins.
Pour le
reste, les rapports avec ma mère sont tout à fait excellents. Tout ce qui
serait désagréable, on le tait. Elle s'est bien reconnue en Elvire (°) : la
servante des vieux, a-t-elle dit.
Ce matin,
j'ai fait une belle promenade dans la vallée lorraine et le long de mon canal.
Demain, à
5 heures du matin, je continuerai jusqu'au beau vieux cimetière juif de
Sélestat. Le soir, à Lucerne. Jeudi soir, je quitterai Lucerne et vendredi
matin, je serai à nouveau dans tes bras, chère enfant.
Ton
toujours fidèle
Ivan
S'il y avait quelque chose d'important au courrier, par
ex. une lettre de Piper, fais suivre bien vite à Lucerne, s'il te plaît.
* Sous le
prétexte que j'étais une "demi-boche", la mère d'Ivan, jalouse,
n'avait pas encore voulu me connaître (note de Claire).
(°) allusion
au roman à clefs de Goll : "Le Microbe de l'or", qui était paru à
Paris en juin 1927
Télégramme Ivan Goll (Metz) à Claire
à Paris juillet 1927[ date presque impossible, à vérifier ]Metz juillet 1927
Claire Jasminpalace, reçu lettre bleue. Solitaire pleine
d'initiatives. Orphée sans moi ! Fischères tant mieux ainsi. Cocteau d'abord,
ensuite Stock. Ici, la douleur s'use d'elle-même. Même le million de soleils
fraîchit. J'aspire au départ. Arrive dimanche matin six heures sept.
Expédie immédiatement le télégramme inclus.
Vani
Lacrasse et fils, rue des Bourgeois
1929
Les soirées de Sagesse : Les
"Amis de Sagesse" se réunissent tous les samedis soirs,à la Brasserie Courbet,133 Bd.Brune (14°)
23 février 1929 :
Quelques poètes allemands contemporains. Poèmes de Rainer Maria
Rilke,Ernst Toller,Karl Liebknecht,Ludwig Rubiner,Claire
Studer par Jean Dorcy,E.P.
Jalbert,Fernand Marc
16 mars 1929 : Soirée réservée à :
l'Anthologie mondiale de la poésie
contemporaine d'Ivan Goll.
Isaac Lang, né le 29 mars 1891 à
Saint-Dié (France), est le fils d'Abraham
Lang et de Rébécca Lazard,
mariage d'Isaac Lang et de Claire Aischmann21 juillet 1921 :
décédé le 27 février 1950 à
l'Hôpital Américain de Neuilly-sur-Seine.
Claire STUDER, née
Aischmann le 29.10.1890 à Nüremberg, mariée en 1911 au Dr. Heinrich Studer :
une fille Doralies est née en 1912 à Leipzig ; depuis la fin de 1916, Doralies
vivait à Zurich chez les parents d'Henri Studer : séparation du couple Studer
au printemps 1917. Divorce avec Henri STUDERle 27 mars 1919.
21 juillet
1921 : mariage d'Isaac Lang et de Claire Aischmann [1]
Décès de Claire le 30 mai 1977 à Paris
10 février
1917 : première rencontre entre Ivan Goll et Claire Studer. Leur correspondance
sera publiée en 1966 [2]
Première
lettre d'Ivan (Lausanne) à Claire (Genève) du 12/02/1917 MST p.11/12
Lausanne,
12/2/17
Riant-Mont,5
mais
adresse postale toujours à Case Maupas
Mes très chères
amies,
Je
suis rentré chez moi, à la fois très heureux et très malheureux, en sorte que
je ne me sens pas capable de porter un jugement sur moi-même. Dites-moi, s'il
vous plaît, vous deux :
suis-je
réellement aussi mauvais que j’en ai l’air ?Vous avez dû maintenant vous prononcer,et la conclusion la plus raisonnable à laquelle vous vous êtes arrêtées,
c’est peut-être : ce type est venu avant - hier,aujourd’hui il est reparti,gardons notre calme après ce jeu fatal,etc. Mais vous êtes les premières à savoir
que ce qui importe dans la vie,ce n’est
pas toujours d’être raisonnable. Il y a une chose que je sais,c’est que vous deux,Yvonne ¹ et Liliane ² vous avez été pour
moi quelque chose d’important,et je
crois que vous pouvez devenir encore plus, vous pouvez devenir mon destin.
Gustave
³— il n'a pas encore reçu votre baptême — est tout à fait hors de lui, il ne me
pardonne pas mon lâchage d'hier pour l'excursion à skis qu'à la condition de
faire bientôt votre connaissance. Il a raison. La meilleure solution, c'est que
vous veniez très vite à Lausanne et que vous vous organisiez ici, comme s'il
n'en avait jamais été autrement.Pour qui
sont faits les chemins de fer, les pensions ? Et ensuite : quand vous ne nous
supporterez plus, vous serez là, toutes deux, et si vous ne vous supportez
plus, nous serons là.
Il
faut être impulsif!
Chacun
garde sa liberté personnelle, jusqu'à ce qu'il se soit forgé ses propres
chaînes : ô chaînes de roses !
Aujourd'hui, c'est le premier
jour de bruine à Lausanne. Pas encore le printemps, mais une invite à voyager
vers des contrées ensoleillées.
Cet
après-midi, nous nous mettrons à chercher les logis. Gustave jubile à la pensée
que nous devrions, à quatre, louer tout un appartement : ô liberté, ô discours
à haute vois dans le clair de lune de minuit ! Une installation de ce genre
coûte moins cher que lorsque chacun loue une chambre. Et à midi, on va dans les
restaurants.
Mais surtout que je ne l’oublie
pas:merci,merci,pour m’avoir accueilli si familièrement,mes bonnes soeurs. Quand on se sent des âmes si proches,pourquoi ne doit-on pas aussitôt se tutoyer?
… hier soir,mon vieux propriétaire a
téléphoné à tous les bureaux de poste qu’il fallait rechercher le skieur
disparu,et l’alerte a été donnée dans
toutes les Alpes. En ce moment,on
cherche mon cadavre imaginaire sous les avalanches de neige. Si l’on savait
quelles autres blanches avalanches m’ont enseveli!
Je
vous envoie par le même courrier 3 exemplaires du"Requiem" et la"Himmlische Licht" de Rubiner,que je vous avais annoncée et que devra
garder pour elle celle de vous qui croit pouvoir le mieux me dispenser,en échange,une autre lumière céleste
cordialement
votre
Iwan
¹ (Yvonne Schwam) épousera Wolfgang
Schaper, fils du sculpteur berlinois Fritz Schaper
² (Claire Studer,née Clara Aischmann se faisait appeler Claire
mais Ivan l’appellera indistinctement Lillan,Liliane,Liane,Neila,Claire,Clarisse,Zouzou,Susu)
³ Gustave
Bychovski, étudiant en médecine, deviendra psychanalyste à New-York
La
traduction française de ces lettres sont d’ Hélène Ziberberg sous contrôle de
Claire ?
lettre
d'Ivan (Lausanne) à Claire (Genève) du 18/02/1917 MST p.12/13
Lausanne, 18. 2.17
Chère Liliane,
Quand
je revois la journée d'hier, je me fais l'effet d'un petit garçon heureux : je
riais, je plaisantais, je te voyais, rien que toi. Je dois m'avouer aujourd'hui
que je ne m'étais, auparavant, jamais cru capable d'une explosion aussi
exubérante et aussi impulsive.
Mais
nous n'étions pas seuls : derrière nous, se tenaient continuellement deux
êtres, que notre cœur semblait négliger, que nous paraissions oublier, mais
auxquels nous étions liés deux par deux, par des liens puissants, en ligne
droite et en croix.
Il y a Guscha *, dont tu ne
pouvais rien dire de plus exact que ce mot : il est analytique Il y avait Yvonne, dont je ne pourrais rien
penser de plus douloureux que ;: elle souffre.
La
journée d'hier était une projection de l'avenir sur le présent. Et celui qui se
tenait le plus loin était aussi celui qui le voyait le mieux : Guscha. Il me
signala vers quelles difficultés et vers quels terribles dangers nous nous
avançons, les bras unis. Et je fus malheureusement obligé de lui donner raison.
Yvonne n'a pas oublié.
Je
n'ai pas encore assez souffert (à ce qu'il semble).
Cela est injuste. Cela pourrait
devenir plus injuste encore. Je ne crois guère à la possibilité d'une forme
d'amitié durable, objective, limitée au spirituel. Toi non plus. Lui non plus.
Elle — non plus.
Ainsi
: malheur d'un côté, malheur de l'autre.
Ce
n'est pas une volonté soudaine qui peut faire de nous des amis, comme le froid
rassemble les particules étoilées en un flocon de neige.
Une
longe habitude l'un de l'autre pourra mieux nous souder ensemble.
Habituons-nous
l'un à l'autre. Peut-être.
Nous pourrons y arriver grâce à
un minuscule changement ; nous ne prendrons pas tout de suite quatre chambres,
mais nous resterons ensemble, et vous habiterez ensemble de votre côté ;
nous vous rendrons visite, tous les jours : ce qui était d'ailleurs votre
première pensée.
Nous
vous chercherons donc 2 ou 3 chambres dans une pension agréable (Fr. 4,50 - 5)
Le voulez-vous ?
Hier,
je n'étais pas moi-même. J'étais trop amoureux. Pardonne !
Je
souhaite qu'Yvonne n'interprète pas faussement le fait que j'ai évité de
prononcer des paroles tendres pour adoucir une douleur dont je savais que mes
yeux remplis de toi semblaient la cacher (mauvaise construction de phrase !)
Aujourd'hui,
je suis plus brisé que jamais.
Guscha
et moi sommes vos amis dévoués
Iwan
* Gustave
Bychovski, étudiant en médecine.
Gazette de Lausanne n° 213 - 5 août 1917 :
Iwan Goll : " A propos d'une nouvelle loi allemande"
C’est la première fois que Goll écrit sur
Claire Studer : "en de vibrants articles qui paraissent dans la Freie Zeitung de Berne,Madame Claire Studer invite les femmes à se
réveiller,à prendre parti pour leurs
maris et leurs enfants.
.... Femmes!dit Mme Claire Studer,il ne doit
y avoir pour nos enfants que des lois dictées par l'amour et non par la
force,des lois qui ont pour but la Vie
et non la Mort!Défendez-vous!Défendez vos enfants par tous les
moyens!Inculquez-leur la haine contre
la guerre!Apprenez-leur l'amour de
l'humanité!"
Ivan
(Saint-Cergue, près Nyon) à Claire (Chailly s/Lausanne - Les Fauconnières) du
23/08/1917 MST p.14
Saint-Cergue2 heures
J'ai vu, à 10 heures, à Nyon,
partir le train de Genève. Une force effrayante m'entraînait avec lui. Déjà je
maudis ma montre, parce qu'elle tourne trop lentement.
Quand viendra le soir ? Je vais
encore errer, pendant trois heures, à travers les fourrés, pour tuer le temps.
Iwan
Il semblerait
que ce soit le Dimanche 9 septembre 1917 que se soit réalisée leur passion au
sens biblique
Ivan
(Berne) à Claire (Zurich) du 13 septembre 1917 MST p.14
Claire Studerjeudi
matin (Berne 13/ 9-1917)
Zurich
Poste restante, Bureau central
Mon cœur qui a été percé hier
soir par de grises lances de pluie (ton invention en rêve) voltige aujourd'hui,
rouge comme un oiseau, pour être le premier à ta rencontre.
Il
t'entourera de ses battements d'ailes, en toi et partout. L'entends-tu chanter
?
Iwan
La mère de
Goll est à Lausanne les 13/14/15/16/17/18 septembre 1917
lettre
d'Ivan (Chailly-Lausanne) à Claire (Zurich) du 14/09/1917 MST p.14/15
Le temps de la réflexion est
passé; seul le sentiment prend le dessus. Il y a mille choses entre mon billet
d'hier et celui-ci— mille étreintes,
mille séductions, mille cris, mille rêves, mille peurs, mille caresses. Cela se
passait cette nuit.
Ta
carte, ce matin, m'a rendu heureux.
Je
reprends mon récit de la journée d'hier. Avant mon départ de Berne, je
rencontrai encore, par hasard Jacob ¹, qui souriait et qui affirmait que ce
sourire était pour moi, sans qu'il m'ait vu —il pensait justement à Iwan le Terrible, il voulait nous écrire et nous
inviter à Merlingen où il trône à présent. Dommage, ai-je dit. Il t'envoie ses
hommages.
Je
vis, également par hasard, Hugo Ball. Conversation intéressante. Ses hommages.
Je
vis aussi Streicherlein. Des miaulements de chat.Ses hommages.
Je
vis Schlieben ². Ses hommages.
Tu
vois combien j'étais chargé en quittant Berne.
Mais
je vis aussi Lutek. Ses hommages. Et si je vois encore beaucoup de gens, cette
lettre ne sera plus qu'une litanie.
Mairie
: payé 5 Fr. donné le bon, reçu en échange le stupide permis Schein
(sont-ce là tous tes papiers ?) Pour la carte de sucre, on s'est moqué de moi,
mais si tu te dépêches, tu en obtiendras une nouvelle à Zurich. Pour compenser,
ta belle-maman m'a généreusement donné son reste. Il suit par ce courrier.
Jointes
par conséquent : lettre chargée et 2 annexes.
En
outre, par le même courrier, un petit mandat, qui suffira, je l'espère, pour
les tramways de Zurich.
Quels
succès as-tu enregistrés jusqu'à présent ? Chambre ³, Karrodi, Rubiner,
Cornelius?
Puisque
tu es sur place : quand nous atteindra enfin "l'Echo du Temps"
*?depuis quand a-t-on appelé dans le
bois **?
Travail :ce matin,mon libre "Appel aux Intellectuels". Très content. Il est cinq
heures. D’habitude tu serais venue ; tu t’asseyais sur le lit et tu m’écoutais.
Ou bien tu me harcelais,ou encore tu
mordillais des pommes (bien mûres et sucrées). Mais à présent ?
Je
suis malheureux
Iwan(S.D.d.V.)
¹ Heinrich Edward Jacob
² Dr. Hans Schlieben, rédacteur-éditeur de la
revue pacifiste suisse Die Freie Zeitung
³ Ils recherchaient une chambre.
* Zeit-Echo,revue pacifiste des artistes. Editeur, Ludwig Rubiner.Dans le numéro de
juillet :
Claire Studer "Die Stunde der
Frauen"p.9/10
Ivan Goll : "Menschenleben"p.20-21
** traduction littérale,de Claire Goll,pour :in den Wald gerufen
worden,qui semblerait mystérieuse sans
le commentaire de Barbara Glauert,note
3-p.310 M.S.T.:allusion à Der Sturm,revue hebdomadaire pour la Culture et les
Arts de Herwarth Walden, revue de Berlin à laquelle Ivan et Claire
collaborèrent régulièrement).
lettre d’Ivan (Chailly) à Claire (Zurich) du
15 Septembre 1917 MST p.15/16
Chailly, 15
sept. 17
Très aimée,
Je
suis bouleversé, élevé par ta lettre au-dessus de moi-même. Oh ! après une
telle nuit de tourment, d'horreur, de chute vertigineuse en direction de toi.
Combien de vie tu m'as apportée. J'étais mort. Une gouttière grise et
ruisselante sur un toit. Battements, battements. Crépuscule. Cri d'angoisse. Oh
! après une telle nuit de torture.
Tu es l’étendard rouge-feu du jour. Tu es la
salvatrice de l’humanité. tout doit se vouer à toi,tout.
Je
viens bientôt,bientôt,bientôt. Ici,je ne peux déjà plus rien faire,après les premières semaines de repos. Il faut que je creuse la terre de
mes ongles,que je la fouille jusqu’au
coeur,elle et les hommes.
Ecoute
:nous voulons devenir des"êtres humains",dans le sens où tu parles de Frank.¹
D'ailleurs, tu le perces bien à jour, psychologiquement : tout à fait comme je
le revois dans mes souvenirs. Surtout ces yeux froids, froids qui vous
dissèquent, n'est-ce pas ?
Que
de choses tu as déjà vécues à Zurich ! Et je les ai vécues avec toi, puisque tu
les a ensuite revécues avec moi, si intimement. Merci. Bien, bien, Bruno Götz*
: est-il quelqu'un ? Avant la guerre, il affectait la " jeunesse " et
la "simplicité".
Je
suis toujours très content de mon"Appel aux Intellectuels". Inspiration directe. Ce sera
peut-être pour Rubiner. Développement,continuation et amélioration du dernier article.
Par
ailleurs aujourd’hui deux nouvelles poésies d'"Unterwelt "
(Bas-Fonds). Mais hier,hier :encore des traces de toi. Aujourd’hui,je suis vide,solitaire,épuisé. Va peut-être,
si ça s'arrange d'une manière ou d'une autre, à St-Prex. Douce,encore un baiser,un baiser,et ensuite — me jeter sur toi. Bientôt. Bientôt. J’enfle de plaisir. Mes parents sont gentiment avec nous.
Je représente la F. Z. à Zürich. J’obtiens de l’argent d’eux. Il nous en faut
beaucoup. Il faut que nous vivions. Devenir quelque chose. Car bientôt,je le sens,la mort peut me saisir. Pourquoi ?Cette nuit-ci parlait de la mort. S’il te plaît,ne dis pas aux gens que l’article
d’aujourd’hui,dans la F. Z.² est de moi
; ou alors,excuse-moi pour ce charabia
sans signification,s’il te plaît.
Je
me réjouis que tu aies trouvé une bonne chambre. Je te souhaite beaucoup de
soleil,beaucoup d’étoiles,beaucoup de lumière céleste. Il faut que tu
travailles,que tu travailles
ferme,tu es encore trop peu de chose.
Nous devons monter. Bravement.
S’il te plaît,trouve un bonne chambre pour moi. Le prix
n’importe pas.
Cette lettre me contient tout entier,je
t’aime,
Je t’embrasse délicatement
Iwan
Ton dernier titre pour Frank, ¹
le meilleur :"L’homme se
lève". Je lis en ce moment les lettres de Bakounine à Oyaroff.(S.D.d.V.)"
*collabore à Die Weissen Blätter
¹ Frank
Leonhard cherchait un titre pour son dernier livre qui sortit sous le titre Der Mensch ist gut, "L'Homme est
bon".
² Die Freie
Zeitung 1. Jg. Nr 45 -15 sept 1917, article signé I. G.: " Das Janushaupt
der Schweiz " (Les deux visages de la Suisse)
lettre d’Ivan (Chailly) à Claire (Zurich) du
16 Septembre 1917 MST p. 17/18
Dimanche
matin, 16 septembre 17
Ardemment
aimée,
Cette
nuit, j’ai dormi plus tranquillement, car je savais ce que le matin allait
m’apporter:mon parachèvement. Quand tu
m’écrivis cette lettre,je sentais
clairement ton haleine,je voyais les
feux follets dans tes yeux,lorsque je
montai sur le bateau qui allait à Saint-Prex. Je te sentais,jeune fille en bouton,vêtue de ta robe blanche,bondir dans ma main et rayonner doucement. Hier,ce fut un beau jour ensoleillé. Mais
aujourd’hui,c’est le dimanche des
dimanches. Hier,j’étais avec toi chez Mme Werefkin ¹,avec toi …
D’abord
:elle était seule,toute seule depuis huit jours,car Jawlenski et André ² sont,en ce moment,à Zürich,pour y chercher un
appartement ?(Tu connais ça ?) Elle a
peint,de nouveau,en trois nuits successives,un chef-d’oeuvre devant lequel on sent son
coeur cesser de battre. Tant d’oeuvres d’art,vraiment éternelles,dans une
pareille bicoque,et en si peu de
temps,tout récemment. C’est véritablement
énorme. Des vignobles,tristes,bruns,soulevés en croupes,à travers
lesquels se creuse un étroit chemin. Il conduit par derrière,dans un sombre mystère,dans le ventre de la montagne,de la terre,- mais,par devant,il s’élargit,devient bleu-clair,et il
s’empare de tout le tableau,de tout le
spectateur. Ce chemin,notre chemin à
tous. Sur ce chemin,à
l’arrière-plan,une jeune fille,en blouse rouge,rien que cette petite blouse,cette tache rouge,coeur de ce samedi soir,effrayant. Et sur le devant,comme aux aguets,comme un apache,comme la menace du quotidien,de la chair,du plaisir,de la nature
terrestre:un homme,un homme simple,peut-être un travailleur de la terre,peut-être un matelot. Deux êtres humains au
milieu de tant de grandeur et de désespoir.
Marianne
affirme que ce tableau,maintenant,est encore plus parfait que tous les autres.
Elle a mis,à côté,le"Dialogue infini". Elle a démontré avec quels moyens
déformés,extérieurs (nuage,table rouge,voile gonflée) toute la catastrophe,entre les deux,a été renforcée.
Mais dans l’oeuvre nouvelle: il n’y a aucun cri,et rien n’a besoin d’être interprété. La
situation existe déjà dans les vignobles,et les hommes sont"destin": cette petite blouse rouge (grande comme une pièce de
5 francs),si on l’enlève,le tableau est sans vie et il se désagrège.
Quelle
maturité,Liane,quelle grandeur: si nous pouvions
vouloir,penser ainsi,être simples ainsi. Il faut que nous y
arrivions. Oh! pas de cafés,pas de
polémique,pas de chasse aux
expériences: le monde est en toi. Il est très difficile d’être aussi
simples avec les mots. Nous avons beaucoup à travailler. Sur nous-mêmes.
Puis
nous avons été nous promener. Un paysage divin. Le dernier jour paisible de
l’été. Nous sommes restés 2 heures assis sur le quai de la gare,le lac devait être à 200 mètres de nous,mais nous ne le voyions pas. Une colline dans
l’or automnal. Mille mouettes voltigeaient,étoiles blanches. Elles étaient si près de la terre ; le ciel descendait
sur la terre. Près de nous,des raisins
mûrissaient. Des trains passaient. Là,Marianne m’a raconté toute sa vie: toute.
A
présent,je connais Jawlensky,et le méprise.
Marche vespérale jusqu’à Morges. Atmosphère à la Bovary. Des confiseries
odorantes. Des boucheries … Nous fîmes des emplettes,causâmes avec les gens. Fîmes des
expériences. Promenade en barque dans le soir mourant. Nous nous livrâmes à la
puissance de ces terribles,monstrueuses
montagnes. Des cloches se mirent à tinter,pour annoncer ce dimanche.
Après la confession de Marianne,vint la
mienne:nous parlâmes beaucoup de toi -
oh!comme elle te connaît:incroyable,Liane,excuse-nous ; nous
parlâmes de ton esprit et de tes jambes. Elle t’apprécie beaucoup,et attend beaucoup de notre vie en commun. O
Dieu,qu’elle est belle.
Parenthèse: je relis beaucoup
tes lettres. Ton manque de patience,Aimée,vient-il de l’esprit ou
des jambes ?S’il t’est inspiré par l’esprit,alors,sens donc,dans ces lignes,combien je suis proche. Mais,en ce qui concerne les jambes,je sais bien que tu ne peux pas donner tant
d’importance à une question de jours. O Aimée,ne te dupe pas toi-même,avec tes jambes. Que sont 3 jours ou même
6,alors que des millions de femmes
attendent déjà depuis 3 ans de guerre et attendront peut-être 3 ans encore
?Alors,je t’en prie,Liane,toi qui es un être humain,crois en toi,crois en moi: voilà tout!
Parenthèse
fermée. Ainsi ces cloches d’hier soir.
Exactement les mêmes cloches qu’il y a 8 jours,splendeur dominicale,parfums du
coeur,âme qui s’ouvre. Depuis 8 jours
exactement,je sais que Liane est
mienne. Je me fie à toi,à ton amour.
Suite de la promenade en barque:
nous prenons un bain d’étoiles. Des étoiles là-haut par-dessus les nuages,en-bas dans le fond du lac,des étoiles à Lausanne,des étoiles en France. Nous-mêmes,étoiles. Etoiles humaines. Et une étoile bien
loin,là-bas,à Zürich. Toi,mon étoile la plus brillante,unique,sans laquelle les autres ne pourraient jamais luire.
Ensuite,nous mangeâmes une friture du
lac,avec un"moût" piquant du Valais,dans une gentille petite auberge
française,à tonnelle. Mais nous étions
déjà amollis. Nous causâmes de Rubiner et de l’avenir. Retour à la maison. Aimée,je voudrais voler vers toi. Prends
patience,peu de jours encore. Mes parents ont beaucoup d’achats à faire
pour moi,et Dieu sait que cela ne se
fait pas en un jour. Une malle,des
souliers,du linge. Il faut que je me
maîtrise car ils m’aiment. Demain et après-demain,ce sera les plus grands jours de fête pour ma
pieuse mère. Je n’ai pas le droit de les lui gâter. Ce sera vite passé. En
outre,il faut que je fasse divers
emprunts. Ainsi,tu as une chambre pour
moi,- fameux, - mais te
plaît-elle?C’est là le principal. Nous allons être riches."Marsyas" a accepté"Domkoncert ". 20 mark (en tout
70).
La Gazette de Lausanne a accepté
quelque chose. J’ai envoyé à Schlieben(1) les commentaires sur le"Hahn"(2),car il s’y
intéresse. Nouvelle version du"
Gai printemps "(3).
Je
me jette à tes pieds
Iwan
Un mot de Mme
Werefkin : "L’amour ne doit pas être un arrière-plan,mais le sol sur lequel on se tient et sur
lequel on édifie la voûte spirituelle de sa vie ".
¹ Marianne de Werefkin,fille du gouverneur de Vilna,compagne d’Alexej von Jawlensky
² André fils illégitime de
Jawlensky,pas encore reconnu à cette
date. (voir:Claire Goll,La poursuite du vent,1976 - Olivier Orban,p. 53.71.76 & 77).
1) Dr. Hans Schlieben, rédacteur-éditeur de
la revue pacifiste suisse Die Freie Zeitung
2) Le Coq: Franz Pfemfert,
directeur de la revue Die Aktion
vient de publier "Le Nouvel Orphée
",dans sa collection "Der rote Hahn "- Band 5 (Le Coq
Rouge)
3) "Grosser Frühling
"fait partie du cycle de textes poétiques publiés dans "Dithyramben
",collection "Der Jüngste Tag
"N° 54,Kurt Wolf Verlag,Leipzig-Zürich,1918
Réponse de Claire (Zurich) à Ivan (Lausanne) du 17 Septembre
1917 MST p. 19/20
Zurich, 17
septembre 1917
(Vogelsangstrasse,
3 Rue du Chant des Oiseaux)
O
Bien-Aimé,ta lettre !Comme j’étais toute dans ton jour et dans ton
cœur !Et comme elle me faisait mal
cette parenthèse sur mes jambes. A présent que j’ai commencé à t’aimer de toute
mon âme et de tout mon pouvoir,à
présent qu’au milieu de ces esprits médiocres,j’ai le désir de ton éclair,plus
que jamais. Toi l’élu !A présent,tu me fais cette blessure?A présent,alors que je vis déjà de la vue de ta chambre à venir,qui est encore morte et qui est pourtant déjà
le temple qui contiendra mon dieu?Ne
sens-tu pas que je n’aurais jamais pu t’aimer plus réellement et plus
spirituellement que dans le désespoir de cette nuit de vendredi,où nous criâmes tous les deux en nous
appelant,et que c’est un péché contre
le Saint-Esprit,quand deux êtres,que lia un éternel dimanche,se laissent séparer par un jour de travail
!
O toi!comme je t’aime!Non,comme je veux t’aimer!La
présence n’est pas réellement indispensable,il y suffit de la conscience que nous avons l’un de l’autre,car au moment même où Marianne disait: "
L’amour ne doit être qu’un arrière-plan" etc.,j’exposais à peu près la même chose devant
Rubiner,qui avait commencé,avec sa femme,une interview spirituelle de moi (Ce serait
trop long de la reproduire). J’ai tout à l’heure un rendez-vous avec le
professeur Feilbogen,l’éditeur de
" Internationale Rundschau.
Aujourd’hui,déjeuner au Rigiblick avec les Rubiner,Lewin(1),le poète populaire rouge
Volkart avec sa femme. Deux personnes charmantes. Ils m’ont invitée. J’ai dit
que je viendrai avec toi ces temps prochains. Tu es invité cordialement. Il
connaissait le "Requiem". Partout où je vais,quand on me présente sous le nom de Studer,tout le monde demande : Claire Studer ?et aussitôt,on est en famille.
Toi,toi,je baise tes mains avec dévotion,en leur ordonnant de venir bientôt.
Liane
A lundi. Ta
chambre est magnifique,je l’ai choisie
avec amour. "
(S.D.d.V.)
1)Kurt Lewin,professeur en Psychologie
Ivan (Lausanne) à Claire (Vogelsangstr.,
3 - Zurich) du 17 Septembre 1917 MST
p. 21
Lausanne
Lundi
soir,
17/9/17
Certes, Liane, alors nous ne
nous quitterons plus jamais. Jamais ! Tu ne sais pas quelles tortures j'endure
; ton image partout. Et je ne peux rester en place. J'accumule tes lettres sur
mon cœur. Quand l'impatience ou le désespoir m'assaille, j'en tire une et je
m'imprègne de ses paroles divines.
Rien n'existe en dehors de
toi.
Rien ne peut plus exister
sans toi.
O torture de ces jours de
fête ! ma mère est heureuse et toi, tu attends en pays étranger.
Patience, cela passera :
demain, nous pourrons dire : demain ! O Dieu, quand j'imagine comment tu seras,
à la gare,
Je
n'en peux plus
Iwan
Ivan (Chailly) à Claire (Zurich) du 18
Septembre 1917 MST p. 21/22
Chailly, 18 septembre 17,
O
bien-aimée,
Terrible
désespoir : je ne peux venir qu'après-demain.
Il me faudra rester sans toi
toute une journée de plus, n'être pas moi-même, mais seulement un fantôme.
Végéter, manger et parler de politique. Il faut que je perde encore à Lausanne
un jour de ma vie.
O
Liane aimée, quelle déception, demain seulement nous pourrons dire : Demain.
Comment puis-je passer cette journée de deuil ? Et portant, il y a deux raisons
d'un grand poids : la malle que j'ai commandée ne pourra être prête que demain
soir, je ne puis donc faire mes bagages. Grotesque, n'est-ce pas ? En outre, je
suis obligéde m'inscrire encore à
l'Université pour le permis. Je paierai pour cela 10 francs, mais mes parents
paieront 80 francs. Est-ce que ça les vaut ? Mais ça aussi ne peut avoir lieu
que demain après-midi.
Car le doyen (le secrétariat est
encore fermé) ne reçoit pas avant.
O
torture. Je ne voudrais pas, mon enfant, que tu aies déjà sacrifié ta journée
de demain, refusé quelque invitation, par exemple : ce serait pour moi une
grande cause de tristesse.
J'ai
fait, tout à l'heure, une promenade automnale : des dahlias sur ma table.Et aussi des colchiques, déjà. Je tout
cueilli en ton nom. Je tenais sans cesse ta lettre à la main, et ne pouvais
croire à mon bonheur. Je bondissais, me sentant jeune, sur les collines, et
ensuite je suis resté longtemps à la fontaine, à méditer. Je te voyais, te
sentais : ô femme,ô lumineuse, ô rouge,
ô fruit ouvert, ouvert, et mouillé.
Les
femmes lentes vont toutes à travers les jardins.
Jamais il n'y eut joie plus
multicolore. Lourd vin d'or. Pommes de pourpre, mort exultante.
Je
suis sans toi. Je ne suis pas. Toi seule existes. Des visages brillent dans tes
yeux. Des feux brûlent dans tes paroles. Je me roule dans la terre nue. Comme
le train sera lent, j'en ai déjà peur. J'ai peur de cette ascension céleste.
Mais
je veux tromper mon ennui, je veux m'occuper de tout. Blocs de papier,
chocolat, sucre, etc. Je vais avoir beaucoup, beaucoup d'argent. Encore un
temps, et tu pourras faire des souhaits, dilapider, perdre la tête, aller chez
les antiquaires ou chez les bijoutiers.
Tes
succès sont énormes. Tu as des dons : cela, les gens le sentent
instinctivement. Mais cela ne suffira pas. Il faut que tu fasses quelque
chose. Travailler, travailler. Je crois que nous devrons finalement nous
retirer en nous-mêmes. Comme je me réjouis d'avance de cette chambre, choisie
par toi. Donne-moi, je t'en prie, tout de suite l'adresse, afin que je puisse
me présenter à Maupas après-demain. J'ai été chez Perrin : ils font des
recherches : réponse demain.
Nous
aurons besoin de semaines, ou d'années, ou de la vie entière, pour dire tout ce
qui se cache entre nos lignes. Après-demain, mon amour : à cette heure de
l'après-midi sonneront pour moi toutes les cloches du monde.
Ton
infiniment dévoué
Iwan
Quand les Rubiner seront chez
nous, je me prépare à leur lire "Unterwelt" ¹. Merci du fond du cœur,
et voeux de chance pour tes succès dans "Internationale Rundschau".
Puis-je te conseiller d'écrire sur "Requiem" quelque chose de
nouveau, plus condensé ?
Je
te télégraphierai l'heure.
¹ "Die Unterwelt" (Les Bas-Fonds)
52 poèmes dédiés à Claire Studer, poèmes écrits en 1917 et publiés en 1919chez S.Fischer Verlag, Berlin 1919, 66 Bl..
Télégramme d'Ivan (Lausanne) à Claire (Zurich)
du 19/9/1917 (9h55) MST p. 23
Lausanne 19/9/1917
Claire Studer Vogelsangstrasse, 3 - Zurich
(Rue du Chant des Oiseaux)
Iwan
Roméo Crésus sera jeudi à 8 heures 42 dans les bras de Liane
Goll
19 septembre 1917
Hymnes de nuit à Liane
I
Que ne puis-je toujours éclairer
Ton sommeil comme les miroirs
courbes
Où tu sèmes tes rêves las.
Visages des mille passants de la
rue, toutes
Les vies d'un seul jour qu'enfin
tu découvres,
Les visages de vent obliques des
passants, hâtifs,
Les veuves courbées frémissantes
de peur;
Mendiants dévots, cierges
adolescents,
Chacun d'eux s'élève
La nuit, de tes puits-miroirs
bleus
Dans lesquels tu baignes.
Chacun abreuve ton sommeil plus
coloré
Que ma perpétuelle et calme
présence.
II
Je ne devrais jamais de toi être
aussi loin,
Même la nuit,
Que les carillons d'or qui à
toute heure
Autour de toi tournent
Et comme une couronne d'étoiles
brumeuses
Voltigent autour de tes cheveux
défaits.
Toutes les heures
Du balcon céleste
Un bleu coule autour de ta vie
Comme les bijoux et grappes de
glycines odorantes.
Je ne devrais jamais de toi être
aussi loin,
Mais à toute heure et par amour
Dans un nouveau château
Sous l'or des carillons
Te voiler
III
Avec des yeux dilatés d'effroi
rouge
Errante par la nuit
Ma douleur éclatée sans fin
Mon sang profondément brassé
dans des ravins
Et mes mains agitées soudain d'espoir
Se fanaient, livides.
Les essaims sombres de mes cris
Tombaient morts dans le lac de
la nuit.
Pour te trouver
J'ai dû tuer des hommes et des
forêts
Assécher des sources
Etrangler des oiseaux rêveurs.
Pour contre toi m'être brûlé et
consumé
Avant que le matin m'étouffe
J'ai incendié de mon amour et
calciné la terre entière.
19
septembre 1917
Rien
de toi ce matin, ô solitude !
(Traduction
de Claire Goll)
La mère de
Goll, Rebecca Lazard est à Lausanne le 14/15/16/17/18/19 septembre 1917
Ivan (Lausanne) à
Claire (Zurich) octobre 1917 MST p.23/24
(Lausanne)
Ta seconde
lettre d'hier.
Ton amour monte en moi comme
un champagne sucré et fou.
Je suis rempli
de l'odeur automnale de ton corps. Une étrange odeur de moisi émane de nos
corps, que nous creusons comme des tombes.
Oh ! tu m'inondes, fleuve
rouge qui submerge les plaines et les anéantis. Inonde-moi, remplis-moi la
bouche et les oreilles de ton vin. Et que mes yeux se dissolvent en toi.
Etends-toi,étends-toi.
Toi ma nostalgie
d'automne.
C'est là le Mot
Je tomberai bientôt en
toi.
Mais attends encore,
attends encore !
Maintenant seulement
fermentent les sangs des vignobles.
Maintenant seulement
fermente le sang de ton amour.
Je me tends déjà vers ta
rencontre.
Déjà je fonds vers toi.
Mais attends encore,
attends encore !
Distille le vin.
Modèle notre
enfant, le plus bel enfant d'un amour de poète. Il faut qu'il devienne un
génie, l'enfant prodige de cette décennie.
Ecris, lutte, répands-toi,
inonde la pauvre terre de tes hymnes, de tes douleurs sauvages, de tes bonheurs
de jasmin. Redis à la terre que l'amour existe. Elle l'a oublié, elle gémit
dans la nuit parce qu'aucun or ne brille.
Les pauvres
humains ! Ils ne savent pas.
Ils ne savent pas encore
que tu vis,
Que tu aimes,
Que tu chantes.
Iwan
Journal
de Claire Studer : Vendredi 19 Octobre 1917 MST
p.24
" Ce soir à 7 heures,Liane et Iwan se sontmariés.
Voici ce que Liane jura à Iwan :
Je te jure de ne jamais
t’abandonner,car ce serait m’abandonner
moi même. Je te jure fidélité,car
seulement ainsi je pourrai me rester fidèle à moi-même. Je veux te connaître
plus profondément chaque jour,pour
pouvoir t’aimer davantage; aide-moi donc,à toute heure,à me connaître. Je
serai toujours à tes côtés,quel que
soit ton chemin; car je crois en toi et en ton amour.
Eternellement (pas au sens
humain de ce mot,car ce serait bien
trop bref)
Ta
Liane
Et voici ce que jura Iwan :
J’accepte ton serment,car ton serment est le mien. Je veuxte reconduire à toi-même — car c’est le
chemin qui mène, en ligne droite, àmoi.
Je veux être ton mari, parce que je crois en toi :toi la profonde, toi la vraie, toi la grande
Femme. Toi la poétesse. Toi l’aimante. Je suis tien,et je serai tien,même après mamort.
Iwan
Sur
ces mots,ils échangèrent leurs bagues.
(Le mariage "officiel"
sera célébré le 21 juillet 1921 à la mairie du 16 ème arrdt. de Paris)
Journal de
Stefan Zweig : vendredi 21 (décembre
1917) [3]
"… Le soir,chez Goll et Mme Claire Studer,une ravissante jeune femme ; Mme
Werefkin,l’artiste peintre russe,vient se joindre à nous. Une créature magnifique,vivante,étincelante elle raconte des souvenirs inoubliables sur son enfance et
son pays (l’histoire de la fille enceinte qui lui sert de modèle et qui lui
baisa les pieds,son entrée en
Allemagne,elle Russe,en pleine guerre,croyant de bonne foi qu’il ne lui arriverait
rien),nous avons une excellente
conversation,il y a quand même ici des
gens merveilleux.
Stefan Zweig:Journaux 1912 - 1940,édités par Knut Beck et traduits de
l’allemand par Jacques Legrand (Ivan Goll p.278,281,282,287,465 — Claire Studer 282,287,450.) Belfond,1986.
1918
Ivan et
Claire vivent à Zurich jusqu'à mi-avril 1918, où ils vont s'établir à Ascona
tout en conservant leur chambre à Zurich 15, rue Hadlaubstrasse.
Ascona, dans le Tessin, où une colonie d'artistes étaient en train
de se former ; par la suite, ce charmant village situé sur les bords du Lac
Majeur, du côté suisse, vit défiler des écrivains de toutes les nationalités et
devint le berceau d'un mouvement occultiste. Les adhérents du groupe
"Eranos" y tinrent leurs assises annuelles, et y composèrent leur
"Jahrbuch" .
Télégramme d'Ivan (Locarno) à Claire (Lugano)
du 28/4/1918 (5h35) MST p. 25
Locarno 28/04/1918
Claire
Studer
Hôtel
Milano
Lugano
Nostalgie
du soir caresse nuage rouge lointain
Goll
lettre d'Ivan (Lausanne) à Claire (Zurich)
du 11/08/1918 MST p. 25/26
Lausanne 11 août
(1918)
Réveil
pourpre : ainsi m'apparais-tu, toi qui avais guetté mon pas dans l'escalier,
nul ne sait combien de temps, et qui m'as béni de tes yeux au parfum de
sommeil, pour mon voyage…
Pendant
tout le trajet, l'été s'est dépouillé de ses nuages, et lors de mon arrivée à
Chailly, une brise furieuse dispersait les derniers lambeaux des gris
souvenirs. Des choses de l'an passé ressuscitaient, toutes dorées. Je n'ai pas
trouvé de chambre dans notre pension, et pour un peu, on m'aurait donné ma
chambre de Beau-Val, si je n'avais justement loué, dans une autre petite villa,
qui porte le nom ravissant de "Le Pavillon", une petite fenêtre
donnant sur des tas de foin, des pommiers et des parterres de glaïeuls.
Me
reposer un peu, cela fait tant de bien. je me sens comme si j'avais, derrière
moi, un grand combat, - très fatigué - Si je le mesure à cette fatigue, mon
travail doit avoir quelque chose de bon. Pardonne-moi de ne pas l'avoir encore
abandonné !
Rêver
encore un peu du voyage d'hier : 3/4 d'heure le long du lac de Neuchâtel, tant
de destinées volaient à ma rencontre, une cabane dans des vignobles fervents,
un gros homme devant une table de pierre, et d'un étincellement vert sortit la
forte fille, si claire, qui se laissa entraîner par mon rêve dans le train,
jusque dans la nostalgie.
On a beau écrire des romans, ce
n'est jamais, en réalité, qu'un millième de ce que renferme la vie. Ces
jours-ci, je vais beaucoup tituber dans l'été, et peut-être enfin décrire cette
solitude estivale que je laisse mûrir en moi depuis 15 ans. La nature, ma bonne
: je lui suis, au fond, si enchaîné. Et si je lui avais obéis, certains
dithyrambes auraient été meilleurs que ceux du "Jungste Tag" *...
Je
ne peux aucunement me représenter ce que tu fais en ce moment. Je voudrais que
tu sois en train de voyager comme moi. Mais peut-être te désoles-tu dans la
"chambre rouge", rouge de ta chevelure et de bien d'autre chose. De
petites lueurs vespérales dansent encore en moi, ou plutôt, elles ne dansent
pas, elles désirent…
A présent, je vais aller à St-François :
acheter ma " gloire ", La Nouvelle Gazette de Zurich, et puis je
verrai si je dois te répondre quelque chose sur le bout de papier qui reste.
Je
te prends contre mon épaule
Iwan
Post : Merci mille fois pour le
binocle : maintenant je pourrai mieux regarder les pseudo-parisiennes d'ici.
Ombrelle rose et souliers à hauts talons. Tant pis pour toi
* Collection Expressionniste
Ivan
(Lausanne) à Claire (Zurich) du 24/8/1918 MST p. 26
adresse
:
Frau Liliane StuderLausanne
Hadlaubstrasse, 15 24.8.18
Zurich6
Minuit
Olympia
au collier de sang,
Puisque je dois t'écrire, 3 jours
d'avance, quand je reviens, et puisque tu pourras venir me chercher, voici :
Gare principale de Zurich, quaix. Une
heure vingt de l'après-midi. Le 23 ème voyageur à gauche, juste derrière
l'employé, c'est Xavier Wastrucktunich, père de sept fils illégitimes, tous à
la guerre. D'ailleurs, je ferai signe.
Depuis tu as dû aller chez les
Bergner et tu as prié pour avoir du beau soleil. Bon appétit, même si ça sonne
bourgeoisement, mais c'est en mari que je signe :
Ton
Rintintin
Au
moins, ne flanque pas une gifle à Latzko¹qui est malade. Salue-le de ma
part.
¹ Andreas Latzko (1876/1943) écrivain, sera dans le Comité Directeur de Clarté à partir d'octobre 1919
La
maman d'Ivan, Rebecca Kahn (1867/1956) est
arrivée dimanche 25 août 1918 à la gare de Lausanne avec son second mari
(1909) le Prof. Daniel Kahn(1864-1936)
lettre
d'Ivan (Lausanne) à Claire (Zurich) du 26/08/18 erreur 1917 !MST p.
27/28 Hadlaubstrasse, 15
Zurich6
Ce
matin 26 août (lundi)
Ma bien-aimée lointaine,
Voici
que je suis rentré dans ma chambre de Beau-Val avec la vue sur Lassalle (tu
sais bien). Mais avec d'autres choses encore ! avec de rouges nuits de lune,
avec colliers ambrés d'étoiles, avec les pommes acides et les figues vertes, en
bas. Ce que j'éprouve est bien étrange. Je pense à toi, toujours seulement à
toi.
Hier,
j'ai offert à ma mère une magnifique journée. Vraiment, je l'ai attendue à la
gare comme une amante. Puis nous sommes montés, et tout de suite nous avons été
nous promener dans les bois. Nous sommes arrivés au Centenaire, dont tu te
souviens encore, et j'ai dansé deux valses avec Mère - elle n'avait plus dansé
depuis 20 ans. Les premiers pas ont été un peu hésitants, timides, ensuite,
cela allait mieux. Et à la fin, nous volions autour de la salle. Le
"masque de Daniel" ¹, debout à la porte nettoyant sa pipe ! Je suis
sûr qu'il était très jaloux : il n'y tint plus et il s'enfuit. Il resta de
mauvaise humeur pendant un quart d'heure, bien que, d'habitude, il sache se
dominer. C'était risible. Ensuite, sur le chemin du retour, je cueillis pour
Mère quelques petites fleurs blanches, à un buisson, elles avaient l'aspect et
l'odeur de myrtes sauvages. Elle se les mit, tout de suite, comme un bouquet de
mariée, et dit qu'elle les ferait sécher. Elle n'avait pas été aussi heureuse
depuis longtemps. Et pas un enfant au monde ne peut avoir de plus belles illusions.
C'est à dire : ce n'étaient pas seulement des illusions, car
j'étais bien là. Le soir, chez
Grégal. Beaucoup de femmes avec beaucoup de secrets. Une petite fille juive
avec sa mère - je pensais à toi, tu as dû être ainsi le jour de tes seize ans.
J'étais ennuyé, plein de curiosité et d'impatience, admirant surtout les
cocottes, je restais tout à fait étranger aux regards masculins. Un solo de
piano de Moussorgsky m'a beaucoup ému.
Derrière
moi, la nuit était suave. Je vivais avec toi. Je te jetais mes yeux bruns
par-dessus la corne de la lune, et toi, encore couchée dans le crépuscule, tu
les attrapais avec les éventails de palmes que sont tes doigts fervents. Et tu
portais encore les petits rubans roses d'Uetli *. Oui, tu as même dansé dans la
lune déjà décroissante.
Hier
soir, j'ai beaucoup souffert à cause de toi. J'avais peur qu'il te soit arrivé,
de nouveau, quelque chose, une rencontre, peut-être chez Latzko ; peut-être
n'étais-tu pas là-bas.
Qu'as
dit la Bergner ², a-t-elle été gentille ? Je t'en supplie, ne t'appuie pas tant
sur les êtres humains que sur toi-même. Et tu sais bien que je suis tout près.
Demain mardi, téléphone plutôt à Doralie ³. Fais-le. Je ne suis tranquille que
lorsque je connais l'emploi de tes journées.
Ecris-moi
beaucoup. Travaille bien et crois au dévouement total de ton
Iwan
¹ Daniel Kahn, professeur et beau-père d'Ivan
* Uetliberg près de Zurich
² Elisabeth Bergner, comédienne en vogue
³ Doralie Studer, sa fille d'un premier
mariage
Ivan (Lausanne-Chailly) à Claire (Zurich) entre
26 et 29 août 1918MST p. 28/29
Hadlaubstrasse, 15
Zurich6Lausanne,
St-François
Chailly-midi
Bien-aimée,
tu as très tort. Tu te fais mal et tu fais mal à l'été, en gelant, en ayant
l'hiver dans ton âme, mais tu me fais surtout mal, car je viens justement
d'écrire l'Ode à l'été que j'avais annoncée ; je ne la trouve pas mauvaise,
mais je ne l'ai pas encore recopiée, car je veux que tu la lises d'abord. Ici,
le paysage est mille fois plus riche et plus beau que toutes les montagnes
zurichoises, il est même plus intime que les souvenirs d'Ascona. Le château, -
mon, notre château, - est le meilleur conte de fées de ma vie. Le matin,
l'après-midi, le soir, je suis là-bas. A présent, on fauche le vaste océan doré
des blés ; les gens qui s'y trouvent sont sombres, et rament avec leurs faux.
Mais
je t'apporte la nostalgie. Cela te fait peut-être sourire... Sentimentalité.
Là-bas, je lis maintenant les lettres de jeunesse de Ch.-L. Philippe, des
accusations empoisonnées contre les hommes, des choses merveilleuses, que tu
devrais absolument traduire.
Aujourd'hui,
continué à bouquiner ; encore un classique, La Bruyère, qui a écrit des choses
violentes sur l'homme et sur la guerre. Cela aussi, tu peux le proposer, il faut
que ce soit traduit.
Lausanne
est coquette, assez petite, et quel grand rassemblement de femmes très belles
(toutes à l'usage des brillants militaires, hélas). On croirait se promener
dans un jardin, mais ne crois pas...
S'il
te plaît, dis à Mme Michel * qu'elle doit te faire de bons vêtements, et sache
que tu dois bien manger et avoir bonne mine, sinon je me fâcherai. Mais, le
puis-je ? Ah !
Très
vraisemblablement, je serai revenu jeudi soir au petit nid de mon alouette
effarouchée et je m'en réjouis beaucoup.
Ma
mère est bonne et heureuse. Jeannette n'est pas oubliée
Ivan
* logeuse des Goll
11 novembre
1918,
Goll fête l'armistice avec toute la colonie d'Ascona; Pour lui, pas
question d'aller à Berlin. Redevenu Français dès la libération de la Lorraine,
ses parents ont reçu son avis de mobilisation ; son pacifisme, son refus de
porter les armes fut assimilé à de l'insoumission. Goll invoque des troubles
mentaux. Grâce à Jung et des amis de Genève, un épais dossier fut constitué
pour le soumettre aux médecins militaires français. Goll a décidé de rester en
Suisse pour attendre la fin de l'engouement guerrier. Il propose pour la énième
fois à Claire de transformer leur liaison en mariage …
Le 16 novembre
1918, il accompagne Claire Studer à la petite gare de Locarno. Elle part
pourrencontrer à Munich Rainer
Maria-Rilke à qui elle avait envoyé son premier livre de poèmes. De décembre
1918 à début mars 1919, Claire vit à Berlin et loge chez le Dr Emil Gombel
(Berlin-W.Motzstr. 49, Gartenhaus).
Début mars,
elle vient retrouver Ivan à Ascona.
De mi-juillet
à fin octobre, ils vivent surtout à Zurich avec de courts séjours à Ascona.
Rainer-Maria
Rilke - Ainmillerstrasse, 34 - dimanche17 novembre 1918
Madame,
A l'heure
actuelle, les nouvelles que vous allez m'apporter de Suisse, me feront tout
particulièrement du bien, mais ce n'est pas pour cela, que j'attends avec joie
notre entrevue.
Je suis depuis
longtemps un ami de vos poésies : déjà votre envoi antérieur de Mitwelt m'avait touché infiniment, mais
les circonstances de ces temps-ci m'ont empêché de vous exprimer mes
remerciements réellement sentis. Et quel avantage immérité pour moi de pouvoir
me racheter de vive voix.
Hier, il était
malheureusement trop tard, et, pour aujourd'hui, voici l'emploi de mon temps :
attendant la visite d'un ami au courant de l'après-midi, je ne pourrai pas
sortir, mais je serai ravi de vous recevoir chez moi. A votre choix, tout de
suite après déjeuner ou vers la fin de l'après-midi, à l'heure du thé. Au cas
où cette lettredeviendrait superflue
par le fait que je vous trouve maintenant à l'hôtel, voulez-vous avoir la bonté
de me dire au téléphone (33313) si je peux me réjouir de vous voir aujourd'hui.
Votre très
dévoué
Rainer
Maria-Rilke
Claire Goll : Rilke et les
femmes, Falaize 1955 p.41/42
Rainer-Maria
Rilke - Ainmillerstrasse, 34 - lundi 18 novembre 1918
Nul doute que je ne mettrai point un tel obstacle à votre
venue. J'obéis, bien entendu, à la Madone noire et à vous, Liliane, il ne
tiendra qu'à vous de m'indiquer demain les passages dans votre livre, qu'il me
sera permis d'ouvrir plus tard.
La petite
Madone, dans son admirable mélange de simplicité et de splendeur a tout à fait
l'air de pouvoir agir pour vous, puisque, dès hier soir, elle m'a apporté, en
vous, tant de joie et de surprise.
Quelle
merveille, quand, pour une fois un cœur se lève sur vous, non seulement dans
son premier quartier, mais tout de suite la pleine lune dans sa nuit la plus
parfaite — non davantage : toute entière, sans son côté détourné.
A demain
soir
Rainer
Maria-Rilke
Claire Goll : Rilke et les
femmes, Falaize 1955 p.43/44
Rainer-Maria
Rilke -23 novembre 1918
Merci. Tu ne cesses pas de me combler affectueusement. Je
ne sais pas, encore, combien de temps je pourrai te donner aujourd'hui —, mais,
de toute façon, je viendrai chez toi entre trois et quatre, pour te dire
bonjour et j'espère pouvoir m'arranger, pour pouvoir passer avec toi un calme
et profond moment.
Bon jour
Rainer
Claire Goll : Rilke et les
femmes, Falaize 1955 p.44
Rainer-Maria
Rilke - lundi 25 novembre1918
Hier, Liliane, hier je me suis énormément défendu contre toi — et
pourtant j'ai été si heureuxlorsque ta
voix (qui au téléphone, semblait si proche et si peu altérée) rompit le
silence.
En revanche,
veux-tu que nous nous appartenions demain toute la journée — à partir de 11
heures ½ — de sorte que tu pourras déjeuner avec moi — oui ? Arrange-toi !
Que de fleurs je
voulais t'envoyer ! Mais je n'ai pas le choix.
Celui que tu ne
nommes pas.
(Donc, demain, à onze heures et demie, devant le tableau !)
FRERE ET SŒUR
Que
de fois, avec quels soupirs
Nous
sommes nous caressés paupière et épaule
La
nuit se cachait dans les chambres,
Animal
vulnéré, endolori par nous.
Etais-tu
l'élue entre toutes,
N'était-ce
pas assez d'être ma sœur ?
La
vallée de ton être me berçait.
A
présent penchée de la proue du ciel.
En
une apparition inexhaustible
Tu
t'empares de moi. Où fuir ?
Avec
le geste des pleureuses
Tu
t'inclines vers moi, inconsolante.
Et,
malgré cette douleur sombre
Ne
perdons pas la direction des larmes.
Que
sais-tu si nous souffrons des délices
Ou
si la douleur bue nous illumine ?
Crois-tu,
éplorée qu'un renoncement
Soit
plus douloureux que le don de soi ?
Quand
la horde des ressuscités
Nous
aura séparés, nous, redevenus deux,
Par
la fanfare qui fera revivre,
Jaillirons
de la pierre renversée.
Ah
combien mon étrange volupté pour toi
Paraîtra
innocente aux anges.
Car
elle aussi participe à l'esprit,
Le
rayonnement qui brûle et chante.
Alors,
tu m'aideras à tomber à genoux
Près
de toi-même, ma voyante.
A l'heureuse
Liliane /
cette page de
la soirée d'hier
Claire Goll
: Rilke et les femmes, Falaize 1955 p.45/46/47
De décembre 1918 à mars
1919, Claire vit à Berlin et loge chez le Dr Emil Gombel (Berlin-W.Motzstr. 49,
Gartenhaus).
Rainer-Maria
Rilke - dimanche 29/12/1918
Dimanche,
29.XII.1918
Vois-tu, vois-tu, toute écriture m'est tellement
insurmontable que je n'arrive même pas à écrire :
Liliane
—,
Bien que je ne
puisse devant moi poser une page blanche sans que ton reflet de feu y tombe.
Ai-je vraiment allumé en toi un tel brasier ? Un tel incendie du cœur ?
Chère enfant, et
tu te sens rappelée en arrière, vers moi, au lieu de te jeter plus en avant,
dans l'espace, qui pourtant t'attire, malgré cet élan, oui, tout élan vers moi.
Et te voilà
maintenant auprès de ton amie inconcevablement belle, débordant en elle, pleine
comme tu es de moi. Je pense avec un saint effroi que je me suis mêlé à vous,
dis-lui surtout que je me fais léger, léger en toi, pour ne la toucher qu'avec
ce qu'il y a de plus divin en moi dans ton étreinte.
Ne crois pas que
j'ai passé Noël tout à fait sans toi ; ta plainte était injuste et tu l'as vite
effacée par une consolation.
Je ne suis pas
encore en possession des objets que tu m'annonces ; mais je les attends avec
une joie merveilleuse.
Un petit cadeau qui t'est destiné, sera en retard, peut-être
d'une semaine, de deux—, il devait être
réparé, et cela prend maintenant du temps. Auras-tu la patience ?— A peine puis-je t'imaginer patiente, sauf,
quand je pense à ce silence au fort de ta tendresse.
Veux-tu savoir,
qu'il y a dans ma salle à manger, un petit arbre scintillant d'argent et même,
un second devant le sofa dans mon cabinet de travail—, Rosa ne s'est pas laissée dissuader de
faire ces arrangements.
Bénis en ton
cœur cette année pour moi, Liliane, et quand ce sera fait, souhaite-moi la
calme, l'avenir et la nature : ces trois.
Lorsque le soir
dans l'obscurité, j'étends les bras et ouvre les paumes, j'éprouve, à leur
surface, la sensation de ton châle espagnol. Et, de plus en plus, je suis
persuadé que ce châle n'est rien autre qu'un tissu ensorcelé, qui a conservé
mélancoliquement et tendrement un frôlement de ton corps avec une nuit.
Rainer
(Claire Goll : Rilke et les
femmes, Falaize 1955 p.48/49/50)
1919
Rainer-Maria
Rilke- 2 mars1919
J'ai honte,
Liliane, d'avoir si peu exagéré, en te promettant, à première vue, un long
silence;. En effet, il est devenu une belle continuité et je ne l'interromps
que pour le rythmer un peu. — D'ailleurs, j'ai à te remercier pour tes nombreux
envois : avant tout pour les livres nettement résolus d'Ivan Goll.
Quant à Duhamel
et Elie Faure, je ne pouvais pas les lire maintenant, il m'est impossible de revenir
sur les événements des dernières années, non pas que je veuille les oublier,
ils seront toujours une sorte d'impulsion vers l'avenir, mais il n'y a que lui
que je veux voir, l'avenir, aussi peu transparent qu'il soit.
J'ai classé de
belles poésies avec d'autres belles poésies de toi,
... aujourd'hui, j'ai aussi reçu le catalogue de l'Exposition
Rodin au Kunstverein de Bâle : autre conséquence de ta sollicitude pour moi.
Bien qu'il ne contienne pas, comme je l'espérais une reproduction du buste du Pape,
j'y ai trouvé plusieurs dates qui me rendront service.
Pour persévérer
dans mon immodestie, pourrais-je encore te demander de me procurer le nouveau
Maeterlinck (de 1917) : L'Hôte Inconnu :
veux-tu ?
Mes dettes
envers toi doivent être déjà importantes.
Les livres de
Duhamel et de Faure sont probablement de ta bibliothèque, je te les rapporterai
avec ton châle, que j'ai conservé : c'était pour moi une fête de veiller à ce
qu'il ne se perdit pas.
Mais quand te
l'apporterai-je ? Impossible à prévoir.
Ma porte est
constamment fermée, je vis en compagnie de quelques grands livres, qui, s'ils
ne sont pas près de mon esprit, m'apportent pourtant la méditation de quelques
hommes remarquables, en rapport avec mon propre moi.
A présent, je te
crois toutes les fleurs, car ici également, il y a déjà des touffes de
perce-neige, et, la semaine passée, on m'a envoyé des roses et, peu de jours
auparavant, quelque chose d'encore plus étonnant : des oranges.
Choses, dont
toi, privilégiée, n'as jamais cessé de t'entourer.
Ceci n'est pas
presqu'une lettre ?
(Mais en effet,
c'est dimanche.)
Claire Goll : Rilke et les
femmes, Falaize 1955 p.50/51/52/53
Rainer-Maria
Rilke - samedi 22 mars1919
Seul, ton
merveilleux châle a été oublié chez moi, Liliane, mais ni la robe de soirée, ni
la lettre. J'ai demandé à Henriette Hardenberg de t'envoyer la lettre, (car,
c'est chez elle, je suppose que tout est resté).
Tant de temps
a-t-il passé que tu aies pu être malade pendant
des semaines entre les signes de vie que j'ai reçus de toi ? Puisse le
jardin faire fleurir ta reconvalescence.
Je viens de
recevoir le Maeterlinck, je suis en train de le lire et, cette fois, je ne
doute pas qu'il m'appartienne : en y inscrivant mon nom, tu me l'as offert.
Décide
maintenant toi-même, s'il vaut la peine de m'envoyer le nouveau Barbusse, s'il
a de l'importance pour moi. Il n'a sans doute pas été possible d'avoir des
nouvelles de Charles Vildrac ?
Ci-joint un
petit échantillon de traduction, extrait de mes exercices pour Michel-Ange.
Rainer
Claire Goll : Rilke et les
femmes, Falaize 1955 p.53/54
D'une
neige profonde (qui s'est accumulée ici continuellement pendant quatre jours et
nuits) cette page s'envoie vers ton printemps déjà plus assuré, Liliane, ainsi
que tu le prévois, non sans une nouvelle prière.
On a offert à
Friedrich Burschell, pour sa revue, quelques traductions de Francis Jammes,
dont les originaux semblent se trouver dans un livre, qui s'appelle : Prières du temps de guerre ou
approximativement ; il importerait à Burschell de les comparer avec les
originaux et ce sera pour moi un plaisir de les connaître. Peux-tu faire cela
pour nous ?
Ivan Goll a-t-il
traduit de Mallarmé : Eventail de Mlle
Mallarmé, auquel je me suis attelé ici ? Consentirait-il à échanger sa
traduction contre la mienne ?
Propose-le lui.
Et reçois mon
plus affectueux souvenir.
Rainer
(Claire Goll : Rilke et les
femmes, Falaize 1955 p.57/58)
Ivan et Claire
arrivent à Paris le 1er novembre 1919
[1] née à Nuremberg le 29
octobre 1890,fille de Joseph Aischmann
et de Malvine Further,domiciliés à
Munich,Hannhauserstrasse 19,divorcée de Henri STUDER,depuis le 27 mars 1919,domiciliée 27 rue Jasmin. Il n'a pas été fait
de contrat de mariage. en présence de Joseph Rivière,homme de lettres,et de Adrienne Pompont,épouse Rivière,sans profession,rue Ramey,59,témoins majeurs....en la
mairie du XVI F arrdt.
[2]Iwan Goll Claire Goll Briefe,Florian Kupferberg Verlag,Mainz/Berlin . Une nouvelle édition : Claire Goll & Iwan Goll"Meiner Seele
Töne "paraîtra chez Scherz
en 1978,avec notes et commentaires de
Barbara Glauert . c’est cette seconde édition que nous prendrons ici comme
référence en utilisant les 3 initiales M.S.T..
La version française,traduite sous le
contrôle de Claire Goll,se trouve à la
Fondation Ivan et Claire Goll de Saint-Dié-des-Vosges (S.D.d.V.). Elle est à ce
jour inédite.
Meiner Seele Töne : Les sons de mon âmeest le titre choisi
par Barbara Glauert-Hesse pour cette correspondance . Il est extrait de ce
télégramme d’Ivan Goll à Claire
du 20/7/1932 MST p.106
Ehrwald 20 - 07 – 1932 - Claire Goll - 19, rue Raffet,
Paris
Les sons de mon âme t’appartiennent. Mes doigts ne
sanglotent que pour toi . Seule la mort délivre du " serment Chopin
".Personne ne sait que je joue de la mandoline .Mandolinete
[3]
Stefan Zweig :Journaux 1912 -
1940,édités par Knut Beck et traduits
de l’allemand par Jacques Legrand (Ivan Goll p.278,281,282,287,465 — Claire Studer 282,287,450. ) Belfond,1986
Bosko Tokin : Evropski Pesnik Ivan Goll (Ivan Goll - Poète européen) :
"… Si Goll n’était pas parvenu jusqu'à la poésie cinématographique, il serait resté inaccompli. Son expressionnisme était une chose d’affaires. Maintenant il est accompli. Nous cherchons le style qui doit exprimer l’unité de l’esprit, qui doit être d’origine cosmique et exprimer l’âme cosmique. Ce style cosmico-expressionniste doit être simple et complexe comme le style de Chaplin lui-même.
(Avec Goll, s’est produit ce qui s’est passé avec beaucoup d’autres. Il n’aimait pas le cinématographe et s’étonnait de mon enthousiasme. Quand pour la première fois en 1919 il est arrivé à Paris, je l’ai amené voir Chaplin, Fairbanx et d’autres encore. Et il s’est mis à aimer le cinématographe jusqu'à chanter aujourd’hui la "Chaplinade ").
Charlot a en lui quelque chose d'un Nouvel Orphée, qui doit faire taire les chacals de la civilisation et du Christ. Et réaliser certains moments utopiques. Charlot possède ce que Félix désirait. Il est simple, naïf, bon, proche de chaque homme.
Voici la pièce: l'image de Charlot est sur toutes les affiches qui peuplent la ville. Tous les passants sont heureux quand ils le voient. "Il est le miroir de tous". Un jour il descend de son affiche et il est suivi par tous les Charlots détachés de toutes les autres affiches. Tous les Charlots de la terre marchent et à la fin ils sont plus nombreux que le public. Il est multiplié. Enfin il réussit à s'échapper et de nouveau reste seul.
"Chaque vainqueur est seul".
Il est le poète comme Félix et tous les autres personnages des ouvrages de Goll qui parlent toujours de la situation du poète d'aujourd'hui. Charlot va chercher le Mont Parnasse. Voyage dans les Alpes. "Son oeil triomphal fait tout divin". "Saint Charlot d'Assise" médite sur le destin:
"Ce qu'il y a de pis dans mon malheur c'est quand personne n'est responsable.
Alors l'homme invente sa destinée".
Il va dans le désert, écoute avec un appareil les entrailles de la terre et toutes les voix du monde. Sur la scène elles seront reproduites par un gramophone. Charlot écoute:
"Bülow 8736 (Avez-vous le petit Koon? ) Merci (Un jour viendra Arip) (huit, huit non sept! ) S’il vous plaît ces places pour le cirque 37-21, 37. (J’ai dit: On ne peut pas dire cela. Courfou est une île sans...Donne-moi les culottes roses. 1815.Napoléon est...) Sur le film on voit un paysage hollandais au bord de la mer. Les chevaux lourds traînent le fardeau. Usines. Le gramophone continue : Le style de Flaubert est un bluff (2500% pour les actions téléphoniques) Bummelzug (Mon nom est Christ) La, la, la petite femme EVA-AG! Non, non, demain est mieux (Bétail) oui, oui, (Mon érotique n’est pas...) Charlottenburg... "
Charlot se demande "est-ce tout ce que pense la terre "? Le film change. On voit Marseille. Tous sont affairés. Nouveau monde et nouvel ordre. Celui-ci socialiste. Quelque part il est écrit: GARDEZ LES CERVEAUX. INSCRIVEZ-VOUS DANS DENKE VEREIN! Charlot est reconnu. Un leader s’agenouille devant lui: "Ave Charlot"! La foule le porte en triomphe. Il s’enfuit encore. Toujours seul, "Charlot reste Charlot à sourire, grimacer et ricaner ":
"J’ai trop de vies en Europe et en Amérique
Paris, New-York, et tous les villages rient
et pourtant je suis triste comme un prophète ".
Le voici de nouveau devant une colonne. Le colleur d’affiches l’aperçoit et impitoyablement le colle au mur. Les passants passent. Il sourit de nouveau.
Je l’ai dit. Charlot est en même temps le Don Quichotte moderne, et un Aristophane de notre époque, et Orphée et martyre. En effet, le comédien génial des faiblesses humaines est aimé par tous les gens. L'utopie et le comique sont unis ici dans la vérité éternelle que les hommes qui appartiennent le plus au monde sont toujours seuls. Il y a toujours chez eux quelque chose qui est étranger au monde, qui est au-dessus du monde. Quelque chose qui dépasse la raison., une sorte de "communisme de l’âme " en eux comme en Charlot. Leur grandeur est en cela qu'ils sont grands et petits par rapport à la raison. Ils appartiennent à eux-mêmes et au monde. La tragique comédie.
La Chaplinade inaugure une nouvelle époque de l'art : celle de la poésie cinématographique. La base cinématographique est le MOUVEMENT. Il est à la base de chaque art. Ils sont très peu nombreux ceux qui ont réussi à penser cinématographiquement-poétiquement. Ils sont peu ceux qui ont vu les nouvelles possibilités du nouvel art. Goll est l'un des premiers. Il y a du clair-voyant en lui.
Bosko TOKIN (Du livre en préparation : Réalisators )
Zenit, Année I, n°1, p.5-9. Zagreb, Février 1921) (Traduction du serbe par Branko Alecsic)
Cette biographie en langue serbe d'Ivan Goll p.5 à 9 est en tout point remarquable, l'analyse est basée sur une parfaite connaissance des oeuvres. Bosko Tokin, poète et essayiste serbe, auteur d'un "Manifeste de l'Expressionnisme ", publié à Belgrade, est lié en amitié avec Goll qu'il a connu en Allemagne, et qu'il a retrouvé à Paris en 1919
JOSEPH DELTEIL : Dans Paris qui brûle .
Les trois personnages de luxe, Orphée, la Sirène et Ivan Goll, jonglent dans le coeur de Paris avec des plumes et des caractères d’imprimerie, une poule avec deux mâles, je veux dire 5 grammes de mélancolie avec 10 grammes de sens moderne, forment à mon gré le mélange le plus explosif du monde. Il y a un prunier:
Un prunier
Fait le sentimental,
Avec ses larmes violettes,
et il y a des millions d’autobus. Ce serait dans le royaume d’Armide une tour Eiffel avec des stalactites et des stalagmites à foison. Ivan Goll est dans l’ascenseur, et il encense la terre avec le crâne de Charlie Chaplin. Cela fait une Chaplinade qui vaut bien la Franciade, la Henriade, etc.…Que si un roitelet avait des ailes de condor, il laisserait ainsi choir des plumes infiniment pâles au dessus de la Cordillère des Andes. Mais Charlot réside à Los Angelos, dans un bouquin aux seins blancs, avec le souvenir d’Ulysse, de Charybde et de Scylla.
Le premier oiseau
Tombé dans mon coeur
A chanté les airs d’Aïda Sur un violon de violette.
Ce n’est ni un aigle ni un merle, ni un canari, mais peut-être un aéroplane, ou sans doute quelque enfant du Ciel. L’oiseau de violette becquette tout le long du jour le violon de mon cœur .Passe-t-il un soldat d’argent, il le blesse du crâne à l’orteil .Je suis imberbe et prêt à rendre les armes, oui prêt à rendre l’âme. Quelqu’un parle d’un ton militaire sur du papier de Lafuma.
Une balle d’or Est tombée dans mon coeur.
O cruel mélange! Eau et Feu! Ce qui me désaltère me dissout, et ce qui m’agrège m’affame. Je vois en pleine piste venir Henry Dalby ceint de Marguerites et de planètes. Cosmos joue avec un instrument de rosée, et les oreillettes d’Aldebaran communiquent avec les ventricules d’un ver de terre et au centre, la veine porte.
O ivresse du vaste monde plus illustre que les vins de Bourgogne et d’Alcantara! O chaleur! O lumière! et vous, électricité, qui unissez le minéral à l’homme, et le baobab aux chiens de la lune! Mathusalem me délivre une Assurance contre le Suicide, et l'Edition du Matin annonce que Paris brûle.
Des gestes se lèvent à l’orient du côté de la Belle de Nuit et se couchent au sommet des Alpes. Ivan Goll se balade tout nu sur la Promenade des Anglais. Et moi, je songe à vous, Ivan Goll, Homme du Matin qui venez avec des poings et des mandolines, Homme ivre et chaste qui savez rouler vos muscles sous la peau et cueillir des filles de joie! Votre livre est une omelette qui m’assassine et me fait pareil à quelque forgeron couché sur son enclume morte. Mais si …
La rose avait cent mille bouches combien d’hippopotames rangés en bataille marchent à travers la plaine sèche et couverte d’ossements et de boutons d’or ? L’Astral m’appelle et l’Assassin frisé me sourit sans relâche, jusqu’à ce qu’enfin
Monsieur Saturne
remonte dans son auto bleu pâle, jusqu’à ce qu’enfin Ivan Goll me tende sur un plateau de fer trois violettes et la Tour Eiffel .
La revue Européenne I ère Année n°5 - 1er Juillet 1923 p.71 à 73.
Maurice Betz :
Le Nouvel Orphée
Poésie rapide, pressée, haletante. "Nous n'avons pas le temps d'être Grecs" s'écrie Ivan Goll en s'adressant à ses personnages, qui sont : Charlot-poète, échappé de l'écran, Mathusalem ou l'éternel bourgeois, l'Européen-de-culture-moyenne, redingote, raie à droite, le docteur Billard, conférencier et martyr de l'humanité : le Nouvel Orphée... de tous le plus séduisant et le plus sympathique. Poète à transformations comme Charlot, il franchit les pires trappes sans se rompre le cou, accompagne aux pianos des cinémas les douleurs fatales, frappe aux concerts d'abonnements les âmes comme des pièces d'or, fait ricocher les images ainsi que des cailloux plats et, à chaque coup de chapeau, découvre son génie aussi évident qu'une calvitie...
Ivan Goll qui avait déjà présenté dans Cinq Continents "anthologie mondiale de poésie contemporaine " 150 poètes (et beaucoup plus de mots) en liberté, se devait de se faire l'imprésario de cet Orphée des temps modernes qui est en quelque sorte l'archétype de ses 149 confrères...
Poésie lyrique, film, théâtre : les trois genres tantôt se succèdent, tantôt se chevauchent ou semblent tout près de se confondre: Mathusalem, le docteur Billard sont des fantoches grotesques dont la déformation touche au fantastique . Paris brûle, Le Nouvel Orphée, Astral, de nouveaux exemples de ce genre cinématographique où Blaise Cendrars et Philippe Soupault excellent, dont les changements de plan imprévus font le charme un peu aveuglant et où chaque image semble une fausse alerte habilement ménagée au lecteur …
Et c'est peut-être en ce mélange un peu équivoque de complainte foraine, de bruyantes parades, de clowneries grimaçantes, de dévotion à Notre-Dame du sleeping-car, de compassion humaine et d'imperceptible romantisme — à quoi vient s'ajouter encore tout un attirail d'images et de vocabulaires sportifs et commerciaux — qu'il faut chercher le secret de la poésie d'Ivan Goll ". Maurice Betz.
Les Nouvelles Littéraires 2ème année n° 54 - Samedi 27 octobre 1923 p.3 avec photo - portrait d'Ivan Goll
Paul Fierens :
La Poésie, " Les cinq continents " par Ivan Goll
....N'y sont copieusement représentés que les écrivains prophétiques, annonciateurs de civilisations nouvelles, tous ceux dont Walt Whitman et les futuristes italiens restent les précurseurs, les classiques....S'agit-il de démontrer que l'art s'internationalise et que le libre échange préside à ses transactions ? ...Ceci dit, admettons provisoirement que l'Américain Carl Sandburg soit mieux coté que le Français Paul Valéry. "Pas un seul grand poète en Europe" déclare le recruteur pour qui Claudel et Valéry Larbaud semblent ne pas exister....Les civilisations avancées ont-elles les artistes qu'elles méritent? ... Les révolutionnaires russes, empêtrés dans l'idéologie, sont moins intéressants que nos plus médiocres poètes patriotiques. Quelques Américains expriment de façon neuve et directe la beauté d'une vie féroce aux gestes courts et mécaniques. J'ignorais cela. M. Ivan Goll nous apprend tout de même bien des choses. Il faut l'en remercier bien sincèrement ".
Paul Fierens. p.95 et 96
La Nouvelle Revue Française -10 ème année n° 118 - 1er juillet 1923
Paul Fierens :
Le Nouvel Orphée
Vulgariser ne signifie pas toujours rendre vulgaire et beaucoup de grands poètes sont des vulgarisateurs de génie. Qui ne peut dominer l'époque la subit ; qui ne peut déchaîner l'orage fait office de baromètre, de sismographe. Le Nouvel Orphée enregistre les mouvements de l'atmosphère et les ébranlements de l'écorce terrestre ; sur le papier s'inscrit, en ligne brisée, un schéma de montagnes russes, bolchévisantes.
Ivan Goll a bon estomac. Nous l'avons vu digérer sans effort la poésie des cinq continents. Il eût pu, on l'a fait valoir non sans malice, rédiger lui-même les trois-quarts de son anthologie mondiale ; en revanche, le Nouvel Orphée se présente un peu comme une œuvre collective, un recueil de morceaux choisis. Dis-moi qui tu hantes....Ivan Goll est un "moderne", un "Européen", un disciple de Jarry, d'Apollinaire et de Charlot. Quand Jean Epstein écrivit sur la poésie d'aujourd'hui son livre bien scientifique, soupçonnait-il qu'un Ivan Goll lui donnerait à ce point raison?
« Les matins vieillissent vite », ( oui, il y a dans le Nouvel Orphée de ces trouvailles) et comme il est midi cinq, Ivan Goll a tout ce qu'il faut pour déplaire à la plupart d'entre nous. J'ai lu cependant Mathusalem, Paris brûle, et nombre de télégrammes-poèmes insérés dans Editions du matin, avec une véritable allégresse. Qu'on se laisse porter, bercer, secouer par ces vagues de tôle peinte ; qu'on s'incline au virages de ces toboggans bien machinés. On s'en tire sans courbatures ; on s'y divertit franchement.
Paul Fierens dans La Nouvelle Revue Française - n° 126 - 1er mars 1924 p.358/359
Jean-Daniel Maublanc :
IVAN GOLL ET LA POESIE INTERNATIONALE
Si l'histoire politique demande parfois le recul d'un demi siècle pour se dégager et prendre les apparences de la vérité, l'histoire littéraire, qui reflète des passions aussi ardentes et enregistre des bouleversements spirituels aussi profonds, demande les apaisements séculaires pour fixer les figures et situer les oeuvres. Mais, de même que l'histoire politique se constitue au jour le jour par l'accumulation des faits et l'élan continu des forces nouvelles, de même l'histoire littéraire s'inscrit au fil des ans selon le rythme des créations intellectuelles, chaque auteur apportant à l'édifice de la petite pierre de son talent, parfois l'airain de son génie. Il arrive, dans l'une et l'autre histoire, que des révolutions ébranlent l'édifice tout entier, que certaines personnalités s'inscrivent en lettres capitales et éclaboussent, des poussières qu'elles déplacent, un siècle de patiente harmonie et de laborieuses acquisitions.Notre début de siècle aura connu des bouleversements de tous ordres et dans tous les domaines mais si, conduits sans conviction et mal soutenus des élites, les bouleversements politiques s'amenuisent et s'orientent vers une stabilisation franchement régressive, les révolutions littéraires, après avoir consolidé d'immenses et fructueuses acquisitions, s'installent en conquérantes dans les domaines de l'esprit.
On pourra dire que le XX ème siècle aura consacré la mort des vieilles écoles et qu'une nouvelle poésie - la seule vraie poésie pour certains -, est née avec lui. Le cubisme, Dada, le surréalisme - le vrai et l'autre -, figureront, dans le débat, l'extrême gauche réalisatrice et, parmi ces cohortes à gilet rouge et "stylo entre les dents ", Ivan Goll m'apparaît déjà comme un chef résolu, fier d'une doctrine qu'il a enfantée, nourrie de son talent et de son coeur. L'avenir fera la part de son activité et de son oeuvre, il m'a semblé bon d'en fixer dès maintenant le témoignage.
Il est incontestable que nous vivons actuellement quelques heures capitales de l'histoire humaine, les vieilles hiérarchies s'écroulent, prennent peur, tentent d'endiguer le flot nouveau.
La grosse erreur de notre époque fut de donner à la bourgeoisie cette prédominance bestiale, expression d'un désir immodéré de jouissances et de réalités matérielles. N'en incriminons pas forcément l'argent, mais bien cet état d'esprit qui donne au ventre la maîtrise et laisse à la pourriture les valeurs spirituelles. C'est sur ce fumier qu'a fleuri la digitale Dada. Les dadaïstes étaient intelligents trop, sans doute, puisqu'ils poussèrent leur système à l'absurde ; ils étaient des bourgeois au sens vulgaire du mot ; mais, révolutionnaires d'instinct, ils rêvaient le renversement total des idées reçues et la table rase des acquisitions antérieures. Partis d'un point de vue défendable ils se contentèrent de renverser sans construire, car l'illogisme était leur acte de foi, la confusion, la caractéristique essentielle de leur mouvement. Fiers de se contredire toujours, ils réunirent à démontrer qu'ils n'étaient rien et ne pouvaient rien être.
Le mouvement Dada ne fut qu'une convulsion, une mode fugitive, une attitude pour milieux snobs.
Comme nombre des jeunes gens d'alors, Ivan Goll n'ayant rien de commun avec certains hommes dont le poil est gris aujourd'hui, a participé au mouvement Dada en tant que manifestation révolutionnaire humaine. Comme les dadaïstes, il a toujours été du côté de ceux qui voulurent jeter bas les vieilles ruines qui encombrent l'Europe et bouchent notre horizon. En cela, il se rapproche plus, à mon sens, du cubisme extrêmement réalisateur et constructif d'un Cocteau. Mais après, quelques, tournois sonores, à l'âge où tout paraît possible, il s'est aperçu que les pierres moisies risquent de tomber sur la tête (Cocteau n'a-t-il pas ruiné ses forces à essayer de soulever les mondes ? ) et il a pensé qu'il valait mieux laisser les musées à leur place et construire sa petite ville à côté. Il ne manque pas d'espaces incultes et de vallons fleuris sur cette terre. En sorte que les traces de Dada qu'il nous est possible de trouver dans les premiers vers d'Ivan Goll ne sont sans doute que des manifestations d'un esprit affranchi et non fonction d'une doctrine. Je dirai tout à l'heure ce qu'est le surréalisme d'Ivan Goll. Ses poèmes d'aujourd'hui différents pourtant des poèmes de jadis - sont tout aussi libres qu'eux et son surréalisme (car c'est la véritable doctrine à laquelle il se rattache) était en substance aussi bien en 1920, en 1924 qu'en 1929 dans son oeuvre. La théorie érigée dans le premier numéro de son éphémère revue (numéro premier et unique) n'était qu'une simple déclaration, une définitive mise en règle de ce que lui avait appris 1'exercice de son art.
Mais, direz-vous, le surréalisme d'Ivan Goll n'est donc pas le surréalisme orthodoxe et dictatorial qu'on nous prêche aujourd'hui sous les plafonds du " Radio " ? Si je veux examiner la question d'une certaine hauteur - et mettant à profit le recul de quelques années - je résumerai ainsi la différence entre les deux Surréalismes :
Toute poésie a besoin d'ailes, pour arriver à imiter les oiseaux qui nous sont supérieur, par la volonté de Dieu. Les surréalistes, groupés autour de Breton, empruntent leurs ailes au rêve, à l'inconscient, au fonctionnement obscur et étrange du cerveau. Le surréalisme de Breton, pour lequel Freud est la Muse nouvelle, relève plutôt de la psychiatrie. Le surréalisme d'Ivan Goll, directement issu de Rimbaud, Laforgue et Apollinaire, puise son extase et son haut, au coeur, au sentiment, à l'ivresse obscure de l'amour de toutes choses. Pour l'un comme pour l'autre, l'art " échappe à toute préméditation ". " C'est un événement de la Nature. Naissance spontanée " (Delteil). Et puisque Dieu, ou la force animatrice et créatrice des Mondes, est le point de départ des deux doctrines, on peut dire que, manifestement divergentes, il existe sûrement un point où les théories se rencontrent.
Yvan Goll avait déjà publié quelques oeuvres importantes quand il fonda la revue " Surréalisme " dont le premier numéro, paru le premier octobre 1924, n'eut pas de suite, 16 pages, sous couverture illustrée par Robert Delaunay. Au sommaire : Guillaume Apollinaire, Marcel Arland, Pierre Albert-Birot, René Crevel, Joseph Delteil, Robert Delaunay, Paul Dermée, Jean Painlevé, Pierre Reverdy. La couverture annonçait la fondation d'un " Théâtre surréaliste " avec programme monstre, metteurs en scène russes, autrichiens, italiens et un français : Gaston Baty. Mais, pour vivre et durer, Revue et Théâtre cherchèrent un Mécène. Personne n'ayant ouvert sa bourse, Revue et Théâtre moururent aussitôt que conçus. Qu'importe, le sillon était tracé, la moisson devait mûrir, malgré tout.
"La réalité, écrivait Ivan Goll dans son manifeste, est la base de tout grand art. Sans elle, pas de vie, pas de substance. La réalité, c'est le sol sous nos pieds et le ciel sur notre tête. Tout ce que l'artiste crée a son point de départ dans la nature... Cette transposition de la réalité dans un plan supérieur (artistique) constitue le Surréalisme. Le surréalisme est une conception qu'anima Guillaume Apollinaire, qui avec le matériel élémentaire des phrases et des mots de la rue faisait des poèmes... Seulement, avec ce Matériel élémentaire, il forma des images poétiques. L'image est aujourd'hui le critère de la bonne poésie. La rapidité d'association entre la première impression et la dernière expression fait la qualité de l'image... L'image est devenue l'attribut le plus apprécié de la poésie moderne... L'art est une émanation de la vie et de l'organisme de l'homme. Le surréalisme est un vaste mouvement de l'époque. Il signifie la santé... retrouve la nature, l'émotion première de l'homme, et va, avec un matériel artistique complètement neuf, vers une construction, vers une volonté. "
Le surréalisme, enfin " sera international, il absorbera tous les ismes qui partagent l'Europe, et recueillera les éléments vitaux de chacun ".
C'est sur le plan international que se détache avec le plus de netteté la personnalité littéraire d'Ivan Goll. Esprit cosmopolite, humanitaire, pacifiste, il chante la fraternité des races et l'abolition des frontières. Sa première grande oeuvre naturellement méconnue, "Les Cinq Continents "anthologie mondiale de la Poésie contemporaine (La Renaissance du Livre, 1922) est un essai de collaboration simultanée de toutes les races intéressant tous les individus. Ce n'est sans doute pas une anthologie complète, mais c'est le livre idéal de l'Européen de 1923 que pouvait se représenter l'auteur, achetant ce livre dans une gare quelconque. Livre subjectif, unilatéral, partial et certainement systématique, mais si plein de vie, si mugissant des cris de la terre, qu'il aurait mérité le grand succès et une place de choix dans le coeur des poètes.
" Une mappemonde sur une table de travail est le plus beau jouet et le délassement le plus doux que l'on puisse trouver. L'homme oublie sa tristesse quotidienne en parcourant d'un doigt rêveur le Globe qui contient tout. Navigateur de l'infini, pendant cinq minutes, il va se reposer dans un paysage lointain... Pour découvrir dans des pays inconnus les véritables valeurs, c'est aux poètes, qui sont des prophètes, qu'il convient de s'adresser en premier lieu ". Et, durant trois années, aidé par une cinquantaine de traducteurs de toutes langues, Ivan Goll a lié cette gerbe de jeunesse et de vérité. Voici les Américains (Carl Sandburg, Edgar Lee Mastera, Vachel Lindsay, Amy Lowell, James Oppenheim, etc...) Les Anglais (Richard Aldington, F.-S. Flint, T.-S. Eliot et John Rodker) les Irlandais (James Stephens, Padraic Colum). Les Français - et cela donne aux lecteurs l'idée générale et la tendance de l'ouvrage - sont représentés par Guillaume Apollinaire, Blaise Cendrars, Jules Romains, Max Jacob, André Salmon, Jean Cocteau, Ivan Goll, Pierre-Albert Birot, Philippe Soupault, Nicolas Beauduin. Je suis assez surpris de voir Paul Valéry compléter cette liste.... Nicolas Beauduin y figure sans doute comme résurrecteur du vieux paroxysme... mais alors, pourquoi refuser à Paul Dermée et à Verhaeren un fauteuil en la section belge, où je ne vois figurer que Franz Hellens, Paul Neuhuys et Wies Moens ? L'Italie futuriste et cubiste avec Marinetti en tête, l'Espagne (Ramon Gomez de la Serna, Juan Ramon Jimenez, Antonio Machado, etc...) et la Catalogne, séparatiste (Engeni d'Ors, Alfons Maseras, Salvat Papasseit) complètent, avec quelques Mexicains, Nicaraguens, Péruviens, Chiliens, Argentins, Portugais, Grecs et Roumains, cet important groupe Latin qui me semble avoir la tâche la plus dure pour secouer les rudes remparts du moyen âge et brûler les vieilles grammaires. Le groupe germanique (allemands, autrichiens, hollandais, suisses, suédois, norvégiens, danois et finlandais : 23 poètes a toutes les tendresses d'Ivan Goll, mais si le groupe slave (21 poètes) m'effraie un peu par ses cris sauvages et ses visions incandescentes, j'aime à relire les tendres, douloureux, purs et naïfs poèmes des Vieux Peuples orientaux. Les japonais (l'Empereur Moutsou-Hito, Nico D. Horigoutchi, Rofu Miki, Shira Tori, etc...) les Chinois, sont de merveilleux, d'incomparables inspirés. Leurs oeuvres sont des violettes toutes simples cueillies le long de la grand-route humaine, mais si parfumées, si tendres de rosée, que l'âme en est toute bouleversée. Et voici les Hindous représentés par Rabindranath Tagore, les Juifs - avec inévitable pogrome -, les Turcs, les Arméniens, les Indiens, enfin les Nègres, instincts à leur première aurore, poésie directe, intense, vraie... Je connais nombre de Poètes modernes. Dix à peine ont eu en mains "les Cinq Continents", trois possèdent l'ouvrage et l'ont lu.. Navrant.
Entrons désormais dans les champs poétiques d'Ivan Goll. Quelques poèmes dès 1912, à vingt ans. Je m'en tiendrai à "Le Nouvel Orphée", édition collective publiée par "La Sirène" en 1923. Poésie âpre, faite d'un papillotement d'images projetées du cœur-miroir par réflexion, avec des contours de pointe-sèche et la matière du métal. Lampes à arc et feuilles de température, j'écris ces mots avec intention. Ces Poèmes sont des jeux kaléidoscopiques, films primitifs et éphémères, dont les vertèbres ne sont qu'instants et rayons, mais dont le corps émerge d'ensemble, en silhouette crue et dans l'atmosphère. La beauté de ces morceaux et leur pouvoir évocateur, naissent du choc incessant des images, dans un désordre d'apparence, car rien n'est désordre en la vie et la poésie d'Ivan Goll, c'est la vie même.
Voici quelques images détachées de "Paris brûle"
Les blancs corbeaux des quotidiens
se battent autour des appâts de la nuit
Le monde juge en trois lignes
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Ses paupières sont des feuilles d'automne
qui ont peur de tomber dans l'herbe
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L'aiguille en platine de la Tour Eiffel
crève l'abcès des nuages...
…Et j'ai peur
que mon coeur
qui n'a pas de cran d'arrêt
comme un revolver
ne parte tout seul
Le plus insignifiant détail, le plus banal, la notation la plus imprévue, l'incidence la plus saugrenue, sont venus naturellement s'inscrire sur la toile où le pinceau du poète étale la pâte coloriée, puisée à même la réalité et découpée dans son ciel de tous les jours. Les sentiments humains nous apparaissent sans métaphysique et sans subtilités, sans logique ni esthétique, sans effets de grammaire ni jeux de mots. Ce ne sont que des objets participant de la sensibilité universelle, aussi nets de contours, aussi vrais, aussi schématisés que l'ovale d'un visage ou le cube monstrueux d'un gratte-ciel. Un peu d'exagération, parfois, mais exagérer n'est pas mentir...
Je me vends moi-même je vends Dieu je vends
le monde entier
Tout ce que nous faisons est péché
Ne pas agir est l'unique salut...
Poésie externe, en somme, pour l'oeil et pour les sens, mâle et dure, poésie qui touche et fustige, ébranle plus qu'elle n'émeut. Et par-dessus tout poésie pessimiste, désespérée, impliquant au renoncement, qui fait toucher du coeur, les immortelles misères de la création, les égoïsmes glacés d'une société sans amour et l'immense océan de la bêtise humaine.
Le poète enregistre comme un thermomètre
la fièvre du monde....
....Le poème est de l'angoisse anesthésiée
La douleur est meilleure que I'amour....
Ivan Goll démasque et écorche (lisez Mathusalem ou l'Eternel Bourgeois) fouaille et raille, plonge son, scalpel dans les pourritures et met l'homme à nu sous un ciel sans mensonges. Mais si le monde gagne insensiblement son excuse de vivre, si l'humanité, sauvée du suicide, marche enfin vers l'or des horizons purs, le poète, méconnu toujours et toujours martyr. ( "La Chaplinade", "Le Nouvel Orphée") reste par essence l'éternel paria, le fou zigzaguant du grand jeu d'échec de la vie.
La terre tourne : cinquième roue de l'automobile divine
L'ange a beau se suicider
La bêtise reste immortelle
Recueillons-nous recueillons-nous... ?
Le trèfle est sage qui ouvre et replie ses feuilles
Le trèfle est solitaire
Et simple
Soyons donc solitaires
Et simples...
Le Poète, dans cette réalité souveraine et totale, n'est peut - être que le grain de folie des mondes, le feu follet insaisissable et éphémère que la gifle du réel fait mourir à l'aurore quitte à renaître au soir par le caprice des nuits, le point de ralliement des idéals et le symbole des espoirs, le poète est peut-être Dieu! "
1923 -1925 : Ivan Goll a rencontré l'élue. Son nom n'apparaît plus seul au frontispice des recueils que Jean Budry, l'éditeur des sept manifestes Dada et des oeuvres de Pierre Albert Birot, présente au public. Ivan a rencontré Claire, les deux poètes formeront désormais une même âme tout, ellipse parfaite dont les deux coeurs sensibles sont les brûlants foyers. Il me sera bien difficile de distinguer les deux sensibilités, mais cette distinction est-elle bien nécessaire ? Je considère Claire et Ivan comme l'envers et l'avers du même astre, comme les faces confondues d'une sphère dorée où se joue la lumière et pleure la rosée :
Voici dix ans que tu m'aimes,
Que sur ma montre-bracelet
Le temps s'arrêta pour toujours !
Claire Goll était merveilleusement pétrie pour comprendre Ivan. Partageant son amour de la nature, plein d'amertume, nourrie de ce style brusque (reste de l'emporte-pièce Dada), ses récits à facettes, les uns émouvants, les autres pleins d'humour, nous faisaient déjà pressentir quelques-uns des paysages intérieurs denses d'une philosophie où la tristesse prend place, de " Une Allemande à Paris " . Elle avait subi, comme lui, l'influence des écrivains internationalistes et des peintres allemands, autrichiens et russes. L'influence de Chagall surtout, aux lignes tirées, aux boucles vives, Chagall, comme Ivan et Claire Goll, n'aime la réalité que par les contours et trace seulement des dehors d'objets pour nous les peindre. Plus exactement, il n'aiment, tous les trois, que les reflets, les surfaces, ne s'occupent que des orages du concret. Leurs peintures seront des heurts d'images concrètes, ils sont des businesmen-artistes, dédaignant la spéculation les diamants bruts d'images vivantes. Et c'est pour cela que l'illustration des recueils de Claire et Ivan m'intéresse autant que les poèmes eux-mêmes. Robert Delaunay, George Grosz et Fernand Léger, artistes pour lesquels peindre est une fonction de tous les sens , avaient délimité quelques-unes des images de " Le Nouvel Orphée ". C'est à Chagall que fut dévolue l'illustration des " Poèmes d'Amour " (1925). Il nous montre Claire et Ivan, mêlés dans un dessin aux lignes pures, puis dans une ellipse que ferme tout un monde, une tour Eiffel que couronne, comme une double étoile noire, deux visages préparant, dans notre univers, une éclatante rentrée.... Puis le geste d'une consolation nue et plus loin le masque androgyne commençant à rouler comme les satellites inquiets d'une beauté toujours immuable.... Dans " Poèmes de la Vie et de la Mort ", deux tragiques radiographies et dans les " Poèmes de Jalousie " quelques eaux fortes de Foujita, pleines d'une mollesse dont l'art s'allie avec cette préciosité un peu voulue qu'affectionnent certaines des images des Goll.
Ouvrons les " Poèmes d'Amour ".
Ivan : Tes cheveux sont le plus grand incendie du siècle...
... Trompés par l'or faux de l'aurore
Les oiseaux sont rentrés
Désespérés...
... Tu es la nymphe échappée des bouleaux
A tes pieds d'or se suicident les chiens...
... Parfois mon coeur mort crie dans la nuit...
... La nuit ta chevelure orange illuminait
Le vieux château du ciel
Jusqu'aux tours de Saturne...
... Depuis que je ne t'aime plus je t'aime...
...Des arbres de douleur gantés de rouge...
Lyrisme pur, nourri d'aliments modernes . Le vocable ancien, le matériel prosodique est changé. Voici le tramway, l'autobus, le métro, comme les constellations d'un nouveau ciel. Au milieu de cette terre inconnue, se confiant un amour très pessimiste, ils échangent, à la fin, des compliments naïfs tels que " ton coeur est comme un abricot " ! Le symbole de la chevelure attire Goll aussi, mais c'est une chevelure concrète dont il nous révèle les brûlantes colorations. Enfin, c'est ce lyrisme, non pas le lyrisme souterrain, intérieur, tel celui de Paul Eluard par exemple, mais un lyrisme de surface, dont les éléments appartiennent aux choses qui nous entourent, lyrisme immédiat qui naît toujours, comme l'électricité de deux objets la contenant déjà, en l'ignorant. Et la note féminine nous est donnée par Claire, avec la pitié profonde que recèlent ces beaux vers :
J'arrache mes premiers cheveux blancs
Les oiseaux en feront leur nid...
.... Dès que tu pars
Je crainte l'ange cycliste
Avec le télégramme de la mort...
...Car même de l'étreinte de la mort
Mon coeur immortel reviendra vers toi !
Ici, je crois que Claire Goll a poussé loin la réussite. Avec d'aussi simples éléments, elle nous oblige à une réflexion pleine de découvertes. Magnifique écrivains d'images, elle pousse, jusqu'à l'extrême de la clarté, leur intensité et leurs associations. Habileté très aiguë qui nous offre de réelles conquêtes à la lisière de ce monde mystérieux où commence la vraie et inexplicable poésie. Certaines de ces images nous satisfont même trop complètement pour que nous puissions les dire très poétiques, il leur manque de la folie... mais Claire, comme Ivan, y suppléent par une violente passion qui s'exprime en pures révélations, pleines de charmes et écrite dans une langue originale et tendue, jusqu'à ce cri de Claire que nous attendions depuis le début du livre de.
Car même de l'étreinte de la mort
Mon coeur immortel reviendra vers toi.
Les " Poèmes de Jalousie " me satisfont moins complètement. Cette jalousie est, à vrai dire, trop galante, trop fleurie. Benserade en colère... Certains tics, certains clichés que je retrouve dans Cocteau. Les voix sont toujours aussi pures, elles montent dans un violent désarroi. L'humanité des poèmes, tout de même existante, ne semble me masquée par des bariolages presque sportifs, évoquant, avec un certain déplaisir ému, le Boulevard et la Rotonde...
Claire : Je suis jalouse de la rue
Et de tes pas en ut-mineur...
.... Tu étais la Colonne Vendôme
A laquelle je m'appuyais...
Voici par contre, de très beaux vers :
Yvan : Dans l'arbre rouge de tes veines
sont perchés mes oiseaux de rêve
... Je vis ta vie tandis que tu la rêves...
Et cette sincérité, entachée parfois d'un désir trop grand d'originalité, je la retrouve dans les "Poèmes de la Vie et de la Mort".
Claire : Voici dix ans que tu m'aimes
Dix ans qui furent dix minutes !
Mais je te vois toujours pour la première fois....
Claire a la hantise de la mort, elle craint la pourriture et surtout la léthargie trompeuse qui peut ménager un terrible réveil au sein des territoires de la mort :
Quand je serai morte
fais embaumer mon corps :
Sinon les bêtes sans patrie
Viendraient coucher dans la sciure d'or de mes cheveux
- Quand je serai morte
Fais couler du blanc formol dans mes veines
Pour conserver leurs souvenirs...
... J'attends la mort
Comme un enfant ses vacances...
Enfin, quelques très beaux vers :
Claire : Je n'aurai qu'à te regarder
Pour que l'aurore monte dans mes joues
Ivan : Ombre parmi les ombres,
Que chassent les saisons
Jusqu'à la proche tombe.
Depuis lors, cédant au goût du jour et aux nécessités tyranniques, Ivan et Claire Goll ont quelque peu délaissé la poésie. Ils sont devenus de grands romanciers. Mais ils n'ont pas démissionné, et quelques poèmes, parfois, tombent en rosée claire sur leurs carnets. S'en tiendraient-ils à leur oeuvre déjà publiée, qu'ils auraient droit à une place de premier plan dans notre histoire poétique moderne. Si, dans ces pages forcément succinctes, j'ai pu en fixer le témoignage, j'estimerai mon travail profitable sinon digne des oeuvres présentées.
Jean-Daniel Maublanc : L'Archer - juin 1930
Geo Charles :
La représentation de votre « Mathusalem » à Bruxelles, mon cher Ivan Goll, nous a fourni l'occasion d'apprécier, une fois de plus, une oeuvre du « Théâtre poétique moderne ». Cette formule exprime assez bien la tendance et le mouvement de ce théâtre dit - toujours - «d'avant-garde», bien qu'il ait pris naissance longtemps avant la guerre. Je range sous ce signe : « Ubu Roi », de Jarry, « les Mamelles de Tirésias », d'Apollinaire, certaines pièces de Ribemont-Dessaignes, et justement ce « Mathusalem ».... Pourriez vous préciser votre conception personnelle quant à « l'esprit » poétique de cette oeuvre ?
Ivan Goll : J'estime que toutes les pièces que vous venez d'énumérer sont avant tout, en effet, des oeuvres de poètes que j'opposerai aux auteurs dramatiques. Comment les distinguer par une formule ? Ceux-ci excellent à copier la vie au théâtre, tandis que les poètes ont avant tout le désir de recréer la vie. Ils ne veulent pas du tout en donner, par exemple, une image exacte, mais plutôt révéler la signification profonde des faits et des paroles qui unissent les personnages dans une action.
Géo Charles : Et créer des prototypes ?
Ivan Goll: Oui. « Mathusalem », par exemple , c'est l'éternel Bourgeois. Il ne parle pas la langue courante du théâtre habituel et conventionnel. Il dit des phrases , les phrases-types que chaque bourgeois , dans n'importe quel pays , répète suivant sa prononciation . L'action de la pièce n'est pas individuelle et unique : le cas est applicable et nettement imputable à tous les bourgeois du monde entier.
Geo Charles : Et rien de plus banal que les propos d'un tel héros!
Ivan Goll : « L'expression » en est apparemment banale , mais avant tout elle est vraie. Et cette transposition du « vrai » me rappelle une autre formule , celle de « surréaliste »dans le sens où Apollinaire l'entendait..
Vous savez, n'est-ce pas, qu'il inventa le vocable « surréaliste » pour désigner précisément « Les Mamelles de Tirésias », que vous citiez un instant parmi les pièces du théâtre poétique.
Geo Charles: En effet , c'est d'ailleurs dans la revue « Surréalisme» que vous avez dirigée que Pierre Albert-Birot a fixé ce point d'histoire de la façon suivante : « … Quant au mot « surréalisme », nous l'avons, Apollinaire et moi, choisi et fixé ensemble . C'était au printemps 1917, nous rédigions le programme des « Mamelles », et, sous le titre, nous avions d'abord écrit « drame » et ensuite je lui ai dit : ne pourrions-nous pas ajouter quelque chose à ce mot, le qualifier, et il me dit en effet, mettons « surnaturaliste », et aussitôt je me suis élevé contre surnaturaliste qui ne convenait point au moins pour trois raisons, et naturellement, avant que j'eusse fini l'exposé de la première , Apollinaire était de mon avis et me disait : « Alors mettons surréaliste ». C'était trouvé. «... La lettre d'Apollinaire à Paul Dermée écrite également en 1917, et reproduite dans la même revue, confirme les souvenirs de Birot... » Et vous Goll, rangez-vous « Mathusalem » sous la même formule?
Ivan Goll: Mon Dieu , si une formule est nécessaire!
Geo Charles : nous appelons les pièces de ce théâtre - et « Mathusalem » - poétiques. Certaines de ces oeuvres, et particulièrement la vôtre, présentent un curieux mélange de poésie et de prosaïsme...
Ivan Goll : J'attendais cette objection. J'ai donné à chaque personnages la langue de son âme. Ainsi la jeune fille, Ida, sent et parle en vers, et je ne crains pas de lui prêter les images les plus lyriques, comme dans les pièces en alexandrins. Par contre le frère voué aux affaires modernes, n'emploie que le style haché des appareils Morse. Et ainsi de suite.... Mais le langage truculent et terra à Claire
terre-à-terre du père n'est pas moins poétique que celui de sa fille, s'il crée l'atmosphère élémentaire du personnage.
Geo Charles : Vous confirmez l'impression que me laisse la représentation de Bruxelles. Du lyrisme pur, cette réplique d'Ida :
« je ne connais plus d'autre jour que celui-ci
ou des narcisses remplacent l'herbe des gazons
le soleil et un chrysanthème que tu m'offres,
ton front pâle est une tour d'Ivoire
sur laquelle je monte pour voir le monde.
C'est toi qui bâtis les villes apocalyptiques,
les temples d'Asie et les docks d'Amérique,
les places portent toutes ton nom,
les horloges sonnent à chaque heure ton nom
et les navires en mer
ne sont partis que pour te voir. »
Ce poème pourrait très bien être tiré des « Poèmes d'Amour » que vous avez publiés avec Claire Goll
Claire Goll: Oh , je n’accepte que les poésies qui me sont adressées personnellement!
Ivan: Mais tout ce que j’écris , s’adresse à toi. Pour qui écrit-on, par qui veut-on être compris , sinon par l’être qu’on aime et dont on veut être admiré?
Claire: Tu me trompes!
Ivan: Avec toi-même!
Geo Charles: Je pense que vous allez faire dévier , publiquement , en « scènes de ménage » , vos beaux «Poèmes d'Amour » Au fait , si vous continuez , je pourrais dire que vos poèmes d’amour ne sont pas autre chose … finalement! !
Claire: Eh bien , vous donneriez une belle idée de notre poésie!
Ivan: Mais , Claire , après tout , je ne serais pas éloigné de croire que dans les poésies d’amour de tous les temps , les poètes ne sont occupés qu’à exprimer à leur amante des reproches , et sous forme de compliments , des sottises.
Geo Charles: Qu’en pensez-vous Claire?
Claire: Pour moi il n’existe qu’une sorte de poésie , celle de l’amour. Une femme ne doit chanter que l’amour. Ce n’est que par l’amour qu'elle participe de la vie du monde. Les seuls poètes que je relis toujours , que je comprends et que j’éprouve jusqu’au fond des moelles sont Marceline Desbordes-Valmore et Elisabeth Barrett-Browning.
Geo Charles: L’essence de leur poésie est la souffrance.
Claire: L’essence de l’amour est la souffrance.
Ivan: - Peut-être y a t - il là comme une accusation?
Claire: Non , c’est une déclaration d’amour. Géo Charles notez vite. Je prétends que c’est celui-là (qui me fait tant souffrir) qui m’a faite poète. Je lui dois d’avoir appris à exprimer en vers cette affection que toutes les autres femmes expriment en soupirs.
Geo Charles: Vous avez su prolonger à deux - en des oeuvres toujours lyriques et en des "Poèmes d’amour" que je relis avec une joie critique sans cesse accrue - votre amour de la Poésie. Votre double rêve a su se réaliser et se poursuivre en cette époque si bassement matérielle , si misérable , selon un rythme de beauté et d’idéal!
Ivan: Ce rêve nous sauve! Tout ce qui se passe en dehors de lui et de notre amour devrait nous laisser indifférents. Nous sentons confusément que les soucis du jour sont des soucis bien lamentables , mais aussi passagers. Les époques où l’humanité a faim , reviennent toujours. Cette fois , sa détresse provient de sa bêtise. Mais passons. Parlons d’amour qui est la seule raison d’être et qui est éternel. Thème peu actuel Thème qui le redeviendra au prochain printemps , soyez-en sûr! Sinon , dans cent ans. Et il vaut mieux avoir raison dans cent ans que l’année prochaine. La vérité se mesure par siècles."
Je laisse Claire et Ivan , assis en leur jolie terrasse d'Auteuil, dont j'aime tant caresser les feuilles. Lui, grappillait les raisins qui pendaient au vieux cep qui épouse la grâce de la balustrade, elle, appelait une demi-douzaine de pigeons blancs et leur donnait à manger dans sa main pâle.... Les deux silhouettes, les bêtes et les choses, se composaient en des attitudes qui me sont familières depuis longtemps... en cette petite terrasse du jardin automnal d'Auteuil qui m'apparaît toujours comme un carrefour rustique où la vie et la poésie viennent s'unir.
Geo Charles dans " le Journal des Poètes " 2ème année N° 2- Le 22 NOVEMBRE 1931
Georges Petit : Lucifer Vieillissant par Ivan Goll
" Dans tout ce qu'écrit Ivan Goll il y a toujours beaucoup de pessimisme et d'amertume. L'ironie de cet écrivain est à la fois grimaçante et corrosive et son désespoir est à peu près sans limites: ce dont, après tant d'autres livres, "Lucifer vieillissant "nous offre un témoignage où il y a d'ailleurs beaucoup de grâce, un charme de cauchemar dont la force s'impose à vous comme une réalité. "Lucifer vieillissant ": on entend bien par là qu'il s'agit de la fin du monde, — ou à peu près. Le monde va mal, c'est un fait, l'humanité est moribonde, et il n'y a qu'à jeter les yeux autour de soi pour se convaincre de cette vérité première que M. Ivan Goll a bien raison de proclamer comme il le fait: c'est-à-dire lyriquement avec des mots de feu, d'airain et d'or.
On a pu dire très justement, il y a quelques années, que tous les poètes écrivaient en prose. Mais à l'heure actuelle les poètes ont rendu la prose aux prosateurs, le roman aux romanciers. M. Goll est toutefois une exception et le dernier survivant: son "Lucifer vieillissant "n'est qu'un long poème somptueux et désolant, traversé de gémissements et surtout d'imprécations, amer et sans fausse pitié, le poème de la fin de l'humanité. Lucifer, — l'homme divinisé —, n'est plus qu'une risible épave qui se heurte aux murs d'une prison sans issue où la lumière et l'air ne pénètrent plus. Ce n'est pas un cri d'alarme que jette l'auteur: le pessimisme de M. Ivan Goll est trop absolu pour lui permettre d'entrevoir la possibilité d'une réhabilitation.
Ce livre vient, sans s'en douter, tout à fait à son heure. Il n'y a de vrai que l'actuel, pourrait-on dire en déformant un peu telle phrase célèbre du sage de Weimar. "Lucifer vieillissant "est un ouvrage terriblement lucide et véridique, le dernier coup d'oeil plein de désolation et d'épouvante que consent à jeter, comme un suprême regret, un poète sur un monde dont il entend ensuite se détourner à tout jamais .”
Cahiers du Sud 22 ème année - n° 167 - décembre 1934 (mensuel) Marseille
Jean Follain : Chansons Malaises par Ivan Goll
"Le dernier recueil d'Ivan Goll "Chansons Malaises" décèle chez ce poète un renouvellement. Directement après la guerre, Ivan Goll hanté par l'arabesque trouble et les cassures luisantes du nouveau monde moderne s'était adonné dans "Le Nouvel Orphée "à cette poésie à l'emporte-pièce, pleine de fraîcheurs incertaines et ressasseuse inquiète du Verbe
L'originalité de Goll consista pourtant parmi tant d'autres à ne rien camoufler du lyrique amour, à aborder avec tranquillité et à moduler souvent ses chansons sur le thème quelque peu décrié de la tendresse journalière de l'homme pour la femme et cela au moment même où les poètes s'armaient d'une grande pudeur visant "le sentiment ".
Dans les "Chansons Malaises "s'affirme un Ivan Goll conduit par une inspiration décantée. Ces courts poèmes sont écrits avec simplicité sur le ton tantôt didactique, tantôt interrogatif et exclamatif du barde. Chansons évocatrices de paysages patriarcaux où l'amour règne en doux maître sous les citronniers . Poésie d'allure incantatoire et qui m'apparaît appartenir à la nature la plus vraie de Goll.
On trouve dans ces vers les plus belles évocations des silences de l'amour au cours desquels l'on entend croître et dormir les plantes ; aussi les plus fines reconnaissances de chaque reflet de sa propre beauté par la femme aimée .
Soudain ta main savante
M'enseigna qui j'étais...
Le poète accorde au langage de l'amour la plus suave flore : anis , safran , néfliers , caféiers neigeux , orangers , vanilliers . En exemple voici un court poème de la plus belle somptuosité :
En passant sur la route des seigneurs
Tu ne regardais pas le safran pauvre
Mais ton manteau le caressa en secret
Emportant tout de même
Un peu de poussière dorée
De son amour
Les poèmes se poursuivent jusqu'à la perte de l'aimée :
O mon corps tout doré
N'est-il déjà plus nu ...
et l'appel de la mort :
Coupez les palmiers centenaires
Arrachez les lauriers de gloire
La simplicité de l'écriture, la netteté de la ligne n'empêchent point ces vers de baigner dans un halo de mystère tendre, marqué de leur qualité.
Le livre est imprimé en beau corps d'elzévir et fort bien mis en page.” J.F.
Cahiers du Sud 22 ème année - n° 172 - mai 1935
p.404 - 405 La Poésie par Jean Follain : Chansons Malaises par Ivan Goll
Pierre-Louis Flouquet : janvier 1947
Des rives de la Seine aux rives de l 'Hudson...
Claire et Ivan Goll en Poésie
J'ai eu la bonne fortune de passer quelques heures, en septembre, avec nos amis les poètes Claire et Ivan Goll, dans leur appartement minuscule de Columbia Heights, à Brooklyn .
Claire et Yvan, amoureux éternels, vivent en poésie avec la même foi et le même enthousiasme qu'au temps de leur existence lutécienne, lorsqu'ils accueillaient les meilleurs poètes de Paris dans leur vaste logis du quai Bourbon.
En l'an 40, Claire et Yvan purent gagner New York, où ils vécurent dans un milieu d'émigrés, nouant de nombreux liens avec leurs confrères américains, entretenant la ferveur française, fréquentant Marc Chagall leur ami fidèle, les peintres Dali, Kisling, Léger et Mondrian , les sculpteurs Zadkine et les Lipschitz, les écrivains André Spire, André Masson, Jules Romains, André Maurois, André Breton, et nos compatriotes Maeterlinck, Marnix Gysen, Robert Goffin, Anatole Bisque.
J'avais trouvé l'adresse des Goll chez Brentano's, le grand libraire de la cinquième Avenue. Un mot rapide était resté sans réponse, je les croyais retournés en Europe, lorsque à l'improviste me parvint, sur le papier jaune d'or des éditions « Hémisphères » , une invitation à dîner des Poètes, revenus la veille d'un séjour en Gaspésie.
A l'heure dite, à Brooklyn, qui parfois fait songer à Neuilly et parfois aux docks de Liverpool, dans Columbia Heights, artère paisible, comme s'abat d'un coup un mur haut et lourd, une porte massive en s'effaçant me rendit deux visages et deux voix, fidèlement gardés durant les années tragiques. Ceux qui se rappellent les tailles hautes, les visages minces, les regards un peu fiévreux parfois, mais subtils et profonds comme la pensée, de Claire et d'Yvan, les auraient comme moi retrouvés sans effort . Tout de suite ils me firent les honneurs de l'étonnant paysage déployé devant leurs fenêtres.
A droite, le plus ancien pont de New York, Brooklyn Bridge, sur l'East River, ouvrage massif dont les portiques sont des lyres d'acier : au centre, les docks avec les cargos, les steamers, les paquebots transatlantiques, et sur la rive de Manhattan les gratte-ciel tragiques de Wall Street ; à gauche, l'embouchure de l'Hudson, Long Island où les émigrants purgent la quarantaine, la baie immense où cent vaisseaux sont à l'ancre, l'île de la Liberté portant la statue géante de Bartholdi , don de Paris à la ville de New York . Au-delà enfin, sous un ciel étincelant, l'océan balayé par les vents.
" Nous avons connu, me dit Yvan, des alternatives d'abattement et d'exaltation, sans jamais perdre l'espoir.
Dès le début la vie intellectuelle française fut intense à New York. Maeterlinck et Romains fondèrent le journal « Voix de France » qui réunit la collaboration d'une élite française, européenne, américaine. Des éditeurs montrèrent une activité magnifique, tout spécialement la Maison de France, installée au Rockfeller Center.
De nombreux écrivains firent dans les Etats des tournées de conférences. Parmi nos confrères belges, Robert Goffin se manifesta sans compter. Il voyagea en avion à travers toute l'Amérique, parlant devant les publics les plus différents, publiant articles, poèmes et ouvrages de prose en français et en anglais. Il laissa le souvenir d'un camarade énergique et serviable.
D'un voyage à Cuba, île heureuse du beau poète Mariano Brull, je rapportais plusieurs poèmes, dont « Vénus Cubaine », et une prose enchantée « Corbeille de Cuba ».
En 1941, j'ai fondé la revue Hémisphères. Elle réunit une collaboration de qualité et fit connaître plusieurs poètes de valeur, comme Césaire et Duits. Hémisphères représentait, au-dessus de la Politique, une position intellectuelle intransigeante, celle de la Poésie Pure. Elle n'en publia pas moins de nombreux poèmes de circonstance, du genre de ceux qu'on devait nommer plus tard, en France, la Poésie de la Résistance. A ce propos, je vous signale que j'ai publié dans « La Nacion » et dans « The Saturday Review of Literature » , en 1940, ainsi qu'en 1941, dans « Poet's Messages », collection éditée à New York, les poèmes de « Chansons de France », dans lesquelles on retrouve le mètre court, le rythme populaire, le sens tragique des poèmes de « Jean sans Terre ».
Les numéros spéciaux d'Hémisphères connurent un vif succès.
L'un, consacré à la Découverte des Tropiques, comportait les collaborations d'André Breton, d'André Masson et du grand poète de couleur, Césaire. Un autre traitait de la Magie. Les recueils de poésie publiés par les éditions Hémisphères furent aussi bien accueillis.
En 1942, j'ai publié dans le journal « France Amérique » le poème « Grand cortège de la Résistance en l'an mil neuf cent misère ». Il fut repris, à Alger, par la revue « Fontaine » (numéro 34) que dirigeait, si brillamment, notre ami commun Max Pol Fouchet.
Plus tard, j'ai écrit une poésie en forme de Croix de Lorraine, qui fut imprimée en deux couleurs sur un magnifique papier de chiffon et distribué comme le message de Noël par le groupe « France for ever » , alors présidé par Houdry.
J'ai publié dans Hémisphères les premiers poèmes des Elégies d'Ihpetonga. Ce mot, d'origine indienne, à la fois sauvage et harmonieux, signifie les falaises, les hauteurs de Brooklyn, sur lesquelles se trouve notre logis.
La suite des Elégies d'Ihpetonga, qui bientôt paraîtra chez un éditeur parisien, surprendra peut-être ceux qui croyaient que j'avais trouvé, dans le vers octosyllabique de « Jean sans Terre », une forme tout à fait adaptée à mon inspiration. Ces Elégies, plus métaphysiques et plus cosmiques que mes oeuvres précédentes, sont écrites en vers plus libres, d'expression plus intense. Je pense qu'il s'agit d'un approfondissement, ou plutôt d'une libération.
Au cours de mon séjour en Gaspésie, région canadienne abrupte et sauvage, à la fois maritime et boisée, j'ai écrit Le Mythe de La Roche Percée, poème géologique aux rythmes variés, tournant autour de la vie et de la mort des pierres. Ce poème, d'une grande amplitude, m'a été inspiré par un rocher géant que perça à jour la morsure des flots. Il prédit après la longue patience et l'attente du monde minéral, apparemment inerte, sa résurrection par la brisure de l'atome..."
Ce qu'il écrira demain, Ivan Goll ne le sait, mais il n'a pas cessé, malgré l'exode, malgré l'horreur, malgré l'exil, t'écrire des poèmes d'Amour.
Maintenant j'interroge Claire, qui actuellement publie d'excellents articles de critique dans l'hebdomadaire « France Amérique ».
" Vous savez, dit Claire, que je suis plus romancière que poète. Plus que moi Yvan est tenté par le lyrisme. A toute inspiration, fût elle tragique, il mêle une onde délicieuse, semblable en cela à notre cher Chagall. Mon inspiration est plus dure.
En Amérique, j'ai publié des nouvelles sur Paris. Leurs titres ? « Le dîner de 500 francs » , « L'Homme au Camélia », « L'Inconnue de la Seine », d'autres encore. La collection « les Oeuvres Libres » les publia, parmi d'autres de Maurois, de Romains.
J'ai donné à Hémisphères une autre oeuvre de prose « La Blanchisserie Chinoise » (numéro deux et trois). Les Editions de la Maison Française lancèrent deux de mes romans : « Le Tombeau des Amants Inconnus » et « Education Barbare ».
Comme son compagnon, Claire Goll, bien qu'ayant aux Etats-Unis de nombreux amis et admirateurs, bien qu'ayant connu à New York le succès , n'a jamais oublié Paris, cité de la poésie et capitale de la douceur.
En souriant, elle dit comment elle conserva durant des ans, comme des objets très précieux, les emballages de produits de beauté et même de médicaments emportés en hâte de son logis de l'île Saint-Louis. Elle dit comment, chaque soir, durant tous les jours du long exil, elle voyagea en esprit dans Paris, grâce au plan de la ville aimée, fixé au-dessus de son lit. Elle dit que ce logement les retint, non seulement parce qu'il offre une vue propre à émerveiller et à exalter les artistes, mais surtout ce qu'il leur permettait de conserver leur pensée orientée vers l'Europe et la France, grâce aux navires nombreux tournant chaque jour leur proue vers le pays de leurs amours. Et parfois, ajoute-t-elle, comme une récompense, nous étions éveillés le matin par la Diane sonnant sur un vaisseau français, où la vision soudaine d'un pavillon tricolore...
Tandis que Claire parlait, l'ombre descendait lentement sur la baie immense. Dans le soir déjà brumeux le crépuscule semait des rougeurs d'incendie.
Yvan toussait doucement. Claire, un peu lasse d'avoir revécu en ce temps si court les craintes, les exaltation, les fatigues et les joies de tant d'années, tournait un visage étrangement nu vers la fenêtres.
Sous nos yeux la baie s'enténébrait par degrés. Comme en un ciel de féerie s'allumaient une à une les lumières innombrables de Manhattan. Un long paquebot, scintillant de tous ses hublots, fendait les eaux à l'endroit où l'Hudson mêle ses eaux au flots salés de l'Atlantique.
Pierre-Louis Flouquet Journal des Poètes 17ème année n° 1 - janvier 1947
Léon-Gabriel Gros : Le Témoin poétique (1949)
Le rayonnement de l’oeuvre d’Yvan Goll n’est pas ce qu’il devrait être. Certes elle a ses fervents mais qui se recrutent parmi les seuls connaisseurs. Ayant justifié, et au delà, les espoirs que l’on plaçait en elle sur la foi des premiers recueils, dans les années 20, elle n’a point connu la large diffusion que l’on était en droit de lui prédire à l’époque. S’agit-il d’un paradoxe ou d’une injustice? Des deux sans doute, et l’avenir s’en étonnera …Toute poésie qui nécessite une initiation parce qu’elle est elle-même une initiation est en raison même de sa qualité vouée à demeurer secrète …Qu'Yvan Goll soit un de ces poètes en marge c’est l’évidence même comme c’est le signe de sa grandeur. Si déplorable soit-elle l’auscultation provisoire de son oeuvre s’inscrit dans l’ordre des choses mais elle a aussi des raisons spécifiquement littéraires…son lyrisme oscille constamment entre les recherches d’avant-garde et le souci de la rigueur formelle; il joue avec autant de virtuosité sur le clavier de l’hermétisme que sur celui de la chanson populaire; il est tantôt hiéroglyphe, tantôt image d’Epinal …mais quoi! ce sont là des qualités si rares en notre génération qu’on les y tient pour suspectes, et qu’en fin de compte cette oeuvre se trouve en porte-à-faux entre les tendances contradictoires de l’époque . Il est difficile, je l’admets volontiers, de relier logiquement Le Nouvel Orphée de 1923 à L ' Elégie d’Ihpétonga qui vient de paraître et, à plus forte raison de concilier le ton des trois livres de Jean Sans Terre avec celui du Char Triomphal de l’Antimoine. Ce n’est pas en tout cas le lyrisme des Chansons Malaises, le seul de ses recueils disons de lecture courante, qui nous aidera à trouver la clef de l’entreprise de Goll, la raison une et profonde que l’on cherche fatalement à toute oeuvre de quelque ampleur. …
Mon seul propos était de rendre hommage à un poète trop négligé bien qu’il soit un des meilleurs de sa génération et celui qui a contribué à bien faire connaître à la mienne tous ceux qui de par le monde nous ont préparé les voies. Je me suis uniquement préoccupé de le situer dans une époque qui sans lui ne serait pas ce qu’elle est et dont il est dans tous domaines, dans celui surtout des recherches esthétiques, un des plus irrécusables témoins.
Cahiers du Sud 36 ème année, n°298 - 2ème semestre 1949.
(2 mars 1950)
Discours prononcé aux obsèques d’Yvan Goll par M . Jules Romains de l’Académie Française :
L’homme qu’était Yvan Goll , je ne l’ai vraiment connu qu’à New-York , où nous nous trouvions ensemble pendant la Guerre . Je connaissais depuis longtemps le poète , que j’avais en haute et singulière estime . Mais l’homme n’était encore pour moi qu’une silhouette , il me restant à découvrir.
Ses amis le savent : c’était un être d’une étonnante séduction . Sa voix , son regard , l’expression permanente de son visage , faisaient appel à ce qu’il y avait en vous de moins offensif , de moins sur le qui-vive , de plus volontiers confiant et abandonné . Je ne l'ai jamais entendu parler avec amertume de rien , ni de personne . D'abord il parlait peu. Pour mieux dire il ne prenait jamais la parole . Il attendait qu’un silence des autres vint la lui offrir .
Il était si naturellement modeste qu’on oubliait de s’en apercevoir . Quand je songe à tous ceux dont chaque phrase est un rappel de leurs mérites , où des injustices qu’on leur a faites , ou des hommages que tout de même ils ont recueillis , mais qui ne sont qu’un faible acompte de ceux que leur doit un avenir réparateur !
Yvan Goll ne plaignait pas . Ou plutôt une espèce de plainte sortait bien de l’être qu’il était , mais à son insu . S’il en avait eu conscience ; il s’en serait excusé comme d’une indiscrétion .
Dans ce New-York des années de guerre , il était comme un exilé , ainsi que d’autres , ainsi que nous . Mais l’exil ne semblait pas avoir de quoi le surprendre, ni de le décontenancer . Pour le poète de Jean Sans Terre , l’exil n’était pas un accident . C’était une sorte de vocation . L’on peut dire qu’il ne n'y perdait Pas . Il s’y retrouvait .
Aux événements du monde dont nous parlions ensemble, il vouait la même malédiction que nous . Il ne jouait nullement à leur égard l’indifférent ni le détaché . Mais il leur opposait malgré lui comme une grâce intemporelle .
Je 1’ai revu à Paris . Sa maladie ne lui laissait , je crois , aucune illusion .Il n’aurait pas fait aucune difficulté à vous déclarer :
"Oh ! ma mort n’est plus qu’une question de temps". Mais il l’eût dit avec un sourire si désarmé , si bienveillant , qu’on eût soudain pensé que la mort , pas plus que l’exil , n’avait sur lui le même effet de désarroi , le même pouvoir de morsure , que sur d'autres .
Pour le poète qu’a été Yvan Goll , je m'en voudrais de traiter de lui en si peu de mots, de paraître expédier un éloge cursif et de circonstance . Ce que je tiens à dire , en m’inspirant de la modération et de la pudeur qu’il montrait , c’est que peu de poètes de notre temps ont été moins superflus . Je n'ai jamais rien lu de lui qui ne me semblât nécessaire , justifié , dicté . Rien qui , du même coup ne fût intéressant et émouvant . Ce sont là deux épithètes qui peuvent paraître faibles aux amis de l’emphase . Je leur attache pour ma part beaucoup de prix , et ne les décerne , dans la vérité de mon cœur , qu’à un tout petit nombre . Bien des poèmes d’Yvan Goll ont de grandes chances d’être durables .
Une raison particulière qu’ils ont de durer est qu’Yvan Goll, sans l’avoir prémédité ni cherché , se trouve avoir exprimé tout à la fois , d’une manière indissoluble , lui-même et son époque , le tournant du vivant qu’il était , et le tournant de l’âge où il lui était imposé de vivre .
Certaines de ses strophes pourront devenir des épigraphes au-dessus des portes de fer de notre temps . Quel plus bel éloge à faire d’une poésie qui n’a eu d’autre ambition , d’autre soin , que d’être personnelle ?
Enfin que Claire me permette de lui affirmer avec quel sérieux , quelle profondeur , la perte d’Yvan Goll est ressentie par nous , et combien sa mémoire sera pour nous non affaire de mots , mais chose dense et vivante .
Et laissez-moi jeter sur sa tombe ces trois strophes qu’il écrivait il y a quinze ans :
Qu’il est difficile
D’être seul et grand :
Là-bas mille villes
Te rappellent : Jean
Vite il faut descendre
Plein de repentir
Dans la nuit de cendre
Aller se blottir
Là-bas ! Jean sans Terre !
Pas ici ! Là-bas
Sont les joies entières !
Là où tu n’es pas !
Jules Romains
2 mars 1950
Hugues Fouras : Les Géorgiques Parisiennes p.47
"Cri d’amour à la fois tendre et railleur, tantôt familier et tantôt plein de révérence, ici filial, là empreint de fierté, Les Géorgiques Parisiennes sont le message posthume du poète à la ville où il vécut si longtemps.
Comme s’ils avaient été écrits à des époques très différentes, ces textes sont de deux veines : la veine légèrement cubiste et la veine très sensiblement traditionnelle. D’un poème à l’autre, on passe de la poésie rapide à la poésie scandée, sans toutefois perdre l’équilibre, grâce, sans doute, au jaillissement continuel d’images neuves et justes ;
Voici l’armée tondue des champignons de Paris, les cris de Sioux des marchands de quatre-saisons, les chats pharaons régnant dans les horlogeries sans bouleverser le temps, la flûte d’airain de la Tour Eiffel, un lâcher de corbeaux qui s’échappe des cloches et la Seine avec ses vagues aux hanches souples.
Mes préférences vont, comme toujours, aux poèmes les plus achevés : ceux dont la forme est la plus rythmée et la plus musicale".
La Bouteille à la Mer 2ème trimestre 1951 -
Pierre-Louis Flouquet :
Le souvenir de Jean Sans Terre, Yvan Goll, Poète et Magicien
"Yvan Goll fut toujours pour moi une sorte de magicien. Non pour l’intérêt qu’il portait aux sciences occultes, mais parce qu’il était prodigieusement humain et que la magie véritable est d’accéder assez haut, dans la connaissance, pour tout pénétrer et tout comprendre sans cesser de s’émerveiller et d’aimer.…
Goll écrira :"les humiliations et les déchirements d’une population qui ne savait plus si sa vocation était d’être écartelée tous les quarts de siècle ou de devenir le trait d’union entre l’Allemagne et la France". Et plus tard :"L’Alsace était un corridor plein de courants d’air entre la douce France et la violente Allemagne ; qui de ma génération n’y a pas contracté une bronchite ?"
Après avoir participé au mouvement expressionniste allemand, il passera en Suisse pour ne pas porter les armes contre la France. Il s’associera à l’évangile pacifiste de Romain Rolland, publiera le beau "Requiem pour les morts de l’Europe" qui se termine par un hymne à la paix, et partagera les recherches occultistes du groupe "Eranos".
… En peu d’années Yvan Goll devait publier deux anthologies admirables “ Le Coeur de l’ennemi ” et
"Les Cinq Continents". La première, choix de poèmes de combattants pacifiques allemands, révélaient au lecteur français les angoisses, les révoltes, les désespoirs d’hommes qui avaient honte, criaient leur dégoût de la guerre, et sous le feu rêvaient de concorde et de paix. L’anthologie des poètes des cinq continents avait pour but de montrer, par un florilège de pages d’une haute valeur poétique, intellectuelle et morale, que le coeur ne connaît pas de frontière. … A mesure où s’évanouissaient les espoirs de paix grandissait le désenchantement du poète. L’homme des foules fraternelles se sentait envahi par le sentiment de la précarité des choses. Dans "Métro de la Mort", l’ouvrage de Goll que je publiais en 1934, aux "Cahiers du Journal des Poètes", on pouvait lire :
Ombre grêle et hâtive
Passager quotidien
Quitte la triste rive
Sur le fleuve du Rien
et dans l’un de ses ouvrages de prose, peignant la décadence de l’Europe, il avait trouvé un terme étrange, Eurocoque, pour désigner le virus de sa destruction.…
L’odyssée de "Jean sans terre" est symboliquement celle du poète qui ne se connaît pas de patrie héréditaire. Le premier ouvrage, "La Chanson de Jean sans terre", c’est la complainte terrestre de l’Eternel Errant. Il parut en 1936. Le "Deuxième livre de Jean sans terre" propose une course vers l’infini, une rose de cendres sur le front. Le "Troisième livre" est celui de la passion ultime du poète. Jean a le mal de terre, rencontre l’ange, emplit sa panse, pour lutter contre la maigre mort, brave la tempête puis se pare du nom de Jean de la mort, comme une couronne d’étoiles et de nuit.…
De lui jaillissent ces "Chansons de France" (Septembre 1940) dont on a pu dire qu’elles étaient par l’esprit et la forme même, les premiers poèmes de résistance, bien que publiés à l’étranger.… Sa poésie prend alors un sens toujours plus cosmique. Dans ses poèmes anglais sur l’atomisme, intitulés "Fruits de Saturne", il montre en tremblant que :"Chaque grain de poussière, si petit soit-il, est le centre d’un système planétaire aussi perfectionné que la mécanique qui gravite autour du soleil."… Mais "Jean sans Terre", blessé à mort, maudissant en poésie les nations ivres de leur méprisable puissance et de leur orgueil dérisoire, voit poindre une aube qui n’est plus d’ici. Dans la suite lyrique intitulée "Masques de Cendre" il saluera la promesse de destruction. Vers ce moment écrit Claire Goll :"sa lyre se fit plus forte et son imagination plus riche. A mesure que, semblable à une ombre, il chancelle vers la mort, renaît son amour de la langue allemande, qui a été sa seconde langue maternelle (…) Du subconscient de ce mourant montait cette évidence qu’il était le produit de deux civilisations qui l’avaient nourri, bien que son amour le plus grand allât à la France."
Qui fut Yvan Goll ? Jules Romains le dit dans son discours funèbre :"…Sans l’avoir prémédité, ni cherché, Goll se trouve avoir exprimé tout à la fois, d’une manière indissoluble, par une espèce d’harmonie préétablie, lui-même et son époque, le tourment du vivant qu’il était et le tourment de l’âge où il lui était imposé de vivre …"
…Les poèmes de "Herbe du Songe", encore inédits, sont d’une beauté pantelante et triste …
Le Journal des Poètes 22 ème année n° 3 - Mars 1952
Léon-Gabriel Gros :
Yvan Goll, L'Alchimiste fraternel
La parution chez Seghers dans la collection "Poètes d’aujourd’hui" d’une anthologie d’Yvan Goll permettra pour la première fois à un public tant soit peu élargi de découvrir et d’apprécier un poète dont la notoriété ce réduisait jusqu’à ce jour à des cercles assez restreint de connaisseurs. On peut dire que, littérairement parlant, la carrière d’Yvan Goll commence aujourd’hui, prés de six ans après sa mort.“ Tel qu’en lui-même enfin …” la critique le change, en définissant sa poésie et le rôle de premier plan qu’il joua ou plutôt qu’il ne joua pas dans le lyrisme contemporain, car le destin voulût qu’il fût presque toujours relégué dans les coulisses des mouvements d’avant-garde alors même qu’il avait autant et plus que personne contribué à leur lancement.
Par trois fois au moins en 1917, en 1924, en 1940 il manqua tenir la vedette mais chaque fois il se trouva dépassé par l’événement. Ce ne fut jamais, empressons-nous de le souligner, la faute de ses pairs, les meilleurs poètes de sa génération ayant toujours tenu Goll pour l’un des leurs, mais il est par contre certain que Goll fût victime d’un snobisme intellectuel assez répandu en quelques milieux d’édition, snobisme qui ne pouvait trouver aucun intérêt à Goll parce qu’il n’était qu’un poète, parce que ses démarches trop humaines étaient irréductibles à un système idéologique.…Ajoutez à cela que ce prince de l’image n’a jamais versé dans la gratuité. Ses poèmes n’étaient point de simples documents mais dans la plupart des cas des objets élaborés, formules d’exorcisme parfois à l’usage du poète lui-même, "mécaniques de satisfaction" pour quiconque se prêtait à leur incantation.…
Le paradoxe de ce poète qui souffrit personnellement plus qu’aucun autre de son déchirement entre deux cultures réside précisément dans le fait qu’il a transcendé en beauté et en lucidité non seulement ses propres douleurs mais l’apocalypse dont il fut le témoin. Perpétuel exilé, "voyageur traqué" comme on disait à l’époque, Goll qui a pu faire figure d’apatride était l’être le plus enraciné dans cette patrie intérieure de la Poésie qu’il ne faut pas confondre avec les régimes qui la régissent, écoles diverses novatrices ou académiques. Suspect à toutes les littératures établies, étranger aux diverses coteries, il a connu le sort de tous les pionniers et s’apparente par là à des hommes comme Reverdy, Cendrars, Jean de Bosschère qui pour la nouvelle génération évoquent des noms plus que des oeuvres. Comme si la jeune poésie avait commencé en 40 ou même en 24 ! Goll fut en somme un révolutionnaire d’avant la prise du pouvoir.
Yvan Goll, ce musicien gnomique, ce fraternel alchimiste dont on ne saura jamais très bien si les puissances du coeur l’emportèrent en lui sur celles de l’imagination, ou inversement, s’il fut ou non cérébral, comme on dit, plutôt qu’instinctif, Goll, le plus concerté et le plus spontané des poètes nous apparaît en effet tout cela au moment de la revanche posthume que lui offre la collection Seghers. C’est qu’aussi bien son oeuvre choisie est présentée ici avec un appareil critique tout à fait exceptionnel, d’autant plus exceptionnel qu’à l’exclusion de Jules Romains qui bénéficie lui-même de tout le recul souhaitable les essayistes qui s’emploient à mettre Goll en valeur n’appartiennent à aucun des clans ou des mouvements de la poésie actuelle. Raisonnée ou passionnée leur adhésion échappe ainsi à tout parti-pris doctrinal. C’est le cas pour Marcel Brion qui parle en lecteur non prévenu et dit du même coup l’essentiel sur le plaisir poétique, pour Francis -J. Carmody et Richard Exner, le premier traitant de l’oeuvre française, le deuxième de l’oeuvre allemande de Goll.
… Goll, cet alchimiste du verbe (et il prétendait par les mots attendre la "res", la chose en soi) Goll ce mystique de l’objet dont-il souhaitait qu’il le " dévorât " s’est trouvé en un sens captif de ces "Cercles magiques" qui lui inspirèrent un de ses derniers recueils …
Si les plus émouvants, les plus beaux peut-être de ses poèmes furent les derniers, écrits en allemand (L’herbe du Songe) à l’époque où il agonisait, terrassé par la plus étrange des maladies, la leucémie, je crois qu’un poème des "Cercles magiques", "Les portes" résume mieux que tout autre ce que fût sa quête passionnée :
J’ai passé devant tant de portes
Dans le couloir des peurs perdues et des rêves séquestrés
J’ai entendu derrière les portes des arbres qu’on torturait
Et des rivières qu’on essayait de dompter
J’ai passé devant la porte dorée de la connaissance
Devant des portes qui brûlaient et qui ne s’ouvraient pas
Devant des portes lasses de s’être trop fermées
D’autres comme des miroirs où ne passaient que les anges
Mais il est une porte simple, sans verrou, ni loquet
Tout au fond du couloir tout à l’opposé du cadran
La porte qui conduit hors de toi
Personne ne la pousse jamais
Je m’excuse de ne pas avoir mis l’accent sur la grandeur de Goll, j’ai simplement tenu à dire combien son oeuvre était arbitraire, fraternelle. De toute beauté, de trop de beauté peut-être. Mais Goll, à sa façon a lui aussi "trouvé la beauté amère".
Léon-Gabriel Gros
Cahiers du Sud - 43è année, n° 337 (octobre 1956) p.427 à 431- Le Témoin poétique .
Jean Rousselot : Les Nouvelles Littéraires 47 ème année, n° 2193 – 2 octobre 1969 : p.4, sur le premier tome des "Oeuvres" d'Ivan Goll.
La publication du premier tome des oeuvres d'Yvan Goll va remettre en lumière ce poète original et fécond dont le nom, dès 1912, se trouve associé à toutes les aventures de la poésie, de la littérature et de l'art nouveaux. Né à Saint-Dié en 1891, donc pendant l'annexion de l'Alsace Lorraine, et formé simultanément en français et en allemand, Goll sera toute sa vie divisé par cette double appartenance culturelle et il s'efforcera très honnêtement de l'assumer. C'est en allemand qu'il commence de s'exprimer en vers, mais c'est pour entonner un hymne à la fraternité des races, Le Canal de Panama, qu'on eut aimé trouver dans ce volume. En 1913, il participe, à Berlin, au mouvement expressionniste. La guerre venue, il passe en Suisse, y devient l'ami de Romain Rolland, de Pierre Jean Jouve, de Stéphan Zweig et publie, en français, ses Elégies internationales, sorte de réquisitoire lyrique contre la guerre.
Tour à tour futuriste, dadaïste, surréaliste, mais toujours à quelques encablures des chartes officielles, il va jusqu'à sa mort, en 1950, accumuler les livres de poèmes, les oeuvres scéniques, les romans, les traductions -- en français et en allemand -- de la plupart des poésie du monde, fonder des revues, toujours d'avant-garde, et mener des croisades, toujours pacifistes (il avait, dès 1917, dans son Requiem pour les morts de l'Europe, employé le premier, l'expression « citoyen du monde »), jamais à court d'invention, de lyrisme et de charité.
C'est aux Etats-Unis, où il se réfugie dès 1939, qu'il achèvera ce qui est sans doute son chef-d'oeuvre, le poème en quatre mille vers de Jean sans Terre.
Nous n'en sommes pas là puisque ce tome premier ne rassemble que les oeuvres composées entre 1915 et 1927, tant en allemand qu'en français.
Entre autres Le Nouvel Orphée :
Tu ne connais pas Orphée ?
il tourne l'orgue du ciel
il tourne la roue des planètes
il tourne la montre surtout coeur
On trouvera enfin dans ce volume les Poèmes d'amour écrits en collaboration, ou plutôt en duo avec Claire Goll et qui sont l'un des sommets de notre poésie amoureuse. La Chaplinade et Lucifer vieillissant où, comme dans tout ce qui est sorti de la plume de Goll, se manifestent le même goût du merveilleux moderne et la même alacrité langagière que chez Apollinaire, Cendrars, Albert Birot, Delteil. Avec, en plus, un attachement profond à la réalité quotidienne et une sorte de spontanéité franciscaine : «rossignol, tu me convertis en chantant la messe du matin » -- et à laquelle ce poète qui se voulut peut-être trop systématiquement de son temps, doit d'être devenu un grand poète de toujours.
Jean Rousselot
Les Nouvelles Littéraires 47 ème année, n° 2193 – 2 octobre 1969 : p.4, sur le premier tome des "Oeuvres" d'Ivan Goll.
Pascal Pia : Feuilletons littéraires( tome 2 ) 1965-1977 . 937 pages
Yvan Goll et Claire Goll p.588 à 594
Fayard - novembre 2000
reprise de son article paru dans.
La poésie malgré tout
Presque simultanément viennent de paraître chez le même éditeur un récit de Mme Claire Goll, Ballerine de la peur, et 2 volumes rassemblant une grande partie de l'oeuvre poétique d'Yvan Goll, mort à 59 ans, en mars 1950.
Les noms de Claire et d'Yvan Goll n'ont été longtemps familiers qu'aux amateurs de poésie et à la clientèle, toujours restreinte, des petites revues littéraires. Depuis dix ou douze ans, la présence de ces deux écrivains dans la collection Seghers de « Poètes d'aujourd'hui » a certainement affermi et étendu leur réputation, mais peut-être celle-ci demeure-t-elle moins grande en France que dans les pays de langue allemande, et même moins bien établie qu'elle ne l'est déjà aux Etats-Unis, où l'oeuvre d'Yvan Goll fait l'objet de travaux universitaires et d'éditions critiques.
Cette fortune peut surprendre. Elle n'a cependant rien d'inexplicable. Yvan et Claire Goll ont résidé aux Etats-Unis pendant la dernière guerre et jusqu'en 1947. Il y ont publié plusieurs ouvrages, et Yvan Goll y a dirigé une revue bilingue, Hémisphères, au sommaire de laquelle figurèrent à côté d'André Breton et de M. Aimé Césaire, qui devait un peu plus tard siéger au Palais-Bourbon comme député communiste de la Martinique, M. Roger Caillois, futur académicien, et M. St John Perse, ancien secrétaire général du Quai d'Orsay. Jean Paulhan lui-même, à la meilleure époque de la N. R. F., n'eut pas réussi un plus éclatant assortiment. On conçoit que cet éclat n'ait pas laissé les Américains indifférents, et qu'ayant eu la curiosité de s'informer du directeur d'Hémisphères, ils aient découvert et apprécié la poésie d'Yvan Goll.
Quant à l'intérêt que l'histoire littéraire attache à Yvan Goll et à Claire Goll dans tous les pays germaniques, il suffit, pour le comprendre, de se rappeler qu'ils avaient tous deux débuté comme poètes de langue allemande, lui en 1914, elle en 1917, et que, résidant en Suisse, ils avaient en pleine guerre exprimé des sentiments pacifistes que personne n'oserait leur reprocher aujourd'hui, mais qui les désignaient alors à la réprobation des « jusqu'aux boutistes » de chaque camp.
Quelques précisions biographiques ne seront pas superflues. Né d'un père alsacien et d'une mère messine, Yvan Goll avait passé son enfance en Lorraine annexée. Il avait étudié le droit et la philosophie à l'université de Strasbourg et dès 1913, collaboré aux revues allemandes d'avant-garde, qui prônaient l'expressionnisme. Un de ses premiers poèmes, publié à Berlin au printemps de 1914, exalte l'ouverture du canal de Panama en des termes qui rappelle le Panama de Blaise Cendrars et qui pourtant ne lui doivent rien : le Panama de Cendrars était encore inédit en 1914, si tant est qu'il fut déjà composé, -- ce qui est peu probable. On rencontre, dans Der Panama Kanal, quelques-unes des images d'exubérance tropicale qui parsèment le poème de Cendrars, est aussi les mêmes impressions de fièvre, les mêmes soupirs de lassitude, les mêmes cris d'enthousiasme, les mêmes odeurs de décomposition. Si la critique avait voulu pourvoir d'une généalogie littéraire le jeune poète allemand qu'était alors Yvan Goll, sans doute l'eut-elle apparenté à Walt Whitman à Verhaeren, à l'Apollinaire de Zone et de L'Emigrant de Landor Road. Mais la critique ignorait encore Yvan Goll, dont le Panama était d'ailleurs signé du pseudonyme d'Iwan Lassang. Elle ne s'est avisée de son existence qu'au cours de la première guerre mondiale, sans prendre garde en ce temps-là à la qualité de ses poèmes, se bornant à louer ou à condamner ce qu'elle appelait son humanité ou sa sensiblerie, sa lucidité ou son défaitisme. Goll s'était rangé aux côtés de Romain Rolland en faisant paraître en 1915 à Lausanne un petit recueil d'Elégies internationales, puis en donnant l'année suivante aux éditions de la revue demain, que dirigeait Henri Guilbeaux, un Requiem pour les morts de l'Europe. Il s'était trouvé en Suisse au moment de la déclaration de guerre et avait choisi d'y rester. Comme Romain Rolland, il dénonçait la sottise d'un épouvantable conflit dans les conséquences pèseront encore sur de nouvelles générations. Dans les élégies qu'il dédiait aux peuples belligérants, il disait en 1915 :
« Peuples des chansons militaires ! Rêveurs ! Européens !
« Pourquoi ses matins grelottants sous le clairon, ces campements dans la fraise des bois, les villes énervées du sang lointain, la cavalerie flottante par les brouillards, des routes hagardes traînant l'exode des veuves, des plaines inondées de feu, les enfants sentinelles, les nuits malades et chancelantes à la toux du canon, et puis la pitié des Croix-Rouges ? Pourquoi cherchiez-vous l'amertume et la douleur, le tambour claquant de ses os et la plainte des tombes dans les dunes ?
« Peuples héroïques, vous qui cherchez votre grande bataille,
« Vous avez perdu la plus grande, Européens :
« L'Europe ! »
Les événements se sont chargés de montrer ce que ces versets comportaient de prophétique. Mais dans les années 15, 1617, l'attitude d'Yvan Goll ne le faisait pas considérer comme un prophète. Qu'ils lui fussent hostiles ou favorables, les lecteurs qu'il comptait en Suisse et ceux, beaucoup plus rares, qu'il pouvait avoir en Allemagne et en France, où le contrôle postal et la censure s'opposaient à la diffusion de ce qui s'imprimait à l'étranger, ses lecteurs le regardaient surtout comme un militant d'extrême gauche, pénétrés qu'ils étaient de la conviction que certains sentiments d'humanité impliquent nécessairement certaines opinions politiques. Pour ma part, je ne crois pas qu'Yvan Goll se soit jamais converti à Marx, à Proudhon, à Bakounine ou à Lénine, mais je ne doute point qu'il ait toujours eu en horreur toutes les dictatures, quelle qu'en ait été l'origine, et toutes les tentatives d'hégémonie, quelque prétexte qu'on eut avancé pour les justifier.
Né Allemand en 1991, Goll n'eut pas d'effort d'accommodation à s'imposer pour être Français à partir de 1919. Il était bilingue depuis son enfance. Jusque vers 1930, il écrivit tantôt dans une langue et tantôt dans l'autre, et s'il en vint ensuite à ne composer qu'en français, c'est qu'il lui eut été impossible d'être encore édité dans une Allemagne où les Nazis faisaient la loi. Par bonheur, sa poésie n'a pas souffert d'être réduite aux mots d'une seule tribu. Goll s'exprimait avec autant d'aisance dans chacune de ses deux langues, comme le prouve la version allemande des textes qu'en 1923 il a rassemblés en français dans un des ses meilleurs ouvrages, Le NouvelOrphée. Sa poétique n'était déjà plus celle de ses pièces pacifistes. Des poèmes comme Paris brûle ou comme Astral, publié en allemand en 1920, puis en français trois ans plus tard, ne rappellent en rien Whitman ou Verhaeren, mais se rapprochent de L'Inflation sentimentale de Mac Orlan, du Voyage en autobus de Marcel sauvage et des Lampes à arc de M. Paul Morand, non seulement par leur modernisme et leur cosmopolitisme, mais aussi par leur écriture précipitée, télégraphique même, et la disparate de leurs images, lesquelles, au demeurant, reflètent beaucoup mieux que ne l'eut fait un texte discursif les ravages et les bouleversements causés dans le monde et dans les esprits de quatre années d'une guerre atroce :
Attention, Premier round !
L'Europe et le nègre Zeus se serrent la main
Caleçon tricolore
La poitrine humaine cintre un acier rose
Les appareils Morse ont tous la fièvre
Quatre poings façonnent l'honneur du monde
U.S.A. toutes les montres sont arrêtées
Les usines de munitions ont congé
Les paquebots stoppent en plein Atlantique
La statue de la Liberté sourit
alors une guerre éclate
des squelettes battent du tambour
le prix du sucre monte
enterrements gratuits
des héros laurés de bandages
entassés dans des wagons à bestiaux
portent leur coeur séché
entre deux feuilles de papier timbré
Le rapide Rome-Stockholm
est exclusivement composé de voitures-cercueils
A cet instant
devant une table de café
un GENIE découvre
l'amour des hommes.
Cette citation, extraite de Paris brûle, en ignorerait-on la provenance, il ne serait pas difficile de la dater exactement, d'y reconnaître le souvenir des fourgons où avaient dû se presser les hommes envoyés à l'abattoir, le rappel des fructueuses affaires conclues après l'armistice par d'habiles spéculateurs, et les échos du tumulte organisé autour de certains matches de boxe disputés à Madison Square.
Je ne puis m'arrêter ici à tout ce que contiennent les deux volume où viennent d'être réunis la plupart des poèmes d'Yvan Goll. Je le regrette, car il n'est aucun de ces poèmes qui, d'une manière ou d'une autre, ne témoigne de la sensibilité de leur auteur. Les vers que dès 1934 Goll consacra à un imaginaire Jean sans Terre toujours en mouvement, sont d'un visionnaire que la seconde guerre mondiale n'aura pas surpris. Les amateurs de chansons populaires, les collectionneurs d'épinaleries ne sauraient s'y tromper : Jean sans Terre, c'est Isaac Laquedem, le Juif errant de la complainte. C'est aussi Yvan Goll lui-même qui, Juif, Alsacien et pacifiste, pressentait qu'il lui faudrait cherchez bientôt refuge hors de notre continent. Je ne soutiendrais pas que cette perspective lui ait été agréable, mais je ne crois pas qu'il s'en soit affligé outre mesure. Il se savait égal à son destin, comme eut dit Apollinaire. Atteint de leucémie, il a voulu rentrer en France pour y mourir. Il commence d'y survivre.
Pascal Pia dans " Carrefour " mercredi 8 mars 1972, repris dans :
Pascal Pia : Feuilletons littéraires ( tome 2 ) 1965-1977 . 937 pages
Yvan Goll et Claire Goll p.588 à 594
Fayard - novembre 2000
Jacques Audiberti : Dimanche m'attend
sur Claire et Yvan pages 61 - 190 - 195 /196
p.61: Englouti depuis des millénaires surgissent sous les espèces de quelque livre de leur cru, des amis qui trépassèrent. Oh! Ils ne me reprochent rien. Devrais-je me reprocher de ne pas les avoir aimés ? Yvan Goll, à qui la peur octroyait de sombres ailes... Yvan Goll, quand il habitait l'île Saint-Louis, n'avait qu'à s'envoler par dessus la moitié de la Seine pour atterrir rue des Rosiers, se procurant, là, des nourritures juives qui me soulevaient le coeur à vomir, trop chargées en sacramentel...
p. 195 Le visage de Claire Goll, martyrisé par les années, brille de retours de beauté sous la chevelure chauffée au rouge. Elle me reproche de ne rien faire pour la mémoire d'Yvan Goll, son mari. Que pourrait-on faire ? Il était peureux, malheureux, un véritable arbre humain aimanté à convoquer sur lui les rafales policières et militaires de l'Allemagne dont la langue était aussi la sienne. Il écrivait de bons vers et sa femme de beaux romans. Claire Goll et Yvan Goll habitaient, un temps, l'île Saint-Louis. Un léger saut par-dessus la moitié de la Seine et l'on était rue des Rosiers, ou un homme au poil noir vendait trois citrons dont le jaune strident dialoguait avec son melon noir. Alors le quartier juif éclatait d'une inexpiable intensité dans sa propre ressemblance, les carpes dans le tonneau, les bouchers barbus sous un feutre noir, partout Rebecca perruquée, sur le ciment de la rue des enfants avec des oreilles de cerf, et de vieux hommes la face gonflée de gésiers d'oie, et des kabbalistes barbus au visage parfois classique, aquilin, à peine frotté de tartare, l'ivresse d'un printemps qui montait de cette Fête-Dieu à longueur de semaine et de journée, et Yvan, bizarre prénom russe à majuscule bretonne, ramenait quelques emplettes...
Alain Bosquet :
In memoriam Yvan Goll
Poète aux interstices
Plus seul qu'un verbe vêtu de corbeaux,
plus seul qu'un mot blessé,
plus seul qu'un vent perdu dans les érables,
je viens, je ne viens pas,
je passe et ne veux point passer.
Tout un langage doit mourir.
Et tant de voyageurs se sont repus
d'une presqu'île aveugle !
Une écorce proteste :
" Il rompt ce pain d'oiseaux,
il corrompt cette bible d'écume."
Quelqu'un - vous, tiges qui cachez les aubes,
vous cendres chevelues comme les jeux de la terreur -
osera-t-il raccommoder ce peu d'espace ?
Les sables me haïssent :
je leur apprends qu'ils deviendront la chair.
Et l'eau a peur de vivre :
je lui ai dit de se changer en sang
pour nourrir l'horizon,
pour conduire le fleuve
où le fleuve n'a pas le droit d'aller.
Je suis si seul,
je paie cher le voisinage du poème.
Je triche, en dépouillant mes compagnons :
la lumière bossue,
la cascade qui souffre d'insomnie.
Un peu d'azur myope ! Une poignée de bêtes rondes !
"L'homme est trop grand, l'homme corrige le tangage" :
ainsi je parle, ainsi je donne de fausses nouvelles
à la comète, au silice, au caillou.
Plus seul que le mensonge,
ô ma rosée que je nomme couleuvre !
Plus seul, dissous.
Mes meilleurs mots se couchent sous l'ortie,
mes plus vertes syllabes rêvent,
et c'est d'un très jeune silence,
et c'est de quelque attente douce,
et c'est d'une tristesse chaude et sans musique.
J'ai fait l'apprentissage
- si gras, si décharné, contradictoire et dur -
de mes limites.
Quelqu'un disait : "Buvez les poisons des étoiles" ;
quelqu'un d'autre : "Il est temps de changer de défi."
Plus tard, mon univers,
m'ayant quatre fois salué comme un ami,
s'est suicidé ;
puis mon ciel est rentré dans mon crâne :
sa conquête y a lieu tous les jours
à l'heure des algèbres
et des mers mortes.
Je recommence
mon seul périple :
celui d'une tiédeur,
en étranglant parfois la moindre image,
et parfois en jouant à pile ou face
Je ne sais quel faubourg de ma faible mémoire.
Je ne suis plus que ton intrus penseur,
ma chair !
Je ne suis plus que ton faux paysage,
ô ma conscience
qui n'a ni souffle ni poumon !
Et j'interdis à mes poèmes
de traduire les arbres :
est-ce pour que les arbres restent purs,
ou pour que les poèmes
ne se contentent pas de branches, de bourgeons ?
"Ton spectacle est cruel, il donne froid",
me disent quelques frères,
"tes fables ne respirent qu'en novembre,
et ton silence , bref comme un lézard,
congédie la colline
qui lui présente ses mouettes."
Or doute à doute, or dédain à dédain, or mal de coeur à mal de coeur
je bâtis mon palais sans façade ni mur.
Je suis chez moi parmi l'opprobre.
Ah ! l'hospitalité de n'être rien !
Ah ! le bonheur de s'offrir à l'oubli
comme on s'offre à des fleurs pour être leur pollens !
«Yvan Goll est certainement l’un des poètes les plus importants apparus vers les années 20. Mêlé à tous les mouvements poétiques d’alors (il publia en 1924 une revue Surréalisme, qui n’eut qu’un numéro mais groupait Reverdy, Albert-Birot, Crevel, Radiguet, Delteil …), son indépendance vis-à-vis de chacun d’eux lui valut sans doute de rencontrer moins d’audience que des poètes plus …politiques. Cette liberté mérite qu’on aille y voir de plus près: un poète de taille est là, dont la renommée ne devrait plus tarder. Le Tome 1 de ses Oeuvres complètes est paru chez Emile-Paul. Les poèmes suivants (Lackawanna Elegy ,Tout navigue à sa perte, Les Docks, Où ces bateaux emportent-ils tout notre silence, Le Fleuve plombé, Le dernier Fleuve, Le Fleuve compatissant, Glas des Bouées, La Fermeture des Flots p.79 à 86 ) ont été écrits en 1943 et 1944, alors que Goll, Alsacien, s’était exilé aux U.S.A. Ils ont été publiés pour la première fois en 1970, sous le titre Lackawanna Elegy, avec une traduction américaine. La première édition française de cette Elégie de Lackawanna paraîtra en fin d’année dans notre collection Poésie-Club, augmentée d’une suite d’inédits : L’Herbe du Songe. »
Le Pont de l'Epée n° 44-45 - 1970, La Bastide-d'Orniol, Goudargues (Gard)
Discours prononcé aux obsèques d’Yvan Goll par M . Jules Romains de l’Académie Française
( 2 mars 1950 )
L’homme qu’était Yvan Goll , je ne l’ai vraiment connu qu’à New-York , où nous nous trouvions ensemble pendant la Guerre . Je connaissais depuis longtemps le poète , que j’avais en haute et singulière estime . Mais l’homme n’était encore pour moi qu’une silhouette , il me restant à découvrir.
Ses amis le savent : c’était un être d’une étonnante séduction . Sa voix , son regard , l’expression permanente de son visage , faisaient appel à ce qu’il y avait en vous de moins offensif , de moins sur le qui-vive , de plus volontiers confiant et abandonné . Je ne l'ai jamais entendu parler avec amertume de rien , ni de personne . D'abord il parlait peu. Pour mieux dire il ne prenait jamais la parole . Il attendait qu’un silence des autres vint la lui offrir .
Il était si naturellement modeste qu’on oubliait de s’en apercevoir . Quand je songe à tous ceux dont chaque phrase est un rappel de leurs mérites , où des injustices qu’on leur a faites , ou des hommages que tout de même ils ont recueillis , mais qui ne sont qu’un faible acompte de ceux que leur doit un avenir réparateur !
Yvan Goll ne plaignait pas . Ou plutôt une espèce de plainte sortait bien de l’être qu’il était , mais à son insu . S’il en avait eu conscience ; il s’en serait excusé comme d’une indiscrétion .
Dans ce New-York des années de guerre , il était comme un exilé , ainsi que d’autres , ainsi que nous . Mais l’exil ne semblait pas avoir de quoi le surprendre, ni de le décontenancer .Pour le poète de Jean Sans Terre , l’exil n’était pas un accident . C’était une sorte de vocation .L’on peut dire qu’il ne n'y perdait Pas . Il s’y retrouvait .
Aux événements du monde dont nous parlions ensemble, il vouait la même malédiction que nous . Il ne jouait nullement à leur égard l’indifférent ni le détaché . Mais il leur opposait malgré lui comme une grâce intemporelle .
Je 1’ai revu à Paris . Sa maladie ne lui laissait , je crois , aucune illusion .Il n’aurait pas fait aucune difficulté à vous déclarer :
"Oh ! ma mort n’est plus qu’une question de temps". Mais il l’eût dit avec un sourire si désarmé , si bienveillant , qu’on eût soudain pensé que la mort , pas plus que l’exil , n’avait sur lui le même effet de désarroi , le même pouvoir de morsure , que sur d'autres .
Pour le poète qu’a été Yvan Goll , je m'en voudrais de traiter de lui en si peu de mots, de paraître expédier un éloge cursif et de circonstance . Ce que je tiens à dire , en m’inspirant de la modération et de la pudeur qu’il montrait , c’est que peu de poètes de notre temps ont été moins superflus . Je n'ai jamais rien lu de lui qui ne me semblât nécessaire , justifié , dicté . Rien qui , du même coup ne fût intéressant et émouvant . Ce sont là deux épithètes qui peuvent paraître faibles aux amis de l’emphase . Je leur attache pour ma part beaucoup de prix , et ne les décerne , dans la vérité de mon cœur , qu’à un tout petit nombre . Bien des poèmes d’Yvan Goll ont de grandes chances d’être durables .
Une raison particulière qu’ils ont de durer est qu’Yvan Goll, sans l’avoir prémédité ni cherché , se trouve avoir exprimé tout à la fois , d’une manière indissoluble , lui-même et son époque , le tournant du vivant qu’il était , et le tournant de l’âge où il lui était imposé de vivre .
Certaines de ses strophes pourront devenir des épigraphes au-dessus des portes de fer de notre temps . Quel plus bel éloge à faire d’une poésie qui n’a eu d’autre ambition , d’autre soin , que d’être personnelle ?
Enfin que Claire me permette de lui affirmer avec quel sérieux , quelle profondeur , la perte d’Yvan Goll est ressentie par nous , et combien sa mémoire sera pour nous non affaire de mots , mais chose dense et vivante .
Et laissez-moi jeter sur sa tombe ces trois strophes qu’il écrivait il y a quinze ans :
Les Cahiers idéalistes français Nouvelle série n°10 - mai 1924 ( p.46 à 49 )
Jean Cassou : Ivan Goll et La poésie des Cinq Continents
Ivan Goll s'est un jour présenté lui-même comme « un homme assis entre deux chaises : le klübsessel allemand et un fauteuil Louis XVI » . Et, il ajoutait: « chaque fois que je veux me reposer, je tombe entre les deux dans le vide et me casse soit une jambe, soit le coeur. Voilà ce que c'est d'être né en Alsace ».
Né en Alsace, Goll incarne assez heureusement tout ce qu'on range d'ordinaire sous les étiquettes: nouvel esprit européen et ironie sentimentale.
Les pièces d'Ivan Goll sont des pièces à masques. Ainsi jadis faisait-on des pièces à thèses. Le masque, Goll l'a remarqué, est implacable comme le destin. Il exige de l'acteur un jeu mécanique et se complète nécessairement d'un costume plus bariolé que la carte de l'Europe Centrale. Grâce au masque, Goll atteint ce surréalisme dont on a tant parlé pendant un moment.
Le masque oblige à des contrastes, à des juxtapositions brutales et supprime toute espèce de dialectique. Il est très difficile dans cet art d'affiche et tout en premiers plans que proclame Goll, de se créer une personnalité, alors qu'un art nuancé, aérien et composé, soumis aux hasards de la physionomie et aux moindres influences climatériques, astrologiques ou humaines, un art avec des différences de niveau et de relief produit des formes plus diverses et permet plus aisément à l'artiste de se différencier de son groupe. Néanmoins Ivan Goll a accompli ce tour de force d'éviter les formules toutes faites et l'académisme de notre temps: admirons qu'il sache nous divertir par une évidente puissance et une variété inattendue.
De ces pièces qu'Ivan Goll a réunies avec des poèmes dans son Nouvel Orphée, je retiens un poème épique en l'honneur de Charlie Chaplin, où ne manque aucun geste de ce héros, depuis le plus spontanément tendre jusqu'au plus automatiquement risible. Quant aux poèmes, ils exaltent un monde qui a négligé de s'assurer contre le bris des glaces et les révolutions futures / Paris brûle! Pourtant j'aime certaines notes touchantes:
Les autobus démarrent
Complets aux larmes
Et:
Chaque arbre est une mère penchée sur sa douleur
Mais l'homme que sait-il de la fleur
Du travail avec des scarabées bruns à la semence brune?
Il pèse le quintal de blé
L'hommeque sait-il de l'homme?
Ne pouvant toujours supporter son masque, haletant aussi à force de lancer à pleine poitrine des proclamations contradictoires comme des réclames, le nouvel Orphée se retrouve tout à coup dans une impulsion romantique aussi ardente que de grosses images cosmiques. C'est alors que la mélancolie juive de Goll s'en donne à coeur joie. « L'amour est à réinventer », chacun sait cela depuis Rimbaud. L'amour n'absorbera pas les nouveaux Orphées comme il semblait qu'il faisait des anciens poètes et des héros des romans psychologiques d'autrefois ; mais les épanchements lyriques à venir retentiront brusquement d'un appel sexuel ou d'une violente aspiration sentimentale vite étouffée par le jazz-band universel.…
Le plus nouveau des Orphées, pour le moment, est encore notre contemporain Goll.
C'est chez lui qu'il nous plaît de trouver ce sentimentalisme brusque et bref, ces poussées de sanglots inutiles, ces éclats et ces refoulements. Une louable fièvre tend les vers d'Ivan Goll, on y sent une soif de comique, un goût triste de l’excès et de l'outrance, et surtout une raideur, un malaise qui prouvent bien que la poésie est une langue étrangère et difficile et qui, même si elle chante le mécanique et cherche à s'adapter aux soucis de nos jours, n'aura jamais rien à faire avec l'utile et le social. Qu'elle s'applique à ce qu'il y a de spécifique dans notre vie moderne, à notre actualité, à ce moment transitoire de notre industrie et de nos efforts techniques, à cet exercice périodique et réglé de notre machinisme: elle se rebelle contre une telle contrainte et s'échappe toujours par quelque issue, étant elle-même, en son essence qui est la langue et le rythme, désintéressée, improductive, imprévue, diverse et d'apparence capricieuse. Ce qui fait qu'un poème est organique, diffère absolument des raisons de vivre d'un appareil scientifique. Sa forme contredit la matière, et de cette opposition naît cet humour funèbre et cet air de violence et de difficulté qui caractérisent certain lyrisme contemporain et en particulier la poésie d'Ivan Goll. Il y a là une intensité qui n'est pas sans charmes.
Si un tel poète assume les responsabilités d'une anthologie mondiale, pourquoi nous étonnerions-nous des intentions qu'il y marque ? Tout ce qui est machine, vitesse, cosmos, panthéisme est sien. Une préface ingénieuse et pittoresque, affirme hautement ce point de vue. Pour Goll, la poésie moderne des cinq continents se réclame de Whitman, et certes j'applaudis à cet hommage à ce grand Walt que nul d'aujourd'hui, reprenant un mot illustre, n'hésiterait à proclamer le Père. J'aurais bien aimé entendre Goll nommer Rimbaud, ou même Paul Verlaine;
; et pour éviter tout malentendu, je rappellerais volontiers certains aphorismes élémentaires de Jean Cocteau :
on a inventé le genre moderne, le poète moderne, l'esprit moderne. Dire « je suis moderne » n'a pas plus de sens que la fameuse farce : « nousautres, chevaliers du Moyen âge ». La confusion vient de ce que l'homme, véritable nègre, est ébloui par le progrès : téléphone, cinématographe, aéroplane. Il n'en revient pas. Il en parle comme M. Jourdain annonçe à tous qu'il s'exprime en prose.
C'est ce que le naïf appelle poésie moderne, confondant les mots et l'esprit. Il donne la première place au décor.
Ce qui entre chaque jour dans notre décor ne doit être repoussée ni porté au premier plan. Le poète doit s'en servir au même titre que du reste.
Ne nous y trompons point : que Whitman ait élargi la rhétorique poétique, qu'il ait au trésor des thèmes conventionnels ajouté des thèmes conventionnels, c'est là un bienfait que nous ne devons imputer qu'à sa race et au moment de l'histoire où il eut le bonheur de surgir. Mais un tel apport ne suffirait pas à le consacrer dans notre mémoire. Que la poésie, depuis le temps où Vigny, au coeur de son chef-d'oeuvre et dans la plus singulière des digressions, déplorait la naissance des chemins de fer, ait adopté des objets nouveaux et conquis des terres vierges, ceci est une loi guère plus émouvante que telle autre loi de l'évolution humaine. Tout ceci, qui relève de ce que les mauvais orateurs appellent progrès, doit nous laisser profondément indifférents, et je ne puis admettre que le premier artilleur ait pu éprouver un sentiment quelconque d'orgueil et d'exaltation à la pensée qu'il succédait au dernier arquebusier. Et puis, à présent qu'aucun des cinq continents n'échappe à l'inquiétude du rythme et de la métaphore et que tout a été chanté sur le mode épique, magique et religieux, depuis la vigne et le rôti de bouc des lyrismes primitifs jusqu'à l'hélice, la bielle et la pile, que reste-t-il au poète, sinon le désir de rentrer en lui, seul continent où il puisse encore « trouver du nouveau »? Qu'il vive sa vie personnelle et pathétique, et que de chaque accident de cette vie il dégage l'élément unique, dans le vocabulaire inventé à son usage, avec des mots de lui connus comme les mots qu'emploient les mystiques pour désigner des choses qu'ils connaissent bien, eux, tout seuls, transfigurant ainsi et élevant au plan poétique, sinon miraculeux, une vie humaine : voir Rimbaud, voir Verlaine, voir aussi tout ce qu'il y a d'éternel dans l'éternel Whitman. Mais cette transfiguration sépara de l'homme, comme un roi barbare arrachant un enfant à sa mère, l'oeuvre : car les trépidations télégraphiques, pas plus que les exclamations du romantisme, n'ont jamais constitué ce qu'on appelle un style. Il est étrange qu'à l'époque où triomphait une peinture à tendances constructives et soucieuse de produire de beaux objets distincts s'ajoutant aux éléments dont se compose le monde, on ait vu la poésie se perdre si souvent en subjectivimes féminins et puérils, héritiers, au fond, des pires déliquescences romantiques.
J'applique ces quelques superstitions à la lecture de l'Anthologie d'Ivan Goll. Je lis Carl Sandburg,Apollinaire, Valéry, Antonio Machado, Soffici, Werfel, Alexandre Blok. A travers mille périls et mille contradictions, je m'assure que la poésie est de toutes les déesses la plus inconstante et la plus absurde, et je bénis les mains diverses qui osent encore soulever son voile .
Jean Cassou.
Les Cahiers idéalistes français Nouvelle série n°10 - mai 1924 ( p.46 à 49 )
La publication du premier tome des oeuvres d'Yvan Goll va remettre en lumière ce poète original et fécond dont le nom, dès 1912, se trouve associé à toutes les aventures de la poésie, de la littérature et de l'art nouveaux. Né à Saint-Dié en 1891, donc pendant l'annexion de l'Alsace Lorraine, et formé simultanément en français et en allemand, Goll sera toute sa vie divisé par cette double appartenance culturelle et il s'efforcera très honnêtement de l'assumer. C'est en allemand qu'il commence de s'exprimer en vers, mais c'est pour entonner un hymne à la fraternité des races, Le Canal de Panama, qu'on eut aimé trouver dans ce volume. En 1913, il participe, à Berlin, au mouvement expressionniste. La guerre venue, il passe en Suisse, y devient l'ami de Romain Rolland, de Pierre Jean Jouve, de Stéphan Zweig et publie, en français, ses Elégies internationales, sorte de réquisitoire lyrique contre la guerre.
Tour à tour futuriste, dadaïste, surréaliste, mais toujours à quelques encablures des chartes officielles, il va jusqu'à sa mort, en 1950, accumuler les livres de poèmes, les oeuvres scéniques, les romans, les traductions -- en français et en allemand -- de la plupart des poésie du monde, fonder des revues, toujours d'avant-garde, et mener des croisades, toujours pacifistes (il avait, dès 1917, dans son Requiem pour les morts de l'Europe, employé le premier, l'expression « citoyen du monde »), jamais à court d'invention, de lyrisme et de charité.C'est aux Etats-Unis, où il se réfugie dès 1939, qu'il achèvera ce qui est sans doute son chef-d'oeuvre, le poème en quatre mille vers de Jean sans Terre.
Nous n'en sommes pas là puisque ce tome premier ne rassemble que les oeuvres composées entre 1915 et 1927, tant en allemand qu'en français.
Entre autres Le Nouvel Orphée :
Tu ne connais pas Orphée ?
il tourne l'orgue du ciel
il tourne la roue des planètes
il tourne la montre surtout coeur
On trouvera enfin dans ce volume les Poèmes d'amour écrits en collaboration, ou plutôt en duo avec Claire Goll et qui sont l'un des sommets de notre poésie amoureuse. La Chaplinade et Lucifer vieillissant où, comme dans tout ce qui est sorti de la plume de Goll, se manifestent le même goût du merveilleux moderne et la même alacrité langagière que chez Apollinaire, Cendrars, Albert Birot, Delteil. Avec, en plus, un attachement profond à la réalité quotidienne et une sorte de spontanéité franciscaine : «rossignol, tu me convertis en chantant la messe du matin » -- et à laquelle ce poète qui se voulut peut-être trop systématiquement de son temps, doit d'être devenu un grand poète de toujours.
Jean Rousselot
Les Nouvelles Littéraires 47 ème année, n° 2193 – 2 octobre 1969 : p.4, sur le premier tome des "Oeuvres" d'Ivan Goll.
Si l'histoire politique demande parfois le recul d'un demi siècle pour se dégager et prendre les apparences de la vérité, l'histoire littéraire, qui reflète des passions aussi ardentes et enregistre des bouleversements spirituels aussi profonds, demande les apaisements séculaires pour fixer les figures et situer les oeuvres. Mais, de même que l'histoire politique se constitue au jour le jour par l'accumulation des faits et l'élan continu des forces nouvelles, de même l'histoire littéraire s'inscrit au fil des ans selon le rythme des créations intellectuelles, chaque auteur apportant à l'édifice de la petite pierre de son talent, parfois l'airain de son génie. Il arrive, dans l'une et l'autre histoire, que des révolutions ébranlent l'édifice tout entier, que certaines personnalités s'inscrivent en lettres capitales et éclaboussent, des poussières qu'elles déplacent, un siècle de patiente harmonie et de laborieuses acquisitions.Notre début de siècle aura connu des bouleversements de tous ordres et dans tous les domaines mais si,conduits sans conviction et mal soutenus des élites,les bouleversements politiques s'amenuisent et s'orientent vers une stabilisation franchement régressive,les révolutions littéraires,après avoir consolidé d'immenses et fructueuses acquisitions,s'installent en conquérantes dans les domaines de l'esprit.
On pourra dire que le XX ème siècle aura consacré la mort des vieilles écoles et qu'une nouvelle poésie - la seule vraie poésie pour certains -,est née avec lui. Le cubisme,Dada,le surréalisme - le vrai et l'autre -,figureront,dans le débat,l'extrême gauche réalisatrice et,parmi ces cohortes à gilet rouge et "stylo entre les dents ",Ivan Goll m'apparaît déjà comme un chef résolu,fier d'une doctrine qu'il a enfantée,nourrie de son talent et de son coeur. L'avenir fera la part de son activité et de son oeuvre,il m'a semblé bon d'en fixer dès maintenant le témoignage.
Il est incontestable que nous vivons actuellement quelques heures capitales de l'histoire humaine,les vieilles hiérarchies s'écroulent,prennent peur,tentent d'endiguer le flot nouveau.
La grosse erreur de notre époque fut de donner à la bourgeoisie cette prédominance bestiale,expression d'un désir immodéré de jouissances et de réalités matérielles. N'en incriminons pas forcément l'argent,mais bien cet état d'esprit qui donne au ventre la maîtrise et laisse à la pourriture les valeurs spirituelles. C'est sur ce fumier qu'a fleuri la digitale Dada. Les dadaïstes étaient intelligents trop,sans doute,puisqu'ils poussèrent leur système à l'absurde ; ils étaient des bourgeois au sens vulgaire du mot ; mais,révolutionnaires d'instinct,ils rêvaient le renversement total des idées reçues et la table rase des acquisitions antérieures. Partis d'un point de vue défendable ils se contentèrent de renverser sans construire,car l'illogisme était leur acte de foi,la confusion,la caractéristique essentielle de leur mouvement. Fiers de se contredire toujours,ils réunirent à démontrer qu'ils n'étaient rien et ne pouvaient rien être.
Le mouvement Dada ne fut qu'une convulsion,une mode fugitive,une attitude pour milieux snobs.
Comme nombre des jeunes gens d'alors,Ivan Goll n'ayant rien de commun avec certains hommes dont le poil est gris aujourd'hui,a participé au mouvement Dada en tant que manifestation révolutionnaire humaine. Comme les dadaïstes,il a toujours été du côté de ceux qui voulurent jeter bas les vieilles ruines qui encombrent l'Europe et bouchent notre horizon. En cela,il se rapproche plus,à mon sens,du cubisme extrêmement réalisateur et constructif d'un Cocteau. Mais après,quelques,tournois sonores,à l'âge où tout paraît possible,il s'est aperçu que les pierres moisies risquent de tomber sur la tête(Cocteau n'a-t-il pas ruiné ses forces à essayer de soulever les mondes ? ) et il a pensé qu'il valait mieux laisser les musées à leur place et construire sa petite ville à côté. Il ne manque pas d'espaces incultes et de vallons fleuris sur cette terre. En sorte que les traces de Dada qu'il nous est possible de trouver dans les premiers vers d'Ivan Goll ne sont sans doute que des manifestations d'un esprit affranchi et non fonction d'une doctrine. Je dirai tout à l'heure ce qu'est le surréalisme d'Ivan Goll. Ses poèmes d'aujourd'hui différents pourtant des poèmes de jadis - sont tout aussi libres qu'eux et son surréalisme(car c'est la véritable doctrine à laquelle il se rattache) était en substance aussi bien en 1920,en 1924 qu'en 1929 dans son oeuvre. La théorie érigée dans le premier numéro de son éphémère revue (numéro premier et unique) n'était qu'une simple déclaration,une définitive mise en règle de ce que lui avait appris 1'exercice de son art.
Mais,direz-vous,le surréalisme d'Ivan Goll n'est donc pas le surréalisme orthodoxe et dictatorial qu'on nous prêche aujourd'hui sous les plafonds du " Radio " ?Si je veux examiner la question d'une certaine hauteur - et mettant à profit le recul de quelques années - je résumerai ainsi la différence entre les deux Surréalismes :
Toute poésie a besoin d'ailes,pour arriver à imiter les oiseaux qui nous sont supérieur,par la volonté de Dieu. Les surréalistes,groupés autour de Breton,empruntent leurs ailes au rêve,à l'inconscient,au fonctionnement obscur et étrange du cerveau. Le surréalisme de Breton,pour lequel Freud est la Muse nouvelle,relève plutôt de la psychiatrie. Le surréalisme d'Ivan Goll,directement issu de Rimbaud,Laforgue et Apollinaire,puise son extase et son haut,au coeur,au sentiment,à l'ivresse obscure de l'amour de toutes choses. Pour l'un comme pour l'autre,l'art " échappe à toute préméditation ". " C'est un événement de la Nature. Naissance spontanée " (Delteil). Et puisque Dieu,ou la force animatrice et créatrice des Mondes,est le point de départ des deux doctrines,on peut dire que,manifestement divergentes,il existe sûrement un point où les théories se rencontrent.
Yvan Goll avait déjà publié quelques oeuvres importantes quand il fonda la revue " Surréalisme " dont le premier numéro, paru le premier octobre 1924, n'eut pas de suite, 16 pages, sous couverture illustrée par Robert Delaunay. Au sommaire : Guillaume Apollinaire, Marcel Arland, Pierre Albert-Birot, René Crevel, Joseph Delteil, Robert Delaunay, Paul Dermée, Jean Painlevé, Pierre Reverdy. La couverture annonçait la fondation d'un " Théâtre surréaliste " avec programme monstre, metteurs en scène russes, autrichiens, italiens et un français : Gaston Baty. Mais, pour vivre et durer, Revue et Théâtre cherchèrentun Mécène. Personne n'ayant ouvert sa bourse, Revue et Théâtre moururent aussitôt que conçus. Qu'importe, le sillon était tracé, la moisson devait mûrir, malgré tout.
"La réalité,écrivait Ivan Goll dans son manifeste,est la base de tout grand art. Sans elle,pas de vie,pas de substance. La réalité,c'est le sol sous nos pieds et le ciel sur notre tête. Tout ce que l'artiste crée a son point de départ dans la nature... Cette transposition de la réalité dans un plan supérieur(artistique) constitue le Surréalisme. Le surréalisme est une conception qu'anima Guillaume Apollinaire,qui avec le matériel élémentaire des phrases et des mots de la rue faisait des poèmes... Seulement,avec ce Matériel élémentaire,il forma des images poétiques. L'image est aujourd'hui le critère de la bonne poésie. La rapidité d'association entre la première impression et la dernière expression fait la qualité de l'image... L'image est devenue l'attribut le plus apprécié de la poésie moderne... L'art est une émanation de la vie et de l'organisme de l'homme. Le surréalisme est un vaste mouvement de l'époque. Il signifie la santé... retrouve la nature,l'émotion première de l'homme,et va,avec un matériel artistique complètement neuf,vers une construction,vers une volonté. "
Le surréalisme,enfin " sera international,il absorbera tous les ismes qui partagent l'Europe,et recueillera les éléments vitaux de chacun ".
C'est sur le plan international que se détache avec le plus de netteté la personnalité littéraire d'Ivan Goll. Esprit cosmopolite,humanitaire,pacifiste,il chante la fraternité des races et l'abolition des frontières. Sa première grande oeuvre naturellement méconnue,"Les Cinq Continents "anthologie mondiale de la Poésie contemporaine(La Renaissance du Livre,1922) est un essai de collaboration simultanée de toutes les races intéressant tous les individus. Ce n'est sans doute pas une anthologie complète,mais c'est le livre idéal de l'Européen de 1923 que pouvait se représenter l'auteur,achetant ce livre dans une gare quelconque. Livre subjectif,unilatéral,partial et certainement systématique,mais si plein de vie,si mugissant des cris de la terre,qu'il aurait mérité le grand succès et une place de choix dans le coeur des poètes.
" Une mappemonde sur une table de travail est le plus beau jouet et le délassement le plus doux que l'on puisse trouver. L'homme oublie sa tristesse quotidienne en parcourant d'un doigt rêveur le Globe qui contient tout. Navigateur de l'infini,pendant cinq minutes,il va se reposer dans un paysage lointain... Pour découvrir dans des pays inconnus les véritables valeurs,c'est aux poètes,qui sont des prophètes,qu'il convient de s'adresser en premier lieu ". Et,durant trois années,aidé par une cinquantaine de traducteurs de toutes langues,Ivan Goll a lié cette gerbe de jeunesse et de vérité. Voici les Américains(Carl Sandburg,Edgar Lee Mastera,Vachel Lindsay,Amy Lowell,James Oppenheim,etc...) Les Anglais(Richard Aldington,F.-S. Flint,T.-S. Eliot et John Rodker) les Irlandais(James Stephens,Padraic Colum). Les Français - et cela donne aux lecteurs l'idée générale et la tendance de l'ouvrage - sont représentés par Guillaume Apollinaire,Blaise Cendrars,Jules Romains,Max Jacob,André Salmon,Jean Cocteau,Ivan Goll,Pierre-Albert Birot,Philippe Soupault,Nicolas Beauduin. Je suis assez surpris de voir Paul Valéry compléter cette liste.... Nicolas Beauduin y figure sans doute comme résurrecteur du vieux paroxysme... mais alors,pourquoi refuser à Paul Dermée et à Verhaeren un fauteuil en la section belge,où je ne vois figurer que Franz Hellens,Paul Neuhuys et Wies Moens ?L'Italie futuriste et cubiste avec Marinetti en tête,l'Espagne (Ramon Gomez de la Serna,Juan Ramon Jimenez,Antonio Machado,etc...) et la Catalogne,séparatiste(Engeni d'Ors,Alfons Maseras,Salvat Papasseit) complètent,avec quelques Mexicains,Nicaraguens,Péruviens,Chiliens,Argentins,Portugais,Grecs et Roumains,cet important groupe Latin qui me semble avoir la tâche la plus dure pour secouer les rudes remparts du moyen âge et brûler les vieilles grammaires. Le groupe germanique(allemands,autrichiens,hollandais,suisses,suédois,norvégiens,danois et finlandais :23 poètes a toutes les tendresses d'Ivan Goll,mais si le groupe slave(21 poètes) m'effraie un peu par ses cris sauvages et ses visions incandescentes,j'aime à relire les tendres,douloureux,purs et naïfs poèmes des Vieux Peuples orientaux. Les japonais (l'Empereur Moutsou-Hito,Nico D. Horigoutchi,Rofu Miki,Shira Tori,etc...) les Chinois,sont de merveilleux,d'incomparables inspirés. Leurs oeuvres sont des violettes toutes simples cueillies le long de la grand-route humaine,mais si parfumées,si tendres de rosée,que l'âme en est toute bouleversée. Et voici les Hindous représentés par Rabindranath Tagore,les Juifs - avec inévitable pogrome -,les Turcs,les Arméniens,les Indiens,enfin les Nègres,instincts à leur première aurore,poésie directe,intense,vraie... Je connais nombre de Poètes modernes. Dix à peine ont eu en mains "les Cinq Continents",trois possèdent l'ouvrage et l'ont lu.. Navrant.
Entrons désormais dans les champs poétiques d'Ivan Goll. Quelques poèmes dès 1912,à vingt ans. Je m'en tiendrai à "Le Nouvel Orphée",édition collective publiée par "La Sirène" en 1923. Poésie âpre,faite d'un papillotement d'images projetées du cœur-miroir par réflexion,avec des contours de pointe-sèche et la matière du métal. Lampes à arc et feuilles de température,j'écris ces mots avec intention. Ces Poèmes sont des jeux kaléidoscopiques,films primitifs et éphémères,dont les vertèbres ne sont qu'instants et rayons,mais dont le corps émerge d'ensemble,en silhouette crue et dans l'atmosphère. La beauté de ces morceaux et leur pouvoir évocateur,naissent du choc incessant des images,dans un désordre d'apparence,car rien n'est désordre en la vie et la poésie d'Ivan Goll,c'est la vie même.
Voici quelques images détachées de "Paris brûle"
Les blancs corbeaux des quotidiens
se battent autour des appâts de la nuit
Le monde juge en trois lignes
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Ses paupières sont des feuilles d'automne
qui ont peur de tomber dans l'herbe
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L'aiguille en platine de la Tour Eiffel
crève l'abcès des nuages...
…Et j'ai peur
que mon coeur
qui n'a pas de cran d'arrêt
comme un revolver
ne parte tout seul
Le plus insignifiant détail,le plus banal,la notation la plus imprévue,l'incidence la plus saugrenue,sont venus naturellement s'inscrire sur la toile où le pinceau du poète étale la pâte coloriée,puisée à même la réalité et découpée dans son ciel de tous les jours. Les sentiments humains nous apparaissent sans métaphysique et sans subtilités,sans logique ni esthétique,sans effets de grammaire ni jeux de mots. Ce ne sont que des objets participant de la sensibilité universelle,aussi nets de contours,aussi vrais,aussi schématisés que l'ovale d'un visage ou le cube monstrueux d'un gratte-ciel. Un peu d'exagération,parfois,mais exagérer n'est pas mentir...
Je me vends moi-même je vends Dieu je vends
le monde entier
Tout ce que nous faisons est péché
Ne pas agir est l'unique salut...
Poésie externe,en somme,pour l'oeil et pour les sens,mâle et dure,poésie qui touche et fustige,ébranle plus qu'elle n'émeut. Et par-dessus tout poésie pessimiste,désespérée,impliquant au renoncement,qui fait toucher du coeur,les immortelles misères de la création,les égoïsmes glacés d'une société sans amour et l'immense océan de la bêtise humaine.
Le poète enregistre comme un thermomètre
la fièvre du monde....
....Le poème est de l'angoisse anesthésiée
La douleur est meilleure que I'amour....
Ivan Goll démasque et écorche (lisez Mathusalem ou l'Eternel Bourgeois) fouaille et raille,plonge son,scalpel dans les pourritures et met l'homme à nu sous un ciel sans mensonges. Mais si le monde gagne insensiblement son excuse de vivre,si l'humanité,sauvée du suicide,marche enfin vers l'or des horizons purs,le poète,méconnu toujours et toujours martyr.( "La Chaplinade","Le Nouvel Orphée") reste par essence l'éternel paria,le fou zigzaguant du grand jeu d'échec de la vie.
La terre tourne :cinquième roue de l'automobile divine
L'ange a beau se suicider
La bêtise reste immortelle
Recueillons-nousrecueillons-nous... ?
Le trèfle est sage qui ouvre et replie ses feuilles
Le trèfle est solitaire
Et simple
Soyons donc solitaires
Et simples...
Le Poète,dans cette réalité souveraine et totale,n'est peut - être que le grain de folie des mondes,le feu follet insaisissable et éphémère que la gifle du réel fait mourir à l'aurore quitte à renaître au soir par le caprice des nuits,le point de ralliement des idéals et le symbole des espoirs,le poète est peut-être Dieu!"
1923 -1925 : Ivan Goll a rencontré l'élue. Son nom n'apparaît plus seul au frontispice des recueils que Jean Budry, l'éditeur des sept manifestes Dada et des oeuvres de Pierre Albert Birot, présente au public. Ivan a rencontré Claire, les deux poètes formeront désormais une même âme tout, ellipse parfaite dont les deux coeurs sensibles sont les brûlants foyers. Il me sera bien difficile de distinguer les deux sensibilités, mais cette distinction est-elle bien nécessaire ? Je considère Claire et Ivan comme l'envers et l'avers du même astre, comme les faces confondues d'une sphère dorée où se joue la lumière et pleure la rosée :
Voici dix ans que tu m'aimes,
Que sur ma montre-bracelet
Le temps s'arrêta pour toujours !
Claire Goll était merveilleusement pétrie pour comprendre Ivan. Partageant son amour de la nature, plein d'amertume, nourrie de ce style brusque (reste de l'emporte-pièce Dada), ses récits à facettes, les uns émouvants, les autres pleins d'humour, nous faisaient déjà pressentir quelques-uns des paysages intérieurs denses d'une philosophie où la tristesse prend place, de " Une Allemande à Paris " . Elle avait subi, comme lui, l'influence des écrivains internationalistes et des peintres allemands, autrichiens et russes. L'influence de Chagall surtout, aux lignes tirées, aux boucles vives, Chagall, comme Ivan et Claire Goll, n'aime la réalité que par les contours et trace seulement des dehors d'objets pour nous les peindre. Plus exactement, il n'aiment, tous les trois, que les reflets, les surfaces, ne s'occupent que des orages du concret. Leurs peintures seront des heurts d'images concrètes, ils sont des businesmen-artistes, dédaignant la spéculation les diamants bruts d'images vivantes. Et c'est pour cela que l'illustration des recueils de Claire et Ivan m'intéresse autant que les poèmes eux-mêmes. Robert Delaunay, George Grosz et Fernand Léger, artistes pour lesquels peindre est une fonction de tous les sens , avaient délimité quelques-unes des images de " Le Nouvel Orphée ". C'est à Chagall que fut dévolue l'illustration des " Poèmes d'Amour " (1925). Il nous montre Claire et Ivan, mêlés dans un dessin aux lignes pures, puis dans une ellipse que ferme tout un monde, une tour Eiffel que couronne, comme une double étoile noire, deux visages préparant, dans notre univers, une éclatante rentrée.... Puis le geste d'une consolation nue et plus loin le masque androgyne commençant à rouler comme les satellites inquiets d'une beauté toujours immuable.... Dans " Poèmes de la Vie et de la Mort ", deux tragiques radiographies et dans les " Poèmes de Jalousie " quelques eaux fortes de Foujita, pleines d'une mollesse dont l'art s'allie avec cette préciosité un peu voulue qu'affectionnent certaines des images des Goll.
Ouvrons les " Poèmes d'Amour ".
Ivan : Tes cheveux sont le plus grand incendie du siècle...
... Trompés par l'or faux de l'aurore
Les oiseaux sont rentrés
Désespérés...
... Tu es la nymphe échappée des bouleaux
A tes pieds d'or se suicident les chiens...
... Parfois mon coeur mort crie dans la nuit...
... La nuit ta chevelure orange illuminait
Le vieux château du ciel
Jusqu'aux tours de Saturne...
... Depuis que je ne t'aime plus je t'aime...
...Des arbres de douleur gantés de rouge...
Lyrisme pur, nourri d'aliments modernes . Le vocable ancien, le matériel prosodique est changé. Voici le tramway, l'autobus, le métro, comme les constellations d'un nouveau ciel. Au milieu de cette terre inconnue, se confiant un amour très pessimiste, ils échangent, à la fin, des compliments naïfs tels que " ton coeur est comme un abricot " ! Le symbole de la chevelure attire Goll aussi, mais c'est une chevelure concrète dont il nous révèle les brûlantes colorations. Enfin, c'est ce lyrisme, non pas le lyrisme souterrain, intérieur, tel celui de Paul Eluard par exemple, mais un lyrisme de surface, dont les éléments appartiennent aux choses qui nous entourent, lyrisme immédiat qui naît toujours, comme l'électricité de deux objets la contenant déjà, en l'ignorant. Et la note féminine nous est donnée par Claire, avec la pitié profonde que recèlent ces beaux vers :
J'arrache mes premiers cheveux blancs
Les oiseaux en feront leur nid...
.... Dès que tu pars
Je crainte l'ange cycliste
Avec le télégramme de la mort...
...Car même de l'étreinte de la mort
Mon coeur immortel reviendra vers toi !
Ici, je crois que Claire Goll a poussé loin la réussite. Avec d'aussi simples éléments, elle nous oblige à une réflexion pleine de découvertes. Magnifique écrivains d'images, elle pousse, jusqu'à l'extrême de la clarté, leur intensité et leurs associations. Habileté très aiguë qui nous offre de réelles conquêtes à la lisière de ce monde mystérieux où commence la vraie et inexplicable poésie. Certaines de ces images nous satisfont même trop complètement pour que nous puissions les dire très poétiques, il leur manque de la folie... mais Claire, comme Ivan, y suppléent par une violente passion qui s'exprime en pures révélations, pleines de charmes et écrite dans une langue originale et tendue, jusqu'à ce cri de Claire que nous attendions depuis le début du livre de.
Car même de l'étreinte de la mort
Mon coeur immortel reviendra vers toi.
Les " Poèmes de Jalousie " ne satisfont moins complètement. Cette jalousie est, à vrai dire, trop galante, trop fleurie. Benserade en colère... Certains tics, certains clichés que je retrouve dans Cocteau. Les voix sont toujours aussi pures, elles montent dans un violent désarroi. L'humanité des poèmes, tout de même existante, ne semble me masquée par des bariolages presque sportifs, évoquant, avec un certain déplaisir ému, le Boulevard et la Rotonde...
Claire :Je suis jalouse de la rue
Et de tes pas en ut-mineur...
.... Tu étais la Colonne Vendôme
A laquelle je m'appuyais...
Voici par contre, de très beaux vers :
Yvan :Dans l'arbre rouge de tes veines
sont perchés mes oiseaux de rêve
... Je vis ta vie tandis que tu la rêves...
Et cette sincérité, entachée parfois d'un désir trop grand d'originalité, je la retrouve dans les " Poèmes de la Vie et de la Mort ".
Claire : Voici dis ans que tu m'aimes
Dix ans qui furent dix minutes !
Mais je te vois toujours pour la première fois....
Claire à la hantise de la mort, elle craint la pourriture et surtout la léthargie trompeuse qui peut ménager un terrible réveil au sein des territoires de la mort :
Quand je serai morte
fais embaumer mon corps :
Sinon les bêtes sans patrie
Viendraient coucher dans la sciure d'or de mes cheveux
- Quandje serai morte
Fais couler du blanc formol dans mes veines
Pour conserver leurs souvenirs...
... J'attends la mort
Comme un enfant ses vacances...
Enfin, quelques très beaux vers :
Claire :Je n'aurai qu'à te regarder
Pour que l'aurore monte dans mes joues
Ivan :Ombre parmi les ombres,
Que chassent les saisons
Jusqu'à la proche tombe.
Depuis lors, cédant au goût du jour et aux nécessités tyranniques, Ivan et Claire Goll ont quelque peu délaissé la poésie. Ils sont devenus de grands romanciers. Mais ils n'ont pas démissionné, et quelques poèmes, parfois, tombent en rosée claire sur leurs carnets. S'en tiendraient-ils à leur oeuvre déjà publiée, qu'ils auraient droit à une place de premier plan dans notre histoire poétique moderne. Si, dans ces pages forcément succinctes, j'ai pu en fixer le témoignage, j'estimerai mon travail profitable sinon digne des oeuvres présentées.
le Journal des Poètes - 2ème année, n°5 - 12 déc. 1931- Bruxelles.
Geo Charles : " La représentation de votre « Mathusalem » à Bruxelles, mon cher Ivan Goll, nous a fourni l'occasion d'apprécier, une fois de plus, une oeuvre du « Théâtre poétique moderne ». Cette formule exprime assez bien la tendance et le mouvement de ce théâtre dit - toujours - « d'avant-garde », bien qu'il ait pris naissance longtemps avant la guerre. Je range sous ce signe : « Ubu Roi », de Jarry, « les Mamelles de Tirésias », d'Apollinaire, certaines pièces de Ribemont-Dessaignes, et justement ce « Mathusalem ».... Pourriez vous préciser votre conception personnelle quant à « l'esprit » poétique de cette oeuvre ?
Ivan Goll : J'estime que toutes les pièces que vous venez d'énumérer sont avant tout, en effet, des oeuvres de poètes que j'opposerai aux auteurs dramatiques. Comment les distinguer par une formule ? Ceux-ci excellent à copier la vie au théâtre, tandis que les poètes ont avant tout le désir de recréer la vie. Ils ne veulent pas du tout en donner, par exemple, une image exacte, mais plutôt révéler la signification profonde des faits et des paroles qui unissent les personnages dans une action.
Géo Charles : Et créer des prototypes ?
Ivan Goll:Oui. « Mathusalem », par exemple , c'est l'éternel Bourgeois. Il ne parle pas la langue courante du théâtre habituel et conventionnel. Il dit des phrases , les phrases-types que chaque bourgeois , dans n'importe quel pays , répète suivant sa prononciation . L'action de la pièce n'est pas individuelle et unique : le cas est applicable et nettement imputable à tous les bourgeois du monde entier.
Geo Charles : Et rien de plus banal que les propos d'un tel héros!
Ivan Goll : « L'expression » en est apparemment banale , mais avant tout elle est vraie. Et cette transposition du « vrai » me rappelle une autre formule , celle de « surréaliste »dans le sens où Apollinaire l'entendait..
Vous savez, n'est-ce pas, qu'il inventa le vocable « surréaliste » pour désigner précisément « Les Mamelles de Tirésias », que vous citiez un instant parmi les pièces du théâtre poétique.
Geo Charles: En effet , c'est d'ailleurs dans la revue « Surréalisme» que vous avez dirigée que Pierre Albert-Birot a fixé ce point d'histoire de la façon suivante : «… Quant au mot « surréalisme », nous l'avons, Apollinaire et moi, choisi et fixé ensemble . C'était au printemps 1917, nous rédigions le programme des « Mamelles », et, sous le titre, nous avions d'abord écrit « drame » et ensuite je lui ai dit : ne pourrions-nous pas ajouter quelque chose à ce mot, le qualifier, et il me dit en effet, mettons « surnaturaliste », et aussitôt je me suis élevé contre surnaturaliste qui ne convenait point au moins pour trois raisons, et naturellement, avant que j'eusse fini l'exposé de la première , Apollinaire était de mon avis et me disait : « Alors mettons surréaliste ». C'était trouvé. «... La lettre d'Apollinaire à Paul Dermée écrite également en 1917, et reproduite dans la même revue, confirme les souvenirs de Birot... » Et vous Goll, rangez-vous « Mathusalem » sous la même formule?
Ivan Goll: Mon Dieu , si une formule est nécessaire!
Geo Charles : nous appelons les pièces de ce théâtre - et « Mathusalem » - poétiques. Certaines de ces oeuvres, et particulièrement la vôtre, présentent un curieux mélange de poésie et de prosaïsme...
Ivan Goll : J'attendais cette objection. J'ai donné à chaque personnages la langue de son âme. Ainsi la jeune fille, Ida, sent et parle en vers, et je ne crains pas de lui prêter les images les plus lyriques, comme dans les pièces en alexandrins. Par contre le frère voué aux affaires modernes, n'emploie que le style haché des appareils Morse. Et ainsi de suite.... Mais le langage truculent et
terre-à-terre du père n'est pas moins poétique que celui de sa fille, s'il crée l'atmosphère élémentaire du personnage.
Geo Charles : Vous confirmez l'impression que me laisse la représentation de Bruxelles. Du lyrisme pur, cette réplique d'Ida :
« Je ne connais plus d'autre jour que celui-ci
Où des narcisses remplacent l'herbe des gazons.
Le soleil est un chrysanthème que tu m'offres,
Ton front pâle est une tour d'ivoire
Sur laquelle je monte pour voir le monde.
C'est toi qui bâtis les tours apocalyptiques,
Les temples d'Asie et les docks d'Amérique
Les places portent toutes ton nom,
Les horloges sonnent à chaque heure ton nom
Et les navires en mer ne sont partis que pour te voir .»
Ce poème pourrait très bien être tiré des « Poèmes d'Amour » que vous avez publiés avec Claire Goll
Claire Goll: Oh , je n’accepte que les poésies qui me sont adressées personnellement!
Ivan:Mais tout ce que j’écris , s’adresse à toi. Pour qui écrit-on, par qui veut-on être compris , sinon par l’être qu’on aime et dont on veut être admiré?
Claire:Tu me trompes!
Ivan:Avec toi-même!
Geo Charles: Je pense que vous allez faire dévier , publiquement , en « scènes de ménage » , vos beaux «Poèmes d'Amour » Au fait , si vous continuez , je pourrais dire que vos poèmes d’amour ne sont pas autre chose … finalement! !
Claire:Eh bien , vous donneriez une belle idée de notre poésie!
Ivan: Mais , Claire , après tout , je ne serais pas éloigné de croire que dans les poésies d’amour de tous les temps , les poètes ne sont occupés qu’à exprimer à leur amante des reproches , et sous forme de compliments , des sottises.
Geo Charles:Qu’en pensez-vous Claire?
Claire: Pour moi il n’existe qu’une sorte de poésie , celle de l’amour. Une femme ne doit chanter que l’amour. Ce n’est que par l’amour qu'elle participe de la vie du monde. Les seuls poètes que je relis toujours , que je comprends et que j’éprouve jusqu’au fond des moelles sont Marceline Desbordes-Valmore et Elisabeth Barrett-Browning.
Geo Charles: L’essence de leur poésie est la souffrance.
Claire: L’essence de l’amour est la souffrance.
Ivan: - Peut-être y a t - il là comme une accusation?
Claire:Non , c’est une déclaration d’amour. Géo Charles notez vite. Je prétends que c’est celui-là (qui me fait tant souffrir) qui m’a faite poète. Je lui dois d’avoir appris à exprimer en vers cette affection que toutes les autres femmes expriment en soupirs.
Geo Charles: Vous avez su prolonger à deux - en des oeuvres toujours lyriques et en des "Poèmes d’amour" que je relis avec une joie critique sans cesse accrue - votre amour de la Poésie. Votre double rêve a su se réaliser et se poursuivre en cette époque si bassement matérielle , si misérable , selon un rythme de beauté et d’idéal!
Ivan:Ce rêve nous sauve!Tout ce qui se passe en dehors de lui et de notre amour devrait nous laisser indifférents. Nous sentons confusément que les soucis du jour sont des soucis bien lamentables , mais aussi passagers. Les époques où l’humanité a faim , reviennent toujours. Cette fois , sa détresse provient de sa bêtise. Mais passons. Parlons d’amour qui est la seule raison d’être et qui est éternel. Thème peu actuel Thème qui le redeviendra au prochain printemps , soyez-en sûr!Sinon , dans cent ans. Et il vaut mieux avoir raison dans cent ans que l’année prochaine. La vérité se mesure par siècles."
Je laisse Claire et Ivan , assis en leur jolie terrasse d'Auteuil, dont j'aime tant caresser les feuilles. Lui, grappillait les raisins qui pendaient au vieux cep qui épouse la grâce de la balustrade, elle, appelait une demi-douzaine de pigeons blancs et leur donnait à manger dans sa main pâle.... Les deux silhouettes, les bêtes et les choses, se composaient en des attitudes qui me sont familières depuis longtemps... en cette petite terrasse du jardin automnal d'Auteuil qui m'apparaît toujours comme un carrefour rustique où la vie et la poésie viennent s'unir.
Geo Charles dans " le Journal des Poètes " 2ème année, n°5 - 12 déc. 1931- Bruxelles.
Ce furent les Goll, ces poétiques personnages cosmopolites, parlant aussi bien le français que l'allemand, qui dirigèrent mes premières incursions dans les milieux littéraires parisiens. Grâce à ces médiateurs gais et sociables, un contact chaleureux s'établit entre moi et toutes sortes de personnages pittoresques…
1)Fils de l’écrivain Thomas Mann, Klaus se suicida à Cannes le 21 mai 1949, à l'âge de 43 ans, un mois après avoir achevé son autobiographie "Le Tournant" Yvan et Claire Goll p.306 et p.593
La Revue Mondiale, XXX ème Année -15 novembre 1929 (ancienne Revue des Revues)
Directeur Louis-Jean Finot
M. Ivan Goll se révèle ironiste implacable dans Sodome et Berlin . Et son humour est si féroce qu’on ne peut guère démêler la vérité de la fiction. Il nous dépeint avec verve un Berlin se réveillant avec peine des émeutes communistes,puis livré à la folle spéculation lors de la grande inflation,aux moeurs désaxées,aux aventures ahurissantes subies ou provoquées par mille gens divers,et cette fièvre de débauche,cet amour du jeu,fond du livre,sont un perpétuel rebondissement pour l’intrigue de ce roman un peu fou,parfois désordonné,qui traîne en longueur vers la fin,mais que M. Ivan Goll a réussi malgré tout,car original et vivant. (Louis Jean Finot . p.216)
"C’est malgré le titre du recueil une vision assez tumultueuse que délivrent ces poèmes d’Yvan Goll dans lesquels s’inscrit un Paris:
écartelé au carrefour Saint-Eustache
entre la bête et le Christ
et où l’on entend
hennir les chevaux de Marly
L’on ressent dans ces vers un rythme saccadé et une température de fièvre et pourtant s’y maintient aussi une volonté de douceur, de paix et de réconciliation.
L’épinoche qui gîte près de Notre-Dame, le vieillard ramasseur de têtes de dorades, les vierges de Clichy, la Tour Eiffel sont pour Yvan Goll autant d’images fulgurantes de la ville qu’après l’exil de la guerre il n’a retrouvée que pour prématurément y mourir ".
" Poésie rapide, pressée, haletante. "Nous n'avons pas le temps d'être Grecs" s'écrie Ivan Goll en s'adressant à ses personnages, qui sont : Charlot-poète, échappé de l'écran, Mathusalem ou l'éternel bourgeois, l'Européen-de-culture-moyenne, redingote, raie à droite, le docteur Billard, conférencier et martyr de l'humanité : le Nouvel Orphée... de tous le plus séduisant et le plus sympathique. Poète à transformations comme Charlot, il franchit les pires trappes sans se rompre le cou, accompagne aux pianos des cinémas les douleurs fatales, frappe aux concerts d'abonnements les âmes comme des pièces d'or, fait ricocher les images ainsi que des cailloux plats et, à chaque coup de chapeau, découvre son génie aussi évident qu'une calvitie...
Ivan Goll qui avait déjà présenté dans Cinq Continents "anthologie mondiale de poésie contemporaine " 150 poètes (et beaucoup plus de mots) en liberté, se devait de se faire l'imprésario de cet Orphée des temps modernes qui est en quelque sorte l'archétype de ses 149 confrères...
Poésie lyrique, film, théâtre : les trois genres tantôt se succèdent, tantôt se chevauchent ou semblent tout près de se confondre: Mathusalem, le docteur Billard sont des fantoches grotesques dont la déformation touche au fantastique . Paris brûle, Le Nouvel Orphée, Astral, de nouveaux exemples de ce genre cinématographique où Blaise Cendrars et Philippe Soupault excellent, dont les changements de plan imprévus font le charme un peu aveuglant et où chaque image semble une fausse alerte habilement ménagée au lecteur …
Et c'est peut-être en ce mélange un peu équivoque de complainte foraine, de bruyantes parades, de clowneries grimaçantes, de dévotion à Notre-Dame du sleeping-car, de compassion humaine et d'imperceptible romantisme — à quoi vient s'ajouter encore tout un attirail d'images et de vocabulaires sportifs et commerciaux — qu'il faut chercher le secret de la poésie d'Ivan Goll ". Maurice Betz.
Les Nouvelles Littéraires 2ème année n° 54 - Samedi 27 octobre 1923
Léon Gabriel Gros: C'est une entreprise curieuse que celle d'Ivan Goll à retrouver l'allure et la diction des chansons populaires . "Devant le Miroir","Sur les Cimes","Sur le Pont",autant de titres qui montrent le personnage d'Ivan Goll en présence des reflets de la réalité . Ses rencontres avec Ahasver et avec Don Juan sont exprimées en des stances d'une extrême simplicité verbale,mais où une prosodie savante et classique à la fois dénote un subtil artisan du vers . Dans le poème s'exprime avec une rare intensité un sens quasi physiologique de la déchéance humaine . La ballade empreinte de la plus totale mélancolie s'achève par une évocation optimiste:dans les pays d ' "Outr'Est" le vagabond retrouve d'autres hommes sans terre qui connaissent la joie commune,et Jean,délivré de ses fantômes,reflets de lui-même,termine sa confession par un éclat de rire .
Ivan Goll dont les précédentes réussites avaient été surtout de brèves notations ou du moins des poèmes valant surtout par des détails proches du haïkaï,nous propose avec Jean sans Terre une imagerie d'Epinal rendue dans un ton très personnel et d'une naïveté savante,tout à fait remarquable à une époque où les poètes se confessent avec plus ou moins de talent,mais ne nous donnent qu'exceptionnellement des oeuvres comme cette ballade .
Cahiers du Sud n° 193 mars 1937
Le Témoin poétique par Léon-Gabriel Gros :
le rayonnement de l’oeuvre d’Yvan Goll n’est pas ce qu’il devrait être. Certes elle a ses fervents mais qui se recrutent parmi les seuls connaisseurs. Ayant justifié, et au delà, les espoirs que l’on plaçait en elle sur la foi des premiers recueils, dans les années 20, elle n’a point connu la large diffusion que l’on était en droit de lui prédire à l’époque. S’agit-il d’un paradoxe ou d’une injustice ? Des deux sans doute, et l’avenir s’en étonnera …Toute poésie qui nécessite une initiation parce qu’elle est elle-même une initiation est en raison même de sa qualité vouée à demeurer secrète …Qu'Yvan Goll soit un de ces poètes en marge c’est l’évidence même comme c’est le signe de sa grandeur. Si déplorable soit-elle l’occultation provisoire de son oeuvre s’inscrit dans l’ordre des choses mais elle a aussi des raisons spécifiquement littéraires…son lyrisme oscille constamment entre les recherches d’avant-garde et le souci de la rigueur formelle; il joue avec autant de virtuosité sur le clavier de l’hermétisme que sur celui de la chanson populaire; il est tantôt hiéroglyphe, tantôt image d’Epinal …mais quoi ! ce sont là des qualités si rares en notre génération qu’on les y tient pour suspectes, et qu’en fin de compte cette oeuvre se trouve en porte-à-faux entre les tendances contradictoires de l’époque . Il est difficile, je l’admets volontiers, de relier logiquement Le Nouvel Orphée de 1923 à L 'E Elégie d’Ihpétonga qui vient de paraître et, à plus forte raison de concilier le ton des trois livres de Jean Sans Terre avec celui du Char Triomphal de l’Antimoine. Ce n’est pas en tout cas le lyrisme des Chansons Malaises, le seul de ses recueils disons de lecture courante, qui nous aidera à trouver la clef de l’entreprise de Goll, la raison une et profonde que l’on cherche fatalement à toute oeuvre de quelque ampleur. …
Mon seul propos était de rendre hommage à un poète trop négligé bien qu’il soit un des meilleurs de sa génération et celui qui a contribué à bien faire connaître à la mienne tous ceux qui de par le monde nous ont préparé les voies. Je me suis uniquement préoccupé de le situer dans une époque qui sans lui ne serait pas ce qu’elle est et dont il est dans tous domaines, dans celui surtout des recherches esthétiques, un des plus irrécusables témoins.”
Cahiers du Sud 36 ème année, n°298 - 2ème semestre 1949.
Yvan Goll, L'Alchimiste fraternel par Léon-Gabriel Gros
La parution chez Seghers dans la collection "Poètes d’aujourd’hui" d’une anthologie d’Yvan Goll permettra pour la première fois à un public tant soit peu élargi de découvrir et d’apprécier un poète dont la notoriété ce réduisait jusqu’à ce jour à des cercles assez restreint de connaisseurs. On peut dire que, littérairement parlant, la carrière d’Yvan Goll commence aujourd’hui, prés de six ans après sa mort.“ Tel qu’en lui-même enfin …” la critique le change, en définissant sa poésie et le rôle de premier plan qu’il joua ou plutôt qu’il ne joua pas dans le lyrisme contemporain, car le destin voulût qu’il fût presque toujours relégué dans les coulisses des mouvements d’avant-garde alors même qu’il avait autant et plus que personne contribué à leur lancement.
Par trois fois au moins en 1917, en 1924, en 1940 il manqua tenir la vedette mais chaque fois il se trouva dépassé par l’événement. Ce ne fut jamais, empressons-nous de le souligner, la faute de ses pairs, les meilleurs poètes de sa génération ayant toujours tenu Goll pour l’un des leurs, mais il est par contre certain que Goll fût victime d’un snobisme intellectuel assez répandu en quelques milieux d’édition, snobisme qui ne pouvait trouver aucun intérêt à Goll parce qu’il n’était qu’un poète, parce que ses démarches trop humaines étaient irréductibles à un système idéologique.…Ajoutez à cela que ce prince de l’image n’a jamais versé dans la gratuité. Ses poèmes n’étaient point de simples documents mais dans la plupart des cas des objets élaborés, formules d’exorcisme parfois à l’usage du poète lui-même, "mécaniques de satisfaction" pour quiconque se prêtait à leur incantation.…
Le paradoxe de ce poète qui souffrit personnellement plus qu’aucun autre de son déchirement entre deux cultures réside précisément dans le fait qu’il a transcendé en beauté et en lucidité non seulement ses propres douleurs mais l’apocalypse dont il fut le témoin. Perpétuel exilé, "voyageur traqué" comme on disait à l’époque, Goll qui a pu faire figure d’apatride était l’être le plus enraciné dans cette patrie intérieure de la Poésie qu’il ne faut pas confondre avec les régimes qui la régissent, écoles diverses novatrices ou académiques. Suspect à toutes les littératures établies, étranger aux diverses coteries, il a connu le sort de tous les pionniers et s’apparente par là à des hommes comme Reverdy, Cendrars, Jean de Bosschère qui pour la nouvelle génération évoquent des noms plus que des oeuvres. Comme si la jeune poésie avait commencé en 40 ou même en 24 ! Goll fut en somme un révolutionnaire d’avant la prise du pouvoir.
Yvan Goll, ce musicien gnomique, ce fraternel alchimiste dont on ne saura jamais très bien si les puissances du coeur l’emportèrent en lui sur celles de l’imagination, ou inversement, s’il fut ou non cérébral, comme on dit, plutôt qu’instinctif, Goll, le plus concerté et le plus spontané des poètes nous apparaît en effet tout cela au moment de la revanche posthume que lui offre la collection Seghers. C’est qu’aussi bien son oeuvre choisie est présentée ici avec un appareil critique tout à fait exceptionnel, d’autant plus exceptionnel qu’à l’exclusion de Jules Romains qui bénéficie lui-même de tout le recul souhaitable les essayistes qui s’emploient à mettre Goll en valeur n’appartiennent à aucun des clans ou des mouvements de la poésie actuelle. Raisonnée ou passionnée leur adhésion échappe ainsi à tout parti-pris doctrinal. C’est le cas pour Marcel Brion qui parle en lecteur non prévenu et dit du même coup l’essentiel sur le plaisir poétique, pour Francis -J. Carmody et Richard Exner, le premier traitant de l’oeuvre française, le deuxième de l’oeuvre allemande de Goll.
… Goll, cet alchimiste du verbe (et il prétendait par les mots attendre la"res", la chose en soi) Goll ce mystique de l’objet dont-il souhaitait qu’il le " dévorât " s’est trouvé en un sens captif de ces "Cercles magiques" qui lui inspirèrent un de ses derniers recueils …
Si les plus émouvants, les plus beaux peut-être de ses poèmes furent les derniers, écrits en allemand (L’herbe du Songe) à l’époque où il agonisait, terrassé par la plus étrange des maladies, la leucémie, je crois qu’un poème des "Cercles magiques", "Les portes" résume mieux que tout autre ce que fût sa quête passionnée :
J’ai passé devant tant de portes
Dans le couloir des peurs perdues et des rêves séquestrés
J’ai entendu derrière les portes des arbres qu’on torturait
Et des rivières qu’on essayait de dompter
J’ai passé devant la porte dorée de la connaissance
Devant des portes qui brûlaient et qui ne s’ouvraient pas
Devant des portes lasses de s’être trop fermées
D’autres comme des miroirs où ne passaient que les anges
Mais il est une porte simple, sans verrou, ni loquet
Tout au fond du couloir tout à l’opposé du cadran
La porte qui conduit hors de toi
Personne ne la pousse jamais
Je m’excuse de ne pas avoir mis l’accent sur la grandeur de Goll, j’ai simplement tenu à dire combien son oeuvre était arbitraire, fraternelle. De toute beauté, de trop de beauté peut-être. Mais Goll, à sa façon a lui aussi "trouvé la beauté amère".
Léon-Gabriel Gros
Cahiers du Sud - 43è année, n° 337 (octobre 1956) p.427 à 431- Le Témoin poétique : Yvan Goll, L'Alchimiste fraternel par Léon-Gabriel Gros
Vulgariser ne signifie pas toujours rendre vulgaire et beaucoup de grands poètes sont des vulgarisateurs de génie. Qui ne peut dominer l'époque la subit ; qui ne peut déchaîner l'orage fait office de baromètre, de sismographe. Le Nouvel Orphée enregistre les mouvements de l'atmosphère et les ébranlements de l'écorce terrestre ; sur le papier s'inscrit, en ligne brisée, un schéma de montagnes russes, bolchévisantes.
Ivan Goll a bon estomac. Nous l'avons vu digérer sans effort la poésie des cinq continents. Il eût pu, on l'a fait valoir non sans malice, rédiger lui-même les trois-quarts de son anthologie mondiale ; en revanche, le Nouvel Orphée se présente un peu comme une œuvre collective, un recueil de morceaux choisis. Dis-moi qui tu hantes....Ivan Goll est un "moderne", un "Européen", un disciple de Jarry, d'Apollinaire et de Charlot. Quand Jean Epstein écrivit sur la poésie d'aujourd'hui son livre bien scientifique, soupçonnait-il qu'un Ivan Goll lui donnerait à ce point raison?
« Les matins vieillissent vite », ( oui, il y a dans le Nouvel Orphée de ces trouvailles) et comme il est midi cinq, Ivan Goll a tout ce qu'il faut pour déplaire à la plupart d'entre nous. J'ai lu cependant Mathusalem, Paris brûle,et nombre de télégrammes-poèmes insérés dans Editions du matin,avec une véritable allégresse. Qu'on se laisse porter, bercer, secouer par ces vagues de tôle peinte ; qu'on s'incline au virages de ces toboggans bien machinés. On s'en tire sans courbatures ; on s'y divertit franchement.
Paul Fierens
La Nouvelle Revue Française - n° 126 - 1er mars 1924 p.358/359
Proses de : Bontempelli - Mac Orlan - Barilli - Alvaro - Gomez de La Serna - Soupault - Kaiser : " Juana " p.67 à 83 (Tragédie en un acte : traduction française d'Ivan Goll) - Emilio Cecchi - Aniante - Solari - Joyce - Goll : " L'Eurocoque " (2) p.132 à 138 - Campanile - Spaini - Mouratoff - Nino Frank : Astérisques(p.185) - Alberto Cecchi Dessins de : Oppo - Conti - Lydis - Rosai.
Editions " La Voce " Roma - Firenze
Astérisques : Nino Frank p.185
"Ivan Goll, l'homme qui chante tout le long de sa vie. Impossible de ne pas voir qu'il est allemand. Il a un rire couleur du Rhin. Des lunettes qui agrandissent l'oeil, clignant comme les lumières de Nüremberg, dans la nuit de la fantaisie. Impossible de ne pas voir qu'il est français. Il est plein de sourires, d'ironie foraine. Son oeil se fixe sur tout spectacle, il en profite pour oublier la versification ; il crée de mystérieux projets de cosmogonies nouvelles.
Mon cher Robert Delaunay, surveillez Goll ; c'est l'homme qui un jour ou l'autre vous volera la tour Eiffel pour l'emporter.
Où?"
Nino Frank parle également de Goll dans le numéro 23 ( novembre 1949) de La Table Ronde: Souvenirs sur James Joyce p.1671 à 1693, où il indique le rôle de Goll dans cette rencontre, de même dans :
Mémoire brisée , Calmann Lévy, 1967 où il relate l'aventure de la revue "900" et de "Bifur ". Il y est souvent question de Goll et de ses relations avec Joyce (p. 30 à 64), Malraux (p. 281 / 82) et dans
Nino Frank . 10. 7. 2. et autres portraits Souvenirs
Papyrus - Maurice Nadeau 1983
(p.70 - 72) :"En ce temps-là, tous les intellectuels du monde vivaient de Paris. Je me trouvais préposé aux relations extérieures d'une revue créée à Rome par Massimo Bontempelli, et qui allait paraître en langue française sous le titre de "900 ", - vingtième siècle dit à l'italienne. Résolument cosmopolite, cette publication entendait cultiver la poétique en vogue …Ma tâche devait consister essentiellement à assurer la liaison avec un comité de direction où l'on souhaitait voir figurer Pierre Mac Orlan, Georg Kayser, Ramon Gomez de la Serna, Ilya Ehrenbourg qui les rejoindra, et surtout, pour les lettres anglaises et américaines, l'Irlandais James Joyce.
L'idée me venait d'Ivan Goll, qui participait, en ce temps-là, à la fabuleuse adaptation collégiale de quelques pages de ce qui s'appelait encore Work in progress: lui-même en contact suivi avec Joyce, au nom des Editions du Rhin, qui envisageaient publier une traduction d'Ulysses. Point de meilleur parrain, toujours tenace, toujours souriant. Mais l'entrée en rapport avec Joyce ne fut pas chose aisée .
Un cordon littéraire, si je puis dire, était tendu autour de lui. Goll, cornac opiniâtre, me fit tenir maints longs conciliabules dans les librairies jumelles de Sylvia Beach et d'Adrienne Monnier, rue de l'Odéon …
Un après-midi, Ivan Goll réussit enfin à m'emmener chez le mystérieux Irlandais, square Robiac ".
(p.211-212):"Fin 1926. Une après-midi chez Ivan Goll, au sourire rhénan, tout bonhomie et amitié à travers les lunettes. Etendue sur un divan, très poétesse style Rhomanisches Kafé, Claire au visage triangulaire et blond de chatte, la parole humoresque embuée de Gemütlichkeit; la lui disputant, cette parole, Clara (nous apprendrons aussitôt son nom), le doigt levé, la phrase pétulante et volontiers précieuse, petite, à la fois floue et ramassée, le nez épais et de beaux yeux songeurs, je ne sais quoi d'enchifrené dans ses attitudes …
L'attraction est ailleurs: ce jeune homme à qui m'amène Ivan Goll et avec qui la conversation s'engage vite à la façon d'un jeu serré …deux ou trois jours plus tard, à la Brasserie Lutétia: il me fait passer une espèce d'examen, puis c'est dit, il me promet un texte pour la revue dont je m'occupe "Ecrit pour un Ours en peluche ", qui paraîtra dans "900 "à Rome ; trois ou quatre ans plus tard, il me donnera, pour BIFUR, un chapitre inédit des Conquérants . La voie est ouverte à l'amitié.
Nous nous rencontrerons souvent.…Clara se raconte avec complaisance: ses bonnes fortunes, l'opium, son goût pour les baignoires, des velléités de partie carrée. J'apprends cela avec quelque impatience. Moi, c'est le garçon qui m'intrigue: ce quelque chose, en lui, d'affamé, de pressé, de hanté, rien qui s'accorde avec la littérature ingénieuse et chantournée qu'il fait. Sa préciosité plaisante, ses manières de gourmet parisien (nous dînons chez Montagné ou Place des Victoires, il y entre avec respect), son intellectualisme un peu mièvre, puis, subitement, une fulgurance de l'idée et de la parole, vite bridée (car Clara enchaîne sur-le-champ, avide de parler: et lui, aussitôt, de se taire, un peu petit garçon, le regard complice, presque admiratif ; cependant qu'elle a ce geste des péroreuses de salon par lequel celles-ci retiennent à l'avance toute interruption). "
p.229 :"…Moi, j'ignorais tout de son œuvre (Ehrenbourg), et son nom, son adresse, m'étaient venus d'Ivan Goll, en ce temps-là mon mentor dans la cosmopolis parisienne.…
— Il faut que j'y réfléchisse encore, dit Ehrenbourg, en se levant et en changeant de pipe (ses poches en contenaient toujours trois ou quatre). Venez me voir, avant que je déménage, ajouta-t-il, et, en remettant sa casquette de travers, il prit la porte, de son petit pas pressé.…
Je courus téléphoner à Ivan Goll: mon récit le divertit, et il m'expliqua qu'Ehrenbourg, poète mystico-décadent à ses débuts, style Saint-Pétersbourg 1910, s'était mué, la Révolution venue, en gazetier satirique, en feuilletoniste abondant, qu'il était marqué par le Berlin de Georg Grosz, où il avait trouvé succès et profits, qu'il s'était parfaitement acclimaté à Montparnasse, où il oubliait Moscou: le seul des Soviétiques qui fût européen, avec la bénédiction de Maxime Gorki. "
p. 297 :"Pour (Gottfried) Benn, médecin comme(William Carlos) Williams, et le plus grand poète allemand de son temps, il est également possible que sa collaboration à Bifur l'ait quelque peu compromis — en l'obligeant en particulier à adhérer du bout des lèvres et le plus tard possible, au parti national-socialiste. J'ai raconté ailleurs mes rencontres avec lui, à Paris et à Berlin. Il m'écrivit aussi, et, avec l'aide d'Ivan Goll, toujours présent, toujours amical, j'eus les textes que nous voulions ".
(1) Chaque saison un cahier par les soins de Massimo Bontempelli - Ramon Gomez de La Serna - James Joyce - Georg Kaiser - Pierre Mac Orlan .
(2) Ces sept pages sont inédites. Un an plus tard en Allemagne paraîtra "Die Eurokokke",une version française paraîtra chez Corréa en 1934 sous le titre:Lucifer vieillissant,mais à ce point différente de la version allemande que Claire Goll a traduit "Die Eurokokke" par son titre "L'Eurocoque": cette traduction,inédite à ce jour est archivée à la B.S.D.d.V. — Ms 549 (47 ff. Dactylographiés)
Pascal Pia : Feuilletons littéraires ( tome 2 ) 1965-1977 . 937 pages
Yvan Goll et Claire Gollp.588 à 594
Fayard - novembre 2000
reprise de son article paru dans " Carrefour " le mercredi 8 mars 1972 .
La poésie malgré tout
Presque simultanément viennent de paraître chez le même éditeur un récit de Mme Claire Goll, Ballerine de la peur, et 2 volumes rassemblant une grande partie de l'oeuvre poétique d'Yvan Goll, mort à 59 ans, en mars 1950.
Les noms de Claire et d'Yvan Goll n'ont été longtemps familiers qu'aux amateurs de poésie et à la clientèle, toujours restreinte, des petites revues littéraires. Depuis dix ou douze ans, la présence de ces deux écrivains dans la collection Seghers de « Poètes d'aujourd'hui » a certainement affermi et étendu leur réputation, mais peut-être celle-ci demeure-t-elle moins grande en France que dans les pays de langue allemande, et même moins bien établie qu'elle ne l'est déjà aux Etats-Unis, où l'oeuvre d'Yvan Goll fait l'objet de travaux universitaires et d'éditions critiques.
Cette fortune peut surprendre. Elle n'a cependant rien d'inexplicable. Yvan et Claire Goll ont résidé aux Etats-Unis pendant la dernière guerre et jusqu'en 1947. Il y ont publié plusieurs ouvrages, et Yvan Goll y a dirigé une revue bilingue, Hémisphères, au sommaire de laquelle figurèrent à côté d'André Breton et de M. Aimé Césaire, qui devait un peu plus tard siéger au Palais-Bourbon comme député communiste de la Martinique, M. Roger Caillois, futur académicien, et M. St John Perse, ancien secrétaire général du Quai d'Orsay. Jean Paulhan lui-même, à la meilleure époque de la N. R. F., n'eut pas réussi un plus éclatant assortiment. On conçoit que cet éclat n'ait pas laissé les Américains indifférents, et qu'ayant eu la curiosité de s'informer du directeur d'Hémisphères, ils aient découvert et apprécié la poésie d'Yvan Goll.
Quant à l'intérêt que l'histoire littéraire attache à Yvan Goll et à Claire Goll dans tous les pays germaniques, il suffit, pour le comprendre, de se rappeler qu'ils avaient tous deux débuté comme poètes de langue allemande, lui en 1914, elle en 1917, et que, résidant en Suisse, ils avaient en pleine guerre exprimé des sentiments pacifistes que personne n'oserait leur reprocher aujourd'hui, mais qui les désignaient alors à la réprobation des « jusqu'aux boutistes » de chaque camp.
Quelques précisions biographiques ne seront pas superflues. Né d'un père alsacien et d'une mère messine, Yvan Goll avait passé son enfance en Lorraine annexée. Il avait étudié le droit et la philosophie à l'université de Strasbourg et dès 1913, collaboré aux revues allemandes d'avant-garde, qui prônaient l'expressionnisme. Un de ses premiers poèmes, publié à Berlin au printemps de 1914, exalte l'ouverture du canal de Panama en des termes qui rappelle le Panama de Blaise Cendrars et qui pourtant ne lui doivent rien : le Panama de Cendrars était encore inédit en 1914, si tant est qu'il fut déjà composé, -- ce qui est peu probable. On rencontre, dans Der Panama Kanal, quelques-unes des images d'exubérance tropicale qui parsèment le poème de Cendrars, est aussi les mêmes impressions de fièvre, les mêmes soupirs de lassitude, les mêmes cris d'enthousiasme, les mêmes odeurs de décomposition. Si la critique avait voulu pourvoir d'une généalogie littéraire le jeune poète allemand qu'était alors Yvan Goll, sans doute l'eut-elle apparenté à Walt Whitman à Verhaeren, à l'Apollinaire de Zone et de L'Emigrant de Landor Road. Mais la critique ignorait encore Yvan Goll, dont le Panama était d'ailleurs signé du pseudonyme d'Iwan Lassang. Elle ne s'est avisée de son existence qu'au cours de la première guerre mondiale, sans prendre garde en ce temps-là à la qualité de ses poèmes, se bornant à louer ou à condamner ce qu'elle appelait son humanité ou sa sensiblerie, sa lucidité ou son défaitisme. Goll s'était rangé aux côtés de Romain Rolland en faisant paraître en 1915 à Lausanne un petit recueil d'Elégies internationales, puis en donnant l'année suivante aux éditions de la revue demain, que dirigeait Henri Guilbeaux, un Requiem pour les morts de l'Europe. Il s'était trouvé en Suisse au moment de la déclaration de guerre et avait choisi d'y rester. Comme Romain Rolland, il dénonçait la sottise d'un épouvantable conflit dans les conséquences pèseront encore sur de nouvelles générations. Dans les élégies qu'il dédiait aux peuples belligérants, il disait en 1915 :
« Peuples des chansons militaires ! Rêveurs ! Européens !
« Pourquoi ses matins grelottants sous le clairon, ces campements dans la fraise des bois, les villes énervées du sang lointain, la cavalerie flottante par les brouillards, des routes hagardes traînant l'exode des veuves, des plaines inondées de feu, les enfants sentinelles, les nuits malades et chancelantes à la toux du canon, et puis la pitié des Croix-Rouges ? Pourquoi cherchiez-vous l'amertume et la douleur, le tambour claquant de ses os et la plainte des tombes dans les dunes ?
« Peuples héroïques, vous qui cherchez votre grande bataille,
« Vous avez perdu la plus grande, Européens :
« L'Europe ! »
Les événements se sont chargés de montrer ce que ces versets comportaient de prophétique. Mais dans les années 15, 1617, l'attitude d'Yvan Goll ne le faisait pas considérer comme un prophète. Qu'ils lui fussent hostiles ou favorables, les lecteurs qu'il comptait en Suisse et ceux, beaucoup plus rares, qu'il pouvait avoir en Allemagne et en France, où le contrôle postal et la censure s'opposaient à la diffusion de ce qui s'imprimait à l'étranger, ses lecteurs le regardaient surtout comme un militant d'extrême gauche, pénétrés qu'ils étaient de la conviction que certains sentiments d'humanité impliquent nécessairement certaines opinions politiques. Pour ma part, je ne crois pas qu'Yvan Goll se soit jamais converti à Marx, à Proudhon, à Bakounine ou à Lénine, mais je ne doute point qu'il ait toujours eu en horreur toutes les dictatures, quelle qu'en ait été l'origine, et toutes les tentatives d'hégémonie, quelque prétexte qu'on eut avancé pour les justifier.
Né Allemand en 1991, Goll n'eut pas d'effort d'accommodation à s'imposer pour être Français à partir de 1919. Il était bilingue depuis son enfance. Jusque vers 1930, il écrivit tantôt dans une langue et tantôt dans l'autre, et s'il en vint ensuite à ne composer qu'en français, c'est qu'il lui eut été impossible d'être encore édité dans une Allemagne où les Nazis faisaient la loi. Par bonheur, sa poésie n'a pas souffert d'être réduite aux mots d'une seule tribu. Goll s'exprimait avec autant d'aisance dans chacune de ses deux langues, comme le prouve la version allemande des textes qu'en 1923 il a rassemblés en français dans un des ses meilleurs ouvrages, Le NouvelOrphée. Sa poétique n'était déjà plus celle de ses pièces pacifistes. Des poèmes comme Paris brûle ou comme Astral, publié en allemand en 1920, puis en français trois ans plus tard, ne rappellent en rien Whitman ou Verhaeren, mais se rapprochent de L'Inflation sentimentale de Mac Orlan, du Voyage en autobus de Marcel sauvage et des Lampes à arc de M. Paul Morand, non seulement par leur modernisme et leur cosmopolitisme, mais aussi par leur écriture précipitée, télégraphique même, et la disparate de leurs images, lesquelles, au demeurant, reflètent beaucoup mieux que ne l'eut fait un texte discursif les ravages et les bouleversements causés dans le monde et dans les esprits de quatre années d'une guerre atroce :
Attention, Premier round !
L'Europe et le nègre Zeus se serrent la main
Caleçon tricolore
La poitrine humaine cintre un acier rose
Les appareils Morse ont tous la fièvre
Quatre poings façonnent l'honneur du monde
U.S.A. toutes les montres sont arrêtées
Les usines de munitions ont congé
Les paquebots stoppent en plein Atlantique
La statue de la Liberté sourit
alors une guerre éclate
des squelettes battent du tambour
le prix du sucre monte
enterrements gratuits
des héros laurés de bandages
entassés dans des wagons à bestiaux
portent leur coeur séché
entre deux feuilles de papier timbré
Le rapide Rome-Stockholm
est exclusivement composé de voitures-cercueils
A cet instant
devant une table de café
un GENIE découvre
l'amour des hommes.
Cette citation, extraite de Paris brûle, en ignorerait-on la provenance, il ne serait pas difficile de la dater exactement, d'y reconnaître le souvenir des fourgons où avaient dû se presser les hommes envoyés à l'abattoir, le rappel des fructueuses affaires conclues après l'armistice par d'habiles spéculateurs, et les échos du tumulte organisé autour de certains matches de boxe disputés à Madison Square.
Je ne puis m'arrêter ici à tout ce que contiennent les deux volume où viennent d'être réunis la plupart des poèmes d'Yvan Goll. Je le regrette, car il n'est aucun de ces poèmes qui, d'une manière ou d'une autre, ne témoigne de la sensibilité de leur auteur. Les vers que dès 1934 Goll consacra à un imaginaire Jean sans Terre toujours en mouvement, sont d'un visionnaire que la seconde guerre mondiale n'aura pas surpris. Les amateurs de chansons populaires, les collectionneurs d'épinaleries ne sauraient s'y tromper : Jean sans Terre, c'est Isaac Laquedem, le Juif errant de la complainte. C'est aussi Yvan Goll lui-même qui, Juif, Alsacien et pacifiste, pressentait qu'il lui faudrait cherchez bientôt refuge hors de notre continent. Je ne soutiendrais pas que cette perspective lui ait été agréable, mais je ne crois pas qu'il s'en soit affligé outre mesure. Il se savait égal à son destin, comme eut dit Apollinaire. Atteint de leucémie, il a voulu rentrer en France pour y mourir. Il commence d'y survivre.