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Claire & Yvan GOLL

Claire & Yvan GOLL
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8 août 2010

correspondance 1940 jusqu'au décès de Claire

 1940

 

Note Ivan Goll à Claire New York, MST p.258 en anglais

[New York 1940]

Darling

Three times in the week. I take english lesssons, in tha advenced

class, evenings from six to eight. My teacher has the most diting-

vished pronouciation that I know. But I feel my tongue very fro-

zen . Now I must go to school

 Good bye

I attend evening school three times a week

 

(sur l'autre face) !

 

1 The halloween strkes me funny

2 The bad weather strke me odd

3 The steel-workers are going on strike

4 I strike a match for my cigar

5 The mother strikes the girl

6 To strke a bargain = to buy smething cheap

Note Ivan Goll à Claire New York, MST p.258

 10h30

 [New York]

Chérie

Je vais à la banque.

Si Roditi téléphone, écoute d'abord ce qu'il dit, puis, s'il veut venir, dis  que j'ai attendu son appel, et que maintenant je suis en ville - déjeuner impossible.

N'invite pas Goffin pour demain mais pour un autre jour avec l'éditeur.

Téléphone à Wittenberg

 Toujours

 I.

Note Ivan Goll à Claire New York, MST p.259 en français

 10h45

 [New York]

Chérie,

Il fait si beau.

Je vais au Prospect Park et chercher du pain. Mais ne touche pas à ma chambre. Je la ferai moi-même. Ne te fatigue pas

 I.

 

Note Ivan Goll à Claire New York, MST p.259

 Lundi 2h15 [New York 1940]

 Chère petite enfant,

 Je viens maintenant de sortir, parce que entre midi et 2, il n’y avait plus rien à faire.

 

Note Ivan Goll à Claire New York, MST p.259/260

 15 janvier, 2 h ½ [New York]

Chérie;

Tu me croiras que je n'ai quitté la maison qu'à cette heure, en trouvant sur ton bureau L'ELEGIE POUR JAMES JOYCE que je viens d'écrire. Car l'article me déplaisait.

Mais Margaret Marshall me dit au téléphone qu'elle l'a'ttendait. Alors j'ai préféré écrire un poème. S'il est bon - tant mieux. Sinon, rien de perdu non plus. poète, je reste à la disposition du boss.

Tu trouveras encore une autre surprise : une charmante lettre d'Irma Tchou.

J'ai téléphoné à Pinthus qui m'a confirmé qu'il existe un roman, mauvais d'ailleurs sur l'Inconnue. D'un certain Muschler. Je cours à la Library.

Auparavant je vais à la Banque. Et chez Marshall.

Si j'ai le temps, il faudra que je passe à l'exposition de ce pauvre Mané-Katz , qui m'en a prié.

 Je t'embrasse

 I.

Note Ivan Goll à Claire New York, MST p.260

 [New-York]

Chérie,

 

Si tu me l'avais dit plus tôt, je n'aurais pas eu à me fatiguer à rentrer et repartir, pour aller voir Agna Enters, comme tu savais ( 8 blocks et six escaliers )

J'ai fait du café frais

 Amour Yvan

 

( au dos de la feuille )

 

Bach Duo

Ta voix, Aimée, et ma voix

Un concerto brandebourgeois (N° 5)

Ma voix, Aimée, et la tienne

Ma flûte d'ébène, ta violine orchidéenne

Un papillon se cherche au-dessus des avoines

Nouant des faveurs autour des pivoines

Et leur rire rouge de somnambules

Moi bleu si bleu de libellules

Toi titubant de silence corail

Et sur une note l'alouette travaille

Monte à la corde de la joie

Ton coeur bat dans mon coeur

Mon oeil gauche dans ton droit

Ah ! mon sein rose en mi mineur !

 

Ivan Goll New-York à Paula Ludwig Paris 7 février 1940 ImsL p.537

 

 Ma chère Paula

 

Grande surprise pour moi d'apprendre que tu n'étais plus à St.Malo. Alors que c'est dans cette ville que je t'ai envoyé toutes mes lettres de Noël, de Nouvel-An et de 5 janvier. Je me demande avec inquiétude maintenant si tu as reçu ces envois qui comprenaient parfois des billets de dollar. Et je serais triste si tu étais restée sans nouvelles à toutes ces dates mémorables.

Mais grande joie pour moi aussi d'apprendre que tu habites de nouveau dans ta petite chambre, près du poirier, du merle et du jardin du Luxembourg qui est beau et grand par toutes les saisons. 

Tu es devenue une sage, et dans les profondeurs du malheur tu sais toujours trouver une étincelle de bonheur, comme une étoile dans la nuit. Quel plaisir pour moi de correspondre maintenant avec toi dans cette langue : ta lettre-enfant m'a fait rire aux larmes, elle était touchante.

Je savais que Friedel deviendrait un grand artiste, et rien ne pourra l'en empêcher. Dans la plus petite chambre, il trouvera à s'exprimer. Et qu'il suive les traces de Van Gogh, voilà une révélation. 

Je joins à cette lettre un de mes nouveaux poèmes qui te montrera que je reste le même partout, sur tous les continents, malgré toutes les tempêtes.

Je joins aussi 1 dollar comme d'habitude

et tous mes baisers 

 Ivan

(SDdV)

 

Ivan Goll New-York à Paula Ludwig Paris 13 mars 1940 ImsL p.538/539

 

 Ma chère Paula

 

Depuis ta première lettre écrite en français, qui était si drôle et si touchante, je n'ai rien reçu de toi et je vais trois fois par semaine chez Cook. Cela ne me semble pas naturel. Toutefois j'espère que cela n'est imputable qu'à des difficultés de transmission : et que tu es toujours en bonne santé et en aussi bonne disposition d'esprit qu'à ton retour de Saint-Malo.

Je ne sais toujours pas si tu as reçu les différentes lettres que j'avais envoyées avant le 1 janvier à St Malo, et je serais bien triste si elle(s) étaient perdues.

Voici le 3. printemps que tu passes en France, et les arbres du Luxembourg doivent déjà avoir des bourgeons, et à leurs pieds, dans le gazon, les crocus qui te rappellent les pentes d'Ehrwald.

D'ailleurs voici de nouveau un printemps noir, et la date du 13 mars est fatale. Il y a 2 ans, les Viennois pleuraient, comme aujourd'hui les Finnois. Les peuples sombrent dans le néant. Et il y a 5 ans exactement, te rappelles-tu ma prédiction, le même jour : « Si aujourd'hui ils n'agissent pas, toute l'Europe va à la ruine. »

Aujourd'hui à New-York comme ailleurs, les gens pleurent.

Comme tu vois, l'océan n'est pas si grand, et le battement des coeurs est resté le même. J'ai de nouveau l'impression d'un profond déchirement dans ma chair.

Rien n'a changé en moi. Partout Jean sans Terre me poursuit. Partout aussi j'emporte ton image. Et je sais que ton visage a conservé sa grandeur, rehaussée encore par tous les malheurs de cet hiver.

Que devient Friedel ? Peut-il continuer à peindre ? Quel dommage si le génie qui sommeille en lui, devait être étouffé !

Je n'ai malheureusement plus eu de nouvelles non plus de Nina, ce qui m'étonne beaucoup ? En principe, je crois que tu pourrais partir : mais obtiendra-t-elle les visas pour vous deux ?

Dans sa lettre, elle semblait assez confiante.

A pâques je cueillerai une anémone pour toi. Mais aujourd'hui nous avons encore de la neige et de la glace, dans les jardins comme dans les coeurs

Je t'embrasse bien fort

 Ivan

(sur le bord gauche)

Je t'envoie aujourd'hui 200 Frs par envoi postal

 

29 Mars 1940 double dactylographié de la lettre de Goll à sa mère

 29 mars 1940

 

 Ma chère Rifka,

 

 Mon anniversaire a très bien commencé ce matin : puisque 3 lettres de toi sont arrivées, juste à point, celle du 23 février et du 4 mars, ainsi que la lettre par avion du 12 mars. Toutes trois m'apportent des vœux qui, je le sais et je le sens, viennent du cœur et me comblent de joie, mais par dessus tout elles m'apportent l'assurance que tu es en bonne santé et que ta jambe est si bien rétablie que pour un peu, tu vas te remettre à trotter comme autrefois. Au fait, c'est bien ce que la radiographie m'avait suggéré : ton fémur n'était pas complètement brisé mais fêlé à plusieurs endroits, et la chose capitale, c'est que les os ne s'étaient pas déplacés ? Ainsi tout a pu se remettre plus facilement. Certes, je ne doute pas qu'il faut que tu continues à faire attention.

 Tu me dis que tu habites "dans un jardin" : dois-je comprendre que tu habites le rez-de-chaussée ? Ce serait merveilleux. Mais même s'il n'en était pas ainsi, nous sommes heureux, Claire et moi que tu puisses enfin comprendre ce que c'est de jouir de la nature, de regarder pousser petit à petit les herbes et les fleurs. Tu découvres soudainement ton amour pour la création de Dieu et pour l'essence de la poésie ? Cela aussi est fait pour me ravir. D'ailleurs, je me rappelle, avec quelle sollicitude tu soignais tes géraniums, sur la fenêtre de ta cuisine.

 Et maintenant, le 30 avril, cela va être ton tour : ton anniversaire pour un cycle Claire te l'a déjà annoncé sur une carte, nous avons envoyé le renard que nous avons acheté à bon compte, en automne dernier. J'espère qu'il arrivera à bon port. J'ai signalé sur un formulaire pour la douane que c'est une fourrure déjà porté, usagée. Tu n'auras qu'à dire la même chose. Elle vient de Claire. J'espère que tu n'auras pas d'ennuis.

 Et puis voici une autre grande nouvelle. Les lois d'Amérique ne permettent aux visiteurs comme nous qu'un séjour maximum de 6 mois. Mais comme il est impossible de retourner au pays en ce moment, il nous faut sortir des frontières, aller dans un pays voisin, ne serait-ce que pour quelques jours, puis ensuite nous pourrons de nouveau revenir pour un nouveau bail. Nous sommes donc forcés de faire ce que font des milliers d'autres, nous allons faire un petit tour à Cuba, l'ile la plus rapprochée et nous y resterons le temps qu'il faudra, et puis nous reviendrons ici.

Nous laisserons d'ailleurs la plupart de nos affaires à New York, chez des amis, où nous comptons revenir, avec tout une moisson d'impressions qui nous permettront d'écrire des articles qu'on nous demande. Notre séjour à Cuba dépendra du travail que nous pourrons y fournir. Là, comme ici, d'ailleurs, on est très friand de littérature française, et nous pourrons sans doute y faire quelques conférences.

 Pour nos relations, il n'y aura rien de changé. Cuba n'est pas plus éloignée de la France que New York - des avions transportent tous les jours le courrier d'un pays à l'autre. Tu peux continuer à nous écrire à notre adresse de New York, notre courrier nous suivra, ou bien, mieux encore, m'écrire directement à l'adresse suivante :

 

Monsieur Ivan Lang, American Express Co.

La Havane (Cuba)

 Et puis, en attendant, qui sait, les choses auront changé dans le monde, et nous pourrons peut-être songer à un avenir plus calme. Ton petit jardin français nous attire beaucoup.

. Nous étions invités hier soir à une soirée de poètes, où il y avait beaucoup de noms réputés en Amérique. A minuit tapant, tous se sont mis à chanter en cœur : "Joyeux anniversaire ! Joyeux anniversaire !" Je ne sais pas qui les avait prévenus. C'était très touchant.

 Bientôt paraîtront mes poèmes traduits en anglais.

 J'ai été satisfait d'apprendre que tu as fait un petit cadeau à Francine. Mais n'en reste pas là. Il faut continuer dans cette voie. Ne va jamais chez eux les mains vides. Apporte-leur tantôt des bonbons, tantôt un gâteau, tantôt des fleurs. Pour cuire ta soupe, il faut du feu. Pour entretenir l'amitié, il faut susciter l'intérêt des autres par de petits présents. C'est humain. On n'a rien pour rien, ici-bas. Que ton argent te serve au moins à avoir des jours agréable. Ne crains pas d'en dépenser plus. Je te le répète, tu en auras toujours assez.

 

Reçois de Claire et de moi nos plus affectueux baisers

 

 

Le 3 avril 1940, Yvan et Claire Goll quittaient New York pour Cuba, vivaient à La Havane avant de revenir à New York le 21 mai 1940 où ils habiteront jusqu'en mai 1947 au 136, Columbia Heights dans Brooklyn, New York

 

8 avril 1940 lettre de C B à Goll

 

 UNIVERSITY  OF CALIFORNIA

  DEPARTMENT OF FRENCH

  BERKELEY

 

 

 

 Cher Monsieur,

 

 

à recopier

 

Ivan Goll La Havane à Paula Ludwig Paris 25 avril 1940 ImsL p.540/541

 

Chère Paula

Je suis maintenant à Cuba

 

PS. Je m'aperçois maintenant que j'aurais du t'écrire en français. Tant pis.

Salue Friedel et donne-moi de ses nouvelles.

De Nina aussi je n'ai plus rien entendu

 

à traduire

 

28 avril 1940 Ivan Goll La Havane à Paula Ludwig Paris ImsL p.541 à 543

 

Ma chère Paula

Tu seras sans doute très étonnée d'apprendre que je me trouve maintenant à Cuba. J'ai été obligé de m'y rendre par la loi américaine. Je n'avais qu'un permis de 6 mois pour résider aux Etats-Unis. Ensuite, j'ai du sortir, pour pouvoir y rentrer de nouveau et pour immigrer réellement. Ainsi dans cinq ans, je pourrai devenir citoyen américain.

Voilà comment les hasards de l'histoire ont conduit Jean sans Terre sur cette île qui pourrait être le paradis si les hommes avaient un peu de bon sens. Mais ils sont stupides partout. Ici la nature est abondante et généreuse et pourrait facilement nourrir tout le peuple. Mais il y a des injustices grotesques

Je n'ai jamais vu autant de misère qu'à la Havane : autant de mendiants, de nègres presque nus, obligés à mendier.

Pourtant, toute l'année, la terre produit des fruits miraculeux, étranges, magnifiques. On a 3 bananes pour 1 sou. Il y a le marney, un fruit rouge comme de la viande et aussi nourrissant. Il y a le guanaba, comme de l'ice-cream. Le caïmito comme une crème à la vanille. Sans parler du mango, plus connu. La vie ici-bas pourrait être si belle, si les hommes pacifiques avaient su imposer la paix.

Mais dans ce rêve bercé par les vagues bleues de l'Océan, où, en avril, nous avons 30 ° de chaleur et tout le monde se promène en blanc — sous le bruit frais des palmiers et des bananiers qui montrent leurs membres érotiques de proportions immense — les petits nègres passent et crient les titres des journaux, les malheurs quotidiens de l'Europe, le martyre des peuples hypnotisés, le démembrement de la Scandinavie, prélude à tant d'autres catastrophes.

J'aimerais m'enfoncer dans le soleil et dans le sable.

Mais les soucis me tracassent. Sans nouvelles de toi et de Friedel depuis des mois, je ne sais ce que vous êtes devenus

 Je suppose cependant que tu continues à vivre dans cette petite chambre, philosophiquement, avec ton merle et ton poirier. L'hiver aura été dur. Puis le printemps est venu. Et je lis dans les journaux que Paris est plus doux, plus paisible que jamais, que les gens donnent des bals, et que les tulipes au Luxembourg, ainsi que les "éléphants blancs" des carrousels, ont leurs anciens attraits.

C'est très bien, tout cela.

Je souhaite que tes amis aient assez de temps pour venir te voir, et que toi, tu aies assez de temps et de santé pour écrire les poésies de sagesse et de maturité, qui devraient un jour échoir dans ton cœur si douloureux.

Je n'ai pas de nouvelles de Nina. Mais ma dernière lettre s'est sans doute perdue; et elle ne m'a jamais répondu. Je resterai ici encore un mois, puis je retournerai en Amérique du Nord. A mi-chemin du Brésil: il ne m'est pas possible d'y accéder !

Je t'embrasse

 Ivan

Adresse :

Hotel Plaza

La Havane

(Cuba)

 

 

12 mai 1940 double de la lettre de Goll à Sazia (épouse de Jean Booss)

SDdV

 

22 mai 1940, lettre manuscrite d'Ivan à sa mère

 22 mai 1940

 

  Ma chère Rifka,

 

 Je suis rentré à New York hier, à mon ancienne adresse.

La situation en Europe a vite tourné au tragique, et toute l'Amérique suit avec angoisse le dénouement de ce drame.

Que se sera-t-il encore passé quand tu recevras cette lettre ? Aujourd'hui, c'était la chute d'Arras...

Dans ces circonstances nous avons jugé qu'il valait mieux quitter La Havane et revenir à notre port d'attache. Nous avons obtenu tout ce que nous voulions à Cuba, et maintenant nous sommes immigrés régulièrement aux Etats-Unis, et nous pourrons un jour devenir citoyens américains.

 D'ailleurs, nous avons passé là-bas des semaines éblouissantes dans un pays paradisiaque, fêtés par des douzaines d'amis, encensés par de nombreux articles de journaux!

 Le 9 mai au soir, le "Cercle des Amis de la Culture Française" nous avait consacré une soirée où Claire et moi, nous avons lu des poèmes et des morceaux de prose, après qu'un orateur eût tracé un panorama de l'ensemble de notre production littéraire.

 Je t'écris cette lettre par avion, afin que tu la reçoives plus vite : et je t'envoie par lettre régulière une photo de moi, prise à La Havane, ainsi que quelques extraits d'articles sur nous.

 J'avais bien reçu à La Havane aussi, tes deux lettres du 8 et du 21 avril qui étaient pénétrées de calme et d'espoir. Tu me parlais de ton jardin, de tes petites promenades et de tes soucis avec les maisons.

 Mais depuis, que de catastrophes - et comme les soucis ont pris un aspect plus tragique !

 Je souhaite que ces lignes te parviennent et te trouves en bonne santé. Au moins, dans ton petit coin tu sembles en sûreté et une vieille dame comme toi n'a pas grand chose à craindre d'événements qui la dépassent..

 Nous ici essayons de nous organiser dans l'attente d'on ne sait quoi, et nous sommes heureux d'être en bonne santé et de pouvoir t'envoyer nos baisers comme toujours

 Mig

 

Paula Ludwig s'enfuit de Paris vers Bordeaux début juin devant l'avance des troupes de Hitler. Elle resta deux semaines dans le camp d'internement de Gurs à partir du 21 juin 1940 et quand les troupes hitlériennes entrèrent en zone occupée, elle partit en voiture pour Marseille où elle séjournera plusieurs mois dans un espace pour réfugiés 32, rue de Hesse

 

Yvan à sa mère 8 juillet 1940

 

  Ma chère Rifka,

 

 Avant-hier, j'ai reçu ta lettre du 31 mai et malgré son ancienneté, elle m'a fait plaisir en me rassurant sur ta santé. J'espère qu'elle a continué de se maintenir depuis, et que tu acceptes avec sérénité les volontés du destin. Depuis plusieurs semaines, nous n'avons ici, en Amérique, aucune nouvelle directe de France, de sorte que je ne peux me faire aucune image de ton existence actuelle. Il m'est impossible d'imaginer quelle est ta situation, mais je pense que pour toi, personnellement, elle n'a pas beaucoup changé. Tu as pu être heureuse d'avoir un toit sur la tête, pendant que toute une population errait sur les routes de France. Mais maintenant ?

Nous nous somme réinstallés à New-York, mais à une autre adresse, que tu trouveras en tête de cette lettre. C'est un agréable petit appartement de deux pièces, donnant sur le port, avec une vue fort jolie, et un peu moins cher que le précédent. Nous avons renoué toutes nos anciennes relations, et attendons de pied ferme ce que l'avenir nous réserve. Personne au monde ne peut savoir, de quoi demain sera fait. Comment vont tes voisins, les Alphonse et les Gaby ? J'ai été heureux que la fourrure t'ait fait tant plaisir, et je t'envoie les meilleurs baisers de nous deux

 Mig

 

12 septembre 1940 carte de Goll à Mr et Mme Alphonse Lazard

chez M. Cahen, 26 Boul Lhotelier à Dinard, Ille et Vilaine, France

retour à l'envoyeur

 

Mes bien chers,

Je viens vous envoyer à l'occasion des fêtes les meilleurs voeux de Claire

et de moi-même, dans l'espoir que vous supportez en bonne santé et avec

confiance ces temps difficiles. Voyez(vous souvent ma chère Rebecca qui

est bien seule et à laquelle il faut pardonner bien des maladresses.

L'humanité est tellement à plaindre : il faut que les individus se pardonnent

leur condition humaine.

Bien des choses à vos enfants.

Sincèrement votre Mignon

 

SDdV 510311. I

 

The Nation 151-n°41 (hebdomadaire) : 28 Sept. 1940 :

Ivan Goll, Chanson de France Nous n'irons plus au bois ma belle

 

10 octobre 1940 carte de Goll à Madame Veuve D. Kahn

chez Madame Le Marinier, 24 Boul Lhotelier à Dinard,Ille et Vilaine, France

retour à l'envoyeur

 

10 Oct. 40

 

136 Columbia Heights

Brooklyn, New York

 

Ma chère Rifka

 

A la veille de la grande A 

que je célébrerai comme de coutume en pensant à toi et à tout mon passé,

je t'envoie mes meilleurs voeux de bonne santé. Demain ce sera le grand jeûne

pour nous tous en Amérique qui sommes de cœur avec vous.

 Je n'ai rien reçu de toi depuis le début du mois d'Août, mais je sais que

les correspondances sont devenues très rares. Claire se joint à moi pour t'envoyer nos plus affectueux baisers

  Mignon

SDdV 510311. I

 

28 octobre 1940, journal d'Ivan Goll

 Great Barrington

Le paysage de New England est, paraît-il un des plus

beaux de l'Amérique. L'après-midi nous allons

dans les environs,  il y a un ranch, et 

Louise peut enfin justifier son accoutrement

d'Amazone, qu'elle n'a pas quitté de toute la journée.

Elle fait une longue course dans les bois avec „Bergie"

qui est en extase devant elle.

 Nous faisons une petite promenade avec Kerillis

et sa belle-sœur qui est charmante comme femme et

comme mère. Elle a 3 fillettes, dont la plus jeune

de 3 ans est sourde et muette, et qui pourtant a

tant de grâce.

 

 Le sommet de Great Barrington est somptueux.

 

 Le lendemain matin, après un breakfest bien tassé,

nous repartons vers New York avec Bergmann en

plus, dont l'importance politique se révéla, non

seulement par ses  récits pendant le voyage 

nous retraversons ces paysages un peu thuringiens,

mais sans âme, puisque non encore modelés par

la main et la pioche de l'homme  mais par sa

suite au Savoy Plaza, où il nous conduit un instant,

en arrivant.

 

29 octobre 1940, journal d'Ivan Goll (Claire a 50 ans ce jour)

 mardi New York

 Anniversaire de Claire : Quelques roses rouges,

 les Cathédrales de Rodin, 2 robes. Je ne veux pas

 mentionner son âge, car elle se contente de cadeaux

 comme une enfant.

 Nous déjeûnons en ville : puis Claire va à l'Hôtel

St Moritz, où nous sommes invités chez Feuchtwanger.

 Moi, je vais à Gotham Book Mark 51 W 47, où

William Carlos Williams signe son livre "In the Money"

sous les auspices de son éditeur James Laughlin, et

„New Directions".

 Je vois Williams pour la première fois, et je le

remercie avec effusion pour ses 2 traductions de

Jean sans Terre qu'il a faites sans être sollicité.

Visage très net, très droit, œil inquisiteur du

médecin, voix chaude du poète.

 Il est réellement fêté comme un maître par

toute la jeunesse littéraire de New York.

 James Laughlin „ le plus grand le plus haut " de

tous, a de douces manières pour dire„merci,non"aux

solliciteurs.

 Je suis étonné de me trouver très à l'aise dans ce

milieu poétique  presque tout le monde me

connaît après la publication de seulement 2 poèmes

dans Partisan Review et The Nation.

 Des groupes se forment très naturellement :

le groupe surréaliste: Calas me présente à Ch.H. Ford,

Parker Tyler, Matta etc.

 Voici Harry Brown et S. Thomson qui hier m'ont

demandé de collaborer à leur nouvelle revue Vice New

 Voici le groupe franco-américain : Jolas, Duthuit,

M. Block l'éditeur de Living Age, et Julien Lévy.

 Voici Oscar Williams, Horace Gregory qui est

soit ivre soit à un degré dangereux de nervosité.

 Pierre Loving me présente à l'éditeur de Viking Press

 Voici les Allemands : Klaus Mann, J M Grup(?) qui,

est saoûl et fait un tapage typiquement bavarois.

SDdV

 

Ivan Goll New-York à Paula Ludwig Lisbonne 6 novembre 1940 ImsL p.544

 

correspondance à traduire

                                                          1941

 

 

15 février 1941 carte de Goll à Madame Veuve D. Kahn

chez Madame Le Marinier, 24 Boul Lhotelier à Dinard France

retour à l'envoyeur

15 février 1941

 

136 Columbia Heights

Brooklyn, New York

 

Quelques baisers

de Claire

 et

 

 Mignon

 

SDdV 510311. I

 

 1942

 

 

 1943

 Parution du numéro 1 d'Hémisphères

à recopier

 1944

  à recopier

 1945

  à recopier

 1946

  à recopier

 1947

à recopier

MAI 47 départ de Claire et d'Yvan de New-York

 

carte d'Yvan Goll  (Lyon) à Claire  (Hôtel Palais d’Orsay) du 1er octobre 1947

Mercredi midi

[ Lyon .1.X. 1947 ]

Ma chérie,

J'ai fait un excellent voyage. Allongé dans le train, puis dans la salle d'attente jusqu'à 8 heures après être arrivé à cinq heures. Ensuite 2 kilogrammes de raisin.

Puis fait de la bonne ouvrage

1) payé le déménageur et donné ordre d'envoyer tout à Paris

2) encaissé 2.000 francs pour la Glace

3) encaissé 2.000 francs pour un exemplaire de luxe du Mythe.

À midi découvert qu'on peut monter en funiculaire à Fourvières où se trouve la Basilique ci-contre. Magnifique vue sur Lyon, prise entre Rhône et Saône. Roupillé une demi-heure sur un banc, sous les arbres.

Vais me rendre chez le notaire à deux heures. Pense beaucoup à toi et t'embrasse

Yvan

 

Lettre d'Yvan Goll à Marie-Anne (?) du 25 décembre 1947   Jour de Noël

Paris  Ma chère Marie-Anne,

 Hier soir j'ai été avec Claire à la messe de minuit à l'église Saint-Etienne du Mont, sur la montagne Sainte-Geneviève, près du Panthéon.

 Quel magnifique embrasement de l'âme!

Ah pierres vénérées de ces vieilles églises de Paris, chacune saturée et nourrie des regards et des larmes du peuple au coeur brûlant et à l'esprit qui déploie ses grandes ailes dans les vents qui agitent le Continent.

 Pendant mes sept années d'exil en Amérique j'ai si souvent espéré cette soirée, je me suis rappelé les mouvements gracieux des ruelles qui montent vers cette colline spirituelle ; j'ai essayé de me remémorer les boutiques d'humbles marchands d'estampes ou de vieux livres, qui sont aussi des penseurs et jamais tout à fait présents, l'oeil tourné vers les antiquités lumineuses, et si peu enclins à vendre quoi que ce soit!

 Paris, cher Paris, cité des rêveurs et des penseurs, cité des cordonniers-poètes et des concierges cartésiens qui vous récitent du Péguy quand vous entrez dans leur loge.

 Je suis heureux d'être revenu dans tes quartiers familiers et sur tes quais près desquels coule la Seine aux eaux noires et éternellement incomprises par l'homme qui passe sur le pont et se dirige vers le Palais de Justice --

quelle justice, sinon celle de Dieu...  

St.D.d.V.

 

Une abondante correspondance entre Claire et les GLEIZES, allant de 1947 à 1954 est conservée par la Fondation Albert GLEIZES (dépôt au Musée national d’art moderne de Paris). D’autres courriers d’après-guerre sont à la médiathèque Victor-Hugo.

 

Le 22 octobre 1950, Claire déclare son intention de rédiger un article sur le peintre. Une photo montre Claire avec Gleizes au Musée national d’art moderne de Paris

(1952, VIII A 24

 

 1948

 

lettre de Rifka Préville à Yvan 23 février 1948

  Préville le 23 février 1948

  Mon cher Mig,

lettre de Rifka Préville à Yvan 27 février 1948

  Préville le 27 février 1948

  Mon cher Mig,

 

  à recopier

lettre d'Yvan Paris 30 mars 1948 à Alfred Döblin

  à recopier

lettre de Rifka Préville à Yvan 7 avril 1948

  Préville le 7 avril 1948

  Mon bien cher Mig,

  à recopier

 

lettre de Rifka Préville à Yvan 12 juillet 1948

  Préville 12 - 7 - 1948

  Mon cher Mig,

J'ai bien reçu ta lettre du 8, mais avec un jour de retard dû sans doute à la grève que veulent faire les postiers. Je suis surprise que tu ne me donnes aucune nouvelle de ta santé, chose qui m'intéresse plus que tout autre nouvelle. Dois-je en augurer que ton état est stationnaire, ou, ne voulant pas m'alarmer, tu fais silence. Je veux croire que tu ne tarderas pas à satisfaire mon désir: savoir comment tu te portes. Je te remercie des journaux que tu m'annonces (ils ne sont pas encore arrivés) ils m'intéressent toujours beaucoup; les journées sont longues, jusqu'à 9h½ le soir, ils m'aident à passer les soirées et m'instruisent sur bien des points. J'y ai trouvé une rubrique sur les fonds Mexicains et Bulgares, mais je crois sage d'attendre ton retour ici pour vider ces questions, craignant d'être flouée : ayant affaire à une femme, l'employé suppose que je ne suis pas compétente dans la question.

J'ai deux nouvelles à t'annoncer ; la première, j'ai reçu la facture de Ungerer 6000 ƒ, je l'attendais, mais vu la fermeture des Banques, je me vois obligée d'attendre la réouverture qui, j'espère ne tardera pas (je suppose fin de la semaine) j'ai l'intention d'aller en personne le remercier de ses bons offices.

La seconde : j'ai eu la visite de Berthe qui est ici pour quelques jours si le temps le permet, elle a été très aimable, m'a demandé de vos nouvelles et a regretté de ne pas vous avoir reçus le jour de votre visite : elle était sur le point de s'absenter.

Ici, nous déplorons de passer un mois de juillet aussi mauvais, il pleut tous les jours, et avec cela il fait froid, la végétation en souffre beaucoup, rien ne peut mûrir et cette année, il n'y a pas de fruits; le blé même ne mûrit pas. On dit des prières dans toutes les églises, car on craint des inondations, les fleuves grossissent ; voilà le bilan d'une saison qui devrait être la plus chaude; J'espère cependant que vous ne tarderez pas de venir au pays et que tu me donneras des nouvelles de ta santé que tu ? . Dans ta dernière, précédemment, tu m'avais annoncé qu'une nouvelle analyse de sang était favorable. Je m'en étais réjouie : est-ce un leurre [?] Recevez, Claire et toi mes bien affectueux baisers

 R.

 

Claire, en gare de Dijon à Yvan, 11 août 1948

 Dijon - Gare

 11. 8. 48

Chéri,

 Voilà le seul bout de papier que j'ai pu trouver. Mais "verte" est l'espérance.

 La plus grande sensation du voyage a été la fuite d'un lièvre à travers champs. Lièvre, lièvre, il n'y avait rien de plus important, en ce monde pour lui. Et sur les pages blanches effeuillées de son derrière, je lisais tout le roman des lièvres.

 Je pense à toi et à tes beaux yeux sérieux. Pourvu seulement que tu te reposes bien, que tu manges et recommence à te reposer.

 Enferme-toi bien, afin qu'on ne me vole pas mon précieux joueur d'orgue. J'espère qu'il fait beaucoup de poèmes sur son orgue invisible.

 Il y a un an, nous étions tous deux ici, en route vers Lyon. Aujourd'hui, je suis seule.

 En tout amour, ta Zou

 

Yvan à Claire à Challes-les-Eaux, 12 août 1948

 Jeudi 12 août 48 

Claire Chérie

 Chère Clairie et Clairière,

  Je t'ai vue partir hier de bonne heure, toute seule vers ce grand monde qui pour toi deviendra toujours plus grand et plus incompréhensible plus tu avanceras dans la vie - contrairement aux autres petites personnes.

 Moi je suis entré dans cet appartement plus vide que jamais et que la présence de ma mère et la confection d'une carpe à la Yid n'a pas rendu plus joyeux pendant la journée.

Aujourd'hui, pluie continuelle et un froid sensible qui me fait penser que tu dois être bien malheureuse et grelottante dans ton trou de montagne, tout en maudissant celui qui t'y a expédiée. Oseras-tu commencer ton traitement par cette température ? Pourvu que tu n'attrapes pas une bronchite là où tu cherchais une guérison. J'espère du moins que tu t'enveloppes dans toutes les laines que tu as emportées.

 Ce matin, triste courrier à part ton billet vert de Dijon, tout traversé du lierre de l'espoir. Germaine demande péremptoirement quelques éclaircissements que je lui enverrai tapés à la machine en contrefaisant ta signature.

 Voici quelques coupures de journaux

 et toute la tendresse de

 Boubou

 

Claire, Challes-les-Eaux, à Yvan 12 août 1948

  Challes-les-Eaux,

  Jeudi 12 août 48

 

Mon chéri,

 Quelle tempête, ce matin ! Eclairs, tonnerre, une fugue de Bach. Et dans la vallée, sous ma fenêtre, un paysage de Filippo Lippi.. Ce jeu des lumières et des ombres, car le plus gris des murs de brouillard laisse passer tout de même, par instants, un rayon de soleil, éclairant ici une pente de montagne, là un vignoble.Et l'architecture des nuages au-dessus des sommets neigeux, déchirés, fantastiquement baroque. ! Les paysages d'en-haut, encore plus grandioses que ceux d'en-bas !

  Puis, je suis descendue à l'Etablissement, par-dessus les flaques d'eau (faites pour des pieds de géants). Tous les employés d'autrefois sont encore là, et l'on m'a donc reçue avec une vieille amitié aux services des gargarismes et des pulvérisations.

 René était venu me chercher hier, mais comme il n'a plus d'auto, j'ai tout de même dû prendre un taxi. Rochefrette, philosophe comme toujours et très désespéré au sujet de la France. Ah ! je crois presque qu'il a raison. Surtout quand on est assis ici dans la salle à manger, où tout se passe silencieusement, prudemment, sans vie. Mais la nourriture est remarquable. Avant-hier, Jouvet et Jeanson étaient encore là. Seul, le café du matin est imbuvable. Je me suis fait du Nescafé et j'ai béni la prescience qui m'a fait emporter le réchaud électrique. Comme on ne nous donne pas de sucre et que je n'en ai qu'une livre, je te prie de m'en envoyer une autre livre par retour du courrier ; pas le sucre en poudre brun, mais, (si tu le trouves) Domino Cane sugar Dots, une petite boîte jaune : soit dans l'armoire de la cuisine, soit dans le carton, dans ton placard, en haut sur le rayon de gauche.

 Si seulement tu étais ici ! En ce moment, à trois heures de l'après-midi, le ciel s'éclaircit. Rayon de soleil. Je peux cesser de chauffer. Le temps va se réchauffer. Cet air serait magnifique pour toi. Et on n'aurait pas à faire la cuisine, pour une fois. Toujours, je te vois en mouvement, esprit inquiet.

 Travailles-tu ? Il y a ici tant d'oiseaux qui appellent un poète. Et, cette nuit, le petit hibou a gémi avec moi sur l'absence de l'unique.

 Je te tiens longuement et tendrement dans mes bras.

 Ta Zouzou

 

Claire, Challes-les-Eaux, à Yvan 13 août 1948 MST p.276/277

  Challes-les-Eaux,

  Vendredi 13 août 48 

Chéri,

 

 Vendredi 13

  à recopier

 

lettre d'Ivan Goll Metz à Claire Challes-les-Eaux 14 août 1948 MST p.278/279

lettre d'Ivan Goll Metz à Claire Challes-les-Eaux 16 août 1948 MST p.279/280/281

lettre Claire Challes-les-Eaux à Ivan Goll Metz 17 août 1948 MST p.281/282

lettre Claire Challes-les-Eaux à Ivan Goll Metz 19 août 1948 MST p.282/283/284

lettre d'Ivan Goll Metz à Claire Challes-les-Eaux 20 août 1948 MST p.284/285

lettre d'Ivan Goll Metz à Claire Challes-les-Eaux 23 août 1948 MST p.285/286

Metz, Lundi 23 août 1948

 11h. du matin

à recopier

 

Carte de Claire Plateau d’Assy à Ivan Goll Metz 23 août 1948 MST p.286

à recopier

lettre d'Ivan Goll Paris à Claire Challes-les-Eaux 25 août 1948 MST p.287

 Paris 25 août 1948

 (Hôtel Palais d’Orsay]

 

à recopier

 

Je rentrerai vendredi à Metz

 

lettre Claire Challes-les-Eaux à Ivan Goll Metz 25 août 1948 MST p.287/288/289

 

 à recopier

lettre Claire Challes-les-Eaux à Ivan Goll Metz 26 août 1948 MST p.289/290

 à recopier

lettre d'Ivan Goll Metz à Claire Challes-les-Eaux 27 août 1948 MST p.290/291

Metz, Vendredi matin

27 août 48

 à recopier

 

Le Docteur Glaunés et sa Laborantine étaient en vacances. Mais mes forces globulaires semblent bien meilleures . je ne pense plus – et pour cause ! qu’à ma sciatique .

 

lettre d'Ivan Goll Metz à Claire Challes-les-Eaux 28 août 1948 MST p.292

Samedi matin

28 août 48

 anniversaire de Goethe

[Metz]

 à recopier

 

Carte de Claire Strasbourg à Ivan Goll Hôpital Civil Stras 21 sept 1948 MST p.295

 Mardi 3 h ½

 [21 Sept. 48]

 [Strasbourg-Gare]

Chéri,

Je suis en avance d’une heure

 

Je t’écris en anglais, parce qu’il y a des personnes assises sur la banquette avec moi et qui regardent au-dessus de mon épaule

 à recopier

 

lettre Claire Metz à Ivan Goll Strasbourg 22 sept. 1948 MST 295/296

 à recopier

lettre d’ Ivan Goll Strasbourg à Claire Metz  22 sept. 1948 MST 296/297

 à recopier

lettre d'Ivan Goll à Strasbourg à Claire Metz 19 octobre 1948

 à recopier

Télégramme Claire Metz à Ivan Goll Strasbourg 22 octobre 1948 MST 297

 [Metz,22.10.1948]

RENTRERAI CE SOIR TENDRESSES CLAIRE

 

lettre d'Ivan Goll à Strasbourg à Claire Metz 19 octobre 1948

 à recopier

lettre Claire Metz à Ivan Goll Strasbourg  21 octobre 1948 MST p.

 à recopier

lettre d'Ivan Goll à Strasbourg à Claire Metz 15 décembre 1948 MST p.297/298

 Strasbourg , Mercredi

.15. Décembre.1948

 

Ma Clairière,

Hier après ton départ, Mme Buchinger est venue et m'a apporté une saucisse et deux excellents petits gâteaux, dont j'ai donné l'éclair à la Sœur, conservant le paquet de Petits Beurres pour aujourd’hui. Elle est restée presque une heure et m'a parlé si humainement de sa famille, de ses enfants. Ils sont orthodoxes, ferment leur boutique le samedi, pour le célébrer comme dans les anciens temps, comme Bella Chagall l'a décrit…Et elle s’est excusée trois fois, de ne pas avoir obtenu de foie de veau de son mari.

recopier la suite

 

lettre Claire Metz à Ivan Goll Strasbourg  15 décembre 1948 MST p.298/299

 à recopier

lettre Claire Metz à Ivan Goll Strasbourg  16 décembre 1948 MST p.299/300

lettre d'Ivan Goll à Strasbourg à Claire Metz 17 décembre 1948 MST p.300/301

 Strasbourg , 17 Déc.48

 à recopier

Télégramme Ivan Goll Strasbourg à Claire Metz 20 décembre 1948 MST p.301

OSCAR  TE  CONSEILLE SOINS SERIEUX GRIPPE ACTUELLE DANGEREUX

RETARDE VOYAGE ATTENDRAI PATIEMMENT. YVAN

 

                                                          1949

 

 Yv   Yvan et Claire partent à Venise et en Suisse.. Ils seront de retour à Paris le 29 

                                                                                                                                                                                                                  

Jou  Journal d'Yvan Goll samedi 6.11.1949 :

Pau  Paull Celan, 31, rue des Ecoles, m'avait écrit une lettre de la part de Sperber; il nous lit des poèmes de «Der Sand aus den Urnen» d'une voix inspirée et Claire et moi, nous nous accordons de les trouver admirables, purs et savants, où les ombres de    Rilke et de Trakl s'effacent petit à petit devant son clair génie. "Todesfuge" notamment nous empoigne et nous émerveille.

Cel    Celan est à la fois timide et très orgueilleux. Il est convaincu, à bon droit de sa mission de poète. C'est le jeune juif de Cz    Czernowitz très raffiné.

Il a    Il avait apporté à Claire huit roses rouges, lui qui végète sans le sou dans le Quartier Latin. Nous l'avons retenu à un         s       souper léger.                                                                                                                                                               

B         Barbara Wiedemann, Paul Celan - Die Goll-Affäre. Frankfurt am Main, 2000, page 17.

 

Sur l'agenda de Claire :

9/12 : Paul

 

Goll entre à l'Hôpital Américain de Neuilly le 13 décembre

 

Journal d'Yvan Goll au 14.12.1949

à 9h arrive Claire avec Paul Celan et Klaus Demus qui veulent m'offrir leur sang pour la première transfusion.

Seul, le sang de Klaus est jugé compatible avec le mien : n° 4.

Les essais se poursuivent toute la matinée. Vers midi, Claire est obligée d'aller en taxi à Saint-Antoine pour chercher une bouteille et des seringues qui manquent.

Vers 2h commence la transfusion et dure jusqu'à 4h½.

 

 27.12.1949, Journal d'Yvan Goll :

 Longue visite de P. C.

 

                                                           1950

 

 3.1.1950, Journal d'Yvan Goll :

 Visite de trois heures de P. C. : m'apporte un poème fait de l'après-midi

 6.1.1950, Journal d'Yvan Goll :

  P. C. avec Klaus Demus

 28.1.1950, Journal d'Yvan Goll :

  P. C. qui m'apporte un poème avec Klaus Demus

 

- 10 janvier : pour protester contre la présence de Formose au Conseil de sécurité, l'URSS pratique la politique de la chaise vide et le 12, rétablit la peine de mort en Union soviétique..

- 23 janvier : le Parlement israélien déclare Jérusalem capitale de l'état d'Israel.

 

Alain, Berlin à Yvan 29 janvier 1950

 

Alain Bosquet

High Commission for Germany

Office of Political Affairs

Protocol Division (Berlin Element)

APO 742 % U. S. Army

 

 Berlin , le 29 janvier 1950.

 

 Mon cher Yvan ,

 

 

  Dans ma lettre précédente , je te

priais de m' envoyer tes recueils en langue

allemande parus depuis... depuis la première

guerre mondiale. En effet, les plans de mon

éditeur Henssel se sont concrétisés , et il

croit pouvoir mettre à son programme un

choix de tes poèmes , jusqu' à Traumkraut.

  Les dernières nouvelles de ta santé

 m' avaient inquiété ; je forme les voeux les

plus sincères pour ton rétablissement prompt

et complet.

 Je compte aller passer un mois à New -

York , en avril prochain.

 Bien affectueusement à Claire et à

toi,

 Alain

 

Ms 615 Goll 510.324 - 162

 

- 7 février : Georges Bidault forme un nouveau ministère et le Roi des Belges, Léopold III, refuse d'abdiquer en faveur de son fils.

 

Yvan, Paris  à Bosquet, Berlin,  9 février 1950

 

 Paris , 9 février 1950

 

 Mon cher Alain ,[1]

 

    Tu n' imagines pas quelle joie m'avait faite

ta lettre du 16 Décembre(qu'est venue encore renforcer celle

reçue il y a une semaine environ). Et tu t' es demandé

pourquoi je ne répondais pas à un geste aussi amical , et

à ta proposition si tentante.

  C' est tout simplement parce que j' étais entré

à l'Hôpital Américain de Neuilly le 13 décembre et que j'y

suis encore ! Tu es déjà habitué aux tableaux de mes

numérations globulaires, eh bien voici le dernier , avant

mon entrée à l'Hôpital : 1 650.000 globules rouges,

75.000 blancs, 95 % lymphocytes alors qu' en été dernier,

j' avais encore : 2.800.000 rouges , 30.000 blancs ,

75 % lymphocytes.

Je crois que ces chiffres désastreux sont survenus après

une série de rayons X.

 Ultime remède : des transfusions de sang. Hier ,

j' ai reçu ma treizième , mais hélas sans grand résultat.

Le compte des globules rouges ne monte pas , et ma fatigue

devient de plus en plus insupportable.

  Est - ce mon voyage en Italie qui m' aurait trop

affaibli ? Je ne le regrette pourtant pas.

 Et si je ne t'ai pas répondu plus vite , c'est parce que

je me suis immédiatement mis au travail dans cet

hôpital si agréable et si élégant , qu' on se croirait dans

un Sana suisse , et auquel j' ai été admis grâce à ma

carte de membre de l' Associated Hospital Service of

New York , auquel j' ai payé régulièrement une petite

cotisation , depuis que j' étais employé à l' OWI [2].

 Venons - en à la Poésie ! J' accepte de tout coeur ton

offre généreuse, surtout parce qu'il me semble pour l'instant

que ce sera le dernier livre dont j'aurai choisi le sommaire

et surveillé la composition.

 Gardons le titre " Das Traumkraut ". Je voulais avec

cette lettre t'envoyer le texte complet,dont le livre se composera

 Je t'envoie assez de nouveaux poèmes, pour doubler ou tripler

le nombre de pages que tu as déjà ! Ça fera un ensemble

cohérent. Mais pour qu' il en soit ainsi , j' ai dû renoncer

 à extraire de vieilles choses dans mes livres antérieurs.

L' atmosphère y est si différente que je gâterais tout.

Je les abandonne aux géhennes.

 " Das Traumkraut " sera mon seul recueil de poèmes

allemands.

  Tu trouveras , dans le manuscrit ci - inclus , une

nouvelle série de poèmes appartenant à celle que tu

détiens déjà *. Puis quelques Odes de différentes époques

 écrites dans une forme horacienne très sévère et enfin !

quelques traductions de mes récents poèmes français, parus

dans l' Elégie d' Ihpétonga ( dont je me fais un plaisir

de t' envoyer un exemplaire)

 Cela suffira - t - il ? Sinon , on pourrait y ajouter

une version allemande de mes "Chansons Malaises",×

mais seulement im ausserten Notfall [3].

  C' est ce travail au " Traumkraut " qui a  maintenu

mon moral , pendant ces 8 semaines pénibles , que

seule , aussi , Claire , a éclairées de son doux rayonnement.

  Et maintenant , j' attends tes critiques , tes suggestions

 et t' envoie ma fraternelle affection 

 Yvan

 

 

× Une bonne partie desquelles parut déjà en 1932 dans la 

" Vossische Zeitung " , " Uhr " et autres revues.

 Le premier manuscrit que tu détiens , contient - il aussi

le poème de 3 pages " Hiob " que j'avais ajouté plus tard ?

Ms 615 Goll 510.324 - 163/164

 

Rappel des textes envoyés par Goll à Bosquet pour "Das Traumkraut" 

 

Rosentum  II/320

Bluthund   II/313

Geburt des Feuers    II/318

Die Sonnen-Kantate II/326

Der Regenpalast  I/341

Tochter der Tiefe II/348

Das Wüsten-Haupt II/347

Der Staubbaum II/344

In den Äckern des Campfers bist du daheim II/325

Der Salzsee II/344

Die Aschen-Hütte II/345

Die Angst-Tänzerin II/346

Schnee-Masken II/324

Süd II/324

Ode an den Zürichsee (1949) II/414

Lothringische Ode (1949) II/411

Rasiel's Gesang (en français dans Masques de Cendres) IV/377 

Gipskopf  (en français dans Masques de Cendres)  IV/383

Todeshund Chien de ma Mort (Masques de cendres 1949) IV/390

Hiob's Gesänge    (dans Lot 5, p.61)  II/322 et 437 avec variantes 

Stunden   (dans Lot 5, p.60)  II/317 avec variantes

Hospital [In den Äckern des …] (dans Lot 5, p.60)  II/325 sans variante

 

- 9 février 1950, Yvan Goll rédigeait un testament [4]

Sur l'agenda de Celan :

12 février : à recopier

13 février : à recopier

 Goll meurt le 27 février 1950 à Neuilly-sur-Seine.

 

Claire Goll à Paul Celan, 1er mars 1950

Mon cher Paul,

Le marchand de morts m'a dit que la loi exige la présence d'un parent au moment de la mise en bière.

Tu comprends que je préfère souffrir, que de laisser Yvan souillé du regard d'un de ses cousins.

Je te verrai donc ce soir vers 8h.

Merci pour tout et affectueusement

 Ta Claire

Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 155

 

Paul Celan à Claire 10 mars 1950

Chère Claire,

 Irmgard [ Burckhardt, femme peintre], que je voyais hier, m'a donné cette petite lettre ci-jointe, avec mission de te la faire parvenir. La voici donc.

J'ai envoyé tes photos à Bâle, le jour de ton départ mais j'ai oublié d'indiquer ton adresse de Metz, ce qui fait que tu ne seras avertie de la confirmation que lors de ton retour.

Traduire la suite

Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 155/156

à traduire

Claire Goll, Pfingsten à Paul Celan, Paris 28 mai 1950

Cher Paul,

Pfingsten, la belle fête était arrivée, seulement pas de Paul. Te revoir maintenant est aussi dur qu'une course d'obstacles. Je t'ai attendu encore samedi soir. Sans doute un nouveau malentendu. Est-ce que ce n'était pas cela qui était décidé ? Même si, pleine d'espoir, j'avais dit à Klaus qui partait à la dernière minute : « j'attends aussi Paul, s'il ne se décommande pas.»

J'espère que tu reçois ces lignes ? Toutes tes lettres ne sont pourtant pas détournées par la concierge, j'espère.

 Toujours en amitié

 Claire

Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 157

 

Claire a dédicacé à Paul Celan : Jean sans Terre, Choix de poèmes.

Pierre Seghers, Paris (20 juin)1950 Collection Cahiers bimensuels n°44 - 18 cm., 45p.

 Au poète Paul,

 la voix d'un autre poète et ami

 Claire

 

lettre de Claire Goll, à Paul Celan, Paris 26 juillet 1950

Mon cher Paul,

Je t'ai étourdiment donné un rendez-vous pour samedi. Je ne suis malheureusement pas libre et je déplore vivement de ne plus pouvoir te voir avant mon voyage à Metz. Tu serais très aimable si tu pouvais m'envoyer par la Poste les 2 poèmes ou les donner à la réception, [Palais d'Orsay] ainsi que le premier vers de chaque poème que je t'ai donné pour une traduction éventuelle, afin qu'il n'y ait pas d'erreur, puisque je dois bientôt donner le manuscrit, et je vais aussi le donner à Alain Bosquet afin qu'il en traduise quelques uns ou qu'il prête son concours.

Et à propos de "Elégie d'Ihpétonga", quel est ton choix ? Yvan était tellement confiant en ton assistance passionnée et il y a maintenant 4 mois que tout est en arrêt ou au ralenti. Je ne peux pas laisser son œuvre sans que quelqu'un s'en occupe en Allemagne. Je n'ai pas le droit d'en retarder la parution, il y tenait tant.

 Avec mon amitié toujours présente

 Claire

Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 158

 à recopier

 

lettre de Claire Goll Metz, à Paul Celan, Paris 8 août 1950

Mon cher Paul,

Voilà Metz dans toute sa beauté et nudité pittoresques. La Grandeur romantique et la misère et la saleté se frottent. De la chambre où je dîne chaque soir chez des amis-ouvriers dans un immeuble romantique et délabré, je vois dans la maison abandonnée où Rabelais vivait et concevait Gargantua. Et toi ? Travailles-tu à ton Gargantua en vers ? Tu n'as pas déposé les traductions, pourquoi ? Pas finies ? je rentre demain.

 Amitiés

 Claire

Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 159

 

 

lettre de Claire Goll Barnes, à Paul Celan, Paris 30 août 1950

Mon cher Paul,

Je suis ici chez des amis, depuis une huitaine. Londres est une ville grandiose, gigantesque et ses habitants d'une hospitalité incomparable. Je pense rentrer la semaine prochaine et espère te revoir bientôt. Peut-être as-tu pu travailler un peu pendant les vacances. J'ai reçu une carte d'Italie de Klaus il y a déjà quelques semaines

 

Pensées affectueuses du pays de Shelley, Blake, Keats et du grand Will.

 Claire

Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 160

 

Le 22 octobre 1950, Claire déclare son intention de rédiger un article sur Albert Gleizes. Une photo montre Claire avec Gleizes au Musée national d’art moderne de Paris

(1952, VIII A 24

 

lettre de Claire Goll Paris, à Paul Celan, Dimanche 26 novembre 1950

  Paris, dimanche 26 novembre

Mon cher Paul,

 Je sais par Gertrude Rosenberg que tu as perdu ton stylo. Quel cadeau de Noël, pourrai-je te faire plus utile qu'un Waterman et en plus celui du Waterman d'Yvan que je lui avais offert au Canada car il avait laissé le sien à New York ? Avec celui-là, il a écrit le Mythe de La Roche Percée. Peut-être, sera-t-il pour toi aussi, mon petit Paul, instrument d'inspiration. Je te souhaite ceci et plein d'autres choses, un peu trop tôt par rapport à Noël, mais j'attends un coup de fil de Vence, de la femme de Chagall qui doit fixer mon départ. Il a eu à nouveau une crise de la prostate et donc, il doit peut-être subir une opération. Sinon, je pars dans les jours prochains.

Peut-être passes-tu encore - après un coup de fil au préalable ?

  en amitié

 Ta

  Claire G.

 

Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 161

 

lettre de Claire Goll à Paul Celan, Dimanche 6 décembre 1950

Cher Paul,

Le papier sur lequel je t'écris a été fabriqué dans les mines de Mairans, fondées en 1480. C'est donc un papier de qualité. C'est donc un papier qui doit porter bonheur. Ainsi, j'espère que les adresses ci-dessous te porteront chance :

 Werner von Alversleben

 15 Parliament Hill, N.W. 3

 (Hampstead 09-67)

 

 Peter de Mendelssohn

 20 Wimbledon Close, S.W. 20

 (Wimbledon 31.00)

 

 Louis Golding (illustre romancier

 et homosexuel)

 Hamilton Terrace, N. W.8

 (Cummingham 69.94)

Beaucoup de chance et de succès personnel ! Et bonnes fêtes !

 Affectueusement

 Claire

Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 161/162

 

                                                           1951

 

lettre de Claire Goll à Paul Celan, 17.1. 1951

Mon cher Paul

Je suis obligé d'annuler l'invitation pour vendredi, j'ai la grippe.

Veux-tu m'accompagner mercredi 24, pour l'hommage à Yvan. Je te choisis toi parce que tu as été très proche de lui. Pourrais-tu être "au plus tard" vers 19h30 chez moi, pour que nous puissions manger avant d'y aller ? Mais je dois te demander de me répondre "immédiatement" car, sinon, je demanderai à quelqu'un d'autre.

 Affectueusement,

 Claire

Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 163

 

carte de Claire Goll à Paul Celan, [printemps 1951]

Mon cher Paul

Je passe ici de belles journées

 

Jusqu'à jeudi, mon adresse est chez Albert Gleizes, St Remy de Provence (Bouches du Rhône)

 Affectueusement

 Claire

 

à traduire

Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 163

 

lettre de Claire Goll à Paul Celan, [mai 1951]

 vendredi soir

Cher Paul

J'oubliais de te donner la carte ci-jointe. L'exposition est très intéressante surtout les tableaux de Picasso "Massacre en Corée".

Visite aussi "Le Mur de la Poésie", tu y trouveras 84 poésies dont une de moi.

Plein de bonnes choses pour toi

 Claire

Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 164

 

lettre de Claire Goll à Paul Celan, 7 juin 1951

 

Cher Paulot,

Excuse ma nervosité aujourd'hui au téléphone. J'avais un rendez-vous avec mon médecin américain qui m'avait demandé un service (lui aussi une introduction pour un certain collègue), et je répugne à être non ponctuelle an moment où l'on me demande un service.

Alors ta lettre.Kalenter est un homme charmant : aimable, fidèle et un ami à toute épreuve, si tu réussis à t'approcher de lui et si vous êtes sur la même longueur d'onde. C'est aussi un homme d'une grande précision, toujours vibrant, merveilleusement doté de tous les dons de l'existence, et toujours prêt à rendre service comme les Hongrois. Je l'aime particulièrement.

Plein de bonnes choses pour toi

 cordialement

 Claire 

Adresse d'Ossip Kalender: Poste Restante 242

Zurich 33

Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 164/165

 

(25) lettre de Claire Goll à Paul Celan, 14 juin 1951

 Stuttgart, 14 juin 1951 

Mon cher Paulot,

Oui, je craignais ce qui est arrivé ; l'Allemagne m'a séduite à nouveau. Quel accueil ! Ça a commencé avec un grand bouquet de fleurs à la gare et plein de gestes amicaux, des invitations, et les gens sont toujours de plus en plus gentils pour moi. "Phèdre" a été un succès : 20 rappels ! à guichets fermés. Le lendemain, ¾ d'heure de lecture à la Radio, avec une merveilleuse introduction du directeur du département littéraire, le Dr. Karl Schwedhelm,

qui, hier, avant ma conférence au Centre d'Etudes franco-allemand, a également fait un texte de beaucoup de pages sur nous, (surtout sur Yvan), qui va paraître bientôt et dans lequel il le comparait même - avec Goethe.

Je t'écris avec intention tant de choses sur Schwedhelm, qui est un homme charmant, et un connaisseur de la poésie, parce que je t'ai recommandé à lui, toi et ton avenir, et je pense que ton avenir est assuré, par ceci en particulier : il était enthousiasmé par la lecture de ta traduction du "Chien rouge de ma mort". Il te demande d'envoyer un choix de poèmes, éventuellement aussi de la prose et de lui envoyer un curriculum-vitae pour qu'il puisse te présenter à ses auditeurs de la Radio. Une telle lecture sera ensuite reprise à la Radio de Hambourg et de Franckfort.

En outre, j'ai parlé de toi avec le fils de Rowolt qui est venu me voir, lui aussi aimerait voir tes poèmes. Nous en parlerons dès mon retour. Parfois, ça prend un peu de temps mais, tu vois, je n'oublie ni le grand poète, ni l'ami d'Yvan. Je t'écris dans le train qui m'amène à Mayence, c'est pourquoi, pardonne cette écriture.

Samedi, je pars à Munich. Etais-tu en Suisse ? Couronné de succès ?

Salue bien cordialement les Rosenberg de ma part.

 Ta toujours très dévouée

 Claire G.

c/o Radio-Stuttgart

Neckarstrasse 145 Stuttgart

Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 165/166

 

(26) carte de Claire Goll Metz, à Paul Celan, chez le Dr Adler, 14, Villa Chaptal, Levallois-Perret 16 août 1951

Cher petit Paul,

Un chaud salut du glacial Metz de Verlaine et d'Yvan Goll, Comment ça va pour toi et Ihpétonga ? Je serai de retour seulement la semaine prochaine. C'est triste pour moi d'être à Metz dans la ville du joyeux Rabelais. J'espère que pour toi que tu es gai et entouré de jeunesse.

 Amicalement

 Claire

Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 167

 

(27) carte de Claire Goll, Knokke-le-Zoute, à Paul Celan, septembre 1951

Mon cher Paul,

Un salut cordial de ce Congrès très intéressant, où plus de 200 poètes sont venus de tous les pays

 Claire

Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 168

 

(28) Claire Goll Paris, à Paul Celan, octobre 1951

Jeudi [ sur papier à en-tête du Palais d'Orsay ]

Cher petit Paul,

Voici les titres des poèmes que tu as déjà traduits des Géorgiques parisiennes :

1) A la Tour Eiffel (Flûte d'airain)

2) Paris (Je te chanterai dans les jardins de zinc)

3) Dans les stations lépreuses des roses [ Dans les léproseries des roseraies]

4)Séducteurs de la Place de Grève

Et maintenant, j'espère bien te lire et t'entendre très bientôt

  affectueusement

 Ta Claire

As-tu écrit à Schwedhelm ?

Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 168

 

(29) Claire Goll Paris, à Paul Celan, [octobre/novembre 1951]

 Samedi

Cher petit Paul,

Je t'envoie aussi vite que possible "L'inconnue de la Seine". Tu me disais pourtant depuis des semaines que cela était presque terminé.

Peux-tu me l'apporter mardi ?

 en hâte

  Claire

Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 169

 

(30) Claire Goll Paris, à Paul Celan, lundi [ 5 novembre 1951, cachet de la Poste]

 lundi

Mon cher Paul,

Je m'excuse mais je ne peux pas dimanche à 4 h. Veux-tu le soir, après-dîner ?

Un mot s.t.p. par retour du courrier.

 

 amicalement

  Claire

Réponds de suite pour que je puisse disposer de ma soirée, en cas d'empêchement de ta part.

Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 169/170

 

(31) Claire Goll Paris, à Paul Celan, mardi [ fin novembre/ début décembre 1951]

 mardi

Cher Paul,

Ci-joint les 3 poèmes et "Réverbères". Comme tu m'as dit que tu soupèses longtemps les mots, si tu t'attelles donc à la traduction des "Géorgiques" pendant quelques heures de chaque semaine de décembre et certainement pas en hâte dans la dernière semaine, ce serait pourtant bien si tu m'en donnais déjà quelques unes autour du 15 Décembre afin que nous voyions ensemble le ton et la résonance.

 Merci pour ton dévouement à Yvan. affectueusement

  Claire

à mon retour de Bruxelles

Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 170

 

 

Claire part à Bruxelles le 13. 12.51

 

 

(32) Claire Goll Paris, à Paul Celan, mardi [décembre 1951]

 mardi soir

Mon cher Paul,

Comme tu es devenu silencieux ! Comment vas-tu et ton nouveau travail ?

J'espère que tu n'as pas oublié notre pacte poétique et que je verrai bientôt la moitié des "Géorgiques". 

Je reste à Paris jusqu'au 22 Décembre

Très amicalement à toi

 Claire

Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 171

 

(36) lettre de Franz Vetter à Paul Celan

 25.12.51

Cher Monsieur Celan

Madame Goll m'a apporté votre traduction des "Chansons Malaises" d'Yvan Goll.

Je les ai lues et je les trouvent très éloignées de l'original. Puisqu'il s'agit d'une traduction, je préfère publier Yvan Goll et non pas une recréation poétique trop éloignée de Paul Celan. Vous avez pris, à mon avis, trop de liberté. Je ne me permettrai pas de minimiser votre talent de poète, mais je désire avoir une traduction fidèle de ces Chansons magnifiques. J'ai toujours souhaité que ce soit Madame Goll elle-même qui traduise ces poèmes et je lui ai donc demandé de le faire. En tant qu'éditeur, je ne peux pas prendre la responsabilité de présenter Yvan Goll à un public allemand dans une traduction qui ne correspond pas à une "affinité sélective" pour ce poète.…

Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 178

 

(37) lettre de Paul Celan à Franz Vetter

 30.XII.51

Cher Monsieur Vetter,

J'ai bien reçu votre lettre du 25 courant, dans laquelle vous me faites savoir que ma traduction n'est pas publiable. Je suis surpris de constater que vous avez conservé le manuscrit de ma traduction.. Ceci, n'est pas, comme vous devez le savoir, une pratique courante dans l'édition. Je vous remercie d'avance

Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 179

 

 1952

 

(38) lettre de Paul Celan à Franz Vetter 4 janvier 1952

 

Cher Monsieur Vetter

La demande que je vous ai adressée de me renvoyer mon manuscrit est restée sans réponse à ce jour. Je ne peux pas accepter la critique que vous avez émise sur ma traduction, car les accords conclu, l'ont été avec Madame Goll et pas avec vous.

Je dois vous préciser que je m'oppose formellement à toute sorte de publication de ma traduction sans que mon nom soit mentionné, ainsi qu'à la publication d'une autre traduction que la mienne, auquel cas, je me sentirai obligé de poursuivre en justice.

 Veuillez agréer, Monsieur …

Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 180

 

 

(33) Paul Celan à Claire Goll Paris le 4 janvier 1952

 

Chère Claire,

 

En même temps que cette partie, je t'envoie ci-joint la copie d'une lettre de Mr. F. Vetter, Pflugverlag, Thal/St.Gallen. Je dois supposer que tu n'as pas connaissance du contenu de cette lettre, car cette lettre n'est pas seulement une offense à mon égard, mais aussi à l'égard d'Yvan, puisque Yvan m'avait choisi comme un de ses exécuteurs testamentaires littéraires. J'ai naturellement réagi à cette lettre et je te donne ici copie de ma réponse à Mr. Verter. Pour éviter des incidents de cette espèce dans le futur, et aussi, parce que nous ne pouvons pas savoir combien de temps de toute façon, dans cet avenir si incertain il nous reste à vivre, il est indispensable que, outre les accords oraux conclus jusqu'ici, concernant les trois traductions d'Yvan dont tu m'as chargé : Les Chansons Malaises, Elégie d'Ihpétonga, et Géorgiques Parisiennes, soient maintenant formalisées par des accords écrits

 Avec les meilleurs souhaits pour la nouvelle année

 Paul

(Traduction Uli Wittman)

Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 171/172

 

 

(34) Claire Goll Paris, à Paul Celan, Paris 8.1.52

 

Paul,

Je ne voulais pas t'écrire pour plusieurs raisons.

1) Pour ne pas devoir te dire, que depuis longtemps, je ne reconnais plus le Paul, qui quelques semaines avant la mort d'Yvan venait à nous, timide, dévoué, chaleureux envers nous

2) Pour ne pas devoir te dire, comment, de mon côté, je ressens le ton de ta lettre recommandée comme une offense.

3) Pour ne pas te devoir dire, à quel point m'avaient blessée ton faux-pas au téléphone et ton dernier geste, "Exécuteur testamentaire Littéraire" ! Quelle arrogance ! Crois-tu réellement qu'Yvan aurait mis quelque chose par écrit de mon vivant à moi ! lui qui, jamais ne manquait de tact ! Il s'agissait du futur Fonds "Claire et Yvan Goll" à créer sous ta caution et celle de Bosquet, mais, après ma mort.

 C. G.

Eu égard à ton attitude irrespectueuse d'aujourd'hui, aussi bien vis à vis de mon défunt que de moi-même, je me pose la question s'il n'est pas nécessaire de taper à la machine ton manuscrit pour pouvoir à tout moment confronter les 2 versions complètement différentes, la tienne et la mienne.

(Traduction Uli Wittman)

Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 172/173

 

(35) Claire Goll Paris, à Paul Celan, Paris 26.1.52

 

Cher Paul,

La semaine dernière, je logeais encore à Bruxelles chez mon ami Pierre-Louis Flouquet, qui, à propos de ma lecture parlait aussi du bel exposé préparé, j'attendais les corrections du numéro spécial allemand du Journal des Poètes, qui étaient sur sa table, et je lisais chaque fois ta "Fugue de la Mort". Tu sais que j'ai toujours été particulièrement formelle sur ce poème que j'aime plus que tout. Flouquet était de mon avis sur la qualité de cette Fugue et ce sera pour moi toujours aussi évident qu'un poème, qui a pour lui le temps et la patience, n'a rien à faire d'une adaptation traduite, à qui on accorde ordinairement un minimum de temps.

Je t'avais dit que, sûrement jamais, dans le cas des Chansons Malaises, rien de ta liste ne serait utilisé par mon éditeur. C'était une pierre qui ricochait sur moi. Seulement, je la ramasse aujourd'hui à contre-cœur, car qui fait du mal aux autres se fait du mal à lui-même.

Tu écris à mon éditeur que tu t'opposerais à toute traduction non signée ou d'un autre nom que le tien.

Et tu savais pourtant que je suis seule responsable pour toute nouvelle traduction et que je dois signer (et cette responsabilité, c'est vis à vis d'Yvan, cela ne dépend pas de toi ni de moi.)

Et la phrase, dans ta lettre insultante, dans laquelle tu demandes un accord écrit « puisque nous ne pouvons pas savoir combien de temps cet avenir incertain nous laisse à vivre », cette allusion à ma santé chancelante et à mon éventuel décès, (car de ta mort à toi, toi jeune homme, tu n'y comptes pas dans les 20 ans qui viennent), cette phrase, tous mes amis la considèrent comme un faux-pas extraordinaire.

Il m'apparaît toujours manifestement que ta sollicitude attentive, d'abord pour nous deux, ensuite pour moi seule, se transformait de plus en plus en intérêt strictement personnel comme aussi le prouvait ta traduction rapidement faite des Géorgiques. Tu rappelles : je les avais demandées jusqu'au 1er janvier. Tu les expédiais déjà - pour des motifs d'argent - dès le 15 décembre, avec ces propos :« elle est excellente et je n'y changerai rien.»

Comment voulais-tu que je réagisse après une rapide première lecture avec toi, face à une attitude aussi arrogante! Même si je me suis rendue compte tout de suite, que je n'y trouvais pas la nécessaire humilité devant la particularité d'Yvan, j'étais trop faible pour te le reprocher. Il a fallu l'intervention de mon éditeur énergique, pour te dire la vérité, d'abord sur les Chansons Malaises, ensuite sur les Géorgiques.

 

… Je suivais ton exemple (ta visite à M° Rosenberg)

 

…Le manuscrit est à ta disposition. Si tu veux venir mardi soir, je te le remets. Idem pour ma traduction des "Géorgiques" à comparer avec la tienne.…

 

Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 173/174/175/176 ***

 

 

Claire avait dédicacé à Paul Celan :

 

Ivan Goll : Traumkraut, Gedichte aus dem Nachlass (64 S.- 20 cm.)

Erste Ausgabe (Vorwort von Claire Goll). Umschlagzeichnung von Marc Chagall

Limes Verlag Wiesbaden 1951

 Für Paul

 den treuen freud

 der das Traumkraut

 blühen und welken sah

 Claire

 

Claire Goll :* Les larmes pétrifiées, avec un dessin d'Antoni Clavé

Collection Cahiers bimensuels n°89 Pierre Seghers, Paris 1951 (29)p.18 cm. 

 

 à Paul

qui - à la période la plus tragique

de ma vie - a si fraternellement

changé mes larmes en sourires

Très affectueusement

 Claire

                                                          1953

 

samedi 16 mai 1953, création de L'Incendie de l'Opéra, de Georg Kaiser :

Traduction de Claire Goll, adaptation théâtrale de Boris Vian

 

  Attaques de Claire Goll sur Paul Celan,

 

(40) Claire Goll : lettre circulaire de la dernière semaine d'août 1953

Il y a quelques jours, je recevais d'un jeune poète allemand, Professeur adjoint pour l'étude de langue, de l'histoire et de la culture germanique [ Richard Exner ] le livre de Paul Celan : Mohn und Gedächtnis [paru fin 52] avec ses mots : « ce recueil est complètement inspiré par le Traumkraut (Limes Verlag Wiesbaden, 1951) de Goll ! Et la critique ne s'en aperçoit pas ?»

important, à traduire avec précision et signer la traduction ****

 

… Pas une seule fois Celan ne m'a dit : « Montre-moi ta traduction pour que nous les comparions ». Il ne lui venait pas, dans sa vanité démesurée, la pensée que je suis aussi un poète et peut-être plus proche du vocabulaire de mon mari et dévouée. C'est que cet "emprunt" est une spécialité de Celan, me confirmait il y a un mois un jeune poète de Vienne, Dr. Alfred Gong, qui vit maintenant à New-York et qui connût Celan en Roumanie de longues années, avec qui il fut longtemps en camp de concentration et plus tard à Vienne. Ses premières publications, de tout le recueil " Der Sand des Urnen "[ Le sable des Urnes ] que, plus tard Celan retirera sagement de nouveau sont - d'après la déclaration du Dr. Gong - laine refaite - des emprunts

Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 187/188/189

 

7 décembre 1953, lettre de Claire Goll à Hans Holtusen

     à recopier                                                      

                                                           1954

    à recopier

                                                           1955

Francis Carmody à Claire Goll, avril 1955

 Francis J. Carmody

 Prof. Of French

 University of California

 Berkeley [avril ] [5]

Chère Claire,

[… ]

Je vous soupçonne de fraude, les variantes entre les poèmes inédits de JsT ne sont pas des fautes de tape ! S'il y a ratures ou changements de la main d'Yvan, il faut, je le maintiens avec conviction, les indiquer en note ; je vois encore que vous avez supprimé un quatrain dans un poème. J'établis pour commencer un index sur cartes 3 x 5.

Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 712

 

Claire Goll à Francis Carmody, le 23 avril 1955

 

 New York, le 23 avril 1955

Cher Francis,

[… ]

Fraude ? Yvan m'a toujours demandé conseil avant de donner une version définitive de ses poèmes. Vous savez que la statue de Memnon chantait. Eh bien, avant de retoucher un poème, je consulte toujours le buste d'Yvan, placé sur la commode, et il me parle, m'inspire et m'autorise d'apporter les changements nécessaires aux strophes ou de retrancher une ligne plus ou moins bonne. Donc, je ne fais rien sans le consentement d'Yvan

Barbara Wiedeman : Paul Celan - Die Goll Affäre p. 713

 

 1956

Décès de Rebecca Kahn le 29 octobre

 

                                                           1957

21 octobre 1957, lettre à Claire Goll d' Audiberti, à vérifier

    à recopier

 1958

 

1 novembre 1958 de Florent Fels à Claire Goll

    à recopier

21 novembre 1958 : Soirée donnée en hommage à Yvan Goll, à la Galerie Devèche, 19 rue Brey, Paris XVII, sous la présidence de Robert Kemp : Souvenir d'Yvan Goll, avec la participation de Edmée de la Rochefoucault, Alain Bosquet, Georges Cattani et Jules Romains [6]

 

Claire Goll : Lettre du 4 décembre 1958 à Florent Fels

 

 SOCIETE DES AMIS D 'YVAN GOLL

 Président: JULES ROMAINS, de l'Académie Française

SOCIETY OF FRIENDS OF YVAN GOLL

 Président: PADRAIC COLUM - New-York 

SECRETARIAT:  FRANCIS J. CARMODY, Professor of French University of California, Berkeley

  

 Paris le 4 déc. 58

 Mon cher Florent,

 

 Offensé ? Au contraire, ta lettre m'avait apporté une très grande joie. Mais n'as - tu pas vu que je ne suis qu'une loque humaine? Trois ans sans une journée de vacances! Sept jours de travail par semaine, car je ne pouvais pas me permettre un seul week-end ; il fallait taper dix heures par jours, puisque j'avais promis à Yvan de vivre pour son oeuvre. J'ai tenu ma promesse, son oeuvre vit, mais moi je me meurs. Il me reste peu de force, ce travail de secrétaire au service d'un mort m'ayant épuisée. Copier, et recopier les documents et les manuscrits, répondre aux demandes des cinq continents et tout cela sans aide, car mes moyens ne me permettent pas de prendre une secrétaire et le tarif des bureaux de copies est trop élevé.

 Comment veux - tu que je réponde aux lettres! Des paquets de lettres importantes - demandes de traductions, d'anthologies etc. - traînent partout : sur les tables, la cheminée, le bureau et le tapis! Tâche - donc de comprendre un silence, imposé par des circonstances extérieures et non par une négligence du coeur.. Celui - ci t'appartient, puisque tu étais l'ami d'Yvan.

Non, je n'ai pas connu Klee. Quand j'ai déjeuné chez Mme Klee, il était encore sous les drapeaux.

Mes poèmes, parus dans "Action" ne m'intéressent pas. Seuls ceux d'Yvan et surtout l'article qu'il a écrit sur Rilke, parce qu'il était à la base d'un diffèrent entre les deux poètes. Il me faut une copie de cet article et la date de sa parution. Et aussi les titres des poèmes allemands qu'il a traduits pour "Action". Fais les copier pour moi s.t.p.

La conférence sur Yvan, qui a eu lieu le 21 novembre, était très réussie. Robert Kemp a parlé de son théâtre et a dit, entre autre, que Ionesco et Beckett étaient basés sur lui. Jules Romains et Georges Cattaui l'ont comparé à Villon, Gérard de Nerval, Mallarmé etc. Et un jeune poète qui parlait au nom de la jeunesse sur son oeuvre allemande, le mettait au niveau de Hölderlin, Novalis, Nietzsche et Lorca. Seulement mon Yvan était trop loin pour entendre ces éloges, trop posthumes.

 Hélas, de son vivant personne n'avait le génie de reconnaître son génie.

Et cela, par mesquinerie confraternelle. Kemp l'a bien dit : "Yvan Goll a eu, chez nous, contre lui, d'être un poète bilingue ".

 Et maintenant, dans tous les essais sur lui figure le mot : "génie "

J'ai reçu hier la traduction de ses "Chansons Malaises" en espagnol, parue à Madrid en un très beau volume. Dans la préface on compare ces poèmes à ceux de Sapho, au Cantique des Cantiques et à St. Jean de la Croix.

 C'est une douloureuse satisfaction pour moi.

La semaine dernière est sorti notre livre, écrit en collaboration : Nouvelles petites Fleurs de Saint François d'Assise, avec trois dessins de Dali. Et Fernand Mourlot va éditer "Neila" (poèmes) avec 4 lithos de couleur de Miro.

 (Voici quelques nouvelles littéraires.)

Bien des compliments à Suzy, qui a la chance d'avoir "un homme à tiroirs", 

 et un baiser affectueux pour toi

  ta vieille amie

  Claire

l'oeuvre complète d'Yvan qui devait sortir 

en Allemagne l'année dernière, sort seulement 

en 1959 parce que je n'ai pu faire texter les traductions nécessaires

 

                                                  1959

 

 1960

 

Paul Celan à Sperber du 30 juillet 1960 :

«…J'avais recherché les époux Goll vers la fin de l'automne 1949 afin de leur transmettre vos salutations. A cette occasion, je leur fis cadeau des épreuves de l'un des exemplaires de mon recueil "Der Sand aus des Urnen" paru à Vienne à l'édition A. Saxl en 1948. Goll fut très impressionné. Jusqu'à sa mort, en mars 1950, je lui ai souvent rendu visite ainsi qu'à sa femme, je leur lisais même à l'occasion certaines choses publiées uniquement dans des revues, ou bien, grande imprudence de ma part, des inédits. Je peux également vous dire, et ce n'est pas par vanité, que je ne suis pas pour rien dans le fait que Goll, qui n'avait plus écrit en allemand depuis des années, soit revenu à cette langue peu de temps avant sa mort. Il doit cela en partie à ma poésie et à ma rencontre, Goll m'a également demandé de traduire ses poèmes français ; je lui ai promis de le faire…Aussi longtemps que je traduisais, la veuve trouvait que tout était admirable; cependant d'autres intentions l'animaient, lesquelles, naïf et confiant comme j'étais, je ne soupçonnais pas.La veuve se mit en tête de publier l'œuvre posthume du défunt. En 1951 est paru le premier tome de cette "œuvre posthume" en allemand "Traumkraut" (Mauvaise herbe de rêve). Que l'auteur, mot qu'il conviendrait plutôt de mettre au féminin, de cette publication eût bien connu ma plaquette viennoise - dont les nombreuses coquilles m'avaient poussé à ne pas la diffuser - est évident. Ce premier volume de Goll, et cela a sa signification, n'eut aucun retentissement. En 1952 est paru mon recueil de poèmes "Mohn und Gedächtnis", lequel, comme vous le savez est une nouvelle édition de ma plaquette viennoise. Ce recueil-ci, fut, lui, apprécié. Alors, la veuve abusive est passée à l'attaque : avec l'aide de quelques "gangsters germanistes" des Etats-Unis, elle a répandu dans la presse, à la radio et dans des lettres envoyées à des particuliers, l'accusation calomnieuse que "Mohn und Gedächtnis" paru en 52 serait un plagiat de celui de Goll paru en 1951. Celan a été qualifié d'escroc, plagiaire et charlatan, comme je vous le dis, mon cher Alfred-Margul Sperber ! » [7]

                                                           1961

 

lettre de Claire à Audiberti 10 avril 1961

 

 Cher Jacques,

    à recopier

IMEC Cote : DBT2. A1-04.03

 

lettre de Claire à Jean Painlevé 27 mars 1961

 

Mon cher Jean,

 Ci-joint le programme de "Mathusalem", dont la première a eu lieu le 22 mars à Francfort-sur-Main.

 Vous trouverez, sur la deuxième page brune, un passage (coché au crayon rouge) vous concernant.

 La pièce a été reçue là-bas triomphalement. Tous les critiques de Francfort, reconnus comme les meilleurs et les plus sévères de l'Allemagne, ont écrit la même chose : "grandiose anticipation de Ionesco"…"ainsi le théâtre de Ionesco et de Beckett vient de Goll" … "Chef d'œuvre" etc.

 D'autres théâtres viennent de s'assurer la pièce. Après ce succès, elle reviendra certainement à Paris.

 Les metteurs en scène se sont lamentés au sujet de la perte de vos films, d'une qualité si géniale et artistique.

 Si seulement, vous pouviez mettre la main dessus pour qu'on puisse les montrer.

 

 J'aimerais beaucoup vous revoir. Ne pourriez-vous pas me donner un coup de fil (Babylone 42 41) ?

 Toujours amicalement vôtre

 

 Claire Goll

 

 Claire Goll

 

                                                           1962

 

 1963

 

lettre de Claire à Audiberti 26 novembre 1963

 

 Cher Jacques,

    à recopier

IMEC Cote : DBT2. A1-04.03

 

 

lettre d'Audiberti à Claire 21 décembre 1963

 

 Chère Claire,

avec enchantement j'ai lu le Ciel volé

Je ne savais pas que tu écrivais des choses aussi charmantes !

Je viendrai, si tu veux bien, recopier mes poèmes

 Bien amicalement

 Jacques

 

SDdV Aa59 ? (247)

 1964

pneumatique de Claire à Audiberti 17 novembre 1964

 Cher Jacques,

 

IMEC Cote : DBT2. A1-04.03

lettre d'Audiberti à Claire 17 novembre 1964

    à recopier

 Chère Claire,

SDdV Aa60 ? (252) - 510.299 III

 

                                                           1965

 

lettre de Jean Painlevé à Claire Goll 27 février 1965

 

 1966

 

 Lettre de Florent Fels à Claire Goll : 25 février 1966

  Hôtel Hermitage, Monte-Carlo

 

 Ma chère amie, je serai à Paris

 du 15 au 30 mars et j'aimerais beaucoup

 te rencontrer.  Veux-tu me donner

 ton adresse et numéro de téléphone en

 envoyant ton courrier :

 Florent FELS

 Hôtel de Calais

 5, rue des Capucines . Paris

 

 en mettant sur l'enveloppe : NE PAS

 FAIRE SUIVRE

 

 à bientôt le plaisir de te voir

 Florent

 25. 2. 65

 

 Lettre de Florent Fels à Claire Goll : 2 avril 1966

 

 Fels. 52 Bd Jardin Exotique

 Monaco

 

 Chère Claire,

Que parles-tu de " grand voyage sans retour " !

Quelle littérature !

Tu vois bien que tu peux servir et vivre, puisque

te voilà servant encore le grand cher Yvan.

Je crois t'avoir dit que les Allemands - je ne dis

pas les nazis - sont passés chez moi dès septembre

40, enlevant mes Chagall, Vlaminck, Utrillo,

et tous mes livres . Je ne possède donc plus d'

ACTION ? où non seulement il y avait des oeuvres

d'Yvan Goll, mais des inédits de l'ami Malraux.

 Demande-lui, peut-être en a-t-il encore et

il a la puissance d'en faire rechercher et retrouver.

 Ta carte m'est parvenue ici. Je serai à

Paris fin mai, te verrai. Je t'embrasse

 Florent

 2.4.66

 

                                           1967

 1968

 1969

 1970

 

Lettre de Claire Goll: 26 juillet 1970 à l’éditeur Jean Petithory

 

 CLAIRE GOLL

 47 RUE VANEAU

  PARIS VII

 

 Le 26. VII.70

 

 

 Mes chers Chantal et Jean,

 

 Je suis ravie de vous savoir au soleil, “ les

 mains libres “. Seulement il ne faudrait pas que Jean s'expose

 aux rayons ultra - violettes, mais cherche l'ombre.

 Je suis seule et triste ici et j'ai la nostalgie

 du Midi que je n'ai pas vu depuis de longues années.

  Aussi, ai - je pensé à ta charmante proposition,

  Jean, de m'emmener là - bas au moment de ton retour

 avec Man.

  Nager, nager, quel rêve! La vieille sirène

  ne vous dérangerait pas, elle sera toujours cachée

  dans le pli des vagues ou de son lit pour écrire, 

    Et pour faire plaisir à Jean, je lui laisserai un

 Miro de 3 2 5.0 0 0 à 1 5 0. 0 0 0 F (anciens).

 Seulement, si vous voulez bien de moi, il

  faut me prévenir huit jours d'avance ou dés

  maintenant fixer une date. Car j'ai des rendez -

 vous à annuler que j'ai pris avec des étudiants qui

 font leurs thèses, soit sur Yvan, soit sur moi.

  Je vous embrasse affectueusement, ainsi que Man (Man Ray)

 et Juliette.

   Votre

   Claire

 

                                                         1971

 

 1972

 

 1973

 

 1974

 

 1975

 

 1976

 

 

 1977

 

30 Mai 1977 : décès de Claire Goll

« Par testament, Claire Goll, décédée le 30 mai 1977, a fait de l'ensemble des manuscrits, des livres imprimés, des oeuvres d'art et des objets divers contenus dans son double appartement au 47 rue Vaneau à Paris, deux parts :

n l'une avec les manuscrits et les imprimés en langues allemande et anglaise, plus un choix de peintures, gravures et photographies, était destinée au musée Schiller à Marbach (Allemagne) où elle devait prendre place au sein des archives littéraires allemandes que cette institution a mission de conserver et de communiquer. Cette dévolution représentait la contrepartie de la pension viagère que depuis 1971, la République fédérale d'Allemagne lui versait mensuellement. Le Musée Schiller, à Marbach, est chargé de recueillir et de conserver les archives littéraires allemandes. Il possède les papiers et les livres de plus de trois cents écrivains qui se sont fait un nom dans la littérature. Il souhaita faire entrer dans ses collections les manuscrits et les oeuvres d'Yvan et Claire Goll.   

n l'autre, avec les manuscrits, les imprimés en langue française, la bibliothèque, la majeure partie des oeuvres d'art, le mobilier et les objets personnels ayant appartenu à Yvan et à Claire, revenait à la ville de Saint-Dié des Vosges. 

(Albert Ronsin, Conservateur honoraire de la Bibliothèque de S.D.d.V., Président des Amis de la Fondation Yvan et Claire Goll)

 

Claire Goll décédait le 30 mai 1977, après avoir traduit, fait éditer ou rééditer dans une douzaine de langues (allemand, anglais,  français, espagnol,  italien,  japonais,  bengali) une grande partie de l'oeuvre d'Yvan, inconnue du "grand public ", en raison de la rareté et du prix des Editions de luxe illustrées.

Claire avait été, comme elle le souhaitait, la parfaite secrétaire d'un mort. C'est elle qui a réussi à lui redonner vie. Dans un exemplaire de Traumkraut Claire Goll a écrit de son habituelle encre rouge Claire sur la page de garde et Claire Goll sur la page de titre.

Un Edelweiss se trouvait dans cet exemplaire ; il ne peut s’agir que de celui dont il question dans "Meiner Seele Töne", lettre de Claire (en cure à Challes-les-Eaux) datée du jeudi 19 août 1948 p.283 : 

 "mais tout cela n’est finalement qu’une question de patience … cette plante de la solitude et de l’altitude t’en enseignera peut-être un peu. Elle s’est patiemment adaptée à la glace et au soleil le plus ardent. Son petit pelage est aussi doux que celui d’un animal. Cet edelweiss vient de la chaîne des glaciers de Belledone.… "

 

dans sa note 1 p.408 Barbara Glauert dit que cet edelweiss n’était pas joint à la lettre originale; et pour cause en avril 1972, Claire donnait à la ville de Saint-Dié "…une croix de Lorraine et flamme "Honneur et Patrie "en métal argenté des Français Libres ayant appartenu à Yvan Goll à New-York, un edelweiss cueilli pour Claire dans les montagnes du Tyrol en 1949. "

Albert Ronsin - Le legs Yvan et Claire Goll à Saint-Dié —Regards n° 102, Avril 1980)

 

  Conclusion

 

 

Comme dans un rêve j’entrai un matin de la première semaine de Septembre 2000 dans les Archives Militaires Nationales Russes situées dans une rue latérale de la tristement célèbre Chaussée de Leningrad à la périphérie de Moscou. Il me fallut surmonter ma peur devant les jeunes soldats, fusils aux pieds, portant des vestes pare-balles, qui contrôlèrent mon passeport avant que je ne puisse entrer dans la salle de lecture. En tout cas, les jeunes soldats me garantissaient l’une des places de travail la plus sûre au monde. Une fois dans la maison, je pouvais bouger librement sans d’autres contrôles. Je pouvais consulter l’ensemble des trente-sept classeurs - ouverts et remplis par Yvan et Claire Goll eux-mêmes dans les années 1919 à 1939, papiers jaunis, encre délavée -. Trente-sept classeurs, en cinq jours, du lundi au vendredi. Poèmes, lettres, relevés de compte. Je lisais, lisais et notais, cataloguais à nouveau et quelquefois j’avais le sentiment que la porte de la salle de lecture des Archives Militaires à Moscou allait s’ouvrir et que Claire Goll entrerait pour m’exhorter : « Vous pourriez travailler encore un petit peu », comme elle l’avait souvent fait dans ses archives parisiennes après 21 heures. Ou elle m’apporterait des gants blancs pour le travail sur les originaux des lettres. Quand je quittais les archives tard dans l’après-midi, je ne savais pas qui était plus fatigué, les soldats de garde dormant sur leurs fusils dressés qui ne pensaient plus à me contrôler, ou moi-même. Je savais : Claire travaillerait des nuits entières pour récupérer ses trésors.

 

Un soutien précieux et important pour remplir les questionnaires, pour traduire et pour faire l’interprète me fut prodigué par Madame Elena Tchesnokova, collaboratrice du Département des Acquisitions à la Bibliothèque de Littérature Etrangère à Moscou. Pendant mon séjour, trois autres chercheurs allemands travaillaient dans la même salle de lecture. On me dit que je pouvais consulter dix classeurs par jour. Cependant, dès le deuxième jour, les vingt-sept classeurs restants furent mis à ma disposition. A l’intérieur de l’ensemble des dossiers Goll, il existe un sommaire en langue russe qui répertorie - cependant de façon incomplète - les oeuvres des Goll contenues dans chaque dossier. Les premières traces de traitement et de mise en ordre des fonds Goll - en langue russe - datent de l’année 1949. Jusqu’en 1960, les fonds étaient stockés au Ministère National de l’Intérieur à Moscou avant d’être transférés aux « Archives Spéciales ». En 1962 seulement, les documents ont été classés sous la forme actuelle. Contrairement à l’information initiale selon laquelle les textes des Goll étaient contenus dans trente-sept classeurs d’une centaine de feuillets chacun, les différents classeurs avaient des volumes variables, allant jusqu’à 744 feuillets. Vu globalement, il y a plus de volume de textes de l’oeuvre de Claire Goll que de celui d’Yvan Goll. Il s’agit pour la plupart de tapuscrits allemands ou français avec un grand nombre de corrections et d’ajouts manuscrits des deux auteurs (aussi dans les textes du conjoint réciproque). D’Yvan Goll et de Claire Goll j’ai trouvé de chacun un roman non publié ainsi qu’un nombre peu important de lettres (Paula Ludwig, Georg Kaiser, Henri Barbusse, Lion Feuchtwanger) adressées à Yvan et à Claire Goll. Par ailleurs, j’ai trouvé plusieurs tapuscrits de textes qui avaient été publiés avant 1939 (l’année où les Goll ont fui la France). De l’oeuvre de Claire Goll, Charlie Chaplin intime, publiée en 1935, j’ai trouvé une adaptation allemande faite par Claire Goll. Un classeur contient des publications feuilletonistes de Claire Golls dans des quotidiens et hebdomadaires allemands des années 20 et 30, un autre des correspondances de Claire Goll avec des maisons d’édition, des rédactions de journaux et des agents littéraires ainsi que des contrats d’édition de ses oeuvres. Deux classeurs renferment des relevés de compte des Goll de diverses banques (Deutsche Bank, Dresdner Bank, Schweizerischer Bankverein Genève et Zurich) de la période entre 1919 et 1939.

 

Un matin, un historien de Berlin présent, lui aussi, dans la salle de lecture des « Archives Spéciales » me conseilla de rechercher également dans le fichier nominatif des Archives Nationales Russes pour la Littérature et les Arts qui se trouve dans le même bâtiment, mais n’a rien à voir avec le butin de guerre. J’en parlai à Madame Tchesnokova, et elle réussit effectivement le lendemain à consulter ce fichier. Elle trouva que ces archives contenaient également des textes d’Yvan Goll et apporta une invitation de la directrice de ces archives me demandant de venir la voir et de lui faire part de mes souhaits. Peu de temps après, je pus consulter le matériel dans la salle de lecture des Archives Nationales pour la Littérature et les Arts. Le texte le plus important que j’aie pu trouver était le tapuscrit du roman Lacrasse d’Yvan Goll (en français, environ 200 pages). Goll avait personnellement envoyé cette oeuvre en 1926 aux éditions moscovites « Land und Fabrik » (« Semlja i fabrika ») pour leur en proposer la publication. Cette maison d’édition a été fondée à Moscou en 1922, dissoute vers 1930, mais existe à nouveau aujourd’hui sous une nouvelle forme. A l’époque, Maxime Gorki, Konstantin Fedin, Anatole Lunatscharski et Ilja Ehrenburg faisaient partie de ses auteurs. Elle publia aussi des traductions russes de Gustave Flaubert, Anatole France et d’autres auteurs français. Jusque-là, je ne connaissais pas de roman intitulé Lacrasse de Goll, mais je supposais qu’il pourrait s’agir d’une version modifiée d’un roman déjà publié en France puisque Goll avait l’habitude de réécrire des oeuvres déjà éditées et de les publier sous un autre titre. 

 

Comme la directrice adjointe des archives m’informa, le tapuscrit du roman Lacrasse de Goll est devenu entre temps propriété de l’état russe puisque Goll l’avait librement mis à la disposition de la maison d’édition de Moscou (contrairement au butin de guerre dans les « Archives Spéciales ») et que de ce fait, le prix des copies était fixé par les archives elles-mêmes. Compte tenu du prix élevé annoncé de 20 US $ la page, je demandai de ne faire copier que quatre pages de texte (plus la page de couverture). Cela me permettrait de vérifier le texte à mon retour. On me proposa ensuite de me faire copier encore trois textes de lettres (5 pages) importantes pour moi (correspondance de Goll avec la rédaction de la revue moscovite Das Wort qui publia en 1938 sa cantate Tscheljuskin dont le texte original a aujourd’hui disparu, une lettre de Lion Feuchtwanger adressée à Goll le 9 Juillet 1937, une carte postale de Goll à Alfred Kurella, rédacteur en chef de la revue Das Wort éditée à Moscou, datée du 20 Octobre 1937, et une lettre de réponse de la rédaction de Wort adressée à Goll le 22 Novembre 1937 depuis Moscou). Après mon retour en Allemagne, je pus constater à l’aide des pages de textes copiées que le tapuscrit de Moscou est, en effet, une autre version française du roman Le Microbe de l’Or où le personnage principal ne s’appelle plus Monsieur Tric, mais Monsieur Lacrasse. Le Microbe de l’Or a été publié pour la première fois en 1927 aux Editions Emile-Paul Frères, Paris. La traduction allemande faite par Georg Goyert a été publiée en 1960 dans le recueil Dichtungen par Luchterhand Verlag, Neuwied. Actuellement, les négociations entre le Wallstein Verlag, Göttingen, qui éditera les oeuvres complètes d’Yvan et de Claire Goll en Allemagne, et les Archives Nationales pour la Littérature et les Arts à Moscou se poursuivent. Ces archives renferment également la traduction russe de son drame Methusalem oder Der ewige Bürger par Dimitri Vygodski, une lettre de Goll adressée à celui-ci le 5 Juillet 1924, un virement d’honoraires à Goll pour la publication de sa cantate Tscheljuskin dans la revue Das Wort, une traduction russe de ses poèmes « Karawane der Sehnsucht » et « Mondschein ». Il est possible que d’autres textes d’Yvan et de Claire Goll (ainsi que des documents provenant de leur bibliothèque parisienne) se trouvent encore à la Bibliothèque Nationale pour la Littérature Etrangère ainsi qu’à la Bibliothèque Nationale Russe (anciennement Bibliothèque de Lénine). Des renseignements complémentaires pourraient être obtenus par la consultation détaillée des 76 dossiers se trouvant également aux « Archives Spéciales » et concernant l’activité de la mission Reichsleiter Rosenberg (fonds N° 1401) puisqu’on y trouverait probablement des indications sur l’endroit précis où les documents provenant de l’appartement parisien des Goll avaient été conservés à l’intérieur du Grand Reich de l’époque. Les archives moscovites contiennent donc : 34 classeurs avec des textes des Goll = 4.251 feuillets au total (excepté les deux classeurs contenant des relevés de compte, des correspondances avec les banques ainsi que le classeur contenant des coupures de journaux des articles de Claire Goll). S’y rajoutent environ 200 pages du roman Lacrasse d’Yvan Goll. Textes au total : 4.451 feuillets dont en langue allemande : 2.996 feuillets, en langue française : 1.455 feuillets.

 

Au dernier jour de mon travail dans les Archives Spéciales, j’ai établi la liste des copies à faire des documents Goll trouvés dans ces archives. Les copies ont été faites au prix de 1 US $ la page dans le courant du mois d’Octobre 2000 et ont été acheminées par courrier spécial, par la voie de l’Ambassade Allemande à Moscou et du Ministère des Affaires Etrangères à Berlin, au Musée National de Schiller à Marbach en été 2001. J’avais réussi ce que personne n’aurait imaginé possible. 4.500 feuillets de propriété intellectuelle d’Yvan et de Claire Goll, dérobés à Paris en 1940, entreposés en Allemagne jusqu’en 1945, sauvés par la « Commission des Trophées » soviétique et conservés à Moscou depuis 1949, avaient repris le chemin de Moscou à Marbach sur le Neckar. En Juillet 2001, j’ai personnellement, et en présence de collaborateurs des Archives Littéraires Allemandes, ouvert et vérifié les deux colis. Toutes les copies des textes d’Yvan et de Claire Goll que j’avais commandées avaient été faites soigneusement. Ainsi, au bout de soixante ans, une partie des oeuvres des Goll dérobées à Paris ont retrouvé une patrie. Lors de leur publication future par le Wallstein Verlag, nous signalerons leur destinée particulière sous le nom d’ « Edition Moscovite ». Ce sera aux gouvernements d’Allemagne, de France et de Russie d’envisager le retour des trente-sept classeurs de textes originaux.

 



 

[2] Sur le côté droit de cette feuille :

En France, n'étant pas un ouvrier salarié et ne bénéficiant pas de l'Assistance Publique, je devrais payer 2.600 francs par jour dans une salle d'hôpital.

[3] littéralement : en dernier ressort.

[4] Le voir en annexe

[5] Daté d'après la réponse de Claire Goll

[6] copier le texte

[7] idem (p. 159/160/161 ). Cette lettre à Sperber est parue dans « Neue Literatur » N° 7, 1975 p. 54-56

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8 août 2010

correspondance 1935 à 1940

 1935

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 5 janvier 1935 ImsL p. 323/324

 5.1.35 [Paris]

 

 PALU

 

traduire

 Yvan

 

 

lettre d'Audiberti à Claire et Yvan du 18 janvier 1935

 Cher Ivan et chère Claire,

 s'il n'est pas trop tard - et il n'est jamais trop tard pour bien faire - recevez ici, la très vive expression du grand plaisir que j'ai eu, l'autre dimanche, auprès de vous. C'était, nous le sentions, une de nos dernières haltes, en plein chemin d'angoisse et de menace, avant, peut-être, un événement rude et noir. Dans ce milieu de poètes et de peintres, et sous l'œil vague et profond de tableaux et de livres, notre bavardage et même notre existence avaient le grand charme, déjà d'un repas d'ombres à la fois ardentes et apaisées. J'ai lu avec plaisir, ça et là, des critiques favorables à Chansons Malaises, pleines (Les Chansons...) d'une grande simplicité, mère d'une vigilante pureté.

 Je souhaite, que l'un et l'autre, vous alliez bien et me gardiez votre amitié

 

SDdV Aa15

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 19 janvier 1935 ImsL p. 324/325

  Paris 19.1.35

Chère Palu

- et cette dernière lettre de "ETRE et MOURIR", cette dramatique cantate sur la naissance et la mort d'un petit enfant

 

traduire

 Yvan

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 19 janvier 1935 ImsL p. 325/326/327

2  Paris 19.1.35

 

 de ton Yvan

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 30 janvier 1935 ImsL p. 327/328

  Paris 30.1.35

Chère Palu

 

 de ton Yvan

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 7 février 1935 ImsL p. 328/329

  7.2..35 [Paris]

Palu

traduire

 Ma

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 7 février 1935 ImsL p. 328/329

  7.2..35 [Paris]

Palu mon souverain

traduire

 Ma

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 9 février 1935 ImsL p. 330/331

  Paris 9.2..35 

mon cher petit Palu

traduire

 Je t'embrasse

 Yvan

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 16 février 1935 ImsL p. 330/331

  Paris 16.2..35 

Cher petit Palu

traduire

 

 Yvan

 

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 5 mars 1935 ImsL p. 333 à 336

  Paris 5 mars.35 

Très cher petit Palu

traduire ***

 Ton

 Yvan

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 21 mars 1935 ImsL p. 336 à 339

  Paris commencement du Printemps

  21 mars.35 

Chère Palu

traduire ***

 Ton

 I

 

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 2 avril 1935 ImsL p. 340/341/342

  Paris 2 avril 35

  

Chère Palu

traduire ***

 Ma

 

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 12 avril 1935 ImsL p. 342/343

  Paris 12 avril 35

  

Chère Palu

traduire ***

 Ma

 

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 17 avril 1935 ImsL p. 343/344/345

  Paris 17 avril 35

  

Chère Palu

traduire ***

 Yvan

Comment Thor peut-il se réjouir de sa vie !

Wie freut sich Thor seines Lebens !

 

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 24 avril 1935 ImsL p. 345/346/347

  Paris 24 avril 35

  

Chère Palu

traduire ***

 Yvan

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 5 mai 1935 ImsL p. 347/348/349

  Paris 5 mai 35

  

Chère Palu

traduire ***

 Mais nous voulons de nouveau être joyeux, n'est-ce pas ?

 Ton Yvan

 

lettre d'Audiberti à Claire et Yvan du 18 mai 1935

 

Chers amis,

Je viens de recevoir deux places pour la première, à Sarah Bernhardt, de Yossché Kalb, magnifique, mais vu et revu. Je n'ai guère l'intention d'y retourner. Et vous ?

Fixez-moi par un mot rapide, afin que je puisse, (si vous non plus vous ne comptez pas retourner au Kalb) rendre la précieuse carte ou en disposer. Santé bonne ? Moi verkältet.

 Poétiques amitiés

 Audiberti

 18, rue d'Enghien

 Je me suis amusé à écrire, à ma manière, un chant des hommes pieux.

SDdV Aa19

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 22 mai 1935 ImsL p. 350/351

  Paris 22 mai 35

  

Chère Palu

traduire ***

 

  Ta

 Ma

 

lettre d'Audiberti à Claire du 25 mai 1935

 

 Chère amie, chère Smaragd Schlange,

J'ai été ce matin à l'hôpital Bichat où l'on m'a radiographié Il semble que cela n'ait rien donné, et qu'il faille admettre que je doive vivre avec cette fièvre et cette fatigue - mon malaise étant de ceux qui n'ont pas de nom immédiat. Peut-être est-ce une poétite ? Me voyez-vous, pendant dix jours, comme on me le conseille, alité à Bichat, en état d'observation, dans un lit ? Ce serait grotesque. Non ? Le professeur Mondor fut parfait pour moi. Aujourd'hui, on m'a réquisitionné au Petit Parisien, encore que j'ai force fatigue. Ne suis-je pas un peu comique, avec ces maladies invisibles, indicibles, mystérieuses ?

J'ai été, et je suis encore, bien sonné cette fois. Votre regard évoqué est pour moi d'un grand et tendre profit. Vous savez que Dannie (J'ai été pris de court et n'ai point changé ce titre) - va paraître dans les Ecrits du Nord, nouvelle revue de luxe. Pardonnez-moi de ne pas vous envoyer l'autre poème. Je vais le faire ce soir.

 Je suis infiniment à vous

 Audiberti Jacques

 

 

SDdV Aa 22

 

lettre d'Audiberti à Claire du 27 mai 1935

 Bien chère amie,

Je viens d'achever l'Opéra du Monde, qui sera sans doute édité (Touchons du boa) Votre lettre me fait grand plaisir. Ne pourriez-vous pas venir lundi ?

L'Opéra du Monde m'effraie. Ce sont les aventures comiques de Dieu lui-même sur la terre. J'ai été hier affreusement malade. Aujourd'hui cela va mieux. Vous vous souvenez de ce vent froid. J'étais tellement désespéré hier. Votre amitié me fait tant de bien. Paulhan m'a dit les choses positivement les plus encourageantes. Quel parfait ami. ! Si j'avais du temps faire une série énorme d'oeuvres. Il faudrait que je puisse un jour me dégager de la nécessité du travail régulier et salarié. Que je parle de moi ! Il faudrait, au contraire ne parler que de vous, mais je n'ose, et il ne convient.

 A demain, chère feuerliliesmaragdschlange, qui parlez un allemand si poli et moelleux. J'ai au bout des doigts tous les personnages de mon Opéra.

 Téléphonez-moi, je vous prie, autour de 19h30 pour être plus sûre de me trouver.

 Mille amitiés

 Jacques

 

 

SDdV Aa 23/24

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 28 mai 1935 ImsL p. 351/352

  Paris 5 mai 35

   

Chère Palu

traduire ***

 Je travaille comme un dément. Et toi ?

 Ton appliquée

 Ma

 

lettre d'Audiberti à Claire du 1er juin 1935

 Bien chère amie,

 

 Je vous remercie bien des fois de votre pneu, qui m'aurait peut-être encore plus ému s'il m'avait parlé de quelque heure et de quelque jour où nous aurions ensemble avalé la Seine. Vous rappelez-vous ? Vous ne me connaissiez pas encore exactement et me preniez tout-à-fait pour quelqu'un. Je vous ai fait, l'autre soir, une bien gentille lettre, mais pour vous punir de tous les crimes que vous commettrez, je ne l'ai pas mise à la poste. Un de vos crimes est d'avoir écrit le Nègre et Europe, et de ne m'en avoir jamais parlé. Dites donc, où allez-vous été chercher tout cela, les poissons, les hippopotames, la queue des paons et la peau couleur de crêpe de Chine, et tant d'images et de trouvailles, tout humectées de bonne grâce perverse, de malice ronronnante ? Si vous avez tant de talent que ça, de quoi ai-je l'air, moi, qui suis incapable d'inventer quoi que ce soit ? Je crois que le Nègre m'a touché plus qu'une Allemande à Paris (Pour un coup, vous avez un échantillon) de ma vraie écriture. Il faut que nous travaillions ensemble, si, toutefois les hommes, trop bons pour moi, m'en laissent le temps. Vous riez comme l'amour, mais vous savez pleurer aussi, comme l'amour. Je marche dans la boue de l'Opéra du Monde. Si vous savez encore des choses sur les Nègres et sur la queue des paons, dites-le moi. Vous savez que, l'autre nuit, j'ai vu, de mes yeux vu - trois pendus au plafond de ma chambre. J'ai crié d'épouvante. Ma femme est exceptionnellement douce et fraternelle pour moi, et très bonne. Je ne l'ai jamais vue ainsi. Je lui fais un peu mes confidences. Alors, elle me caresse les cheveux et m'embrasse. Pourquoi tout à la fois ainsi ?Pendant dix ans, elle est dure et close comme une lame d'épée, comme un mur de galère. Et pas une amie intelligente ne me sourit avec une bouche pareille au croissant des belles soirées. Tout d'un coup, le sourire apparaît, d'une amie si parfaite, et ma moitié s'humanise. Que va-t-il m'arriver ?

 Oui, je manque de courage. Quelquefois, cela va - aujourd'hui, par exemple, fameux ! - et puis on me force à travailler, et je dois abandonner mon énorme et dérisoire rêve intérieur, et je me tourne vers vous comme vers une gentille œuvre de secours pour le pauvre poète mal peigné.

 Peut-être, dans dix ans, nous reverrons-nous. Ce qui m'ennuie, c'est que le temps est précieux. Un jour perdu, une joie perdue... Bien entendu, ce griffonnage est un poème, une chose littéraire, comme vous les aimez.

 Vous êtes bonne et je vous remercie

 Audiberti

 rue d'Enghien

 

SDdV 510.299 III (Aa 25/26)

 

lettre d'Audiberti à Claire du 6 juin 1935

 Chère amie,

 

 Je suis très rassuré par votre lettre, mais je ne saurai jamais exactement si vous n'êtes point fâchée. Enfin, l'essentiel, c'est que vous alliez bien.

 Je travaille comme un bœuf, comme un palmier. Si je peux tenir le coup et achever l'Opéra, ce sera bien, très bien. Voulez-vous que je vous envoie une NRF ?

 Je recommence à ne plus avoir de nouvelles d'Haumont (mon éditeur de poèmes).

 Je mets mes hommages à vos pieds

 d'or

 

SDdV Aa27

 

carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 7 juin 1935 ImsL p. 352

  7 juin [1935]

 [Paris]

  

traduire

 

 

 

lettre d'Audiberti à Claire du 14 juin 1935

 Ma bien chère amie,

Je me permets de vous écrire pour avoir des nouvelles de votre santé. Cela va-t-il mieux depuis hier ? Je suis assez inquiet. J'espère que vous n'avez pas pris froid.. Je l'espère réellement. Si avant votre départ, vous vouliez m'envoyer un mot, aussi bref que possible ou me téléphoner de 7 à 7½, pour me rassurer, cela me ferait plaisir, mais à la condition expresse et absolue que cela ne vous causera le moindre trouble, la moindre gêne. Même si je ne reçois rien de vous, je saurai que notre amitié ne se dément pas, pas plus que la mienne qui est très grande. Je ne suis pas capable d'avoir beaucoup d'amitié, mais elle est tout de même, pour vous très grande, celle que j'ai pour vous (tout cela est très maladroitement dit, mais ça ne fait rien, n'est-ce pas ?)

 Je suis seul dans ma maison, entre la zone et la lune. Ce soir il n'y aura peut-être pas de fantôme *. Faible, insatisfait, avide, incurablement solitaire, je pense à ma fraternelle camarade...

 Jacques

 * Il y aura tout de même des fantômes

SDdV Aa29

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 15 juin 1935 ImsL p. 352/353

  

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 Paris 15 juin 35

Chère Palu

  Ma

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 17 juin 1935 ImsL p. 353

 Paris 17 juin [1935]

Chère Palu

  Yvan

Si tu pouvais encore m'écrire de quel coup tu bouillonnes.

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carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 20 juin 1935 ImsL p. 354

 Paris 20 juin [1935]

Quelle superbe sorte de poésie ta dernière lettre.

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Ecris-moi, je t'en prie, l'heure exacte à laquelle tu arrives ici mardi 25. Si n'importe quoi n'allait pas dans le rendez-vous : on se retrouve au Studio Hôtel

  Ton tremblant en suspens Ma

 

Claire part le 24 juin dans une petite station de bains près de Bourges et fait sa cure jusqu'au 20 juillet.

 

lettre d'Ivan Goll Paris 19, rue Raffet à Claire du 24.06.35*** MST p.154/155  

PARIS, 24 juin 1935

Ma chère petite Suzu,

La carte représentant les champs de pavot des environs de Bourges m'a apporté l'assurance que tu venais de passer un bon dimanche. Oh ! Comme mes pensées t'accompagnaient à travers ce rouge été!

Quant à moi, je suis allé à Fontenay-aux-Roses* et j'y ai mangé, en joyeuse compagnie, des gâteaux au fromage, sous des rosiers déjà cueillis. Le petit pavillon russe convient très bien aux deux, Genin et Genia.**. David apporta les photos ci-jointes, que je trouve très réussies (s'il n'y avait pas mon intervention !).

Plus tard, j'ai encore été à la Mutualité, au Congrès des écrivains, où l'on voyait réellement, à portée de son regard, des "grands" de tous les pays. Là, on parle à longueur de journée de l'homme, de l'humanité, de l'inhumanité, on tourne autour, on passe à côté, et un vieux juif a déclaré, avec le dernier reste d'esprit qu'il avait pu sauver, que c'étaient "les six jours du discours". Toute la colonie d’émigrés était naturellement présente, ainsi que Heinrich et Klaus Mann, avec Brecht et Becker, et Feuchtwanger ; parmi les Français, Malraux, Gide, Cassou ; parmi les Russes, Pasternak - mais à la fin, personne ne savait plus ce qu'il avait bien voulu dire. On ne sentait qu'une chose : ils parleront de révolution, jusqu'à ce que vienne le dictateur, qui leur demandera comment ils l’entendent.

Au lieu de parler j'écris le "Tscheljuskin ". Il devrait être terminé d'ici dimanche. Mais Paula arrive demain.

Sasia a déjà un intéressé pour l'Italie. Un rendez-vous général avec Madame Nathalie Ouvry (*). On a établi le nouveau contrat, valable pour tous les pays. Dès que je l'aurai signé, je te l'enverrai.

Hier, au congrès, Hirsch m'adressa la parole et m'annonça que ton livre sur Chaplin paraît à la N.R.F. au milieu de juillet. Il voulait avoir une de "Prière d’insérer" de toi. S'il te plaît, rédige-la comme il te viendra à l'esprit, - je le ferai aussi, de mon côté - et fais le texte définitif en te servant des deux.

J'espère que tu es maintenant tout à fait rétablie et que tu peux livrer tes beaux membres aux sources chaudes.

Je suis perpétuellement près de toi, plein de tendresse et d'amour.

Ivan

* Chez Fernand Léger

** peintres russes

(*) le "masque de Hollywood", (aujourd'hui, rue Royale, Paris), une des affaires, plus tard si prospères, qu'on nous proposa tout d'abord, et que des poètes sont trop peu doués pour mener à bien.

Sur le thème de cette expédition du Tscheljuskin, Goll écrivit en 1935 le texte pour une cantate. La musique fut créée par le compositeur Hans David qui avait émigré de la République Russe de la Volga et qui s’apprêtait à retourner en Union Soviétique avec son épouse, l’actrice Li David-Nolden, pour y travailler dans le domaine artistique.

 

Paula arrive le 25 juin 1935 et habite chez Goll à Paris du 25 juin au 20 juillet,.

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Claire  à Bourges du 27.06.35  MST p. 155/156

Paris , 27 juin 1935

19 rue Raffet

Chère petite Suzu,

 Ainsi, depuis hier, Paula habite la chambrette d'en haut, et elle est toute étonnée de ce qui lui arrive. Elle s'habitue difficilement à la pensée de rester dans l'appartement, et elle s'enfuit vite et là-haut, lorsqu'il m'arrive de sortir. Seule, ma présence lui fait tout oublier. Mais elle s'est pourtant déjà débrouillée dans la cuisine et met la main à tout

 Quelle différence entre cette créature aimante, serviable et l'hôtesse précédente de la chambrette ! (") Il émane d'elle tant de douceur et de calme. Depuis 2 jours, nous nous asseyons sur le balcon, et je travaille. Car David me presse, et je veux lui donner à emporter le plus possible du texte de Tscheljuskin, étant donné qu'il file lundi à toute vapeur, en direction de l'Italie.

 Tu trouveras ci-inclus ce qui est rédigé d'une façon à peu près définitive et que David a approuvé.

 C'est une très grande chance, que la vieille Clauzel soit absente. Renée est absolument silencieuse et ne se fait pas voir. Jeannine est là, aujourd'hui, pendant deux heures, et reviendra samedi.

 Je suis heureux que tu aies trouvé un médecin si gentil : encore un qui reprend tout depuis le commencement ! Reste à attendre le résultat. Oh ! si réellement une guérison devait survenir ! En tout cas, il te restera peu de temps pour te sentir seule. Et chez Drisel, qui s'est comporté en malin, je sais au moins que mon petit oiseau est confortablement niché.

 Je t'ai envoyé à lire, hier, le nouveau livre de Cassou qui pourra te distraire - et peut-être aussi t'inspirer. Aujourd'hui partent les deux volumes que tu désires.

 Je donne, aujourd'hui même, en Suisse, l'ordre de t'envoyer provisoirement les 750 francs disponibles.

Et mon coeur t'adresse ses rayons les plus chaleureux.

 Ivan

(*) Doralies Studer, fille née du premier mariage de Claire

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Claire  à Bourges ? du 30.06.35  MST p. 156/157/158

Paris, 30 juin 1935

Ma chère petite Suzu,

 

J'ai bien ri de ton prix de beauté : Miss sans Terre ! Miss Poésie ! Certes, c'est le plus beau titre et la plus enviable Jeunesse et sans le "Masque d'Hollywood" qu’une femme peut souhaiter et que même l'épouse légitime de Zeus a tenté en vain de se procurer je pense !

Et, conformément à la logique, je dois me croire aujourd'hui aussi heureux que Zeus, - un Zeus qui, par-dessus le marché, s’est métamorphosé en une biche fragile, qui se repose de lutter et de bramer. Il faut bien que l'on tire un avantage de sa condition de poète : pouvoir fuir hors de soi-même.

Non, je ne puis réellement me calmer au sujet de ce succès que t’a si innocemment décerné la voix du peuple, vox populi. Tu as le droit d'en être fière. Il serait trop dommage que le monde n’en soit pas informé (par un écho).

L'idée d’écrire les Mémoires de Fraulein Spitz me semble être très fructueuse : mais dans ce cas, à ta place, j'écrirais tout de suite le roman des reines de beauté, au-delà de tout élément personnel en reflétant l'époque, en dépassant la petit Spitz tout en l'utilisant.

Ah ! qu’avec tant de génie et de beauté, tu doives souffrir ainsi de solitude cosmique - comme tous les vrais grands de cette terre ! Cela m'attriste et m'attire invinciblement de plus en plus près de toi ! Petit oiseau, déesse secrète de cette terre - Sans Terre - sache-le donc à la fin combien je te révère, combien je t'aime ! Tu n'as pas le droit d'être aussi triste, et surtout, tu n'as pas le droit de douter et de désespérer ! Si seulement tu guéris corporellement, je sais que ton esprit te prépare encore de très grandes victoires et de très grandes joies. Étant donné que tu as, depuis des années, soutenu si vaillamment le combat contre ton corps, le combat contre ton âme devrait à présent t’être facile. Car, intérieurement, tu es supérieure ! Et alors, - quel épanouissement se serait.

e reçois de Paula une influence de calme animal, bienfaisant. Sa confiance illimitée en son amour crée autour d'elle une atmosphère de douceur. Près d’elle, tout devient grand et simple. De plus, elle n'est plus aucunement la créature primitive et naturelle d'autrefois, comment on pourrait le croire encore. Elle a derrière elle des périodes de nervosité et de morbidité. Quand on pense qu'elle arrive à faire son chemin dans le monde, n'ayant toujours encore rien dans les mains, et avec un minimum de travail !

Elle est timide comme au premier jour. L'appartement est parfaitement intouché. Ce n'est pas elle qui y vit, ce n'est que l'ombre de l’être qui m’aime. Pas un atome, pas une poussière d'elle-même ne reste derrière elle, dans une pièce quand elle en est sortie. Quand tu rentreras, elle n'aura pas laissé une trace. Elle n'a même pas jeté encore un regard dans la salle de bains. Quand je sors, elle vole jusqu'à sa chambre, trouvant que c'est le seul lieu qui lui convient.

Pas une fois, elle n'a encore voulu descendre en ville : ni les devantures, ni les expositions ne l’attirent. Elle reste tranquillement sur le balcon, où elle s'affaire, et dans la cuisine, dont je suis le plus souvent tenu à l'écart.

Ci-inclus une lettre de la banque, qui s'excuse de ne t'avoir envoyé que 650 francs au lieu de 1.750 francs parce qu'elle n'avait pas plus de disponibilités. Il faut que je donne de nouveaux ordres de vente, afin qu'on t'envoie, la semaine prochaine, le reliquat.

Pas un mot de Doralies. Mais j'ai été, une seule fois, sur le boulevard Saint-Germain, et là je l'ai aperçue de loin, alors qu'elle traînait d'un air ennuyé, avec sa Viennoise. Elle ne m'a pas vu. C'était il y a trois jours. Son adresse : Hôtel Saint-Pierre, rue de l'Ecole de Médecine.

Toi, baigne-toi sagement dans tes sources, et bois leur eau. Cela te fera du bien. Tu finiras bien par guérir un jour, et par redevenir gaie et active, car c'est dans ta nature. Seulement, encore un peu de patience.

Je pense à toi, plein d’amour et de reconnaissance.

Ivan

Écris donc une petite carte à Nancy.

 

lettre d'Audiberti à Claire du 3 juillet 1935

 Chère Claire,

Je suis très heureux de votre lettre bleue. En effet, c'est toujours quand on se sent vraiment triste et seul que les coeurs sur qui l'on compte ne sont pas là. Et quand ils sont là, et c'est là la grande peine, ils ont tort...J'espère qu'à votre retour vous daignerez, chère Claire, me convoquer auprès de vous en quelque Napolitain de derrière les fagots. Je suis fort favorisé par le côté littéraire de la vie, aujourd'hui, puisque mes petits trucs paraissent de mieux en mieux, mais des joies véritables de la vie, je ne sais pas grand chose. Ivan Goll m'a demandé des vers pour Jeune Europe. Je lui ai envoyé un poème qui s'appelle : « Chanson pour mourir un jour»

 A bientôt, chère Claire, écrivez-moi, je vous en prie, et ne m'oubliez.

  Audiberti

 T. S. V. P.

 

 Vous êtes vraiment ma sœur, sentimentale, capricieuse, un petit peu amie de détester ce que vous aimez. A la pensée que je vous attends, déjà vous vous glacez. Que je ne vous attende plus, vous penserez à moi. les dames...

 

SDdV Aa30/31 (155) - 510.259 III

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Claire  à Bourges ? du 04/07.35  MST p. 158

 Paris, 4 juillet 1935

Chère petite Suzu,

 Ta dernière lettre m'a infiniment touché. Tu es devenue très sage et très bonne mais l'un ne conditionne pas l'autre. J'espère que tu emmagasines à présent de la santé pour l'hiver prochain. Il y a eu trois jours de pluie diluvienne, tu en as peut-être souffert aussi ? À présent, les journées sont redevenues fraîches, presque trop fraîches.

 Je voulais, aujourd'hui, aller avec Paula à l'exposition italienne, et j'ai remarqué que tu ne m'en a pas envoyé le catalogue. Peux-tu le faire encore, vite, s'il te plaît ?

 Dans la maison, tout continue à être très silencieux et très contemplatif. Personne ne sonne. Et nous allons peu en ville. Je travaille courageusement au Tscheljuskin.. David est parti pour l'Italie, définitivement.

 Récemment, j'ai rencontré Malraux aux Deux Magots ; il est, comme toujours très excité par de nouvelles idées. Il prévoit aussi pour bientôt, soit un "putsch" du Reich soit une révolution de gauche. Octobre, dernier délai .

 D'ici-là, il faut encore que nous sauvions un petit pécule.

 Je donne en Suisse des indications pour le prochain envoi qu'on doit te faire,

 et t'étreins avec amour.

 Ivan

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Claire du 10/07.35  MST p. 159

Paris 10 juillet 1935

Chère petite Suzu,

Ta petite carte, encore pleine de l'odeur de pavot des collines auvergnates, m'a fait un grand plaisir.

Tranquillise-toi, la " prière d'insérer" est déjà en à la.N R F.

  Je n'ai pas pu me retenir de traiter un peu ironiquement Reeves, la fiancée de Chaplin.

 La N R F es d'accord pour n'importe quelle date ; ce n'est pas à 2 jours près.

 Mais pourtant, je voudrais bien savoir pour quelle date précise tu te décides. S'il te plaît, dis-le moi au plus vite, car Paula, elle aussi, doit organiser son départ en conséquence. Pour le 14 juillet, tu n'as rien à craindre : d'abord il ne se passera rien, et ensuite ni Paula ni moi n'avons la moindre envie de nous mêler à une foule idiote. Peut-être même irons-nous à Chartres, car nous avons terminé notre visite à l'exposition italienne. Elle n'était ni intéressante ni instructive.

 As-tu reçu, samedi dernier les 550 francs ?

 Je viens de recevoir 15 francs du Neue Wiener Journal !

 Certainement, tu peux inviter Aldo à prendre le thé, si cela te fait plaisir.

 Alice Cocéa me fait traîner ; mais les perspectives deviennent chaque jour plus faibles.

 Tscheljuskin est bloqué dans la glace.

 S'il te plaît, n'oublie pas de m'envoyer tout de suite l'analyse, dans son texte original, ainsi que le diagnostic

 Monsieur Clauzel est revenu et il a des exigences meurtrières.

 Soigne-toi courageusement et indique-moi exactement ton programme pour les prochains jours.

 En amour

 Ton

 Ivan

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Claire du 18/07.35  MST p. 160

 Paris, 18 juillet 1935

Ma chère petite Suzu,

 Qu'est-ce qui s'est fait entendre si mystérieusement, hier soir, au téléphone ? Etait-ce seulement ta voix ? ou ton balbutiement ? Il me semblait que j'entendais un enfant perdu gémir dans une forêt lointaine.

 J'ai à peine compris ce que tu me disais : mais je ne l'ai pas regretté, car il m'a semblé que tu n'avais rien de précis à m'apprendre, comme si tu avais à me dissimuler un quelconque malheur du corps ou de l'âme. Et 5 ou 6 minutes ne pouvaient pas suffire pour pénétrer en toi.

 Je ne puis qu'avoir confiance en toi et en Dieu, et rester assuré que tout sera bien vite arrangé et que, samedi, tu reviendras saine et sauve, définitivement.

 Ci-inclus les correspondances : une gentille proposition du Neue Wiener Journal, naguère si sec, qui offre un travail durable, et la prière d'insérer de la N R F.

 Avec mon amour plein d'inquiétude et d'espérance.

 Ivan

 

Paula Ludwig repart le 20 juillet pour aller voir son fils à Wetzlar tandis que Claire rentre le même jour de sa cure.

 

 Carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Wetzlar 26 juillet 1935 ImsL p. 354/355

 vendredi

 [Paris 26 juillet 1935]

Chère petite Paula

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En amour

 Ma

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Wetzlar 30 juillet 1935 ImsL p. 355/356

 vendredi

 [Paris 30 juillet 1935]

Cher Palu

traduire et surtout vérifier la traduction suivante

Je voudrais que tu aies résolu le lourd problème, simultané de la déclaration lyrique et de la forme tactique - comme cela est exigé de la Fugue même - de réaliser. Est-ce réussi ? C'est à apprécier. Tu dois jouer dans un disque "l'Art de la Fugue", ou connais-tu une quelconque autre Fugue, Connais-tu des fugues ? (jeu de mot qui existe en français entre le sens musical et l'action de s'enfuir du lieu habituel)

 Yvan

 

lettre d'Audiberti à Claire du 1er août 1935

 

 Ma chère amie,

 

Je suis heureux de penser, de supposer que votre santé est bonne, mais faute de nouvelles de vous, je n'en sais trop rien.

Vous plairait-il de me faire un petit mot. Dannie est parue. En voulez-vous ?

 Je baise vos mains

 Audiberti

SDdV Aa31 (160)

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Wetzlar 3 août 1935 ImsL p. 356/357/358

 Paris 3 août 35

Cher Palu

 Yvan

traduire

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Wetzlar 8 août 1935 ImsL p. 359/360 **

 Paris 8 août 35

O Palu

 Yvan

Je n'ai rien contre cela que tu donnes la Fugue Ellermann.

traduire

 

Yvan part le 10 août à Sori, chez son ami le compositeur Hans David pour terminer avec lui, ensemble le texte et la musique de sa cantate "Tscheljuskin" où Paula viendra le retrouver le 17 août jusqu’au 4 septembre. Claire est en cure à Challes et ira retrouver Ivan le 4 septembre avant de revenir début octobre à Paris, seule

 

lettre de Claire Challes-les-Eaux  à Ivan Goll à Sori  11 août 35 MST p.160/161

11.8. 35

Dimanche

Hôtel du château

Challes-les-Eaux

 

Mon Ivan,

Il est six heures et demie et je te cherche derrière le cristal transparent infiniment délicat de la chaîne de montagnes italiennes qui s'encadrent dans ma fenêtre, en même temps que la vallée si intime que tu as dessinée un jour. Je suis tout seule dans une délicieuse petite maison perdue, avec jardin, et l'unique étage, que j'habite, a deux petites chambres jumelles, dont tu aurais pu occuper l'une, - et je t'y aurais aimé, si tendrement, purement, et depuis le commencement... Je sais cela, aujourd'hui, plus fortement et plus certainement que jamais je ne l'avais su, depuis longtemps, depuis longtemps... Ah ! toi qui es si bon, toi dont le coeur vibre avec tant de délicatesse,. Faut-il toujours que je sois au loin pour reconnaître ta valeur unique en son genre, ton âme de poète, ton amour, qui est inépuisable. Pardonne-moi bien des choses, toi, et laisse-moi baiser 1000 fois avec dévotion et respect tes mains offensées aujourd'hui par le plus vil des propriétaires (*), ou plutôt des valets. Ah ! si tu pouvais être là-bas, heureux, sous le soleil de Sori ! Je veux savoir que son pauvre visage est rayonnant. Une seule chose peut sécher mes larmes, un mot de toi "je suis heureux !" Envoie-moi ce mot bien vite et laisse-toi baiser sur la bouche, longtemps et fermement par

 celle qui t'appartient éternellement

 Suzu

(*) notre propriétaire parisien, Monsieur Clauzel, après 7 ans d'amitié, inspiré par Hitler, avait traité Ivan de "Juif" (Ivan lui devait 2 mois de loyers).

 

lettre d'Ivan Goll Sori à Claire Challes-les-Eaux   du 13 août 35  MST p. 161/162

Sori, 13. 8. 35

Chère petite Suzu,

Ainsi donc, je suis magnifiquement tombé. La Casina est une villa ravissante, pourvue de tout le confort, sur une colline de figuiers, de vignes, de mimosas et d'agaves, à 10 mètres du sud de la mer. Installation très commode pleine de goût artistique, salle de bains, des carillons et du silence. Une pleine lune dorée rebondit sur le lit

Je suis arrivé dimanche, chancelant de fatigue et amitié. Je ne savais réellement pas ce qui m'arrivait. Tout semblait irréel. Les David (*) m’attendaient à la petite gare - mais lui est encore malade, malheureusement, il se lève pour la première fois depuis des semaines. Sa lettre avait donné une description exacte de la réalité.

 Mais tous deux sont très gentils pour moi. Et nous avons élaboré aussitôt, le lundi, un plan d'économie domestique : tout d'abord, une servante est là, qui fait tout et gagne 100 lires par mois. Il m'en incombe le tiers, c'est-à-dire 35 lires, autant que Jeanine prétend gagner en 3 jours. Je n'ai donc à me préoccuper de rien : pas d'achats à faire, pas à cuisiner, pas à laver, mais j'ai le droit de ne rien faire, de dormir, de me coucher dans l'herbe et - de jouer au tennis.

 Oui, imagine-toi, il y a un tennis, absolument privé, continuellement à notre disposition ! en effet, la villa fait partie d'un groupe de 4 maisons semblables, qu'un riche Italien a fait construire sur un terrain immense. Et trois autres villas, sont habitées par des ménages américains, qui sont d'ailleurs des écrivains et des gens de cinéma. Une des dames est la cousine de David, et lui a procuré la Casina. Vraiment, c'est seulement par les relations qu'on trouve quelque chose, en ce monde, sinon on n’est au courant de rien.

En outre, Li David aura, chaque semaine, 150 lires pour tenir la maison, c'est-à-dire ma participation sera de 50 lires, pour toute la nourriture, la boisson etc.. Peut-on vivre mieux et à meilleur marché ? La servante nous fait des minestrone merveilleux, des spaghettis etc.. Il n’y a plus de poissons dans cette vaste mer : les Italiens ont trop pêché, et sans prudence. La viande est également rare et mauvaise. Nous sommes donc presque végétariens, avec aussi des crudités, presque comme autrefois à. Terrena (*).Mais dix fois moins cher.

A l'instant, une petite fille de 5 ans apporte ta lettre, qui me remplit d'émotion. Je peux te donner tout de suite la réponse souhaitée : je suis heureux

Au premier étage de la Casina, il y a trois chambres contiguës : l'une est habitée par les David, l'autre par moi, et la troisième t'es réservée pour le 5 septembre. Ici, tu pourras réellement bien te rétablir.

Hier matin, nous avons joué au tennis pendant 3 heures, puis nous sommes descendus jusqu'à la mer, qui est à 10 minutes ; il y a une petite baie, presque privée, entre les rochers, et qui rappelle beaucoup celle d'Ischia. D’ailleurs, c'est presque exactement le même paysage, la même vie, seulement bien plus confortable .

Pour l'instant, je me rétablis et ne veut pas encore travailler.

Paris est loin, Clauzel n'existe plus, depuis longtemps.

Rien que du soleil, du vent, des vignobles, qui vous poussent jusque dans la bouche

Donc, je pense à toi et je prépare, pour toi aussi, d’aussi belles semaines

Ton

 Ivan. (qui respire enfin)

(*) à Majorque

 

Ivan Goll Sori à Paula Ludwig Wetzlar 14 août 1935 ImsL p. 361/362

 Sori 14 août 35

Cher Palu

traduire

 

Apporte-moi tes livres pour les David. Ci-joint 50 lires pour le trajet, seulement c'est peut-être trop juste.

J'espère que ce rêve s'accomplisse bientôt !

 Ta

 Ma

Villa La Casina

Sori (Gênes)

Italie

 

Ivan Goll Sori à Paula Ludwig Ehrwald 15 août 1935 ImsL p. 362

 Sori 15.8.35

 Villa Casina

 Sori (Gênes) Italie

 

Chère Palu

En toute éventualité, te t'envoie ici une fois encore le contenu de ma lettre envoyée hier à Wetzlar. Je calculais que tu y arrivais le 16 au matin et que tu voulais quitter Wetzlar le 17 - et que tu souhaitais au lieu de passer par Ehrwald, venir directement ici : 

les David sont des êtres magnifiques. La maison de campagne est admirable dans les vignes et les figuiers, au-dessus d'une anse rocheuse où l'on peut nager chaque jour.

Il y a une chambre prête pour toi. Et voici mon projet : je pense rester ici jusqu'au 1er septembre, et je serais comblé si tu voulais bien venir me retrouver dans ce paysage paradisiaque. J'espère que tu n'as pas d'autre projet. Le voyage ici ne vaut pas la peine pour moins de 14 jours. Le trajet Brenner - Gênes coûte environ 50 lires que je t'ai envoyé par chèque bancaire dans ma lettre à Wetzlar. Viens vite. Aussi vite que tu peux. C'est tellement admirable, ici. Je soupire aussi après toi : 3 années en Italie : si magnifiques. Sori est à 40 minutes de Gênes : le coût du billet, 4 lires pour ici.

Adresse pour ton télégramme : Goll Villa Casina Sori

en attente heureuse

 Ton

 Ma

vérifier ma traduction

 

lettre de Claire Challes-les-Eaux  à Ivan Goll à Sori 16 août 35 MST p. 162/163

Challes-les-Eaux

(Savoie)

16 août 1935

Mon Yvan,

Ta lettre m'a rendue enfin paisible et heureuse. Tu es bien, tu te réjouis, tu revis. Le cauchemar s'éloigne, je respire. Oublions ce monde inférieur haïssable qui vit dans notre appartement, ces animaux méprisables avec qui nous devons partager notre logis, alors qu'il existe des gens si bons, gentils et chaleureux, comme par exemple, ces David. Comme j'aspire au 5, à toi, au soleil !

 Ici, en effet, il y a eu tempête. Audiberti (*) pendant trois jours. Seule avec lui dans cette petite maison ! Il ne m'a rien épargné, depuis les crises de larmes du désespoir jusqu'au murmure dévotieux des formules d'amitié, de la fureur de la jalousie jusqu'aux plus douces, au plus enfantine effusions de gratitude. Même dans cette passion obsédée pour moi, sa nature géniale ne lui laisse pas un moment de répit. Pas de sommeil, aucune possibilité de s'anesthésier. Il se vautre dans sa souffrance, il s'y intensifie, et comme je ne peux pas apaiser la soif qu'il a de moi, explosion sur explosion ! Une épreuve inouïe, qui sera peut-être féconde pour lui, il en sortira peut-être un livre.

 En tout cas, il a fait pour moi un grand poème, chantant mon propre tourment et ma nostalgie de la mort

 Il était déjà dimanche à Chambéry et s'est annoncé à l'improviste, lundi matin, par téléphone. Je te dirai le reste oralement, car c'est indescriptible. Aujourd'hui, je ne suis plus seule dans la maison, des gens ont emménagé au-dessous de moi. La première note d'hôtel sera bientôt échue. Cela fait 44 + 10 % par jour. Je chauffe ma chambre avec un magnifique radiateur à vapeur, car il fait très froid le matin et le soir. Mais le temps s'est remis au calme après la tempête gigantesque qui a marqué, extérieurement aussi, l'arrivée de Jacques.

Écris-moi bientôt un mot

Je t'embrasse très tendrement

  Ta Suzu

 

 

lettre d'Audiberti à Claire du 16 août 1935

sur papier à en-tête :

 HOTEL - CAFE - RESTAURANT

 DU

CHEMIN DE FER & DES NEGOCIANTS

 CHAMBERY

 

  Dannie*aux cheveux roux que d'aucuns nomment Claire, o sabre tout saignant encore et frémissant de tant de coups donnés, de tant de coups reçus, depuis que tes yeux verts comme l'éternité ouvrirent sur le monde une dure lumière, j'écoute encore en moi le fil crissant et doux de ta courbe trempée aux sources de Vénus, le fil coupant et pur de l'arme qui t'habite exaspérer mon cœur d'une infinie coupure. La montagne écrivait sur le limpide ciel des combats de géants, des épopées d'archanges. On les voyait bondir, chargés de butins pâles, d'une falaise à l'autre, et les arbres, plus bas, terrés dans la décence horrible du silence, enchaînés par le pied comme des mitrailleurs, nous regardaient passer avec leurs yeux vidés, sous leur âme étalée ainsi qu'une couronne, et se disaient entre eux, à l'aide des bras noirs, qu'enfin ils avaient vu des archanges le roi. Et puis, la grande peur et la grande colère des célestes troupeaux par les plaines du ciel, par toutes ces Hongrie et toutes ces Bavière qui regardent la terre où je n'existe pas, commencèrent soudain leurs galopades nues, mille et mille escadrons aux croupes de bitume, aux sabots de fumée, aux casques sans espoir.

Dans cette foule grise et pressée et nocturne où pauvrement luttait le soleil piétiné, une traînée plus sombre et plus en plus voisine décelait les chemins des démons de l'élite, un cortège plombé qui vole vers Satan. Alors la pluie, ainsi qu'une énorme souris, qu'une calamité méticuleuse et tendre, qu'une rémission du mal de la clarté, vint sur nous et sur moi, et puisque c'est la cage et puisque c'est la dent qui règnent ici-bas, elle fut la prison, elle fut la morsure avec une franchise auguste et maternelle, un recommencement inépuisable et sage et son bruit coutumier de flamme lente et fraîche, de dissolution à base de pitié, de javelots d'oubli, de flèches de sommeil. Mais le soleil, sculptant les angles responsables, arrachant le manteau pour que la plaie surgisse, le dieu jaloux de voir et jamais las de vaincre, dans ses puissantes mains de pourpre et de cobalt étouffa les traînards de l'armée nébuleuse, brisa les mols épis des moissons de l'ondée, dessina dans les airs le devoir et la honte, redora, repeignit, restaura, rajusta son domaine, et la pierre, et le sel, et le feu, et l'acier. Sans retour des plus frêles oiselles, o Dannie ! Et pourtant je serai le soleil... Le soleil est ma forme au loin que j'atteindrai, la parfaite saison de mon cri solitaire et du pesant orgueil qui m'accable déjà. Comme lui je rayonne au sommet des ténèbres. Je flambe comme lui de triomphes impairs. Mes rayons contre moi renversés dans ma pulpe me percent plus encore qu'ils ne font les nuées. D'autre douceur sur moi que celle de mes larmes je ne connus jamais dans ma hutte de gloire. Tu les a fait couler, ces larmes, o Dannie. Le monde tout entier brilla dans cette goutte, tout le drame de l'homme en proie à la beauté, et cette triste ondée fut quand même un baptême, une onction divine où nous baignâmes ensemble

 

 Audiberti

  • Tel était le nom qu’Audiberti donnait à Claire Goll 

SDdV Aa32 (166)

 

carte de Rebecca Lazard de Mondorf à Yvan à Sori chez Mr David 16 août 35 

  Mondorf le 16 août 1935

 Mon cher Mig,

Ici depuis le 11, nous faisons une excellente cure de repos et avons l'avantage d'une excellente température. Nous avons bien reçu en son temps ta lettre de Londres et de Paris et t'aurais répondu plus tôt si j'avais eu ton adresse. Nous prolongerions volontiers notre séjour ici si des occupations locatives non encore terminées mais en bonne voie de l'être ne nous rappelaient au pays. En te souhaitant bon séjour et parfaite santé, nous t'embrassons bien affectueusement

 Reb.

PS : Nous attendons ta prochaine à Metz

SDdV

 

lettre d'Audiberti à Claire après le 16 août 1935

 Chère et très chère,

dans la petite poésie que je vous ai envoyée de Chambéry, il faut que vous compreniez bien que "le roi des archanges", que les arbres regardent passer, c'est vous. Je tremble que vous ne l'ayez pas compris ainsi, o mince roi d'or !

Jusqu'à nouvel ordre, j'ai dénombré 4 vous (en état de fard)

1°: Telle qu'à côté de la fenêtre, à Auteuil yeux grands ouverts et fulgurants, bouche comme ci-contre : exquise. Inouïe

2° De profil. Penchée. creusée

Combattante " Qui s'en croit ". Moins sympathique

3° Qui rit en buvant. J'aime mieux ne pas en parler

 (ressemble à Georges V)

4° Qui vient vers vous, mauve, humaine, l'amitié, la tendresse.

Mon cœur pour celle-là ! (et pour le n° 1 aussi)

 

SDdV Aa33 (169)

 

le 17 août 1935, Paula quitte Wetzlar pour retrouver Goll à Sori et elle y reste jusqu'au 4 septembre

 

lettre d'Ivan Goll Sori à Claire Challes-les-Eaux   du 20 août 35  MST p. 163/164/165

 Sori 20 août 1935

Chère petite Suzu,

 Il faut que je te raconte un peu la vie que je mène ici.. Je me porte magnifiquement bien, pour la première fois depuis longtemps. Aucun souci, ni provisions, ni cuisine, on me recoud mes boutons ; c'est une existence confiante et amicale.. On se rencontre pour les repas, sur la terrasse ombragée ; il n'y a qu'un plat : gnocchi ou raviolis ou minestrone, dont on peut se remplir le ventre. Ensuite, on se cueille soi-même ses figues. Peu d'extras - on est économe et il ne faut pas dépenser plus de 150 lires par semaine. Avec ça, la famille des David est la plus riche de tout Düsseldorf, ils ont été élevés dans le plus grand luxe. Et ils vont pouvoir aussi s'offrir, à leurs propres frais, un voyage à deux en Russie, bien que l'aller seul coûte 5.000 francs.

 David n'a pas pu travailler, à cause de sa maladie. En outre, il a depuis longtemps une cantate en chantier, de sorte que le Tscheljuskin n'avance pas.

 Par contre, je travaille sans discontinuer à la traduction de César .J'ai déjà 100 pages.

 Deux parents américains de David habitent ici aussi ; avec eux, nous jouons au tennis dès huit heures du matin. Vers dix heures on va dans la baie rocheuse, au bord de la mer, on s'y écorche les pieds et les mains en marchant sur les oursins. Je suis couvert de plaies, du haut en bas. Mais déjà tout bruni. Je dors mal, cinq heures, à cause des moustiques, - mais suis néanmoins en très bonne santé.

 Le 15 août, il y a eu au village une fête italienne bariolée, procession à neuf heures du soir, des pétards toute la journée, baraques foraines avec des jeux de roulettes auxquels j'ai gagné 8 lires. Par contre, j'ai perdu ma belle bague en me baignant dans une mer très tumultueuse, le même jour. La vague, comme une femme, la doucement tirée du doigt. Tu sais qu'elle était trop large. Je n'ai pas été très attristé, car ce n'était pas un témoignage d'affection, une preuve de sentiment : tout à fait impersonnelle. J'espère qu'on m'en donnera un jour une autre. Je suis presque content de ne plus la posséder, car elle était un cadeau bien superflu de Mme Bergner.

 Li David est une femme aimable, gentille, qui se soumet volontiers à ce têtu de David. Elle joue la petite fille, sur le même ton que Mme Bergner . David aime beaucoup ça. Douze années déjà. Au fond, elle n'est pas heureuse. Le mariage raté typique, le manque d'enfants, la prétention à l'éternelle jeunesse... et certainement, elle ne l'a encore jamais trompé...

 Ta tempête - Audiberti semble avoir été aussi forte que celle de la mer d'Ovado, en Italie, le même jour. Dommage que toi, l'écrivain, tu déclares que c'est indescriptible ! C'est justement ta description qui m'aurait intéressé. Je trouve grotesque la carte qu'il m'a écrite.

 Hier, tu as dû recevoir 400 francs de Zurich. À présent, j'ai déjà écrit à Albin Michel qu'il veuille bien t'envoyer 1.000 francs. Pour ta note finale. J'espère qu'il le fera. Sinon, nous nous arrangerons autrement.

 J'espère que tu fais régulièrement la cure du diable ! Et te portes-tu bien ? Tu ne dois pas t'ennuyer, cette fois. C'est bien. Prends de la vie ce que tu peux. Nous voulons encore une fois être non des anges, mais des diables.

 Ton Ivan, qui reprend des forces

 

lettre d'Audiberti à Claire du 22 août 1935

 

 Chère, chère Claire,

 Jacques peigné, rasé et lavé – le tout en l'honneur de votre fantôme – vous écrit du fond de sa détresse humaine et de son ratage fatal. Quelques vers péniblement extraits de la lourde éponge de ma substance corporelle (corporelle bien plus que sentimentale ou cérébrale) constituent ma seule monnaie. Elle est bien maigre. Vous la dites très haute. J'aurai au moins eu ça (vos éloges, votre admiration sincère ou charitable, ou les deux à la fois).

 Votre lettre ici arriva peu de temps après ma propre arrivée, comme si nous avions, elle et moi, voyagé ensemble. Ainsi, d'ailleurs fîmes-nous. Toutes vos faces derrière ma face, et de votre odeur, encore sur mes vêtements. J'étais le possédé peut-être possesseur et, aussi, ce bloc de boue modelable en proie à votre art, ô subtil sculpteur. Déjà, je ressemble à ce que vous voulez, par la grâce de votre amitié tutélaire, et je promène l'apparence d'un amant qui, pour être platonique, n'en est pas moins fier et comblé. Mais, autour de moi, passent les couples d'heureuse chair. La longue jambe nue des jeunes femmes brille dans les nuits. La perfection de ma solitude physique, après m'avoir fait pleurer, commence à me faire rire. Peut-être arriverai-je à me barder tout entier d'une pellicule divine que ne traverseront plus les prestiges cruels de la beauté muselée, élancée, balancée. Au loin, ma femme, statue noire et insondable, ne sait pas que c'est la nuit, car elle est la nuit. Elle ne sait pas que sur moi s'étend la nuit.

 Merci, Claire chérie, pour votre gentille puissance et sagesse, et pour avoir si bien, et si courageusement, su ménager mon amour-propre sans compromettre vos devoirs. Nous partageons un pacte tendre et difficile et cette communauté me déchire autant qu'elle me console.

 Jacques

(6 avenue Saint-Roch, Antibes)

SDdV Aa34 (172) - 510.299 III

 

lettre de Claire Challes-les-Eaux  à Ivan Goll à Sori 22 août 35 MST p. 167/168

 Hôtel du Château

 Challes-les-Eaux (Savoie)

 1935 jeudi

Chéri,

Depuis ta carte de Rapallo, je n'ai reçu aucun signe de vie de toi. Est-ce que réellement tu vis encore ? Je me fais l'effet d'être si abandonnée, quand tes petits oiseaux griffonnés sur le papier ne volent plus vers moi. Tous ces jours, j'ai été si seule. Seul Jacques (*) m'a adressé un grand poème et une lettre démentie. Avec ça, le livre sur Chaplin trouve des échos dont je m'étonne fort. On m'écrit de partout. Même Wolfenstein se souvient de mon existence et demande un exemplaire. Et il est arrivé une longue lettre de Gaston Chéron : " votre livre m'a passionné, etc.".

 Aujourd'hui, enfin, vient une visite, avec voiture, pour trois jours. On pourra peut-être excursionner jusqu'à Chamonix où le Grand Saint-Bernard.

 Souvent je contemple avec la tendresse la plus profonde tes traits "photogéniaux". Dans quinze jours, je regarderai ton visage. S'il te plaît, écris-moi vite s'il sourit, s'il est heureux, afin que je n'ai pas à me réveiller, la nuit, et à pleurer.

 Avec mon ancienne fidélité, je t'embrasse.

 Ta Suzu

 

Lundi, je suis invitée, avec Georges Suarès, chez charmant ménage, dont j'ai fait la connaissance à la salle à manger, des amis de Dufour. Un peintre extrêmement doué, qui a fait une grande toile pour un panneau mural du "Normandie".

 Et toi ? Vois-tu des gens gentils, à part les David ? Travailles-tu ? J'adresse un doux salut aux Davidsbundler.

 Tout de même, je voudrais encore te dire quelque chose sur ces 3 jours avec Audiberti. Il demandait de l'amour à grands cris, et - tu le sais - je ne puis lui donner que de l'amitié. Il m'arrive avec lui la même chose qu'avec Frantz Werfel : j'étais alors une toute jeune fille, et son premier baiser m'a fait reculer pour toujours devant l'homme qui était en lui. Et quand il m'a dit, plus tard, à Paris : "maintenant je t'aimerais en mettant en jeu toute ma personnalité" (à cet instant, il devait avoir totalement oublié l'Errynie Alma, à l'hôtel Royal Madison), je sus pourquoi j'avais reculé : son physique me répugnait. D'autant plus qu'entre-temps, j'avais été gâtée par le corps d'Adonis de mon Ivan. Vis-à-vis de Jacques, même paralysie. Peut-être le génie n'est-il qu'une maladie des glandes, et elle défigure le corps (Rilke). En outre, je suis protégée de Jacques par la nature et par le respect qu'il a pour le poète de "Jean sans Terre". Tout à coup, j'ai eu mes règles et j'ai dû m'aliter, naturellement. Il resta assis près de mon lit, balbutiant : " Dannie.! Dannie ! ". Car pendant ces jours-là, comme toujours, j'étais désespérée. Tout particulièrement par ta rechute dans l'ancienne infidélité. Et comme je m'exclamais : " si je pouvais m'achever.... ", il commença à tout prendre par écrit. Il travailla, toute la nuit, à un poème : La période, dont je t'envoie quelques vers :

 tu sais, la petite maison se trouve dans les vignobles,  

 

 Parmi l'astre de l'aventure

 Devant les monstres du verger

 La douloureuse créature

 Ecoute son sang la manger ...

 

Et un peu plus loin : "O Cléopâtre achève-toi", sur quoi je lui conseillai d'intituler le poème "La mort de Cléopâtre". Il en écrivit encore deux autres : "Sémiramis" et "La maison de Dannie".

 Je n'aurais pas supporté cet ouragan plus de trois jours, bien que tu m'aies habituée aux tempêtes.

 Encore une fois tienne.

 Suzu

 

(*) Audiberti

 

lettre de Claire à Challes-les-Eaux  à Ivan Goll à Sori 27 août 35 MST p. 165

 Hôtel du Château

 Challes-les-Eaux (Savoie)

 1935 jeudi [27 août]

Chéri,

 Reçu ce matin ta lettre, qui m'a un peu surprise. Tu es chez des gens aimables - et non solitaire comme moi - et tu te plains de ta solitude. Tu justifies ton invitation de Paula à Sori en disant que, dans la vie, tu n'as jamais été l'objet de tendresse. Ne pouvais-tu pas motiver tes actions avec plus de franchise et sans digressions blessantes ? Car, pendant douze ans, je n'ai été, à ton égard, que tendresse. Peut-être tendresse non sensuelle, non celle dont tu as besoin, mais néanmoins tendresse. De plus, la manière hypocrite dont tu interprètes l'union conjugale des D. me déplaît. Il faut toujours chercher à rester juste quoi qu'on fasse. Paula est donc auprès de toi.. A cela, je n'ai qu'une chose à ajouter : espèrons que tu es apaisé et parfaitement heureux. Quand j'arriverai le 4, elle ne sera certainement déjà plus là, et tu ne m'en voudras donc pas de devoir abréger, par ma faute, ton bonheur idyllique. Vous pourrez d'ailleurs vous rencontrer encore, cet hiver, même de manière non officielle, chez des amis communs.

 Pensées affectueuses.

 Suzu

lettre d'Ivan Goll Sori à Claire Challes-les-Eaux  du 28.08.35  MST p. 168/169

 Sori, 28 août 1935

Chère petite Suzu,

 Foin de discussion : on ne devrait jamais écrire en partant de la mauvaise humeur d'une nuit d'insomnie. Pensons tout de suite à l'avenir proche, merveilleux : la mer fortifiante et sauvage pour toi, des figuiers murs, des terrasses ensoleillées, le plus profond repos.

 À vrai dire, depuis huit jours, ici, le temps est pluvieux et tempêtueux, et la pauvre Paula, qui n'a jamais vu la Méditerranée, n'aura guère une idée de ce qu'est le Midi. Mais les indigènes disent que, dans huit jours, il refera beau.

 Tu peux accomplir le trajet en un jour : je crois que je t'ai indiqué le trajet le plus agréable ; il est vrai qu' il y a une attente de cinq heures à Turin. Donc, mercredi 4 septembre.

 Mais je vais te prier, en ami, très énergiquement, - je laisse la galanterie à tes adorateurs - d'arriver ici en toute simplicité et sans bagages prétentieux. Tout le monde, ici, très simple. On ne met perpétuellement que des costumes de bains, des robes de plage, dans lesquels on descend directement sur les rochers de la baie. Bref, exactement comme à Ischia. Pourtant, ne pas oublier des vêtements chauds pour la nuit. La pelisse aussi.

 Ici, il ne sera pas question pour toi de travailler. Laisse donc la malle de livres à Challes, ou expédie la à petite vitesse à la maison. Et si tu voulais renoncer aussi à la malle-cabine, tu serais tout à fait dans le style d'ici.

 Tu devras, avant ton départ, aller une fois exprès à Chambéry, pour y faire établir le billet italien " Modane - Gênes - Modane (*) avec une réduction de 50 %. Il doit coûter environ 120 lires (150 francs) en deuxième classe. Peut-être un peu plus. Mais je crains que l'enregistrement d'une malle en coûte tout autant. De Chambéry à Modane, le voyage ne peut pas être cher.

 Deux américains, qui partaient d'ici pour la Grèce, m'ont laissé leurs 2 billets de retour pour Paris (et même jusqu'à Londres). Ils sont périmés le 10 septembre. Si tu connaissais quelqu'un qui puisse les utiliser, cela nous rapporterait une assez grosse somme. Mais cela aussi est très difficile.

 J'ai récemment téléphoné à Lindner - il est à la campagne, avec sa famille, jusqu'à fin septembre. Cela, le consulat ne voulait pas me le dire.

 Ton télégramme au sujet du Monde Illustré m'a surpris : j'ai mis cet article dans la boîte aux lettres, le samedi soir qui a précédé notre départ. Ce serait-il perdu ? Damnation!

 En même temps que ta lettre de mardi, j'ai reçu ta carte de dimanche ; comment se fait-il que tu ne supportes pas du tout la solitude ?

 Mais la mer emportera bientôt toutes les eaux de Challes, ainsi que tes larmes.

 Ton

 Ivan

(*) par Vintimille

 

lettre d'Ivan Goll Sori à Claire Challes-les-Eaux  du 31.08.35  MST p. 170

 Sori, 31 août 1935

Chère petite Suzu,

 Je me réjouis beaucoup de ton arrivée, mercredi. J'espère que mon horaire était exact : renseigne-toi encore une fois.

 Clauzel fait encore parler de lui. Il a écrit trois lettres à Daniel, et là-dessus, je lui ai envoyé le mot ci-joint, par un bureau de poste français (Nice). Il l'a alors transmis à Daniel, qui est muet de stupeur !

 Alors, il a fallu que j'explique tout à Metz, en détail. Je n'ai pas voulu te préoccuper non plus.

 Tout le reste oralement.

 Mais il ne faut pas que tu fasses réexpédier notre courrier directement de Paris à Sori . Fais- le, comme précédemment, suivre à Challes, et de là, à Sori : ne donne ton adresse qu'à Challes (ce courrier est si restreint que c'est kif-kif bourriquot).

Apporte deux ou trois paquets de gauloises bleues et dix timbres français de 50 centimes.

 Ici, temps magnifique ! mer, figues, raisins, paradis ! Paradis ! On oublie tout.

 Je t'attends vite

 Ton Ivan

 

Paula part mercredi

 

lettre de Claire à Challes à Ivan Goll à Sori du 31 août 31 ou 35 , n’est pas dans MST

à traduire

 

Le 4 septembre, Paula Ludwig repart à Ehrwald où elle va rester jusqu'à la fin de l'année 1935 tandis que ce même 4 septembre, Claire rejoint Goll à Sori et reviendra seule début octobre à Paris.

 

 

Ivan Goll Nice à Paula Ludwig Ehrwald 9 septembre 1935 ImsL p. 363/364

 Nice 9 sep..35

Chère Palu, comme il est déjà tard dans la soirée de mercredi,, et le train si inhumain, que je m'échappe vers toi. Tant que je reculais, j'équilibrais le croissant de lune au-dessus de la mer et je me taillais la gorge par les nerfs (! ?)

…le télégramme libérateur arrivait alors vendredi mais samedi je revenais en France par Vintimille.

 

…je me lamente après toi

 Ma

Ivan Goll Sori à Paula Ludwig Ehrwald 13 septembre 1935 ImsL p. 364/365

 Sori 13 sep..35

Chère Palu,

Maintenant, je n'ai pas encore trouvé le chemin du retour auprès des pères, certes pas les saints de Paris, Dieu merci, mais au contraire auprès d'Adam et David, à l'éternelle belle terre d'Adam et à la musique bienfaisante de David.

 

 

lettre de Claire à Paris  à Ivan Goll à Sori 5 octobre 35 MST p. 170/171/172/173/174 ***

Paris, Jour du Grand Pardon, 5h½

[5 octobre 1935]

[19, rue Raffet]

 Chéri, tu as aujourd'hui une longue journée. Aussi je veux venir vers toi dès le petit matin, afin que tu ne passes pas ce jour si seul et que tu ne te frappes pas la poitrine seul. Alors, faisons-le tous les deux, oublions les vétilles qui parfois nous divisent et entrons ensemble, réconciliés, dans cette nouvelle semaine et dans un monde nouveau. Car un autre monde s'ouvre : j'ai un appartement ! Au 21 Quai des Fleurs ! Cela sonne comment ? Cela n'a-t-il pas l'odeur d'une place pleine de fleurs, de la Seine et d'un rivage plein de pêcheurs dominicaux perdus et des Tours de Notre-Dame qui se bousculent en même temps qu'un cloître pour entrer derrière dans la fenêtre de la cuisine et l'immense fenêtre côté sud de la troisième pièce, baignée toute la journée de soleil ?

 Alors je vais commencer par le début, pas par la fin : je suis bien arrivée à Paris et rue Raffet . Dès le lendemain, nous sommes allés quai d'Anjou ; l'appartement était loué! j'étais désespérée, si désespérée que nous avons aussitôt continué à chercher dans l'île, que D. avait déjà prospectée durant trois jours dans tous les sens. Nous avions déjà perdu tout espoir lorsque je vois de l'auto quelques fenêtres sans rideaux au 4e étage d'une maison. Tu sais que j'ai du flair. D. me dit : "il n'y a pas d'écriteau, donc pas d'appartement à louer " .Je persiste à vouloir demander et je trouve notre appartement. Et D.dit qu'il est de beaucoup préférable aux autres, non obtenus, justement parce qu'il a une pièce orientée au sud ; car aussi bien le Quai d'Anjou que le Quai des Fleurs donne sur le nord. Sur le quai sud on ne peut rien trouver du tout. - la maison est en face de l'Hôtel de Ville qui est entièrement caché par des arbres, ce qu'on ne remarque jamais qu'en passant en voiture, si bien que de la fenêtre on voit la Seine et la rive opposée plantée de plusieurs rangées d'arbres ; un peu plus loin est le pont qui mène vers la place de l'Hôtel de Ville. On n’entend presque pas de bruit alors que dans l'autre maison, les autobus passaient au ras de la maison qui se trouvait directement près d’un pont.

Deux pièces sur le devant et entre ces deux et la pièce de derrière un espace assez grand dans lequel sera aménagé la salle de bains, car il n'y a ni bain ni chauffage. D. nous installera les deux à prix coûtant.

Le propriétaire habite au-dessus de nous, c'est un Monsieur distingué d'un certain âge, officier de marine en retraite qui nous a plu énormément à l'un et à l'autre, il voulait 5000 plus de 20 % de charges et à ce pris en soi modéré ne voulait pas faire faire de travaux d'aucune sorte dans l’appartement. Au bout d'une heure de discussion toute en souplesse, D. a obtenu tout ce que nous voulions : 5100 sans charges et il fera faire les plafonds en blanc et repeindre les murs pour que nous puissions y coller des papiers peints neufs car les anciens sont vieux comme tout et doivent être enlevés.

Trois pièces à 5.000 francs au coeur de Paris, sur les quais, donc la situation la plus convoitée où on ne trouve que rarement quelque chose, dit D. Le chauffage en plus, environ 1.800 francs de charbon pour tout l'hiver. Mercredi après-midi (j'ai demandé ce délai pour avoir ta réponse d'ici là) nous avons à nouveau rendez-vous avec le propriétaire pour mettre le contrat au net.

 D. a obtenu que nous n'ayons pas à nous engager pour trois ou six ans mais que seul le propriétaire soit lié, mais que nous puissions donner congé tous les trois mois. Il m’a expliqué ensuite que pour nous cela était important dans les conditions actuelles. Le propriétaire ne voulait d'abord absolument pas, mais D. lui dit qu'il n'avait aucune crainte à avoir, que nous ne partirions pas tout de suite après y avoir engagé plusieurs milliers de Francs de frais et il indiqua 2.000 francs pour l'installation de la salle de bains et 2.500 francs pour le chauffage, en présence du propriétaire. Mais il nous le fera pour moins cher. Dès que le contrat sera signé, je te l'enverrai jeudi ou vendredi et tu le retourneras aussitôt, je ferai commencer les travaux. Nous pourrons alors emménager dans quatre ou cinq semaines.

La poésie de la fenêtre (sans voisins) fera mûrir de beaux poèmes, cela est certain. Sur notre quai il n'y a guère de circulation car il est directement sur l'île entre plusieurs ponts. Vers l'arrière nous avons, seulement séparée par quelques rues cahoteuses qui ne sont certes pas visibles à cause de vieilles maisons, vieilles mais basses (nos fenêtres arrière sont plus hautes) cette vue ravissante sur Notre-Dame et l'autre bras de la Seine.

La lettre à Clauzel est partie hier, sa réponse arrivera sans doute demain.

Il est arrivé une convocation du Juge de Paix "organisée" par l’Argus pour le 10 octobre. J'ai écrit une lettre recommandée déclarant que tu étais encore dans le Midi "en train de te soigner" et que je priais Monsieur le Juge de Paix de vouloir bien reporter la convocation à novembre. Encore une fois, tu en as fait de belles ! Etait-ce bien nécessaire ? Pourquoi ne pas payer tout de suite ? Vraiment et sans tergiversations ?

D'ailleurs dans ton classeur je n'ai trouvé qu’un reçu de 100 francs versée à l’Argus pour 1935. Ils ont sûrement raison. Et le dommage, c'est moi qui l'ai car je ne reçois plus aucune coupure pour Chaplin.

Tu compliques toujours les choses. D. trouve que dans l'affaire avec Clauzel tu ne t'es pas bien conduit non plus. Les lettres avec "Juif par-ci, juif par là ", tu n'aurais pas dû les écrire et qu’auparavant tu l’as aussi irrité inutilement. Par ailleurs : si un appartement aussi vieux revient à 7000 avec frais de chauffage, celui-là à 9000 n'était quand même pas exagérément cher. Des frais, on en a partout.

Dans l'appartement du Quai d'Anjou qui nous a échappé il fallait aussi installer chauffage et bain. Bien sûr, la situation y vaut de l'or.

Trois pièces dans une construction neuve coûtent 8500 m'a déclaré D. Et tout logement à ses avantages et ses inconvénients. Mais n'en parlons plus. Espérons qu'en revanche tu t'entendras d'autant mieux avec notre nouveau propriétaire qui est très cultivé

D. lui a dit " Vous aurez un homme charmant, un célèbre écrivain comme locataire ". Est-ce que le contrat doit être établi au nom de I. Lang ou I. Goll ou bien aux deux noms ?

Est-ce que le compteur à gaz de notre appartement nous appartient ? Peut-on l’emporter ? Là-bas non nous n'aurons pas non plus à payer l'eau et nous aurons un marchand de légumes dans la maison juste à côté.

Comment va ton petit doigt ? Le talon d'Achille ? Le poème des péchés? As-tu du soleil ? As-tu été à Recco nous excuser toi et moi et y a-t-il eu du grabuge ? Mieux vaut que non. La guerre qui a commencé avant hier semble devoir devenir bien sérieuse. Je t'envoie aujourd'hui l'Intran et Paris-Soir. Espérons qu'ils te parviendront.

Une prière : téléphone ou écrit à la (baronne) Mumm pour avoir l'adresse du café instantané et rapporte-m'en de Gênes et ne mange pas la commission, je serais très déçue.

 En outre l'adresse privée exacte de Lindner s'il te plaît, tu la trouveras en bas dans la localité dans l'annuaire téléphonique. Gamboro ou Gambari et quel numéro ?

 Aujourd'hui, nous sommes le 5. Mais nous n'allons qu'à Chartres et nous rentrons le soir.

 Jeannine m'a laissée tomber. Les clefs étaient en bas avec une lettre. Elle ne m'a même pas fait mon lit ! Mais j'en ai déjà une nouvelle, une amie de Victoire la jolie vendeuse de bronzes..

 Le livre "Le coeur est éveillé " m'a beaucoup déçue. Un amour littéraire de bas-bleu, à la manière de Rilke en beaucoup de phrases et un hymne à l'Allemagne, de sorte qu'on a les yeux pleins de croix gammées de tant de patriotisme . Je le rendrai à Lindner en même temps que le Jean d'Agrève et le Conrad .

 Et maintenant salut, j'espère que tu as eu un " god Jomtoff "[jour de fête : Yan Kippour]. Continue à être heureux sur cette douce colline. D'ailleurs les hommes ne te font rien. Tu n'entends que les voix des oiseaux, bienheureux paradis. Salue les Daniel. Je les remercie pour la façon aimable, douce, bonne et fraternelle dont ils m'ont gâtée, sans penser à eux, et le respect qu'ils m'ont témoigné.

 J'aurai besoin de quelque temps pour me remettre de tout cela, je vais encore mal mais cela ira mieux bientôt et tout de suite après mon indisposition, mardi ou mercredi j'irai chez Gerson.

  Bien des choses à toi

  très affectueusement

 ta Suzu

J'attends une réponse par express 8 heures. Vient d'arriver la lettre de la N R F. Je te félicite.

 

 

lettre d'Ivan Goll Sori à Claire 19, rue Raffet, Paris du 7.10.35 (Jour du Grand Pardon)  MST p. 174/175/176

 Sori, 7 octobre 1935

 Lundi matin

 Jour du grand pardon

Chère petite Suzu,

 Comme le début de ta lettre était pieux et sain ! c'est ainsi seulement que nous voulons éprouver le divin. Le temple de Gênes m'a guéri pour toujours de ces bigoteries collectives. Je ne veux plus m'agenouiller que sous des oliviers.

 Et c'est aujourd'hui, et non samedi, le jour du Grand Pardon .Que l'arrivée de ta lettre est étrange ! J'avais grand besoin d'elle, car j'ai déjà grand' faim ; je jeûne et 6 heures du soir est encore loin . Les David sont hors d'eux parce que je manquerai le repas de midi en revanche, ils achètent un poisson pour ce soir !

 Et maintenant, aux choses terrestres.

Je suis d'accord pour l'appartement du Quai aux Fleurs et je te laisse "carte blanche" pour tout .  Fais établir au contrat ou nom d'Ivan Lang-Goll Envoie-le moi. je le signerai aussitôt

 À vrai dire, l'idée de cette nouvelle demeure ne ne me réjouit pas encore beaucoup. Pourquoi ? Je me l'explique à peine . Il est difficile de se représenter cette nouvelle vie . Je me sens géné par la pensée que je ne présiderai pas à toute cette installation . Oui, je serai un étranger là-bas, malgré tout. Il n'est certainement pas bon que le propriétaire habite au-dessus de nous, étant donné les conditions d'existence très bizarres que nous avons maintenant. Mais cela ne fait rien. Je te le dis, à toi : pourquoi ne pas tout essayer ? Le monde est grand . L'homme est petit (David, compose justement cela sous ma chambre)

 Sais-tu aussi pourquoi je ne m'excite pas sur la question d'emménager à bref délai, à Paris ? parce que je suis de plus en plus préoccupé par l'idée d'une petite maison sur la côte ligurienne. Je cours en tous sens, tous les jours, et je sais que toute offre serait une affaire . Mais je n'ai pas encore trouvé juste ce qu'il faut . néanmoins, je dois trouver cela et le saisir à la volée.

 Comme je déplore que tu n'aies pas mis ici, un seul jour, à ma disposition ta volonté active et tes " antennes " Nous aurions trouvé . au lieu de cela, tu remettais sans cesse à plus tard la petite promenade à Recco . A présent, j'ai été là-bas, Zega m'a montré dix maisons

 Ravissant était le palais rose sur la colline, avec 4.000 m carrés d'oliviers, tout entouré du bruissement des pins. Il a été vendu, il y a 15 jours, à une dame qui ne l'a pas vu (elle n'était pas là ) pour 60.000 Je suis aussi triste que tu l'as été de perdre le Quai d'Anjou !

 Maintenant, je suis quotidiennement en route. J'ai aussi écrit à Nancy, au sujet de mon intention. Comprends-tu que je préférerais installer ici, pour ma vieillesse, un chauffage central !

 Le même jour, je suis monté chez les Weils, qui m'ont retenu à dîner. Ils ont parlé de toi avec enthousiasme. Je leur ai donné tes livres, qui les ont vraiment enchantés .

 Voici l'adresse des Lindner : 20, via Gambaro. Oui, renvoie-leur, s'il te plaît, rapidement, tous les livres . j'ai déjà téléphoné, pour remercier.

 Tu ne m'as pas raconté, en somme, si tu as déjà parlé aux Clauzel ? Et quelle solution a-t-on trouvé ?

  Puisqu tu prévois 4 ou 5 semaines de travaux Quai aux Fleurs, il est bien que je ne rentre pas plus tôt à Paris . pourvu que la situation politique ne nous joue pas un tour

 Inutile de t'énerver au sujet de l'Argus . Tu n'as pas non plus besoin d'écrire au Juge de Paix : j'écris tout de suite à l'Argus pour lui donner mon opinion : toi, téléphone seulement à l'étude de l'Avoué, de Lavarde, Anjou 30 - 87, que je m'occupe d'une conciliation avec l'Argus, que je serai à Paris à la fin de ce mois et que je paierai tout

 Merci pour la lettre NRF.

 Je pense à l'Instant Café

 Et aussi à ton anniversaire, pour lequel je me procurerai le spencer tyrolien.

 N'as-tu pas trouvé, peut-être, parmi les imprimés, la revue japonaise ? cela me ferait grand plaisir, si tu voulais bien me l'envoyer

Et tu as raison, envoie-moi régulièrement Paris-Soir, etc. ; cela peut être important.

.  Je porte vite cette lettre, avant 10 heures, à la poste. As-tu reçu ma lettre de samedi avec la recommandation de Gerson ? Vas bientôt là-bas.

 Recommence à bien manger

 Aujourd'hui, je continue à bien jeûner .

 Ton

 Ivan

 

 

lettre d'Audiberti à Claire du 7 octobre 1935

 

 Chère Claire,

 

J'ai été très secoué par une histoire idiote : une douleur dans la jambe, un peu au-dessus de la cheville. Enflure, petites nodosités sous la peau, douleur intolérable. Le médecin a parlé de synovite, inflammation des gaines sérieuses des tendons. Pas très grave, mais très gênant, surtout que je ne dors pas et que je m'énerve beaucoup. On me fait des piqûres de novocaïne dans le tendon pour diminuer la douleur et me permettre de marcher un peu. Aujourd'hui, j'y suis parvenu un peu, et à peu près sans souffrir. Je suis venu au PP. Où vous pourrez m'écrire, si vous le désirez ce qui me fera grand plaisir. J'ai bien reçu votre pneu et je vous en remercie vivement. Quand nous verrons-nous ? Mercredi ? Jeudi ? Si vous pouviez venir du côté du PP., au Nègre, par exemple, j'en serais bien heureux, car je dois, autant que possible, éviter de circuler trop. Bien entendu, s'il ne vous est pas possible de sortir, ou que ces dates vous semblent trop rapprochées, je ne vous en voudrais pas. Mes amitiés à Ivan Goll et croyez que je suis, très affectueusement, votre ami, votre poète.

 

SDdV Aa35 (177) - 510.299 III

 

lettre d'Audiberti à Claire du 9 octobre 1935 [mercredi]

 Ma bien chère amie,

 

Je suis très heureux, très heureux de vous voir dimanche. Il faut que vous sachiez tout de suite comment les choses se présentent. En fait, il m'arrive d'avoir à moi quelques heures l'après-midi, mais entrecoupées de téléphonages. En principe, j'appartiens au Petit Parisien et il m'est impossible de savoir si je passerai le dimanche au journal, ou, librement à l'extérieur ou à l'extérieur mais en enquête. Il m'est donc difficile, amèrement difficile, de vous promettre qu'il me sera possible de circuler tranquillement dimanche après-midi, tandis que je serais très sûr (dans la mesure où une créature humaine peut être sûre de quoi que ce soit) de pouvoir dîner dimanche soir et passer la soirée ensuite avec vous. Je n'ose, naturellement, pas vous proposer que vous vous rendiez, à tout hasard, vers cinq heures, en quelque Nègre. Si, par extraordinaire, vous deviez vous y trouver, de toute façon, je serais ravi de courir l'exquise chance de vous y retrouver l'après-midi ; dans un bistro des environs du PP., Nègre ou non, j'aurais, d'ailleurs, beaucoup de chance de pouvoir vous rejoindre à cette heure, assez creuse. Mais je ne voudrais pas vous imposer une attente, ou un déplacement, qui vous déplût? Donc, belle amie, veuillez me dire :

1° S'il vous est possible de me consacrer dîner et après-dîner, en sacrifiant l'après-midi

2° si votre flânerie dominicale vous conduit, l'après-midi, en quelque lieu que je puisse, à l'occasion, atteindre facilement, sans que vous dussiez m'en vouloir si les nécessités professionnelles alias "l'abondance des matières", m'en tiennent éloigné

3° En quel endroit vous désirez que, vers sept heures ½, nous nous rencontrions ?

 

 Je baise votre main et je prie le ciel que le monde, dimanche, existe encore

 Audiberti

 

 

SDdV Aa36 (181) - 510.299 III

 

lettre de Claire à Paris  à Ivan Goll à Sori 9 octobre 35 MST p. 176/177

Tu ne m'as pas envoyé l'article pour Cognat.

Je ne peux donc pas y aller.

 Paris , 1935

 19, rue Raffet

 mercredi matin

Chéri,

 Merci pour ta lettre. On l'a apportée 2 fois dans l'après-midi, comme je n'étais pas là, on l'a remportée. Quand je suis rentrée, à huit heures, j'ai trouvé l'avis dans la boîte, comme quoi je devais aller chercher cette lettre au bureau de poste, le lendemain matin. Soudain, à 8 h et quart, en sonne : c'est ce touchant Bureau 53 qui m'apporte encore une fois ta lettre. Ainsi donc, j'étais en ta compagnie, hier soir. Si tu m'envoies encore une lettre express, adresse-la, je te prie à Claire Lang pour que je n'aie pas de difficultés à La Poste au sujet du passeport. Les Clauzel n'ouvrent pas, et tout reste sur le palier.

 Donc, ils n'ont pas répondu à une troisième lettre très énergique de D S. Nous avons été hier chez maître Martin, l'Avoué de D. S., lequel nous a dit qu'on ne peut pas forcer un propriétaire d'immeuble à reconnaître que son loyer est trop élevé. Mais étant donné que nous n'avons qu'un contrat moral, tu n'as qu'à provisoirement faire le mort en ce qui concerne l'argent et le laisser aller jusqu'à la sommation (mise en congé) dont il m'a menacé. La première partie de la lettre est de Martin j'ai ajouté la deuxième, je la soumettrai à D; aujourd'hui à midi, et lui demanderai si lui ou moi doit l'expédier et si c'est sous cette forme (joint : une copie).

 Le Journal japonais n'est pas encore arrivé, malheureusement. Mais j'attends tous les imprimés, en retour de Challes, aujourd'hui ou demain.

 Notre terrasse serait maintenant très dépréciée, car la nouvelle maison de D. aurait vue sur elle, de toutes ses fenêtres. Même de mon lit, on voit une haute muraille.

 L'affaire avec l'Argus est très ennuyeuse. Car Thomas m'a dit qu'il a vu plusieurs grandes critiques, entre autre une colonne et demie de Daudet, dans Candide.

 Ta prise de position, au sujet d'un nouvel appartement, me paraît un peu étrange. C'est pourtant important pour toi aussi d'avoir un pied-à-terre à Paris, même en faisant abstraction de moi. En outre, maître Martin est d'avis que tu ne devrais plus en aucun cas te montrer rue Raffet cela ne pourrait que provoquer un malheur. Tu devras donc habiter tout de suite une chambre, 21, quai aux Fleurs, même pendant les travaux qu'on fera là-bas le propriétaire de la maison est un homme distingué qui ne s'occupera pas de nous . Avec 6 étages, il aurait trop à faire.

 Reproche au sujet de la petite maison italienne sont injustes. Tu étais là un mois avant moi, tu n'avais qu'à chercher - trouver ! Naturellement, pas un immeuble de rapport à deux étages sur les routes de 100 à mardi à Rita déclaration car nous ne voulons pas nous tromper nous-mêmes, nous ne voulons pas faire des affaires de sous-location d'appartement, mais avoir un nature, les arbres, amer en ce aussi petite que la ouvrit " Casina" ou encore plus modestes. Reste simplement à Sori jusqu'à ce que tu aies trouvé puisque, tu ne tiens pas à Paris.

 As-tu maintenant du soleil ? Comment va ton petit doigt ? Et le Tscheljuskin ? Moi, je vais remarquablement bien, physiquement. L'intestin fonctionne normalement. Pour combien de temps ? Mais je suis reconnaissante. Je ne souffre plus, enfin D. pense que cela venait de la nourriture et du vin, lui-même ne peut pas supporter le vin italien..

 Je pense tendrement à toi et avec amour.

 Suzu

 

 

lettre d'Ivan Goll Sori à Claire 19, rue Raffet, Paris du 9.10.35  MST p. 177/178

 

Sori, 9 octobre 35

Ma chère Zouzou,

 Merci de ta carte. Elle est si optimiste que je me sens le cœur plus léger. Tous ces jours-ci, le temps était si gris, si pluvieux, et les soucis m’ennuyaient jour et nuit.

 En ce qui concerne le Quai aux Fleurs, j’attends la suite de tes nouvelles. Dans les circonstances actuelles, je ne vois en tout ceci que du provisoire, et je me demande s’il est bon de fourrer tant de choses dans ce nouvel appartement Mais je m’en remets entièrement à toi . Et aussi : est-ce que tout va te convenir, en particulier les bruits, et l’air (n’est-il pas humide au bord de la Seine) etc.

 A la nouvelle que tu devais payer aussi la note d’électricité, je me suis mis aussitôt à ma table et j’ai tapé, aussi bien que je l’ai pu l’article pour Le Monde Illustré. Il est composé d’un mélange de réminiscences et de fraude. Porte-le tout de suite à Cognat et fais-toi remettre les 200 Frs. Tu expliqueras que ce n’est pas de ma faute et ce texte n’est pas tel qu’il était ; ce n’est pas de ma faute s’ils ont égaré le manuscrit primitif Car il doit sûrement leur être parvenu. A ce moment-là, Cognat * était en vacances. Les photos, à elles seules, valent plus de 200 Frs. – 4 photos à 50 Frs. Vu me paye 125 Frs. pièce d’autres photos.

 Merci aussi pour les journaux – mais pourquoi tant dépenser pour cela ? Si tu me les envoies sous bande, cela ne coûtera que 10 ou 30 cts.

 Ci-inclus aussi, copie de la lettre de l’Argus. Je ne lui dois que 100 Frs. comme tu pourras le voir. Tu as, entre temps, téléphoné ?

 A part ça, rien de neuf.

 Je travaille farouchement.

 Et suis souvent près de toi,

 I.

* Raymond Cognat, Rédacteur en Chef du Monde Illustré

 

lettre de Claire à Paris  à Ivan Goll à Sori 11 octobre 35 MST p. 178/179/180

  

 19, rue Raffet, Paris , XVI

 vendredi  1935

 

Chéri,

 Merci pour ta longue et belle lettre. j'espère que tu as beaucoup de soleil, que tu vas bien et que tu es en harmonie avec toi-même, avec les pins et les oliviers (et avec moi) et que tu es sur les traces d'une maisonnette . Naturellement, je rendrai à Lindner ses livres, y compris Jean d'Agrève et Crime en Province, comme je le lui ai promis.

À sa Lore j'ai envoyé un collier de bulles de savon

Clauzel a enfin répondu à D. mais il n'insiste que sur le mot "départ ".. Il dit qu'il est volontiers prêt à résilier le bail. Ma lettre, dont je t'ai expédié une copie, lui sera envoyée bientôt, mais il faut encore que l'avocat la relise et l'approuve. Ci-joint les deux nouveaux contrats pour le nouvel appartement ; il faut que tu me les renvoies, signés (sous pli recommandé à Claire Lang). Ne prends pas ombrage des formules démodées du contrat, c'est ainsi qu'elles sont dans le Code Civil et Monsieur Migeon, qui a hérité sa maison de ses grands-parents, imite encore les usages de ses ancêtres, car sa maison existe depuis 1860 et est aussi vétuste que ses locataires. Nous sommes les premiers à y introduire une radio, à ce qu'il m'a dit. Cela te permettra d'évaluer quelles sortes de fossiles sont là, en train de regarder paisiblement, de leur fenêtre, couler la Seine. Quoi qu'il en soit : c'est tranquille à l'intérieur, moins à l'extérieur. Mais sur tous les quais, c'est la même chose. Ce n'est pas mieux chez Lise, et pourtant, tu voulais l'ile Saint-Louis.

 Cependant, pour que nous soyons plus libres et pour que, selon les circonstances, nous puissions quitter à nouveau cet appartement sans nul regret, et plus facilement, j'ai décidé - après quelques réflexions - de ne pas installer de chauffage : rien qu'un radiateur à gaz dans chaque pièce ; la compagnie du gaz les louent et les installent à très peu de frais. De la sorte, il ne nous reste à faire que l'installation de la salle de bains, dans la 4e pièce, qui est sombre, et que notre propriétaire, dans le contrat, appelle sans vergogne une 4e chambre ; avec la lumière électrique, on pourra l'utiliser à cela.

 Nous emploierons mes appareils sanitaires, qui seront arrachés de notre salle de bains actuelle, et cela ne coûtera pas cher. Si tu pouvais, avant d'aller chez tes parents, venir rapidement ici pour voir l'appartement, j'aimerais réellement mieux ça que d'en prendre toute la responsabilité. Il faudrait alors que ce soit dans les prochains jours, car Monsieur Migeon a déjà prié de lui verser ses premiers 1.200 francs le 15 octobre J'ai dit : " mon mari est en Italie... " . lui : " Ah ! vous avez sûrement ici une aussi petite somme". S'il savait que j'ai encore 145 francs dans mon sac, car j'en ai versé, à l'instant, 48 à ma femme de ménage... Ci-joint, de plus, deux lettres de banques. Qu'advient-il à présent des 12.000 prélevés par l'Angleterre ? Ainsi donc, viens, si cela peut se faire. Sinon, renvoie les contrats. Car enfin, cet appartement est ridiculement bon marché, de l'avis de D.. Sa situation est ravissante, et il est pratique et vaste. Et contre le bruit du quai, on se fera poser, comme Lise, des doubles fenêtres !

 Tous mes voeux pour toi !

 En grande tendresse

 Ta Suzu

 

Je vais tout à fait bien. L'intestin fonctionne brillamment de. Ne te fais donc pas le moindre souci. C'est seulement la nourriture des David, à-bas qui m'a nui.

 

PS J'ai encore une fois tout à l'heure reparlé à D. Il veut aller voir encore Monsieur Migeon pour lui faire rogner un demi-terme, c'est-à-dire que nous n'aurions à payer le loyer qu'à partir du 15 novembre, donc 600 francs seulement pour 1935, étant donné que les travaux dureront bien six semaines. À moins que tu veuilles aménager avant le 15, car, au cas contraire, tu devras attendre à Nancy . Ecris donc par retour : viens-tu de suite, et en passant, regarder l'appartement ? Quand emménageons-nous ? Dès le 15 novembre ? Il faudra alors que je porte des contrats à cet homme, pour qu'il y ajoute une phrase concernant le demi-terme, c'est ce que m'a dit D. Il est inutile de les envoyer avant cette modification.

 

lettre d'Ivan Goll Sori à Claire 19, rue Raffet, Paris du 11.10.35  MST p. 180/181

 Sori, 11 oct. 35

Ma chère Sou

 Merci pour ta gentille lettre et pour tout : Paris-Soir, le Japon, etc..

Avant hier, j'ai déjà répondu d'avance à tes demandes concernant Cogniat et l'Argus.

Tout à fait excellent, le brouillon à Clauzel. En retour, ci-joint. Il faut que cette lettre soit en sa possession avant le 15 ! je trouve absolument génial la situation extraite de sa propre lettre du 28 mars.

 Et déjà je m'apprivoise avec l'idée du Quai aux Fleurs.

 Ici, il n'y a toujours pas de soleil - mais du travail et une paix agréable . Tous les jours, je cherche Tusculum dans à la région. Difficile à trouver. Tu as raison, naturellement : seulement petit, rien que des oliviers et la mer. On m'offre, de bien des côtés, du terrain, par exemple près de la propriété du Comte C.. Construire une maison reviendrait à 20.000. Mais...

 Et tout serait encore beau ici pour le moment, si je n'avais pas trouvé par hasard cette coupure sur Marie Bashkirtcheff ! Quelle peur ! Probablement l'autrichienne. Je suis malade de désespoir. Que dois-je faire ? Peux-tu obtenir des renseignements ? Téléphone à Bruckner. Son adresse provisoire, en été, était chez Jenny Holt, cette petite actrice, tu sais, dont il était aussi question pour MB. Galvani 78-18, 1, rue Catulle Mendès. Là, tu en apprendras plus long. Oh ! Aide- moi !

 Mon doigt a été guéri au bout de deux jours.

 Je t'enverrai prochainement deux paragraphes achevés de Tascheljuskin.

 Combien je suis heureux que maintenant, tu te portes bien.

 Très tendrement ton

 Ivan

Va aussi chez Alice Cocéa. Une bonne occasion pour la connaître dans son intérieur, rue Nungesser et Coli. Tu trouveras la maison. Elle est là, tous les soirs, vers 6 heures, même le dimanche. Demande-lui d'abord ce qu'elle pense de M.B. ; au cas où sa réponse serait négative, raconte-lui les histoires Pitoëff - propose lui d'entrer en concurrence avec elle. Elle a le manuscrit.

 

 

lettre d'Ivan Goll Sori à Claire 19, rue Raffet, Paris du 12.10.35 ***  MST p. 181/182

Sori, 12 oct. 35

cinq heures du matin

 

Chère petite Zou,

Je suis de nouveau, indiciblement triste, depuis que le monde extérieur, sous la forme d'une petite coupure de presse, a fait irruption dans mon paisible tête à tête avec la nature!

Ma destinée toute entière m'est apparue clairement : rien ne me réussira, rien ne doit me réussir !

N'ai-je pas de talent ? n'ai-je pas de zèle ! n'ai-je pas de patience ? Peut-être beaucoup plus que d'autres. Et cependant, rien ne me réussira !

Marie Bashkirtcheff en est le meilleur exemple, le dernier peut-être, car maintenant, je jette le manche après la cognée.

 Tout un hiver, avoir étudié le sujet, tout un printemps avoir écrit la pièce, tout un été, avoir cherché un théâtre et une actrice ! ceux qui ont lu la pièce en ont fait l'éloge. En vain ! en vain ! le jour même où la pièce était terminée et où je voulais la donner à Bruckner, j'apprends qu'un autre auteur a choisi le même sujet et l'a déjà fait représenter à Vienne !

C'est ainsi qu'on devient un raté !

J'avais pensé à Cocéa , à Marie Bell , à Boggaert, à Ozeray - pas à Ludmilla, que j'avais sous la main - et le destin m'a joué son tour.

C'en est trop ! comment aurais-je à présent le courage d'entreprendre un travail de quelque importance ?

Un raté, un déchu, un oublié !

Sori, ensevelis-moi sous tes oliviers !

Ma place n'est pas en ce monde.

Et où est-elle, la maisonnette aux murs délabrés, hantée de lézards, qui me cachera définitivement à tous ? Aucun travail ne me la procurera. La Bashkirtcheff devait me la fournir...

Pleure avec ton

 Ivan

 

Sori, 12 oct.

10 heures du matin

 

Le désespoir dure.

 Je ne supporte plus de rester à Sori.

Les David ne sont certes pas les gens qui peuvent consoler quelqu'un. Je ne le leur dirai pas du tout. Croirais-tu que ce pédant [David] travaille actuellement au "Tscheljuskin" ? Il copie d'abord proprement mon autre texte…Cela l'occupe jour et nuit ; C'est ainsi qu'il m'a composé deux chansons, "Berceuse pour Karina" et une autre. Mais ce n'est que du bricolage. Tu sais comment il travaille. Il faudra des semaines, des mois. Et ils partent le 29. Mais Tscheljuskin n'est pas là. Et qu'arrivera-t-il ensuite, à Moscou ?

Encore un été perdu, un automne...

Le Tscheljuskin est-il mauvais ? Le talent a-t-il manqué, ou le travail ? ou la patience ?

Le destin ne me fait pas la faveur d'un seul succès !

Il me faudrait si peu pour être heureux.

Jamais je ne parviendrai à avoir une petite maison !

Hier, j’ai vu quelque chose de splendide ! à Mulinetti, en face de Becco, sur une hauteur qui domine tout le golfe, un palais, 2.000 m² de terrain, la maison magnifiquement conservée, des murs épais d'un mètre. Au rez-de-chaussée, une salle gigantesque et une autre au premier étage, au deuxième quatre petites chambres, les escaliers en marbre, une citerne de grande dimension ; propriétaire : un avocat gênois, ex préfet, 70.000 lires. C'est donné. À Maisons-Laffitte, cela coûterait 800.000 francs. Qui sait s'il n'y aura pas, un jour, une grande hausse sur cette côte ? 300 arbres fruitiers : citronniers, orangers, pêchers, etc.

Et si, de plus, la lire baisse ? Incroyable de bon marché !

À Sori, un terrain seul coûte 35 lires le mètre carré ; cela fait 70.000 lires pour 2.000 m². Juste celui qui est derrière le Conté, là où il y avait un écriteau.

Du coup, j'en oublie presque ma souffrance.

Dieu, je serais si facile à contenter ! avec un palais !

Ivan

 

Crois-tu que l'on peut encore sauver quelque chose pour Marie Bashkirtcheff ? Il le faut ! Ô tourment  Je ne supporte plus d'être ici Je voudrais rentrer à la maison la semaine prochaine, par exemple le jeudi 17. Quelle maison ? Sais-tu où je pourrais loger à Paris ? Écris-moi vite ce que tu en penses.

 

En Octobre 1935, David et son épouse partent pour l’Union Soviétique. Li David-Nolden est engagée au Théâtre National à Engels, Hans David devient directeur de la chorale allemande de la Volga.

 

lettre de Claire à Paris  à Ivan Goll à Sori 13 octobre 35 MST p. 183/184

19, rue Raffet, Paris XVIème

Dimanche 

Cher petit Yvan,

 Je suis très attristée par la nouvelle que la Pitoëff veut jouer la Bashkirtcheff. La malchance, cette fois, est réellement bouleversante, mais vois, mon pauvre petit garçon, il se peut que la pièce viennoise déplaise, et alors tu pourrais encore arriver avec la tienne, à moins que tu ne te hâtes et paraisses le premier : car la Pitoëff semble, en effet, mettre cette pièce à son programme, mais ne pas avoir l'intention de la jouer en premier lieu. En tout cas, je ne puis faire grand-chose à cela . Même si je vais voir Alice Cocéa elle te connaît bien. Éventuellement, elle me jettera dehors parce que je suis une femme. Avec beaucoup de grâce, sans doute, si tout va bien. Non, il faut ici que tu voies toi-même ce qu'on peut faire d'autant plus que je crois ta présence utile pour l'appartement. J'hésite de plus en plus à louer celui du Quai aux Fleurs . Il y a beaucoup de bruit par devant, même pour toi ! on est obligé de fermer les fenêtres pour pouvoir causer, à ce que m'a dit imprudemment le propriétaire lui-même, ces jours-ci . En hiver, la Seine donne des brouillards. Sans doute, j'ai du soleil par derrière, mais tu vas recommencer à geler. Il y a aussi que l'installation du gaz est payante, contrairement à ma supposition, et le chauffage au gaz coûte cher. D'autre part, installer le chauffage central et les bains dans cette maison vétuste, peut-être pour peu de temps, cela profiterait ensuite, encore une fois, au propriétaire Bref : j'hésite et je crois devoir attendre que tu décides (après avoir visité). Certes, il faudrait alors que tu viennes vite et, en conséquence, prendre quelque temps une chambre d'hôtel quelque part, tandis que je resterais rue Raffet, et j'incline de plus en plus à trouver que ce dernier appartement n'est pas trop cher car lorsqu'il faut payer 7000 plus le chauffage pour trois vieilles chambres, plus le déménagement, Dieu sait combien, l'installation électrique, le tapissier : de nouveaux papiers muraux, car là-bas il n'existe rien, des rideaux, des placards, l'impôt qui est de 5000, te non de 2000, etc. .On peut dire que 9000 pour la rue Raffet, ce n'était guère excessif. Si seulement, on pouvait s'entendre avec Clauzel ! lundi, je lui enverrai la lettre contresignée par l'avoué.

 À présent, on trouve beaucoup de grands appartements, mais rarement de petits.

Je ne sais pas si Cogniat me donnera les 200 francs vendredi matin (son jour de réception). Le mieux est que tu m'envoies un peu d'argent. Ici, il fait très froid. As-tu du soleil ? Travailles-tu ? Dans la Italia Letteraria a paru un grand article sur Chaplin et ma "célébrité internationale ". Et dans le dernier numéro, un superbe article de Carossa sur Rilke

 Gemma Luini, - tu te rappelles cette admiratrice de moi ? - veut écrire un livre sur moi. J'en suis presque honteuse. Devant de telles manifestations d'admiration, on se sent toujours si minuscule.

 Je continue à ne porter très bien corporellement et je deviens très gâtée. Aussi, sois sans aucun souci en ce qui me concerne. Espérons que ton âme est intérieurement aussi rose que la Casina l'est extérieurement.

 En grande tendresse

 Ta Zouzou

 

 

lettre d'Ivan Goll Sori à Claire 19, rue Raffet, Paris du 13.10.35  MST p. 185

Sori, le 13 octobre 1935

Dimanche matin

Petit Zou,

À l'instant même, la lettre express. Elle me ramène à des pensées plus salubres . Vite la réponse :

 Demi- terme ou pas du tout.

 Voici ce qui plaide en faveur du demi-terme :

 1) Si je viens aussi à Paris, je peux habiter dans un hôtel quelconque. Je connais aussi un sculpteur à Boulogne, tous près, qui loue 1 ou 2 chambres charmantes.

 2) J'arriverai probablement à la fin de la semaine, en particulier à cause de Marie Bashkirtcheff. Je dois aussi aller à Nancy. Impossible de préciser déjà le jour de mon arrivée, vu que je n'ai pas 1 centime, et que Daniel, avant-hier seulement, m'a demandé 500 lires.

 3) Peut-être, tout de même, un chauffage à l'eau chaude ? Alors, cela durera longtemps.

 a) Combien coûte l'installation ? 2 500 ?

 b) Je crains, en effet, que le chauffage au gaz soit follement coûteux ! Tes poêles, le bain, la cuisine, 500 francs par mois, sûrement ! Par contre, le chauffage à l'eau chaude pourrait servir en même temps le bain et la cuisine. Comment ? Jadis, Hellessen avait à payer 500 francs de gaz. Non : le chauffage au gaz est impossible.

 Et tu ne pourrais pas te décider pour un petit poêle à combustion continue, à l'anthracite ? 

  Mais peut-être pourra-t-on reculer jusqu'à la fin de la semaine toutes ces signatures de contrats ? Dis pourtant à Migeon que je lui verserai volontiers de suite les 500 francs. Quel chiffre agréable !

 Je vais m'arranger pour arriver dans la matinée, et t'enverrai alors un pneu, pour que nous nous rencontrions.

 Je ne comprends pas ta question au sujet de la banque de Londres : les 12.000 francs = 180 livres y sont placés. Il faut les laisser dormir.

 Aujourd'hui je suis plus gai.

 Je voudrais envoyer cette lettre en express mais aucun courrier ne part avant demain matin. Je vais la porter au chemin de fer et la donnerai à un voyageur allant à Gênes. Espérons que ça ira.

 Comme c'est magnifique que tu sois si bien portante ! Magnifique.

 Et beaucoup de remerciements pour ton amour.

 Ton

 Ivan

À l'instant, deux exemplaires Paris-Soir Mais, 1,50 c'est trop cher. Les David les rapportent toujours à présent de Rapallo, où leurs parents séjournent.

 Merci encore

 

 

Carte de Claire à Paris  à Ivan Goll à Sori 13 octobre 35 MST p. 186

 Dimanche 13

 

Chéri,

 Encore une fois, j'ai passé l'après-midi à parcourir l'île Saint-Louis. Rien que des appartements a 10, 12 ou 15.000. Finalement, je suis passée, sans être vue par la concierge, dans la maison du Quai d'Anjou, dont l'appartement nous a échappé. Les gens déménagent après-demain et ils m'ont fait visiter : deux pièces et demie, tout y est ravissant et remis à neuf par ces gens. Douche, waters, lavabo, délicieux.

J'avais le coeur très lourd. Pourquoi, à ce moment, ne m'as-tu pas laissé partir ? Mais ils m'ont dit qu'à cause des déchargements sur les quais, il y a plus de bruit sur le quai d'Anjou que sur le Quai aux Fleurs. Là-dessus, j'ai été tourner plusieurs fois autour de notre future demeure. Elle est joliment située et très appréciable, si seulement elle avait le chauffage et une salle de bains. Il faut que tu viennes vite : éventuellement, un aller retour, en troisième classe.

 Momentanément je suis au Napolitain avec Jacques Audiberti. Il me conseille l'appartement, mais seulement si nous y faisons mettre le chauffage ; car le gaz est trop malsain et trop coûteux, et sans chauffage, l’appartement est invivable

 Tendrement tienne

 

 Zouzou

 

Lettre d'Ivan Goll Sori à Claire 19, rue Raffet, Paris du 15.10.35  MST p. 186/187/188

 Sori, 15 octobre, 35

 Mardi matin

Ma chère Zou

 Ta carte et ta lettre de dimanche arrivent à l'instant, aussi vite que des express. Leur contenu coïncide tout à fait avec celui de ma lettre de dimanche, que tu as reçue tout aussi rapidement, je l'espère ? Je m'inquiète un peu, car je l'ai donnée à un inconnu, à la gare, à dix heures, pour qu'il l'emporte à Gênes, et celui-ci a fait un salut très fasciste. Il inspirait la confiance.

 Dans cette lettre, je répondais à presque toutes tes questions : nous sommes d'accord pour trouver qu'il ne peut être question de chauffage au gaz je comprends aussi ta peur du changement de logis et surtout ta crainte de l'inconnu. Je redoute également pour toi les froides brumes nocturnes de la Seine. Et si réellement cela nous donne tant de peine d'installer et d'organiser quelque chose dont on est persuadé que ce n'est pas "pour la vie", il y a de quoi s'inquiéter. Je le comprends bien.

 Attends donc jusqu'à mon retour. Je ne puis encore préciser exactement le jour : je voudrais partir à la fin de la semaine, si l'argent arrive à temps. Dimanche, je ne peux pas partir, car, - étant donné que le train quitte Gênes vers 4 ou 5 heures, je voudrais consacrer la journée (de 10 heures à 4 heures) à faire là-bas des achats (Instant-Café, etc. et billets de chemin de fer). Je ne pourrai donc partir que lundi, mais c'est le dernier délai ; je serais mardi matin à Paris. Je t'attendrais pas exempt à 10 heures, au Café-Tabac de la place du Trocadéro.

 Ces deux jours y compris le dimanche n'ont plus beaucoup d'importance. J'avais fait un grand pas : j'ai commandé à Rapallo, sur les conseils de David, un costume authentiquement anglais,dans une étoffe qui durera dix ans, tailleur de première classe, 350 lires, le même qui à Paris me coûterait 1000 . Le tailleur est un maître, un personnage d'Opéra ; quand je pense à la saleté que j'ai eue à Paris pour le même prix sur les Boulevards, et que je vais revendre, je l'aurai jeudi.

 Mon énervement à propos de Marie Bashk s'est quelque peu apaisé. Mais ce malheur a aussi éteint mon enthousiasme pour une maison. Oui, avec les droits d'auteur sur la pièce on aurait pu faire tout cela ! Hélas !

 Peut-être peux-tu encore d'ici mon retour regarder autour de toi, à Neuilly, ne serait-ce que par curiosité. Fais un petit tour à droite et à gauche près,de la Seine, en arrivant à gauche du Boulevard de Neuilly, on a construit là de magnifiques maisons neuves .

 Rends donc une fois visite à Ophuls, Maillot 56-59, 10 rue Ernest Deloison, Neuilly . Ce qui ne veut pas dire que nous abandonnons complètement l'idée du Quai aux Fleurs . Mais, ne pas se fixer à tout prix.

 À oui, s'il y avait une entente sur la rue Raffet, est-ce que tu préférerais cela ? de toute façon tu n'es pas à la rue . Nous avons trois mois. N'est-ce pas ?

 Que Gémina Luini ait envie d'écrire 1 livre sur toi, je trouve cela splendide et plus que largement mérité...

Tu devras absolument l'y encourager. Grandiose !

Je te conseille aussi aller à la N R F : de là, tu pourras consulter sans frais toutes les coupures de presse sur le livre-Chaplin.

 Et ensuite, tu achètes les plus intéressants des journaux en question.

 As-tu reçu la lettre de Guttmann ? (*)

 Sotte, tu pourrais aussi bien aller lundi ou mardi chez Cogniat. ! préviens-le par téléphone : ELY 93-64. Le jeudi seulement, il est à l'imprimerie.

 Va tranquillement voir Cocéa. De ce côté, il n'y a plus grand-chose à perdre, de toute manière. Je ne crois pas qu'elle jouera cette pièce sinon, j'irai la voir avec toi, mardi après-midi. Cela t'intéressera et nous n'y retourneront tout de même jamais plus

 La traduction avance convenablement. Presque page 300. Le plus difficile est fait.

Ici aussi, il continue à pleuvoir. Plus question de la mer ni du soleil. Mais les pentes sont toutes vertes, pleines de nouvelles fleurs. Vraiment, un second printemps ! Pour cette terre-ci, l'été était pays béni !

 La minestra a toujours bon goût. Et cela d'autant plus que je te sais momentanément bien portante.

 Je te prends dans mes bras

  Ivan

(*) Bernard Guttmann, écrivain et journaliste. Correspondant du Frankfurter Allgemeinen Zeitung à Londres, Berlin et Paris

 

 

Ivan rentre à Paris le 22 octobre.

de novembre 1935 au 1er janvier 1936, il habitera dans la maison d'un ami sculpteur tout près de Paris (Boulogne)

 

Claire habite 19, rue Raffet puis 19, rue Copernic

 

lettre d'Audiberti à Claire du 2 novembre 1935

 

 Liebessima Claire !

 

on me dit que vous êtes malade. Etes-vous malade - malade ou seulement malade ?

Je veux dire, est-ce grave, inquiétant, ou seulement - et fâcheusement, bien sûr - une manifestation de votre coutumière fragilité ? Un mot pour me rassurer, je vous prie. J'étais étonné de ne plus recevoir de vous quelque bleue petite lettre si chaude au cœur.

 Donnez-moi de vos bonnes nouvelles, bien chère amie,

 et sachez que je pense à vous

 Audiberti

 

SDdV Aa38 (187) - 510.299 III

 

lettre d'Audiberti à Claire du 12 novembre 1935 [mardi]

 

 Chère amie,

 

bien que vous soyez, à mon égard - non, je ne veux pas dire ce que vous êtes - je vous écrit deux mots, pour vous dire que j'ai très mal dormi, moi chanteur de la solitude. Rendez-moi deux services (vous allez dire non, n'est-ce pas ? C'est mon habitude d'entendre qu'on me dite non). Indiquez-moi, si vous le pouvez, le dispositif de double vitre dont vous m'avez parlé, et puis, ne montrez pas cette lettre (je veux dire, celle que j'ai la faiblesse de vous remettre)

 Je ne baise pas vos mains.

 Je ne vous dis rien d'agréable

 

 J

SDdV Aa39 (190) - 510.299 III

 

 1936

 

1er janvier : Yvan et Claire louent un logement 37, Quai d'Anjou

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 2 janvier 1936 ImsL p.387/388

 

 Iwan

à traduire

* Ma mère part ce soir

 

Paula Ludwig Ehrwald à Ivan à Paris lettre du 2 janvier 1936 IsmL p.388 à 391

à traduire

 

carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 3 janvier 1936 ImsL p.391

 

 Ton Iwan

à traduire

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 17 janvier 1936 ImsL p.392/393

 

 Ton Iwan

à traduire

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 23 janvier 1936 ImsL p.393

 

 Paris, Jeudi [23.1.1936]

 Ton Iwan

à traduire

 

carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 29 janvier 1936 ImsL p.394

 Paris, mercredi

 Ton I.

à traduire

 

lettre d'Audiberti à Yvan Goll du 30 janvier 1936 [jeudi]

 

 Cher Ivan Goll,

Je vous parlerai de ce que vous me dîtes dans votre si belle, si juste lettre, quand bientôt, j'irai vous voir, berger d'hexagones, ami de la Seine. Je suis bien fatigué par la bronchite, bien fatigué par un déménageur (" Nous, c'est moralement que nous déménageons…") Certes, la révolution n'est pas finie. Elle commence (Quand je parlais de réaction, je parlais d'un certain formalisme substitué à un certain manque de formalisme, mais nous reparlerons de ces choses)

 J'ai bien reçu les épreuves. Je vous annonce tout de suite qu'il y a, sans compter la dernière, dont vous me dites qu'elle est à la composition, encore deux ou trois strophes à rajouter. Je vous les enverrai insérées à leur place exacte dans le poème.

 (Vous pensiez bien, n'est-ce pas ? qu'il était loin d'être fini)

 Bien cordialement l'amen, cher oiseleur de fumées qui savent où elles vont, o l'auteur de Thanatos en pleine course, que j'aime tant

 Audiberti

 

SDdV Aa40 (194) - 510.299 III

 

lettre d'Audiberti à Yvan Goll du 1er février 1936 [samedi]

 

 Cher Ivan Goll,

et voici la catastrophe. Ecoutez, je ne pouvais laisser le poème tel quel…

 Ce n'était rien, rien qu'un thème, un tremplin. Il part, maintenant, il est parti. Il se compose donc de 15 strophes que voici, plus celle que vous avez entre les mains (ou dans un tiroir ou dans un vieux soulier). Je me rends bien compte que c'est tout un nouveau travail pour l'imprimeur, et un retard pour la revue. Mais je ne pouvais pas faire autrement. Je suis bien certain, d'ailleurs, que vous aimerez beaucoup plus cette présente version.

 Je serais très content d'avoir de nouvelles épreuves, non pour les chambouler encore, mais dans l'intérêt de Jeune Europe, de la poésie et du mien.

 Je vous serre très cordialement la main, Ivan Goll, et vous prie de m'excuser mille fois

 

SDdV Aa41 (194) - 510.299 III

 

Les Nouvelles littéraires n° 694, 1er Février 1936. Direct. Maurice Martin du Gard.

Ivan Goll : La Chanson de Jean sans Terre

 

carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 1 février 1936 ImsL p.394

 Paris, samedi soir

 Ton I.

à traduire

 

Pneumatique de Claire à Ivan Goll à Paris 3 février 1936 MST p.188/189

 Lundi 11h30 [3.2.36,19, rue Copernic]

  Chéri

Je me suis rendue libre pour toi ce soir et je t’attends donc chez moi à 8 heures et demie. S'il te plaît, apporte une grande de faim, et aussi l'autre coquillage, mais sans Vénus !

 Je voudrais vivre encore une fois la belle indécision d'hier.

 La dernière page de la nouvelle est peut-être terminée ?

 Un salut à la blanche feuille de trèfle, de la part de celle qui t'est tendrement dévouée,

 Suzu

 

lettre d'Audiberti à Yvan Goll du 4 février 1936

 [ 4.2.36] ?

 Cher Ivan Goll,

 encore tout charmé de cette heure (plutôt deux qu'une) au bord de la Seine, je vous

envoie ce petit souvenir. Si vous avez une gomme, passez la sur le crayon. Merci.

 Et bien cordialement

 

SDdV Aa40 (198) - 510.299 III

 

Du 5 février au 25 mars, Yvan vit chez Paula Ludwig à Ehrwald

 

lettre d'Ivan Goll, Landeck à Claire 19, rue Copernic Paris du 06.02.1936  MST p.189

 Landeck, 6.2.1936

 12h (11h en France)

L. Z. [Chère Zouzou]

Je viens à l’instant même d’arriver à la gare de la vallée. Départ retardé : toute la nuit allongé, endormi. Presque comme un wagon-lit. Peu de passagers. Hier ! une heure d’arrêt : je le découvre municipal, bizarre. Et il me vient à l’esprit que j’ai naturellement oublié le plus important, mon complet de sport habituel : il est plus important que mon pantalon de Golf : s’il te plaît, envoie-le moi tout de suite comme échantillon sans valeur. Ce ne fera pas un paquet volumineux. Je peux me passer de la veste .Envoie-moi aussi s’il te plaît. les longues chaussettes blanches que tu trouveras dans ma nouvelle armoire.. Merci.

 Je pensais très fort à toi et à tes grands yeux dans le bleu de la nuit de la pleine lune, mais ils ne doivent pas pleurer, n’est-ce pas ?

Si j’en ai encore le temps, je m’occuperai aussi de l’étoffe.

 

Ivan Goll Ehrwald/Tyrol à Claire 37, Quai d'Anjou Paris du 08.02.1936  MST p.189/190

  Ehrwald, 8.2.1936

Chère Zou,

Après un jour de neige et de tempête, le soleil le plus merveilleux rayonne aujourd'hui de toutes parts : nous avons même pu ce matin, prendre le petit déjeuner sur le balcon. Paula dit que sous ce soleil de février, on brunit vite, parce qu'en cette saison, les rayons ultraviolets sont plus actifs ; quel dommage, petite Zuzu, que tu ne puisses prendre ta part de cet air et de ce soleil, et de cette abondance de lait et de ces montagnes de beurre : pourquoi faut-il toujours que chacun de nous soit heureux à sa manière, et n'ait pas le droit de partager avec l'autre, comme il le voudrait, ses jours de bonheur. Et pourtant, ces expériences n'existeraient pas, si chacun n'avait justement conquis pour lui-même et à sa manière d'autres univers humains, d'autres fragments de la planète.

Ainsi que l'enrichissement et l'achèvement soient pleinement accordés à chaque partie de notre alliance amicale. C'est là l'avantage que présente notre philosophie de la liberté, sur la morale bourgeoise de la persistance, qui, elle aussi, a certains avantages.

 Je ne me suis pas encore risqué à faire du sport. Mais j'essaierai bientôt les skis de Friedl.Nous ferons aussi de la luge.

 Ehrwald est paisiblement enneigé et abandonné. Ici, personne ne s'occupe de ses semblables. A l'hôtel, il y a quelques françaises qui sont très courtisées.

 J'ai oublié tout ce qui est important : pour travailler à la maison, ma robe de chambre rouge me manque. Ne pourrais-tu, s'il-te-plaît, me l'expédier vite ? j'espère que cela ne te causera pas trop de travail. A part cela, comment vas-tu ? Comment tes visites se sont-elles passées ?

 Tendrement

 Mignon

 

Ivan Goll Ehrwald à Claire Paris du 10.02.1936  MST p.190/191

 10.2.1936

 Lundi soir

Chère petite Suzu [Ehrwald]

 

 Il faut que je te renseigne plus en détail sur cette belle existence que je mène à Ehrwald. Hier et avant-hier, nous avons eu deux magnifiques journées de soleil. Dès 9 heures du matin, le soleil flambait au-dessus des montagnes neigeuses. Le ciel était d'un mauve joyeux, jamais vu encore. Et dans les endroits abrités, le soleil était si chaud qu'on pouvait s'y exposer tout nu. Mais il paraît que de semblables journées sont rares en février : en mars, par contre, elles sont très fréquentes. On affirme que je suis déjà bruni.

 Et maintenant, j'apprends réellement à faire du ski. Tout d'abord, j'ai hérité des skis et du costume de skieur de Friedl. Je t'enverrai bientôt une photo de mon coquet équipement.

Les guides de montagne et skieurs, Mertl et Lucki, sont les meilleurs compagnons de beuverie de Paula, pendant ses mois de solitude. Ils restent assis longuement dans le "Gasthaus in Stern" pour boire un bock. Mertl nous donne quelques cours de skis : quand j'aurai bien appris dans la colline en pente douce, je pourrai plus tard faire des tours avec eux. Mais, j'en suis encore loin. Sur la colline d'essai, il n'y a pas le moindre danger. D'ailleurs, il faut attendre que la neige soit favorable.  

 Personne ne devinerait qu'on est si près de Garmisch. Comme je l'ai déjà dit, personne ne s'occupe de ce qui se passe là-bas. C'est la vie silencieuse d'un village autrichien, sans la moindre nuance politique.

 Naturellement, Paula m'a reçu tout à fait solennellement. On avait retardé l'arbre de Noël jusqu'au jour de mon arrivée (il était plus frais que le nôtre !) Et, nous nous sommes faits des cadeaux. Ta veste verte a produit une grande impression. Le coquillage rose a été très bienvenu: nous avons feuilleté un manuel illustré et nous avons trouvé son image : il s'appelle "oreille de Diane".

 Je suis heureux que tu aies passé quelques bonnes soirées. Ne te laisse surtout pas envahir par le spleen.

 Après quelques journées consacrées à la joie du ski, je me mettrai à finir la traduction de César.

 Comment marche ta Nouvelle ? As-tu été chez Elie Richard ?

De temps en temps, tu pourras m'envoyer "Paris-Soir". Ici, le papier est très apprécié (pour le chauffage). Et les journaux allemands sont mauvais et coûteux.

 Je suis seulement peiné que tu m'aies expédié le costume de sport complet : si cette lettre n'arrive pas trop tard, laisse la robe de chambre tranquillement pendue à son cintre. Entre temps, j'ai su m'organiser.

 Avec mon plus tendre souvenir,

 Ton

 Iwan

 

Ivan Goll Ehrwald à Claire 19, rue Copernic Paris du 13.02.1936  MST p.192

 Ehrwald Jeudi

 13.2.1936

 Chère petite Suzu

 Merci pour cette triste petite lettre bleue qui me remplit de mélancolie, comme toujours, et pour le reste du courrier

 Il semble que Shermann soit devenu fou. S'il te plaît, mets dans une boîte aux lettres la missive ci-incluse à son client. Pour le tranquilliser, je lui ai écrit que tu me représentes à Paris. Laisse paisiblement déferler sur toi sa correspondance. Satisfais peut-être à l'une ou l'autre de ses petites demandes. Quand il viendra à Paris, tu pourras peut-être, tout de même, entreprendre avec lui quelque chose qui rapporte de l'argent. Mais ne lui révèle surtout pas le nom du journal n qui m'a écrit à cause de lui : dis que je ne t'en ai rien raconté.

 Merveilleux temps ensoleillé. Aujourd'hui, bain de soleil tout l'après-midi sur l'Alm (1800m). Puis, descente vertigineuse en ski, non sans peine, il est vrai.

 Je lis un livre merveilleux : "Schau heimwärts Engel" ! de Thomas Wolfe, un jeune américain. Edité par Rowolt. Si tu peux l'emprunter dans une librairie amie… Toute l'Amérique y est :psychologie balzacienne, plus le style de Joyce, qui est continuellement dompté

 Je pense tendrement à toi.

 Iwan

 

Ivan Goll Ehrwald à Claire 37, Quai d'Anjou Paris du 18.02.1936  MST p.192/193

   Ehrwald, 18.2.1936

 

Chère Zou,

 Aujourd'hui, je t'envoie un nouveau poème de la Seine [1], pour te prouver que je ne vis pas seulement à Ehrwald, mais aussi, par instants, à Paris, Quai d'Anjou, en ta délicate présence. J'ai écrit cette chanson ce matin au réveil, d'un seul trait, et je crois, à vrai dire, qu'elle est bonne, bien que je n'aie pas encore le recul nécessaire.

 Depuis avant-hier souffle le foehn et la neige est rapidement devenue mauvaise. Il fait, à nouveau un temps tiède. Cependant, on attend une nouvelle neige (?). Le costume de sport que tu m'as envoyé me rend à présent les meilleurs services. Et la robe de chambre est arrivée à l'instant, en sorte que j'aurai maintenant de confortables matinées de travail. Merci, merci beaucoup.

 N'es-tu pas seule ? pas trop triste ? J'ai vu Dans la National Zeitung ta fameuse histoire de Jeanne. Comme elle est merveilleusement réussie !

 Je t'embrasse bien tendrement. 

 Iwan

 

 

Ivan Goll Ehrwald à Claire Paris, Quai d'Anjou du 19.02.1936  MST p.193/194

 Ehrwald 19.2.1936

 [mercredi]

Chère petite Zouzou,

 Ce matin, la carte postale, si triste exprimant ton abandon. Et pourtant, que je t'ai écrit de choses ! Et j'avais l'impression qu'il y avait une déficience dans les communications postales. Dès samedi, je l'ai senti…

 Laisse-moi récapituler :

 Le vendredi 14.2. je t'ai expédié une longue lettre à Copernic, avec une lettre à Daniel et une à un client de Shermann. Régulièrement, tu aurais du la recevoir dimanche matin. 

 Samedi 15.2. une carte postale sur laquelle je te confirmais (également à Copernic) la réception du costume de sport, ainsi que la lettre du vendredi, qui t'annonçait qu'une lettre du lundi précédent t'attendait au bureau de poste Victor Hugo. 

 Mardi 18/2, j'ai envoyé une carte à Copernic, qui t'annonçait simplement que le même jour :

 Mardi 18/2, une lettre épaisse t'était adressée à Victor Hugo, avec une lettre pour Daniel et un poème : Chanson des pêcheurs et des goujons.

 Tu vois donc que je ne t'oubliais pas, au contraire, j'étais encouragé par ta pensée et passionnément uni à toi.

 Redoutant que du courrier se soit réellement perdu, j'adresse cette lettre Quai d'Anjou.

 Elle contient un nouveau poème : "Chanson des grues", dans laquelle je développe mon expérience au bord de la seine. Cela formera un cycle avec la "Chanson sur les Ponts" et d'autres Il s'intitulera " Chanson de la Seine". Mais je n'ai aucune idée de ce que vaut ce nouveau poème. Je te l'envoie seulement pour rester en contact chaleureux avec toi. Pardonne si c'est manqué. Par ailleurs, j'attends que tu me fasses une critique détaillée, aussi bien de la Chanson d'aujourd'hui que celle d'hier.

 En tout amour

 Ton

 Iwan

 

Ivan Goll Ehrwald à Claire Paris du 20.02.1936  MST p.194/195

  Ehrwald 20.2.1936

 

Chère petite Zou petite soeur ,

Ta lettre de mardi a balayé mon inquiétude. A présent, tu ne te plaindras plus de la rareté de mes lettres. Je t'inonde maintenant, à proprement parler, de ces feuilles vertes d'hiver. Mais je ne sais toujours pas exactement à laquelle des 3 adresses je ferais le mieux de les envoyer. Tu sembles ne pas aller très volontiers à la poste Victor Hugo.

 Je continue à travailler ferme au cycle de la Seine. Preuve, ce troisième poème, qui n'est en réalité pas nouveau, mais une fusion de deux précédents, celui "Sur les Ponts" et un que tu ne connais pas. Comment te plaira-t-il ? Il y a deux versions. Laquelle prendre ? Aujourd'hui déjà, celui d'hier "Les Grues" me semble t'avoir été expédié prématurément. C'(est certainement le plus faible des trois. Je voulais fusionner en une vision les 3 concepts "grues" : oiseau, mécanique, putain. Entreprise peut-être impossible.

 Cette histoire de la note d'électricité m'irrite. J'espère qu'elle n'a pas provoqué la mauvaise humeur de la concierge ? Tu as bien fait de payer les 20 Frs.

 A présent, c'est la note du Gaz qui arrivera ces jours-ci. Environ 95 Frs. S'il te plaît, paye la de suite avec l'argent du 1er mars. De plus, je voudrais te prier de donner 10 francs à la concierge. Cela suffit. Après que tu auras souscrit de l'argent de mars ta part et le montant du gaz, je te prie de m'envoyer le reste. Ce sera très maigre. Jusqu'à présent, je continue à jongler avec les 250 francs que j'ai emportés. Paula fait très bien la cuisine. Aujourd'hui, il y a un énorme chou-rouge avec du lard, qui suffira pour 2 jours. Le dimanche, nous sommes régulièrement invités chez une amie riche.

 J'ai pris très à cœur tes désirs de tissus.

 Magnifique, que tu aies découvert pour toi la piscine Molitor. Cela te procurera un renouveau de force vitale. Quand il fait beau, tu devrais t'y rendre à pied.

 Ici aussi, tout est devenu printanier. Ci-joint la première petite fleur qui s'est épanouie sous la neige.

 Ton tendre

 Iwan

Ci-inclus, je t'envoie aussi la déclaration d'impôts. Je n'ai déclaré que ce que nous gagnons en réalité, afin qu'on nous respecte. Mais il faut que tu te renseignes auprès de la concierge sur l'adresse de notre nouveau Contrôleur des Contributions directes de Paris IV.

Cependant, expédie toi-même la déclaration : elle n'a pas besoin d'y jeter les yeux

 

Ivan Goll Ehrwald à Claire Paris du 22.02.1936  MST p.195

 Ehrwald 22.2.1936

 

Chère petite Zou,

 Merci pour ta lettre de jeudi. Comme je suis heureux que tu déclares valable la "Chanson des goujons". Tu me donnes du courage. A présent, les autres.

 La critique du "Mercure de France" m'a amusé.

 Sur la carte de Flouquet, j'ai aussitôt rédigé ma réponse à l'enquête : la voici, adressée à Pulings, l'enquêteur. Mets-la dans une boîte aux lettres. Flouquet sera trop jaloux s'il apprend que je suis dans le Tyrol. L'autre fois, il s'est fort excité au sujet de mon voyage en Italie : et je ne puis payer l'édition ?

 Ah ! comme cela m'accable, que tu continues à être si malade !

Va donc vite, je t'en prie, chez ce médecin allemand qu'on t'a recommandé de plusieurs côtés : même si tu n'as pas confiance, il faut tout essayer. Et son influence psychique peut avoir de bons effets. Il paraît que c'est un type si consolant.

 Je pense à toi, plein de douleur et d'amour.

 I.

 

Ivan Goll Ehrwald à Claire Paris du 23.02.1936  MST p.196

 Ehrwald 23.2.1936

 

Chère petite sœur,

Ta tristesse persistante à laquelle s'ajoute ta faiblesse corporelle me donnent un grand souci. Je t'entends pleurer dans les nuits. Je voudrais tellement te venir en aide. Tu es dégoûtée de tous les médecins. Je me demande si peut-être l'influence de ce sage et bon Jean Boos ne te ferait pas du bien. Ecris-lui que tu veux le voir. 17, rue Lévis, Paris XVII. Mais sois prudente.

 Sassia, qui était autrefois si généreuse, est devenue très jalouse à la suite de nombreuses désillusions. A présent, je ne sais pas du tout si elle est encore en voyage : Alger-Le Caire, etc.... Depuis Noël, je n'ai pas entendu parler d'elle. Mais tu peux écrire à Boos, que tu as besoin de le voir, en mon nom, à cause de Shermann, auquel il s'intéresse démesurément. Et comme celui-ci viendra prochainement à Paris, tu peux lui proposer de les réunir : dis-lui que je suis au Tyrol, etc...

 Après les 3 chansons, une pause subite s'est faite dans mon travail.

 Cette nuit, il a beaucoup plu ici et s'en ai fini momentanément des excursions à ski, etc. Par contre, nous avons eu quelques soirées de carnaval très animées, comme elles ne sont possibles qu'en Autriche. Il y a eu, presque tous les 2 jours, un bal masqué, une fois au "Gasthaus von Stern" [Auberge de l'Etoile], puis au "Grüner Baum" [ L'Arbre Vert ].

 Tu sais que j'ai écrit quelque chose sur les déguisements et masques tyroliens, si dramatiques. Mes amies ont l'usage de se déguiser et se masquer ; ensuite elles se cachent et se cherchent l'une l'autre. J'ai participé à ce jeu. Un soir, j'étais costumé en vieille femme, avec tous les accessoires : jupon, jupe, châle, jabot de dentelle, chapeau, sac à main, parapluie, bas, gants : tout m'allait et c'était criant de vérité. Les gens du village se prêtent les uns aux autres toute leur garde-robe. Personne ne m'a reconnu. C'était charmant.

 Mais à partir du Mercredi des Cendres, Ehrwald redeviendra un petit trou silencieux et endormi.

 J'espère recevoir bientôt de meilleures nouvelles de toi et je reste

 celui qui t'aime toujours

 Iwan

 

Ivan Goll Ehrwald à Claire Paris du 26.02.1936  MST p.197/198

  Ehrwald 26 février 1936

 

Chère petite sœur, 

 Tes lettres sont de plus en plus tristes et mon cœur de plus en plus battant. Tu ne dois pas t'abandonner à des pensées si sombres. Tu dois t'adonner aux forces de la confiance. Le printemps est proche et le Portugal nous fait signe...

 As-tu été chez le docteur ? Et as-tu écrit à Boos ?

 En ce moment, je suis dans une bonne "passe" de travail, comme on dit ici. En dépit du ski et du carnaval. L'atmosphère poétique est favorable.

 Aussi, je continue à écrire des poèmes, même alors qu'ils ne sont pas toujours réussis. Pourquoi déconseilles-tu les chansons populaires, alors que sur les 3 chansons, 2 t'ont bien plu ? (il m'intéresserait, en outre, de savoir pourquoi la 1ère version de "Pont-Marie" t'a séduite et pas la 2ème. Dans quelle mesure la première est plus forte ?)

 A présent, voici un nouveau chant de "Jean sans Terre". Je suis absolument incertain de sa valeur. C'est toi qui décideras. Je crois que toute une série de chants analogues (Jean sans Terre au Ghetto, etc., etc.) pourrait constituer un bon cycle ? Tu remarqueras que ce nouveau chant a un rythme beaucoup plus strict que le premier. Je me laisse maintenant, très volontiers, séduire par la forme, qui n'est, à vrai dire, qu'une femme coquette, mais qui enflamme fort le poète.

 Mais peut-être cette Chanson du Pont, par laquelle je voudrais en finir avec le motif du pont, n'est-elle bonne qu'à jeter au fumier ? Je m'y attends.

 Merci pour les autres développements de tes lettres. Mais j'ai dû sourire du trait rouge dont tu as souligné l'information, qu'une des poésies publiées dans "Les Cahiers du Sud" portait en dédicace le nom de Thérèse Aubray. Voici l'explication. Tu pourras lire sur la première page de la revue que Th. A. fait partie du comité de rédaction. Or, tu sais que, dans le volume, une poésie lui est dédiée *. Elle m'a prié de lui laisser choisir les textes à reproduire dans la revue. Pourquoi pas ? elle a choisi justement le poème qui lui était dédié. Sinon, jamais un de mes poèmes n'aurait paru là-bas, peut-être. C qui, d'ailleurs, ne serait pas un malheur. Mais...

 Plus d'argent pour le port d'un exemplaire ? Pauvre malheureuse !

Mais à la fin de cette semaine, arrivera le chèque violet de Nice.

Prends pour toi, comme je te l'ai dit, ta part, paie le gaz et l'électricité, et adresse-moi le reste. Donne-au concierge 20 Frs. Car le 15 avril approche.

 Je te serre sur mon cœur,

 Yvan

"Le septuple Tour" : il y a dans le 1. poème :

Il fait sept fois 

Le tour de la terre

[ Jean sans Terre sur le Pont ]

*Les Veuves, 31 ème poème du "Métro de la Mort".

 

24 février, premier poème de Jean sans Terre : J.s.T. fait 7 fois le tour de la terre

3 mars : 2 autres dont Dom Juan sans Terre et sans femme

 

Ivan Goll Ehrwald à Claire Paris du 4.03.1936  MST p.198

 Ehrwald, 4 mars [1936]

 

Chère petite Zou,

 Tes lettres se font plus rares. Ta dernière paraissait avoir été retardée, car elle m'annonçait l'arrivée des fruits confits de Nice, alors que déjà on s'inquiétait d'eux par télégramme. Comment as-tu pu attendre si longtemps pour me les annoncer ? Je n'avais pas encore rédigé ma lettre de remerciements, car je ne pouvais pas non plus supposer que ma mère enverrait déjà l'argent le lundi 24 ! Sans doute sur tes instances. Et celle qui t'était adressée devait provoquer une confusion complète ! J'avoue que ce fut le cas aussi dans mon esprit. Je ne sais plus du tout quand et quoi je dois écrire.

 Crois-tu que la carte d'anniversaire pour le 6 mars aura remis tout en ordre ?

 J'espère que tu as, au moins écrit pour arranger cela.

  Voici encore un chant de "Jean sans Terre".

 Sans doute, tu m'adresses des louanges pour le premier, mais elles ne sont pas très convaincues. S'il te plaît, dis-moi exactement ce que tu penses des 3 poèmes, et si je ne m'expose pas, dans ces eaux, à un danger réel. Tu t'exprimes trop peu, et tu n'es pas assez attentive aux vers. Est-ce qu'ils ne t'intéressent pas ? Ou désires-tu ne pas me désillusionner ?

 J'ai été très heureux d'apprendre que tu vas mieux, et qu'en outre, tu as été bien soignée.

 Ton état moral semble aussi être redevenu plus ensoleillé.

 Ici le foehn souffle à travers la maison et le cœur.

 Qu'il porte mon baiser jusqu'à toi.

 

 Yvan

Merci pour Paris-Soir

 

Ivan Goll Ehrwald à Claire 19, rue Copernic, Paris du 06.03.1936  MST p.199/200

  Ehrwald, 6 mars [1936]

Chère petite Zouzou,

 

 Encore aujourd'hui, pas de lettre de toi.

 La communication avec Nice-Nancy est complètement interrompue. C'est grave. Comme je te l'ai dit, tu ne m'as jamais fait savoir si les fruits confits étaient arrivés. Aujourd'hui, je ne sais pas s'ils sont encore dans le Midi ou non. Que dois-je écrire ?

 Voici, peu à peu, un nouveau Chant de "Jean sans Terre". Si je t'ai priée, dans ma dernière lettre, de discuter ces poèmes avec moi, à fond, c'est parce que j'ai réellement besoin d'une directive. Tu auras sans doute remarqué que ce thème lyrique se développe lentement en une œuvre assez grande, dans laquelle je voudrais dire tout ce qu'on peut dire à un homme d'aujourd'hui. Je reprends et rassemble en un tout les contenus de centaines de petites poésies éparpillées que je n'ai jamais achevées, et je cherche à leur donner une forme définitive.

 Bizarre, peut-être : la forme rigide m’est extraordinairement utile et ne me freine à aucun moment, mes idées sont aussi libres et faciles à exprimer que précédemment dans le vers libre. Je voudrais apprendre de toi si je ne me trompe pas. Je t'en prie, donne-toi cette peine et soumets le tout à une réflexion sérieuse.

Il n'est pas encore nécessaire de montrer ces Chants à d'autres, tels qu'Audiberti, etc.. Je te prie de n'en rien faire.

 Je continue à travailler. Finalement, qu'est-ce que ça peut faire, même si je me trompe ? La neige et le soleil ne me détournent guère de mon chemin.

 Tendrement ton

 I.

 J'envoie cette lettre rue Copernic, car il me semble que tu vas maintenant plus rarement Quai d'Anjou.

 Tes corrections sont-elles arrivées de Bruxelles ?

 As-tu envoyé ma lettre aux Döblin ?

 Je n'ai pas reçu le numéro des Cahiers du Sud.

 N'envoie Paris-Soir que lorsqu'il s'y trouvera quelque chose d'important, pas régulièrement : le port est si coûteux.

 Reçu les 131 schilling : et avec ça, je dois tenir pendant 31 jours ! ici ou là !

 Je donne à présent des leçons de français à une dame : à 3 schilling. De quoi payer mes cigarettes.

 A l'instant je trouve à la poste la lettre ci-incluse de Jahr-Salzburg, avec échantillon.

 En effet, je ne suis pas passé par Innsbrück, car je me suis arrêté à Landeck, où le train arrive une heure avant, et d'où un autobus conduit maintenant à Ehrwald.

 Rien que le voyage jusqu'à Innsbrück coûterait 25 schilling.

 Réponds, s'il te plaît, et renvoie la lettre et l'échantillon.

(Les boutons ne sont pas encore arrivés à ce jour).

 

Ivan Goll Ehrwald à Claire 37, Quai d'Anjou Paris du 7.03.1936  MST p.200/201

  Ehrwald, 7 mars [1936]

Chère Zou,

 Encore une journée sans lettre.

 A présent, tu inaugures la lettre hebdomadaire. Bon. Je me suis seulement énervé à cause de Nancy, et finalement, aujourd'hui, dernier délai, j'ai rédigé une lettre au petit bonheur. S'il te plaît, lis-la exactement, ce que tu ne fais pas toujours. Je crois que Daniel commence à être très méfiant, et si tu trouves une faute quelconque dans cette lettre, ne l'expédie pas. Mais, fais-moi savoir aussitôt en quel sens je dois écrire.

 Malheureuse : un nouveau Chant de Jean sans Terre te choit aujourd'hui sur la tête ! Peux-tu te représenter ce qu’aurait été notre petit univers si depuis vingt ans j’avais fait des poèmes sous cette forme ? Peut-être alors te serais-tu détournée de moi beaucoup plus tôt.

Mais ne t'endors pas, ne baille pas. Malgré ce ronron, tu trouveras, de-ci de-là une pensée bien construite et une strophe pleine de sens. Heine a bien écrit « Deutschland » de cette manière. Et tous les autres. Tout dépend de la construction et du sens - de cela, je suis de plus en plus conscient.

 Surtout ne crains pas que le public s’ennuie : tel est le secret d'œuvres plus secrètes. En outre cela ne va pas continuer longtemps de la sorte. Il y aura probablement 7 Chants en tout, sur lesquels tu en possèdes 5. Et je sais dès à présent que certaines des strophes devront être rayées ou changées ou remplacées, parce qu'on les a dactylographiées trop tôt.

 Je pense que tu me feras savoir comment tu vas.

 Ton Iwan

 Les boutons d'argent t'ont été expédiés ce matin

 

Ivan Goll Ehrwald à Claire 37, Quai d'Anjou Paris du 11.03.1936  MST p.201/202/203

  Ehrwald, 11 mars 36

 

Chère petite sœur,

 

 Merci pour tes lettres de vendredi et de lundi, entre lesquelles il est survenu un si grave événement historique [2]. Il est d'une très grande portée, mais il ne conduira pas à la guerre! Encore une fois, la réaction des gouvernements occidentaux sera tiède, bien trop tiède : on le remarque déjà à l'attitude de l'Angleterre .On écoute Hitler, on pèse ses paroles : on réfléchit ! au lieu d'ordonner aussitôt, avec une énergie de fer : "Halte-là ! Cette fois, non ! Arrière ou…", Mais devant ce "ou", tout le monde a peur, et il est pénible de lire que même le ministre français de la guerre apaise le pays, cherche à expliquer que l'occupation de quelques forteresses à l'Est était prévue de toute manière. Encore une fois, ce tour de Hitler paraît presque réussi. Il ne lui arrivera rien. Il a eu raison !

 Ainsi donc, les choses n'en sont pas encore arrivées assez loin pour qu'on s'inquiète. Je suis attentivement le déroulement de la situation. on négociera de nouveau - ce qui était démilitarisé sera remilitarisé. Ça dure ainsi depuis 15 ans - jusqu'à ce que ça explose. Mais sans crier gare. Quand ça lui plaira. Les démocrates sont bien trop convenables pour pouvoir s'entendre avec des démons.

 Je crois que nous pouvons continuer, encore un bout de temps, encore un bout de temps à faire des poèmes. Plus très longtemps. Mais juste assez longtemps pour qu'on ait vidé son cœur. Après nous le déluge. Tu as tort de croire qu'on n'a pas le droit de se contempler dans un miroir : qu'y a-t-il de mieux à faire, je te prie ? Je veux dire : de mieux, qu'écrire des poèmes comme "Jean sans Terre" ? Je te suis très reconnaissant de ta critique ; mais cette fois, elle ne me persuade pas et, Dieu merci, ne me décourage pas non plus. Je veux continuer à rimer aussi longtemps que ça ira : et voir ensuite, après deux mois de rafraîchissement, ce que vaut le vin. Il me semble malgré tout que la forme me fournit un grand appui et une économie des moyens de composition. Que reste-t-il alors de toutes ces choses sans forme que j'ai créées antérieurement, et les années précédentes ? Toujours, j'avais devant les yeux une grande composition poétique compacte, et toujours tout se dissolvait, parce que je n'avais pas trouvé de forme.

 Ne plaisante pas sur ce vers court. C'est une lame difficile à manier. Autant que je puisse m'en souvenir, cette strophe brève et rimée a souvent été employée dans les oeuvres classiques étrangères, comme par exemple le romancero espagnol, et - je te l'ai déjà dit - dans les longues compositions de Heine. Ou devrais-je peut-être choisir l'alexandrin ? Jamais !

 En admettant que, de ci de la, une strophe puisse être raturée, par exemple l'espagnole - Et puis après …il subsiste tout de même quelques valeurs poétiques. Donc je continue, jusqu'à ce que je ne puisse plus. Et cela pourrait bien arriver assez tôt.

 Je sens mes forces m'abandonner. Mais je ne voudrais pas fixer une date d'avance pour mon départ d'ici.

 Il faut aussi qu'à ce moment, la traduction de César soit terminée. Il y a une chose que tu devrais, tout de même, me concéder : c'est que j'ai travaillé beaucoup et avec acharnement, et que ce n'est certainement pas du temps perdu.

 Chanson des Goujons et Chanson du Pont-Marie paraissent déjà prochainement dans un tirage à part des Quatre Chemins.

 Hier, un jour après leur réception, je t'ai envoyé les feuilles corrigées de "Métro", avec la prière de les faire suivre aussitôt à Bruxelles. Merci bien. Ainsi, à mon retour, j'aurai à m'acquitter d'un joli service de presse.

 S'il te plaît, ne prends pas trop au sérieux la lettre du Dr. Mayer. L'homme et la lettre sont beaucoup plus inoffensifs que tu ne crois. Mais le "Don Juan sans Terre et sans Femme" doit t'irriter fortement. Je lui envoie une carte illustrée d'ici et je lui dis que j'aimerais bien mieux aller bientôt au Portugal qu'à Boulogne.

Ci-inclus, une lettre de Shermann, arrivée aujourd'hui. Il sera à Paris vendredi soir, comme tu peux le voir. Il ne faut pas que je le laisse tomber, il est le seul espoir qui me reste de gagner quelque argent. S'il te plaît, remplace-moi sérieusement auprès de lui, jusqu'à mon retour. Tu peux faire cela pour moi. Sinon, où serait la fraternité ? Je t'en prie, cultive-le soigneusement pendant quelques jours. Téléphone-lui samedi matin dès 9 heures, et dis-lui que tu veux le voir en mon nom. Vous pourrez déjeuner ensemble, dimanche. Tu peux lui dire aussi le nom du journal qui veut entreprendre quelque chose avec nous : c'est Philippe Soupault qui est maintenant le rédacteur d'Excelsior (Petit Parisien, rue d'Enghien). Téléphone aussi, samedi matin à Soupault et va ensuite le voir, éventuellement, avec Shermann. Une conversation avec Soupault t'intéressera certainement, en même temps.

 Par ailleurs, je crois que Shermann, pour le début, sera un peu ladre, jusqu'à ce qu'il ait repris pied. Si tu ne lui téléphones pas, il nous échappera. Drach, qui est sans situation en ce moment, va vouloir le tirer à lui.

 Et voici une nouvelle lettre à mes parents. Quand leur as-tu envoyé la précédente (de samedi) ? Pas trop tard, j'espère. La chute des rentes de lundi est une belle histoire. Hélas, hélas, mes prévisions se réalisent …

 Comme je me réjouis de ta meilleure santé corporelle ! De ton Philipp, de tes perce-neige, de tes soirées chez Deharme et Desnos.

 Avant-hier, je suis descendu sur mes skis de la Stugspitze : excursion divinement belle, diablement fatigante. Tout s'est bien passé.

 Aujourd'hui, c'est de nouveau le printemps ici, et je t'envoie un petit zéphyr-baiser.

 Iwan

J'écris à Salzbourg. As-tu reçu les boutons, as-tu choisi, et m'as-tu réexpédié le lot ?

Ci-inclus, les formulaires remplis : porte-les de préférence toi-même au bureau (renseigne-toi pour savoir où), la concierge n'a pas besoin de jeter un regard sur notre âge, notre origine, etc.

 

lettre d'Audiberti à Yvan Goll du 14 mars 1936 ***

 mon cher Ivan Goll,

Vos vers me paraissent très significatifs de cette maladie que je vous ai communiquée, celle de la méningite chorégraphique, de l'algèbre mnémotechnique, de la périodicité du remords, de l'angle droit qui serait une circonférence, de la circonférence qui, dans le secret d'elle-même, se veut un paraphe tendu vers l'ailleurs, vers le sud sublime ou le nord le plus grand. Voilà bien des mots pour essayer de désigner l'aptitude prosodique que le mystérieux murmure des siècles humains nous confia pour que nous en fassions le meilleur usage. En réalité, il est bien inutile, sinon dans l'intention évidente de dresser un petit autel du pur verbiage, de s'embarquer dans un démontage ou une justification de ce procédé - la prosodie régulière - qui, comme la plupart des créatures de ce monde, comme toutes, puise sa plus efficace référence, et découvre aussi sa plus touchante excuse, dans ceci qu'elle existe. Tout ce qui existe est sacré, n'est-ce pas ? Tout ce qui existe, une punaise, un camembert, une sirène, un pied, un silence et la peur, renferme, suppose, oblige, annonce et remplace tout le reste de ce qui existe. Mets-toi devant un arbre, o Goll, et mange-le. Mange le des yeux. Mange le du cœur. Touche le tant que tu peux. Qu'il t'entre ! Qu'il te possède : son poids supputé… sa couleur percée … son branchage appris, et, sans doute aimé … ses feuilles comptées, et chacune écoutée …Et bientôt, son langage et, bientôt, sa chanson, de l'écorce venus par les chemins du rêve et de la contemplation … Le monde sur le plateau que portent les bras d'un arbre… Ainsi de la poésie classique …Un thème d'activité sensible, une déesse, un peu maigre et fade, de l'école, avec son organisme, sa façon générale, sa place dans l'espace, dans l'histoire. Eh bien ! si ce n'est pas la seule des déesses, si même ce n'est que la plus humble d'entre elles, si ce n'est pas la plus auguste des religions, si même ce n'est que le plus modique des ritualismes, contemplons la, pressurons la, visitons la, faisons la vibrer à fond, trions en toutes les odeurs de la semence, conférons lui, sur les ambigus divans des noces, toutes les attitudes possibles de la volupté et de la terreur et ne la laissons que comblée et vidée, son trésor en nous et le nôtre en elle, ointe d'humain des pieds à la tête, et nous-mêmes tout rayonnant des prestiges subli-physiques dont les rapports si poussés nous valurent le singulier revêtement. Tendons, avec elle, aux plus parfaites épousailles, non parce qu'elle est elle, mais parce qu'elle est une bête au torse de matière, aux ailes d'inconnu, et qu'un travail achevé, une passion emplie à ras bord, une totalité qui se conçoit et s'exprime, cela avance extrêmement l'homme vers la connaissance, c'est à dire vers le divin, c'est à dire vers la beauté.

Naturellement, on pourrait nous répondre que d'autres occupations, le billard, la philatélie, l'alpinisme, comportent les mêmes privilèges d'exaltation subjective, aux yeux des témoins attentifs qui, dans leurs mains, tiennent la terre, la même vertu spectaculaire. Rétorquons que la poésie est de race hautement royale et qu'il existe une hiérarchie dans les maîtresses symboliques qui attendent - et menacent - l'homme laborieux et créateur.

En ce moment-ci, je suis étrangement bien portant… Vais-je perdre une inspiration qui semblait assez liée à ce que de solitude et d'effroi perpétuels engendrait ma fatigue haletante? Par contre, je m'initie aux ennuis d'argent, sévèrement.

J'ai été chez vous hier, à dix heures et demie, mais vous n'y étiez pas (vous seriez bien surpris si je vous annonçais que vous y étiez…) J'ai salué avec sympathie la voiture d'enfant qui se trouve en-bas, dans le vestibule.

 Avez-vous toujours ma jeune fille, et meiner Baum [ mon arbre ]

Ne les perdez pas. Merci.

 Herzlichst

 

SDdV Aa43 (200/201/202) - 510.299 III

 

Ivan Goll Innsbruck à Paula Ludwig Ehrwald 24 mars 1936 ImsL p.395/396

 Ma

à traduire

 

Yvan chez sa mère à Nancy [ 25 mars 1936 ] à son oncle (?)

Mes chers,

Vu tous ces bruits de mobilisation, je viens vous prier de tenir strict silence sur tout ce qui me concerne et où je me trouve. Si un avis militaire devait être envoyé à mon adresse, mettez le s.v.p. sous nouvelle enveloppe et envoyez-le immédiatement ici à l'adresse Daniel Kahn. Je ne sais pas encore ce que je déciderai et à quand mon retour. Il est sûr qu'une fois à Metz, il me serait plus facile de retraverser la frontière.

 La population ici est très énervée. En cas de guerre, je ne sais pas encore quelle marche il y aurait à suivre. Néanmoins tout n'est pas perdu. Nous avons encore tous un peu d'espoir. Quelques nouvelles de Metz nous feraient bien plaisir, peut-être un conseil émanant de la famille à mon sujet !

 Je vous réitère de ne répondre que vaguement à toutes les questions sur moi.

  Voici un Tischebof qu'on célébrera dans un état d'âme bien ressemblant à l'histoire. Tachez, sous toutes ces circonstances de garder le sang froid et une bonne santé. Je voudrais bien être autour de vous et suis pourtant si heureux d'être auprès de ma chère maman et de Daniel qui ne sait que faire pour moi.

 Je vous embrasse ainsi que toute la famille bien affectueusement

 Mig

/ Détruisez toute notre correspondance aussitôt lue.

SdDV 510311

 

carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 27 mars 1936 ImsL p.394

 27 mars [1936]

  [Paris]

 Chère Palu

 Iwan

à traduire

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 29 mars 1936 ImsL p.394

  Paris 29 mars 1936

 

 Chère Palu

 Ton passionné Ma

à traduire

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 4 avril 1936 ImsL p.399

  [Paris le] 4 avril 1936

 [ Hôtel Majestic, Av. Kléber]

 Chère Palu

 

 Je me réjouis de ton nouvel article.

 Ton inondé par la pluie Ma

à traduire

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 9 avril 1936 ImsL p.400

 Jeudi vert

 [Paris 9 avril 1936]

 

 Chère Palu

 

 Ton joyeux excité

  Ma

à traduire

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 10 avril 1936 ImsL p.401

 Vendredi-Saint

 [Paris 10 avril 1936]

 

 Chère Palu

 

 Palu, comme je t'aime !

  Ma

à traduire

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 20 avril 1936 ImsL p.402

  [Paris le] 20 avril 1936

 [ Hôtel Majestic, Av. Kléber]

 Chère Palu

 

 Ton frémissant (tremblotant ?) Ma

à traduire

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 24 avril 1936 ImsL p.402/403

  [Paris le] 24 avril 1936

 [ Hôtel Majestic, Av. Kléber]

 Chère Palu

 

 Je t'embrasse  Ma

à traduire

 

29 avril 1936, mort brutale à l'âge de 73 ans, de Daniel Kahn, beau-père d'Yvan

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 29 avril 1936 ImsL p.403/404

 Paris 29 avril 1936

 

 Chère Palu,

 

Mon adresse à Nancy :

Poste Restante, Bureau Saint-Jean, Nancy, Meurthe-et-Moselle, France

 Ton très abattu-brisé

  Iwan

à traduire

 

lettre d'Ivan Goll Nancy à Paula Ludwig Ehrwald 4 mai 1936 ImsL p.404/405/406

 Nancy 4 mai 1936

 

 Chère Palu,

 

 Ton tout frémissant

  Iwan

à traduire

 

Ivan Goll Nancy à Claire 37, Quai d'Anjou Paris du 4.05.1936  MST p.204

  Nancy, 4 mai 36 [lundi]

 

Chère petite Zouzou,

 

 Rarement, j'ai éprouvé un sentiment si noir et si étouffant qu'hier après-midi après que tu m'eus laissé derrière toi - pour tout l'avenir me sembla-t-il - dans l'atmosphère grise de cette ville et dans le froid mortel de la maison maternelle.

 Pour me consoler, en quittant la gare, j'ai voulu boire quelque chose d'intellectuel et j'ai acheté Les Nouvelles Littéraires. Et qu'y ai-je trouvé ? Mes poèmes sur le Printemps et la Mort, qui avaient certainement paru le 1er mai, jour de l'enterrement du pauvre Daniel (1) alors que je me trouvais effectivement en face du printemps et de la mort au cimetière de Préville !

 Ce matin, de nouvelles causes de souci s'abattent sur nous en tempête. Ces élections à la Chambre ! Je me suis battu comme un lion avec ma mère, qui ne voulait rien savoir et ne pensait qu'à sa douleur, et j'ai obtenu tout de même qu'elle m'autorise à placer une somme, comme j'en avais l'idée depuis longtemps.

 Dans ce but, je viendrai demain à Paris. Je pars à 8 h. 48 d'ici, suis à 13 h 18 à la gare de l'Est, m'acquitte aussitôt de mes affaires et repars à 18 h. pour Nancy.

 Si tu reçois cette lettre à temps, je te prie d'être au Café Napolitain à 3 H. Ensuite, je ferai encore un saut au Quai d'Anjou.

 L'action et le mouvement ont secoué l'abattement où je me trouvais.

 En tout amour

 Ton Yvan

 

 (1) beau-père d'Yvan Goll

 

lettre 7 mai 1936 de Goll, Nancy à la Loyd and National Provincial, Paris

 Nancy 7 mai 1936

 Lloyds and National Provincial,

 Foreign Bank Ltd

 Agence Paris

 Paris

Je vous envoie ci-inclus :

18 Bons du Trésor 4 ½ % 1934 à 1000 fr

 01708813 à  01708820

 01317282 à  01317286

 01440453 à  01440459

 

5 Bons du Trésor 4 % 1935 à 1000 fr

 00609045 à  00609049

1 Bon du Trésor 4 % 1935 à 5000 fr

  00089015

et vous prie de les vendre au mieux

à la Bourse la plus prochaine.

 En outre, je vous prie d'acheter

à la même bourse pour la contre-valeur du

rendement de ces Bons un chèque en Livres Sterling

sur Londres ou mieux,

et envoyez-le à mon compte de votre maison

de Londres : West End Brand, 72 Kaymarket

à mon crédit

 Comme je suis en voyage, conservez toute la

correspondance à ma disposition à vos guichets.

Et croyez à mes salutations distinguées

 Isaac Lang

 37 Quai d'Anjou

 Paris

 

 

lettre d'Ivan Goll Nancy à Paula Ludwig Ehrwald 8 mai 1936 ImsL p.406/407

 Nancy 8 mai 1936

 

 Chère Palu,

 

 Ta fleur printanière

  Iwan

à traduire

 

Ivan Goll Nancy à Claire Paris, 31 rue Raffet du 8 Mai 1936  MST p.204/205

  Nancy, 8 mai 36

Chère petite Zouzou

 Tous mes voeux de santé et d'amour dans ta nouvelle cellule (°), qui sera ouverte à tous les vents !

 Merci beaucoup aussi pour ta carte de beurre.

 Maman est maintenant un peu plus calme. Il s'est passé toutes sortes de choses que je te raconterai oralement.

 Nous partons dimanche matin pour Metz et je reviendrai probablement à Paris lundi. En conséquence, s'il te plaît, ne fais plus suivre de courrier

 Ton un peu moins pâle

 Yvan

 

 

(°) l'architecte parisien Germain DOREL avait bâti pour moi et m'avait offert un appartement "duplex", avec terrasse fleurie, ayant vue sur le Bois de Boulogne. Yvan et moi voulions faire un essai d'existence séparée.

Après cinq mois, [de mai à septembre 1936] nous retournâmes vivre ensemble.

 

carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 15 mai 1936 ImsL p.408

  [Paris 15 mai 1936]

 

 Chère Palu

 Iwan

à traduire

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 16 mai 1936 ImsL p.408

  16 mai 1936 [Paris]

 

 Chère Palu

 avec mon salut d'oiseau

 Iwan

à traduire

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 23 mai 1936 ImsL p.409

 Paris 23 mai 1936

 

 Chère Palu,

 

 Ton Mignon

 

à traduire

carte d'Ivan Goll Nancy à Paula Ludwig Ehrwald 27 mai 1936 ImsL p.410

 Nancy 27 mai 1936

 

 Chère Palu,

 Dans cette ville, il y a une grande place totalement entourée de grilles et de portails en fer forgé recouverts d'or que l'on doit à Jean Lamour. Dans laquelle, rêve de toi ton

 Jean sans Terre

 

Ivan Goll Metz à Claire Paris, du 28 Mai 1936  MST p.205

  Metz, 28 mai 36

Chère petite Zouzou,

Partout, à chaque pas, je redécouvre les chemins, les routes, les rêves de mon enfance. Metz est vraiment une ville très vivante, et la nature qui l'environne pourrait bien nourrir et enchanter un cœur de poète. D'ailleurs, je n'ai aucune raison d'avoir honte de cette ville natale : non seulement Verlaine, mais aussi Gustave Kahn, le premier des symbolistes, ami de Mallarmé, et à une époque plus récente, de Ribbentrop et Adrienne Thomas ont passé leur enfance et leur jeunesse entre ces murs. Tante Gaby a collectionné pour moi ces certitudes historiques.

 J'aurais bien aimé partir dès demain pour aller te rejoindre - mais Mère désire que je l'accompagne demain, encore une fois, à Nancy, où elle doit faire beaucoup de commissions pénibles. J'ai donc décidé de rentrer à Paris dimanche : je prends le train à 12 h 03 et arrive à 16 h 45 à la gare de l'Est. C'est une heure où tu pourrais très bien venir me chercher à la gare : alors, nous irions ensemble prendre le thé Quai d'Anjou.

 En ce qui concerne l'argent, ma mère affirme qu'elle est obligée d'aller le chercher à Nancy : et demain, cela n'aura plus guère de sens de l'expédier extra : je l'apporterai dimanche avec moi. Ce jour-là, il me sera d'autant plus facile de partir que Mère sera emmenée par Edgard en excursion automobile dans le Luxembourg. J'étais invité aussi, mais tu vois ce que commandent mes sentiments à ton égard.

 Je me réjouis beaucoup de te revoir

 Yvan

 

Ivan Goll Metz à Claire Paris, du 30 Mai 1936  MST p.206/207

  Metz, 30 mai 36

 [samedi]

Chère petite Zuzu,

 

 Je suis obligé de te décevoir terriblement : je ne peux pas encore revenir demain dimanche ! Crois-moi, c'est pour moi une plus grande punition que pour toi. ! Mais les affaires règnent sur le monde, tu le sais (peut-être trop peu) : pour les autres, toute l'année, pour moi, parfois 3 jours à la Pentecôte.

 Comme tu le sais, j'ai été hier, avec ma mère, à Nancy. Là-bas, nous avons cueilli à la banque les gentils petits coupons multicolores. Alors, il s'est agi de les réaliser, et dans ce but, nous avons été, ce matin, jusqu'au poétique Luxembourg, où ces fleurettes printanières sont cotées plus haut que chez nous.

 Mais hélas, que notre déception fut grande : ce pays-la est si saint, que les bureaux y ferment dès le samedi de la Pentecôte, tandis que chez nous, et aussi, comme tu le sais, dans toutes les villes civilisées, ils restent ouverts jusqu'à midi. Résultat : un voyage pour rien. Il faut que nous y retournions mardi. Tu ne peux pas te représenter quelle torture a représenté pour moi ce voyage manqué et inutile en compagnie d'une femme hypernerveuse. J'avais dû me lever à 4 h 1/2 pour prendre le train de 6 h 50. Et nous étions déjà de retour à 11 h., pour prendre le train de 12 h 15 … et ces dépenses inutiles !

 Néanmoins, je ne dois pas me relâcher. Si elle s'habitue à entreprendre sans moi ce genre de choses, ma présence perdra plus tard toute valeur à ses yeux.

 En outre, pour le placement des fonds, il faut que je me tienne encore énergiquement derrière elle. Là, il faut, une bonne fois, dominer sérieusement la fameuse sentimentalité.

 A présent, j'aurais voulu t'envoyer aujourd'hui les 500 fr. en guise de consolation : mais, même en recommandé,, comme en mandat, ils ne te seraient pas remis un jour férié. C'est pourquoi, je préfère inclure ici 100 fr., et je te donnerai le reste mardi - car ce jour-là, je me rendrai directement à Paris.

 J'ai été très surpris que tu ne m'aies pas écrit un seul petit mot de tous ces jours-ci : pas fait suivre de courrier, pas de nouvelles de Shermann, Deharme, Mozart, ni de ta santé ! Et le chèque Brody n'est-il pas arrivé ?

 J'espère que tu ne passes pas là-bas une Pentecôte trop triste.

 Excuse et comprends l'importance de ma présence ici, surtout en considération de la semaine Blum, qui menace plus gravement. Et ne va pas croire que l'excursion automobile dont je te parlais dans ma dernière lettre me ravit ! L'atmosphère, ici, est telle que je sors de mes gongs et que j'en ai sérieusement mal au foie. Mais, c'est trop important !

 Je t'embrasse très chaleureusement

 Yvan

 

 

carte d'Ivan Goll Echternach à Claire Goll, Paris 2 juin 1936 MST p. 207

 

  Mardi de Pentecôte

 [Echternach 2 juin 1936]

Etrange vision : des dizaines de milliers de pèlerins sautent, au son d'une polka, trois pas en avant et deux en arrière: symbole de toute notre Europe actuelle moyenâgeuse.

 Cent baisers

 I.

carte d'Ivan Goll Echternach à Paula Ludwig Ehrwald 2 juin 1936 ImsL p.410

  Mardi de Pentecôte

 [Echternach 2 juin 1936]

La même vision de la procession des habitants d'Echternach : des dizaine de milliers de pèlerins sautillants au son d'une polka, trois pas en avant, deux pas en arrière : exemple de toute l'Europe d'aujourd'hui. Comme je serais heureux de vivre cette journée avec toi.

 Ton I.

 

Goll est de retour à Paris le 4 juin, va à Nancy le 15 juin, retour à Paris où il reste jusqu'au 30 juillet. C'est le 30 juin que paraît : La Chanson de Jean sans Terre

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 4 juin 1936 ImsL p.410/411

 De nouveau Paris 19 juin 1936

 

 Chère Palu,

 

 Ecris vite à ton triste  Ma 

à traduire

 

carte d'Ivan Goll Nancy à Paula Ludwig Ehrwald 16 juin 1936 ImsL p.411

 Nancy 16 juin 1936

 

 Chère Palu,

 Mignon

à traduire

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 20 juin 1936 ImsL p.412/413***

  Paris 20 juin 1936

 

 Chère Palu,

à traduire

 

 

Maintenant, la froidure de mai dans lequel ton cœur se glaçait est depuis longtemps passée et les ailes de ton esprit se mettent à frémir comme nos papillons de mars : l'été brûlant est là, le souffle de l'Etna, les feux de la Saint-Jean et les vers luisants doivent aussi nimber ta chevelure d'amour. J'espère voir les feux de la Saint-Jean chez mes chers parents patients ?…

 

 

Mais tu ne sais plus maintenant toi-même à quel saint te vouer. Tes quatre strophes de Jean sans Terre sont aussi sévères que lui-même. Et je deviens triste quand j'y pense comme si la mort pouvait anéantir notre été

à traduire

La critique du Frankfurter est très correcte et très soignée. Je te l'envoie à part. Ci-joint 20 sh. pour les nouveaux flirts que tu dois rapprocher de moi.

 M.

 

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 7 juillet 1936 ImsL p.413/414**

  Paris 7.7.36

 

 Chère Palu,

à traduire

 

carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 17 juillet 1936 ImsL p.415   Paris 17.7. [1936]

 

 Chère Palu,

 I.

à traduire

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 19 juillet 1936 ImsL p.415/416**

  Paris 7.7.36

 

 Généreuse Palu,

 

à traduire

 

Je te raconterai la prochaine aventure de Jean sans Terre et de ton persécuté

 Ma.

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 26 juillet 1936 ImsL p.417/418**

  Paris Dimanche 26 juillet. 36

 

 Chère Palu,

 Je pense à toi : je suis encore à Paris, et j'ai ta lettre de Saint-Jean qui m'est parvenue ici. Quel bonheur ! Je reviens ce matin de Nancy et j'étais très triste de n'avoir rien reçu là-bas.

Comme tu vois, c'est une affaire grave de retourner une expédition. Mais je reste encore quelques jours à Nancy; après l'adresse de ma mère ne sera plus valable, car elle s'installe à Metz. Les deux villes sont seulement à une heure de trajet. S'il te plaît, écris-moi ta prochaine lettre à Metz, Poste Restante (France). Cela suffit.

"L'Enfant au Village" m'a diverti pendant quelques jours.

à traduire

 

Ivan Goll Nancy à Claire Paris, du 31 juillet 1936  MST p.207/208/209

  Nancy, 31 juillet 1936 [vendredi]

 

Chère petite Susu,

 Tout couvert et tout gris de la poussière des plâtres et du fatras d'un demi-siècle de désordre bourgeois, rongé de vert-de-gris et de rouille, je ne jette même plus un regard au-dehors, tant que tout n'est pas accompli ici. On ne peut pas se représenter ce qu'une économie ménagère conduite par des êtres primitifs et moyenâgeux peut engendrer de stupidités désespérantes, de crasse inhumaine - la description du tiroir dans Le Microbe de l'Or, est encore un conte de fées, à côté de la réalité que je trouve dans la demeure de ma mère.

 Par là-dessus, la pluie lorraine, cinq jours de pluie continuelle : grise et automnale, comme il n'en existe que dans ces régions. Mais elle m'a fait du bien, elle m'a lavé un peu, et purifié. Qu'aurait-ce été, s'il avait brillé un beau soleil du sud !

 Cependant, hélas, il brille ce vendredi matin et il me rend tout triste. Non seulement à cause de mon âme de mineur, mais encore parce que c'est demain l'ouverture des Jeux Olympiques et que le monde entier va crier à nouveau : C'est un temps pour Hitler ! Pendant six semaines, un ciel endeuillé s'est étendu sur l'Europe, mais à chaque date de triomphe nazi, Dieu sourit sur l'Allemagne. Il y a déjà trois ans que cela dure. N'est-on pas obligé d'y apercevoir réellement quelque chose de fatal ?

 Et, dans le monde, cela poursuit son cours ! Toujours plus mal, toujours plus dangereusement pour nous ! Est-ce qu'en Espagne maintenant, ne se forme pas un troisième front fasciste contre la France et contre la liberté ? Bientôt, nous serons pris comme des souris dans ce beau silo à blé.

 Comme je te l'ai déjà annoncé, nous irons demain et dimanche à Metz, 5 rue Dupont des Loges : mais je n'ai pas encore reçu, ici, que ta lettre d'hier, avec le maigre courrier. Merci. Tranquillise-toi d'ailleurs : le jour précédant mon départ, j'avais déjà expédié l'argent, - l'Argus, ta lettre est donc superflue.

 Le mardi, aura lieu le vrai déménagement. Tu sais ce que cela signifie.

 Je suis heureux que l'édition de Candide t'ait plu. Lis et deviens sage, apprends là, comment Voltaire, avec une simplicité grandiose, parfois presque naïve, traite des vérités des plus profondes, valable pour tous les temps. Candide reste pour moi le chef-d'œuvre de la littérature française.

 Une montagne de littérature classique s'est abattue ici sur moi. Je suis rompu. J'ai lu cette nuit, Boileau et Lamartine, en vrac : cela reste de la toile raide. Et pourtant, je veux m'occuper davantage à présent de l'étude des vieux maîtres : je connais bien trop peu Rabelais, Chamfort, Vigny.

 Une petite partie de la bibliothèque de Daniel pourrait être vendue. Un jeune professeur boira avidement à la source des précurseurs. Pour nous, ce n'était que du verbiage grammatical. Mais j'en traînerai une grande partie jusqu'à la maison.

 Hier, nous avons empaqueté le linge de maman - quelles magnifiques toiles anciennes, par instants : beaucoup de pièces qui n'ont jamais été touchées ni lavées depuis cinquante ans.

 Elle nous donnera tous les draps, torchons, etc. Ainsi que la célèbre théière. Et de la vaisselle.

 Comment vas-tu au point de vue santé ? Dans ta haute tour, si près du ciel, tu respires l'air de la campagne. N'aie pas trop vite la nostalgie de venir ici : tu tomberais dans une atmosphère affreuse.

 Je pense beaucoup à toi et j'aimerais, bien plus encore que les années précédentes, parcourir avec toi un paysage italien : mais la mort et le destin m'enchaînent sans condition à cette région sans âme.

 Mon âme ne s'en révolte que plus fort et voltige vers toi

 Yvan

 

lettre d'Ivan Goll Metz à Paula Ludwig Ehrwald 1er août 1936 ImsL p.418/419***

  Metz 1 août 36

 

 Chère Palu,

 

 Ma.

à traduire

Claire Paris à Ivan Goll Nancy du 2 août 1936  MST p.209

  [ Paris, 2 août 1936 ]

 

Laisse-moi venir à Nancy, je t'en prie; Je vais devenir folle ici .

Je t’en supplie, ne fais pas venir maintenant Paula . Tu le feras dans deux mois quand je me serai habituée au Quai Bourbon. Je ne peux plus, je ne peux plus vivre pour l’instant rue Raffet, Je préfère encore mourir. Je me cache toute la journée. Dès 5 H. je ferme les rideaux et les volets pour que l’on ne voie aucune lumière. Là je suis délivrée d’elle et je ne veux plus 

désormais la voir. Plus tard mais pas maintenant. Je t’en supplie encore une fois. : Tu as maintenant une bonne excuse : Renvoie-la chez elle ! J’en ai beaucoup supporté toute une année, mes nerfs sont à bout et il va y avoir un malheur. Je ne peux pas vivre au Quai Bourbon à cause du poêle défaillant et parce qu’il n’est pas encore là. Séparons-nous, ensuite tu seras libre.. Mais délivre-moi d’ici.. J’ai jusqu’à présent tout fait par amour pour toi, fais maintenant le nécessaire à mon égard. Je suis très mal en point, je cherche maintenant la force qui me manque pour subsister

Suzu

 

Fais-moi venir vite !

Demander son avis à Nicole, s’agit-il d’un homme ou de Paula ?

 

Claire Paris à Ivan Goll Nancy du 2 août 1936  MST p.209

 [ Paris, 2 août 1936 ]

 

Laisse-moi venir à Nancy, je t'en prie; Je vais devenir folle ici .

Je t’en supplie, ne fais pas venir maintenant Paula . Tu devais partir dans deux mois quand j’aurais été habituée au Quai Bourbon. Je n’en peux plus, je ne peux plus momentanément vivre rue Raffet, Je ne peux plus qu’y mourir. Je me cache toute la journée. Dès 5 H. je ferme les rideaux et les persiennes pour que il ne voit pas la lumière. Ici, je lui suis livrée et je ne veux pas le voir maintenant. Plus tard mais pas maintenant. Je t’en supplie encore une fois. : tu as maintenant un bon prétexte : Renvoie Paula chez elle ! J’en ai trop supporté pendant une année, mes nerfs sont à bout : il arrivera un malheur. Et je ne peux pas vivre Quai Bourbon à cause du poêle manquant et parce qu’il n’y a encore rien là-bas. Déménageons-nous, ensuite tu seras libre.. Mais fais-moi partir d’ici. Car enfin,j’ai fait à cause de toi, fais maintenant le nécessaire à mon égard. Je suis tombée trop bas, je n’ai plus la force de continuer à vivre

Suzu

 

Fais-moi venir vite !

 

 Ivan Goll Nancy à Claire Paris du 4 août 1936  MST p.210

  Nancy, 4 août 36 [mardi]

Chère petite Souzou

 Merci beaucoup pour ta lettre d'un dimanche de pluie. Je suis heureux que tu supportes si bien la solitude. Ton commerce avec Chateaubriand est précieux. Peut-être travailles-tu aussi ?

 Les grands d'aujourd'hui ne sont nullement aussi petits que tu le dis. Nous manquons de recul pour apprécier leur grandeur. Je parie qu'un Montherlant est égal à Chateaubriand puisque nous parlons de celui-ci. Peut-être même un Cocteau. Lis-tu, depuis trois jours son reportage : Tour du Monde en 80 jours dans Paris-Soir ? C'est tout aussi beau, si ce n'est même plus poétique que "L'itinéraire de Paris à Jérusalem".

Avant-hier, sa vision d'Athènes était un poème inimitable. Il a également senti remarquablement Rouen. J'ai gardé ses articles, si tu ne les as pas ?

 Je ne veux rien te dire de ma situation ici : je suis moralement si brisé, je me sens si abaissé, humilié par toute cette atmosphère, qu'il m'est impossible de reprendre un peu de gaieté. La douleur, au lieu de rendre ma mère plus sage, l'a rendue encore plus "rapiate", encore plus impitoyable, encore plus nerveuse que naguère. Le ton des paroles, le train de vie, chaque parole, chaque geste, sont pour moi des gifles. Je ne puis me risquer à te faire venir ici : tu aurais à subir d'indicibles tourments. Je préfère revenir à Paris la semaine prochaine, je te propose un séjour de vacances, le 15 si le temps ne veut pas redevenir beau. D'ailleurs, le 15 tombe un samedi. On le remarquera à peine. Puis nous ferons des projets pour la suite.

 Demain, transfert définitif à Metz, 5 rue Dupont des Loges. Adieu, Nancy, prison dorée - porte Stanislas. Il s'en ouvre une plus noire à ton

 Yvan

 

 

 

 Ivan Goll Metz à Claire Paris du 6 août 1936 MST p.211/212

  Metz, 6 août 36 [vendredi]

O petit cœur,

 L'averse de tes larmes a ébranlé ce matin, en une heure étrange, les fondements et les caves de cette maison natale dans laquelle j'ai de nouveau dormi en qualité de fils, pour la première fois depuis trente ans : ta lettre, féconde et lourde d'un amour contenu depuis vingt ans, a touché ma vie même, juste comme je dressais un bilan mélancolique.

 Après les jours noirs que je viens de vivre - noire comme le Tischo Beav - ton amour s'est ardemment rappelé à moi : une grande porte claire née de ma sombre jeunesse. Et rappelle-toi avec quelle force et quelle ferveur, avec quelle ruse et quel désespoir j'ai combattu pour toi. C'est pourquoi, on n'a qu'un seul grand amour dans sa vie : parce que l'énergie humaine ne peut parvenir deux fois à cette intensité.

 Par toi, j'ai appris à connaître les parfums des fleurs, le nom des oiseaux, la puérilité des femmes, les Lieder de Schumann, tels que les a sanglotés une gorge tremblante… Par toi, j'ai été délivré de la cécité de notre temps et de la malédiction du sang qui naguère a abreuvé toute la terre …

 Vois donc, mon petit cœur ! ne pleure pas des larmes si insensées. Nous nous appartenons l'un à l'autre jusqu'à la mort, qui en aucun cas n'est plus lointaine, dût-elle se faire attendre encore quarante ans ! Car dans une existence humaine, il n'y a pas autant d'expériences à faire qu'on le croit. Seule la première est grande !: toute répétition a perdu la force lumineuse et la robuste foi de la première.

 Si tu demandes si je suis heureux - en un temps où tu es loin, loin de moi, et si triste - je ne puis malheureusement pas nier, pas complètement, que je le suis. Mais cela ne provient pas du fait que je ne peux plus t'accorder ma protection aimante, ou que je pourrais en aimer d'autres mieux, - la cause en est toujours restée une grande énigme pour toi. "Je solliciterais vainement d'être introduite devant tes yeux … " écris-tu. "Toujours, on s'égare avec toi et on ne sait où on va ".

 Ne pourrais-tu écrire la même chose des yeux d'un chat (que nous avons si souvent loués, presque enviés ?).

 J'ai toujours été un solitaire, sauf avec toi. Toute ma jeunesse, je me suis assis à une table familiale où l'on criait et se querellait ; j'ai dû m'évader, et j'ai construit en moi les collines d'Arcadie artificielles.

 C'est ainsi que je suis devenu un isolé. Aujourd'hui, précisément, je comprends à quel point ce masque était et demeure nécessaire.

 Auprès de toi, j'ai vécu simplement et avec des yeux chaleureux, brûlants. ici, ils redeviennent de verre.

 Mais combien je suis heureux, quand je puis à nouveau rêver dans la prairie, sans me cuirasser, sans me boucher les oreilles. De là, mon être, qui n'est pas double, mais qui a un visage et un masque.

 C'est par la dureté que je suis devenu solitaire. Ah ! quand je n'ai plus besoin de l'être, quand je peux me blottir dans la chaleur infinie de la Femme, quelle molle tendresse apparaît dans mes yeux ! Comme je me donne volontiers, moi qui étais si réservé.

 Mais, prends garde à la nuance : "me donner" est autre chose que "donner".

 De quoi parlons-nous ? Si je suis heureux ? peut-être oui, parce que tu es toujours debout à l'arrière plan de ma vie, parce que tu m'éclaires, tu brilles sur moi :. Si tu n'étais pas en ce monde, j'y serais certainement l'Errant sans appui, qui depuis longtemps me guette au fond de moi. Tu es ma bouée, et tu n'as pas le droit de l'oublier jamais. C'est pourquoi tu n'as jamais à douter de notre amour,

 qui est aussi mouvant, mais aussi éternel que la mer

 Ton

 Yvan

 

 Ivan Goll Metz à Claire Paris du 8 août 1936  MST p.212/213

  Metz, 8 août 36 [samedi]

Chère petite Souzou,

 Cela va déjà mieux moralement.

 Tes lettres bleues s'ouvrent devant moi, comme au milieu des nuages ces lambeaux de ciel nouveau qui font présager un temps meilleur.

 Nous allons voir un peu ce qui serait possible comme séjour à la campagne. En tout cas, pour ce qui est du 15, jour férié universel, où tous, du bourgeois à l'ouvrier, se donnent pour tâche d'aller se faire refuser par les hôtels bondés, nous le passerons tranquillement sur notre quai paisible. Ne m'as-tu pas dit déjà que, pour toi aussi, c'est un "jour rouge" ?

 J'ai écrit une nouvelle ballade, ce matin, de bonne heure. Regarde si elle vaut quelque chose.

 Ci-joint, mes deux derniers coupons, avant une attaque éventuelle au moment du départ.

 Ma mère est quelque peu apprivoisée.

 Et je suis un peu plus calme

 et plein d'amour pour toi

 Ton

 Yvan

 

lettre de Rebecca Metz à Claire Paris 9 août 1936

  Metz le 9 août 1936 [dimanche]

  Ma chère Claire,

 Merci d'abord, de votre si charmante lettre qui m'a fait un immense plaisir et si je ne l'ai pas fait plus tôt, ce sont les travaux de tous genres qui m'ont absorbée constamment. Je veux aussi vous dire combien mon cher Ivan m'a été d'un grand secours, car il m'eût été impossible d'entreprendre une pareille besogne sans aide. Grâce à Dieu, le ménage est ici maintenant, mais il y a encore beaucoup à faire, mais,ayant l'existence pour cela, je prendrai mon temps, puisqu'aujourd'hui, je suis absolument seule et pour longtemps peut-être. J'apprends avec peine que votre fragile santé est toujours très précaire, mais je sais que vous luttez avec tout le courage nécessaire, contre le mal si tenace qui vous accable. Prenez courage et soignez vous de votre mieux puisque pour vos travaux littéraires et de l'esprit il faut aussi être d'aplomb. Je vous renverrai Ivan avant la fin de la semaine, à mon très grand regret, comme bien vous le pensez. Recevez, chère Claire, mes baisers les meilleurs,

  R.

 

carte d'Ivan Goll Metz à Paula Ludwig Ehrwald 10 août 1936 ImsL p.419

  Metz 10 août 36

 

 Chère Palu,

J'espère que tu as reçu mes envois jusqu'à aujourd'hui sans retard.

Aujourd'hui seulement ce mot pour te dire qu'après-demain je retourne pour dix jours à Paris, pour y régler quelques affaires pour ma mère

Ensuite, je reviens en Lorraine et ensuite …

Donc, s'il te plaît, tout courrier chez mes parents

Saluts radieux à vous deux et à tous Iwan

 

carte d'Ivan Goll Metz à Paula Ludwig Ehrwald 12 août 1936 ImsL p.420

  Metz 10 août 36

 

 Chère Palu,

 I.

à traduire

 

Le 15 août Goll revient à Paris et il repart à Metz fin août pour emmener sa mère dans le sud de la France

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 19 août 1936 ImsL p.420/421/422**

  Paris 19 août. 36

 Chère petite Paula [ Paulchen]

 I.

à traduire

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 25 août 1936 ImsL p.422/23/24/25***

  Paris 25 août. 36

 Chère Palu

 I.

à traduire

 

carte d'Ivan Goll Ile de Port-Cros à Paula Ludwig Ehrwald 28 août 1936 ImsL 425  [Ile de Port-Cros, Var] 28.8.36

 

 Chère Palu,

 I.

à traduire

 

 

Ivan Goll Port-Cros à Paula Ludwig Ehrwald 4 sept. 1936 ImsL 425/426   Port-Cros  4 septembre 36

 

 Chère Palu,

 

 Ma.

Ile de Port-Cros (Var)

Hostellerie Provençale

à traduire

 

Paula Ludwig Ehrwald à Ivan Goll Ile de Port-Cros 7 septembre 1936 ImsL 426/427/428***  7. Sept. 36

 

 Cher Ma -

 Ton impatiente

  Palu

à traduire

 

Ivan Goll Port-Cros à Paula Ludwig Ehrwald 7 sept. 1936 ImsL 429  Port-Cros  7 septembre 36

 

 Chère Palu,

 

 Ma.

à traduire

 

carte d'Ivan Goll Port-Cros à Paula Ludwig Ehrwald 12 sept 1936 ImsL 425  Ile de Port-Cros,  12.9. 36

 

 Chère Palu,

 Ton I.

à traduire

 

 

 Ivan Goll, 37 Quai d'Anjou à Claire 31, rue Raffet du 16 sept. 1936  MST p.213/214

 mardi matin 4H [ 37 Quai d'Anjou ]

Chère petite Suzu,

Quatre heures : ton réveil était inutile. Ton destin m'empêche de dormir. Je pars avec un coeur déchiré, dans ces jours de fête.

Mais bientôt, tout ira bien de nouveau.

J'ai réfléchi que je pourrai te consacrer toutes mes soirées, même pendant que Paula sera là, de 7 à 10 . Je dînerai avec toi et je te mettrai tous les soirs au lit. À elle, je dirai que j'ai un service dans une rédaction, de 7 à 10. Cela ne lui fera rien : elle sait qu'un homme ne peut pas et ne doit pas être toujours là.

 Puisque tu seras ma voisine, quai Bourbon, tout cela sera facile et splendide. Le matin aussi, je ferai un saut chez toi, et t'apporterai ton déjeuner. Je ferai simplement les provisions en double.

 Ainsi donc, installe-toi bientôt quai Bourbon! Alors, tout sera immédiatement arrangé. Dès la semaine prochaine.

 Ne serait-ce pas mieux pourtant que nous achetions tout de suite au moins les tapis et les rideaux, avant que le prince Bibesco revienne et s'en avise lui-même ? 150 francs est un prix ridicule. La tenture rouge, à elle seule, vaut davantage. Peut-être téléphoneras-tu ce matin pour dire à Richer qu'il écrive tout de même à Bibesco, comme déjà dit, dans le sens où nous en étions convenus hier. (Mais ne montre pas ta hâte au téléphone !) Dis-le, comme ça, incidemment : et en ce qui concerne les meubles, nous nous entendrions sûrement avec le Prince. Mais il faudrait que tu aies un contrat ferme au sujet de la moquette, car tu désires déjà tout de suite faire poser les papiers peints, longtemps avant octobre, avant l'arrivée de Bibesco. Et il est nécessaire que ces papiers muraux soient harmonisés avec les tapis et les rideaux. À présent, au moment où Bibesco apprendra qu'on lui verse tout de suite 7000 comptant, il donnera les choses à bas prix.

 Ensuite, qui sait ?

 Ce soir je prie pour toi

 Ivan

 

Ivan Goll Metz à Paula Ludwig Ehrwald 19 septembre 1936 ImsL p.430/431

  Metz 19 sep. 36

 

 Chère Palu,

 

 Ton impatient I.

à traduire

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 23 septembre 1936 ImsL p.431/432

  Paris 23 sept. 36

 Chère Palu

 I.

à traduire

 

28 septembre Paula vient à Paris et habite 37, Quai d'Anjou ; elle va y rester jusqu'au 4 novembre

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Zurich 29 septembre 1936 ImsL p.431/432

  Paris mardi soir

  [29.9.36]

 Chère Palu

  Ton

 I.

à traduire

 

 Ivan Goll, 37 Quai d'Anjou à Claire 31, rue Raffet 8 octobre 1936  MST p.214/215

Jeudi soir

Dix heures [ 8 octobre1936 ]

Chère petite Suzu,

 

 À l'instant, il y a 10 minutes, j'ai reçu le télégramme ci-inclus, qui bien entendu m'inquiète fort  

 Je pars demain matin à 7 heures pour Metz. Je ne crois guère que la maladie soit très grave, car avant hier soir, ma mère m(a encore écrit une longue lettre où il ressortait qu'elle était très gaie.

Paula reste pour l'instant dans mon appartement.

Je crois qu'en tout cas, il vaut mieux que vous deux, vous ne vous rencontriez pas.

Si je devais être retenu trop longtemps à Metz, elle retournerait simplement à Zurich et à Ehrwald.

Mais il est possible que tu sois obligée de venir à Metz ! Je t'écrirai demain, aussitôt, avec précision.

Aujourd'hui, j'ai appelé au téléphone à midi moins le quart et à 8 h et quart : chaque fois, tu étais sortie "depuis quelques minutes " Dommage que je n'ai pas pu te parler. Je voudrais savoir comment tu vas.

Dans l'inquiétude et l'amour

Ton

Ivan

Le poêle est arrivé aujourd'hui et il brûle magnifiquement.

 

du 9 octobre au 12 Goll vient auprès de sa mère à Metz

 

Claire 31, rue Raffet à Ivan Goll, Metz 9 octobre 1936  MST p.215

 vendredi 

   9.10.36 [Paris ]

Chéri,

 A l'instant, ton pneumatique. Verte espérance. Merci pour le chapitre et pour ton amour. J'espère que la maladie de ta mère n'est pas grave. Je t'en prie, ne prends pas froid toi-même dans sa demeure glaciale ! Dois-je écrire tout de suite quelques lignes à ta mère? Rédige-les, je t'en prie, à cause des gaffes.

 Ici, les jours s'écoulent amers et noirs comme le Styx. J'ai déjà un pied dans ce fleuve... Et l'autre dans la Seine, Quai Bourbon, espérant le printemps.

N'as-tu pas oublié de donner congé ? Fais-le, en recommandé. Tu peux d'autant mieux le faire, que je conserverai toujours cet appartement, ici. Car tu connais la loi : plus l'un des 2 est froid et lointain, plus l'autre le désire. Ainsi en est-il maintenant ici : seulement, l'autre ne désire, comme déjà dit, qu'une ombre du Léthé.

 Je suis toujours avec toi, réchauffe-moi de tes yeux.

 En tout amour

 Ta

Zouzou

 

 Ivan Goll, Metz à Claire Paris 9 octobre 1936  MST p.216

 Metz. 9 octobre 36

 Chère petite Souzou,

 Fausse alerte ! Dieu merci ! J'arrive ce matin à 10 heures à Metz : ma mère est folle de joie de me voir. Jamais encore elle n'avait eu si bonne mine . Les lèvres rouges, une langue tout à fait saine, elle n'avait qu'un refroidissement intestinal, le médecin lui avait prescrit quelques pilules, et lui avait demandé si elle ne voulait pas aller dans une clinique, étant donné qu'elle est seule et sans son soins. "Non, mon fils peut très bien me soigner, il fait excellemment la cuisine fermer ", et le télégramme est parti. Ce voyage était absolument inutile, Gaby en a convenu elle même. Une autre fois, je téléphonerai d'abord, avant de partir.

 Dimanche, je reviendrai en toute hâte j'espère que tu ne coules plus des jours aussi sombres. Pour les éclairer, voici 1 livre = 104 francs changeables n'importe où.

 Travailles-tu ?

 (Peut-être partirai-je dès demain soir : alors je pourrai cuisiner pour toi, dimanche à midi ?) je téléphonerai dimanche matin, si...

 Un baiser aimant

 Ivan

lettre d'Audiberti à Claire du 25 octobre 1936

 Très chère

J'ai tardé à vous écrire, occupé que j'étais à mettre au point ce poème que je ne trouvais pas très réussi

 Je baise vos mains trop belles

 Audiberti

 A bientôt ? Tout mon cœur …

 J

SDdV Aa37 (204) - 510.299 III

 

lettre de Goll Paris 3 novembre 1936 à Paulo Duarte, lui disant son intention de reporter son voyage au Brésil, pour mettre en ordre ses affaires, Claire l'accompagnera, voir article de Pierre Rivas dans Europe : Goll codirigerait le Département du patrimoine historique et artistique du Musée de Saõ Paulo et Claire en deviendrait la Secrétaire Générale.

 

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 5 novembre 1936 ImsL p.433

  Paris 5 Nov. [1936]

 Chère Palu

 Ton solitaire

  Ma

à traduire

 

Carte d’Ivan Schlettstadt à Claire Paris du 8 novembre 1936  MST p.213

  Schlettstadt 1. septembre 36

Cher Ange céleste,

 Mon père te remercie pour ton cœur aimant et il t’envoie , en échange ces fleurs,

 Eternellement tien, Ivan

 

carte d'Ivan Goll Colmar à Paula Ludwig Ehrwald 9 nov. 1936 ImsL 434

 Colmar,  9 nov. [1936]

 

 Chère Palu,

 

 Ton Ma

à traduire

 

carte d'Ivan Goll Colmar à Claire, Paris 9 novembre 1936 MST p.217

 Colmar, 9 novembre [dimanche]

Chère Zou, 

 Je me suis agenouillé dans l'éclat du soleil devant le tombeau de mon père et tout de suite après, sous la voûte conventuelle, devant la résurrection de cet esprit immortel (Isenheimer Altar). Un jour saint.

 L'Alsace m'a accueilli de façon touchante, par du beau temps, après une nuit reposante, pendant laquelle j'ai beaucoup et bien pensé à toi. J'espère revenir vendredi et je te rapporterai de Schlettstadt un rameau de lierre.

 Ton

 Yvan

 

Ivan Goll Zurich à Paula Ludwig Ehrwald 10 novembre 1936 ImsL p.434/435

  10 Nov. 36

  [ Zurich, Select Bar, Limmatquai, 16]

 Chère Palu

 

 Ton

 Ma

à traduire

 

 Ivan Goll, Metz à Claire Paris 12 novembre 1936  MST p.217/218

Metz le 12 novembre 1936

Chère petite Zouzou,

 Pluie et jours inactifs. Un monde sombre et sans âme, ce Metz tout en pierre

 Il est loin derrière moi, ce jour traversé d'éclairs de soleil, au-dessus de de l'Alsace : des éclairs qui faisaient éclater les tombeaux et libéraient le Sauveur.

 Ici, parmi les vivants, on ne fréquente que la mort grise et les hommes nombreux.. Ma mère s'agrippe à sa douleur personnelle et ne lui laisse aucune relâche.

 Et pourtant, je ne peux pas encore partir demain : je dois l'accompagner à Nancy chez le notaire. En sorte que je ne reviendrai à la maison que samedi soir, et pourrai alors de préparer un dimanche hospitalier au quai d'Anjou.

 Depuis mon départ, je suis en très bonne santé, peut-être grâce à ta prière bleue du soir.

 Voici 50 francs pour les jours supplémentaires, et la chaleur de mon coeur.

 Ivan

 

carte d'Ivan Goll Metz à Paula Ludwig Ehrwald 13 novembre 1936 ImsL p.435/436

  Metz 13 Nov. [1936]

 

 Chère Palu,

 Ma

à traduire

 

Paula Ludwig Ehrwald à Ivan Goll Paris 19 novembre 1936 ImsL 436/437***   Ehrwald 19 Nov. 36

 

37, Quai d'Anjou !

 

 Paulalu

à traduire

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 23 novembre 1936 ImsL p.438/439/440*** 

  37, Quai d'Anjou

  23 Nov. 36

Palu,

Je crois à ta souffrance.

Je la comprends.

Mais, je veux t'aider

 Iwan

à traduire

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 24 novembre 1936 ImsL p.438/439/441/442*** ******* 

  37, Quai d'Anjou

  24 Nov. 36

Chère Palu,

 Iwan

à traduire

 

[ deuxième lettre 24.11.36] ImsL p.442/443

 

 

 

 Ton Iwan

 

Paula Ludwig Ehrwald à Ivan Goll Paris 29 novembre 1936 ImsL 443/444/445/446/447***

 

**********************************    29 Nov. 36

 [Ehrwald]  

Cher Yvan

 

 

 

Mon Ma - Ma colombe noire

J'ai écrit si longuement et si intensément à Yvan -

 

à traduire

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 2 décembre 1936 ImsL p.447/448/449 

 Paris 2. Décembre 36

 Palu !

 Iwan

à traduire

 

Claire, 31, rue Raffet à Ivan Goll, 37 Quai d'Anjou 12 décembre 1936  MST p.218

  samedi

  [12.12.36 - Paris, 31, rue Raffet]

Chéri,

J'y ai encore attentivement réfléchi : je ne veux pas entrer lundi dans un appartement où tout n'est qu'à moitié prêt, j'en ai assez des ouvriers

C'est pourquoi j'ai téléphoné à Dumur et, sur ma demande énergique de remettre la date au même prix, nous sommes tombés d'accord pour jeudi à deux heures. Ainsi l’électricité pourra être installée, le W-C et le placard à linge mis en place . Celui-ci ne sera pas dans le coin , mais au milieu du mur, et son côté ouvert sera fermé par une planche faite par le menuisier

En conséquence de quoi, je viendrai chez toi pour déjeuner, dimanche vers midi.

En tout amour

Ta

Zou

Et s'il te plaît, range un peu, c'est-à-dire ne laisse traîner ni la broche d'Andrée ni la chemise de nuit de Gaby et surtout pas les balbutiements d'amour de ta nouvelle épouse morganatique, la fille de Georges Feydeau.

L'ordre économise et les souffrances.

Quand tu viens chez moi, tu ne vois pas non plus la moindre cravate de D.

 

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 21 décembre 1936 ImsL p.449/450/451 

 Paris 21 Décembre 36

 Chère Palu

 Iwan

à traduire

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 24/25 décembre 1936 ImsL p.451/452/453 

 Nuit de Noël 1936 [Paris]

 

 Manyana

 I.

à traduire

 

 Carte d’Ivan Goll, Metz à Claire Paris  1936  MST p.219

 Metz. 29 décembre 36

 

 Chère petite Zouzou, 

Voici un petit échantillon d'art lorrain ancien.

Il fait ici terriblement froid et brumeux ; tu y aurais passé des journées bien tristes. Quelle chance que je ne t'ai pas emmenée.

Ma mère était justement malade à nouveau, quand je suis arrivé, et elle a été très heureuse que je puisse l'aider.

Nous ne chauffons qu'à 1/4 le fameux poêle à combustion continue, et il n'y a pour le dîner qu'un oeuf et du fromage de Munster.

Je rentrerai jeudi à 4 heures et me rendrai tout de suite au quai Bourbon pour en rendre l'appartement plus hospitalier. Arrive vers six heures. Le soir, nous sortirons peut-être pour réveillonner.

J'apporte des rideaux, de la vaisselle et beaucoup d'amour.

 Ivan

Ci-joint 50 fr.

Ivan Goll Metz à Paula Ludwig Ehrwald 30 décembre 1936 ImsL p.453/454

  Metz 30 Déc.. [1936]

 

 O Paulchen, Paula, Palu,

 Ma

à traduire

 

lettre de la maman d'Yvan (non datée) est-elle de 1936 ou de 1939 à replacer

 Jeudi soir,

 Cher Mig

 Ta lettre reçue ce matin m'a complètement atterrée en la lisant : Que l'on te faisait une proposition, tu m'en avais touché un mot ces temps derniers, mais à laquelle je n'ajoutais aucune importance.

 Aujourd'hui, tu sembles emballé, cette nouvelle et ton emballement m'ont atterrée à tel point que j'ai cru sentir la terre s'entrouvrir et m'engloutir : Songes donc que je n'ai que toi et ne vis que pour toi. Je suis sortie de cette stupeur toute anéantie, ne pouvant plus ni causer ni respirer c'est à dire que j'ai ressenti une syncope. Est-ce possible que je devrai survivre à cette nouvelle catastrophe, moi qui ne vis que de ta présence, lorsque tu me quittes, je supporte le temps jusqu'au moment de te revoir et je ne vis que dans cet espoir: te revoir. Enfin s'il m'est donné de supporter une nouvelle épreuve Dieu seul sait si j'aurai le courage d'aller jusqu'au bout sans fléchir. Ce traître de Daniel m'a déjà tuée à moitié, je ne suis plus que l'ombre de ce que j'étais et j'aurai à supporter l'autre moitié : en suis-je capable ?

 On fait miroiter à tes yeux les 3000 Francs mensuels mais la moitié ne t'est-elle pas assurée et plus ici, sans compter les surplus* ? c'est cela qui t'enchante. Mais je suppose que tu vas réfléchir et songes aussi que depuis quelque temps ta santé laisse à désirer. Claire de même est souvent patraque as-tu aussi réfléchi si le climat vous sera favorable ? au pays déjà vous n'êtes costauds qu'à demi, que sera-ce au Brésil ? Si vous êtes malades, les 3000 Francs seront vite volatilisés et là-bas je ne vous viendrais pas en aide et qu'est-ce cette somme pour s'expatrier ? Quant aux 4000 F envoyés, ce n'est même pas suffisant pour la traversée à deux.

Enfin, réfléchissez bien, et donnez-moi vite un mot qui me sorte de l'angoisse, qui me rassure et qui me confirme que c'est à tort que tu t'es emballé.

 Ta mère qui n'a que toi et qui t'embrasse de tout son cœur

 Rifka

* Rebecca versait 1500 Francs mensuellement à Goll et faisait face aux imprévus

 Saint-Dié 510.340

 

                                                           1937

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 3 janvier 1937 ImsL p.455/456 *** 

 

carte d'Henri de Montherlant à Claire Goll du 5 janvier 1937

 Nice 5.1.37

 Chère Madame

 Les "Dieux", comme vous dites, sont actuellement enfouis dans leur propre création et ne sauraient plus distraire sans péril grave, celui de perdre l'unité de leur pensée et de leur mouvement. Oh ! mon Dieu ! Perdre son unité, ce serait horrible ! Mais quand nous serons redescendu des sommets, nous lirons avec plaisir, l'histoire de l'enfant abandonné après vous avoir fait un signe de nos sourcils.

 Montherlant

 

Yvan est à Nice, avec sa mère depuis le 7 février 1937

 

Lettre d'Audiberti à Yvan Goll du 11 février 1937 ***

En réponse à une lettre d'Yvan (Nice) accompagnée du poème JsT épouse la lune soumis à l'avis critique de Jacques A. qui sera en mai 38 dans le deuxième livre de JsT.

 

Mon bien cher Ami,

J'ai reçu avec la plus grande joie, partagée par ma petite Marie-Louise, la gentille et douce boîte de fruits confits. Je vous remercie de ne pas oublier votre camarade métrique.

Jacqueline, la pauvre, n'a pas pu participer au repas sucré de votre amitié. Elle est couchée depuis quinze jours, non plus à cause del' rhume, mais elle nous fait quelque chose comme une dysenterie amibienne. Hier, une consultation a eu lieu ici. Aujourd'hui, je dois porter dans un laboratoire ses déjections, pour que l'on sache exactement quelle médication lui appliquer.

Pardonnez-moi de ne pas vous avoir écrit plus tôt. Je suis soumis à de fortes peines.

 Le quatrain hélium péplum, n'est pas évidemment, dans le jaillissement de ce que j'eusse moi-même écrit, non plus que "insouciantes tètent", mais là n'est pas la question. Personnellement, je n'aime pas énormément nous drape un péplum. Nous tisse un péplum est mieux (Ici, c'est le mystère de la voix personnelle, et je suis moi-même trop lié à une certaine forme d'expression pour que mon jugement soit tout à fait valable).

La strophe : le blême liquide ... m'enchante.

Mon bon ami, ne m'en veuillez pas d'être si bref. Je dois partir au laboratoire.

La vie est exigeante... dure parfois. Ce que vous dites de Nice m'enchante. Tout cela est si juste. Ce faux soleil, ces cadavres debout mais il y a la vieille ville, la patrie nissarde. Allez la saluer, place Saint-François, ou bien au coin de la rue Colonna d’Istria et de la rue de la Préfecture. La mer et la montagne forniquent là dans l’ordure. Le Dialecte y célèbre le Scepticisme et la Famille. Et les pigeons prennent de beaux virages ramés. Allez, avec votre maman, manger "Da Bouttan", place du marché aux herbes, à huit pas de Santa Reparata. Montez au premier étage. C’est chiqué, littéraire, mais tout de même, il y a des vestiges, des allusions authentiques. Le patron a l'accent marseillais, mais le garçon parle un bon niçard.

Nice ... Tout y est faux, mais la mer, même sous les pilotis de la Jetée-Promenade, a cette voix profonde et régulière

 A bientôt ? Et merci, et pardon

  J

SDdV Aa45 (257) - 510.299 III

 

Lettre d'Yvan (Nice) à Claire (Lastra - Florence) 12 février 1937 MST p.219/220

 Nice 12.2.37

Chère petite Suzu

Aujourd'hui vendredi matin, rien d'autre à la Poste que ton télégramme qui m'attriste, car je t'avais envoyé une longue lettre mardi et je suis désolé que ce soit aussi long pour arriver. Tu l'as maintenant certainement en sécurité entre les mains.

Hier, ta lettre a coloré en bleu toute ma journée, bien qu'il ait plu et que je me sois montré sur la Promenade des Anglais avec mon beau costume, comme tous les snobs. L'atmosphère ici est toujours répugnante. D'ailleurs, du matin au soir il fait très frais et humide si bien que beaucoup de gens ont pris froid. Je ne regrette plus autant maintenant ton départ. Et quand le soleil luit sur tes bosquets d'oliviers, ce doit être là-bas complètement magnifique, à Lastra. En outre, le soleil brouille complètement le vide babil à côté de moi. Je suis immatériel et intérieurement encore je n'ai jamais baigné dans un tel gris et un tel néant comme actuellement. Impossible de penser à autre chose qu'à cette idée; Qu'allons-nous manger maintenant ? Combien ça va coûter ? Et à cause d'un bruyant désespoir j'ai fumé toute la semaine comme un malotru si bien que je me sens maintenant complètement mal. Je me laisse aller, je ne fais plus aucune culture physique, ne lisais rien : - pourtant, hier matin, j'éprouvais un tel dégoût que je pris une grande résolution ! Voulais-je réellement devenir déjà un vieillard grisonnant ? Je mangeais un kilo d'oranges et je décidais de ne plus jamais fumer !

Aujourd'hui, ça va déjà mieux.

Dis à Kurt Wolf que je le remercie de sa lettre et que je verse aujourd'hui 500 frs. sur la Banque de Barclay. Combien te compte-t-il la pension ? Sinon, pas de courrier que l'invitation Eliat. Ecris-lui une petite carte,

 et salue tous les loups [Wölffe]

 pour ton mouton

  Yvan

lettre d'Yvan (Nice) à Claire (Lastra - Florence) 17 février 1937 MST p.220/221

Chère petite Suzu,

 Ta lettre de vendredi dernier a enrichi de ton sourire ma journée d'hier. Et j'en avais amèrement besoin. Si je ne t'ai pas écrit tout de suite, c'est que j'allais assez mal. Trois maux se sont abattus sur moi. Le rhume du début ne s'améliore pas dans cet air humide. Il souffle un mauvais vent ; mais le soleil brille dangereusement et cela vous induit toujours en erreur. C'est ainsi que j'ai pris un coup de soleil et de forts maux de tête. Troisièmement, voici que fleurit à mon cou un gentil furoncle, proprement attisé par le mauvais régime du Prix-fixe : c'est ainsi que déambule sur la promenade des Anglais ma silhouette mélancolique, bandée et frissonnante … Ma mère me fait des pansements … et le fameux Midi me malmène.

 C'est une chance que tu aies fui ce rivage. Et je suis heureux que tu te trouves si bien chez les Wolff, et que tes petits amandiers soient plus poétiques que ceux d'ici. Le froid de Florence est certainement plus sain que la chaleur niçoise.

 Ici, tout est faux même le soleil.

 Ma mère reste jusqu'à la fin du mois : cela ne fait plus bien longtemps. J'espère qu'à ce moment-là, ma furonculose sera guérie. Je n'ai pas encore décidé si j'irai alors te rejoindre : je n'en ai pas grande envie. Je suis bien trop désireux de me remettre à faire confortablement ma cuisine, car je suis sursaturé des nourritures d'hôtel.

 Absolument aucun courrier intéressant : rien que cette coupure de La Revue Doloriste avec ton très intéressant article. Je déplore cependant que tu cherches trop à y faire preuve de savoir et ne parles pas assez de ta propre douleur. Quand, quand te laisseras-tu aller entièrement dans tes écrits, quand y seras-tu toi-même ? Se donner tout simplement, tout humainement, avec moins de style ? Entièrement femme ? Entièrement Mansfield ?

 Comme je te l'ai dit, 500 lires ont été versées chez Barclay pour Kurt Wolff. 500 autres lires suivront dans quelques jours.

 Salue tout le monde, y compris Hasenclever, dont, si bizarrement, tu ne dis rien.

 En tout amour, ton

 Yvan

 

lettre d'Yvan (Nice) à Claire (Lastra - Florence) 19 février 1937 MST p.221/222

 Nice, 19.2.37

Chère petite Suzu

 Comme tes trois violettes sentent bon : plus enivrantes que les buissons de mimosa et d'oeillets du marché niçois ! C'est par un matin ensoleillé que tu m'as fait fleurir ce don, et je suis à nouveau riche d'espoir.

 De mes trois maux il ne me reste guère que le bouton de furonculose, sur lequel je pose une des trois violettes : d'ailleurs, il se guérit déjà grâce à un sérum, qui stoppe toute propagation du mal.

 Le ciel est doux, et mon cœur aussi.

 Comme je me réjouis que tu te portes bien. Mais pour que non seulement ton petit corps, mais aussi ton âme engraissent, je te l'annonce tout de suite : je viens !

 Ma mère part d'ici le 28. Moi le 1er mars, je partirai pour Gênes, Lastra et Santa Clara.

 Ce seront alors les jours où se répandra sur les collines florentines le plus rose délire des amandiers.

 Oui, les petites maisons avec leurs oliveraies, ou même sans, me séduisent beaucoup, et aussi leur prix. Nous examinerons tout cela tranquillement.

 Pas de courrier. Pas de travail. Rien que des fleurs et du soleil.

 Mais prends en considération ma dernière critique : n'écris qu'avec abandon !

  Tendrement à toi

 Yvan

 

lettre d'Yvan (Nice) à Claire (Florence) 23 février 1937 MST p.222/223

 Nice, 23.2.37

 

Chère petite Suzu,

 J'ai reçu tout à l'heure, ensemble ta lettre de samedi et ta carte de dimanche (mais le télégramme hier matin).

 Tu me plonges dans la perplexité. Avant toutes choses, tu devrais dire aux Wolff que je peux rester, tout au plus, de 8 à 10 jours. Notre billet échoit le 12 mars, Et pour d'autres raisons encore, nous devons rentrer à Paris.

 Est-ce bien la peine que les Wolff bouleversent tous leurs projets pour si peu de temps ? Est-ce la peine de s'installer dans un appartement avec cuisine, pour une semaine ? Juste le temps que je fasse connaissance avec les casseroles ? que j'ai appris à faire le marché ?

 D'un autre côté, l'invitation à Rapallo est aussi très séduisante.

 Mais puisqu'il ne s'agit que de toi, puisque je ne vais en Italie que pour toi, je te laisse choisir le lieu où nous pouvons passer ces dix journées de mars. Télégraphie-moi ta décision.

 J'ai versé aujourd'hui, de nouveau, 500 lires à la Banque de Barclay pour K. W. Fais donc les comptes avec lui. Si je ne viens pas, j'en verserai encore autant, afin qu'il puisse te transmettre un peu d'argent de poche.

 Ci-inclus, des cartes postales de Nice. 

 Je suis de nouveau, tout à fait bien portant et je fais de splendides excursions, seul à Cagnes, à Eze, etc.

 A la roulette, j'ai gagné 400 Fr. en 20 minutes, mais le jour suivant j'en ai reperdu la moitié.

 Mes meilleurs saluts à tous. A toi, beaucoup d'amour

 Yvan

 

lettre d'Yvan (Nice) à Claire (Florence) Mardi Gras 2/3/16/23/30 vérifier mars MST p.223/224

 Nice, Mardi-Gras 1937

Ma chère Zouzou,

Avant-hier, en causant avec un Italien venant de Bologne, qui m'apprit qu'il y pleuvait depuis trois jours, je ne pus retenir un de ces cris rauques, coutumiers à mes ancêtres les hiboux. Je rageai une fois de plus de t'avoir laissée partir de ce paradis, où il fait du soleil tous les jours, où douze douzaines d'oeillets gros comme le poing coûtent 10 frs., où tu n'aurais eu qu'à te laisser vivre, par exemple dans un hôtel de Cimiez à 15m. du centre de Nice en bus....

Au lieu de cela, tu es allée te jeter sous les averses de Florence, dans les hôtels désuets et dans la gueule des loups....

Certes, il y a ma mère, mais pas aussi encombrante qu'on eût pu le croire. L'Hôtel Félix Faure est ma foi, très confortable, situé juste à côté du Grand Hôtel que nous avons vu de loin, de la place Masséna, te rappelles-tu ? Et nous mangeons dans des restaurants qui valent bien Le Rallye.

J'ai trouvé la cavalcade vraiment intéressante. Les têtes sont modelées par de vrais artistes, et elles ont souvent cette force de comique ou de tragique que nous recherchons dans les masques des primitifs

 La bataille aux confettis de plâtre, qui tombent de certains chars ou lancés sur le public avec des pelles et avec la force de mitrailleuses, est exubérante et déchaîne des tonnerres de rire et d'effroi, car ils font mal, et le public est forcé de se munir de véritables masques défensifs; le roi Gustave V lui-même l'a porté.

 Pour le reste, évidemment, il est entendu que Nice n'est qu'un cimetière où les vivants plus que morts mènent une sarabande effrayante. Tous les vieillards d'Europe gâteux et galetteux se sont donné rendez-vous devant le Ruhl sur la promenade des Anglais. On frissonne en les voyant, lorsque, quelques minutes auparavant, on a lu un discours du sud ou du nord. Ici, on assiste vraiment à la fin d'un monde. Et tous ces spectres ingurgitent paisiblement leurs menus à prix fixe.

 J'attends avec anxiété de tes nouvelles. Es-tu contente, ou regrettes-tu ton départ? C'est de cela que dépend la couleur des jours prochains

 de ton éternel amant

 Yvan

 

lettre en français **

 

Claire (Florence) à Yvan, 49 Quai de Bourbon à Paris (IV ème) 28 mars 1937 MST p.224

 

 A Jean sans Cœur

 

Mon Chéri,

 J'aime ta présence et ton absence, car tu es davantage présent quand tu es absent. Je me réjouis dès le matin de te revoir le soir après une absence douloureuse et pleine de dangers inconnus. Et le soir, je m'endors en attendant le matin pour te revoir pour la première fois. Innombrable et étrange, je te rencontre partout et tu ne me reconnais jamais. Seule, mon écriture - témoigne de ma main droite et de mon cœur plus que gauche - est pour toi une preuve certaine que j'existe malgré moi et surtout quand tu m'admets dans tes rêves en voyant ma signature.

 Claire Sans Lune

 

 (A la veille de l'anniversaire de "Jean sans Terre")

 

carte-lettre d'Ivan (Metz) à Claire (Haybes s/Meuse) 14 avril 1937 MST p.224

  Metz 6h. du soir

 Chérie,

Quelle chance tu as dans ton château!: ici l'appartement n'est pas chauffé. Vers le soir maman a essayé d'allumer le poêle, mais elle n'a réussi qu'a remplir toutes les pièces de fumée.

 Il est vrai qu'il y a du bon pot-au-feu et des carpes farcies.

 Pendant tout le voyage, je ne pensais qu'à toi et je t'aimais davantage à chaque kilomètre.

 Sois patiente et écoute le chant du pluvier, mon frère

 

 Ton Ivan

 

Ecris-moi encore, s'il-te-plaît poste restante 

 

Carte-lettre d'Ivan (Metz) à Claire (Haybes s/Meuse) 15 avril 1937 MST p.225

 Chérie,

Je pense à toi avec de la peine au cœur : il fait si froid. S'il te plaît, dis à la Baronne [Catoir] que tu es disposée à payer du bois en supplément, comme à Lastra [chez Kurt Wolf] : qu'on t'en donne beaucoup !

 En tout amour,

 Ivan

 

Dédicace d'Audiberti à Yvan et Claire Goll du 3 juin 1937 ***

  à Ivan et à Claire

 au bord de la Seine, qui, déjà,

 roule nos cadavres, mais vers

 quelle éternité ? Je n'ai, une

 fois encore, à donner que mon

 cœur lourd de mots... Mais je

 voudrais, mais je veux que, parmi

 ces mots, germe, lève et fleurisse,

 sans cesse, la perle de mon

 amitié et de ma pure tendresse

 pour Jean - Sans - Terre (qui m'a

 attendu sur la route et pour

 Claire qui se méfie de Dieu .

 Audiberti

  3 juin

  1937

 

lettre d'Yvan (Metz) à Claire (49, Quai de Bourbon) 30 juin 1937 MST p.225/226

  Metz 30 juin [37]

 Chère petite Suzu,

Ta lettre bleue a apporté un peu de ciel dans cette demeure grise. Tu sais que ma faculté de souffrir est inouïe et que le froid de cet été m'atteint durement. Je recommence à devenir de plus en plus jaune.

 Si le temps était beau, j'aurais nagé dans la Moselle, j'aurais fait l'ascension du Mont St-Quentin, la montagne de mon enfance.

 Mais il me reste peu de temps pour cela. Hier, j'ai téléphoné au notaire, à Nancy, qui nous a fait savoir qu'il a enfin la réponse des parents, mais que celle-ci est en partie négative en ce qui concerne les prétentions de ma mère. Pour mettre cela au clair, nous devons aller demain à Nancy, et je ne lâcherai pas prise, jusqu'à ce que toutes les questions soient éclaircies jusque dans le détail.

 Cela peut durer des heures.

 Mais les récents événements de Paris indiquent toujours plus nettement qu'il faut résoudre, le plus vite possible, toutes les questions en suspens. C'est encore un nouveau glissement vers l'abîme.

 Dans ces conditions, je ne rentrerai à Paris que vendredi; et probablement tard dans la nuit. Je ne veux pas t'indiquer d'heure précise, car tout est encore dans le vague.

 Espérons que l'après-midi d'aujourd'hui, chez Grasset, t'a donné pleine satisfaction. Le succès de ton livre dépend de ton charme, pas seulement de ta coiffure.

L'emploi de tes soirées est fixé : hier, Audiberti, aujourd'hui Beye, demain Grabinoulor, et après-demain je serai de retour.

 Je suis très content de l'article de Maxence.

 Et surtout de te retrouver

 Ton

 Y.

 

 

Yvan avait préparé la fuite de Paula de l'Autriche en raison de l'aggravation de la situation politique et il avait loué dès le 10 juillet 1937 un petit logement pour Paula dans la rue Saint-Louis-en-l'Ile. Quand Paula viendra quelques jours à Paris à la mi-avril 1938, sans que Claire en soit informée, elle ne s'installera pas dans l'île Saint-Louis mais prendra une chambre rue d'Assas dans le VIème arrondissement

 

carte-lettre d'Yvan (Metz) à Claire (Paris) 20 septembre 1937 MST p.226

 Metz 20 septembre 37

 Chère petite Zouzou,

 Ma mère se réjouit fort de mon arrivée. C'est réellement pour elle un jour férié. Depuis ce matin, nous nous occupons de choses sérieuses. Je ne peux pas aujourd'hui pousser à aller à la Banque et pense t'envoyer les 100 frs. demain matin. Pourvu que tu te remettes bien et que tu sois de nouveau calme et gaie.

 Ton Vani

 Je me suis régalé de tes magnifiques sandwichs

 

lettre d'Yvan (Metz) à Claire (Paris) mardi 21 septembre 1937 MST p.226/227

 Metz 21 septembre 37

 Chère Zouzou,

 A peine suis-je depuis une heure à Metz, que la vie y reprend son cours comme si, depuis 30 ans, je n'avais jamais quitté cette ville. Ni les gens ni leurs affaires ne semblent avoir changé, et on en éprouve une sorte d'horreur de soi-même.

 Demain, mercredi, ma mère et moi partirons pour Nancy, et nous espérons y mettre fin à cette histoire d'héritage. Mais il n'est pas certain que tout ira sur des roulettes. Si oui, nous nous rendrons jeudi au Luxembourg, en sorte que je ne pourrai sûrement pas quitter Metz avant vendredi matin : j'arriverai alors à Paris à midi et je serai dès 1h½ au Quai Bourbon, où un repas frais et pur, à la Bircher Benner voudra bien m'attendre. Ici, je recommence à manger beaucoup de viande.

 Les deux abcès sont apparemment guéris : celui du bras est tout-à-fait fermé, et celui du cou est en régression.

 Comment vas-tu ? Comment te réussit la solitude ?

 Tu devrais peut-être un matin, chercher encore dans les quartiers du Luxembourg et de Grenelle, s'il n'y aurait pas un appartement intéressant. La guerre se rapproche toujours, vue d'ici, et 13.000 Frs. paraît être un chiffre trop pesant. Se retirer à la campagne serait le plus sage, en gardant un tout petit pied-à-terre à Paris.

 Voici 100 frs. que je t'ai promis, pour les dépenses d'intérieur.

 Salutations de Rifka

 et de ton vieil

 I.

carte-lettre d'Yvan (Luxembourg) à Claire (Paris) jeudi 24 septembre 1937 MST p. 227

 Luxembourg 24 septembre 37

Chère Zou,

 nous sommes arrivés ici de grand matin. Levés à 5h. pour être à 8h. à la Poste. Mais le temps est devenu magnifique et la Banque offre un bon accueil. Malheureusement, je ne peux pas t'envoyer d'ici le billet que je t'ai promis : étranger. Ce soir, au retour au pays, je te l'envoie dans une enveloppe.

Peut-être que je trouverai une autre lettre de toi à Metz, avec des nouvelles de toi et de Doralies ?

Bons baisers de ma part Rifka

 

 

carte-lettre d'Yvan (Metz) à Claire (Paris) 9 novembre 1937 MST p. 228

Chère petite Suzu,

Merci pour ta lettre bleue papillonnante. Je reviens après-demain vendredi. . Je pars d’ici après-midi et serai vers 20 heures à la Gare de l’Est

 Ton I.

Beaucoup de tendresses de ma mère chérie

(et de l'autre côté de la carte, en français)

Ma chère Claire,

Inutile de vous décrire le plaisir que j'ai éprouvé en ouvrant la porte d'y trouver mon cher Mig qui est venu combler un moment ma solitude journalière. Je vous remercie également de la gentille missive que vous m'avez adressée, elle m'a procuré une vive joie ;

Recevez ici les meilleures tendresses de ma part Rifka

 

 

lettre d'Yvan (Metz) à Claire Vendredi 17 décembre 1937 MST p. 228/229

 Metz 18 décembre 37

Cher petit cœur,

 Jamais on ne verrait à Paris une journée aussi grise, aussi inhospitalière, qu'ici à Metz. Les jours diminuent encore (jusqu'au 24), ils sont de plus en plus privés d'âme, et c'est à peine si l'on sent la vie qui s'en va, et à quel point on disparaît soi-même, déjà apparenté au néant.

 J'ai lu dans le train quelques chapitres de "Espoir" de Malraux : Tolède, où les hommes rejettent leur peau et leur haut idéal, comme un vieux manteau : les Espagnols et les Chinois se laissent écraser à mort comme des fourmis, et le monde fait comme s'il ne se passait rien : en fait, il ne s'est rien passé.

 Et je me sens parfois, maintenant, dans cette froidure, que mon cœur s'arrêtera, une fois - et rien ne se sera passé...

 Il n'y aura eu que ton chaud sentiment et ton angoisse douloureuse à mon sujet, et les larmes auront animé des fleurs éphémères - il ne faut sans doute rien demander de plus.

 Enveloppons-nous pour la nuit dans ce manteau glacé de la lucidité et soyons bons et aimants l'un envers l'autre.

 Yvan

 

lettre d'Yvan (Metz) à Claire Samedi 18 décembre 1937  MST p. 229

 

Cher petit cœur,

 

 Pourquoi me sens-je aujourd'hui pareil à un vieillard ? Tous les membres las, abandonné par tous les esprits vitaux et le cerveau tout glacé. Aucun hiver n'est aussi froid, aussi désespéré que celui d'une belle petite ville de l'Est, d'une rue aussi hermétiquement close, d'une demeure comme celle-ci, dont une seule pièce est chauffée par des boulets que l'on compte un à un.

 Mon âme est frissonnante et vieille : lentement, la mort me devient familière.

 J'ai bien dormi, avec une bouillotte dans mon lit, apportée par ma mère. Mais mes engelures m'ont réveillé dans la nuit, et je n'osais pas ouvrir la fenêtre, et alors, les pensées inquiètes, à ton sujet, m'ont assailli.

 Je suis très angoissé de rester si longtemps loin de Paris. Ton "non" à ma question, de savoir si tu ne commençais pas à prendre de mauvaises habitudes, était si faible et si incertain. Mon absence et l'appartement vide vont te pousser à sortir : vois-tu, tu as besoin d'un nouveau présent, et moi qui suis ici, dans le chaud appui maternel, je ne peux pas compter sur toi, quand je ne suis pas pour te tenir - cela est tout à fait la même chose que si je t'étais infidèle, comme tu appelles ça.

 Ou alors voudrais-tu m'écrire bientôt une lettre souriante ?

 Ton triste

 Yvan

 

 lettre d'Yvan (Metz) à Claire Lundi 20 décembre 1937  MST p. 230

 Metz, lundi 20.12.37

Cher petit cœur,

 

Ta lettre claire et bleue de samedi voltigea comme un papillon dans ce monde hivernal, si froid. J'ai eu du remords pour ma lettre amère qui t'est tombée dans la main, au même moment, mais qui te confirmait en même temps mon complet dévouement (oh ! quel mot !). Jamais plus je ne m'éloignerai de toi pour si longtemps, au plus pour trois ou quatre jours, jamais plus pour sept.

 Je passe à présent mes journées à taper activement les Brigands. Peut-être téléphoneras-tu à Charles pour le lui faire savoir. Je voudrais suivre de loin ton emploi du temps : demain Frensky et Grabinoulor, et pour le soir de Noël, je me réjouis d'aller avec toi à Saint-Etienne du Mont.

 Je porte à présent des sous-vêtements et ne souffre plus autant du froid. Ma mère a fait rôtir aujourd'hui une belle cuisse d'oie.

 Je me porte bien de nouveau,

 et je te caresse tendrement

 Yvan

 

 1938

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 3 janvier 1938 ImsL p.483

à traduire

 

Le 20 janvier 1938, Yvan Goll signe un bail de location pour un appartement, 14 rue de Condé dans le VIème arrondissement de Paris. Il déménage et s'y installe du 28 au 31 mars 1938.

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 22 janvier 1938 ImsL p.484

à traduire

 

Le 22 janvier Yvan avait invité Paula à venir à Nice, où il serait avec sa mère, mais Paula n'avait pu accepter à cause de la situation politique.

Du 26 janvier au 3 mars Yvan, sa mère et Claire sont à Nice, Saint-Paul de Vence et Cannes.

 

 daté du 24 Janvier 1938, se trouve aux mêmes archives, le double d’un virement d’honoraires de 350 roubles pour Tscheljuskin à « Mr. Ivan Goll, Paris/France, 49, Quai de Bourbon » Sous le titre Tscheljuskin. Auszüge aus einer Kantate l’oeuvre de Goll fut publiée en Février 1938 dans Das Wort (« These », « Der Reporter », « Das Lied vom Genossen Schiff », « Der Reporter », « Das Lied vom gefährlichen Leben », « Der Reporter », « Ballade der 104 ») 100.

 

Carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald mercredi 26 janvier 1938 ImsL p.483

à traduire

 

Le 13 mars, les troupes d'Hitler occupent l'Autriche. Paula fuit par Zurich ; elle viendra à Paris autour du 10 avril. vérifier car Yvan lui écrit encore le 12 à Zurich

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Zürich 17 mars 1938 ImsL p.485/486

à traduire

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Zürich 22 mars 1938 ImsL p.487/488

à traduire

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Zürich 30 mars 1938 ImsL p.488/489

à traduire

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Zürich 8 avril 1938 ImsL p.489/490

à traduire

 

Yvan se rend du 11 au 17 avril à Metz puis à Luxembourg pour y régler des affaires d'argent.

 

lettre d'Ivan Goll Metz à Paula Ludwig Zürich 12 avril 1938 ImsL p.490/491

à traduire

 

lettre d'Yvan (Metz) à Claire (14, rue de Condé Paris) 12 avril 1938 MST p. 231

  Metz 12 avril

 Chère petite Zouzou,

 

 Ta lettre de dimanche soir vient d'arriver mais elle contient encore assez de tension et ta carte du 11, lundi matin, arrvera ici aujourd'hui ou demain.

 

à traduire

O si seulement il faisait aussi chaud dans ton âme que dans ta maison

 C'est ce que je te souhaite

 Ton

 Yvan

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Zürich 14 avril 1938 ImsL p.491

à traduire

 

Paula Ludwig à Paris à Ivan à Metz : lettre du 14 avril 1938 *** IsmL p.492/493

 (lettre douloureuse à traduire)

elle n'a plus d'argent, plus de papier pour écrire, plus de timbre-poste

Par hasard se produit une rencontre entre Claire et Paula dans le VIème arrdt. le 17/18 avril qui permet une explication entre elles.

 

Télégramme Ivan Goll Zürich à Paula Ludwig Paris 21 avril 1938 - 12h30 ImsL p.493

à traduire

 

lettre d'Audiberti à Claire du 19 mai 1938

 

 Très chère amie,

 

 Je sais mes torts, mais ne m'accablez pas.

 Mon père … Ma femme absente toute la

 journée, et les deux enfants, parfois, à

 garder un peu. Et cette roue des jours qui

 est à la fois si rapide, si pesante.

  Je ne sais pas trop si je mérite votre

 affectueuse fidélité. En tout cas, je vous

 remercie de me la conserver, malgré tout.

 Herslichst

 J

 A vendredi, 10 heures, bistrot Odéon

 

SDdV Aa50 (218) - 510.299 III

 

pneumatique  d'Audiberti à Claire et Yvan du 3 juin 1938

 Au moment où l'Académie Mallarmé vient de consacrer tant de kilomètres de solitude, ma pensée affectueuse et fidèle va vers vous qui toujours m'avez aidé et soutenu.

Toutes mes tendresses et pour Yvan, ma chaude amitié.

 Jacques

 

lettre d'Audiberti à Claire du 6 juin 1938

Chère Claire,

 Je suis honteux de ne pouvoir venir demain, "Vendredi" me demande un grand article

et je dois le livrer mardi à midi. Il faut que je livre mardi et que je l'écrive. Je crois que c'est important n'est-ce pas ? Mercredi, si vous voulez bien, même endroit, même heure.

 Regrets et affectueuses

 amitiés

 Jacques

SDdV Aa52 (285) - 510.299 III

 

Lettre d'Yvan à sa mère du 6 juin 1938, de retour à Paris

Chère petite maman,

Je tiens à te rendre compte immédiatement des résultats de ma journée d'hier qui s'est passée exactement selon le programme établi. Le voyage en Pullman s'est effectué comme dans un rêve : juste le temps de me raser dans une cabine magnifique, et la moitié du parcours était déjà fait. Arrivé vers 1 heure ¼, je suis allé manger un morceau.

Comme j'ai eu raison de prendre le premier train, car j'ai été retenu jusqu'à 4h½, courant d'un guichet à l'autre, et voulant mettre un ordre définitif dans toutes les questions.

Eh bien, tout est fait.

Tous les coupons sont mis à l'encaissement, je tiens le bordereau à ta disposition.

J'ai déposé au compte les 10000 frs. billets et les 15 Bons ainsi que les 14 Crédit National.

Le reste est allé au coffre, soigneusement trié et inscrit.

Enfin, j'ai donné l'ordre d'acheter ce que nous avions décidé. Et rien ne se vend pour le moment.

Je pense que nous pouvons être contents tous les deux de cette journée, malgré la fatigue encourue.

Finalement, j'ai dû courir à pied à la gare, dans la pluie, ne trouvant pas de tramway, et n'ayant même pas le temps d'acheter des cigarettes. J'ai sauté dans le train, deux minutes avant le départ. Mais, à 22h50, j'étais rendu en gare, et Claire me reçut avec joie, m'ayant attendu sans grand espoir.

 A bientôt tous les détails.

 Bon dimanche et mille baisers

 Mig

 

SDdV 510.311 III Rés 780 2)

 

Lettre d'Yvan Paris à sa mère du 10 juin 1938

 

Ma chère maman,

 Sans nouvelles de ta part, je pense néanmoins que tu te portes toujours bien et que tu arranges tranquillement ta petite vie.

 Aujourd'hui, je tiens à joindre à mes dernières explications des pièces justificatives qui te montreront ce qui a été fait lors de mon dernier voyage.

 Nous avons à notre crédit :

 10000 frs. en espèces

  8000 frs. de Bons de la Défense au 7 juin

 5000 frs. de Bons de la Défense au 6 octobre

  10000 frs. de Bons de la Défense au 20 octobre

  33000 frs.

 pour lesquels j'ai acheté ou commandé diverses devises. Dès que leur acquisition me sera confirmée, je t'en aviserai.

 Le coupon du Crédit National se détache le 15, et c'est seulement après que je le ferai vendre.

 Pour les 2000 autres Bons de la Défense, j'ai également acheté des Livres.

 Claire me charge de t'envoyer ses bons baisers

 Je reste ton très affectionné

 Mig

SDdV 510.311 III Rés 780 3)

 

Du 20 au 23 juin,  Yvan et Claire vont à Metz puis à Luxembourg

lettre d'Ivan Goll Metz à Paula Ludwig Paris 20 juin 1938 ImsL p.494

à traduire

Carte d'Ivan Goll Metz à Paula Ludwig Paris  21 juin 1938 ImsL p.494

poème à traduire

lettre I d'Ivan Goll Metz à Paula Ludwig Paris 21 juin 1938 ImsL p.495/496

lettre II d'Ivan Goll Metz à Paula Ludwig Paris 21 juin 1938 ImsL p.496/497

lettre d'Ivan Goll Metz à Paula Ludwig Paris 22 juin 1938 ImsL p.497/498

à traduire ***

Le 23 juin, Ivan et Claire rentrent ensemble à Paris

 

le 29 juin ils s'embarquent à Southampton.

 

lettre d'Ivan Goll Southampton à Paula Ludwig Paris 30 juin 1938 ImsL p.499/500

à traduire ***

lettre d'Ivan Goll Southampton à Paula Ludwig Paris 1 juillet 1938 ImsL p.501

à traduire **

Carte d'Ivan Goll Southampton à Paula Ludwig Paris 4 juillet 1938 ImsL p.501

à traduire **

Du 4 au 9 juillet Ivan et Claire sont à Londres

lettre d'Ivan Goll Londres à Paula Ludwig Paris 6 juillet 1938 ImsL p.502/503/504

à traduire **

lettre d'Ivan Goll Londres à Paula Ludwig Paris 9 juillet 1938 ImsL p.504/505

à traduire **

 

Le 9 Ivan et Claire reviennent à Southampton

Le 13 juillet Ivan et Claire quittent Southampton pour Paris où ils arrivent le 14 juillet.

Le 21 juillet, Claire fait seule un voyage surprise à Metz et revient le 22 au soir à Paris

 

Lettre de Claire à Ivan du 23 juillet 1938 MST p. 232

  23 juillet 1938

  9 h du soir [Paris, 14 rue de Condé]

 Mon Iwan,

 Tu as écrit un jour :

 Pour qu’un jour dans notre vieillesse

 Nous nous contemplions l’un l’autre

 

et voici que mon rêve de vieillir ensemble avec toi tombe en poussière. Car on m’a changé mon Iwan d’autrefois. Et, en ce moment, où je dois rendre des comptes, je sens plus fortement que jamais à quel point je n’ai pas du tout changé, et t’aime encore du bel amour de notre bon vieux temps, quand tu répondais à mon sentiment avec le sérieux d’une vraie et rare parenté d’âme. Sans égards, une troisième a plongé un dard dans ce sentiment et m’a, ce faisant, poussée dans la mort. Et s’il est vrai que, dans ces minutes, je pardonne tout, je t’adresse cependant une prière sacrée : ne vis pas avec Paula L. Tu ne peux pas jouir de l’existence avec l’être humain qui me l’a volée, et qui, depuis bien des mois, connaissait l’approche du dénouement inéluctable. Une mauvaise magie s’est abattue sur nous depuis neuf ans, tu me dois une pénitence pour ces tourments d’une si longue durée que je n’ai plus la force de supporter et qui m’arrachèrent des cris furieux, au lieu de mots d’amour. Mon chéri, derrière les cris, le vieil amour pleurait, 'enfantin, vindicatif, buté) au point d’en rendre l’âme. Cette âme veillera sur toi, l’avenir appartient au remords, qui n’a pas assez prié. Je construirai autour de toi une prière forte comme une tour. Là-dedans, elle te trouvera, la vraie : la jeune fille qui te donnera l’enfant dont tu as la nostalgie. Sois béni, Aimé, pour tes longues années de bonté. Et sois remercié pour tout l’indicible. Ne sois pas triste, mon grand enfant! Pense à ton art, peut-être fera-t-il ton deuil plus profond et plus grand.

 Sois doux envers ta mère, ne la laisse plus si souvent seule. Elle est une brave femme, je le sais maintenant, dans l’instant où l’on sait tout. Embrasse-la pour moi ; une lettre t’attend là-bas chez elle. Et sois paternel pour ma pauvre Doralie.

 Je vais penser à toi avec une tendresse transcendante, aussi longtemps que je pourrai penser, et je baise avec dévotion tes chères mains.

 Dans toute l’éternité

 Ta Zouzou

Sur l’original de cette lettre (en allemand) donc à Marbach, Claire a écrit en 1966, ce qui suit :

Ce soir-là, je pris du véronal, car Iwan m’avait dit adieu pour toujours. Deux jours avant, il était "parti" avec une grande malle et m’avait fait croire qu’il quittait Paris avec Paula Ludwig. En réalité, il avait été rejoindre une jeune fille pour laquelle il louait, depuis plusieurs mois, un petit appartement dans la rue Saint-Louis-en-l’Isle, à Paris. Le 24 juillet, de bon matin, quand il vint prendre en cachette, son courrier chez notre concierge, celle-ci lui dit qu’elle était inquiète, que, la veille au soir, j’étais complètement bouleversée. Il se précipita avec elle à l’étage, et ils me trouvèrent.”

Jean Sans Terre veille une Morte

 

 Ivan à Claire (Hôpital Cochin) 24 juillet 1938 MST p. 233

 

 Dimanche après-midi

Chère petite Zouzou,

 

 Enfin tu te réveilles à la vie, dans le milieu doré de l'été.

 Je voudrais bien rester à ton chevet, mais on me le défend.

 J'aurais préféré te confier à une clinique privée, mais je n'avais pas le choix. Affolé,  j'appelais Police-Secours et l'ambulance t'amena aussitôt à l'hôpital Cochin.

 Quelques heures de patience et je tiendrai tes mains, de nouveau.

 Ton

 Ivan

Ivan (14, rue de Condé Paris) à Claire (Hôpital Cochin) 25 juillet 1938 MST p. 233

 

 Madame Claire Goll

 Pavillon Cornil

Lundi matin 9 h [le 25 juillet]

Chérie,

On ne me permet pas d'aller te voir ce matin mais on me dit que tu as passé une bonne nuit.

A 1 heure, je serai admis à te voir

A la visite du docteur, entre 10 et 11h tu apprendras si tu peux quitter l'hôpital aujourd'hui.

Je t'apporterai à 1 h une valise avec une robe etc.

 A tantôt, bonne patience

 Yvan

 

pneumatique d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Paris 28 juillet 1938 ImsL p.505

à traduire **

 

Yvan arrive chez sa mère à Metz entre le 5 et 7 août ?

lettre d'Ivan Goll Metz à Paula Ludwig Paris 10 août 1938 ImsL p.505/506

 Metz 10 juillet  

 [exact 10 août]  

Ma chère Palu,

Ici depuis quelques jours - mais tout est passablement détraqué. Ma mère, qui ne m'avait pas prévenu dans sa lettre, m'accueillit avec une fureur glaciale. En dépit de la calamité suivante, la trahison de Claire avait lentement porté ses fruits : la tromperie de Nice et toutes les histoires de couple du fils ne pouvaient laisser intact un cerveau aussi bourgeois.

Elle est amèrement déçue et je peux à peine lui en vouloir pour cela. J'ai perdu sa confiance pour toujours, si bien que la vie quotidienne, avec repas et excursions se poursuivent en silence. Il faudra beaucoup de patience et de temps pour cicatriser les blessures sans qu'elles soient effacées.

 Mais toi, comment vas-tu ?

Je souhaiterais bien t'entendre et savoir si tu as bien reçu celuici et mes précédents envois.

En amour,  Ton

 Yvan

 

vérifier ma traduction

 

lettre d'Ivan Goll Metz à Paula Ludwig Paris 14 août 1938 ImsL p.506/507 à traduire

 

lettre d'Ivan Goll Metz à Paula Ludwig Paris 18 août 1938 ImsL p.507 à traduire

 

lettre d'Ivan Goll Metz à Paula Ludwig Paris 26 août 1938 ImsL p.508/509 à traduire

 

Le 28 août Claire et Yvan vont ensemble à Chambéry pour la cure de Claire à Challes-les-Eaux, où ils occupent 2 chambres dans la "Villa Eugène" qui dépend de l'hôtel du Château

 

Carte d'Ivan Goll Chambéry à Paula Ludwig Paris 1 septembre 1938 ImsL p.509

lettre d'Ivan Goll Challes-les-Eaux à sa maman à Paris du 1/9/1938 

Chère maman,

 J'ai bien reçu ta lettre du 30, qui ne contenait hélas, pas de nouvelles de toi, mais une missive de Strasbourg, avec un article sur moi que je joins à celle-ci, et que je te prie de me retourner. On me dit m'avoir envoyé 2 exemplaires de la "Revue du Rhin" : si tu as reçu ces "imprimés", je te prie de me les faire également suivre, en biffant simplement l'adresse de Metz, et en inscrivant à côté celle de Challes, et en la portant à la poste, sans supplément d'affranchissement.

 J'ai également reçu déjà la réponse de Zurich que le surplus du paiement des coupons Reichsb. A été effectué le 20 juillet :

 d'une part 50 et d'autre part 27 coupons.

 On devrait toucher 11,90 à 8 %

 et les sommes sont réalisées à 18 francs Suisse pour 100 Marks. Il n'y avait sans doute pas plus à en tirer.

 Nous t'avons écrit lundi soir pour t'annoncer notre agréable installation ici. Pendant 3 jours, il a fait froid et pluvieux, mais ce matin, un soleil radieux éclate sur les montagnes qui nous environnent. Je me prépare à faire un grand tour en vélo, tandis que Claire se rendra à l'établissement thermal

 Nous t'embrassons affectueusement

 Mig

 

SDdV 510.311 III Rés 780 1)

 

lettre d'Ivan Goll  Chambéry à Paula Ludwig Paris 2 septembre 1938 ImsL p.509/510

à traduire ***

Le 11 septembre Yvan va seul chez sa mère à Metz et de là le 12 à Luxembourg puis à Bruxelles, avant de revenir à Paris le 20 septembre

 

Carte d'Ivan Goll Luxembourg à Paula Ludwig Paris 12 septembre 1938 ImsL p.511

à traduire ***

 

Claire revient à Paris le 13 septembre

 

lettre d'Ivan Goll à Bruxelles à Claire Paris 13 septembre 1938 MST p.234/235

 [Bruxelles 13.9.38]

Chère petite Zouzou, 

 13 septembre,

 Hitler a parlé !

La bombe siffle — et ne tombe pas !

Sentiment intolérable. Les gens continuent à se rendre gaiement à leurs affaires. A Bruxelles, c'est comme si rien ne se passait.

 Et hier, il y a eu dans mon âme une telle alarme. L'excitation du grand voyage d'adieu de ma mère. Mon départ à 2 h pour le Lux. Là-bas, réglé beaucoup de choses. Pris à 7h le train pour Bruxelles. Arrivé à 11h à Bruxelles-Nord, et je me rends tout de suite à notre vieil hôtel qui en est proche : Hôtel Splendid, 14, rue des Croisades, chambre à 30 Frs. Puis, redescendu : dans les rues on diffuse le discours d'Hitler, qui me déplaît beaucoup et qui fait présager le pire. Mauvaise nuit, et la décision prise d'aller, ce matin, interroger une agence de voyages.

 Mais, vers midi, tout demeure paisible, je sonde les journaux, qui recommencent déjà à tout déguiser sous des formules d'optimisme démocratique, à tout alléger.

D'ailleurs, j'ai maintenant un plan : si les choses se gâtent, un bateau part d'Anvers tous les vendredis en direction de Göteborg (Göteborg, Centervall) et Oslo : il arrive le dimanche là-bas, traversée directe sans escale, relativement pas chère, et pour l'instant sans visa.

De là, il y a des bateaux directs pour New-York. Voilà dons une voie, pour le plus pressé.

Sinon, il faut sans doute de longs préparatifs et toutes sortes de paperasses, — pour le Brésil.

Mais à présent, que faire si les choses traînent encore en longueur ? Dois-je revenir à Paris ?

 De toutes manières, il me semble prématuré pour toi de te rendre à Bruxelles avec tout ton bagage et attirail d'hibernation, pour que nous y restions dans l'attente et l'indécision. Je pense recevoir demain matin une lettre de toi. Peut-être par la poste aérienne. Il n'est, en fin de compte, pas grave que j'attende ici pendant 1 ou 2 jours.

Je suis tout seul, je reste seul. Cela je te le jure. Personne ne doit savoir que je suis ici, et je n'irai pas voir non plus Flouquet, etc..

 La situation est sérieuse, crois-moi sur parole !

 Mais mettre en branle tout ton dispositif de voyage, alors que tu franchirais toujours la frontière... pas encore.

 Peut-être aussi reviendrai-je déjà demain ou après-demain

 J'attends ton conseil.

 S'il nous reste du temps, nous nous attaquerons au problème difficultueux du Brésil.

 Un temps terriblement superbe. Quel dommage !

 Raconte-moi en détail ton voyage de retour et ce qu'a fait ma mère ce matin.

 

 En tout amour, ton

 Yvan

 

télégramme de Claire à Paris  à Ivan Goll à Bruxelles 13 septembre 1938 /18h40 MST p.236

MAMAN PAS ARRIVEE TA LETTRE VIDE QUE FAIRE [ Claire ]

 

 

lettre de Claire à Paris  à Ivan Goll à Bruxelles 13 septembre 1938 MST p.235

Bien-aimé,

 Enfin ton télégramme. Tu es là-bas ! A présent, je pourrai retrouver le sommeil, que j'avais perdu depuis 2 nuits. Ah ! Promène-toi au soleil et repose-toi, mon cœur ! Comme j'ai souffert à cause de toi ! Mon cœur battait tumultueusement ! Le rein, enflammé, a des élancements, la tête me battait. Depuis que tu es parti, je n’ai rien mangé, je n’ai que les souvenirs de nos repas... Ce matin, 36 de température seulement au lieu de 38 hier., Comme tu l'avais télégraphié, ta mère qui devait arriver à 10h37, n’y était pas ,. Une erreur de toi, ou peut-être de la poste ? Et dans ta lettre, il n'y avait qu'une feuille de papier blanc. Je te demande de m'envoyer au plus vite un mot.

 A présent, il est deux heures et Maman n'est pas encore là. Suis très inquiète. Quand y aura-t-il à nouveau du soleil et quand serai-je près de toi ? Je gèle de fièvre.

 Avec un amour bien trop grand, t'embrasse

 Ta Zouzou

 

lettre d'Ivan Goll à Bruxelles à Claire Paris 14 septembre 1938 MST p.236/237

 Bruxelles, mercredi 14 septembre 1938

 10h.¼

Bien-aimée,

 A l'instant, je reçois ta lettre bleue d'hier : quelle peur !

Dans ma lettre de Metz, il n'y avait qu'une feuille de papier blanc ? Comment est-ce possible ? je t'avais écrit 2 longues pages sur ma mère et mes projets : elle devait quitter Metz, mardi à 7h. par la Micheline et arriver à Paris à 10h.37 à la gare de l'Est. (Peut-être aussi ai-je perdu la tête à Metz ; j'ai écrit l'adresse à la gare). De plus, nous étions accompagnés par tante Justine et oncle Alphonse. Ma mère devait repartir à midi de la Gare Montparnasse en direction de Dinard et elle portait tous ses trésors sur elle.

 Tu peux te représenter combien je suis inquiet.

Et surtout du fait que tu as trouvé une feuille blanche dans mon enveloppe. Qui en a extrait la lettre ?

Je t'y écrivais au sujet de mon voyage ici et de mes projets concernant notre déplacement vers l'Angleterre ou la Suède. Je t'ai récrit tout cela dans ma lettre d'hier soir, que tu devrais avoir reçue aujourd'hui mercredi matin.

 En outre, je t'ai expédié ce matin à 9h. une lettre par avion, avec un billet de 1000 Frs. car j'avais interprété ton télégramme "lettre vide" comme s'il signifiait que la lettre ne contenait pas d'argent. Par contre, dans ma lettre de Metz, je t'avais fait savoir que ma mère te remettrait 1000 fr. en mains propres lors de son passage à Paris. Tu vois, j'avais pensé à tout.

 En ce moment, le valet de l'hôtel frappe à ma porte et m'apporte ton télégramme de 9h.44. Il est 10h.35.

 Donc, tu as reçu ma lettre d'hier. Bon. Vers midi, tu devrais recevoir le billet de 1000 fr. dans la lettre par avion : malheureusement, je n'ai pu recommander cette lettre, il était trop tard. Elle est partie à 9h. Télégraphie-moi de suite un accusé de réception.

 A l'instant, on affiche des télégrammes très inquiétants. Chute de la Bourse. Graves événements à Prague. Midi.

 Apporte-moi encore les deux carnets de chèques pour les banques anglaises : un grand noir à reliure dure, et un qui est dans une enveloppe de lettre recommandée, ainsi que le carnet d'adresses. Tout cela, je te le demandais déjà dans ma lettre de Metz, et j'avais confié la clef à ma mère : car tout cela se trouve dans mon tiroir de droite, ou peut-être de gauche. force-les : ce n'est pas difficile. Prends aussi avec toi les lettres de Duarte, qui s'y trouvent et sont faciles à découvrir dans leurs enveloppes.

 Ensuite, mon pardessus d'hiver, 2 manteaux gris, les chemises et pyjamas qui sont bons, le complet bleu-lavande, quelques "Chansons Malaises" et "Poèmes d'Amour"

 

 Ecris aussi souvent et aussi vite que possible.

 En tout amour

 Ton  Yvan

Apporte aussi la Radio.

4h. Si Prague accepte le plébiscite, tout se calmera. Attends, pour venir ici, que je t'appelle. Ne te mets pas en voyage avant d'avoir reçu un télégramme de moi.

 

 

lettre de Claire à Paris  à Ivan Goll à Bruxelles 15 septembre 1938 MST p.237/238/239

 15.9.38 [jeudi]

Mon cher petit Yvan,

 Merci pour la lettre et l'argent, qui m'ont délivrée de multiples soucis. Mais le plus important, plus important que le sommeil, la nourriture et la lumière, ce sont les mots que tu m'adresses. Si seulement, ils venaient plus souvent, si tu prenais un peu plus de temps pour m'écrire ! Alors, hier, devant cette feuille blanche et vide, je n'aurais pas été prise de panique et je n'aurais pas déjà cru voir ta mère assassinée dans son lit ! Car, lorsque tu télégraphies : "train et chercher Maman", qui penserait à une Micheline et un train de correspondance ? Je pensais qu'elle habiterait chez moi, avais préparé un repas de fête, que finalement j'ai jeté à la poubelle sans y avoir touché, et naturellement j'ai couru chez Henri avec ce feuillet blanc et, malheureusement, ils sont au courant. Mais je leur ai expliqué aujourd'hui que j'ai reçu maintenant ton explication : tu étais troublé. Ta mère, souffrante a conduit son frère très âgé à Dinard, étant donné que les vieillards doivent être évacués de Metz et elle t'a prié de chercher quelque chose à Bruxelles pour elle et pour moi. A l'avenir, soyons très précis et complets quand nous nous écrivons ou télégraphions.

 Oui, et maintenant, la situation semble se prolonger ou s'éclairer. C'est que les guerres, maintenant, on les fait à la manière de Hitler, ce suranimal. Et le Français, plus humain succombera, comme toujours, au muscle. Que l'univers tout entier parle jour et nuit d'un homme avec lequel aucun homme intelligent ne voudrait converser cinq minutes car il est tellement médiocre. Et un Chamberlain qui s'enfuit à Canossa, ô honte ! Mais Holopherne aussi a trouvé une Judith !

 Comment passes-tu ta journée en Belgique, mon chéri ? Et, la nuit ? Ecris plus souvent, toi aussi, nous en avons malheureusement le temps.

 Comme toujours il fait beau, pour aggraver la torture d'être seule et la lune allonge les nuits blanches. 

 J'aspire douloureusement l'odeur de ta chambre et quand je veux manger, cela me reste dans la gorge. Mais avant tout, tu es enfermé dans la chambre secrète et spéciale de mon cœur et nul chirurgien ne pourra plus t'en déloger. Une maladie honteuse, cet amour immémorial.

 Sois gai, tu vis et tu es un poète rare, que veux-tu de plus ?

Je crois en toi, en la vérité du sentiment et l'éternité de la bonté, mais je ne crois pas à la guerre et à la destruction.

 En toute tendresse

 Ta Zouzou

En tous cas, vois un peu à Bruxelles et dans les environs s'il y a possibilités d'habitation, car nous devrons peut-être partir d'ici tôt ou tard.

 

2ème de Claire à Paris  à Ivan Goll à Bruxelles 15 septembre 1938 MST p.239/240

 15.9.38 [jeudi]

Mon tout doux,

 Je n'ai reçu qu'hier soir ta lettre par avion, à 9H., et il était trop tard pour te répondre.

 Vers 6 H. j'ai aussi reçu un télégramme de ta mère, avec réponse payée de Dinard :

"Où envoyer billet baisers Réb." Sans indication d'adresse, en sorte que je n'ai pu lui répondre, bien que j'aie passé 36 heures dans une affreuse angoisse à cause d'elle, la voyant assassinée dans sa demeure, et que je lui aie télégraphié à Metz et que le télégramme me soit revenu, car là-bas non plus, elle n'a pas laissé d'adresse. Quel dommage, que vous perdiez ainsi la tête tous les deux, en un moment où il est nécessaire d'être aussi précis que possible et où l'on devrait prendre son temps quand on écrit une lettre ! C'est ainsi, par exemple, que je ne trouve pas ton livre sur Alexandre, car tu ne m'indiques pas où il est rangé. Tu n'écris pas si tu veux ton smoking, une chemise blanche, des chemises de couleur neuves, un pyjama etc. Car, cette fois, il s'agit de renoncer à tout ce qui reste dans la maison. Avec Manchez (*) on ne plaisante pas. Je pense aussi à mes livres, à mes articles dans le B.T., à toutes nos critiques, à toutes tes oeuvres, etc.: ne devrais-je pas, dès maintenant, en expédier un certain nombre d'exemplaires, en petite vitesse, au Splendid ? Qu'en penses-tu ?

 En outre, je ne crois pas que mes vêtements d'hiver et les tiens tiennent dans le CG et dans la malle-cabine, il faudrait une malle plate assez grande, d'autant plus que la mienne est détériorée. Comme nous avons manqué de prévoyance !

 Tu n'écris pas non plus s'il faut mettre Goll ou Lang - tu me l'écris seulement dans ta lettre par avion. Et tu réponds trop tard à mes deux télégrammes, au lieu de rentrer souvent à ton hôtel, où il peut toujours arriver un mot important de moi. Fort heureusement, cette fois, le billet était inclus dans ta lettre, mais je crois que l'on n'a pas le droit d'inclure quoi que ce soit dans les lettres. Et maintenant, chéri, ton intention de te rendre en Angleterre ? On peut bien faire annuler ou un dépôt par écrit. Ou est-ce que tu veux te rendre compte un peu à Londres, qui sera immédiatement bombardée, de la négligence que tu as eue ici ? Quand on est déjà dans un pays neutre, à quoi bon se transporter dans un pays belligérant !

Fais-toi, éventuellement verser une très grosse somme, mais :

1°) l'Angleterre est riche, elle ne fera pas banqueroute

2°) dès le début des hostilités, les banques dirigeront certainement les biens de leurs clients vers l'intérieur du pays. C'est ce qui aura lieu en Suisse aussi, espérons-le puisque nous y avons tout laissé en plan.

 Bruxelles, cette fois-ci me paraît à l'abri de tout danger. D'abord, parce que la princesse héritière d'Italie (alliée d'Hitler) est une Belge. Tout au plus les vivres peuvent-ils s'amoindrir, mais qu'est-ce que cela nous fait ? Mais si tu veux aller en Angleterre, le mieux sera que nous y allions ensemble. Je ne peux pas, moi non plus, attendre la dernière minute, car avec mes nombreux bagages, je ne trouverai plus de taxi (ils seront aussitôt réquisitionnés) et les gares, les trains ne seraient presque plus accessibles qu'aux militaires. Déjà, avant-hier, quand j'ai voulu aller chercher ta mère, la gare de l'Est était partiellement barrée à cause des réservistes. On ne distribuait plus du tout de billets de quai. En plus de toutes ces courses et empaquetages, j'ai été indisposée la nuit dernière, en sorte que je me sens fort misérable sans ta proximité.

 Mais à présent, il ne s'agit pas de gémir, mais de ne pas manquer le moment décisif.

Réponds de suite, si tu crois devoir encore aller à Londres. Mais comment pourrons-nous ensuite en ressortir avec les mines tout autour, ou y rester ? Non.dans notre cas particulier.

J'enverrai cette lettre par avion, si c'est faisable.

 En amour

 Ta Zouzou

 

(*) notre propriétaire, ami intime du Ministre Flandin, qui était pro-Hitler

 

Carte d'Ivan Goll  Bruxelles à Paula Ludwig Paris 15 septembre 1938 ImsL p.512

à traduire ***

 

Le 20 septembre Goll était de retour à Paris; Le 24 septembre, il envoyait 10 exemplaires de leurs livres à Dinard ainsi que différents objets de valeur. Le 25 septembre Yvan part en train pour Bruxelles et Ostende et va à Londres pour réaliser des ordres bancaires, il revient le 28 septembre à Bruxelles avant de rentrer à Paris le 1er Octobre.

 

Carte d'Ivan Goll  Bruxelles à Paula Ludwig Paris 25 septembre 1938 ImsL p.512

 

Paula Ludwig part début octobre à Ascona pour y passer quelques semaines avec son amie Nina Engelhardt ; après son départs Goll loge dans sa chambre, rue d'Assas ; Paula ne reviendra à Paris que début décembre

 

lettre d'Ivan Goll  Paris à Paula Ludwig Ascona 7 octobre 1938 ImsL p.513

lettre d'Ivan Goll  Paris à Paula Ludwig Ascona 14 octobre 1938 ImsL p.514/515

lettre d'Ivan Goll  Paris à Paula Ludwig Ascona 15 octobre 1938 ImsL p.515/516/517

à traduire

lettre d'Ivan Goll  Paris à Paula Ludwig Ascona 4 novembre 1938 ImsL p.517/518

 

lettre d'Ivan Goll à Metz à Claire Paris 8 novembre 1938 MST p.240/241/242

  Metz 8 novembre 1938

Aimée,

 La journée d'hier lundi a été bien remplie, riche en expériences très diverses, et elle s'est achevée par un splendide clair de lune. Cela commença par la grande aurore à Bâle, après un intéressant parcours nocturne, avec le grand Suisse auquel tu m'avais confié; Il m'a pris sous sa protection virile, comme c'est son habitude professionnelle, car il est un célèbre guide de montagne des Alpes bernoises. Un merveilleux enfant de la nature. Chose touchante, il venait de passer deux jours à paris avec son jeune ami, et tous deux avaient parcouru la ville à pied : de la Tour Eiffel au Sacré Cœur. Ce qui l'a le plus étonné, c'est qu'il n'a pas été accosté par une seule femme, et que, par conséquent, Paris n'est pas la Babylone du péché comme il l'avait cru : comment avait-il pu se l'imaginer ? Ensuite, il m'a raconté pendant des heures des histoires de ses montagnes, avec un tel amour pour la nature alpestre, pour les secrets des glaciers - jusqu'à 26 ans, il était pâtre, sur un pâturage élevé, à trois heures de la plus proche habitation. Il n'était "descendu" qu'une fois, pour son service militaire. Ensuite, il devint un guide recherché et héroïque. Cet été, il a fait 59 fois l'ascension du Pic Palu, 41 fois une autre, etc.; et il a gagné 3.000 francs suisses. Mais à Paris, il a dépensé 20 frs. suisses en tout et pour tout. Quelle âme pure. Cette chasteté - il a 46 ans, n'est pas marié, parce que son métier est trop dangereux. Son père et ses trois frères se sont tués en montagne. il sait que cela lui arrivera un jour - mais il accepte la mort avec beaucoup de simplicité. Le plus bel être humain que j'ai rencontré de ma vie. Et, comme il parlait des fleurs, des levers de soleil ou du pain !

Ensuite, à Zurich, j'ai rapidement réglé mes affaires. L'employé que je connais, à la banque, s'est réjoui de me voir, et a été très content que je lui offre "Jean sans Terre", - une idée de toi. Je suis reparti l'après-midi et j'ai eu assez de temps d'attente à Bâle - à cause de la différence entre l'heure de l'Europe centrale et celle de l'Ouest - pour aller au Musée, où j'ai fait intimement connaissance avec Konrad Witz, Holbein et Urs Graf.

Lors du voyage de retour (Bâle-Strasbourg-Metz-Luxembourg) on passe par Schlettstadt : peut-on passer ainsi tout simplement, à toute vitesse, devant le tombeau de son père ? Je résolus de descendre, bien qu'il fût déjà 7 h. du soir, pour rendre une visite nocturne à ce cimetière de légende. Il faut marcher environ ¾ d'heure à travers des champs et des vignobles. Au ciel étincelait la plus pleine de toutes les lunes. J'étais parcouru par des frissons de peur, mon ombre m'effrayait. Loin, à l'horizon, les Vosges argentées. Mais plus j'approchais du cimetière, plus j'étais épouvanté. Enfin, le grand et vieux mur. Devant, la maison du gardien. Trois chiens aboyaient, trois êtres humains tout noirs passèrent la tête à travers la grille. Moi, je me dissimulai derrière des buissons, trouvai entrouverte la porte qui mène aux tombes, ce qui est étrange, et bondis en plein mystère.

 Je trouvai sans peine la pierre tombale de mon père, un peu oblique, toute habillée de lierre, et je restai longtemps à genoux… mais le gardien, ses chiens et sa famille ne reposaient pas - tandis que je dialoguais convulsivement avec les étoiles et avec le mort.

 Finalement, ils me trouvèrent et poussèrent de grands cris, dont j'eus honte en présence de ces ossements. On me traita comme un profanateur de cadavres, comme un criminel, et le silence ne se rétablit que lorsque je mis un billet de 50 fr. dans la main de l'homme.

 Le gardien m'avoua que, de toute sa carrière, rien de semblable ne lui était jamais arrivé. S'il raconte cette histoire à ma famille, on en déduira que je suis mûr pour l'asile d'aliénés.

 Sur le chemin du retour, la lune commença lentement à pourrir, comme une pomme dans laquelle on mord, et qui s'oxyde. Des ombres bondissaient sur la vaste plaine. Une nouvelle forme de peur m'assaillit.

Mais bientôt je perçus le signe accueillant que me faisait le clocher de Schlettstadt, petite ville typiquement alsacienne. A vrai dire, c'est d'abord une haute tour carrée qui me reçut, - on l'appelle la Tour des Sorcières. En bas, se trouve un restaurant. Les repas d'enterrement y sont quelque chose de particulier, qui réconcilie l'homme avec la terre. Je commandai un menu fabuleux avec poularde et vin pétillant d'Alsace, le vin même que mon père aimait tant et dont il avait dans sa cave de pleins tonneaux, ce qui me remplit d'admiration posthume à son égard. Posséder un tonneau et descendre, tous les soirs, à sa cave, quel sentiment de richesse cela doit inspirer !

 Pendant le dîner, la tragédie lunaire était arrivée à son dénouement.

 Un seul hôte était assis près de moi, un authentique Alsacien, avec lorgnons et redingote ; il mangeait un brochet au bleu. Comme tout cela évoquait ma patrie !

 Vers 10h., l'express doré fila avec un bruit de tonnerre à travers la nuit - passant devant le cimetière et effarouchant les spectres.

 Comme une journée de 24 heures peut être remplie à éclater, de vivants et de morts, d'aventures alpines, de frayeurs lunaires, de danses macabres d'Holbein et de paysages féériques !

 Et seul un solitaire peut vivre aussi pleinement !

 Mais à présent, grâce à cette lettre, toi aussi tu prendras part à tout ceci.

 Ton

 Yvan

 

 

Carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ascona 9 novembre 1938 ImsL p.518

Carte d'Ivan Goll Metz à Paula Ludwig Paris 10 novembre 1938 ImsL p.519

lettre d'Ivan Goll  Paris à Paula Ludwig Ascona 14 novembre 1938 ImsL p.517/518

à traduire

Paula Ludwig rentre à Paris début décembre

 

                                                           1939

 

Claire, Yvan et Paula envisagent de partir au Brésil mais Claire ne souhaite pas prendre le même bateau que Paula Ludwig

Le 16 mai 1939 Ivan et Claire obtiennent un visa provisoire de la Préfecture de Police de Paris valable jusqu'au 16 novembre 1939 pour se rendre au Brésil à compléter *** p.522

 

Télégramme d'Yvan rue de Vaugirard, Paris à Claire  Paris 6 10/1/1939 12h40 MST p.243

 

Metz 6661 - 11 heures 55

Les rythmes de la "Dichterliebe" d'hier me projetèrent passionnément vers les "Sources de Claire " Ivan

 

lettre de Claire à Paris  à Ivan Goll à Metz 10/1/1939 MST p.243/244

Paris, mardi

10 - 1.39

Mon petit coeur douloureux,

 Ton télégramme bleu a mis fin, vers une heure, à cette matinée grise et inquiète. Il m'a communiqué du sang, du courage et de l'appétit, et je crois donc que je survivrai tout de même à cette semaine.

 Mais lorsque, ce matin, je t'entendis courir enrhumé, dans ton épais pardessus, vers le métro (la rue de Condé m'en renvoyait l'écho), je prévoyais naturellement déjà toutes les formes d'une congestion pulmonaire et je passais les heures à aller et venir dans le quartier, le visage à l'envers, car il ne fallait pas songer à travailler.

 À présent, cela va beaucoup, beaucoup mieux, bien que chaque passage à travers ta chambre nécessite encore toujours toutes sortes de stratégies ; car cela fait mal, de se voir rappeler un poète par des feuilles de papier vert-espérance, couvertes de "petits oiseaux ", et par un carnet d'autobus abandonné, le méchant homme dans le coeur est si bon.

 Mais, Dieu merci, le train est bien arrivé et je n'ai plus qu'à espérer maintenant que ta mère te gave bien et que tu y contribue activement en mangeant des gâteaux .

 Demain matin, j'espère taper beaucoup, grâce à ton aide.

 Quand tu iras te promener, ne choisis pas des régions trop solitaires, il y a tant de racaille, et prends une carne. Et habille -toi chaudement, surtout sur les épaules, - que je caresse tendrement.

 Le merle était là tout à l'heure et il m'a rajeunie. Bientôt, tu recevras le nouveau complet marron, qui rajeunira aussi tes yeux bruns et de la sorte, le printemps finira peut-être par arriver.

Je baise tes chères mains.

Ta

Suzu

lettre d'Ivan Goll à Metz à Claire Paris 11 janvier 1939 MST p.244/245

 Metz, 11.1 - 39

 Mercredi soir

Coeur douloureux, toi !

 C'est à toi que revient ce nom, et il faut que tu le gardes, tandis que l'abrupt

Iv ou If me convient plutôt ! Toute la journée déjà, je voulais écrire cette lettre, mais j'étais comme paralysé et ne parvenait pas à m'y mettre. Une sorte de grippe me privait complètement de volonté et d'activité. Après une mauvaise nuit dans la glaciale pièce d'à côté, j'éprouvais une telle peur de me lever... Seule la salle à manger est chauffée, et presque trop, en sorte que c'est une entreprise follement téméraire d'en sortir, pour passer soit dans la cuisine, soit dans les chambres à coucher. On ne bouge plus de l'endroit où l'on est . Alors, le corps et l'esprit sont entièrement rouillés. De plus, on est tout abruti par le poêle.

 Voilà que ma pauvre mère s'est imaginée qu'on doive vivre inconfortablement. Mais ces privations ne sont plus sans lui laisser, à elle aussi, leurs marques : elle a beaucoup vieilli. Son organisme semble s'épuiser  Elle ne dort que trois heures, ses mains tremblent par instants, elle éprouve souvent un point au coeur - cet hiver l'a fortement éprouvée. Mais remarque la différence avec ta mère : pas un mot de plainte, pas une tentative pour améliorer sa situation ; on sera forcé de l'y contraindre ! Je ne puis la laisser plus longtemps seule pendant ces dures semaines, pendant lesquelles elle continue à monter elle même, de sa cave obscure, les seaux de charbon.

 Elle s'est persuadée qu'elle ne peut pas partir, à cause des conduites d'eau gelée et éclatée : elle se fait l'esclave de ses maisons. En outre, la peur l'assaille quelquefois dans cet appartement vide. Elle se relève, la nuit, pour aller voir si tout est bien verrouillé. Dieu merci, la locataire du deuxième étage va bientôt déménager, à ce qu'elle a écrit.

 Malgré toutes les mesures de prudence, ma mère avait encore une grande inondation dans son propre appartement. Le soir, à huit heures, l'eau a jailli dans la cuisine. Elle était tranquillement devant sa radio, et n'a rien entendu. Au bout d'une demi-heure, le corridor, le salon, et même la chambre où elle se tenait, étaient inondés, et elle ne s'en apercevait toujours pas. Dieu merci, les locataires du 3e étage attirèrent son attention en sonnant ; ensuite, elle a épongé le l'eau jusqu'à onze heures du soir et et de tout cela, elle ne nous a pas écrit un seul mot !

 J'ai de grands soucis à son sujet. Il faut que je la persuade de venir à Paris le plus tôt possible. Le climat est épouvantable et elle sort 10 fois pour avoir un quart de litre de lait.

 Cet après-midi, je l'ai emmenée voir le fils de "Katia ", avec Danielle Darieux, et elle m'en a été très reconnaissante. Mais, toute seule, elle ne peut pas y aller ! D'ailleurs, le film est extrêmement mauvais - le principal interprète est John Loder (l'empereur Alexandre II), un idiot parfait, qui ne sait même pas parler le français, une bûche avec un beau visage. Après demain, on donnera " Pension d'artistes ".

 Ta lettre était indiciblement tendre et touchante. Elle m'a donné la force de recommencer à embrasser plus tendrement ma mère, et de t'aimer. Il faut que je redevienne fort, pour te venir en aide, et aussi être plus gai.

 Demain, nous allons au Luxembourg, et par ce temps sombre, cela sera passablement fatigant pour la petite mère.

 Nous t'enverrons une carte de là-bas.

 Je te prends tendrement dans mes bras.

 If

 

lettre de Claire à Paris  à Ivan Goll à Metz 11/1/1939 MST p.245/246

 

  [Paris, 11. 1. 1939]

Chéri,

Reçu à l'instant ta petite carte, sur laquelle tu ne parles plus de rhume. Le climat du Luxembourg va, je l'espère, te rétablir complètement. En revanche, je vais moins bien, du côté du coeur, je dois continuellement prendre des gouttes, pour pouvoir tenir.

Une nouvelle magnifique : "Marcel Mihalovici termine actuellement une cantate pour baryton, choeur de femmes, la Genèse, sur un texte d'Ivan Goll" - authentique entrefilet de presse. La "Corneille" hivernale est arrivée encore une fois de et m'a apporté la fiche ci-incluse avec la menace de fermer le gaz dans cinq jours. Je suis inquiète ; ne m'as-tu pas raconté qu'il était payé ?

 Le temps qu'il fait t'est favorable. Je me réjouis de cette température modérée, en songeant à ton séjour dans votre maison glacée.

 Hier, je ne suis pas allée à la conférence, j'étais trop malade.

 Le livre de Carrell est d'une grande envergure, n'est-ce pas ? On en oublie les petits soucis du monde environnant.

 Aime-moi ; je le sens très bien quand tu oublies de m'aimer. Pendant ton voyage, j'ai reçu par deux fois une véritable gifle électrique, - par deux fois, mes oreilles ont bourdonné follement, c'est ainsi que j'ai perçu le courant de ta tendresse. Le soleil brille, je dois rester étendue, et ne puis travailler à rien, j'espère que ça ira à peu près bien, à cinq heures, quand Paolo viendra, et que je pourrai sortir avec lui.

 Je me jette dans tes bras en fermant les yeux.

 Ta Suzu

 

 

lettre d'Ivan Goll à Metz à Claire Paris 12 janvier 1939 MST p.246/247

Metz 12 janvier 39

 

Mon coeur de souffrance,

 Ta lettre de ce matin m'a consumé le coeur. Oh toi, délicate aile de papillon, qui frémit au moindre souffle ! Plus fragile que la graine du Bouton-d'or : comme je veux être bon pour toi, te choyer, caresser et aimer...

 Ne crains donc rien, sois vaillante à nouveau, et interdis à ton coeurde te jouer des tours si lamentables.

 Puisque le tréfonds de ton coeur peut être si fort et si courageux, si virilement circonspect et pensant, le visage de ton oeuvre semble ressembler tout au plus à ta tête, mais jamais à ta poitrine.

 Je pense perpétuellement à toi, et tu devrais le sentir, être très tranquille.

 Ce matin, levé à cinq heures, afin de partir à six heures au Luxembourg.

 Après une bonne nuit, ma mère est tout à fait rétablie, tout à fait redevenue ce qu'elle était, - une femme qui décourage toute pitié.

 À Luxembourg, il y avait tant à faire que nous ne trouvâmes pas une minute pour t'écrire une carte, et ma mère ne voulait en aucun cas rester jusqu'à midi et déjeuner là-bas. Le train partait à 11 heures 31. Nous avons parcouru la ville, au pas de course, jusqu'à la gare.

 Comme tu le penses bien, la magnifique nouvelle au sujet de Mihalovici m'a profondément réjoui. Mais dans un journal était-elle ?

 Je quitterai donc Metz samedi à 15 heures 30 et arriverai à 20 heures 15 à la gare de l'Est.

 Pour Werfel, c'est tout à fait bien. Si tu es fatiguée, ne viens pas à la gare : je serai près de toi à 20h. 40 , me chargerai de vêtements en cinq minutes, et alors...

 Petite mère te salue, et ne veut pas encore nous laisser fixer une date pour son voyage à Paris.

 Je t'effleure, te caresse et t'aime.

 Ivan

 

lettre d'Ivan Goll  Paris à Paula Ludwig Paris 3 avril 1939 ImsL p.521 date à vérifier

 

 ....En amour ton

 Ivan

à traduire ***

lettre d'Audiberti à Yvan et Claire Goll du 3 avril 1939 ***

 

 Chers amis,

  ces temps derniers, je suis allé deux fois chez vous, vous laissant, dans la serrure un petit mot. Peut-être n'étiez-vous pas à Paris. Je vous donnais rendez-vous, et vous n'êtes pas venus. Aujourd'hui, je reçois ce Jean sans Terre qui aura beaucoup de gloire, qui a beaucoup de grandeur, et qui m'enchante, car je suis un peu à l'origine, cher Yvan, de cette révolution prosodique qui s'est accomplie chez toi. Il y a, dans ce "Jean", des pièces de la plus grande beauté. La première poésie, et ce dernier vers qu'elle a, "la force de ma religion" me ravissent. "Le mal de Terre", "Ci-gît Jean s T" sont bouleversants.

Il y a là un ton particulier, une cadence de fièvre apaisée. Le violoneux juif se mêle à la ronde villageoise, mais un peu de l'oreille velue ou du pied fourchu dépasse — mais, c'est peut-être de la corne dorée du luth de David.

Maintenant, une petite réserve. Les trois premières strophes de J s T veille une morte sont admirables. Mais je déplore que tu aies écrit : «Hier déesse immortelle / Dont je fus sacrifié/ Ton cœur et ta cervelle / S'écoulent liquéfiés ». Cela sonne mal, et les deux premières lignes sont embarrassées. Non ?

 Donnez-moi de vos nouvelles.

 Pourquoi ne pas se voir mercredi à midi aux Deux Magots, Yvan ou Claire ou vous deux ?

 Bien affectueusement

 Audiberti

SDdV Aa57 (237) - 510.299 III

 

lettre de Claire à Paris  à Ivan Goll à Metz 4 avril 1939 MST p.247/248

Chéri,

Ta lettre m'a donné une grande joie : ce qui était entre les lignes et entre les feuillets.

Quelle réception superbe ! On se demande seulement combien de temps devra durer le poulet. Peut-être la semaine, et la carcasse sera encore servie samedi en bouillon. Je te vois nettement à la table de fête, louchant sur le poulet et dévorant en pensée ailes et cuisses ;  Ainsi vous vous faites mutuellement plaisir : l'un offre le rôti et l'autre n'en mange rien. Plus il en reste, plus tu es rassasié, ô Jean sans chair !

 Hier, je suis allée avec Irma au restaurant chinois de la place de la Sorbonne. La, c'était superbe.. Près de nous, il y avait Kurt Seligmann avec sa femme et un intéressant peintre japonais, que tu connais aussi. Ensuite, Kurt Seligmann nous invita au d'Harcourt et nous fit des récits du monde entier, et Irma fut enchantée de lui et de sa soirée.

 Ci-joint une lettre : "Mesure et Valeur".

 Invite cet homme chez nous pour samedi ou dimanche soir. Non, pas dimanche, car Adèle ne vient pas ce jour-là, et l'appartement n'est pas fait.

 Quel temps ! Le Saint-Quentin est sûrement entouré de Niagara !

 J'ai hérité de ton rhume, un rhume méchant et perfide, et comme ça, je ne suis pas seule.

 Ne m'oublie pas au sujet de Fassnidge !

 J'espère que tu as chaud.

 Le Triolet, son article n'est pas très artistique. Mais j'ai le temps, j'attends ton retour pour ajouter certaines choses à mon essai sur Rilke. J'y ai déjà introduit Valéry et ce que Rilke m'a dit de lui.. Je peux encore prendre, dans une lettre, un passage sur Gide.

 Mais n'y mettre rien de personnel, ça rapetisse tellement tout.

 En toute tendresse,

 Ta Zouzou

 

 

lettre d'Ivan Goll à Metz à Claire Paris 5 avril 1939 MST p.248/249

Ma chère Zouzou,

 J'ai mangé les herbes amères, j'ai bu le vin rouge et chaud accoudé sur le côté gauche, j'ai chanté la chanson du cabri poursuivi par le boucher — et la poularde de trois livres, ainsi que le brochet vert furent excellents. Jamais Maman ne fut plus alerte et plus heureuse. Je profite de ces quelques journées pour lui consacrer une présence gaie et chaleureuse, sans lui dire un mot de nos ennuis.

 Ta lettre de ce matin m'a fait grand plais et la soirée Ychou-Séligmann a du être bien attrayante. En ce moment tu es peut-être avec Audiberti et tu n'oublies pas de lui parler de son article de la NRF.

Voici encore 100 fr. pour la réception des Fassnidge vendredi. Je pense rentrer, comme convenu, samedi soir à 20h15 où tu devrais venir me prendre à la gare.

J'invite Lion pour dimanche soir à dîner : es-tu d'accord ?

La soleil enchante la vallée de la Moselle et je m'apprête à monter au St Quentin, d'où je t'envoie une branche de cerisier fleuri

 ton Yvan

 

lettre de Rebecca à Yvan 20 avril 1939

 Metz le 30 avril 1939,

 Mes bien Chers,,

J'ai bien reçu ce matin vos bons souhaits de fête et ainsi que le superbe sac que vous m'avez adressé ; grand merci mais vous avez fait trop bien les choses. Le sac est trop beau ! je serai fière de m'en servir. Oui, comme le disait ma lettre d'hier j'ai cru revenir au reçu du télégramme et je demande à Dieu de n'avoir pas à regretter cette résolution. Ce matin j'ai fait comme je te l'avais dit un nouveau ballot, que je pense expédier à Dinard, il contient duvet, couvertures, manteau de fourrure, et quatre draps... qu'en penses-tu ? Ici on est perplexe, et on se demande s'il faut quitter son chez soi où on est si bien ? Espérons que d'autres nouvelles nous permettront de ne plus vivre dans une anxiété perpétuelle afin d'être plus tranquilles et de jouir du beau printemps que nous avons par ici. Encore une fois grand merci pour vos bonnes intentions et recevez tous les deux mes tendres baisers

 Rifka

 

P.S.: Gaby sort d'ici elle vous envoie ses compliments

 

Lettre de Rebecca à Ivan 23 avril 1939

 Metz le 23 avril 1939,

 Mon Cher Mig,

Tu seras peut-être quelque peu surpris de recevoir la présente mais ayant quelques détails financiers à te faire savoir, je n'attends pas à te les communiquer de suite : il se trouve dans le paquet que tu sais, deux obligations Arbed à cinq et quart n° 7783 - 1190 de 150 dollars qui d'après la rubrique du journal que je te joins à la présente sont remboursables entre le 20 et le 30 avril donc incessamment . Veux-tu donc faire faire le nécessaire afin que ce remboursement ne soit pas périmé, le délai de présentation étant si court.

 J'ai omis dans ma dernière de répondre à ta question au sujet de 6.000 francs , il est inutile de les déposer au Crédit Lyonnais à mon compte. Conservez-les, ce sera une provision pour les prochains mois.

Ne voulant pas te gâter la joie que tu éprouvais à m'offrir un si joli sac, je n'ai pas cru devoir te dire dans ma dernière qu'à l'intérieur de ce bel objet, le fermoir intérieur de la poche de moire était tombé au fond de cette pochette : comme c'est un objet de prix, passe à la maison d'où il vient et préviens-les de ce défaut. À l'occasion, tu le reprendras pour qu'ils en fassent la réparation.

 Je regrette de te procurer cet ennui mais le sac est tellement beau, il serait regrettable que déjà la pochette ne puisse se fermer.

J'aime à croire que Claire et toi vous vous portez bien , ici le calme est relatif et on espère toujours. Faites-en autant de votre part et en attendant vos bonnes lignes, recevez tous les deux mes affections bien tendres

 Rifka

 

 

P.S. j'ai reçu hier la réponse que tu as écrite au sujet des Modderfenten, elle se compose d'un chèque de L 1.4.10 me revenant

 

Arbed : le bilan qui sera présenté à l'assemblée 28 courant fait ressortir un bénéfice de 40 millions luxembourgeois contre 93 millions dont 5 % soit 2 millions contre 4 millions seront affectés à la réserve légale 40 millions contre 80 millions à la répartition aux dividendes à 160 francs luxembourgeois contre 320 brut et 4000 contre 9000 aux allocations statutaires (anciennes gratifications)

La société rachètera toutes les obligations de l'emprunt dollars US à 5 1/4 % 1927 encore en circulation et qui lui seront présentés du 20 au 30 avril prochain : inclus coupon n° 26 attaché échéance juillet 1939 aux conditions suivantes : par obligation de 600 dollars il sera payé net 23.000 francs luxembourgeois ou 28.750 francs belges et par obligation de 150 dollars il sera payé net 5.750 francs luxembourgeois ou 7.187,50 francs belges.

 

Lettre de Rebecca à Yvan 5 mai 1939

 Metz le 5 mai 1939,

 Mon bien cher Mig,

 

à copier

 

lettre de Rebecca à Yvan 5 mai 1939

 Metz le 5 mai 1939,

 Mon bien cher Mig,

 à copier

 

Le 16 mai 1939, Yvan et Claire Goll obtenaient des titres d'identité et de Voyages de la préfecture de Police de Paris valables jusqu'au 30 novembre 1939 pour se rendre au Brésil.

 

lettre de Rebecca à Yvan 19 mai 1939

 Mon bien cher Mig,

Ton épître est toujours reçue avec un nouveau plaisir ; ainsi que le fragment du journal que tu y as joint.. Tous mes compliments pour la rédaction de ton article, qui cette fois, est de beaucoup supérieure aux précédents, et j'ai éprouvé une grande surprise en jugeant des progrès qu'avec le temps tu acquiers : continue . Inutile de te dire que je serai à l'écoute le 30, et je me réjouis de pouvoir t'applaudir, même d'ici. Je puis t'annoncer la nouvelle que Gaby a loué son appartement, ce n'est pas d'elle que je le tiens ; voilà quinze jours que je n'ai vu le bout de son nez c'est au café qu'on le raconte et qu'ils quittent Metz complètement pour rejoindre Vichy où ils vont fin du mois, pour habiter Paris. Le temps est jusqu'alors très défavorable, il a encore plu ce matin à torrents, l'après-midi semble vouloir être sec ; avec cette humidité il fait très frais, presque froid. Ce n'est guère le temps de schevouoth qui se célébrera mardi soir. J'espère aller au temple comme de coutume d'ailleurs,

 espérant que Claire et toi vous portez bien, recevez ici mes baisers les plus affectueux

 Rifka

 

lettre de Rebecca à Yvan 26 mai 1939

 Metz le 26 mai 1939

 Mon bien cher Mig,

Les fêtes terminées je m'empresse de te donner de mes nouvelles, elles se sont déroulées comme de coutume, je suis allée au Temple où l'office ne s'est terminé qu'à 11 heures 50, c'est dire si les matinées étaient occupées, les deux. L'après-midi je suis donc allée à Montigny ; Alphonse est souffrant, garde le lit j; e veux espérer que cela se dissipera comme c'est venu, tout à fait subitement : les premiers symptômes m'ont beaucoup allarmée, mais il semble que cela ne se reproduise ( il a vomi du sang) hier il était beaucoup mieux. Je ne doute pas que tu sois très occupé à la veille de la présentation de ta pièce. Inutile de te souhaiter bonne chance. Avec toi je serai heureuse de venir passer un moment parmi vous. Je comblerai ainsi ma solitude, entourée de vos gentillesses. Je vous suppose Claire et toi en bonne santé et très pris. Chez moi grâce à Dieu je me porte bien

 Recevez tous les deux mes bons baisers

 Rifka

 

Le 30 mai 1939 diffusion de Georg Kaiser : Du matin à minuit (adaptation radiophonique en 7 tableaux d'Ivan Goll sur Radio Paris (Yvan Goll), présentation de Pierre Descaves)

Le texte de cette adaptation, 77 pages, l'exemplaire de Jacques Baumer qui jouait le rôle principal, est à la Bibliothèque de l'Arsenal référence: 4- YA 2734 Rad. Du matin à minuit.

 

lettre de la maman d'Yvan (non datée) est-elle de 1936 ou de 1939 ?

 Jeudi soir,

 Cher Mig

 Ta lettre reçue ce matin m'a complètement atterrée en la lisant : Que l'on te faisait une proposition, tu m'en avais touché un mot ces temps derniers, mais à laquelle je n'ajoutais aucune importance;

 Aujourd'hui, tu sembles emballé, cette nouvelle et ton emballement m'ont atterrée à tel point que j'ai cru sentir la terre s'entrouvrir et m'engloutir : Songes donc que je n'ai que toi et ne vis que pour toi. Je suis sortie de cette stupeur toute anéantie, ne pouvant plus ni causer ni respirer c'est à dire que j'ai ressenti une syncope. Est-ce possible que je devrai survivre à cette nouvelle catastrophe, moi qui ne vis que de ta présence, lorsque tu me quittes, je supporte le temps jusqu'au moment de te revoir et je ne vis que dans cet espoir: te revoir. Enfin s'il m'est donné de supporter une nouvelle épreuve Dieu seul sait si j'aurai le courage d'aller jusqu'au bout sans fléchir. Ce traître de Daniel m'a déjà tuée à moitié, je ne suis plus que l'ombre de ce que j'étais et j'aurai à supporter l'autre moitié : en suis-je capable ?

 On fait miroiter à tes yeux les 3000 Francs mensuels mais la moitié ne t'est-elle pas assurée et plus ici, sans compter les surplus* ? c'est cela qui t'enchante. Mais je suppose que tu vas réfléchir et songes aussi que depuis quelque temps ta santé laisse à désirer. Claire de même est souvent patraque as-tu aussi réfléchi si le climat vous sera favorable ? au pays déjà vous n'êtes costauds qu'à demi, que sera-ce au Brésil ? Si vous êtes malades, les 3000 Francs seront vite volatilisés et là-bas je ne vous viendrais pas en aide et qu'est-ce cette somme pour s'expatrier ? Quant aux 4000 F envoyés, ce n'est même pas suffisant pour la traversée à deux.

Enfin, réfléchissez bien, et donnez-moi vite un mot qui me sorte de l'angoisse, qui me rassure et qui me confirme que c'est à tort que tu t'es emballé.

 Ta mère qui n'a que toi et qui t'embrasse de tout son cœur

 Rifka

* Rebecca versait 1500 Francs mensuellement à Goll et faisait face aux imprévus

 Saint-Dié 510.340

 

Rebecca est venue à Paris chez les Goll du 7 au 30 juin 1939

 

lettre de Rebecca à Yvan 4 juillet 1939

 Metz le 4 juillet 1939,

 Mon cher Mig,

 Tu seras peut-être surpris de recevoir la présente mais dans notre région règne le pessimisme en plein,. Je viens te demander si je ne devrais pas préparer ce que j'ai de plus précieux et songer à aller vers à climat moins frontières ? Justine m'engage fermement à partir avec eux. La date de leur départ d'ici est fixée au 13 juillet. Il quitteraient Metz à 12 heures 08 pour arriver à Paris à cinq heures ,coucheraient àParis et partiraient vendredi quatorze à 12 h gare Montparnasse pour être le soir à Dinard. Dis-moi ce que tu penses à ce sujet. Je suis perplexe, certes je pensais rester chez moi et ne partir qu'à la rigueur, mais m'entêter n'est peut-être pas intelligent ? Ici la vie continue. Les fraises coûtent 2 francs 50 au détail, 2 francs par panier et la salade trois têtes pour 1 franc, les légumes en général très abordables. J'ai bien retrouvé mon couteau dans mon sac noir. À l'occasion je te remettrai le tien, utile pour éplucher les légumes. Comment vous portez-vous chère Claire ? Votre malaise est-il disparu avec le régime sévère? Chacun était heureux de me revoir et j'ai retrouvé mon clan au complet. J'espère avoir le plaisir de te lire bientôt. Dans cette attente recevez tous les deux mais baisers bien affectueux

 Rifka

 

lettre de Rebecca à Yvan 10 juillet 1939

 Metz le 10 juillet 1939,

 Mon cher Mig,

 Très surprise de ne pas avoir eu de réponse à la lettre que je t'adressais au reçu de la tienne. Je suppose que la présente se croisera avec la tienne et que malgré ce silence, rien de fâcheux ne s'est produit parmi vous . Je viens de relire ta lettre : oui , je suis d'avis de vendre tous les Reichsbank et ne pas racheter de valeurs allemandes ; car comme tu le dis bien, on ne peut compter sur cette sorte de citoyens qui n'ont aucune parole. Quant au réemploi, je supposais se vous voir arriver bientôt et de vive voix on en aurait causé. Avez-vous décidé votre voyage ? Est-ce celui de Challes qui sera le premier ou celui de Metz ? Autant de demandes de ma part. Chez moi grâce à Dieu, la santé se maintient. Justine m'engage beaucoup à les accompagner à Dinard, moi, si tout reste au calme je préférerais rester ici. Certes s'il le fallait je n'hésiterais pas à quitter mais la situation n'est ni meilleure ni moins tendue : j'attends. Espérant te dire et recevoir quelques réponses à mes demandes, recevez tous les deux, Claire et toi, mes baisers les meilleurs

 Rifka

 

lettre de Rebecca à Yvan 18 juillet 1939

 Metz le 18 juillet 1939,

Mes chers Claire et Mig,

 J'ai été quelque peu surprise en recevant ta missive hier, en lisant, que votre voyage ici n'était pas encore décidé. Je veux supposer cependant que ce ne sont pas des raisons de santé qui vous obligent à ne rien préciser encore chère Claire. Inutile de vous dire que je serai très heureuse de vous posséder ici et que le changement de climat ne pourra, je crois que vous être favorable à tous les deux, la température est plutôt douce en ce moment

 T'ai-je dit, cher Mig, Edgar est venu m'inviter à la,Brasonila, mais pour raisons de santé, elle n'a pas eu lieu . Pour être agréable à Gaby, j'ai été samedi faire ma visite officielle. Elle est donc repartie ce matin pour Vichy, où elle attend tout son monde là-bas J'espère que si toutefois vous ajournez votre séjour ici à courant fin juillet ou août, vous m'en prèviendrez aussitôt que vous-mêmes en serez fixés, ce qui je suppose ne tardera pas.

 A bientôt donc chère Claire et Mig, recevez en attendant mes baisers bien affectueux

 Rifka

lettre d'Ivan Goll  Paris à Paula Ludwig Paris 1 août 1939 ImsL p.522/523

 

lettre d'Ivan Goll  Paris à Paula Ludwig Paris 2 août 1939 ImsL p.523/524/525

 

lettre de Rebecca à Yvan vendredi 4 août 1939

 

Vendredi 4 août 1939

Mes bien Chers

 Votre mot reçu hier m'annonçant votre arrivée prochaine pour lundi 7 m'a fait le plus grand plaisir et je me réjouis de vous revoir surtout Claire en meilleure santé s'il plaît à Dieu. Vous n'avez rien à regretter de ne pas être à Challes , jusqu'alors le temps des plus variables (il pleut si souvent) ne vous procurerait qu'une villégiature relativement agréable. Espérons que ces jours prochains vous nous apporterez le beau temps, c'est-à-dire le temps de la saison. Donc, convenu votre arrivée pour 12 heures 05 gare de Metz , je crois ? En cas de contre-ordre, un petit mot s'il vous plaît ce que je n'espère pas. À bientôt donc

 en attendant, recevez mes bien affectueux baisers R

 Rifka

P.S. : l'épaule de mouton est à 9 francs ici, donc cher Mig, ne t'en embarrasse pas. Quant aux questions Reichsbank , je crois que verbalement on décidera plus facilement

 

 

lettre de Rebecca à Yvan dimanche 6 août 1939

Metz, le 6 août 1939

Mon cher Mig,

 Je viens de recevoir ton mot m'annonçant un retard de quelques jours pour votre voyage en Lorraine. Je conçois fort bien que chère Claire hésite à quitter son home si sa santé est encore chancelante, car malgré le confort que l'on peut trouver dehors, on n'est pas chez soi. À dire vrai j'ai eu une petite déception parce que, votre arrivée était annoncée pour lundi et comme les magasins sont fermés à-demi, j'avais dû songer à quelques achats, qu'à cela ne tienne. Mais je tiens à te faire remarquer que le délai du 15 août expire la possibilité de l'arrangement Reichsbank, donc en conséquence renseigne-toi au reçu de la présente chez les banquiers allemands, d'abord à Zurich ensuite à Luxembourg pour connaître le prix de la liquidation des 22 restants.. Car sache que la première vente a été très déficitaire mais je crois que tu ne vois pas de même que moi à ce sujet. Donc entendu, écris de suite aux maisons citées plus haut afin que notre revente n'arrive pas après coup.

Bons baisers en attendant de vous revoir ,Rifka

 

P.S. : Donc agis de suite

À te faire remarquer à partir du 12 les Bourses sont fermées.

Je suis très désireuse de faire le transfert entre question le plus vite possible

 

Yvan et Claire auraient dû arriver à Metz lundi 7 août à 12h05 mais voyage reporté

 

Le 8 août un télégramme de Metz annonce à Yvan une fracture du fémur sa mère. Goll arrive par le train de nuit.

 

 

lettre d'Ivan Goll à Metz à Claire Paris 9 août 1939 en français MST p.250/251

 Metz 9 août 1939

 [mercredi]

 

Mon cher Ange,

Ce que j'ai vu ce matin en arrivant brise ma vie. Maman s'est brisé le col du fémur. Je crois que c'est très grave. Non point douloureux, ni dangereux en soi, mais incollable, il me semble.

Le médecin que je suis allé voir dès 9h. que la première et la seule chose, à peu près à faire : est de rester immobile !

Rester immobile, pour ma mère, qui avait le sang d'un salamandre, toujours vive, toujours active. Ne plus courir pour elle va être la plus pénible des épreuves.

Clinique : le médecin, elle y avait pensé ! Le médecin m'a dit que le vrai danger de ces cassures fréquentes chez les vieilles femmes, c'était le brusque changement de vie active et trépidante en immobilité forcée. Ça doit être insupportable. Elle qui courait comme une belette pour une chopine de lait ! Il y a danger de pneumonie après quelques semaines, pour des poumons qui ne s'essoufflent plus, qui ne travaillent plus.

Voilà comment c'est arrivé, le plus bêtement du monde: lundi, déjà à 2h., elle est tombée dans sa chambre devant son armoire à glace. Et que fit-elle ? Elle n'appela au secours, mit un quart d'heure pour se relever, puis se traîna, devine où, au lit ? Non, au Café Excelsior ! Ses amies la ramenèrent en taxi et appelèrent le médecin, qui ne se prononça pas sur le champ, mais il l'a fit radiographier hier matin, là se révéla la cassure.

Eh bien non, la clinique est une formule trop commode. La mettre entre des mains étrangères. Alors qu'aucun soin, aucun médicament ne sont applicables ! Simplement immobilité. La solitude là-bas aurait pour elle un effet désastreux : sans appétit, sans consolation. Alors qu'un fils est là et n'a rien à faire qu'à aller se promener à Challes.

Donc j'ai décidé de rester auprès d'elle, secondé par une femme de ménage. Dans ces conditions, que vas-tu faire ? Ton séjour dans cette maison sens dessus-dessous va être des plus misérables.

Si tu allais seule à Challes, au Château, tant pis. Je ne vois d'ailleurs pas d'autre solution : plus question pour moi de m'y rendre.

Enfin, réfléchis, réfléchissons.

Je commence déjà à expier mes années insouciantes, pourtant pas tellement gaies : voici d'abord les maladies des proches, puis suivront les miennes.

Je suis sur l'autre pente.

J'agite vers toi mon mouchoir en descendant ton Yvan

 

 

lettre d'Ivan Goll  Metz à Paula Ludwig Paris 9 août 1939 ImsL p.523/524/525

 

lettre de Claire à Paris  à Ivan Goll à Metz 9 août 1939 MST p.251

 9 août 1939

Chéri,

 Je suis très bouleversée. La pauvre maman ! Elle qui était toujours si alerte. ! Une des fractures les plus graves ; comment guérira-t-elle, et quand ? Un bon médecin l'a-t-il radiographié ? Est-elle dans le plâtre ? S'il te plaît, dis-lui qu'après sa guérison, il faudra absolument qu'elle vienne vivre avec nous. Nous ne la laisserons plus seule dans cette maison sombre. Sans doute, pour l'instant, elle devra rester étendue de longs mois. Mais, rue Dupont des Loges, il manque les conditions d'hygiène élémentaires pour un bon traitement. Elle serait beaucoup mieux dans une clinique. Quel souci pour nous tous, mon pauvre petit garçon !

 J'ai reçu ton télégramme alors que je revenais de l'ambassade américaine; le vice-consul m'avait priée par lettre de venir avec les passeports. Il m'expliqua aimablement que, le jour où nous apporterions les billets, nous obtiendrions les visas. Certainement, mais aussi les formulaires blancs; il faudra tout recommencer depuis le début. Enfin, cette question de notre destinée est maintenant totalement résolue.

 J'espère recevoir bientôt des nouvelles détaillées de toi et de l'accident.

 J'ai voyagé avec toi, sans sommeil, toute la nuit. Mon petit garçon aimé, je te prends tendrement dans mes bras et je vous embrasse tous les deux, bien des fois.

 Zouzou

 

Paula Ludwig à Paris à Ivan à Metz : lettre du 10 août 1939 *** IsmL p.526/527/528

 

lettre de Claire à Paris  à Ivan Goll à Metz 10 août 1939 MST p.251/252/253

 

 Jeudi

 [Paris 10. 8. 39]

Bien-aimé,

 Tu ne peux pas t'imaginer de quelle pitié profonde me remplissent ces nouvelles de ta mère. Je remarque à présent aux sentiments que j'éprouve, qu'elle m'est (malgré tout) beaucoup plus proche que je ne le pensais. Et je voudrais que tout soit fait pour lui alléger cette longue épreuve.

 Naturellement, tu resteras près d'elle, et je devrai donc me rendre seule à Challes. Néanmoins, j'aimerais auparavant lui faire une visite. Cela me paraît inévitable, et ce ne sera pas de ma part, un geste conventionnel, mais un geste parti du cœur; il est inutile que ce soit un long séjour, mais je suis certaine que, si pareille chose m'arrivait, elle viendrait me voir. Mais, veux-tu réellement la laisser étendue pendant des mois dans sa sombre chambre, comme au Moyen-Age ? Tu peux prévenir la congestion pulmonaire dont elle est menacée, en l'installant dans une maison de santé, avec jardin. En outre, une fracture ne peut guérir que lorsqu'elle a été réduite par un chirurgien, car sinon, à chaque mouvement (même inconscient pendant le sommeil), les muscles en jeu déplacent les parties osseuses en contact. Voir le Larousse Médical : "Dans certaines fractures, celles de la cuisse notamment, pour lutter contre l'action des muscles fléchisseurs qui tendent à faire chevaucher les fragments, on pratique l'extension avec certains appareils dont les plus usités sont les appareils de Hennequin, de Heitz-Boyer et de Tillaux. Dans certains cas, il est nécessaire de recourir à l'anesthésie pour permettre la réduction exacte des fragments." Cependant, notre Larousse est de l'année 1912, et de nos jours, un grand chirurgien s'y prend sans doute d'une autre manière. C'est ton devoir d'en consulter un immédiatement et de lui faire examiner Maman. Car chaque fois qu'elle urine, etc....les fragments d'os se déplacent. Comment cela pourrait-il guérir sans être artificiellement immobilisé ? En outre : il faut qu'elle soit frictionnée, massée tous les jours, pour éviter une atrophie des autres organes. Agis donc conformément à ton époque et non à la sienne ! Si tu la laisses ainsi couchée, elle mourra prochainement. Lorsqu'elle sera dans le plâtre ou dans un appareil, on pourra l'emmener de Metz en ambulance (mais naturellement pas, telle qu'elle est maintenant). Car enfin, tu ne peux pas la laisser périr sous les balles de Hitler.

Pense à la femme de Lindner, qui fut, elle aussi, après sa fracture de la hanche, si abîmée par un charlatan gênois, parce qu'elle alla trop tard chez Sauerbruch. Dans ces cas-là, il faut agir dès les premiers jours. Si son passage à l'Excelsior n'était pas aussi triste, on serait forcé d'en rire.

Ne te plains pas. Némésis, dans la mythologie, ne poursuivait pas seulement les parjures. Ne m'as-tu pas juré, l'an dernier (comme il y a une semaine), sur la vie de ta mère, de ne plus voir P. L. ? Ta santé et la sienne dépendaient de tes actes. Pourquoi restes-tu ici ? Le démon de P. L. nous a apporté en un an, beaucoup de malheur. Ma maladie de cœur, les passeports, l'épuisement de ta mère. L'ombre de cette femme est très noire. Que Dieu lui pardonne !

Je suis toujours avec toi, je t'embrasse ainsi que Maman.

 Zouzou

 

lettre d'Ivan Goll  Metz à Paula Ludwig Paris 11 août 1939 ImsL p.529/530

 

lettre de Claire à Paris  à Ivan Goll à Metz 11 août 1939 MST p.253

 [Paris vendredi 11. 8. 39]

Cher coeur,

 Un triste matinée : pas de lettre de toi, temps gris, mauvaises nouvelles. Avant-hier chez Chardonne, Delamain aussi bien que Müller ont refusé à cause de la forme épistolaire du roman *. Il m'a conseillé de l'offrir à Plon, qui pourrait plus facilement l'imprimer à frais d'auteur, puisqu' il a sa propre imprimerie., Poupet, qui part ce soir, me reçoit le matin à 11 h. Suis complètement découragés et sans force. Mon coeur s'arrête.

 Voici un formulaire de la Société des Auteurs, qui est à remplir.

 Toutes les personnes à qui je raconte l'accident de ta mère sont d'avis qu'avec une véritable fracture, on ne peut pas faire trois pas, encore moins aller jusqu'à l'Excelsior. Il faut que le médecin 'ait "monté un bateau", dit Monsieur Henry. Et sa femme m'a raconté que son grand-père, s'étant brisé le fémur à quatre-vingts ans, ne put plus faire aucun mouvement, fut tout de suite mis dans le plâtre, et survécut encore huit ans, après que la fracture eût été guérie en six mois. Il ne peut donc s'agir chez Maman que d'une fêlure ou de quelque chose d'autre.

 Consulte donc un chirurgien ! Envoie-moi les petits oiseaux de ton écriture ; si demain matin je ne les trouve pas sous la porte, je pourrai difficilement vivre tout le jour.

 En tout amour.

 Ta Zouzou

* Il s'agit du roman "La passion selon Jean" , écrit et dactylographié entre janvier 38 et juillet 39 qui sera publié à New York aux Editions de la Maison Française en 1941 sous le titre "Le Tombeau des amants inconnus".

 

lettre de Claire à Paris  à Ivan Goll à Metz 11 août 1939 MST p.254

 [Paris 11. 8. 39]

Petit coeur,

Trouvé à l'instant ta lettre, comme je revenais de chez Plon. Le meilleur remède pour mon coeur malade. Tout de suite, ça va mieux. Je ne pourrais sans doute plus tenir longtemps dans l'appartement. Le mieux serait que j’aille vous rejoindre. Peut-être dimanche, ou lundi ? Que conseilles-tu ?

 Ne cherche pas querelle au destin ! Maman aurait pu se blesser encore bien plus gravement. L'essentiel, c'est qu'elle ne souffre pas physiquement. Déjà une grande faveur. N'a-t-on toujours pas consulté un chirurgien ?

 Ai téléphoné tout à l'heure à Mihalovici, mais il n'était pas là. J'essaierai plus tard

Poupet ne voulut rien savoir du compte d'auteur. Il dit que Plon ne le fait jamais et que j'aurais ainsi encore moins de chances d'acceptation. Réponse à la rentrée.

 Par contre, Chastel, à qui j'ai téléphoné, a été ravi des imprimés offerts aux frais de l'auteur. Dès que le comité de lecture se réunira (début septembre), il fera lire le manuscrit en premier lieu et me fixera alors, cinquante manuscrits attendent déjà ce comité de lecture. En encourageant !

 Je tourne de-ci de-là, et je te vois surgir dans tous les coins, "le Lorrain volant", "Jean sans Terre", et je suis triste comme un petit chien qui a perdu son maître. Je me tiens debout dans ces coins, attends, écoute à la porte si tu ne viens pas : un peu égaré et mouillé de pluie. Je n'ai pas encore appris, depuis vingt ans, à manger sans toi, à rire et à vivre sans toi. Il est maintenant trop tard pour l'apprendre. L'école fermera bientôt.

 Je t'aime, que Dieu me vienne en aide, je ne puis faire autrement.

  Ta Zouzou

 

lettre d'Ivan Goll à Metz à Claire Paris 12 août 1939 en français MST p.254/255

 Metz 12 août 1939

 10H. du matin

 

Mon Angelette,

Ta lettre m'a fait beaucoup de peine ce matin. Cet échec chez Stock est bien pénible. Et tes autres démarches me laissent rêveur..

Aussi ne prolonge pas inutilement en séjour à Paris. Tu vas devenir tout à fait neurasthénique. Fais immédiatement et mâle et pars.

Si tu te décides de Metz, c'est demain à 13 heures 35 mais réfléchis encore : tu vas de nouveau perdre ici des journées précieuses. Et quelles fatigues : déballer, remballer.

Quand partiras-tu pour Challes ? tu sais que vers le vingt-quatre, tes journées rouges reviennent.

 Il faut que tu y sois avant. Sans cela, ce serait le 1 septembre, bien tard.

Puisque tu descendras au Château, autant y aller tout de suite. Tes préparatifs sont les mêmes. Ensuite tu reviendrais par Metz. Maman ne t'en voudra pas.

 Avec cette tension politique, ne vaut-il pas mieux en finir immédiatement avec Challes ? Le 28 août, les nuages recommenceront à s'amonceler.

 Voici encore 150 francs pour ton voyage. Ton train pour Chambéry part à 7 heures 30 de la Gare de Lyon, et arrive à 15 heures 40

 Prends un billet aller et retour valable quarante jours, en 2 ème cela doit coûter 350 francs.

 Peut-être, lorsque tu auras fini ta cure, Maman ira mieux, et nous pourrons songer à faire ensemble un grand voyage.

 Prends courage, je sais qu'il est difficile de partir seule, mais il le faut cette fois. Il en serait de même dans huit jours, si tu devais partir d'ici.

 Pas de sentimentalité. Inutile de faire une visite de convenance à Maman, elle t'en dispense.

 C'est d'ailleurs moi qui aurai eu le plus à souffrir de ton absence, je ne peux pas bouger de la maison, de peur qu'on sonne : le médecin ou une visite... Tantôt, c'est le vase de nuit qu'elle demande, tantôt du café...

 Dans ces conditions, tu partirais donc lundi matin.

 J’espère que cette lettre te parviendra encore ce soir +, je la porte à la gare pour le train de midi

 Mais enfin à une tu décideras toi même.

 Télégraphie-moi ta décision.

 Je t'embrasse

 Ivan

 

+ Non, elle ne peut en aucun cas te parvenir ce soir ; c'est pour cela que j'envoie le télégramme de 11 heures 30, afin que tu fasses tes préparatifs.

.

 

lettre de Claire à Paris  à Ivan Goll à Metz 12 août 1939  MST p.254

 [Paris samedi 12. 8. 39]

Très cher,

Reçu ta lettre ce matin et ton télégramme vers 1 H. La visite du second médecin est très rassurante, bien que je ne crois pas non plus que quatre semaines d'immobilité suffisent, pour guérir une fracture à cet âge là.

 L'argent me fait grand plaisir, car je vais encore aujourd'hui chez le coiffeur (toute ébouriffée comme je le suis de nouveau), et j'ai aussi acheté un costume de bain, étant donné que j'ai l'intention de partir lundi pour venir vous rejoindre.

 Challes est maintenant impossible. Jusqu'au 25 août, toutes les mansardes du Château sont retenues à des prix élevés. Je sais cela d'expérience. Et aussi, je hais l'animation. Il s'agit donc d'attendre un peu. Si je ne télégraphie plus, je serai partie lundi à 1h.35; viens alors me chercher à la gare.

 Aujourd'hui est arrivée La Revue du Rhin avec la critique et avec ton poème "La Cathédrale de Strasbourg", si beau qu'il m'a arraché des larmes.

 Quelle grandeur digne de Villon dans la tristesse, et cette fin :

 Et je réclame

 Ton doux baiser

 Grande Madame

  Pour m’apaiser

Quel grand poète tu es ! et comment ne t'aimerais-je pas !

 Ton éternelle élève t'embrasse avec fierté et admiration

 Zouzou

 

lettre d'Ivan Goll  Metz à Paula Ludwig Paris 14 août 1939 ImsL p.530

lettre d'Ivan Goll  Metz à Paula Ludwig Paris 21 août 1939 ImsL p.531/532

lettre d'Ivan Goll à Paula Ludwig Paris 25 août 1939 ImsL p.533/534

 

Télégramme d’Ivan à sa mère 25 août 1939

 Madame Kahn

 Clinique l’Espèrance

 Rempart Thiebaut

 Metz

 

 Espoir attends un jour pour évacuation  Patrons  hélas

 Adieu

 Mignon

 

 

Ivan à sa mère, à bord du Veendam 25 août 1939

  Veendam

 En rade à Southampton

 

 Ma chère Rifka,

 

 J’ai été arraché à cette terre lorsque le bateau partir du port d’Europe.

Que va-t-il advenir à cette merveilleuse France ? Et je pense à toi, chère maman, qui peut-être aujourd’hui samedi, as fait un voyage infernal pour te plonger dans la paix d’un autre havre ?

 Je pense à toi, je pleure, je suis si triste – et je voudrais déjà tant pouvoir revenir !

Vers toi , dans tes bras !

 Dans 4 semaines, s’il n’y a pas la guerre .

 Il faut l’espérer, des journaux le disent encore ce matin . et mon cœur le crie.

 Je t’embrasse bien fort !

 Je t’aime, maman !

 Excuse mon départ, il le fallait. Puisqu’il me fût possible !

 Bonne santé ! Grand courage !

 A bientôt

 Ton chéri

 Mig

 

 Et Claire t’embrasse en pleurant

SDdV 510.311 F

 

 

25 août 1939 : Ivan et Claire Goll quittent la France depuis le port de Boulogne à bord du Veendam, bateau Hollandais qui les mène à New-York le 6 septembre 1939.

Paula Ludwig devait partir fin août au Brésil où vivait sa sœur Martha et Nina Engekhardt

 

lettre d'Ivan Goll Southampton à Paula Ludwig Paris 26 août 1939 ImsL p.534/535

à traduire **

 

lettre d'Ivan Goll New-York à Paula Ludwig Paris 13 novembre 1939 ImsL p.535/536

à traduire **

 

Du 13 au 16 novembre Yvan et Claire essayèrent d'obtenir leur changement de visa auprès du Consulat Général de France à New-York mais ils restèrent ensuite sans

à préciser après traduction

 

lettre d'Audiberti à Claire Goll datée 11/12/1939 [à vérifier]

 

 Chère, chère amie,

 J'arrive de Marseille, je repars pour Marseille, mais; entre temps, je trouve votre télégramme, et je connais toute ma honte et tout mon remords. Pardonnez-moi, Claire, de ne plus pouvoir aimer, comme ils le méritent, et comme je le mérite, mes amis. La vie, de plus en plus, m'apparaît atroce.

Comment jamais plus pourrons-nous tirer quelque joie de nous-mêmes et de ceux que nous aimons quand des créatures à notre ressemblance, avec un corps comme le nôtre, souffrent ce qu'on souffert les incendiés de Marseille et les malheureux de Berlin et de toute l'Allemagne. Je suis si faible et si petit. Je ne puis rien. Je ne puis qu'augmenter, par ma propre détresse, le niveau de l'émotivité générale, l'aptitude du monde humain à la souffrance.

 Je sais votre tendresse, Claire, et combien mes silences, mes absences ont pu vous sembler peu amicales. Je suis pris, déchiré, tenaillé - par les besognes, la famille, ce terrible sommeil toujours insatisfait, ce poids d'organes et de grippe. Mais rien ne saurait me faire oublier mon amie, ma très grande amie Claire

  Jacques

 

SDdV Aa54 (232) - 510.299 III



[1] Chanson des Pêcheurs et des Goujons

[2] 7 mars, plébiscite : 99 % des allemands approuve la politique d'Hitler, le jour-même où le Führer, dénonçant le pacte de Locarno, fait pénétrer les troupes de la Wehrmacht dans la zone démilitarisée de la Rhénanie.

 

8 août 2010

correspondance 1930 à 1935

 1930

 

Ivan a quitté Claire le mercredi 26 février pour affaires littéraires à régler à Francfort

 

Lettre Ivan Goll  (Francfort/Main) à Claire à Paris du 27 - II - 1930

 Francfort/Main

 Hôtel Cour d'Angleterre

 jeudi 27. II. 30

Chère Susu,

 Cette nuit a été la plus chaude que j'aie jamais passée : seul dans mon compartiment, enveloppé de couvertures, de sweaters, couché sous mon manteau et par là-dessus, le chauffage marchait à plein ; j'ai transpiré mieux que dans mon lit, pour guérir ma grippe. Je suis arrivé tout frais à l'hôtel, en face de la gare. Meyer était déjà là, et le Dr Goyert. Meyer, un type qui n'a rien de juif, rien de rusé, mais des cheveux blancs et un visage rouge, m'a reçu avec beaucoup de cordialité. Nous avons parlé de plusieurs choses, rien de définitif. Demain viendra le Dr Brody, et alors seulement ce qui vaut la peine d'être dit sera jeté sur le tapis. Mais avec Meyer il fait bon vivre. Un " bon vivant " allemand.

 Le temps, magnifique. La ville, terriblement provinciale et ennuyeuse. Le Römerberg

(place de l'Hôtel de Ville), un joyau fait de vieilles maisons bariolées.

 Aujourd'hui, je n'irai sans doute pas au théâtre. Mais demain. Je verrai jouer une pièce, mais ne parlerai pas aux gens de théâtre.

 J'espère que tout va bien pour toi. J'ai dévoré toutes tes provisions, et toi ? pense à moi et nourris-toi bien.

Et sens mon baiser électrique, proche et lointain.

 Ivan

 

 

Lettre Ivan Goll  (Francfort/Main) à Claire à Paris du 28 - II - 1930

 Francfort/Main

 vendredi 28. II. 30

Très chère Suzu,

 Suite à la séance du Rheinverlag avec le Dr Brody. Le "livre blanc" s'est rempli. Nos poèmes d'Amour seront imprimés au printemps, après le Livre Blanc. Meyer et Brody sont réellement aussi gentils que l'est, de son côté Lohmeyer. Il y aura encore de beaux jours. Meyer s'est intéressé beaucoup aussi à "La Perle" et il connaît une bonne et nouvelle maison d'édition (dirigée par Kläber), à laquelle il va recommander le livre. Il est donc certain qu'il paraîtra bientôt en allemand. Les nombreuse autres affaires sont en suspens.

 J'ai téléphoné à Hanau. La lampe Sollux coûte ici 70 M = 468 frs, au lieu de 850. Mais demain samedi, j'irai là-bas : le directeur connaît tes articles E. T., s'y intéresse beaucoup, et je crois que nous pourrons obtenir un prix de faveur.

  Au théâtre, hier soir (une représentation berlinoise de Jules César, vraiment tout à fait remarquable, avec des batailles mouvementées sur la scène tournante !).

 Parlé au Sassheim, ou plutôt au Sassheimchen : un petit Juif tout contraint, tout intimidé. N'a naturellement jamais le temps. Kronacher est à Leipzig, revient demain, et m'a fixé un rendez-vous pour dimanche. Il faudra que j'agisse avec diplomatie.

 J'ai également porté l'Erika à la succursale d'ici : vis neuves, cylindre neuf et nombreuse réparations sont indispensables, qui coûtent 15 M. (prix ridicule) et seront terminées lundi.

 Un soleil merveilleux, Pré-printemps. Comment vas-tu ?

Vais-je recevoir une lettre ? Je pense beaucoup à toi : toutes les heures, je me dis : à présent elle fait ceci, à présent elle fait cela. Demain chez les Clermont-Tonnerre cela promet.

 Je te prends toute dans mes bras.

 Ivan

Claire (Paris) à Ivan (Francfort) 1er mars 1930

  19, rue Raffet, Paris XVIème

 samedi (1er mars 1930)

 Chéri, à l'instant ton télégramme ! En remerciement, ce baiser ultra-rouge de mes lèvres à la fin de cette épître. Quel type tu es ! A présent, j'espère seulement que tu auras de la chance au théâtre et qu'une lampe Sollux s'allumera sur ton talent. Et remets-toi bien à la campagne, car Francfort est sûrement la campagne à côté de Paris.

 Dis à Meyer que je le supplie d'arracher mon "Allemande" aux serres de Wasservogel. A quel éditeur pense-t-il pour "La Perle" ? Rütten et Loenig à Francfort ? Les histoires d'animaux sont chez l'imprimeur. Une dame, Kate Hirschmann, a envoyé un pneu au sujet de Pascin pour Vanity Fair. Elle voulait publier quelques reproductions et ta photo. Je lui ai répondu par pneumatique, qu'elle trouvera cela chez Martinie.

 Amy Linker m'a fait une robe délicieuse. Avec Patou, rien pour l'instant, bien qu'hier il soit entré et se soit assis sur le bureau de Bernard, pour se faire admirer, ce dictateur des tissus, si avare. Dans une heure, Georges Devereux viendra me chercher pour aller au cocktail de la Duchesse de Grammont. Ainsi donc, prends ce baiser comme acompte.

 Ta Susu

 James Joyce m'a chanté un beau Lied au piano.

 C'était ravissant :

  " The dark-haired girl " était le titre. Sentimental et triste.

 

Ivan Goll rentre le 3 ou 4 mars et repart le 5 août pour Largentière travailler sur un scénario de Film avec Walter et Nina Ruttman. Il y restera jusqu'au lundi 18 août.

 

Claire (Paris) à Ivan (Largentière) 6 août 1930

  mercredi matin 1930

 Ceci est une goutte de pluie,

 Je suis couchée à la fenêtre

 et il pleut à verse

Chéri, petit cœur,

 J'ai encore voyagé toute la nuit avec toi (comme toujours). J'étais couchée dans tes doux yeux bruns. Quelquefois, je les grignotais Les gâteaux de miel sont rares en France. J'espère que tu as là-bas du soleil et beaucoup de joie.

 Je viens de faire faire le ménage à fond de ta chambre. Toutes ces pensées méchantes et aimantes à mon sujet, qui voltigent partout, les voici dévorées par l'aspirateur !

Perpetuum vacuum mobile.

 Et les 150 frs suisses du Rheinverlag ont été payés, et l'argent pour moi vient justement d'arriver.

 Ce soir, Maria est avec moi, et la femme me fait la cuisine, en revanche l'après-midi.

 Les pigeons sont venus dès le petit matin et n'ont pas voulu manger, par ce que tu es parti. Les vignes laissent pendre leurs feuilles et l'acacia secoue sa belle chevelure verte. Avant-hier, j'étais enceinte de tristesse, mais à présent, cela va mieux ; je fais des progrès en gaieté et j'attends angéliquement, comme un ange de Fra Angelico, l'annonce de ton retour à la maison.

 Rodier m'a fait cadeau d'une couverture extraordinaire, une prairie de cachemire. Récemment, il n'a donné à Colette qu'un châle. J'ai presque honte - mais seulement presque. C'est une couverture céleste, on voit tout de suite qu'elle est faite avec la laine des chèvres qui vivent au Tibet à une altitude de 5000 mètres. Sous cette couverture, j'apprendrai à voler et à rimer, et à faire des poésies sur " petit cœur ".

 Au revoir, vis bien, - mieux que jamais ; bonjour de ma part à Rut (°) et à "Niemann". Et écris bientôt. Envoie à la cousine Lucie le Mont Elimar et à moi la fleur blonde du midi, et salue aussi de ma part Zouzou, si tu la rencontres.

 En amour,

 Ton Vani

 

 (°) Walter Ruttmann

 

extrait d'une lettre Ivan Goll (Largentière) à Claire à Paris  du 7 août 1930

 7 août 1930

Et c'est pourquoi, Aimée, tu ne dois pas être triste si j'aime à présent ton œuvre, c'est-à-dire moi, plus que son sculpteur. Si je suis heureux dans la solitude. Si je m'épanouis dans les sentiments dont tu m'as fait don.

 Oh, tu meurs parce que tu ne me touches pas ? Mais moi, je crains ce qu'il y a de périssable dans le contact. C'est pourquoi j'ai fui. Mais vers moi-même, vers moi seul. Parce que j'aime plus l'amour que l'accomplissement.

 

Lettre Ivan Goll (Largentière) à Claire à Paris du 8 août 1930

 Largentière

 vendredi 8 août 30

 Chère Zouzou,

  Comme elle était douce, ta lettre de pluie, écrite mercredi. Par contre, ma lettre de soleil, écrite hier, était beaucoup plus âpre. Pardonne. Mais je ne serai pas délivré de mes soucis, tant que tout ne sera pas fait pour protéger contre les éléments terrestres ta gracilité de fée. Ce stupide mois d'août, si pluvieux qu'il soit, sera bientôt fini, et il est vraiment très important que tu fasses encore ta cure à Challes. Comme je te l'ai dit, je reviendrai peut-être seulement à la fin de la semaine prochaine, et tu gaspilles à Paris tes meilleurs jours. C'est pourquoi je te conseille ce petit effort : quand tu seras assise dans le train, tu seras contente.

 Nous travaillons à trois au découpage : le matin, l'après-midi, le soir, - étendus dans une prairie ou assis à une table sur la terrasse.

 Largentière, une très vieille ville, avec des ruelles mal famées, des balcons en ruines. Beaucoup d'animaux pour le film sonore : ânes, chats, et tout autour une nature de "midi moins cinq", comme dit Nina. Vraiment très aimables, Rutt et sa femme, et quand le film sera réalisé, j'aurai certainement collaboré à une belle œuvre d'art. C'est seulement au travail que l'on constate combien Ruttmann a un talent symphonique et pictural !

 Très dommage que tu ne sois pas la quatrième dans cette coalition, mais, à l'exception de nos rires retentissants, - tu ne supporterais pas les menus.

 Je te caresse la plante des pieds

 Ivan

 

Lettre Ivan Goll (Largentière) à Claire à Paris du 10 août 1930, terminée le 11

 Largentière

 10 août 30

Très chère Zouzou,

 Il faut que je te parle un peu de notre vie à trois, ici. Ruttmann * et Nina sont très cordiaux à mon égard, mais ils forment un tout, et je reste en dehors. Ils sont terriblement amoureux, surtout Nina, et il est souvent difficile de supporter le spectacle de cet amourachement, bien qu'il soit absolument sincère et senti. Nous travaillons toute la journée, à partir de 9 heures du matin, et l'après-midi dans une prairie, sur les collines qui surmontent la ville. Crissement de grillons, ombre des châtaigniers, et tout près de là, des pruniers dont les fruits mûrs nous rafraîchissent. Chacun déballe ses idées. Ruttmann dirige, il a la parole, et j'écris en français ce qui est accepté. Mais la discussion est quelquefois difficile, précisément à cause de cet amourachement. Ruttmann parle sans cesse en fixant Nina dans les yeux, c'est pour elle qu'il invente. Tout dépend de son approbation. Quand il a trouvé quelque joli effet, elle fait des yeux de bienheureuse, se colle à lui, pleine d'admiration, baise sa main, son épaule ou sa joue mal rasée. Ils travaillent d'un seul élan, pour ainsi dire l'un dans l'autre, le jour et... la nuit, et j'ai souvent de la peine à les convaincre de certains changements dans les vers. Souvent, le travail continue encore, le soir, dans leur chambre. Nina dit que c'est une tâche historique, car ce sera le premier film sonore construit selon des lois internes, comme une symphonie de formes picturales et tonales. Je crois que nous avons déjà découvert beaucoup de choses neuves, fondamentales pour l'art du film sonore. Quelque chose comme les premiers jeux mystères.

 Et cependant, le séjour ici est pour moi très rafraîchissant. Je t'ai déjà écrit quelles débauches nous faisons en ce qui concerne la nourriture. Aujourd'hui dimanche, par exemple, il y avait le matin des brioches faites à la maison, avec le café ; Ruttmann nage dans la joie à cause du vin rouge qui coule sans arrêt. Je sors dès 6 heures du matin et je fais une marche de deux heures à travers les vignobles. Les repas sont très animés. Nous rions beaucoup. Mais tout cela reste naturellement sain et sans apprêts. Pour toi, ces assiettes seraient trop mal lavées et chaque rôti contreviendrait à ton régime. Dommage tout de même que tu ne sois pas ici. Le temps est aussi beau qu'on peut souhaiter : pas encore une goutte de pluie depuis notre arrivée, seulement des nuages deci-delà, pour qu'il ne fasse pas trop chaud. Une chaleur prolongée, ici, serait sans doute pénible. Je me remets bien, et suis déjà tout bruni.

 Toi seule me cause des soucis. Depuis ta première lettre, je n'ai pas reçu de nouvelles, et ne sais ce que tu as décidé au sujet de Challes. Peut-être une lettre arrivera-t-elle à midi ?

 Dimanche midi - Pas de lettre. (Seulement l'imprimé, merci).

 Lundi midi, toujours rien ? !

Je viens de te télégraphier pour te dire :

 1) que nous restons ici jusqu'à lundi prochain le 18 août : nos billets peuvent être prolongés avec un petit supplément.

 2) que j'espère apprendre qu'entre temps, tu es enfin partie pour Challes. Un petit effort, et tu y seras. Quelqu'un t'aidera bien.

 3) que je t'appellerai demain matin au téléphone, pour entendre à nouveau ta voix d'oiseau. Si tout se passe comme je l'ai prévu, je pourrai aller te voir à Challes le mardi 19 et rester 2 ou 3 jours près de toi, mais pas davantage, car je ne dois, sous aucun prétexte, laisser les Ruttmann livrés à eux-mêmes, tant que le manuscrit n'est pas terminé et envoyé. Mais avant la version définitive, il faudra sûrement encore deux semaines.

 Continue à me faire confiance et à aimer ton

 éternellement dévoué

 Ivan

 

* Ivan et Walter Ruttmann font ensemble un scénario.

 

Claire (Paris) à Ivan (Largentière) 11 août 1930

  lundi après-midi

  (Paris 11 août 1930)

Chéri,

 Merci pour ta chère lettre. Je pars jeudi pour Challes et te confirmerai encore mon départ télégraphiquement. Mais vraiment, tant qu'il pleut et vente de la sorte, je n'ai rien perdu à ne pas être là-bas.

 Je suis heureuse de savoir que vous travaillez si bien et que vous avez beaucoup de soleil. Sûrement, tu reviendras bruni et fort, les poches pleines de poésies et l'âme pleine de fleurs. Fifi est perché là et bat de ses ailes blanches, comme s'il voulait applaudir au fait que je vole vers toi, là, dans ma lettre. Je vole vers toi, en effet, souvent, - plus souvent que tu ne penses, et je te caresse. Aujourd'hui, j'ai regardé longtemps ta photo et j'ai causé avec elle.

 Ce soir, je vais avec Maria à la sauterie, au Bal des coeurs de la rue des Vertus. Quels doux noms, n'est-ce pas ? Ensuite, je dormirai près de toi, cela me fera grand plaisir.

 Ma "Salade" a paru, ainsi que 2 articles géants d'Iris Scarawaros sur moi, - à Athènes. Je ne peux pas bien t'écrire, car j'ai égaré mon stylo et j'écris avec de l'encre et une plume appartenant à René. D'ailleurs, les Claudel sont charmants, ils m'apportent à manger et prennent soin de moi d'une manière touchante. Ne sois pas inquiet, je suis bien remise et je me sens, pour le moment, en excellente santé. - J'ai écrit à tes gens, mais sans parler de ton voyage. - Je viens de réfléchir : si tu reviens lundi, je pourrais, au fond, t'attendre ici ; il doit faire à Challes un temps épouvantable. Ici, au moins, je peux chauffer. Télégraphie-moi tout de suite, pour me dire si je ne dois pas t'attendre.

 Je t'embrasse avec une grande tendresse.

 Ta Susu

 

Claire part le 14 août pour Challes. Ivan revient à Paris le 18 août 

 

Lettre Ivan Goll (Paris) à Claire à Challes-les-Eaux du 22 août 1930

 Paris 22 août 30

Très chère Zouzou,

 Fausse alerte ! Mon télégramme d'hier " Réconcilié avec les Ruttmann" avait été possible dans l'émotion de notre revoir. J'ai rencontré le couple hier matin, à son retour de ce long voyage. Nous devions nous mettre d'accord, recommencer à collaborer, et c'est aujourd'hui seulement que je devais apporter le contrat...

 Et aujourd'hui, après une nuit, les visages étaient redevenus sombres. On a discuté par-ci par-là, marchandé : nous avons fini par reconnaître que, dans ces nouvelles conditions, un travail en commun n'est plus souhaitable. Donc, tout est bien, voilà une solution claire, au moins et mon inquiétude de ces derniers jours est tombée comme une fièvre. Terminé. Un contrat a été fait, dont je te parlerai...

 Ah ! que tes trois cartes étaient délicieuses ! elles signifient pour moi un langage plus intime, plus de soins et un souvenir profond. J'ai grand besoin de ton amour, j'ai tant souffert ! Et j'ai tant besoin de sécurité pour achever mon drame futur !

 Lundi, je pars pour te revenir. Tout, tout ce que tu as noté te sera apporté. Il faut encore que je lise à la Bibliothèque les documents "Mélusine". Une dame très mystérieuse, sur laquelle on a peu écrit, à ma grande surprise. Eh bien, Mélusine sera donc de moi.

 Voici quelques photos que j'ai été chercher au magasin où on les a développées, et que j'ai reproduites immédiatement pour toi. Très bonnes, avec cet appareil bon marché !

 Oui, je t'apporterai aussi Contrepoint : entre nous, Colombat a puisé sans savoir dans le dernier feuilleton de Jaloux, dans Les Nouvelles Littéraires. J'aurais aussi bien pu te le dire.

 Travailles-tu ?

 Avec tout mon amour

 Ton

 Ivan

 

 Il ira retrouver Claire à Challes le lundi 25 août. Ils restent tous deux à Challes jusqu'au 13 septembre car Claire rentre à Paris. Ivan reste dans la chambre d'hôtel de Claire pour travailler sur sa pièce Mélusine sans doute jusqu'au 20 septembre.

 

Lettre Ivan Goll (Challes-les-Eaux ) à Claire à Paris du 14 septembre 1930

 Dimanche 14 sept. 30

Chère Zouzou,

 Ta petite lettre, avec le lambeau de nuage, vu de ce train, m'est arrivée en voltigeant, aujourd'hui déjà à midi, - tout à fait inespérée en ce premier jour de solitude, - jour sans distribution de courrier. Sache le tout de suite, l'argent suisse est tout de même arrivé hier soir, et malheureusement trop tard. Il suffit tout juste à payer la dernière note d(hôtel, et peut-être aussi la prochaine, ainsi que le voyage. C'est pourquoi je ne t'ai rien envoyé aujourd'hui.

 Il est beau d'habiter ta chambre, et rien de ta nervosité n'était resté sur l'oreiller, j'ai dormi magnifiquement bien, sans moustiques.

 Mais quelque chose de ton esprit plane cependant entre les murs et m'environne, tandis que je travaille à la Mélusine. Aujourd'hui, j'ai achevé à peu près le premier acte. Mais si je compte, de plus, 2 jours pour dactylographier chaque acte, je n'arriverai pas à partir d'ici avant la fin de la semaine.

 Le temps continue à être frais et pluvieux. Pietro est très gentil pour moi

 Mais seulement une portion de glace. A part ça, rien de changé.

 Prie pour Mélusine et pour ton

 Iwan

 

Claire (Paris) à Ivan (Challes-les-Eaux) 17 septembre 1930

  mercredi

Chéri,

 Merci pour ta petite lettre. Il arrive à Mélusine la même chose qu'aux lézards : quand on leur arrache la queue, elle repousse par petits bouts. Tu lui en as greffé une neuve : espérons qu'elle sera dix fois plus belle que l'ancienne.

 Ici, il n'y a rien de nouveau. Le courrier manque tout à fait de tempérament. Seulement, une charmante lettre de remerciement de Cassou, dans laquelle il dit qu'en octobre (à la rentrée de tout le monde), il écrira quelque chose de beau sur nous. Les truffes ont eu, cette fois-ci, une puissante action sur l'âme.

 Les Clauzel me réconcilient avec la nourriture et sont délicieux. Achète pour Madame Clauzel des truffes que tu lui rapporteras (si tu as, à Chambéry, le temps de faire cet achat) ; aux petites filles, j'ai apporté, tu le sais, les bracelets. Il faut que nous leur donnions quelque chose en échange de tout ce qu'il font pour nous.

 As-tu été avec Simone chez la "Madone noire" ? Salue-la cordialement de ma part, ainsi que Muttery. Et aussi Pietro, Etienne et Dufour.

 Je travaille à des articles et je chauffe ma chambre, car il fait froid et il pleut.

 Les pigeons m'ont fait un accueil suave. Fifi s'est perché sur mon bras (Renée en est témoin) et m'a picorée avec zèle. Puis il a posé une petite patte sur la vigne, étendu une aile au-dessus de ma main et a pris doucement les miettes de pain dans mes doigts. Il t'envoie un baiser de pigeon et je t'en envoie trois, cela fait quatre.

 Avec amour

 Ta Zouzou

 

 

Tout le courrier conservé du

Marquis de Casa-Fuerte Alvarez de Toledo à Claire 1931 et 1932 ?

 

Samedi matin

 

Mon Eliane, mon Amour ! J'aurais du partir ce matin pour le Basilicate (?) et je ne pars pas.

A la suite de mon voyage à Naples, aux cours à la recherche des fiefs abandonnés est retardée. Le cousin qui est intéressé comme moi bien qu'en des proportions moindres, à cette retadication (?) m'avait promis son aide et m'avait dit de m'entendre avec son homme d'affaires qui est à Naples, et c'était pour voir cet homme d'affaires que j'avais pris le chemin de ma ville natale. Mais cet homme m'a dit que pour le moment mon cousin ne pouvait pas disposer d'argent. Je ne veux pas faire face seul aux frais que cette affaire exige. J'ai déjà dépensé pas mal d'argent pour cela. J'attendrai donc ou son concours ou le concours de quelqu'un d'autre ou de pouvoir le faire seul. D'autre part, une affaire, qui avait l'air de marcher bien, me semble compromise. C'est, tu le vois, mon Ange, toujours les obstacles qui surgissent devant moi, qu'il faut que je vainque. Tu me trouves un peu découragé, mais cela passera. Tu sais que je tiens bon. La solution, je l'aurai ici. Il faut que cela soit. J'ai reçu de Marseille mon premier acte copié à la machine, mais en un seul exemplaire alors que j'avais demandé deux exemplaires. Comme cet exemplaire contient des fautes, il faut que je l'envoie corrigé à Marseille. Je vais leur demander de m'envoyer un double exemplaire du texte, car je veux t'en envoyer un.S'ils ne le font pas, je le ferai copier quelque part. Mais, tu ne me dis rien de ta date. Je vois qu'ils ne se pressent pas beaucoup à Marseille et je ne sais pas quand ils pensent faire partir ma pièce. On me la demande pour Rome : on m'a déjà offert de la traduire en italien mais j'ai prévenu que la censure ne la laisserait pas passer; et puis, je ne vois pas quelle troupe italienne pourrait bien la jouer. On m'a offert, en outre, de la donner ici, en français, dans une salle privée - peut-être à l'Ambassade de France - et que je prie un des …

…"Grosse " affaire et à 3 h avec Aymard

Eliane, je t'adore

 Illan

 

 1931

 

…3h½ - Je t'écris d'un petit café de la rue Réaumur. Aymard m'attendait chez lui, mais pour sortir car il devait aller à la Liberté, de sorte que nous avons parlé en cours de route, dans son auto. Je m'occuperai pour lui trouver quelque chose de très sérieux et important dans quelque grosse société. Je t'en ai déjà parlé, mais, c'est si difficile actuellement et les plus florissantes sociétés réduisent leurs frais et leur personnel. C'est une question de patience encore. Aymard peut beaucoup de par sa situation. Nous verrons. Il faut s'en remettre dans la main de Dieu, s'aider - Aide-toi, le Ciel t'aidera, dit le vieux proverbe. Continuons donc à lutter - Chaque jour suffit à sa peine - Ayons courage -

Le vacarme de cette rue est assourdissant. Mon Dieu, avoir du silence et un peu de calme -, une vie faite de douceur — Je vais reprendre ma vie, mes gens, mes rendez-vous. Je viens avec toi. Cette lettre est la dernière à Bühl (°). Ne maigris plus. - Plana a mangé devant son petit lit et Jean devant son vileau(?). C'était exquis pour moi de les voir devant ces jouets que tu as choisis et que tes mains ont touchés.-

Reviens à Paris en bon état. Dis "au revoir" à Bühl, aux astres, au paysage, à la gare. Dis à toutes ces choses que nous reviendrons si Dieu veut.

 Je suis à toi, mon Eliane, pour

 toujours

 ton Illan

 

(°) Claire fait une cure à Bühlerhöhe-Baden du 31 mars au 14 mai 1931

 

(SDdV 510.306) ¹

 

Dimanche soir  10h½

Mon Eliane adorée, Je suis encore tout bouleversé par le son de ta voix.Elle était si claire, elle reflétait si bien ton âme, elle était tellement toi. - Cette semaine doit être une semaine décisive pour moi, pour nous. Les Grosses affaires que j'ai en train doivent se décider cette semaine. Je ne parle pas de l'hôtel de l'Av. Hoche montré à l'Anglais qui a eu une très bonne impression, mais cela ne se fera que dans quinze à vingt jours, ni dans la vente de quinze immeubles rue Marbeuf pour 70 millions, au sujet desquels j'ai rendez-vous mardi, mais j'ai une ouverture de crédit qui devrait être faite avant la fin du mois et sur cela, je compte bien - je serai fixé mardi -, et un prêt hypothécaire de 70 millions qui devrait être décidé également dans le courant de la semaine - J'ai l'affaire Ummeyer, mais elle ne se fera pas de suite, et j'ai demain peut-être la vente d'un Watteau que je montre dans l'après-midi — Pour la Grande Armée, qui aurait été signée sans nous, je ne sais pas encore si l'affaire est faite. - Mercredi, j'ai un Conseil d'Administration pour la Société de Produits chimiques dont les gens de Toulouse se disputent avec ceux de Paris, mais j'ai été diplomate et je suis bien avec les deux groupes. Pourrai-je partir Samedi matin si ma présence ?

 

(mardi)

 

Je ferai tout ce qu'il faut pour partir samedi. Je n'ai pas d'argent. Je tâcherai de m'en procurer pour cela. Demain, je dois avoir une réunion pour la Société de Produis chimiques qui me doit de l'argent et je demanderai un acompte aux gens de Toulouse qui tiennent à être bien avec moi - Je te montre tous mes trucs !

Ce qui pourrait me retenir, ce serait la signature pour samedi ou lundi d'une affaire importante et qui serait, mon Ange, le sauvetage complet * Mais je ne puis y songer.

 je t'aime

  

mardi 3 J.

 

Mon Eliane, mon Amour. Tu as eu raison de me parler de tes ennuis matériels : je te l'avais demandé et je ne t'ai jamais caché les miens. IL faut savoir le plus possible de celui que l'on aime. Je veux te parler tout de suite de la reconnaissance. Ecoute-moi bien - Tu te rappelles quand, en juillet, j'étais désespéré de ne pouvoir envoyer 50 francs pour ta chaîne ? En quittant Paris, ne décembre dernier, j'avais donné la reconnaissance à Mr Mangin, 5, Bd des Italiens qui m'avait avancé 50 frs. dessus. J'avais payé les intérêts (5 frs. Par mois) sauf une fois, que je t'avais priée de lui envoyer cette forte somme - C'est lui qui s'est chargé de payer les intérêts au Mont-de-Piété après les 6 mois, il a payé et m'a fait savoir combien je lui devais. Cela formait une cinquantaine de francs, et c'étaient ces cinquante francs que je voulais lui envoyer. Voici une carte de lui, pour que tu saches bien son nom et son adresse et voici une carte de moi pour que tu règles avec lui. Car il y a les deux hypothèses : ou bien il a laissé vendre le bijou, et je ne le crois pas car il a renouvelé à l'échéance, ainsi qu'il me l'avait écrit, ou bien il a continué l'opération. Enfin, va le voir. C'est un brave homme, malgré le métier qu'il exerce. En lui payant les cinquante francs et les quelques mois d'intérêts jusqu'à présent, il devrait te rendre la reconnaissance. Et alors, tu pourrais alors dégager la chaîne et la vendre si tu veux ou bien la garder. Tu peux te défendre avec lui, car en lui donnant la reconnaissance sur laquelle il m'avait avancé 50 frs., je lui avais dit qu'il s'agissait d'un ami qui m'avait demandé de lui rendre ce petit service, dans ce cas, c'est toi l'ami — Comme il m'est pénible de savoir que tu te débats dans de misérables ennuis d'argent, mon Eliane, et de ne rien pouvoir pour le moment ! J'ai accompli, comme je te l'ai dit, plusieurs petits miracles qui m'ont permis de vivre et d'envoyer quelques francs à St-Brion (?) pour mon petit Jean. Ne meurs pas de faim, mais depuis que je suis rentré à Rome, je n'ai pas pu donner un centime à l'hôtel Hassler (?). Je dois deux mille francs. On ne me fait pas d'ennuis, car ils me connaissent. Mais cela ne peut évidemment pas durer longtemps.

 

(SDdV 510.306)

 

carte de visite Marquis de Casa-Fuerte

  Alvarez de Toledo

avec ce texte :  et au dos

____________________________________ __________________________________

 

 Cher Monsieur Mangin,   de l'hiver dernier. Je lui don -

 je vous présente Madame 

   ne, à cet effet, les plus am -

 Marquis de Casa-Fuerte    ples pouvoirs.

  Alvarez de Toledo  

   Croyez - moi, votre

 Claire Lang qui vient régler

 la petite opération Casafuerte

____________________________________  _________________________________ SDdV 510.306 ¹

 

1 b.

Vraiment Saint-Pierre m'a toujours donné de cruelles désillusions. Cette majestueuse froideur, ce colossal du pompeux, ces statues représentant des géants de l'histoire de l'Eglise, ces mosaïques trop reluisantes, ces colonnes torses païennes. Il est vrai que les anges du Bernin sont merveilleux encore qu'énormes, que la grande place bien connue est magnifique, et d'une proportion et d'un dessin uniques –

J'ai voulu aller au bureau de Poste du Vatican. Un garde suisse, trouvant que j'avais probablement que j'avais l'air peu étranger, puisque je n'avais pas de guide à mon bras, m'a demandé avec un accent germanique ce que je désirais 

ce sont tous des suisses allemands – Je lui ai répondu que je voulais acheter des cartes postales  Le bureau de Poste est allemand 

 On y parlait toutes les langues et des Français jacassaient comme aux Galeries Lafayette 

Je suis allé déjeuner dans un restaurant hongrois, juste en face de Saint-Pierre, d'où je t'écris. J'ai mangé du jambon, bien entendu de Prague,, du Goulasch, du raisin, que je pense venu de la campagne romaine, et j'ai bu de la Pilsner Urquell. Je suis dans un charmant Schattiger Garten. Les tables sont occupées par des citoyens de l'Europe centrale, sauf quatre séminaristes anglais. Le toit est en verdure, est au centre, il y a un petit bâtiment qui a les prétentions de grandir. Voici la photographie du Garde qui m'a interpellé tout à l'heure. Son costume a été dessiné par Michel-Ange. Mais pourquoi suis-je seul à cette table ? Pourquoi n'es-tu pas avec moi, mon Ange ? Pourquoi es-tu seule à la table de Challes ?

Je rentre en Italie !

 Je t'aime

 

 Illan

 

De l'Hôtel 6 h.

 

Mon Eliane, En Italie, j'ai retrouvé Peppino, que je quitte à l'instant. Demain matin, nous irons avec son auto à Baliano (?). Je viens de télégraphier là-bas, pour qu'on nous attende. J'espère bien tout régler, revenir ici demain soir même. Lundi matin, je te télégraphierai car je pourrai fixer mon départ. Peut-être pourrai-je partir mardi matin et être dans tes bras mercredi-matin.

 Mon Amour, mon Amour, à toi tout moi

 ton

  Illan

 

 Lettre Ivan Goll (Berlin) à Claire (Paris) du 1.II.1931

 Dimanche 1. II. 31

Chère Zouzou

 

Je vais te faire mon rapport sur le Bal de la Presse ; ce n'était pas un bal, mais une promenade triste à travers les salles du Zoo. Dans une des salles principales, il y avait une loge officielle et le flot des fracs et des redingotes tournait autour de cette salle, en rond, comme dans une cour de prison. A d'autres tables, étaient assises des délégations de grands-mères avec leurs diamants, celles du monde théâtral et du cinéma, avec de jolis dos, celles de l'armée avec des croix de fer, etc... Effrayant ! Chacun n'était là que pour lui-même. Chacun voulait être contemplé bouche bée. Il en résultait que personne ne voyait rien, ni n'était vu. Ensuite, il y avait les tables. Ceux qui se connaissaient s'étaient rassemblés en constellations. Là, on était entre soi, comme à la maison. Je connaissais seulement les Stern, qui avaient à leur table les invités habituels de leur salon. Mais, Betty par ailleurs a été très gentille : elle me prit par le bras pour faire un tour dans les alles, et à chacune de ses relations, elle criait : c'est Ivan Goll ! A vrai dire, cela leur était terriblement égal. Mais, tout compte fait, ça a fini par deux conversations plus tranquilles avec deux dames intéressantes : Sibylle Binder, qui était magnifique : longue robe de soie blanche, petit boléro de dentelle noire, gants et souliers rouges. Le raffinement même. Et Agnès Straub, avec qui je me suis aussi beaucoup promené.

Plus tard, nous allâmes au bal masqué de la Volksbühne, où c'était plus gai, naturellement. Là, Mme Straub m'a présenté au metteur en scène Aufricht, qui s'écria : « Je sais, je sais déjà ! vous avez 2 pièces, Mme Stern me l'a dit tout à l'heure. Apportez-les moi !» Aufricht a le théâtre du Kurfurstendamm. Etaient également présents Francesco et Mendelsohn.

 Aujourd'hui dimanche, la journée s'est présentée tout autrement. Georges Manfred, qui habite maintenant à Berlin, 10, rue Bach, près de la gare Tiergarten, avait invité les gens les plus en renom à une discussion sur le "drame contemporain ", le drame didactique: il y avait Brecht, Döblin, Diebold, Faktor, Herzfelde, Wolfenstein, Willy Haas, Kersten, Guilbeaux, Cranach, Carola Neher, Marina, Werner Hegemann, etc. etc…Rien que des chefs de file.  Donc, en face de ce bloc, Brecht dont on a représenté récemment un drame didactique communiste "Die Massnahme ", et qui affrontait ces artistes et ces critiques, pour la plupart libéraux, avec une superbe et une ironie que j’admirais, prit la parole. La discussion déviait sans cesse et s’éloignait du sujet, c’était un chaos incroyable d’idées, de thèses différentes. On n’arrivait pas à y voir clair. Et comme s’était bienfaisant pour moi, qui ne pris pas la parole, d’observer cet abîme de sottises émanant de porte-plume les plus lus ! Seul, Brecht était supérieurement brillant.

 Georges Manfred et sa femme, très gentils. Nombreux sont ceux qui ont demandé de tes nouvelles. Il y avait des petits fours et des boissons de premier ordre. Mais une réunion de ce genre n'a lieu qu'une fois ou deux dans la saison.

 Demain, une nouvelle semaine commence. Jusqu'à présent, rien n'est encore atteint. A qui donnerai-je d'abord la Mélusine; après Lisl ? Chez Bloch Erben, je rencontre Kronscher, qui est justement ici. Mercredi soir, je parle à la Radio.

 Malheureusement, Piscator est en prison depuis 3 jours, ce qu'on a beaucoup déploré à la réunion chez Georges Manfred

 Je te remercie pour ta lettre et pour les Nouvelles Littéraires, je t'envoie l'almanach du Bal de la Presse et la "Radio"

  et reste ton vieil

 Ivan

Je t'enverrai demain 100 marks.

 

(Claire Goll & Ivan Goll, Meiner Seele Töne,  Scherz, 1978 (p..58-59-60).

nouvelle édition annotée avec de remarquables commentaires de Barbara Glauert.

La traduction française de ces lettres, due à Claire Goll, reste inédite à ce jour)

 

Télégramme d'Ivan Goll à Paula Ludwig du 22/2/1931 à 18h20  IsmL p.5

Suis désolé - impossible de venir aujourd'hui souffrant de doigts malades - Ivan

 

 lettre Ivan Goll de Berlin à Claire Goll à Paris du 22 février 1931

(manque la première page égarée)

... J'ai aussi fait la connaissance de Paula Ludwig. Etrange fille de paysans, son père fabriquait des cercueils; une tête un peu "bois gravé", mais une belle âme? Elle évolue lentement et devient peu à peu une Lasker-Schuler chrétienne . Elle a aussi un fils de 13 ans, qui vit dans une colonie scolaire au bord de la mer. Enfant illégitime. Elle a été femme de chambre, modèle à Münich, souffleuse ; à présent, elle écrit des poésies dédiées à son petit garçon. Et quelle modestie dans la pauvreté !

Remarques-tu quelque chose dans mon écriture ? J'écris avec le pouce et le majeur, car mon index droit est malade de nouveau ; grosse bosse de pus, cataplasmes et toute la suite. C'est ainsi que je devrai écrire les scènes de "Germaine" (Berton).

Beaucoup de tendresse de ton Ivan. MST p.60

 

lettre Ivan Goll de Berlin à Claire Goll à Paris du 25 février 1931  MST p.61

 Berlin, 25 Févr. 31

Chère Zouzou,

  Betty vient de me téléphoner et elle m'a lu ta lettre d'une voix enthousiasmée, disant que cette lettre est géniale, bien plus belle que tous les Youssouf de la Lasker-Schuler, et qu'elle la porterait dorénavant sous son corset, sur la peau (pauvre lettre !). Par ailleurs, elle a de plus en plus la folie des grandeurs ; encore aujourd'hui, elle rêve de cette réception dont le compte-rendu a paru dans le "Petit Journal" que je t'ai envoyé. Tous briguent ses faveurs, et tous se moquent de ses prétentions.

 Je travaille comme un enragé à cette conférence radiophonique sur James Joyce. Pioché encore une fois tout le texte d'Ulysse ! En outre, je souffre à devenir fou, depuis 3 jours. Mon doigt est presque guéri - dimanche soir, je n'en pouvais plus et j'ai couru à 11 heures chez le Dr Gumpert, qui l'a incisé - mais à présent, un nouvel abcès commence à me pincer l'omoplate. C'est horrible. Quand serai-je enfin délivré de cette calamité ?

 En ce qui concerne les fonds : voici d'abord 2 chèques. un de 323 frs 75, pour nous débarrasser définitivement du boucher (un autre abcès) - porte-lui le chèque. Ensuite, un chèque de 1500 frs pour toi. Je ne puis absolument pas envoyer plus que ces 1800, pour l'instant. Fais patienter Ozenfant et le pharmacien jusqu'à mon retour. Peut-être aurons-nous une rentrée avant. Je t'ai écrit, la dernière fois, que j'ai de nombreuses choses en perspective, mais seulement si j'ai de la patience.

 Espérons que nous saurons bientôt quelque chose de certain sur la Bovary. Demande en tout cas, une option de 3 mois, immédiatement !

 Oui, d'après tout ce que j'entends dire sur les sanatoria, les prix de Bühlerhöhe me paraissent tout à fait acceptables. St-Hubertus, tellement près de Berlin, ne vaut rien, naturellement. Loschwitz aussi est une sorte d'îlot des nerfs. A Bühlerhöhe, je pourrai venir passer quelque temps, étant donné que je devrai travailler à Francfort, avec Sassheim, à la "Kapellmeisterin".

 As-tu vu, entre temps, Mme Hesterberg ? Tu n'as jamais écrit comment les choses ont fini avec Desnos. La Symphonie de psaumes, de Stravinsky, a été donnée ici, à Berlin, avant de l'être à Paris.

 Avec tendresse

 Ton

 Ivan

 

Ivan Goll à Paula Ludwig : pneumatique du 27/2 à 18h  IsmL p.5

Viens vers minuit I.

 

Ivan Goll : 2 mars 1931, poème pour Paula Ludwig  IsmL p.5/6

 

lettre Ivan Goll de Berlin à Claire Goll à Paris du samedi 7 mars 1931  MST p.62/63

Chère Suzu,

Que ta dernière lettre était merveilleuse ! Si sûre et si compréhensive. La voix de ton cœur est un alto apaisant. Oui, je suis maintenant très bien installé chez Paula Ludwig. Elle m'a très bien soigné pendant ma maladie. Ce furent des jours terribles. J'avais un vrai bubon de pus, ce qui ne m'est encore jamais arrivé. Finalement, j'ai dû faire venir un médecin, le Dr Pinkus, qui m'a soulagé aussitôt. Mais j'ai porté, longtemps encore un pansement, et n'ai pu me montrer nulle part. A présent, je redeviens lentement un Européen.

 Dans mes travaux aussi, j'ai été très gêné. J'ai pu tout juste encore mettre au point, en partie, le montage sur Joyce : car la Radio va l'étirer : une heure et demie à notre disposition. D'abord une courte discussion entre Hirschfeld et moi, au sujet de Joyce, puis des lectures extraites des divers chapitres d'Ulysse, par des acteurs de premier ordre, et enfin, le disque enregistré par Joyce.…et cela nous rapportera aussi un beau petit pécule.  Mais toujours encore, je n'ai de l'argent - qu'en perspective ! Néanmoins, j'ai une grande surprise pour toi : je t'ai acheté un châle chinois en soie, avec de grandes fleurs rouges sur fond blanc, brodé sue les deux faces, avec des franges nouées à la main. Il m'a coûté cher, mais c'était tout de même une occasion. A Paris, il coûterait trois fois plus. Très grand. Et beaucoup plus beau que les châles espagnols.

 En es-tu heureuse ? Cela me fait si mal d'apprendre que tes bronches ne sont toujours pas en bon état. Pourquoi traînes-tu dans ce climat pseudo-printanier de Paris ? Naturellement, il a toujours été malsain. Je te conseille vivement de partir le plus tôt possible pour Bühlerhöhe. Les prix dont on t'a parlé sont réellement doux auprès de ceux que l'on entend ici. Venir à Berlin, je ne te le conseille pas. D'abord, à cause de ta santé. Et puis aussi, parce qu'au point de vue affaires, il n'y a rien de neuf à espérer. Les Moser Ullstein licencient, tant qu'ils le peuvent. Ils ne veulent souscrire de nouveaux engagements sous aucun prétexte. Pinthus m'a dit qu'il n'y a aucun espoir que la "8-Uhr-Abendlblatt" m'engage ferme en ce moment, même pas à 100 marks par mois, pour lui fournir plusieurs articles. Tous les journalistes se plaignent. Même le traitement de Bloch va être diminué.Dans ces conditions, je n'ose même plus avouer à qui que ce soit que tu reçois 100M. par article, comme par le passé. Tu es une exception tout à fait inouïe. Et, de plus, on imprime un si grand nombre d'écrits de toi ! Oui, mais aussi, ils plaisent tellement partout où j'en entends parler ! Tu as maintenant entre les mains un joli monopole.

 Je dois aller finalement, de toutes manières, à Francfort, au cours du mois de mars : donc, nous nous retrouverons là-bas. Ensuite, on sera à la veille de Pâques. Tout le monde ici pense déjà à partir en vacances.

 Mais que ferons-nous de Rosa ? Je suis absolument d'avis qu'il faut la congédier avant ton départ. Elle nous a rendu les meilleurs services, cet hiver ; en été, nous serons, l'un et l'autre, très peu de temps à Auteuil. A la longue, elle serait une charge trop lourde et inutile. Dans un tel cas, il n'est pas nécessaire de faire du sentiment.

 Je me réjouis beaucoup du pyjama : demande un numéro pour un homme grand, très mince, de longues manches, une taille très fine, col 40.

 N'oublie pas la Bovary ! Nous pensons maintenant à la faire jouer par Lisl (°)

 En grande tendresse

 Ton

 Ivan

(°) Elisabeth Bergner

 

lettre Ivan Goll de Berlin à Claire Goll à Paris du jeudi 12 mars 1931  MST p.63/64/65

 Berlin, 12. 3..31

 Chère Zouzou

 

 Depuis trois jours, violente tempête de neige sur Berlin. Elle mugit autour de l'atelier, d'une façon inquiétante. Par les vitres cassées, la neige entre en tourbillonnant. Les pièces sont difficiles à chauffer. Il faut être encore romantique comme je le suis pour aimer tout cela ; mais jamais je n'oserais te conduire sous un abri aussi inconfortable, bien qu'il soit situé sur le Kurfurstendam, mais le pavillon, qui plane au-dessus des toits, contient une bohème des plus modestes.

 Pour d'autres raisons encore, il n'est vraiment pas à conseiller que tu viennes maintenant à Berlin. Comme je te l'ai dit, il ne faut pas penser à de nouveaux contrats en ce moment. Tu sais que les Allemands tombent toujours dans les extrêmes : autant ils étaient larges naguère, autant ils sont maintenant rétrécis : la conjoncture des restrictions est un fait, et personne ne se risque à faire exception. L'exemple de la "8 Uhr Abendblatt" est typique. Chez Mosse par exemple les coursiers et les dactylos sont congédiés, et Pinthus, entre autres, doit s'offrir une dactylo personnelle.

 Et pourquoi faire ce détour, puisque je dois, de toutes manières, redescendre bientôt ? Le mieux est donc que tu attendes la fin de ton indisposition et que tu voyages alors, sans hâte vers Bühlerhöhe. Mais tu devrais t'y annoncer dès maintenant. Vers Pâques, il y a plus d'affluence.

 Au début de la semaine prochaine, je te ferai envoyer encore une fois 1500 francs de Zurich. Cela suffira bien pour le voyage ?

 Le cas Rosa n'est pas aussi simple. Tout ce que tu décideras sera juste et bon. Mais elle me fait pourtant l'effet d'un fardeau. Une entrave à ma liberté. Je me propose de ne plus coller aussi étroitement à Paris, de me déplacer beaucoup plus qu'auparavant, de voyager beaucoup au printemps et en été. Puisqu'aucune profession fixe ne m'enchaîne, Dieu merci.

 L'avenir idéal, voici comment il m'apparaît : milieu d'avril, toi et moi, encore en Allemagne. Ensuite, deux ou trois semaines à Paris. Pas plus. Et un grand voyage d'été, aux eaux ou à la mer. Durant des mois.

 Tu éprouves probablement un grand besoin de repos : et Rosa représente à tes yeux une certaine sécurité. Peut-être as-tu raison. Mais d'ici, j'envisage la situation sous un autre angle. Donc, je te laisse le choix. Pendant notre absence, elle serait obligée de travailler au dehors, pour gagner sa vie, ne recevant plus de nous que la moitié de ses gages mensuels et le logement. Je crois que, même ainsi, ce serait pour elle une excellente solution.

 Et maintenant, Bovary. C'est La Lisl qu'on a maintenant en vue pour ce rôle. Elle a eu vraiment un très grand succès avec son premier film parlant "Ariane" (Claude Anet).Elle a atteint le rang de première star allemande du film sonore. Sans le moindre doute, dans toute la Presse.

 Elle m'a dit qu'elle pensait déjà depuis longtemps à Bovary. Plusieurs auteurs de scénarios, dont Harry Kahn, flirtent depuis longtemps déjà autour de ce sujet et autour d'elle. Par conséquent. Il est essentiel que tu nous assures immédiatement la priorité, ne te relâche pas, rends-toi, samedi matin, encore une fois, personnellement, chez Bloch ; insiste, promets tout, fais-toi donner une option. Il faut qu'on nous la donne de suite. Il ne faut tout de même pas que la mort d'une vieille femme mette tout à l'eau. Une petite fortune est cachée là. Tant que nous n'avons pas Bovary, il ne faut pas que tu quittes Paris.

 

 En grande tendresse

 Ton Ivan

 

S'il te plaît, envoie-moi tout de suite le livre de Laforgue "Berlin", qui doit être sur la pile du coin, sur ma commode.

Les 20 M. sont déjà donnés à ta mère depuis lundi. Je me réjouis pour le pyjama.

 

Ivan Goll de Franckfort à Paula Ludwig télégramme du 29/3/1931 à 9h40

Je t'aime - Ivan

 

Ivan Goll à Paula Ludwig télégramme du 31/3/1931 à 11h45

Accompagne Claire malade au Sanatorium de Bühlerhöhe - irai demain à Franckfort - retour dans tes bras le lendemain Vendredi-Saint -  PARCIGOLL

 

Ivan Goll à Paula Ludwig : longue lettre du 1er avril depuis Bühlerhöhe **** IsmL p.7/8

 

Ivan Goll à Paula Ludwig : autre lettre du 2 avril depuis Bühlerhöhe IsmL p.8

Bühlerhöhe où Ivan va rester jusqu'au 8 avril avant de revenir à Berlin

 

lettre d'Ivan Goll Berlin à Claire à Bühlerhöhe-Baden du 8 avril 1931 ***  MST p.65/66

Chère Liane nouvellement fleurie,

 Comme tes deux lettres du vendredi-saint et du dimanche de Pâques étaient pieuses : la piété de l'amour, la piété de la vie. Amour né de la douleur, toi ma ressuscitée ! Comme tes yeux, qui ne sont pas terrestres, ton sentiment devient plus grand que nature, il s'accroît, devient la mer, m'inonde, me submerge : tu triomphes.

 Ceci est le premier cri que je t'adresse de Berlin. Je sais maintenant que tu as vaincu, tu n'auras plus jamais à être triste, à l'heure cosmique du réveil, à l'heure du merle. Je t'aime.

 Je t'aime pour toutes les raisons et toutes les déraisons.

 Mais je t'aime aussi pour la sagesse avec laquelle tu laisses mûrir et tomber ce qui vit, * l'été brûler et se faner, sachant que des printemps sont là, derrière, avec nos violettes à peine fleuries de la Forêt noire.

 Certes, dois-je le dissimuler ? Un feu de la Saint-Jean flamboie sur le toit de Halensee et un tel incendie est rare sur les collines de l'Aujourd'hui. Et ce flamboiement va bien à mes joues longtemps solitaires. Avoue-le, comprends-le. Et sache : les feux de la Saint-Jean ne durent qu'une nuit.

 Moi, je brille plus que je ne brûle.

 Et je me réjouis d'avance d'une lumière plus sereine et plus intérieure, comme la lumière florentine, que le mois de mai nous promet. Je me réjouis de deux grandes étoiles, dans lesquelles rien ne vacille plus, où veille une clarté déjà divine, et qui sont toujours au ciel, même le jour, quand on ne les voit pas, même mortes, quand elles ne s'éteignent qu'en apparence.

 Toi, tes yeux. Et tu peux faire ce que tu veux, tu ne peux plus les cacher ! Les autres aussi commencent à découvrir leurs rayons célestes. Même si tu baissais tes cils. J'ai trouvé le mot : je parlais de feu, de brûlure et d'éclat : mais toi, tu rayonnes, comme un diamant secret, comme un bijou de radium ; tu es tous les lointains, toutes les terres, tous les cieux. 

 En même temps que la troisième lettre, est arrivée une note de la Schweitzer Bankgesellschaft, disant qu'elle t'a envoyé les 200 M. Mais à quelle date ? Le 7 avril. Ah ! terrible m'est la pensée que tu n'as pas reçu cet envoi à temps et que tu t'es désolée. Ces Suisses, ils ne pouvaient donc pas te faire l'envoi, en vitesse, le samedi !

 Etant donné que tu devras, cette fois-ci, être d'autant plus ponctuelle, je te donne ci-inclus, tout de suite, 100 M. qui suffiront bien pour cette semaine, si tu paies le dimanche.S'il te plaît, dis-moi régulièrement combien il te faut. 

 Comme je suis heureux que les gens de là-haut soient tous si gentils pour toi ! J'en suis heureux, mais je trouve cela naturel. tu es l'être fabuleux qui manquait à la Foret Noire. La chambre à loggia, la sympathie des infirmières, la louange des Grossmann, c'en est à peine assez pour toi. Toute la louange du monde t'est due.

 Tu es là, maintenant, dans les mains de Strohmann, fais-lui confiance. Ne te laisse pas sans cesse influencer par du nouveau. La foi est efficace. Même si un diagnostic berlinois était différent : la guérison de ton intestin ne peut être obtenu que grâce à la patience et en fortifiant le reste de l'organisme.

 Notre arrangement-radio sera émis lundi prochain, 13 avril à 11 heures 1/2 du soir, je crois. Insensé ! Je t'enverrai vendredi le programme. En tout cas, il était grand temps que je retourne à Berlin, pour la répétition.

 Ensuite, j'aurai du temps pour "Germaine".

 En attendant d'entendre ma voix (réellement, cette fois) écoute le battement de mon pouls. 

 Ton

 Ivan

 

Claire à Bühlerhöhe-Baden à Ivan Goll à Berlin du 9 avril 1931  MST p.67

 Sanatorium Bühlerhöhe

 Chéri Joints quelques bouts de papier qui te concernent. Avant tout, Daniel a versé de l'argent. Dis, quand recevrai-je les premières scènes de "Germaine" ? Ecris-tu quelque chose pour l'Intran ou sur la France, pour des journaux allemands ? Fais-tu des poèmes ? Manges-tu bien, aimes-tu beaucoup ?

 Moi, je vais beaucoup mieux. Aujourd'hui, grand examen intestinal et j'en suis effrayée. Je suis souvent invitée chez les Strohmann, lui et elle sont des gens très distingués et très aimables.  

 Aujourd'hui, il y a du soleil, les oiseaux chantent et je suis presque heureuse. Mais, comment ne le deviendrais-je pas avec tous les fortifiants que je prends en ce moment ! En pensée, je peux déjà arracher des sapins, mais seulement des petits-fils de sapins.

 As-tu écris à Rosa, lui as-tu envoyés les 200 frs ?

 Je trouve le livre de Klaus Mann si jeune, plein de curiosité et souvent sympathique. Il pense beaucoup, lit encore plus, aime et souffre ; je l'aime bien, quoique son article sur nous soit superficiel.

 Peux-tu m'expliquer pourquoi on lit dans la version française de l'Evangile de Saint-Jean :

 "Au commencement était le Verbe "

alors que c'est, en allemand :

 "Im Anfang war das Wort "

Dans Faust, Goethe se demande s'il doit traduire "Wort" par "Tat". Mais, "Verbe" inclut une toute autre signification ?

 Ecris-moi encore. Quel dommage que tu n'aies pas trouvé, ou peut-être pas cherché, un petit fer électrique de voyage, qui marche sur tous les voltages, cela m'aurait évité ici bien des frais de blanchissage.

 

 Avec mon ancienne grande tendresse

 Ta

 Liane

 

Claire à Bühlerhöhe-Baden lettre jamais envoyée

 «… Elle est bien portante, elle a son petit garçon, je n'ai que toi.

 Elle trouvera un autre homme, avant qu'il soit passé beaucoup de temps. Moi je ne peux trouver qu'un représentant pour ne pas périr de douleur, jamais je ne retrouverai un autre.

 Il y a trois mois tu n'étais pas encore dans sa vie. Mais tu es ma vie, depuis plus de quinze ans. Comment pourrais-je le supporter ? »

 Peut-être aurait-il mieux valu toujours tout te dire, au lieu de me taire, par une fierté puérile, et d'en mourir, car je crois que ma santé n'aurait pas ainsi périclité, si YvanClaire n'était devenu Yvan et Claire.

31/01/32  une lettre que je t'ai écrite l'an dernier, de Bühlerhöhe, et que je ne t'ai pas envoyée :

 

Télégramme d'Ivan Goll Berlin à Claire à Bühlerhöhe-Baden du 11/4/1931 à 18H30

  de Berlin Halensee 9. 18.30

Crains Ivan le Terrible 

 

Le Journal des Poètes 1ère année, n° 2 - 11 avril 1931-

Ivan Goll : Rue de la mort  et reproduction du dessin de Chagall

(couverture de " Poèmes d'Amour", Fourcade 1930) Bruxelles.

 

Sous ta poitrine de ciment,

Sous tes paupières de fer,

Ville narcotisée,

J'entends ton sang qui bat.

 

J'entends tes femmes qui chantent,

Sources chaudes souterraines ;

Tes escaliers qui pleurent

Et tes morts aux lèvres plombées.

 

Il y a les hommes qui se réveillent

Au milieu de la nuit,

Soudain ils comprennent

Qu'ils ont oublié de vivre.

 

Des rues désespérées

Courent en vain après le ciel

Et tremblent

De tous leurs réverbères. 

 

Est-ce toi, solitude ?

Qui grelottes sur la Place

Dans ton manteau de vent,

Prostituée qu'aime un poète ?

 

Un autobus malade

Transporte les soucis des gens

De l'aube au soir et retour

Sans jamais calmer son angoisse.

 

Quelquefois une porte

Restée ouverte

Comme la bouche d'une morte...

Je suis son dernier confident.

 

lettre d'Ivan Goll Berlin à Claire à Bühlerhole-Baden du 3 mai 1931***  MST p.68/69

  Berlin 3 mai 31 [dimanche]

Plus que Liane,

 Je t'envoie ci-joint la fin de la pièce : les 6 dernières scènes. Entre temps, j'ai également trouvé un titre : "Die Jungfrau de Paris", qui semble plaire généralement ici. Ton enthousiasme pour les 6 premières scènes me donne de la confiance, des ailes … Lipmann et moi, nous travaillons sans discontinuer, ces jours-ci pour arriver à la fin. Nous nous étions fixé le 3 mai comme dernier délai et nous nous y sommes conformés.

 A présent, vite l'organisation technique : demain lundi, nous portons la pièce à Oesterheld et à K. H. Martin. Après Martin, à Rheinardt. Il y aura certainement quelques jours de discussion - car au théâtre, comme tu le sais, rien ne marche sans encombre, et aussi, on ne trouve pas les gens comme on le voudrait.

  Quand vais-je partir ? Tu seras pourtant toi-même d'avis qu'il n'est pas sans importance pour moi de prendre part aux discussions. Je devrai partir en fin de semaine, 2 ou 3 jours à Munich…

 Perds-tu patience ? Comment avais-tu imaginé la chose ?

 Voudrais-tu rentrer à la maison ? Dis-le moi franchement. Et dis-moi si tu trouves qu'il est très nécessaire que j'aille te chercher à Bülhlerhöhe. Est-ce que le mari ne jouera pas maintenant un rôle moins brillant qu'au début, alors que nous tenions notre chambre verrouillée contre tous les intrus jusqu'à 11 heures du matin ? Et alors que, présomptueuse, tu expliquais au Dr Strohmann : "Mon mari et moi, vous comprenez, nous nous aimons tellement …"

 La cour que te fait Monsieur le Marquis a probablement chassé de Bülhlerhöhe tout souvenir du tendre début d'avril... chez les laquais, veux-je dire, naturellement.

 Certes, j'aurais bien voulu apprendre ce qui ne va pas dans ton état de santé. Tu ne m'as jamais communiqué le résultat des examens.

 D'autre part, à mon retour de Munich, je passerai de toutes manières dans le duché de Bade. Cela, de toutes manières. Mais réfléchis bien. Je trouverais très naturel que tu me précèdes seule à Paris, de quelques jours : on te fera très bien tes malles à Bülhlerhöhe, la correspondance des trains est très facile, le voyage agréable - seulement il ne faudra pas, cette fois, que Casa Fuerte aille te chercher à la gare, ni qu'il t'aide à défaire tes bagages... car ce serait alors très grave (et à quoi nous sert Rosa ?.... il ne doit pas savoir du tout que tu rentres seule.

 Si nous décidons cela, il en résulterait aussi qu'en passant par Nancy, je m'y arrêterais 24 heures - ce que je ne ferais jamais, ö grand jamais, avec toi ! En aucun cas. Nos retrouvailles ne devront pas se faire dans une pareille atmosphère. (Ce point est d'ailleurs sans importance : je pourrai aussi retourner à Nancy, de Paris, en 4 heures).

 Quoi qu'il en soit, je suis ici en pleins préparatifs de départ.

 Hier, j'ai été pour la dernière fois chez Else Herzog, pour y prendre enfin ta fourrure. Invité à déjeuner. Menu splendide. Mais quel bordel ! Rien que des couples de tapettes ! Elle s'en est plainte à moi : "Chaque homme amène ici son petit ami ; ah ! il ne nous reste rien, à nous les femmes !" Mais voilà de quoi elle s'entoure exclusivement. Dans sa maison immense, elle a plusieurs chambres pour ses "invités" de passage. Pouah ! rien que de les regarder...

 Je m'occuperai de toutes les autres affaires.

 Depuis hier, temps merveilleux ici.

 Depuis tes lettres de grande dame, j'ai préféré ne plus parler de Paula Ludwig. Tu as compris pourquoi.

 Car il faut que nous recommencions entièrement notre amour, depuis le commencement.

 Il n'en deviendra que plus fort.

 

 Iwan

 

Ivan Goll à Paula Ludwig : télégramme du mardi 12 mai de Münich à 10.05 IsmL p.9

 

Ivan Goll à Paula Ludwig : lettre du 12 mai 1931 de Münich Hôtel Schottenhamel IsmL p.9

 

Ivan Goll à Paula Ludwig : lettre du 15 mai 1931 de Bühlerhöhe IsmL p.10/11

lettre poétique, parle de 3 poèmes de Paula qu'il va traduire pour Le Journal des Poètes

 

Ivan Goll à Paula Ludwig : longue lettre du 18 mai 1931 de Bühlerhöhe IsmL p.11/12

 …avec beaucoup d'amour de ton Ivan 

recopier mes notes

Du 19 mai au 28 août Ivan et Claire sont à Paris 18 rue Raffet. 

 

Ivan Goll à Paula Ludwig : lettre d'amour de Paris du 25 mai 1931 *** IsmL p.13/14

lettre au papillon "Quel droit avais-tu d'être méchante ?... Seulement on peut souffrir. Mais c'est ça l'amour..."

 

Ivan Goll à Paula Ludwig : lettre amoureuse de Paris du 29 mai 1931 *** IsmL p.15/16

 

Paula va en juin voir son fils à Juist avant de se rendre début août à Ehrwald, Ambach où elle reste jusqu'au 20 août

 

Ivan Goll à Paula Ludwig : lettre amoureuse de Paris du 4 juin 1931 *** IsmL p.17/18

 

James Joyce (Londres) à Ivan Goll (Paris) 30 juillet 1931

«… Maintenant aussi à Francfort la Frankfurter Zeitung du 19 juillet publie une page entière de texte pour J.J., auteur d'Ulysses, traduite du manuscrit anglais par Irène Kafka. Qui est-elle ? Où a-t-elle trouvé ce manuscrit que le journal m'attribue ? Je l'ignore. Je ne la connais point. Je n'ai jamais écrite cette sotte nouvelle qui s'appelle Vielleicht ein Traum aber bestimmt eine Schweinerei.»

 

Télégramme d'Ivan Goll à Paula Ludwig à Juist du 11 juillet 1931 à 11h10

été malade - lettre suit - de tout coeur - Ivan

 

Ivan Goll à Paula Ludwig à Juist : lettre de Paris du 10 juillet 1931 IsmL p.19/20

…et je t'embrasse  Ivan

 

Ivan Goll à Paula Ludwig à Ehrwald : lettre de Paris du 3 août 1931 IsmL p.20/21

 

Ivan Goll à Paula Ludwig à Ehrwald : lettre de Paris du 7 août 1931 IsmL p.22

 

Paula Ludwig à Ambach à Ivan à Paris : lettre du 7 août 1931 *** IsmL p.22/23/24

 

Télégramme d'Ivan Goll à Paula Ludwig à Ehrwald du 10 août 1931 à 23h30 Gare du Nord

 

Ivan Goll à Paula Ludwig à Ehrwald : lettre de Paris du 11 août 1931 *** IsmL p.24/25

 

Ivan Goll à Paula Ludwig à Ehrwald : lettre de Paris du 13 août 1931 IsmL p.25/26

 

Télégramme d'Ivan Goll à Paula Ludwig à Ehrwald du 13 août 1931 à 16h50

N'ENVOIE-PAS LA LETTRE A BONSELS UNE AUTRE SUIT

 

Paula Ludwig à Ehrwald à Ivan à Paris : lettre du 14 août 1931 IsmL p.27

 

Ivan Goll à Paula Ludwig à Ehrwald : lettre de Paris du 24 août 1931 IsmL p.28/29

 

Ivan Goll à Paula Ludwig à Ehrwald : lettre de Paris du 25 août 1931 IsmL p.29/30

 

Claire part le 28 août en cure à

-les-Eaux, Hôtel du Château.

 

carte postale d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig à Ehrwald du 29 août 1931 IsmL p.30

 

lettre de Claire à Challes-les-Eaux à Ivan Goll à Paris du 29 août 1931  MST p.69/70

 [Challes-les-Eaux]

 [Hôtel du Château]

 [ samedi 29.8.31]

Mon petit Ivan,

Un si beau temps et tu n'es pas là ! Le court de tennis t'a déjà réclamé. Tout d'ailleurs t'a réclamé, depuis Rochette jusqu'à Pietro.

La maison était encore complète. Je remercie mon dieu spécial, car grâce à lui, j'ai pu être logée dans la plus belle chambre de l'hôtel, tout à fait derrière au 3 ème étage. Tout à fait tranquille, avec un balcon donnant sur les montagnes et la campagne; là je rêve, les yeux perdus dans le ciel, matin et soir, longtemps, jusqu'à ce que les anges en sortent. C'est une chambre à grand lit pour 2 personnes, elle devrait coûter 60, et mademoiselle Buet, me l'a laissée pour 55. On mange remarquablement bien, comme naguère, et je me dis à chaque plat que ces bonnes choses se transformeraient dans ton estomac en force et en globules rouges. Enfin, ce qui n'est pas sera sans doute bientôt.

 Où en es-tu avec Beye et le bouchon ? Si vous partez pour Marseille, dis à Beye de prendre une auto à l'arrêt le plus rapproché de Challes et vous viendrez me voir. Est-ce que Rose te soigne bien ? Manges-tu bien, dors-tu et …travailles-tu ? Je pense que, depuis longtemps déjà, les cigarettes ont teint en brun tes doigts et tes poumons.

 Je me couche à 9 heures et je dors 9 heures sans moustiques. Ce soir, il y a des myriades d'étoiles, tout est encore très estival, mais il fait très froid le matin et le soir. J'espère qu'il viendra bientôt du courrier. Sinon, on a l'impression d'être toute seule au monde.

 Etant donné qu'on paie toutes les semaines, tu devrais m'envoyer de l'argent mercredi. A part cela, je n'ai pas de frais ; Dufour m'a donné beaucoup d'entrées gratuites.

 Et maintenant, viens bientôt, ou envoie bientôt une feuille de papier à lettre couverte de petits oiseaux. je t'embrasse tendrement.

 Ta Zouzou

J'ai oublié le sablier pour les pulvérisations, et la vapeur abîme complètement ma montre. Il est violet foncé et se trouve peut-être dans un des tiroirs de la cuisine, ou bien au mur de la cuisine, là où les clefs sont pendues, ou encore éventuellement dans le tiroir à pharmacie, chez toi. (Ne pas confondre avec le sablier pour cuire les œufs dans la cuisine !)

 

lettre de Claire à Challes à Ivan Goll à Sori du 31 août 31 ou 35 , n’est pas dans MST

à traduire

 

Ivan Goll à Paula Ludwig à Ehrwald : lettre de Paris du 4 septembre 1931 IsmL p.31/32

 

Du 16 au 20 septembre 1931, Ivan est chez sa mère, Rebecca Kahn à Nancy

 

Ivan Goll à Paula Ludwig à Berlin : lettre de Paris du 21 septembre 1931 IsmL p.32

 

Du 21 septembre 1931 au 31 décembre 1931, Ivan et Claire vivent à Paris,19 rue Raffet

et Paula Ludwig à Berlin.

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 26 septembre 1931 IsmL p.33

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 30 septembre 1931 IsmL p.34/35

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 4 octobre 1931 IsmL p.35/36

 

Carte postale d'Ivan Goll, Bruxelles à Paula Ludwig Berlin lundi 12.10.1931 IsmL p.36

 

Télégramme d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 13.10.1931 à 10h35 IsmL p.37

à l'instant-même retour de Bruxelles à la maison après avoir reçu une merveilleuse lettre d'amour. Lettre suit   Ivan

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 13 octobre 1931 IsmL p.37/38 ***

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 16 octobre 1931 IsmL p.38/39 *****

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 17 octobre 1931 IsmL p.39/40 ***

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 17 octobre 1931 IsmL p.40/41 ***

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 17 octobre 1931 IsmL p.41/42 *****

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 25 octobre 1931 IsmL p.42/43/44 *****

 

Télégramme d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 2 novembre 1931 à 11H IsmL p.44

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 2 novembre 1931 IsmL p.45/46/47 *****

 

Carte postale d'Ivan Goll, Bar-le-Duc à Paula Ludwig Berlin 10 nov. 1931 IsmL p.47

 

(sur le trajet de Nancy)

 

Télégramme d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 14.11.1931 à 10h35 IsmL p.48

 

ANGINE

HOLLANDE IMPOSSIBLE

ECRIS SAINTS PERES GOLLIVAN

 

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 16 novembre 1931  IsmL p.48

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Claire du 17 novembre 1931  MST p.70/71

 

  Paris 17 novembre 31 [mardi]

Chère Zouzou,

 

 Tu paraissais bien triste, aujourd'hui au téléphone. Mais aussi, nous n'avons presque parlé que d'argent, et je m'attriste moins de la tristesse en pensant qu'elle vient plus de la bourse que des cavités du cœur.

 Mais pour te distraire un peu, je vais te raconter l'histoire suivante. J'ai fait un pas de clerc. Et cela, auprès de Lisl (°). Dimanche m'est venue l'idée subite de l'appeler au téléphone. J'ai entendu nettement la gouvernante discuter avec elle de ce qu'elle aurait à me répondre, à savoir que sa patronne "n'était pas là".

 Là-dessus, j'envoie à Lisl la lettre ci-incluse.

 Et, c'est un fait : j'écume littéralement d'avoir porté pendant quatre ans la bague d'une personne, qui pendant ces quatre années, n'a même pas trouvé nécessaire de m'appeler au téléphone, ni de vouloir me voir.

 Cela ne va plus. Plus avec moi. Je ne suis (pour une dame dont je porte la bague d'amitié, ni un Feist, ni un Harry Kann, qui a la permission de lui rendre visite dans sa loge.

Ou bien la bague n'a aucune signification. Quand on me demande : Qui vous a donné cette belle bague ? Je ne peux plus répondre : Mme Bergner. Car ce serait un mensonge.

 Le jour suivant, elle me demande au téléphone et dit qu'elle n'est pas fâchée. Que je vienne la voir un jour à l'Atelier. Je lui réponds : " A l'Atelier" ? Comme Harry Kahn ? Non ! Si tu m'aimes, comme tu l'affirmes (et c'est ce qu'elle affirmait au téléphone), alors j'exige seulement ceci : Que, dans le courant des 4 prochaines années, tu me téléphones au moins une fois de toi-même".

 Avais-je raison ?

 J'avais raison.

 Et maintenant, moque-toi de ton petit garçon.

 Ivan

 

Je veux porter maintenant, une bague venant de toi !

Je n'ai pas encore donné l'autre.

 

(°) Elisabeth Bergner, comédienne, belle et célèbre

 

Lettre d'Ivan Goll Paris à Elisabeth Bergner 15 novembre 1931 MST p.71

 Lisl, (*)

J'ai donné aujourd'hui ta bague à quelqu'un d'autre. J'ai compris qu'elle ne signifie aucunement l'amitié, et j'ai honte de l'avoir portée pendant quatre ans comme symbole d'une erreur.

Je ne te la renvoie pas, car je ne veux pas que cette bague, qui contient en elle beaucoup de mon être, risque d'être donnée à quelqu'un qui le mérite encore moins que moi.

(*) Elisabeth Bergner

 

Carte postale d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin mercredi 18 novembre 1931 IsmL p.49

 

Iwan Goll : Stervend Europa, traduction hollandaise de Evert Straat (116 P.)

Amsterdam, " De Gulden Ster", sans date (1931)

 

Ce texte a été donné en représentation publique par Charlotte Köhler pour la première fois le 22 avril 1931 au Stadsschouwburg d’Amsterdam.                                                                                                                                    Devant le succès, il fut repris et redonné en présence d’Ivan Goll le 21 novembre 1931

 

lettre d'Ivan Goll Amsterdam à Paula Ludwig Berlin du 22 novembre 1931 IsmL p.49/50

 

Le Journal des Poètes 2ème année, n°2 - 22 nov. 1931- Bruxelles.

Douze poètes de l'Allemagne contemporaine (dont 5 traductions d’Ivan Goll : Le coeur d’Alfred Wolfenstein, J.S. Bach jouant de l’orgue la nuit d’Oscar Loerke, Pour Hilda de Jacob Haringer, Mort argentée de David Luschnat et Poème de Paula Ludwig.).

 Poème

Je ne sais jouer que de la flûte,

Je n'ai que cinq sons …

 

Mais quand je la porte aux lèvres,

Les caravanes rentrent du désert

Et les oiseaux de leurs sombres ciels.

Les pêcheurs se hâtent sur le rivage,

Et le soir parfumé délaisse les Orients du matin.

 

Adossée à l'érable

Dans l'ombre de lierre

J'envoie ma chanson à ta recherche.

(Traduit par Ivan Goll

C’est la troisième fois que les noms d’Ivan et de Paula sont juxtaposés ; leur aventure amoureuse commencée en février 1931 restera constante et passionnée, brisée par le départ d’Ivan avec Claire Goll pour les U.S.A. en août 1939)

 

Carte postale d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin mercredi 24/11/ 1931 IsmL p.50

Suis de retour à Paris et rien de P. chez les saints-pères ?

 O

  I

 wan

 

Lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 4 décembre 1931 ImsL p.51

lettre d'encouragement à poursuivre son œuvre  à traduire

 

Carte postale d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin vendredi 11 déc. 1931 ImsL p.51/52

lettre d'encouragement à poursuivre son œuvre  à traduire

 

Le Journal des Poètes 2ème année, n°5 - 12 déc. 1931- Bruxelles.

p.1 -2 Géo Charles : Interview de Claire et Ivan Goll sur la Poésie :

Geo Charles. La représentation de votre "Mathusalem" à Bruxelles, mon cher Ivan Goll, nous a fourni l'occasion d'apprécier, une fois de plus, une oeuvre du "Théâtre poétique moderne ".

Cette formule exprime bien la tendance et le mouvement de ce théâtre dit - toujours - "d'avant-garde" bien qu'il ait pris naissance longtemps avant la guerre. Je range sous ce signe : « Ubu Roi » de Jarry, « Les Mamelles de Tirésias » d'Apollinaire, certaines pièces de Ribemont-Dessaignes, et justement ce « Mathusalem ».... Pourriez-vous préciser votre conception personnelle quant à "l'esprit poétique" de cette œuvre ?

Ivan Goll : J'estime que toutes les pièces que vous venez d'énumérer sont avant tout, en effet, des oeuvres de poètes que j'opposerai aux auteurs dramatiques. Comment les distinguer par une formule ? Ceux-ci excellent à copier la vie au théâtre, tandis que les poètes ont avant tout le désir de recréer la vie. Ils ne veulent pas du tout en donner, par exemple, une image exacte, mais plutôt révéler la signification profonde des faits et des paroles qui unissent les personnages dans une action.

Geo Charles: Et créer des prototypes ?

Ivan Goll : Oui. Et « Mathusalem » par exemple, c'est l'éternel Bourgeois. Il ne parle pas la langue courante du théâtre habituel et conventionnel. Il dit des phrases, les phrases-type que chaque bourgeois, dans n'importe quel pays, répète suivant sa prononciation. L'action de la pièce n'est pas individuelle et unique : le cas est applicable et nettement imputable à tous les bourgeois du monde entier.

Geo Charles: Et rien de plus banal que les propos d'un tel héros !

Ivan Goll : « L'expression » en est apparemment banale, mais avant tout elle est vraie. Et cette transposition du « vrai » me rappelle une autre formule, celle de « surréaliste » dans le sens où Apollinaire l'entendait. Vous savez, n'est-ce pas qu'il inventa le vocable « surréaliste » pour désigner précisément « Les Mamelles de Tirésias » que vous citiez à l'instant parmi les pièces du théâtre poétique.

Geo Charles:  En effet, c'est d'ailleurs dans la revue "Surréalisme" que vous avez dirigée que Pierre Albert-Birot a fixé ce point d'histoire de la façon suivante : «....Quant au mot « surréalisme », nous l'avons, Apollinaire et moi, choisi et fixé ensemble. C'était au printemps 1917, nous rédigions le programme des « Mamelles » et, sous le titre, nous avions d'abord écrit « drame » et ensuite je lui ai dit : ne pourrions-nous pas ajouter quelque chose à ce mot, le qualifier, et il me dit en effet, mettons « surnaturaliste » et aussitôt, je me suis élevé contre surnaturaliste, qui ne convenait pas au moins pour trois raisons, et naturellement, avant que j'eusse fini l'exposé de la première, Apollinaire était de mon avis et me disait : « Alors mettons surréaliste ». C'était trouvé.... La lettre d'Apollinaire à Paul Dermée écrite également en 1917, et reproduite dans la même revue, confirme les souvenirs de Birot.... » Et vous Goll, rangez-vous « Mathusalem » sous la même formule ?

Ivan Goll : Mon Dieu, si une formule est nécessaire !

Geo Charles: Nous appelons les pièces de ce théâtre - et « Mathusalem » - poétiques. Certaines de ces oeuvres, et particulièrement la vôtre, présentent un curieux mélange de poésie et de prosaïsme....

Geo Charles: Qu’en pensez-vous Claire?

Ivan Goll : J'attendais cette objection. J'ai donné à chaque personnage la langue de son âme. Ainsi, la jeune fille, Ida, sent et parle en vers, et je ne crains pas de lui ^prêter les images les plus lyriques, comme dans les pièces en alexandrins. Par contre le frère, voué aux affaires modernes, n'emploie que le style haché des appareils Morse. Et ainsi de suite ... Mais le langage truculent et terre-à-terre du père n'est pas moins poétique que celui de sa fille, s'il crée l'atmosphère élémentaire du personnage.

Geo Charles: Vous confirmez l'impression que me laissa la représentation de Bruxelles. Du lyrisme pur cette réplique d'Ida :

« Je ne connais plus d'autre jour que celui-ci

Où des narcisses remplacent l'herbe des gazons.

Le soleil est un chrysanthème que tu m'offres,

Ton front pâle est une tour d'ivoire

Sur laquelle je monte pour voir le monde.

C'est toi qui bâtis les tours apocalyptiques,

Les temples d'Asie et les docks d'Amérique

Les places portent toutes ton nom,

Les horloges sonnent à chaque heure ton nom

Et les navires en mer ne sont partis que pour te voir.»

Ce poème pourrait très bien être tiré des « Poèmes d'Amour » que vous avez publiés avec Claire Goll.

Claire Goll: Oh, je n'accepte que les poésies qui me sont adressées personnellement !

Ivan Goll : Mais tout ce que j'écris s'adresse à toi ! Pour qui écrit-on, par qui veut-on être compris, sinon par l'être qu'on aime et dont on veut être admiré ?

Claire: Tu me trompes !

Ivan : Avec toi-même !

Geo Charles: Je pense que vous allez faire dévier publiquement en "scènes de ménage" vos beaux " Poèmes d'Amour ". Au fait, si vous continuez, je pourrais dire que vos poèmes d'amour ne sont pas autre chose... finalement !

Claire: Eh bien, vous donneriez une belle idée de notre poésie !

Ivan : Mais Claire, après tout, je ne serais pas éloigné de croire que dans les poésies d'amour de tous les temps, les poètes ne sont occupés qu'à exprimer à leur amante des reproches et, sous forme de compliments, des sottises !

Geo Charles: Qu'en pensez-vous, Claire ?

Claire:  Pour moi il n’existe qu’une sorte de poésie, celle de l’amour. Une femme ne doit chanter que l’amour. Ce n’est que par l’amour qu'elle participe de la vie du monde. Les seuls poètes que je relis toujours, que je comprends et que j’éprouve jusqu’au fond des moelles sont Marceline Desbordes-Valmore et Elisabeth Barrett-Browning.

Geo Charles:  L’essence de leur poésie est la souffrance.

Claire:  L’essence de l’amour est la souffrance.

Ivan : - Peut-être y a-t-il là comme une accusation ?

Claire: Non, c’est une déclaration d’amour. Géo Charles notez vite. Je prétends que c’est celui-là (qui me fait tant souffrir) qui m’a faite poète. Je lui dois d’avoir appris à exprimer en vers cette affection que toutes les autres femmes expriment en soupirs.

Geo Charles:  Vous avez su prolonger à deux - en des oeuvres toujours lyriques et en des "Poèmes d’amour" que je relis avec une joie critique sans cesse accrue - votre amour de la Poésie. Votre double rêve a su se réaliser et se poursuivre en cette époque si bassement matérielle, si misérable, selon un rythme de beauté et d’idéal !

Ivan : Ce rêve nous sauve! Tout ce qui se passe en dehors de lui et de notre amour devrait nous laisser indifférents. Nous sentons confusément que les soucis du jour sont des soucis bien lamentables, mais aussi passagers. Les époques où l’humanité a faim, reviennent toujours. Cette fois, sa détresse provient de sa bêtise. Mais passons. Parlons d’amour qui est la seule raison d’être et qui est éternel. Thème peu actuel Thème qui le redeviendra au prochain printemps, soyez-en sûr ! Sinon, dans cent ans. Et il vaut mieux avoir raison dans cent ans que l’année prochaine. La vérité se mesure par siècles. »

Je laisse Claire et Ivan, assis en leur jolie terrasse d'Auteuil, dont j'aime tant caresser les feuilles. Lui, grapillait les raisins qui pendaient au vieux cep qui épouse la grâce de la balustrade, elle, appelait une demi-douzaine de pigeons blancs et leur donnait à manger dans sa main pâle … Les deux silhouettes, les bêtes et les choses, se composaient dans des attitudes qui me sont familières depuis longtemps … en cette petite terrasse du jardin automnal d'Auteuil qui m'apparaît toujours comme un carrefour rustique où la vie et la poésie viennent s'unir.

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 12 décembre 1931 ImsL p.52/53/54

lettre d'encouragement à poursuivre son œuvre  à traduire

 

Télégramme d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 23.12.1931 à 12h10 IsmL p. 54

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 24 décembre 1931 ImsL p.54/55/56

lettre sur son livre " Dem dunklen Gott "

 Paris 24 décembre 31

 Sainte Paula

Je tiens pour la première fois ton livre dans mes mains, c'est un grand, un

à traduire

« Mais hélas, Paula, quand vient la sentence : " Ce n'était qu'un humain ! Ce n'est qu'un homme !" 

Est-ce que tu me le pardonneras jamais ?»

 Ivan 

 

 Paris 24 décembre 31

 2

Paula, entzückend Mütterliche

Je dois te remercier aussi pour la ….

 

Dein Buch, auf dessen erster Seite du mir sechs Verse zurûck-rufst, die mir längst entfallen waren : du hast sie aufgehoben aus dem Staub meines Weges, und siehe, weil du sie so entzückend in deinen Händen präsentierst, sehen sie auch schon nach etwas aus. Deine Geste freut mich desalb, weil sie

à tradui

 

 1932

 

Télégramme d'Ivan Goll Amsterdam à Paula Ludwig Berlin du 4 janv. 32 ImsL p.59

à traduire

Du 5 janvier à la mi-mars 1932 Ivan Goll habite chez Paula Ludwig à Berlin,

Claire est à Paris, 19 rue Raffet, puis une semaine à Cagnes avant de revenir à Paris

 

lettre de Claire à Paris à Ivan Goll à Berlin du 9 janvier 32  MST p.72/73

Chéri Aimé.

 Tu réussiras avec ta pièce. Mais patience ! j'ai une grande confiance en ta confiance.

Je suis très touchée que tu aies pensé à moi et, qui plus est, en laine. J'ai égaré le numéro de téléphone de Cassou, s'il te plaît, renvoie-le moi, je l'appellerai alors d'une voix très suave, une voix de 18 ans.

 Voudrais-tu chercher dans l'annuaire de Berlin l'adresse de Oscar Ludwig Brandt ? Il lit toujours des poèmes de moi à la Radio. Il m'a écrit, il en demande de nouveaux, et naturellement, j'ai jeté la lettre.

 Oui, j'ai été voir le "Maximilien". Pour des oreilles de spécialistes, c'est dynamique, contrapunctique, rythmique, certainement grandiose, mais musicalement triste et gris. Musique cérébrale. Le public est resté tiède. Le parterre applaudissait, en riant méchamment, aux passages les plus chargés de dissonances. Il y eut aussi des coups de sifflet. Ceux-ci, du moins, n'étaient pas antimélodiques. De toute manière, le texte de Werfel était tout à fait impropre à fournir un livret. J'avais une telle nostalgie de sons, de chants et d'émotion, que j'irai lundi à la Traviata. Et tout Paris naturellement. Je pensais tellement à toi que je restais très loin de Illan, et il déclara que je lui avais gâché sa soirée.

 Le travail va bien, le roman est presque fini. Hellé, disposée à dactylographier, m'a écrit qu'elle acceptait mon offre de pension : 30 francs par jour, pour des raisons de chauffage, de bonne, de nourriture plus soignée et à cause de mon estomac délicat. A présent, je peux déguster sans remords de conscience, et je n'attends que l'argent pour me mettre en voyage. Kurt viendra me chercher à la gare avec sa voiture. Il a écrit ; " Allah est grand et je suis son chauffeur ".

 Rosa a encore brisé, avec le manche de l'aspirateur, 4 carreaux de la lampe-Chareau. Elle éclaire maintenant très mal, mais je ne peux pas la remplacer. A part ça, Rosa est très gentille et économe. Nous vivons de nouilles et de salade, et malgré cela, mon intestin ne veut pas se mettre à la raison.

 Je suis heureuse que tu aies de nouveaux souliers. Puissent-ils te porter vers le bonheur et le succès ! C'est ce que souhaite de tout son grand cœur

 ta petite Zouzou

 

A l'instant, la petite veste de laine ! J'en avais justement besoin d'une semblable, et elle est ravissante. Je baise la main qui a acheté cette cote de mailles en laine. Mais à présent, Chéri, j'ai assez de petites vestes. Et ne te laisse pas éblouir par les prix de là-bas, ne te laisse pas tenter. La qualité ne peut pas se comparer à celle d'ici, et ce n'est presque pas meilleur marché, d'autant plus que j'ai dû payer 5 frs de douane.

 

lettre de Claire à Paris à Ivan Goll à Berlin du 12 janvier 32  MST p.74/75

 

Très cher,

 Reçu ta lettre. Non, il y a ici une erreur. Je ne considère pas mon voyage à Nice comme un contre-poids de ton séjour à Berlin; En ce cas, je devrais rester à Paris, car ici, je suis infortunée-bienheureuse. Je n'ai d'ailleurs l'intention que de rester quinze jours. Pas plus longtemps. Jusqu'à ce que le roman soit tapé. Et pendant ce temps, j'en discuterai avec Kurt Wolf. D'autre part, je pense que la mer et le soleil me feront du bien, car là-bas, c'est déjà le soleil et le printemps. Ne le penses-tu pas aussi ?

 Je ne congédierai donc pas Rosa. Elle coûte vraiment un minimum, je m'en suis assurée. Pourquoi ne pourrions-nous pas la garder, aussi bien que d'autres, qui ont encore bien plus de soucis pour garder leurs domestiques ?

 Je téléphonerai à Cassou, dès que j'aurai son numéro. Mais je te prie de m'éviter la visite à Joyce. Je ne pourrais d'ailleurs pas écrire un seul mot sur lui.

 A tes parents, j'adresserai quelques lignes gentilles, avant de partir. C'est pourquoi tu n'auras pas besoin de dire que je suis à Berlin.

 La phrase de ta lettre : " Nous n'aurons jamais rien à nous reprocher l'un à l'autre", je ne l'accepte pas de toi, ou tout au plus dans ce sens, que nous nous reprochons de ne pas être assez heureux pendant que nous sommes séparés.

 J'ai, en ce moment, une période très lyrique, et suis contente d'en être presque à la fin du roman. Il y a tant de choses tendres à dire. Je veux, à présent, me transformer tout à fait, à nouveau. Ce n'est pas moi qui le veux ; ça veut. Revenir à moi, dans le rêve.

 S'il te plaît, continue à m'écrire ici, je te télégraphierai au dernier moment, juste avant mon départ. Tu sais bien combien il m'est difficile de m'arracher. Je préférerais traîner avec moi, comme un escargot, ma chambre et sa solitude, son tourment et sa nostalgie de merles.

 J'ai la Pedrazzinis :

 Demain, je serai interviewée pour "La Scène"[1], avec photo. Quelqu'un m'a téléphoné.

Ce serait un coup, si le Staatstheater acceptait ta pièce ! Qui est Bildt [2] ? Tu écris si rapidement. N'expliques jamais rien. Par exemple, tu ne m'as même pas donné la nouvelle adresse de Joyce et tu voudrais que j'aille le voir.

 Hier, j'ai entendu la Traviata (Dame aux Camélias) de Verdi, pour la première fois de ma vie. Au Théâtre des Gobelins. Dans un faubourg. Et pourtant, mes larmes ont jailli. Si on entendait beaucoup de Verdi, on deviendrait plus croyant et meilleur, car il remue le plus intime et le meilleur de nous. Et maintenant : tous mes voeux pour ton succès ! ! ! !

 En amour

 Ta Zouzou

 

A partir du 14 janvier, Claire sera chez l'éditeur Kurt Wolf qui réside à Cagnes-sur-Mer, avec son épouse, pour son livre Un Crime en Province qu'elle a traduit en allemand "Arsenik".

Claire rentrera à Paris le 5 février.

 

lettre de Claire à Cagnes/Mer à Ivan Goll à Berlin mercredi 20 janvier 1932  MST p.75/76

  mercredi

 [20.1.32]

Yvannot (Ivlein) Il pleut aujourd'hui. Naturellement, parce que nous voulions aller à Nice et au Cap Ferrat ! Les orangers, devant ma fenêtre se réjouissent de cette pluie, qui va faire grossir leurs fruits. Cette localité toute échafaudée sur des rochers géants descend au bas de mes deux fenêtres à balcon, et je comprends qu'ici les peintres ne sachent pas par où commencer, tant il y a de beauté. De l'autre côté, il y a la mer, et les jardins étagés avec des buissons de camélias et les mimosas, les cèdres, cousins de ceux du Liban.

 La maison de Kurt (*) est ravissante ; elle se compose d'un rez-de-chaussée avec salle à manger et cuisine ; au premier étage (mon appartement) comprenant une chambre avec balcon, une salle de bains avec tout le confort et le raffinement le plus moderne, puis un salon. Au-dessus, se trouve un immense atelier, où demeurent Kurt et Hellé.

 Je ne comprends pas du tout pourquoi nous n'avons pas toujours loué une maisonnette de ce genre ? Peut-on vivre ailleurs qu'au soleil ? Et pourtant, il est vrai qu'il est nécessaire d'y être doux et tendres l'un pour l'autre, comme le sont ces deux-là, car Kurt s'est prodigieusement transformé. Jamais il n'a été si digne d'affection (en tant qu'être humain) - je ne veux pas dire en tant qu'homme, - et si intériorisé. Imagine-toi qu'il nous prépare à tous le petit déjeuner, les toasts. Il met le couvert, il l'enlève, bref il est arrivé au point d'où tu étais parti, et son opinion est que cela seul est juste. Je lui ai demandé tout à l'heure, alors qu'il m'apportait mon thé au lit et me beurrait mes tartines, pourquoi tu ne peux plus le faire. Mais il ne peut pas t'expliquer à moi. Qui peut expliquer ?

 Je travaille beaucoup au roman, et sur moi-même ; si je n'acquiers pas ici l'esprit de mon âge, où l'acquerrai-je ?

 Je ne veux pas jouir, mais devenir. C'est là qu'est la différence entre nous.

 Et ta pièce, très cher ! J'attends enfin des nouvelles de toi.

Il y a des jours que je n'ai reçu un mot. Cela me rend inquiète.

 Si le Halensee n'est plus ce qu'il était l'an dernier, c'est de ta faute. Il faut faire d'un être humain que l'on aime, plus qu'il n'était, et non moins ; sinon, on s'est trompé.

 

...En toute tendresse et amitié

 Ta Zouzou

....Kurt me prie instamment, pour la énième fois, de te dire que tu devrais lui envoyer Mathusalem, Mélusine et Pleite. Veux-tu ?

 

 (*) Kurt Wolff, éditeur

 

Claire Goll: Un crime en province Roman, In - 16 254 p.

Paris Editions des Portiques,1932

 

lettre d'Ivan Goll Berlin à Claire à Cagnes/Mer du 22.1.1932  MST p.77/78/79

 Berlin Halensee

 22.1.32 [vendredi 22]

Chère Zouzou,

Ta première lettre de Cannes est bleue, détendue, pensive, franche, elle ne respire qu'amour pour ton "Yvannot".

Ce doux diminutif, plus doux qu'aucun autre, est adopté dorénavant.

 Yvannot te répond. Il répond à trois grandes et sérieuses phrases de ta lettre. Il croit pouvoir le faire.

  " Si je n'acquiers pas ici l'esprit de mon âge, où donc l'acquerrai-je ? Je ne veux pas jouir, mais devenir. C'est là qu'est la différence entre nous", écris-tu.

 Et : " Qui peut t'expliquer à moi ? "

 Et ; " Si le Halensee n'est plus ce qu'il était l'an dernier, c'est de ta faute. Tu t'es trompé".

 Je vais te répondre à ces trois questions sous la forme d'un livre. Un livre que je n'ai pas écrit, mais qui a été écrit à travers moi. Un livre que je n'ai pas senti, mais qui a été senti à travers moi. Donc un livre auquel j'ai pris une grande part, bien qu'il ait été fait tout à fait en dehors de ma volonté. Tu devines : Paula Ludwig a réuni des poésies qu'elle a écrites depuis le printemps dernier, et dont tu connais déjà une bonne moitié; elles les a publiées, peu avant Noël. A vrai dire, ce ne devrait pas être Yvannot qui t'envoie ce livre, et pourtant, Yvannot peut-il attendre qu'il te soit donné par des tiers ? D'ailleurs, je ne te l'aurais jamais adressé à Paris - mais là-bas, entourée d'amis exceptionnellement sincères, et près d'un homme qui est certainement le plus loyal que tu aies rencontré au début de ta carrière sentimentale, - aujourd'hui je peux te le mettre entre les mains, peut-être, d'un cœur paisible.

 Il y a derrière toi quelqu'un qui saura, lorsque tu détourneras instinctivement la tête, te la remettre doucement dans le bon sens : la tourner vers moi et vers ce livre!

 De ce fait, ta première question recevra une réponse : tu trouveras l'esprit de ton âge, et c'est d'un cœur clarifié que tu tourneras les pages.

 Mais de ces pages monteront pour toi les réponses à ta deuxième question : elles m'expliqueront à toi. Et si tu ne sais pas lire, dans les vers entre les vers, tu auras près de toi celui qui pourra te les interpréter. S'il est loyal, ce Don Kurt Juan, il me comprendra et il m'expliquera à toi. S'il est "loyal". Je ne sais pas s'il l'est. Je ne sais pas non plus si je le serais à sa place.

 Pour t'aider à passer de l'enfance à la maturité spirituelle, il te dira ceci : l'homme qui est chanté dans ce livre, l'homme qui est l'objet de cette incantation, n'a rien fait d'autre pour cela que d'être lui. Il est seulement l'objet de cet amour. Il a un rôle passif. Il a fait don à l'élue de beaucoup de douleur, beaucoup, et rien de plus. Et, sans doute, il était bon, et ne voulait pas donner tant de souffrance - mais il ne pouvait cependant rien donner d'autre, rien de ce qu'on lui demandait, il ne pouvait pas s'extérioriser et se perdre complètement.

 Vois-tu, il en découle tout naturellement aussi la réponse à ta troisième question. La réponse que tu lui fais toi-même est inexacte, car tu rejettes la faute du côté où elle n'est pas. C'est de ma faute si le Halensee n'est plus si beau que la première fois - et pourquoi ?

parce que je ne suis qu'un homme !

 K. W. me prie de lui envoyer mes livres. Je ne lui enverrais ni Mathusalem, ni Mélusine ni Congo-Caoutchouc, mais bien "Die Eurokokke", si je ne trouvais plutôt que le livre de P. L. suffit aujourd'hui pour qu'il apprenne à me connaître plus complètement et mieux qu'ailleurs.

Il  devra t'apprendre à le lire, le lire avec toi, et ensuite, te renvoyer à moi, afin que mûrie et plus compréhensive, tu puisse m'aimer et en recevoir du bonheur. (Montre-lui cette lettre).

 Et tandis qu'Yvannot te sourit,

 Ivan t'embrasse

 

lettre de Claire à Cagnes/Mer à Ivan Goll à Berlin en 1932*** MST p.76/77

écrite en français  et non datée mais nécessairement du 22 ou 23 ou 24 janvier

 

 Yvan

Tu m'as promis ton écriture et jusqu'à l'arrivée de cette lettre je ne serai qu'un être qui végète et qui souffre.

Mon Yvan, dès que je me réveille, dès que je pense à toi, mes yeux se remplissent de larmes. Pardonne-moi de ne pas tenir ma promesse, de n'être qu'une faible femme, ta femme, et de mourir après toi comme une pauvre petite chose malade. Ah si seulement tu n'as pas trop de peine, mon chéri, à cause de ces phrases insensées ! Moi, qui voudrais t'inonder de bonheur et te donner de la joie et toujours de la joie !

Pourquoi cette nostalgie qui brûle comme du nitrate d'argent ? Pourtant il y a la mer immense et le soleil ardent. Il y a des chansons, chantées par un jeune guitariste, ami de Kurt, mélodies accompagnées d'une lune raffinée. Mais je n'entends que ta voix, mon Amour.

Je ne vois que toi : dans les jardins chastes, dans la mer toujours en fuite, dans les rayons du soleil qui me corrodent le cœur.

Oui, j'entends ta voix dans le silence et la moindre fleur me rappelle ton extase devant la nature indomptable, nos extases communes devant tout ce qui exalte.

Je te dois tant, Chéri, jamais je ne te remercierai assez. Mais comprends-moi : malgré mes infidélités, je suis à toi comme je n'ai jamais été à personne, mon Petit, mon Grand, ma Vie.

Je baise tes mains aujourd'hui et toujours

 Zouzou

(voir au recto !) Je n'ai plus de papier à écrire

 

 (au dos)  De sepulcro en sepulcro

 Voy preguntando

 Cuantos hombres habian muerto amando,

 

 Me contestó uno ;

 Mujeres a millares,

  Hombres, ninguno

 

lettre d'Ivan Goll Berlin à Claire à Cagnes/Mer du 24.1.32  MST p.79/80

Chère Zouzou,

 Ma lettre d'hier était réellement dogmatique et sentimentale.

 Quand je me transporte dans ton cœur, je suis à même de mesurer ce qu'elle y a déchaîné - mais la proximité de tes amis, qui sont de bons juges en fait de choses aussi profondes que celles dont il s'agit dans ce livre, me confirmait que la discussion s'élèverait immédiatement au-dessus du plan personnel, et gagnerait le plan des grandes douleurs humaines. Toute la douleur qui est accumulée dans ce livre, doit désarmer quiconque a des soucis plus terrestres. Cette douleur que, moi le premier, je n'ai pas pu combattre.

 Après une première révolte, tu ne sentiras bientôt plus que mon infinie pitié pour cette victime qui a saigné à mort et poussé un cri qui semble être, au dire d'une de ses amies, son testament.

 En ce qui concerne l'épigraphe, c'est seulement un extrait d'un poème dont le manuscrit était chez elle et dont je n'avais plus moi-même le moindre souvenir. Donc, c'est une épigraphe comme beaucoup d'autres - et qui n'a aucune signification de plus pour les tiers, les lecteurs du dehors.

 Aujourd'hui, j'ai de bonnes nouvelles à te donner au sujet de Congo-Caoutchouc.

 La Production Aufricht, qui représente en ce moment "Managony" de Brecht-Weill au Kurfurstendam, s'intéresse à ma pièce et veut la monter après la " Petite Catherine " de Savoie, - également une nouveauté. On prévoit Forster pour le rôle principal. A vrai dire, en ce moment, à Berlin, les choses sont telles qu'on n'est sûr de rien, plus de deux semaines d'avance. C'est pourquoi... attendons !...

S'il se présente quelque chose de mieux, je saisirai l'occasion... si ça doit se faire plus tôt...

 J'ai rencontré Hell Herzog ; comme je laissais entendre que tu étais absente de Paris pour quelques jours, elle joua la surprise : "Maintenant, elle doit être là-bas. J'y vais le 1er février et lui téléphonerai aussitôt" … Ceci, pour que tu sois au courant.

 A part cela, je cours énormément à travers Berlin. Suis peu à Halensee. Je dois faire un nombre inouï de démarches pour l'anniversaire de Joyce. Brody le veut absolument. Il a raison. Mais, depuis décembre, il n'a pas payé.

 Nous avons eu dix journées merveilleuses, très tièdes ensoleillées, tout à fait printanières. Nous avions pitié de toi qui es là-bas sous la pluie. Mais à présent, le ciel se venge … brouillard, froid, gelée accablent Berlin depuis 3 jours.

 Au café, j'ai rencontré les Eisenlohrs. Ils sont allés à Majorque en octobre et novembre, et ils en sont enthousiastes. On va, d'abord, en train à Barcelone, puis on passe toute une nuit en mer et on débarque, le matin, dans une île de légende, où l'on vit dans une nature féerique, plus silencieusement et de façon plus concentrée qu'à Ascona …Je me réjouis beaucoup de t'entraîner jusque là-bas en mars, et de me remettre à la cuisine.

 Ton

 "Yvannot"

 

lettre de Claire à Cagnes/Mer à Ivan Goll à Berlin  28 janvier 1932 ***  MST p.80/81/82

 

Monsieur le Dr Iwan Goll Cagnes / Mer

chez Paula Ludwig,  [ jeudi ] 28.1.32

112 Gastenhaus-Atelier

Berlin-Halensee

 

Yvannot,

 Ta lettre et le livre sont ouverts devant moi. Je ne t'aime pas pour ce que tu dis, mais pour la façon dont tu le dis.

 Personnellement; je ne voudrais pas critiquer ce livre en soi.

C'est la confirmation officielle de votre vie en commun, devant le monde littéraire. Tu loues la force de la douleur de ton amie. Est-ce donc que la douleur imprimée t'émeut plus que la douleur cachée ? Je ne crois pas qu'on puisse souffrir plus que je ne l'ai fait, chaque nuit, depuis des mois et des mois. Laquelle de nous deux est la plus heureuse ? Goethe te répondra à cette question :

 "Il m'a donné un dieu pour que je puisse lui dire ce que je souffre".

Apprendre à te connaître, petit Iv., c'est une chose que je ne peux pas faire non plus grâce à ce livre. Tu m'as priée de le montrer à Kurt, ainsi que ta lettre. Il est seulement mon ami, pourquoi mets-tu en doute sa loyauté ?

 Après avoir lu la lettre, il a dit : "Toi et lui, vous allez bien ensemble. Toi et Illan, vous n'allez pas ensemble ". (Je lui avais montré des lettres)

 Il a dit du livre :

"Ces poésies ne me regardent pas et ne regardent d'ailleurs personne. C'est une affaire privée entre Ivan Goll et Paula Ludwig. Une expérience personnelle, et pas un monde. Quand une de Noailles ou une Lasker écrivent une poésie, cela me regarde. Car là, on ne sent jamais que l'étreinte s'est convertie en encre d'imprimerie.

Que deux personnes couchent ensemble et se fassent souffrir l'une et l'autre, soit : mais, au nom du ciel, qu'elles n'en fassent pas part au monde entier !

Croire qu'on peut apprendre à connaître Goll à travers ces poèmes, quelle erreur enfantine ! D'abord, parce qu'il n'y est nullement, on n'y trouve qu'elle. N'importe quel autre nom d'homme pourrait y figurer. Goll n'a été que le moyen d'atteindre le but ; sinon, quel autre aurait joué ce rôle.

 Jamais on ne peut apprendre à connaître un être humain à travers la littérature.Je te donne, comme exemple, un des plus beaux poèmes d'amour adressés par Goethe à Madame von Stein :

 Pourquoi nous donnes-tu ces regards profonds qui prévoient notre avenir ?

 Puis-je chercher à trouver, dans ces vers Mme von Stein ?

Absolument pas, je ne sens et je ne vois que la grandeur de Goethe."

 Voilà pour Kurt.

 Hellé a dit : " Je trouve épouvantable ce manque de distance entre son propre sentiment et le partenaire sentimental. De telles exagérations d'un être humain, cette façon de le diviniser, cela produit toujours une impression pénible. Ce n'est pas parce qu'on aime quelqu'un qu'il devient, de ce fait, un dieu, ni s'en approche. Chant du Moi, qui ne touche pas les tiers. Art pour l'art, qui aurait dû se réfugier dans une édition privée. Cette sorte de viol de soi-même, je l'appelle : flibusterie. Nous, les jeunes d'aujourd'hui (Hellé a 24 ans), nous n'avons aucun goût pour cette sorte de littérature. "

 Voici donc la critique de deux personnes qui ont, tout au moins, des vues nettes sur l'art. Mais tu t'es livré en pâture au public : reçois donc ton jugement !

 Et maintenant, mon enfant, mon petit garçon, je t'envoie ci-inclus une fleur. Toutes sont déjà là : les iris et les narcisses, dans le jardin, près des roses. Les petits amandiers sont en fleurs, le soleil rit, moi seule ai désappris la joie.

 Mais à toi je souhaite le sourire, le bonheur dans l'amour, une expérience positive. Et aussi que ces poèmes te rendent heureux : les hommes sont si fiers quand ils ont fécondé, inspiré. Et qui possède assez de mesure et de lucidité pour ne pas se prendre finalement pour un roi, pour un dieu, lorsqu'on le hausse jusqu'au ciel en lui donnant ces noms ?

 Moi aussi, je t'ai chanté naguère, mais plus tard, après que nous eussions traversé ensemble des années. A présent, je te tais.

 Je continue à t'attendre avec une infinie tendresse.

 Ta Zouzou

 

Encore un P.S. pratique. Envoie un chèque, pour que je puisse payer K. ponctuellement. Tu sais que sa mère était née Marx. Peut-être a-t-il hérité d'elle ce côté mercantile : car, lorsque nous faisons nos comptes, la cupidité de ce bel homme le rend réellement laid.

 Même autrefois, quand il brûlait d'un amour ardent pour moi, ce vice qu'il a, m'obligeait à douter de lui. Un homme avare n'a qu'une passion : l'argent. Avec ça, il disposait à cette époque, des millions de sa première femme (Merck-Chemie-Darmstadt). Quand moi, qui étais alors une enfant innocente, ignorant tout de la littérature, je fis pour lui mes premiers vers, il s'écria : " Tu es stupéfiante, l'égale d'une poétesse nommée Else Lasker-Schuler ! ". Mais jamais il ne pensa à faire publier ces poésies : ça aurait coûté de l'argent ! Et moi, tu me connais. Les calculs, l'exploitation de quelqu'un, tout cela m'est bien étranger.

 Curieux, ces deux types de juifs : les Shylocks, qui s'obstinent sur leurs créances et attisent l'antisémitisme universel, et les juifs messianiques, avec parmi eux le plus messianique de tous : mon Ivan.

 

Claire à Cagnes/Mer à Ivan Goll à Berlin dimanche 31 janvier 1932  MST p.83/84

 Cagnes 31..1.32

 Dimanche

Yvannot,

 Nous avons tellement parlé de toi que tu es presque là, parmi nous ; tu devrais pouvoir sentir les mimosas.

 Figure-toi que Madame de Maubeuge possède ici une ravissante maison ancienne (pension). J'y suis allée. La femme de chambre de Cavalaire est encore là et elle m'a reconnue. Mais les choses d'autrefois, qui étaient là tout autour, ne m'ont pas reconnue, parce que j'ai oublié le bonheur et que j'ai trop pleuré.

 Récemment, étant à Cannes, j'ai vu Théoule de loin, et près du port de Cannes, j'ai retrouvé la boutique de fruits où tu m'as acheté une si belle pêche, j'en avais l'eau à la bouche et les larmes aux yeux. Tu es si bon.

 Je travaille trop, au grand regret de Kurt (*). Pendant les heures de soleil, on n'arrive pas à me tirer de ma chambre, ni à m'entraîner à des excursions en auto. Pendant ces promenades, tu me manques toujours et il paraît seulement anormal de devoir jouir à quatre ou à cinq de ces merveilles qu'on devrait voir à deux, - car chez nous, il y a toujours des invités. De toute manière, Kurt est bien un peu surpris d'avoir pour hôtesse une femme si triste. Mais ici, tout rappelle sans cesse Ascona, le Jura d'autrefois. Comment ne serait-on pas infiniment triste ?

 J'ai trouvé une lettre que je t'ai écrite l'an dernier, de Bühlerhöhe, et que je ne t'ai pas envoyée :

 «… Elle est bien portante, elle a son petit garçon, je n'ai que toi.

 Elle trouvera un autre homme, avant qu'il soit passé beaucoup de temps. Moi je ne peux trouver qu'un représentant pour ne pas périr de douleur, jamais je ne retrouverai un autre.

 Il y a trois mois tu n'étais pas encore dans sa vie. Mais tu es ma vie, depuis plus de quinze ans. Comment pourrais-je le supporter ? »

 Peut-être aurait-il mieux valu toujours tout te dire, au lieu de me taire, par une fierté puérile, et d'en mourir, car je crois que ma santé n'aurait pas ainsi périclité, si YvanClaire n'était devenu Yvan et Claire.

 Au revoir, toi ! Samedi, je rentre à la maison.

 Ta "biche pourchassée et muette" te regarde avec des yeux tristes.

 

(*) Kurt Wolff (dirigera Pantheon Books, New York après 1940)

lettre de Claire à Cagnes/Mer à Ivan Goll à Berlin 2 février 1932 MST p.84

 Mardi

 [Cagnes s. Mer 2..2.32]

Yvannot,

 

 Ta lettre était très belle. Cela me peine de t'avoir envoyé entre temps une lettre si triste, qui a peut-être assombri tes jours de fête. Ne prends pas cela trop au sérieux ; j'ai passé des années à pleurer toutes les nuits et ensuite je l'ai oublié pendant des années. Cette souffrance-ci, elle aussi, sera submergée par la joie. N'est-ce pas ?

 Oui le séjour ici m'a fait beaucoup de bien. L'opinion mûrit toujours davantage en moi, qu'on devrait mettre fin à ses jours quand on est aussi malade que moi, et que ce monde appartient aux bien portants.

K.W. qui a lu ta lettre et l'a trouvée très émouvante, a demandé un peu ironiquement si ce que tu appelles : " devenir conscient par la misère, les tourments et les luttes " consiste à forniquer et danser aux bals de Presse. Et, comme je pleurais, parce que tu vois notre "union indivisible" dans le fait qu'une Cranach ou une anonyme disent que " nous sommes une idée ", il se moqua de moi et prétendit que cela n'était pas tellement grave. Car tu es un poète, qui vit des choses imprimées, ce qui ne t'empêche pas d'être un homme tout à fait charmant.

 Pour ta pièce, il y aura sans doute des difficultés, mais pourquoi n'aurais-tu pas autant de chance que d'autres, moins doués que toi ? Si ça ne marche pas à Berlin, ça marchera sûrement à Paris.

 Je t'enverrai le roman, dans 8 jours à peu près de Paris.

 Je pars samedi et serai rentrée dimanche à la maison, si l'on peut s'exprimer ainsi.

 Merci aussi pour les 50 M. d'hier et pour ceux que tu me promets pour aujourd'hui. Rappelle-toi aussi que Rosa et moi, nous avons besoin de vivre. Et maintenant, je vais tout de suite chez un spécialiste de l'intestin, je n'en peux plus. Vomissements et diarrhée tous les 3 jours.

 Au revoir, mon cœur, je t'aime tant.

 Zouzou

 

 

lettre de Claire  Cagnes/Mer à Ivan Goll  Berlin 4 février 1932 MST p.85/86

 4. 2. 32

 Cagnes s. Mer 

 

Yvannot, 6 heures du matin, le soleil se lève. Je suis devant lui, et en ce moment-même, tu dis peut-être : "Ma douce Paula" ou "Ma délicieuse Emmy", et cela me fait penser " qu'il y a tout de même en nous une loi morale", et que celui qui la foule aux pieds sera puni. La même loi, selon laquelle le ciel rougit.

 Un petit amandier fleurit non loin d'ici. Kurt m'a dit que les tilleuls fleurissent, tout le long des avenues. Je n'en sais rien, car j'ai passé 6 jours au lit, malade, mais ce seul petit amandier remplace tous les autres.  Ah ! les lieder, laisse là les lieder ! Je sais que tu le fais sans plaisir, et que tu aimes à traîner mes souhaits en longueur, si longtemps qu'à la fin ce ne sont plus des souhaits. Quand l'autre n'est pas désireux de faire plaisir, que reste-t-il du souhait?

 J'enverrai le roman dans 8 jours. Kurt a dit que ce n'est rien pour le magazine " Die Dame ". Le dernier chapitre est presque de lui, je n'en pouvais plus. Tout devient toujours si clair, quand on cause avec lui. Le nouveau roman aussi. On sait immédiatement ce qu'on a à faire, ce qu'on voulait faire de travers.

 Mais hier, lui qui ne prend que trop souvent ton parti, il était terriblement fâché par ta lettre. « Quoi, pas payé, criait-il, une inconvenance envers Rosa, un suicide au "Matin", et toi, te laisser dans l'atmosphère que crée un loyer impayé, inexcusable, tant qu'on possède encore 1 centime en Suisse ! On ne paie pas ses dettes, prétextes d'habitués de café…»

 Tu sais comment les Clauzel regardent quelqu'un, dès qu'il n'a pas réglé sa note de gaz. Mais le loyer, le gaz, l'électricité !

 « On n'a pas le droit, pourtant, de donner toujours la préséances à ses fautes et à ses plaisirs, et de sourire des travailleurs dans les "Romanische Cafés" (cette phrase n'est pas de moi), mais lorsqu'un homme commence à nager dans ses eaux-là …»

 Demain, je rentre à la maison. Schneider veut immédiatement une chronique des modes d'été, le "Berliner Tageblatt" doit aussi être renseigné là-dessus ; il faut que je parle aux Herzog …D'abord, le devoir, qui est de satisfaire à mes engagements ! Certes ce serait plus beau de rester ici.

 Ma santé n'a supporté que 3 excursions, c'est peu en 3 semaines. Et je ne suis sortie que 4 fois 1 heure, au soleil de midi, c'est tout. Mais un jour viendra peut-être ou plus de soleil brillera sur ma vie. C'est toi qui travailleras, et moi je me reposerai.

 Landau, cet animal, a dit à Illan, il y a 3 semaines, qu'il partait pour Nice et me paierait directement. Mais il n'a donné aucun signe de vie. Après-demain, je l'appellerai au téléphone dans son cantonnement : le Claridge.

 Je serai très seule à Paris, car je n'ai plus répondu à Illan malgré des lettres embrasées et pleines de reproches.

 Laisse donc Beye et Monsorten. Tout cela est de la saleté : basse, impure, allemande.

 A la protection de qui puis-je à présent recourir ? Si seulement on pouvait croire à quelque chose ! Une ardeur pour un avenir intérieur, non pas un avenir de théâtre ou de roman

 Un succès intérieur, non extérieur.

 Mais je le souhaite à toi aussi, naturellement.

 Ta malheureuse Zouzou

 

Kurt est d'avis que je devrais aller trouver ta mère à cause du loyer.

Si tu n'as pas payé dans 6 jours, je le ferai.

 

lettre de Claire à Paris  à Ivan Goll à Berlin 6 février 1932 MST p.86/87

 

 Paris, samedi

Aimé, je suis revenue rue Raffet. Je suis partie dès avant-hier, à cause de la Mode. Avant, j'ai encore causé longuement avec Kurt (*), son avis est que tu ne peux absolument pas rester à Berlin. Tu n'as jamais été reconnu en tant que dramaturge, en Allemagne, et l'on peut donc attendre bien longtemps un résultat positif....Nous avons parlé en outre (avec Hellé) du fait que "ton cas" est celui de beaucoup d'hommes de quarante ans. Epoque de crise. Pour parer au vieillissement et à l'ambition insatisfaite, au moyen d'un excès de sensualité. L'un cède à son avidité de jouissance, chez l'autre elle est freinée par la tendance morale. Le père d'Hellé, qui avait été un homme délicieux, succomba aussi de cette manière. Ne te crois pas un cas unique...

La plupart voudraient faire comme toi, mais nous n'avons pas le droit d'obéir à notre luxure.

 Comme me le disait Mme Herzog, tu passes pour être le "mari" de Mme Ludwig et d'autres femmes. Ce bruit circule. Au Bal de la Presse, tu présentas une très jolie femme, etc. On peut faire tout cela, mais est-ce permis ?…Je voudrais à présent aller chez ta mère et lui raconter tout depuis le début. Peut-être nous fera-t-elle une rente mensuelle et te rendra-t-elle ainsi possible cette griserie, qui ne rapporte, en vérité, pas un centime, comme tu l'écris, mais qui te procure une ambiance nécessaire, - paraît-il -, - à un "poète". La luxure, dit Kurt, devrait cesser à notre âge; il est trop commode de réclamer les joies de cette sorte au nom de mille faux-fuyants. Werfel lui aussi est un grand poète, et il vit dans la plus grande et la plus concentrée des solitudes.

 Ta mère me comprendra.

Entre temps, le loyer a été payé avant-hier, mais les Clauzel m'ont déclaré, à plusieurs reprises, qu'ils ont déjà réglé 2 mois de Gaz. Ils n'ont pas payé l'électricité, et la Compagnie m'a écrit très aimablement qu'elle va me couper le courant.... De plus, la note du pain est devant moi, ainsi qu'une demande pressante de la Bizot, de lui payer les 400 Fr que je lui dois ; le pharmacien, lui aussi, a choisi le moment le plus propice pour me déclarer que mon compte se monte à 700 Fr.

 Or, je ne suis certes pas trop aristocratique pour travailler, mais tu comprends qu'à la fin, j'en ai assez, et que mon épuisement physique est si grand qu'il a porté un coup à mon énergie de travail. Et d'ailleurs, pour les 30 M. que je recevrais au B.T. ! J'en ai assez, assez, assez !

 Claire

* Kurt Wolf

 

Le Journal des Poètes 2ème année, n° 11 - 6 février 1932

Deux poèmes de Paula Ludwig - traduction de l'allemand d'Yvan Goll - Bruxelles.

 

Extrait de la traduction d'une lettre d'Ivan Goll Berlin à Claire Paris du 7.2.32 (SDdV 65/145) lettre que je n'ai pas trouvée dans MST mais dans :

Iwan Goll Claire Goll Briefe, Florian Kupferberg Verlag Mainz / Berlin (262 p.) 1966, pages 86 et 87, mais, avec cette référence :

Sur un papier laissé sur sa table de travail, en 1932, Goll écrit au sujet de cette crise :

« Le Démon, voilà son nom. Voilà le nom de l'être que tu n'as pas nommé et que tu voulais que j'admette.…Eh bien, je l'admets, comme toi. Ne l'appelons pas " le destin ", et surtout ne le repoussons pas sur d'autres personnes. Le démon est en moi, je le montre du doigt. Je ne suis pas lâche comme tu le pensais. Il est la troisième personne de ton rêve étrange et lumineux, nous sommes toujours trois : toi, moi et le frère noir …l'amer profil que je suis forcé de porter pendant le jour, la voix voilée qui pend comme un rideau devant mon âme farouche.

 Mais il dépend de toi, Souverain du Songe, que ce soit moi ou lui que tu appelles.

 Il est vrai, les deux craignent la vie, le présent. La danseuse : parce que la confusion est une telle torture.

 Le frère, parce qu'il traîne toujours avec lui le sac rempli de chagrin, le corps plein d'inquiétude millénaire, plein de départs et d'arrivées millénaires.

 Souviens-toi de ma peine dans la longue nuit, quand je ma suis sauvé dans la chambre glaciale, te quittant vers trois heures de la nuit bienheureuse. Souviens-toi comme mes pieds se démenaient, ces pieds du Juif Eternel, qui ne peuvent oublier l'errance sans fin !

 Souviens-toi de l'agitation dans mes yeux, entre deux patries, éternellement l'homme sans terre, l'hybride entre femelle et mâle, entre la foi et la pourriture, entre le désir et l'ennui.

 Ivan »

 

lettre de Claire à Paris  à Ivan Goll à Berlin 10 février 1932 MST p.87/88

 Paris 10.2.32

 

 Non, toi, tu ne dois avoir honte de rien. Tu as été bon pendant des années, tu peux continuer à vivre sur ce fonds. Tu as encore un grand crédit dans mon cœur. Et peut-être gagnerai-je bientôt assez pour nous deux. Ne te tourmente pas à ce sujet, toi, mais ne dis pas : " L'époque est pourrie, je veux m'adapter à elle". Nous avons en nous une loi morale, nous le sentons bien, cela est au-dessus de toutes les époques, et tu ne dois pas agir contre cette loi, parce que quelques littérateurs et quelques idiots méconnaissent que tu es un poète.

Chéri, laisse ce cynisme bon marché à d'autres, plus petits que toi par ex. à Steinthal. Mais toi, lutte, lutte, monte, et ne sombre pas, ne te contrains pas à être plus mauvais que tu n'es. Et pourquoi ne te fais-tu pas plus rare ? Ne crois-tu pas que, sous tous les rapports, tu aurais plus de succès qu'en étant là sans cesse ? Comme ça c'est passé avec Beye et Cie. Ne vas donc plus dans cette cave des sous, où ils n'ont pas d'affection pour toi. Ne t'occupe pas de ces sous perdus et sales, mais des pièces d'or.

 J'ai envoyé aujourd'hui à Madame Landau, qui est encore à Beaulieu, une lettre diplomatique, recommandée. Ce faisant, le sentiment que j'ai pour toi me pénétrait malgré tout et j'ai écrit :

 "Trude (*), Beye, M. Schönherr ont dit à Yvan qu'ils ont réglé tout le monde en janvier, sauf lui, parce qu'ils ne peuvent pas le souffrir. Les larmes me sont montées aux yeux. On voudrait bien, parfois, se suicider.

 "Le pauvre malheureux garçon ! Parce qu'il a lutté désespérément pour gagner un peu d'argent à sa femme malade, ils ne l'aiment pas. Si seulement ils le connaissaient, s'ils savaient combien il est triste et fier, et combien il est bon, lorsqu'il s'agit de plus pauvre que lui ! En tout cas, je vous prie de ne pas me faire porter le poids de cette antipathie, etc.…"

S'il devient insolent, je pourrai toujours encore le menacer de Me Saviac. En fin de compte, il faudra bien qu'il paie, fût-ce plus tard, puisque nous n'avons jamais d'argent, et pouvons en avoir besoin à tout instant.

 Bonne nuit, toi, je suis fiévreuse et lasse. Encore une journée de crampes intestinales terribles et du travail le plus éreintant ; la voici terminée, encore une fois. J'ai travaillé sans arrêt de 7 heures du matin à 11 heures du soir. Demain je t'enverrai le roman.

 Et sois réellement fier de la façon dont je t'aime et t'aimerai un jour à nouveau

 Zouzou

(je n'irai chez le médecin que lorsque tu seras revenu). »

 

(*) Trude Esterberger

 

lettre de Claire à Paris  à Ivan Goll à Berlin 12 février 1932 MST p.89/90/91

 Vendredi

 [Paris 12.2.32]

 Yvan

  Je t'écris encore une fois aujourd'hui et ensuite je cesserai de le faire pour longtemps. T'émouvoir par des lettres, non !

 Finalement, certaines « autres personnes », s’y connaissent un peu en poésie, et elles ont trouvé comme moi que les deux poèmes traduits sont insuffisants. Le jugement de l'Amérique en de qui concerne Joyce n’est pas valable. C'est le pays de beaucoup de poètes mais pas des poètes. Il est déjà,assez significatif que les Etats Unis avec leurs millions d'hommes aient produit au cours de ces trois siècles si peu de génies en poésie :Whitman, Poe, Hart Crane et peut-être Ezra Pound, qui nous est d'ailleurs apparu, quand nous l'avons connu, humainement comme quelqu'un de bien médiocre. Et s’il est vrai que le don littéraire et la moralité ne se contrebalancent pas toujours, on devrait pourtant dans un grand artiste pouvoir deviner une certaine grandeur d'âme.

Et l'Angleterre aujourd'hui ? Où sont ses poètes importants ? Combien sont-ils ? William Butler Yeats, le jeune Dylan Thomas, dont t'a parlé Eliot. Eliot est d’ailleurs américain, et comme il me l'avouait lui-même, influencé par Rilke. (et d’abord par les Français, en commençant par Laforgue …) A l'époque où j’ai rendu visite à Eliot à Londres, il n'était pas du tout encore Eliot.

Non, ton enrégimentation de Joyce parmi les grands écrivains de langue anglaise m'apparaît très contestable. Et le culte de Joyce pour James Stephens me semble puéril. Tout ce qui vient de Dublin est pour lui sublime. C'est seulement parce que le rôle le plus brillant de son ami Sullivan est Guillaume Tell qu’il considère que cet opéra est un chef-d'œuvre et qu'il nous en chante des airs chaque fois que nous sommes chez lui avec enthousiasme (et pour mon supplice). Mais la note qu'il a dictée pour  mettre au bas du poème de Stephens est carrément naïve. Joyce est un génie en prose mais pas en poésie.

Bref : "Donnez-nous la liberté de pensée - (et de jugement), Sire ! " Permets-moi, s'il te plaît de ne pas partager ton opinion.

 Pourquoi ne pourrais-tu pas toi aussi te tromper ? Rappelle-toi la critique que tu fis de la prose de Illan. Et il a reçu, il y a quelques semaines, une lettre enthousiaste longue de quatre pages de Max Jacob, où celui-ci " lui baise la main, cette main infiniment bienveillante qui a écrit de telles choses " !

Et on ne peut pas dire que c'est un jugement de complaisance d'un homosexuel à un autre, car Illan est, Dieu le sait, un coureur de jupons.

 Rappelle-toi aussi ce que tu m'as toujours dit de mon roman Une Perle :"trop réaliste". Comme tu m'as découragée !

Dès la parution, rien que des articles élogieux de la presse française et de la presse des États-Unis pour l'édition américaine ! Signés Thomas Mann, Stéphan Zweig etc.. Et cette phrase qui revenait souvent dans les comptes rendus : "Un Emile Zola d'aujourd'hui", - ce qui n'est, après tout, pas à un blâme. Il y a un réalisme qui n'est pas forcément anti artistique.

D'ailleurs, tu sais très bien que j'ai lu un unique livre de Zola et que je l'estime, mais ne l'aimait pas, car ma passion, de Paris à saisir année, va à Dostoïevski. C'est aussi pourquoi nous nous sommes tellement disputés à Chambon/lignions, nous essayons de décrire ensemble un roman. Nos idées ne sont pas les mêmes.

Tu seras d'autant plus approuvé et confirmé dans ton culte de Joyce, par une autre artiste.

Mais à présent, tu me l’as écrit assez clairement : il n’y a , en ce monde, qu’un style, qu’une bonté, qu’une artiste !

 Adieu !

 Claire *

* Voici les deux poèmes en question.

Voici l'enfant -Du sombre passé -

Un enfant est né - De joie, de peine -

Un Coeur s'égrène - Au calme berceau -

La vie éclot. - Que l'amour pieux -

Décèle ses yeux. - Haleine qui passe -

Vite sur glace - Monde à peine là -

Qui déjà s'en va. - Un enfant dort -

Un vieillard est mort.

 James Joyce (traduit par Yvan Goll)

Le vent hurle à haute voix

Et silfle furieux sur ses doigts.

Soulève les feuilles trépassées

Se bat avec la forêt déchaînée.

À mort ! Hurle-t-il. Une mort folle

Dieu est de nous. Un homme une parole.

               

 James Stephens (traduit par James Joyce et Yvan Goll)

 

lettre de Claire à Paris  à Ivan Goll à Berlin 12 février 1932**** MST p.91 à /94

 Paris, 12,2,32

 vendredi soir

 Aimé, oui tu l'as senti et, le soir, ton télégramme devait réparer l'effet de cette lettre sans cœur, mais alors, il était déjà trop tard. Songe à ce que toute une journée de détresse peut déchaîner et détruire chez un être humain. Mais je préfère me taire là-dessus, il ne faut plus déclencher des émotions. Soyons donc positifs.

 Tu m'as écrit que mes lettres, finalement, te déçoivent toujours. Ah ! si je voulais te dire quelles grandes déceptions les tiennes n'ont été que trop souvent pour moi, et comment, bien des fois, elles tombaient aux moments où j'étais le plus disposée à l'amour et aux sacrifices. Tu as écrit plus loin : Paula a crié : Je te louerai un Théâtre, je ferai représenter ta pièce ! - Tu oublies que, pendant les premières années de notre inclination mutuelle, j'ai crié des choses semblables. Et moi aussi, l'an dernier, j'ai dit des choses de ce genre à Illan. Amoureuse depuis un an, songe donc ! Je souhaite que Paula te le dise encore après 16 ans.

 Ce matin, je t'ai dit que je ne t'écrirais plus, et ton télégramme ne peut rien changer à cela. Je dois seulement t'envoyer encore ce post-scriptum, tu verras tout de suite pourquoi.

 Je n'écrirai plus, car je ne veux plus rien savoir de toi et je veux que tu ne saches plus rien de moi. Je ne demanderai plus rien non plus. Ni ton retour, ni ton aide financière.

Le "Matin" sera aussi mon dernier souci. Je m'en tirerai bien, aussi bien que d'autres, et si, un jour, les choses vont bien pour moi, alors je partagerai certainement avec toi, je n'ai pas besoin de te le dire d'abord, mais je le ferai.

 Aime et vis, libre et indépendant.

 Je ne sais pas où je serai, quand tu reviendras. Quelque part dans le monde. Peut-être irai-je à Berlin, dès que tu n'y seras plus.....

 Je ne te le dis pas pour te rendre des comptes, mais pour que tu ne crois pas que c'est une revanche. A quoi bon ? je n'ai rien à te pardonner, ce que tu m'as fait n'existe plus.

 Pourquoi t'écrire encore cette lettre ? parce que j'ai envoyé, ce matin à Daniel (Kahn, Professeur d'allemand et beau-père d'Yvan), les 30 premières pages de la traduction de Germaine (Berton) et que je leur ai fait savoir que j'étais revenue de Berlin à cause de la collection de printemps....

 Adieu, sois heureux, laisse-toi aimer. Je ne peux rien t'écrire de plus tendre en guise d'adieu. Sinon, tu pourrais croire, encore une fois, que je cherche à t'émouvoir.

 Claire »

 

Et à présent, je voudrais te prier, chéri, de ne pas perdre courage, si tout le monde ne s'arrache pas tout de suite ton manuscrit. Je pense qu'il devient difficile de vivre de son art, et que ce le sera toujours davantage. Mais une autre fois, quand tu seras "d'humeur massacrante", ne m'écris pas. Pas de lettre, cela vaut mieux qu'une lettre pareille. Et d'ailleurs mon "insouciance"! As-tu pensé à mes petites demandes :

 1) « De mes grandes douleurs je fais de petites chansons »

  « Un jeune homme aime une jeune fille …»

  « L'Ode saphique » de Brahms

  Pour:

Mezzo-soprano, pour une voix que tu aimeras peut-être entendre à nouveau, dans un an ou dans trois ans.

 2) Christa Winsloe

 3) Droits d'émission et date de

  A la recherche de la voix perdue.

 

Donc, j'ai parlé à Joyce, tout à l'heure au téléphone. Voici textuellement ce qu'il m'a dit :

" Madame, j'aurais été très heureux de vous serres la main, puisque nous sommes voisins, mais je ne puis pour le moment, voir aucune personne, je suis dans un état épouvantable."

Moi : " Je sais, Maître, Monsieur votre père…Etait-il donc si âgé ?"

Lui : " Non, cela n'est pas la cause de mon tourment. Il est mort de vieillesse. 80 ans, c'est un âge normal. Mais je l'aimais beaucoup et je n'ai même pas pu aller le voir pendant ses derniers jours. Ma femme et mes enfants ne l'ont pas voulu et moi-même, je ne me sens pas en sécurité là-bas. Car ces gens ont brûlé toute l'édition de Dédalos en 1912, lors de mon dernier séjour. Vous comprenez pourquoi je n'ai pas pu aller là-bas."

(à vrai dire, je n'ai pas compris s'il avait eu à craindre le bûcher pour lui-même : ou seulement pour ses recueils de poèmes !)

Moi : " Oh ! naturellement, je vous comprends. Depuis combien de temps n'aviez-vous pas revu votre père ?"

Lui : " Depuis 20 ans ! Vous comprenez mon désespoir."

Moi : " Et vous ne vous écriviez-pas ? "

Lui : " Naturellement si, et je lui envoyais aussi des cadeaux ".

Moi : " Mais, cher Monsieur Joyce, ce n'est donc pas de votre faute si vous ne pouviez plus vous voir, la faute en est aux circonstances …"

Lui : " S …"

Moi : " Allo ! "

Lui : " Oui, j'entends. De toutes manières ne m'en veuillez donc pas, si je ne puis vous voir en ce moment ".

Moi : " Mais je suis chargée de vous demander quelle est votre position au sujet de votre 50 e anniversaire".

Lui : " Ces choses n'ont pour l'instant, pas le moindre intérêt à mes yeux. Excusez-moi donc auprès d'Yvan Goll. Je vous recevrai avec joie dans quelques semaines."

Moi : " Au revoir, cher Monsieur Joyce, et croyez à toute notre compassion."

Lui : " Merci de tout cœur, mes souvenirs à Goll, au revoir."

 

 Au revoir, - je te souhaite beaucoup de bonheur et d'amour à Berlin.

 Zouzou »

 

 Enveloppe sans lettre, écrite de la main de Claire :

 

Herrn Dr. Iwan Goll

bei / Ludwig

112, Gh. Atelier, Kurfürstendamm

Berlin-Halensee

Cachet de la Poste : Paris XVI, Rue Singer, 13. II.32

 

lettre d'Ivan Goll Berlin à Claire à Paris du 17.2.1932  MST p.94/95

 

Chère Claire,

 (Zouzou est réellement devenu trop petit pour toi !)

 Ce soir, j'ai lu Arsenic (version allemande de Un crime en Province) jusqu'au bout. Un grand, un très grand livre !

 Tant de matériau humain, extrait des profondeurs de la chair et amené au soleil, tant de savoir universel, de connaissance de l'âme, de force expressive, d'acuité visuelle et de finesse d'ouïe…

 Se transporter ainsi dans un autre être, haïr, assassiner, souffrir avec lui, l'éclairer du dedans et du dehors, disséquer, éplucher…le retourner en tout sens à la flamme de l'art, comme un poulet à la broche…

 Et puis, la vie de la petite ville : magistrale. Au début, on a des doutes : c'est tout de suite si fort. On se demande : comment soutiendra-t-elle ce ton, sans se répéter, sans ennuyer ?

 Tu as résolu entièrement le problème. Une des tâches les plus difficiles que puisse se proposer un artiste. Une tâche que peut seul aborder celui qui sait ce que sont les nuits inquiétantes, les tentations de l'instinct, le besoin de sacrifice, le sens de la mort …

 Inutile, n'est-ce-pas, de dénombrer les passages qui sont d'une grandeur classique : la nuit du premier empoisonnement, la mort de Gaby, cruellement exacte…et combien de petites phrases pleines de savoir !

 Mais à la fin, cette sonorité apaisante (inconnue de moi), cet écho final proche du ciel !

 Tout à fait grand !

 On ne peut que t'admirer !

 T'admirer, créature insondable !

 Mais, o toi qui n'es pas heureuse, qu'arriverait-il si tu descendais, une fois, aussi profondément en toi que dans les tréfonds de ta Suzannne, si tu projetais ta lumière jusqu'entre tes côtes, qui sont souvent les barreaux de prison empêchant d'accéder à la sagesse et à la liberté. Toi qui a sauvé la plus misérable de toutes, pourquoi ne te sauves-tu pas par la connaissance ? Tuer ne sert à rien, ni mourir : mais savoir !

 A la dernière page, on se met à aimer Suzanne !

 

 Ivan

 

 P.S. Je porte demain le manuscrit à KROLL / mais ULLSTEIN le trouvera trop lourd de contenu, bien trop bon.

 Ensuite HILDEBRANDT. Mais combien de copies as-tu ? Tu n'as pas besoin là-bas d'en garder plus de 1 ou 2 en allemand ! Envoie-moi encore un exemplaire, afin que je frappe tout de suite à la porte d'un éditeur, pour que nous ayons "deux fers dans le feu".

 Plus tard, je n'ai trouvé presque plus rien qui nécessite des améliorations

 

lettre de Claire à Paris  à Ivan Goll à Berlin 20 février 1932 MST p.95/96/97

 samedi

 6 heures du soir

 [Paris, 20.2.32]

 Aimé, je reviens à l'instant d'une merveilleuse excursion d'une journée dans la vallée de Chevreuse et je trouve tes Lieder. Ah, toi !

Dois-je les chanter à l'Amiral que j'ai ramené ici ? Il est perché sur le Pascin et il est encore tout tremblant de son destin tragique : être un papillon en février ! J'ai aussi cueilli les premiers chatons de saule. Et il y avait sur les bois de bouleaux un reflet mauve, à faire perdre la raison. Et, vers le soir, il y a eu la lune, la pleine lune. Et toutes les villas et les maisons qui bordaient la route, je rêvais que j'étais dedans, environnée d'enfants. C'était un home et un refuge, on appartenait à un lopin de terre, on n'était plus nomade, on n'était plus ballottée par le monde, empoisonnée par la solitude. Quel lourd fardeau que d'être artiste ! Walter me disait récemment: "Tu as un destin d'homme", - c'est une triste vérité.

 Et là-bas, dans les forêts, vivent les petits lièvres, et on les chasse, c'est le destin des lièvres. Dieu est insaisissable dans cet univers ; et cependant, je le pressentais et le saisissais aujourd'hui dans chaque jeune mauvaise herbe fleurissant le long de la route.

 Hier; charmante réception chez Lise (*). Tu te rappelles cette belle femme aux cheveux noirs (une raie au milieu, un front florentin) qui nous a frappés naguère dans les "générales" des théâtres parisiens ? C'est elle. Elle a divorcé de son premier mari et épousé un bel homme, très fin, dont elle a maintenant un petit garçon (avec une petite fille du premier), et une maison! Ah ! tu le verras bien, il y a chez eux tous les mois, une réunion poétique, 30 poètes étaient là, Flouquet, Ribemont-Dessaignes, des jeunes comme Colombat, Desnos et Youki, etc..

 A toi, j'adresse en outre, 2 volumes de Lieder en retour : j'ai déjà Schumann et Schubert est pour soprano, alors que je suis mezzo-soprano. Echange-les contre Hugo Wolf et les Lieder de Brahms.

 Parmi ceux-ci, je voudrais surtout :

 "Aussi vrai que le soleil brille, aussi vrai que la nuée pleure". Je crois que c'est de lui. Ou bien, me trompes-je comme "De mes grandes douleurs je fais de petites chansons", que tu as si gentiment cherché et retrouvé parmi les Lieder de Franz.

 Je suis de retour depuis 15 jours et je n'ai pas encore vu Illan, ne lui ai pas fait savoir que je suis ici.

  Il y a en ce moment, bien des choses à voir, et je sors donc beaucoup, pour parfaire ma culture. Surtout pour affiner, en compagnie de Français, ce mauvais style que tu me reproches tant. "O chaînes de roses" (°)…! Et : le style c'est l'homme, ce n'est pas la femme. C'est la qu'est mon excuse. Excuse-moi, oui, je suis heureuse, moi aussi, pour une fois. J'ai reçu un nombre effrayant de piqûres de strychnine, et, à en croire le prospectus, elles provoquent la gaieté et un état d'ivresse. Foin de la mélancolie et des larmes, qui émeuvent !

 Ci-joint la facture du Matin ; malheureusement, j'ai dû tout payer, il n'y avait plus rien à faire. Egalement pour le Gaz pour décembre : 234 frs., excuse-moi encore, mais la vie est faite de choses de ce genre.

 A l'instant Mlle Stil a téléphoné, aspirant à toi. Je l'ai consolée aussi bien que je l'ai pu, je lui dit que d'autres dames t'ont également appelé au téléphone, et que tu es chez Paula Ludwig.

 " Oui, elle le savait, mais combien de temps encore ? "

 J'ai dit que seuls le savent les dieux de l'amour.

 Ta lettre et ton télégramme, qui exprimaient ton bouleversement à la lecture de mon roman, m'ont profondément émue. Tant de sympathie artistique, c'est toujours stimulant.

 Néanmoins, je t'envoie ci-joint la critique, elle servira peut-être pour le placer. Voudrais-tu corriger un second manuscrit pour Tal, en le comparant avec le premier ou dois-je l'envoyer à Tal comme il est ?

 As-tu des perspectives chez Deutsch ?

 Le petit Walter (**) a reçu hier comme dessert : "Der Dunkle Gott". Le livre a remplacé une piqûre de strychnine. " Ce jour-là, ils ne me racontèrent pas davantage", comme il est dit dans les Mille et Une nuits.

 Et maintenant :

 Vis heureux, vis content,

 Comme le roi Salomon

 Qui chantait assis sur son trône

 Tout en mangeant du foie gras.

 Excuse-moi, mais je ne suis pas une poétesse, mais seulement

 la naguère pauvre

  Zouzou

  aujourd'hui riche

 

 Avant-hier et le jour précédent, une dame a téléphoné, qui a demandé sans arrêt à Rosa: "Alors il est en voyage, mais pas avec sa femme …pourriez-vous me donner son adresse ?" Rosa ne l'a pas donnée, elle a déjà beaucoup appris, et elle a dit : " Qui sait, peut-être a-t-elle besoin du soutien de Monsieur ". J'ai beaucoup ri.

 

 (*) Lise Deharme avait un célèbre salon littéraire d'avant-garde à Paris

 (°) Allusion à une lettre inédite d'Yvan à Claire du 12.2.1917 qui contenait la phrase :

"Chacun garde sa liberté jusqu'à ce qu'il se soit forgé lui-même ses chaînes : Chaînes de roses", phrase dont je me moquais tout le temps.

(**) Walter Mehring, écrivain de gauche, correspondant du Berliner Zeitungen à Paris de 1921à 1928, à Berlin jusqu'en 1933, puis à Vienne. Interné en France en 1939 avant de partir en 1940 pour la Martinique et les USA. Rentre en Europe en 1945.

 

lettre de Claire à Paris  à Ivan Goll à Berlin 22 février 1932 MST p.97/98

  Paris, 20.2.32

 J'ai eu tout à l'heure avec Tagger (*) une longue et amicale conversation.

 Tu sais qu'il n'a aucune raison d'être mesquin ou réservé, lui qui est le dramaturge allemand ayant le plus de succès.

 Donc, avant tout, il trouve que cette pièce vient beaucoup trop tard. Les pièces sur le monde des affaires ne sont plus demandées. Il trouve aussi que ce n'est pas dans ta ligne. Ta direction, c'est celle de "Mathusalem". Dès que tu t'en écartes, les pièces deviennent mauvaises. Il te conseille d'écrire une pièce qui soit pleine d'âme, artistique ou vibrante de satire, mais non pas torturée et "voulue". Il dit "qu'il est tout à fait inutile de tenter encore quoi que ce soit à Berlin, pour cette pièce, tu n'arriveras pas à la placer".

 Voilà donc l'avis d'un homme de métier. Je n'ai rien à y ajouter. Tagger dit qu'il avait lui aussi, écrit diverses pièces qui n'ont jamais été jouées.

 Hasenclaver, lui aussi, revient à l'art, après tant d'erreurs et de fours. Il compose une nouvelle pièce, en vers

 Il faut donc être modeste, et non trop orgueilleux. L'œuvre dont on doute est toujours plus grande que celle dont l'auteur crie : "On va me l'arracher des mains !". Je doute tellement de mon "Arsenic" que j'ai déjà voulu attenter à ma vie.

 Sois fort et comprends ! Tu as observé maintenant tant de matériel vivant, en Allemagne ; pourquoi ne pourrais-tu pas faire une pièce enflammée sur l'hystérie des Berlinois ?

 "Krankheit der Jugend" est un grand succès à l'Oeuvre

 Un jour, tu auras, toi aussi, des succès de ce genre, mais seulement quand tu te feras petit devant l'art théâtral, comme tu l'es, depuis longtemps, devant la poésie.

 Quand on est quelqu'un, les gens vous courent après (Pirandello) et on n'a pas besoin de faire un pas ; tous tes reproches sur ce sujet étaient injustes.

 Je t'envoie par le même courrier le second manuscrit "Arsenic".

J'ai obtenu et signé, aujourd'hui même, un excellent contrat d'un éditeur polonais pour "Ein Mensch ertrinkt". C'est chez lui qu'ont paru Morand, Maurois, Benoit, etc.

 

(*) Théodore Tagger véritable nom du dramaturge Ferdinand Bruckner, dont la pièce "Krankheit der Jugend" (1929) se joua avec un grand succès à l'œuvre.

 

lettre de Claire à Paris  à Ivan Goll à Berlin 25 février 1932 MST p.99/100/101

 Paris, 25.2.32

 

 Mon petit garçon,

 "Découragé" ? pourquoi ? toute déception sert à quelque chose. Celle-ci n'échappe pas à la règle. La prochaine fois, quand tu n'attendras rien d'une œuvre, quand tu seras tout humble devant elle et ne la tiendras pour rien d'autre qu'un début, alors, le succès te surprendra. En admettant que l'approbation de nos misérables contemporains mérite qu'on lui sacrifie le peu de paix intérieure dont on jouit chez soi, entre ses quatre murs, cette paix qu'on abandonne pour une chose aussi inexistante que la prétendue gloire.

  Mais, sot enfant, à quoi bon te faire des soucis ? C'est moi qui paie le loyer avec mon roman. Bien que je ne mette jamais, comme tu le fais dans ta lettre, à jongler avec des chiffres tels que 5000 ou 10000 marks. Pourquoi toujours exagérer ? Naturellement, lorsque l'on est sur une telle corde d'or et qu'on en tombe, le choc est rude.

 Et véritablement, je ne veux pas rompre mon contrat avec Tal.* Je suis pour la fidélité à la parole donnée et je n'aime pas faire de dettes. Tu me connais. Je me refuse donc, sous ce rapport à recevoir des leçons des Allemands. Et d'ailleurs, ne vivent-ils pas, en réalité, dans des conditions impossibles ? Je les supporte mal. Et il est encore plus facile de vivre avec le plus petit Français sain et honnête, qu'avec les Allemands les plus raffinés. Je l'ai constaté avec Kurt Wolff. Ici, nul ne s'immisce par force dans ton ordonnance intérieure, nul ne te divise, tu restes toujours solitaire et libre. Quel équilibre on gagne au contact des Français, et comme on perd pied aussitôt, ne fût-ce que pendant une conversation, avec les Allemands ! Comme ils sont indiscrets, même dans leur discrétion, et éhontés, sans pudeur d'âme ! Non, je n'aime que Paris, et cependant, je voudrais aller un jour à Berlin, pour plusieurs raisons.

Maintenant, en ce qui concerne les gains d'argent, les possibilités, tous mes amis et toutes mes relations me disent que c'est à Paris seulement que l'on peut encore se faire une place. Tant dans l'édition (tu l'as bien constaté, toi-même l'an dernier avec ton livre sur la photographie) que dans les journaux (où tu as joliment lâché Fels !). Paris-Soir s'est monté et tue momentanément l'Intran, et a un tirage de 250.000; que n'aurait-on pu y faire ! Des rapports illustrés d'Allemagne, ou bien ici, la chronique des livres, etc..

 Desnos, lui aussi est un poète, ce qui ne l'empêche pas de faire toutes sortes de besognes à côté.

 En ce qui concerne Maria Deutsch-Piscator, je pense qu'une visite adroite de ta part aurait beaucoup plus de succès que des approches féminines.

 Non, tu te trompes, je n'attends pas impatiemment ton retour, cette époque est révolue depuis longtemps. Je vis actuellement avec Rosa, qui me soigne avec amour, m'envoie prendre l'air, ferme la fenêtre quand elle trouve qu'il fait trop frais, etc.. Dans une tranquillité conventuelle. Je ne souhaite rien d'autre. Tu te trompes aussi lorsque tu crois que je ressens plus douloureusement ma solitude, parce que j'ai terminé ma tâche qui me remplissait toute. Comme tu aurais pu le deviner, j'ai déjà commencé un nouveau roman, - j'en suis tout au moins à sa préparation.

 Je lis de bon livres (anciens), beaucoup de Goethe ; j'ai près de moi une jacinthe, en faut-il plus pour se sentir infiniment riche ?

 Aujourd'hui, j'ai acheté pour ton vase vert de la salle-à-manger, afin d'y remplacer la bruyère, un bouquet de roses en cire, de toutes les couleurs, qui aurait inspiré Rousseau.

 A présent, je vais le regarder à tout instant et je me réjouis de sa suavité : un bouquet de noces. Car, tu le sais bien, les choses simples, primitives, déclenchent en moi les joies esthétiques les plus fortes. Je peux m'occuper toute la journée de ce bouquet, alors que je ne supporte pas les êtres humains plus d'une heure. Mais aussi, quelle différence entre l'être humain et la fleur, fut-elle artificielle !

 A l'instant, je viens de préparer ton paquet : "Die Alpenpassion der Jungfrau von Paris".

 Demain matin à huit heures, je le porterai moi-même à la poste, car, tu ne le sais pas encore, à huit heures juste je prends l'autobus, boulevard Suchet, jusqu'à la place Victor Hugo, et de là, je vais à pied jusqu'à l'avenue du Bois de Boulogne. Là, on me nourrit artificiellement, parce que mes organes ne veulent plus travailler eux-mêmes : ils sont morts. Il y a quelques jours, j'allais si mal que j'ai donné à Rosa - inondée de larmes -, - un télégramme à ton adresse pour le cas où il m'arriverait quelque chose.

 Ainsi donc, je reçois chez Meunier 1 litre de lait, 2 œufs, 1 beafsteack et j'ai engraissé déjà d'une livre en 3 jours. Il considérait ma "ligne haute-couture" comme un grand danger.

 Cela coûtera peut-être beaucoup d'argent, mais grossir, cela vaut de l'or. Je lui suis très reconnaissante et me sens déjà mieux.

 Il est maintenant plein de prévenances, et veux me faire des prix spéciaux. Il m'a pris 350 frs. pour un premier examen avec analyse de sang et de l'urine, radio et sondage de l'estomac. J'ai payé de suite, c'était inévitable. Généralement, il prend mille francs, m'a dit sa secrétaire. Ce que le sanatorium de Bühlerhöhe n'a pu faire, l'avenue du Bois le fait. Là-bas, on me donnait du lait et des œufs nature, et, bien entendu, je ne les tolérais pas. Ici, une fois avalés, ils sont artificiellement digérés par un appareil.

 Si seulement tu me racontais un peu plus en détail comment s'écoulent tes journées !

 Adieu, je suis si fatiguée, j'ai beaucoup travaillé et j'ai toujours 38 ° de température, le soir. Adieu

 Zouzou

 

 Voudrais-tu me répondre à une question importante ? (Ne pas oublier !) Hildenbrandt est-il de nouveau à la rédaction du feuilleton du Berliner Tageblatt, ou le chef est-il toujours Sinsheimer ? Tu indiques toujours tout d'une façon vague, et me laisses dans l'incertitude.

 

 Ce serait délicat de ta part d'écrire quelques mots à Mlle Stil. Elle a été opérée de l'appendicite, et je crois qu'elle a été très malheureuse quand je lui ai dit sur un ton moqueur qu'elle devrait prendre patience, qu'elle n'est pas la seule, etc.. Le même jour, une de tes "amies" avait téléphoné. D'ailleurs, Marianne Oswald téléphone si souvent et insiste tellement pour me revoir, que j'ai dû finalement l'inviter. Sinon, tu m'accuserais d'impolitesse.

 

* Verlag E.P. Tal & Co. Leipzig/Vienne

 

 lettre d'Ivan Goll Berlin à Claire à Paris du 29.2.1932   MST p.101/102/103

 Berlin 29.2.32

Chère Zouzou.

 29 février : on nous fait cadeau d'un jour de plus cette année ! Avez-vous, à Paris, vous aussi, des jours de soleil-fixe, des jours clairs ? Pour Berlin, c'est un hiver tempéré ; il gèle bien, mais il ne tombe pas de neige. Ce climat m'est favorable. Je n'ai pas encore eu une seule crise de grippe. D'autres personnes aussi ne se plaignent jamais de cette espèce de faiblesse qu'apporte à tous l'air trop mou de Paris. Mais tu me parles déjà d'amiraux et de primevères : tu baises déjà le printemps, qui paraît encore ici quelque chose d'impossible !

 Et o ta dernière lettre si douce ! comme j'ai eu envie de te serrer dans mes bras avec ta taille de figurine de mode, d'observer combien tu engraisses depuis que Meunier t'injecte ton beafsteack quotidien : te sens-tu mieux maintenant ? Je me lève avec toi, je te vois partir dès 8 heures pour le Boul. Suchet; à ce moment, ici, il est déjà 9 heures ; et je te vois rentrer à la maison avec le bouquet de roses de cire !

 Est-ce que le merle picore les baies du lierre ?

 Et tu rêves déjà d'un nouveau roman, et tu y travailles. Oh ! dis vite ce que c'est ?

 Ici, j'ai fait une trouvaille merveilleuse : " Das deutsche Lesebuch" de Hugo von Hofmannsthal contient les joyaux de cent années de prose allemande. On découvre tous les jours, dans ce livre, de nouveaux trésors. Je te le rapporterai.

 Comment je vis, à part ça ? Toute la journée, je cours après mon avenir. Je ne compte plus beaucoup sur la pièce. Je ne cherche plus qu'à bondir sur la selle de cinéma, et ensuite, ayant un peu de sécurité, je m'adonnerai modestement à l'art, à la poésie. C'est pourquoi je me cramponne encore à l'espoir de Mme Topoly, et appelle Paris à l'aide. Sinon, je ferai encore "antichambre" ici pendant des semaines.

 Merci pour la "Jungfrau von Paris", mais - hélas - j'ai besoin plutôt de l'autre version, qui est également dans le classeur ; c'est un manuscrit tout semblable, et je te prie de me l'envoyer immédiatement - j'oubliais que celle-là aussi était restée à Paris.

 

 Soir.

 Je viens de téléphoner à Krell : il n'a pas encore lu "Arsenic". Ces gens ! Avec Tal, nous allons voir : mais attends maintenant et ne dis rien, tout au moins à lui.

 Téléphoné aussi à Mme Topoly : le Dr Deutsch est en voyage pour toute la semaine. Oh ! l'impatience me fait grincer des dents ! Rien, absolument rien, ne veut me réussir ! et pourtant, je cherche honnêtement une occupation, fut-elle peu honorifique : synchroniser ! Le temps presse. Rien n'arrive. Et je tourne en rond. C'est pourquoi, encore une fois, une incitation venant de Paris était devenue nécessaire.

 Articles ? cela aussi. "Vu" organise un numéro sur l'Allemagne. Vogel est à l'Adlon, avec tout un état-major de collaborateurs, parmi lesquels Soupault. Un soir, nous sommes sortis ensemble. J'écris aussi quelque chose pour ce numéro : "Paris à Berlin", et j'ai déjà reçu 50 M. Mais, dois-je, comme tu le proposes, me contenter éternellement des détritus de "Vu" et de "Paris-Soir" ? Alors, seras-tu fière de moi ?

 Sinsheimer est, et reste, bien entendu, le chef des feuilletons du Berliner Tageblatt. Hildenbrandt s'est encore une fois mis en congé. Il aurait, de nouveau, quelque chose à dire chez Mosse. Possible, mais …

 J'ai de la nostalgie : une grande nostalgie intime de toi, Zouzou.

 Mais je ne peux pas, je ne veux pas rentrer à la maison en pauvre Moïse inactif !

 Comprends-tu

 ton impatient

 Garçon ?

 

lettre de Claire à Paris  à Ivan Goll à Berlin 3 mars 1932 MST p.103

 3.3.32

 Chéri,

 J'ai envoyé une lettre à Maria Deutsch (*), car j'ai trouvé cela mieux qu'un coup de téléphone, parce qu'au bout du fil elle se récuse le plus souvent. J'ai écrit que je voulais la voir, je l'ai remerciée aussi pour ses dispositions amicales à nous aider. A présent, il faut attendre qu'elle ait l'idée de me répondre et de vouloir me voir.

 Par le même courrier, l'autre "Germaine".

 Prends tout ton temps, ne sois pas impatient. Je ne le suis plus, moi non plus, nous arriverons toujours une fois à Majorque. Renate Green est partie hier là-bas pour quatre semaines. Tout s'envole là-bas, comme tu le vois par la coupure ci-jointe.

 Le nouveau roman ? Un roman d'amour naturellement. Mais comme c'est donc difficile!

 Le papillon est encore toujours chez nous. Les merles chantent à 6 heures ½ (heure de Berlin) et je chante :

 

 [Iwan]

 

 (*) Maria Deutsch-Piscator

 

Le 15 mars 1932 Ivan Goll quitte Berlin pour Paris

Paula passe la semaine de Pâques (dimanche 27 mars) avec son fils à Salem/Bodensee et ensuite vraisemblablement à Voralberg

 

lettre d'Ivan Goll Cologne à Paula Ludwig Berlin du 15 mars 1932 ImsL p.59/60

à traduire depuis la salle d'attente à ta table

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 17 mars 1932 ImsL p.61

à traduire

carte postale d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 24 mars 1932 ImsL p.61

à traduire

 

Le 24 mars 1932 Claire part en cure à Saint-Jean de Luz, près de la frontière espagnole

lettre de Claire train Paris-Biarritz  à Ivan Goll à Berlin 24 mars 1932 MST p.104/105

 [Train de nuit Paris-Biarritz]

 [24 mars 1932]

 Cher toi, à l'instant encore, j'ai vu à la fenêtre ton pâle, triste visage. Et maintenant, tu es poussière, déjà insaisissable, évanoui. Pourtant, je tiens encore ta tête contre mon cœur.

Mais je ne puis presque pas le faire, car je vois toujours cette tête couchée sur le sen d'une autre. Pourtant, comme je voudrais maintenant, te voir planer dehors, dans le sombre ciel de la nuit, près de moi, souriant et léger, encadré d'étoiles ! Pourquoi ne peut-on toujours être avec l'autre que dans la solitude, dans la séparation ? Pourquoi le présent est-il toujours un frein, pourquoi refroidit-il l'âme ? Dès que l'on voudrait aller l'un vers l'autre le gel est là, des glaçons dans l'âme. Et tu n'aurais qu'à tendre la main, à ouvrir les bras. Cela suffirait-il ? Oui, c'est justement cela. La nuit, il est plus difficile d'avoir un sot orgueil. Quand un train roule, et qu'un adieu brûle, ah ! comme on presse alors son amour contre soi ! Comme on sent le temps perdu qui ne peut plus être rattrapé. La fugacité de tout crée alors la même angoisse que si deux êtres, qui devraient n'en faire qu'un, étaient dispersés dans des univers différents. Toi, mon petit garçon, moi une petite fille, pourquoi nous rendons-nous mutuellement si pauvres ? Pourquoi, n'étais-tu pas là cet après-midi quand le merle chantait, pourquoi ne voyages-tu pas à présent avec moi et l'étoilé ?

 Le train dit : "Jean-de-la-lune", "Jean-de-la-lune". La légende de l'homme qui est dans la lune. La lune viendra bientôt et alors, je te reverrai. Bonne nuit !

 J'ai vu se lever une grande lune d'or rouge, mais tu n'étais pas dedans. Elle était encore tout contre la terre, et aplatie du bas comme une pièce d'or limée par la rotation.

Le sommeil n'est pas venu, mais le matin. Des pins avec leurs petits pots à résine contre leur tronc, des camélias, des amandiers en fleurs et les "landes" infinies. Quel pays digne d'amour, cette France !

 Et maintenant, je suis déjà au lit (9 heures du matin), j'ai pris un bain et je regarde, par la fenêtre, le soleil et l'azur qui environnent le palais que ce sont fait construire naguère Napoléon III et Eugénie.

 Bientôt viendront le "vin d'honneur" et le réveil dans la banalité.

 J'ai une grande surprise pour toi. Le directeur m'a confié cette nuit qu'en mai, il y aura une nouvelle caravane vers l'Espagne jusqu'à Majorque, et que Claire et Yvan en feront partie. Souris donc vite

 Ta Susu

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Salem/Bodensee Vendredi-Saint 25 mars ImsL p.62/63

à traduire

 : parle de la Passion

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Salem/Bodensee Samedi-Saint 26/3/1932 ImsL p.63/64

à traduire

 Ivan

 qui t'aime

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Salem/Bodensee 5 avril 1932 ImsL p.64/65

à traduire

 

carte postale d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin du 14 avril 1932 ImsL p.65

à traduire

…O je suis très inquiet.

 I

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 19 avril 1932 ImsL p.65/66

à traduire

Ton

 Mignon

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 24 avril 1932 ImsL p.66/67/68/69

à traduire

 Mignon

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 1 Mai 1932 ImsL p. 70/71

à traduire

 

Paula Ludwig Berlin à Ivan à Paris : très longue lettre du 3 mai 1932 IsmL p.71 à 75

à traduire ****.

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 10 mai 1932 ImsL p.75 à 78

à traduire

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 20 mai 1932 ImsL p. 78

à traduire

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 26 mai 1932 ImsL p. 79/80/81

à traduire

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 4 juin 1932 ImsL p. 81/82

à traduire

 

carte postale d'Ivan Goll  Nancy à Paula Ludwig Berlin 10 juin 1932 ImsL p.82

à traduire

 

Télégramme d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 22 juin 1932-11h50 ImsL p. 83

IMPOSSIBLE AVANT LE 15 JUILLET

FURONCLE. FINANCES

LETTRE SUIT

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 22 juin 1932 ImsL p. 83/84/85

à traduire

 

Paula Ludwig Berlin à Ivan à Paris : très longue lettre du 23 juin 1932 IsmL p.85/86

 

 De toute mon âme

 Paula

 

à traduire

 

Paula Ludwig Berlin à Ivan à Paris 24 juin 1932 ImsL p. 87/88

 Fais que ce ne soit pas trop lourd pour moi

 Paula

à traduire ***

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 28 juin 1932 ImsL p. 88 à 92

à traduire

 

Paula Ludwig Berlin  à Ivan Goll Paris 29 juin 1932 essentielle ImsL p. 92à 97

 Et ainsi je demeure Ta

 Paula

*** à traduire

  Je t'aime

Ma prochaine adresse :

Ehrwald

Tyrol

Maison 321

Autriche

 

carte postale d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 5 juillet 1932 ImsL p.98

à traduire

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 11 juillet 1932 ImsL p.98/99/100

à traduire

 

au départ d'Ivan, Claire Goll trouve le petit mot habituel sous son duvet 18.07.1932 MST p.105

 ZOUZOU

 Crois en moi

 Attends-moi

 Je t'aime

 Yvan

 

Du 18 juillet au 5 septembre, Yvan est chez Paula Ludwig à Ehrwald/Tyrol

à vérifier

 

lettre de Claire à Paris  à Ivan Goll à Ehrwald 18/7/1932 MST p.105/106

Paris 18 juillet 32

 

Sois là-bas, et non ici, et livre-toi au bonheur.

Travaille et achève "l’Eurocoque".

J’attends et sais que lorsque cette attente-ci sera terminée,

ces deux années seront mortes et nous ressusciterons tous deux,

- enlacés comme jadis :

C laire

  Iwan

 

Une seule chose, - même aux instants où je perdais la tête et les

"cuisses" : jamais je n’ai permis à un autre de te critiquer, jamais

je n’ai encouragé quelqu’un à le faire. Je sais que Paula L., travaille

tant qu’elle peut, à détruire l’image de moi que tu portes dans ton cœur.

Tu es mon mari, mon frère, mon ami.

C’est au dernier que je m’adresse, au noble ami, afin qu’il me

Protège contre le premier, qui, par instants, a soif de se venger.

 Aux soirs de notre passion, entre 1921 et 1928, quand je te

chantais les Lieder de Brahms, Schubert et Schumann, tu me demandas,

les larmes aux yeux : " Promets-moi de ne jamais chanter pour un autre".

 Là-dessus, tu juras solennellement de ne jamais jouer du Chopin

pour une autre.

 J’ai tenu ma parole à travers toutes les années. A vrai dire, je n’ai

pas non plus ton génie de virtuose. Je te libère de ton serment.

 Mais quelquefois, quand tu joues de la mandoline ou de la guitare,

Rappelle-toi que tu fus mon " Mandolinete ", mon " Mandolinschen "

 

 Zouzou

 

 Télégramme d'Ivan Goll Ehrwald 20/7/1932  MST p.106

 

 Ehrwald 20 - 07 – 1932

 Claire Goll

 19, rue Raffet, Paris

 

 Les sons de mon âme t’appartiennent. Mes doigts ne sanglotent

 Que pour toi . Seule la mort délivre du " serment Chopin ".

 Personne ne sait que je joue de la mandoline .

 

Mandolinete

 

( Meiner Seele Töne : Les sons de mon âme est le titre choisi pour la correspondance Claire/Yvan Goll )

 

Télégramme d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 23 juillet 1932-10h00 ImsL p. 100

ARRIVE MARDI SOIR VIA MUNICH

 IVAN

Télégramme d'Ivan Goll Munich à Paula Ludwig Ehrwald 26 juillet 1932-7h30 ImsL p. 101

ARRIVEE DEJA MIDI

 IVAN

 

Yvan arrive le 26 juillet à midi et vit jusqu'au 5 septembre 1932 chez Paula à Ehrwald

à vérifier

 

 

lettre d'Ivan Goll Ehrwald à Claire à Paris du 4.8.1932  MST p.106/107

 Ehrwald, 4 août 32

 

 Chère petite Zouzou ,(Zuzulein)

 

 

 Le moment est aussi peu propice que possible aux brisements de

Cœur. Les médecins spécialistes disent que le mois d’août ne s’y prête pas du

tout. Avril et mai ont été là pour ça, avec leurs petites cruches lunaires remplies du

miel de la consolation. En août, on devrait voyager et oublier. C’est le mois

" bête ". Sois donc sage , et vas bientôt à Schall et à Challes .

 Je t’ai fait transmettre hier par la Schweizer Bankgesellschaft 500 Fr pour que

tu les portes immédiatement à la Perception, 6, rue Poussin, en y joignant la feuille

bleue que je t’ai laissée. Tu auras à payer 509 Fr. : 9 Fr est le supplément pour les

frais qu’a causés, l’autre jour, la visite des deux messieurs en noir . Et je serais en

grand souci, si cela arrivait encore, au cas où tu ne porterais pas cette somme tout

de suite.

 Il y a eu, à la fin de la semaine dernière, trois jours éblouissants, pendant

lesquels j’ai fait de grandes excursions : à l’Ehrwalder Alm, au Fernpass. Comme

c’était bon de se détendre encore une fois ! Mais depuis lundi, il pleut sans arrêt :

peu importe, dans les montagnes, même la pluie est belle .

 Entre temps, les poèmes dont je t’ai parlé par lettre m’ont paru de plus en plus

Pâles . Je t’enverrai néanmoins l’un d’entre eux. Il faut espérer que, d’ici à Paris, il

ne s’évanouira pas complètement .

 Et je te prends

 Dans mes bras en silence

 

  Iwan

 

 

lettre d'Ivan Goll Ehrwald à Claire à Paris du 24.8.1932  MST p.107/108

 Ehrwald, 24 . 8 . 32

 mercredi

 

 Chère Zouzou,

 

 Suite et fin de ma lettre d’hier.

 Nul ne pourra m’empêcher de proclamer encore une fois , et toujours

à nouveau, que ton livre est d’une forme tout à fait grandiose .

Deux résultats qui portent ton empreinte :

 1) La province enfin clouée au pilori, vue jusque dans le plus petit

détail, étudiée avec une patience divine . Quel regard ! Quelle ouïe ! Jusqu’à

un demi-siècle, personne ne pourra le refaire mieux .

 2) Un meurtre de femme, éclairé jusque dans les mouvements les plus

secrets de l’âme, expliqué, excusé ! Vécu ! Souffert ! Payé ! Suzanne, que cette

meurtrière est belle, bonne, digne d’être aimée .

Quelles profondeurs de la destinée terrestre sont sondées, découvertes par l’accomplissement obligé de cet acte !

Je sais ce livre au-dessus de tout ce qui a été écrit en France, ces dernières

Années : au-dessus de Mauriac, qui est bien plus pauvre, de Green, qui est bien plus

nerveux, et des autres, qui sont bien plus éparpillés . Ton " Crime en province " est

émouvant, supérieur, sûr, plein d’âme, et surtout, plein de toutes les souffrances du

monde et d’un cœur de femme . Parfois, en une seule phrase, quelles lueurs projetées

dans les ténèbres de notre être. Dans un paragraphe, quelle étreinte de la triste créature

avec la magnifique nature .

 Je te renvoie donc aujourd’hui les corrections. Mais cela me semble être les

premières "bonnes feuilles". Tu recevras certainement encore la mise en page. Dans

cette multitude d’améliorations (qui, toutes, relèvent si considérablement le style !) tu

devras t’assurer encore une fois que le type a tout compris correctement. Et sais-tu

que ces corrections vont coûter terriblement cher, presque plus que le texte lui-même ?

au moins 1.000 ou 1.500 Fr. Ton éditeur Burnand sera furieux. Et s’il te retient ses frais,

il ne te restera rien du paiement convenu. En conséquence, je réclamerais tout de suite le

paiement, sous un prétexte sentimental quelconque : voyage à Plombières, etc.

 Car il faut que le livre paraisse dès maintenant . Burnand est complètement engagé.

Et quand ? Je vois peu de possibilités, techniquement, pour qu’il paraisse avant le 25 septembre : encore des bonnes feuilles, l’impression, le brochage … et cette date est

préférable pour toi.

 Donc, entre temps, tu iras à Plombières . Est-ce que ces quelques jours à Challes suffisent vraiment ? Tu te maltraites. Mais ne perds pas de temps à Paris, cette fois ! Repars vite.

 Rosa a des vacances magnifiques. Il est impossible que tu lui donnes de nouveau 400 Fr.le premier du mois, plus 250 Fr pour manger . Tâche d’arranger ça autrement . C’est trop bête de gaver ainsi une esclave.

 Et, avant tout, pense à ta santé

 Et à ton

 

 Iwan

 

Télégramme d'Ivan Goll PARIS à Paula Ludwig Ehrwald 6 Septembre 1932 - 11h03 ImsL p. 101

AI MEME TROUVE MERE MALADE

SUIS MOI-MEME MORT DE T'AVOIR QUITTEE

 IWANA

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 6 Septembre 1932 ImsL p.101/102

à traduire

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 8 Septembre 1932 ImsL p.102/103

à traduire

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 10 Septembre 1932 ImsL p.103/104

à traduire

Paula Ludwig Ehrwald à Ivan à Paris : du 13 SEPT 1932 IsmL p.104 à 106

*** à traduire

 

Paula Ludwig Ehrwald à Ivan à Paris : longue lettre du 14 SEPT 1932 IsmL p.107/108

à traduire

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 16 Septembre 1932 ImsL p.108 à110

à traduire

 

Paula Ludwig Ehrwald à Ivan à Paris lettre du 17 septembre 1932 IsmL p.110/111

à traduire

 

Le 19 septembre Yvan et Claire vont à Majorque pour une nouvelle cure de Claire et ils reviennent à Paris à la mi-octobre

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 19 Septembre 1932 ImsL p.112/113

à traduire

 

Paula Ludwig Ehrwald à Ivan à Paris lettre du 21 septembre 191932 IsmL p.113 à 115

à traduire

 

Carte Ivan Goll Palma de Majorque à Paula Ludwig Ehrwald 22 Septembre 1932 ImsL p.115

à traduire donne son adresse

 

Ivan Goll Palma de Majorque à Paula Ludwig Berlin 27 Septembre 1932 ImsL p.116/117

 Totalement totalement à toi

 I - Wana

*** à traduire

 

 1

Je veux parfumer l'aube comme l'anis 

Pour que ton cheval trouve plus vite

Le sentier de ma solitude

 

Je veux être plus faible que le nuage

Suspendu au-dessus du volcan

Et qui tombe au premier souffle du vent

 

Plus douce que la pistache verte

Tes dents aimeront me broyer

Me mêler à ta chair

 

Palma de Majorque 29 Sept. 1932 

 

 2

Cueille : o toi qui les choyas

Les deux oranges de mes seins

Tu les as voulues lisses

Pour plaire à tes paumes

Et fraîches pour la soif nocturne

Ouvre-les

Dévore-les

Que leur sang d'or

T'abreuve et te nourrisse

 

Palma de Majorque 30 Sept. 1932 

Ivan Goll Palma de Majorque à Paula Ludwig Berlin 5 octobre 1932 ImsL p.119/120

 Je ne suis pas en Espagne, je suis en ton sang

 ton Wana

*** à traduire

Ivan Goll Palma de Majorque à Paula Ludwig Berlin 6 octobre 1932 ImsL p.121/122

 Je suis Ton Ta

 Wana

à traduire

 

Télégramme Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 2 novembre 1932 ImsL p.134

SUIS 10 NOVEMBRE DANS TES BRAS

 WANA

Télégramme Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 10/11/1932 - 0h35 ImsL p.137

LUNDI MINUIT

 TON WANA

 

Le lundi 14 novembre, Yvan part pour Berlin. Il vit chez Paula Ludwig jusqu'au lundi 26 décembre car il a l’excuse d’un rendez-vous à Munich avec le Dr. Daniel Brody, Directeur de Rhein Verlag le lendemain de Noël. Il rentrera à Paris pour le réveillon du Jour de l'an. Claire Goll vit à Paris.

 

lettre d'Ivan Goll Berlin à Claire à Paris du 15.11.1932  MST p.107/108

Berlin, 15.11.1932

 

Aimée,

 

Depuis que je sais quelle chaude flamme s’est remise à brûler à Auteuil, le Halensee me paraît plus gris et plus froid qu’à mes séjours précédents. Je peux ddès maintenant te révéler que tu as accompli un geste diplomatique et courageux, lorsque tu m’as renvoyé.

Et si tu supportes jusqu’au bout cette vraie solitude avec un calme boudhique, la victoire nous sera certainement assurée à tous deux.

Je te remercie aujourd’hui pour tout, et suis, à toutes les heures, près de toi.

 Iwan

 

lettre de Claire à Paris  à Ivan Goll à Berlin novembre 1932 MST p.109

  Paris

 Novembre

 

Mon tout doux,

 Sauve toi, je suis très touchée par le petit cheval, notre nouveau Pégase si fragile. Il est à espérer que ton œuvre s’achève ..

 Sois aussi heureux que tu le pourras.

 En grande tendresse

 

 Sousou 

 

lettre de Claire à Paris  à Ivan Goll à Berlin 4 décembre 1932 MST p.109

 4 déc. 32

 

Bien-aimé,

 

 Je suis très effrayée. S’il te plaît, rassure-moi de suite, car tu ne sembles pas tout me dire. Tu n’es pas sérieusement malade ? Quel est le médecin qui te soigne ? Consulte tout de suite un spécialiste éminent, car ils ont un diagnostic plus sûr pour les maladies internes.

L’argent, ça n’entre pas en ligne de compte ! Accepte de moi ce qu’il faut dans ce cas . S’il te plaît, envoie-moi un télégramme, je suis toute malheureuse et inquiète. Est-ce le cœur ? est-ce une maladie du sang ? Les globules blancs mangent-ils les rouges ? C’est peut-être à cause de cela que tu ne m’aimes plus. Chéri, je te serre sur mon cœur, dis-moi la vérité ! Va tout de suite voir un spécialiste, demande le nom d’un très grand médecin au Dr Hans Kleinmann, à la Charité.

 

 Ta Zouzou

 

Nous avons connu Kleinmann à Malcesine, dans la pension Geyer, te rappelles-tu ?

 

lettre de Claire à Paris  à Ivan Goll à Berlin décembre 1932 MST p.111

 

 Paris déc. 32

 

Chéri,

 

 Il me sera difficile de te répondre. Ta lettre m’a fait mal. Oui, je m’étais beaucoup réjouie de te revoir. La dernière phrase de ton écriture agitée parle-t-elle de la joie que tu en auras aussi ? Je veux essayer de le croire .

 Trois jours ? et je dois en faire cadeau ? comme si tu n’étais pas libre de faire ce que tu veux. Seulement, il était indélicat de renier les 15 années écoulées pour justifier un manquement à ta parole. Dans ces 15 années, il y a eu autre chose que "le fait d’aller nous coucher à neuf heures".

 Et n’y avait-il pas, auparavant, des possibilités de faire cette connaissance plus intimen puisque Rowolt est l’amant de l’amie de Paula ? . . .

 Méfie-toi du médecin allemand.

 Hormones, hypophyse . . . je ne connais ça que trop bien, par Strohmann. Pense à lui et à Meyer-Hermann, il y a un charlatan en tout médecin allemand.

 Sois heureux, car tu peux bien l’être, puisque tu es aimé.

 

 Zouzou

 

 

lettre de Claire à Paris  à Ivan Goll à Berlin lundi 26 décembre 1932 MST p.110/111***

 Lundi

 

 Iwan, l’as-tu senti que, ces nuits-ci, je criais. Mais ta lettre express est tout de même arrivée trop tard. Tu peux l’interpréter comme tu veux, aimé, - que tu passes ces jours de Noël là-bas, cela me fait plus mal que le reste des 6 semaines. Que m’importe le Mingpferd.

Cet enfant est broyé par son mauvais guide .

 Que dois-je entreprendre à présent, je souffre tant Je n’ai pas voulu voir I., bien que je connaisse son adresse depuis longtemps, et bien qu’il m’ait écrit. J’ai échappé à tout le reste, mais tu étires la durée de notre séparation, faut-il donc que je continue à ne rien pouvoir faire de moi ?

 Depuis longtemps, nous ne sommes plus quittes. Ceux qui ont pris ton parti, ceux qui ont entendu nos accusations réciproques, comme Lucie et Renée (*), te proclament plus que coupable.

 Et veux-tu faire semblant de ne pas avoir eu 4 semaines disponibles, et de ne pas avoir encore largement le temps de faire une excursion de 3 jours à Munich. Parce que tu n’as pas l’argent du voyage. Ci-joint un papier de la Deutsche Bank qui prouve le contraire. A cause de la " mitraillade de Kiepenheuer et de Rohwolt". Mais Kiepenheuer t’a décommandé, d’après ce que tu m’as écrit la dernière fois, et Rohwolt doit être conquis par une fête. La même fête où tu te montres publiquement comme mari de P. L.

 Pendant qu’ici, avant-hier, chez Monsieur et Madame Pabst, je me battais pour t’obtenir une situation artistique : je l’obtiendrai très probablement. Je n’ai pas soufflé mot de moi-même, comme tu le crois toujours. J’ai fait là-bas la connaissance de Mittler, et rencontré Leonhard. On me pose toujours des questions au sujet de mon mari. Comme si j’en avais encore un !

 Parlons maintenant de ta maladie. Tu la partages avec Hélène Eliat. Elle aussi, elle a été traitée à Berlin par les plus grands spécialistes des glandes, à cause d’une faiblesse de l’hypophyse.

 On lui a injecté de l’extrait d’hypophyse et des hormones. Elle a supporté extrêmement mal l’un et l’autre. Là-dessus, elle a reçu un médicament, dont elle m’a donné aussi, car "tous les gens doués souffrent plus ou moins de déficiences de ladite glande", a dit le spécialiste. A moi, ce remède n’a fait aucun bien. Elle, dès qu’elle a cessé de la prendre, elle a eu des insomnies. A présent, il la traite avec des fortifiants de l’état général. Elle m’a dit : la question des glandes est bien loin d’être éclaircie, et l’on se sert des gens comme cobaye. En outre, se faire soigner les glandes est devenu une mode.

 Scherl a refusé mon roman depuis longtemps : je n’ai plus besoin de Monsieur Distler.

J'ai de l'affection pour toi, beaucoup d'affection. Je n'ai jamais cessé de t'aimer, même à l'époque du plus violent égarement. Dieu seul sait combien je me suis torturée dans ces années-là. Rappelle-toi donc un concert de l’an dernier. I était assis derrière nous (Salle Pleyel). Je me suis penchée vers toi et j’ai murmuré : "Mais je n’aime que toi"

Quand pourrai-je jamais supporter, à nouveau, la musique ?Tous les violons sautent et les archets sont surtendus. Mais je crois au dieu juste des juifs, et il doit comprendre que, s'il y a "œil pour œil", il n'y a pas "deux yeux pour un œil", deux yeux qui s'usent à pleurer, nuit après nuit, tandis que l'autre rit et célèbre des fêtes.

 Zouzou

(*) Madame Philippe Soupault

 

                                                        1933

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 6 janvier 1933 ImsL p.147/148

Chère Palu

 ton petit W

 

à traduire

 

La Voss [3] m'apporte beaucoup, beaucoup de joie. Beaucoup de joie parce qu'elle t'en apporte autant à toi, tout autant que les heures saintes que nous appréhendons pour notre destin. La tête de Méduse devait consacrer ta puissance. Mais la fleur d'or de ce jour qui arrive, j'espère, ne se flétrit pas et doit t'apporter un bonheur tendre dans une année nouvelle de travail et de recueillement

 Wana

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 11 janvier 1933 ImsL p.149/150

à traduire mercredi soir 11.1.33

 

 WANA

 

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 12 janvier 1933 ImsL p.149/150

à traduire jeudi matin 12.1.33

 

carte postale d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 20 janvier 1933 ImsL p. 152

à traduire

 

Paula Ludwig Berlin à Ivan à Paris : longue lettre du 21 janvier 1933 IsmL p. 152/153/154

 21.1.33 [Berlin]

Mon petit Wana, Palu a fait un long somme. Sa tête plongeait dans la mousse des forêts de la mélancolie.

Elle raconte son rêve) à traduire

Et à cet instant, un ami, (un ami naturellement) me montre un magazine. La photo d'un couple d'écrivains et m'interroge : "Le sais-tu ? Mais je n'arrivais pas à reconnaître. La détresse ralentit mon cœur

à traduire

Une toile d'araïgnée était suspendue à ton cher visage et au premier plan, il y avait une esquisse qui me faisait peur […] Le fait que pendant 15 ans, tu as vécu à côté d'une femme dont émane une telle froideur assassine […] Mais où est le grand, le remarquable Yvan, élargissantant ma nuit, comme un démon. L'esprit auquel mon livre fait allusion, la personnalité qui surpasse toutes les personnes de ma vie […] Explique toi à moi, explique toi, avant que le gel ne touche toutes les fleurs de notre foi. Combien de morts as-tu encore en réserve, qui doivent émaner sans cesse comme des fantômes et qui obligent mon âme à quelque chose d'incompréhensible, à la solution d'énigmes que je ne peux pas toucher de mes mains. Est-ce que toute ma capacité de résistance ne m'a servi à rien, le fait d'ignorer cette existence - de sorte que maintenant, en me tournant vers le monde objectif, revenant en arrière, je dois reconnaître que mon propre territoire est en grande difficulté. Ce territoire qui semblait destiné à être un Paradis, est blanchi par l'hiver. » (IG /PL, p.153/154)

 

 manque la fin de la lettre

à traduire

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 27 janvier 1933 ImsL p.154/155/156

 Paris 27.1.33

Chère petite Paula

Depuis ma dernière carte bleue, j'ai attrapé une mauvaise grippe.

à traduire

 

carte postale d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 20 janvier 1933 ImsL p. 156

 2.2.33

Mais Palu,

à traduire

 

Lettre d'Ivan Goll à Georges Hugnet  

Paris, 1er février 1933

Hans Arp est en ce moment chez moi et me dit que vous êtes prêt à me donner un manuscrit pour la collection de poèmes que je prépare. Je m'en réjouis beaucoup et vous prie de me l'envoyer aussitôt que possible, car tous les autres sont déjà sous presse.

Bien amicalement

Votre Ivan Goll

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 2 février 1933 ImsL p. 157/158

 Paris 2.2.33

Chère Palu

Je

à traduire

 

carte postale d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 3 février 1933 ImsL p. 158

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 6 février 1933 ImsL p. 158/159

  Paris 6..2.33

Chère petite Paula

à traduire

 

Feuillet trouvé sous mon édredon   (Claire Goll) 

 9. 2. 33

 

Beaucoup d'amour pour toi

est dans cette maison

et dans mon coeur.

Ivan

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 11 février 1933 ImsL p. 160/161

  Paris 11 février 33

Ma chère petite Paula

à traduire

 

Lettre d'Ivan Goll à Claire  

Nice, 12 . 2.33

Chère Suzulein,

Ce vendredi matin, rien d'autre au courrier que ton télégramme, qui m'attriste, car je t'avais écrit mardi une longue lettre et cela me peine qu'elle soit restée si longtemps en route. Tu l'as sûrement reçue à présent.

Hier, ta lettre a coloré toute ma journée : en bleu, bien qu'elle vienne des contrées pluvieuses, tandis que, comme tous les fats, je montrais mon beau costume sur la promenade des anglais. Ici, l'atmosphère est de plus en plus désagréable. Et de plus, il fait très froid et très humide le soir et le matin, en sorte que beaucoup de personnes sont enrhumées. Je ne regrette plus autant ton départ.

En outre, le soleil m'ess complètement assombri par le bavardage qui m'entoure . Jamais encore que je ne me suis noyé spirituellement et intérieurement dans une telle grisaille, un tel néant. Impossible de penser, ne fût-ce qu'une seule idée. "Qu'allons-nous manger ?" "mais combien cela coûtera-t-il ?". De désespoir, j'ai fumé comme une cheminée, toute la semaine, et finalement je me suis senti tout à fait mal. Je me laissais aller, ne faisais pas de culture physique, ne lisais pas, - mais hier matin, je me suis réveillé avec un tel sentiment de dégoût que j'ai pris soudainement une grande résolution ! Réellement, dois-je déjà devenir un vieillard à cheveux gris ?

Je mangeai 1 kg d'oranges et décidai de "ne plus fumer". Aujourd'hui, ça va déjà mieux. Dis à Kurt Wolff que je le remercie de sa lettre et que je verse aujourd'hui 500 francs à la banque Barclay. À quel prix compte-t-il la pension ?

À part ça, aucun autre courrier que l'invitation d'Eliott. Écris-leur une petite carte. Et salue tous les (Wölfe) "loups"

 de la part de ton agneau

 Ivan

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 20 février 1933 ImsL p.161

 

  Paris 20 février 33

Palu

 Manyana

à traduire

 *

Le poivre rouge crie

Il ne peut plus taire son désir

 

Le buisson de vanille

Est un nuage de volupté

 

Une tempête de cannelle envahit le monde

 

L'arbre de pluie

M'a jeté sa première larme

 

 Paris 22.2.33 

[CHANSONS MALAISES 1935 (9) II/184]

 

 

Paula Ludwig Ehrwald à Ivan à Paris lettre du 29.2.1933 (????) IsmL p.163 à 165

à traduire ****

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 3 mars 1933 ImsL p.167/168

 

  Paris 3.3.33

O Palu

 

A la 3 ème heure du 3 ème jour du 3 ème mois de l'année 33, je recevais tes 3 lettres

elles sentaient ton haleine, ta révolte, ta grâce et se mettaient à trembler de ta colère, mais à cette heure, comme tu le désire, je lève trois doigts et je jure :

Jamais je n'étais autant toi qu'aujourd'hui, totalement ton outil, totalement ton œuvre !

J'écrivais ces lettres dans une extase riche en malheur..

 

vérifier ma traduction et traduire la suite

 Manyana

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 15 mars 1933 ImsL p.170

 Ides de mars 33

Von schwarz und weissen Federn 

Palu ist deine Krone

Federn trugen des Vogels Gesang

Federn trugen sein bleierner Sarg

Von Schwarz der fragende Nächte

Von Weiss der wissenden Tage

Sei deine Herrschaft

Prinz der Welt

 

II/188

 

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 17 mars 1933 ImsL p.170/171/172

  Paris 17.3.33

Ma chère Palu 

 Ton

 I.

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 17 mars 1933 ImsL p.172/173

   17.3 [1933]

 [Paris]

Je serais coupable si je ne te donnais pas encore maintenant beaucoup de réponses:

Rien de nouveau, encore jusqu'à présent pour mon "Lucifer vieillissant". A cause des circonstances en Allemagne. Je ne me risque pas davantage de demander à Kiepenheuer et Rhein-Verlag. Et eux, ne prennent pas le risque de répondre. Entre temps, de mon côté, je travaille encore. J'ai résolu intégralement la partie du milieu : toutes les histoires de femmes qui te

vérifier ma traduction et traduire la suite

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 27 mars 1933 ImsL p.173/174/175/176

   Paris 27 mars 33

O Palu 

traduire

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 29 mars 1933 ImsL p.173/174/175/176

   Paris 29 mars 33

Chère Palu 

traduire

 

carte postale d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald  [mars/avril 1933] ImsL p. 177

Chère Paula : vient d'arriver de Garmisch splendide livre avec les oeuvres d'art de. Prends ici en attendant un triple merci et salut pour tout 321.

 I. 

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 12 avril 1933 ImsL p.178/179

Chère Palu 

traduire

 

Paula Ludwig Ehrwald à Ivan à Paris lettre du 18 avril 1933 IsmL p.179/180/181

 mardi de Pâques 33

Ma main est encore chaude de la dernière chaleur du petit oiseau qui mourait ce matin dans ma main.

à traduire **** la fin de la lettre manque

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 24 avril 1933 ImsL p.181/182

Ma Palu 

traduire

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 10 mai 1933 ImsL p.182/183

Chère Palu 

traduire

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 18 mai 1933 ImsL p.184/185/186

Chère Palu 

traduire

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 31 mai 1933 ImsL p.186 à 189

Chère Palu 

traduire

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 14 juin 1933 ImsL p.189 à 192

Chère Palu 

traduire

 

de la mi-juin au 11 juillet, Paula est à Berlin. Du 12 juillet au 5 août, elle vient voir Yvan à Paris avant de repartir à Berlin

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 6 juillet 1933 ImsL p.192/193

Chère Palu 

traduire 

S'il te plaît, écris-moi immédiatement

Et salue Berlin - non !

Mais Nina

et Gisèle et les amis d'autrefois

 Ton

 I

 

Claire part en cure à Plombières du 10 juillet au 8 août, date où elle se rend à Haybes-sur-Meuse au Château de Moraypré

 

lettre de Claire à Plombières  à Ivan Goll à Paris 10 juillet 1933 MST p.112/113

 

Bien-aimé,

 

Voici que nous sommes séparés depuis dix minutes et et j'en ai passé neuf à sangloter comme une orpheline. Blottie derrière le fourgon à bagages, je te voyais t'envoler et te métamorphoser de mille manières avec le paysage. Oui, voler comme un ange gardien, avec de petits flacons de parfum, du jambon et du fromage, chargé de valises, transpirant et toussant. Si seulement les anges gardiens ne prenaient pas froid à faire tout cela ! Mais je pense qu'un autre ange gardien te protégera aussi. En tout cas, je t'embrasse pour tous ces dons d'amour - et ces gestes d'amour, je te baise les mains avec ferveur, encore une fois, ces chères bonnes mains qui ont eu tellement chaud pour moi.

Maintenant, il y a tant de roses épanouies en pleine splendeur, dans les petits jardins des vilains pavillon, qu'ils anoblissent la banlieue. De même que tu m'as donné - en flacon - tous les muguets de Chantilly, je voudrais t'envoyer dans ta petite chambre des roses sauvages, pressés avec mon coeur. Jamais on ne s'aime assez. Par fierté, par timidité, on reste toujours tellement le débiteur de l'autre, et on en souffre.

 Et les sanglots montent et descendent dans la gorge, comme dans un thermomètre, selon qu'on pense plus chaleureusement ou plus froidement, et selon les rafales du "foehn" de l'adieu.

 Mais à présent, le train me secoue si terriblement que je ne peux plus rien écrire, mais seulement sentir. Sens tout, toi, ce que je ne peux pas dire, mon doux petit grand garçon, que je prends dans mes bras avec tendresse et prudence. .

 Ta Zouzou

 

 

Plombières-les-Bains, Grand Hôtel, neuf heures du soir

Chéri, me voici assise pour dîner, après avoir, depuis six heures, couru partout pour trouver une chambre. Pense donc, je suis même grimpée jusqu'à l'Hôtel des Rosiers, et j'ai regardé, le coeur saignant, notre fenêtre d'autrefois. Ah ! tout était complet. Et en bas, c'est affreux et ça coûte toujours 45 ou 50 francs. Mais à présent, je suis dans le plus bel Hôtel de Plombières, et je mange une brioche divine et des fruits paradisiaques sur de la glace, et "avec ça", une pleine assiettée de cette pâtisserie "maison", qui représente pour moi la félicité, et l'orpheline se croit dans un rêve ou dans un film. Il y a même un Pope roumain, avec une lourde chaîne d'or, un haut bonnet, une soutane neuve flottante doublée de violet. Et j'ai une chambre qui est la plus belle de la dépendance de l'hôtel, sur la colline boisée de pins. Rien ne manque, que toi. Étant donné que cet un vrai " Hôtel à 4 étoiles" doublement souligné, et grâce à lettre de "l'Intran", j'ai obtenu que le prix soit abaissé à 50 francs par jour. C'est beaucoup pour nous et peu pour ce palace. Mais quand tu seras ici, ce sera moins cher, puisque tu dormiras avec moi dans mon grand lit. Ah ! Si tu pouvais bientôt partager avec moi ma nourriture, mon lit, et mon coeur !

 Ta Zouzou

 

lettre de Claire à Plombières  à Ivan Goll à Paris 11 juillet 1933 MST p.113/114

Plombières-les-Bains,

Mardi après-midi

 

 Peut coeur, je ne trouve toujours pas pourquoi le bon Dieu est triste. Mais c'est que je suis si fatiguée. Le "Stieffel" qui dirige ma cure (collaborateur de Geiger chez Bensaude et à Saint Antoine) m'a prescrit un bon traitement.

Mais les bains coûtent cher, ici. J'ai payé aujourd'hui 30 francs à la caisse et c'est ce que j'aurais dû payer tous les jours, si l'administrateur, un-ex collègue (journaliste) ne m'avait fait obtenir la réduction énorme et extrêmement rare de 50 %, ce que n'espéraient pas mon médecin et mon hôtelier, qui disaient que mes demandes de réduction serait assez vaines, parce que Plombières appartient à l'État. Il n'empêche que la carte d'entrée pour les Thermes et les Sources coûtent, chaque fois 25 francs, le cataplasme 15 francs et un médicament qu'on m'a prescrit 25 francs, si bien que je tremble pour ma fortune. Mais je me réjouis que les 300 francs économisés compensent la cherté relative de l'hôtel.

J'espère recevoir demain une lettre de toi, contenant un bulletin "tout à fait en bonne santé".

 Je rêve que tu viendras et que je t'aimerai au son de la harpe et des chants d'oiseaux. Car une dame a apporté sa harpe, en-dessous de moi, dans la petite villa, sur la colline où j'habite, et c'est le plus joli bruit qu'on puisse imaginer, un bruit enfin qui n'est pas négatif, mais positif.

 Je suis un peu préoccupée à ton sujet, mince visage de petit garçon, manges-tu bien, dors-tu bien, te ménages-tu un peu, pour ne pas retomber dans cet état de faiblesse d'il y a deux ans ? Si seulement on pouvait déjà se voir à distance !

 Merci de m'avoir renvoyée ici et sens mes lèvres longtemps, longtemps, sur ta main.

 

 Ta Zouzou

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Claire à Plombières du 12 juillet 1933  MST p.114/115

 

Paris, 12 juillet 1933

Chère Zouzou,  

 Comme je me réjouis que tu sois bien logés et que tu aies eu le courage d'aller au Grand Hôtel : truites, pâtisseries au beurre, harpistes, popes roumains, bois de sapins : si tout cela ne console pas l'orpheline ! Si tout cela n'inspire pas, pour le moins, à la poétesse devenue muette, quelques pages de journal intime - ou des lettres, où elle raconterait un peu plus d'elle-même.

 Ta cure sera, il est vrai, fatigante, mais tu seras spirituellement libérée et cesseras d'être lasse, et je me promets d'avoir avec toi des jours de travail actif ! Ton petit visage d'orpheline et ton âme en deuil devraient reprendre des forces dans la paix consciente et reposée de ce paysage vosgien. Oui ?

 En ce qui me concerne, tout va bien de nouveau. La grippe est déjà oubliée. Mais je dors beaucoup, car je me sens encore très fatigué.

Hier, Mihalovici est venu me voir, il a été ravi de la "Genèse", et il a trouvé très juste que le bon Dieu soit triste. Il a promis de mettre cela en musique avant son départ.

La pomme mûre est revenue, rôtie, de Belgique. Elle trouve Coq-sur-Mer très beau et bon marché. Einstein relativement gentil. Il aimera peut-être aller aussi là-bas, plus tard. Mais, pour l'instant, il ne peut pas en être question, car il doit faire des études préliminaires à la bibliothèque de Vincennes, pendant 2 ou 3 semaines. En même temps, il me dicte, le soir, les prémices de ce qu'il a récolté dans les journaux. Hier soir j'ai été à la N R F  et j'ai porté à Malraux la table des matières et l'anthologie des écrivains "brûlés", 25 grands noms, qui ont fait bonne impression sur lui (et aussi sur moi). Peut-être cela réussira-t-il tout de même, et là aussi, il rentrera peut-être un peu d'argent.

D'ailleurs, Malraux a été spécialement gentil.

J'ai vu aussi Guéguen. Il viendra, un de ces après-midi, sur notre balcon. Nous politiserons alors ensemble. Edwige a bien lavé, hier. Demain elle repassera. Elle vient tous les 2 jours.

Je t'envoie 2 livres. Nemikowski et Döblin : Alexanderplatz. Pour le dernier, tu pourrais envoyer à Clara Malraux une gentille carte postale.

J'espère que ces livres t’inspireront pour ton travail.

Ci-joint 3 lettres :. tu peux prier la Société Générale, par lettre, de t'envoyer l'argent à Plombières par la Poste.

Avec ces mains que tu as baisées

je te bénis

Ivan

 

lettre de Claire à Plombières  à Ivan Goll à Paris 14 juillet 1933 MST p.116

Le Grand Hôtel

(ex Napoléon)

Plombières Vosges  14 juillet

Jour national de pluie

 

Sois rassuré, chéri, au sujet de ton bulletin de santé.

La "Création" est une oeuvre ravissante et Mihalovici pourrait composer là-dessus des choses merveilleuses. Oui, mais le peut-il ?

Encore quelques-uns de ces nouveaux poèmes et tu auras un volume, qui te rapportera beaucoup d'amour. Quelque chose de " gollien ", et non les boutons de la 7e " Hose" (°).

Comme c'est gentil de m'avoir envoyé ces livres ! Je t'en suis très reconnaissante.

Journal intime ! Imagine-toi que mon serveur (garçon) écrit, lui aussi, un journal intime, et un chevalier d'industrie italien m'a raconté qu'il a écrit un roman sur sa fille. Bientôt, les gens "bien" n'écriront plus rien. Par ailleurs, je suis tellement fatiguée par la cure que je tombe comme du plomb, le matin et l'après-midi, sur mon lit. Hier, j'avais même de la fièvre et j'ai passé une nuit agitée, asthmatique.

Il pleut beaucoup. Mais je suis tout aussi triste quand le soleil brille. Ma meilleure compagnie, ce sont quelques hautes onagres jaunes, des cerisiers sauvages et des buissons de roses. Tout cela pousse non loin de l'hôtel, en dehors du village, sur une colline vosgienne très authentique.

La harpiste - une déception. Une dame hautaine qui ne sait jouer que quelques gammes. Mais celles-ci sonnent sur cet instrument avec une beauté supra terrestre. Et cette harpe se dresse là comme monument, grande, majestueuse.

Malheureusement, trois enfants ont emménagé hier et ils s’ébattent bruyamment dans le jardin, sous ma fenêtre. Peut-être m'enfuirai-je ailleurs. Pour me sentir libre et ne pas être liée à cet hôtel, je voudrais te demander de m'envoyer par la poste 600 francs.

Cela fera lundi sept jours à 60 francs, plus de 10 % de service.

Si seulement tu mangeais bien ! Quand je pense à toi, il arrive que je ne puisse plus avaler mes repas.

Si tu étais ici et si nous faisions notre cuisine ! Il y a beaucoup de jolies chambres avec des cuisines, comme ce serait bon marché ! Mais tu n'es pas ici. En revanche je suis en pensée près de toi

Ta Zouzou

 

Puis-je te demander encore deux choses : m'envoyez 2 blocs de Goy-Laffitte et un numéro de l'Intran : "J'ai mendié", la première partie. Cela se trouve dans le secrétaire Biedermeier, quand on lève le pupitre à glissière. Merci.

 

(°) Jeu de mot intraduisible : Une plaquette de vers d’Ivan Goll s’intitulait « Die siebente Rose » ( la septième Rose) Hose (pantalon) rime avec Rose

 

lettre de Claire à Plombières  à Ivan Goll à Paris 15 juillet 1933 MST p.117

 

Le Grand Hôtel

(ex Napoléon)

Plombières Vosges

 

Samedi 15 juillet 33

8 heures du soir

Chéri,

 

Tout à l'heure j'ai passé une heure avec toi, dehors, avec les molènes. J'étais assise là, recueillie devant la vallée et je pleurais, songeant que moi, petite chose, il m'était permis de ressentir tout cela : le ciel rose du soir et les hirondelles, les cerisiers sauvages et les buisson de roses, les pavots de toutes les couleurs, mêlés aux orties passionnées. Mais surtout, par dessus la colline et les sapins bleus, notre chambre avec l'amour d'autrefois, impérissable. Oh ! comme je t'aimais dans tout cela, rétrospectivement et par anticipation. Tellement une avec toi et avec Dieu. Une fois encore. Il m'a tendu la main, à nouveau, après tant de temps.

Et c'est pourquoi je te raconte tout de suite, car tu es Son poète.

Laisse et les soucis et les Clauzel. ! A eux appartiennent le temps et le loyer mais à nous l’éternité sans limites.

 

 Ta Zouzou

 

lettre de Claire à Plombières  à Ivan Goll à Paris 16 juillet 1933 MST p.117/118/119

 

Le Grand Hôtel

(ex Napoléon)

Plombières Vosges  

16 7. 33

dimanche matin

 

Chéri, reçu tout à l'heure ta lettre. Je me réjouis beaucoup de te revoir. On dira à tes parents qu’on me fait ici un prix spécial comme journaliste, parce que j'ai promis d'écrire sur Plombières dans l’Intran (40 francs par exemple) mais que eux ne peuvent profiter de ces conditions de faveur ; aussi vais-je leur chercher une chambre dans un autre hôtel. Tu pourras dormir avec moi gratuitement, je pense ; éventuellement, je prendrai mes repas avec vous et je ferai déduire ici mes repas. J'en parlerai plus tard au directeur.

Je ne pourrais déménager qu’après avoir reçu les fonds et je ne saurais où aller. Je t'avais parlé d'une chambre dans l'autre hôtel mais entre-temps, elle a été occupée, et d'ailleurs, je n'aurais pas beaucoup aimé aller là-bas. Un silence complet s'est refait aux alentours de ma chambre. Les enfants sont logés dans une autre aile de la villa et ils jouent dans le jardinet de l'autre façade.

Mais la plus grande objection que j'ai à faire à un changement, c'est la situation idéale de cette villa. En face des Thermes. Après la cure terriblement fatigante, je n'ai qu'à monter un escalier et qu'à me jeter sur mon lit. Dans l'état d'épuisement où je suis momentanément, c'est un avantage que tu ne peux pas te représenter.

Faire mes malles et déménager, cela m'enlèverait une partie du bénéfice de la cure, il est maintenant trop tard pour cela. Simplement, nous tiendrons tes parents éloignés du Grand Hôtel, c'est la meilleure solution. De plus, le mieux sera que je ne mange qu'à midi avec vous, et que j'aille prendre le dîner au Grand Hôtel à neuf heures du soir. Ici on mange très tard, tandis que les autres hôtels servent à 7 heures. Je pourrai donc être avec vous tous les après-midi, jusqu'à neuf heures, et cela suffit.

Ils pourront voir ma chambre et s'y tenir tout le temps ; elle est démodée et sans aucun luxe, et ils croiront facilement que c'est une chambre bon marché.

Ce n'est pas le luxe et qui m’importe, c'est la tranquillité. Si j'avais, les premiers jours trouvé une chambre d’angle comme celle ici, à l'étage supérieur, ailleurs, je m'y serais certainement transportée pour économiser de l'argent. Mais c'était toujours de telles chambres que je savais, d'avance n’y pouvoir rester trois jours.

Écris-moi combien devra coûter la chambre pour les tiens, avec la pension, et combien de jours ils resteront

Je partage, chéri, beaucoup plus que tu ne crois, tes soucis d’eau et de gaz, y compris l’eau minérale de la cure. Car sous ce rapport j'ai le sang encore plus lourd que toi, et je me fais vraiment des cheveux gris : ce n'est pas une façon de parler.

Adieu, et bien que je te cause tous ces tracas, aime-moi un peu

 

 Ta Zouzou

Le docteur Stieffel, un assistant de Bensaude (comme Geiger) est remarquable. Il change ma cure tous les quatre ou cinq jours pour ne pas me fatiguer exagérément, étant donné que je fais Luxeuil en même temps que Plombières mais l'eau contient beaucoup de radium, ce qui cause cette faiblesse.

2h½ de l'après-midi.

Chéri, après un déjeuner paradisiaque, avec poulet et tarte aux fruits "maison". (le garçon qui me sert m'en donne toujours une double portion : c’est un sentimental, qui écrit son journal), - j'en reviens, encore une fois, à cette affaire de visite. Ce matin encore, j'ai consciencieusement cherché partout une chambre. Mais vainement. Je reste donc, avec d'autant plus de joie, dans la mienne. J'ai également parlé, tout à l’heure, avec le propriétaire. Tu pourras dormir gratuitement dans mon lit et manger où tu voudras. Pour tes parents, il y a de bonnes chambres avec pension à 40 francs dans les autres hôtels. Cela va-t-il ? Moins cher, il n'y a rien de convenable. En outre, l'hôtelier me fera très volontiers un double fictif de ma facture, pour que tes parents voient que je paie, moi aussi, 40 francs.

 

carte de Claire à Plombières  à Ivan Goll à Paris 18 juillet 1933 MST p.119

Plombières-les-Bains, 18,7,1933

 

Chéri,

Je suis triste. Tu ne m'as pas écrit hier, aussi n'ai-je rien reçu aujourd'hui. Tu m'as oublié aussi bien que la petite plante pendante sur notre balcon. Je me suis réveillée, ce matin, avec une grande angoisse pour elle.

Maintenant, c'est l'heure des onagres. Quel beau soir et comme je souhaite que tu puisses t'adonner au paysage et à l’air avec ta sauvagerie si particulière.

Je t'aime beaucoup. J'espère que tu ne me seras pas, de nouveau, complètement volé.

 Ta Zouzou

Surtout par, encore une fois, par la femme de Saint-Exupéry !

 

lettre de Claire à Plombières  à Ivan Goll à Paris 20 juillet 1933 MST p.119/120

jeudi matin

Chéri,

  "Belle", ma lettre ? Ne s'agit-il pas plutôt de sa chaleur ? Je veux t'approcher de près, mais non faire de la littérature. Mais tu restes lointain ; à peine un écho me parvient-il ; je ne veux donc plus insister sur mes sentiments.

 Il fait maintenant un temps merveilleux, quelle misère que Paris te retienne. Pour l'an prochain, j'ai trouvé une solitude paradisiaque pour nous dans ma ferme : on entre dans "l'appartement" par la grange à foin. Un peu notre "Zabern" d'autrefois, notre idylle alsacienne. Coût : zéro

L'argent, demander de l'argent, c'est ma plus grande de torture.

Si l'arrivée de tes parents n'étaient pas à l'horizon des Vosges, je serais partie et rentrée, hier, avec l'argent, et nous n'aurions plus ce souci. Quand il est arrivé, j'avais déjà pris mon billet de bain aux Thermes, à crédit. Il me reste donc 100 francs sur les 600, j'espère m’en tirer avec cela jusqu'à la semaine prochaine. Si seulement je n'étais pas obligée de laisser 30 francs à la caisse de tous les deux jours !

Cet idiot de médecin qui me prescrit des médicaments que je n'achète d'ailleurs pas. Si je gagnais quelque chose ! Je travaille bien, mais à quoi cela sert-il, pour le moment ?

Ah ! Il y en a tant qui sont plus malheureux que nous. Soyons reconnaissants et baisons les pieds de Dieu.

 En amour

 Ta Zouzou, qui se réjouit de te revoir.

(Que devient ton travail ?)

 

lettre de Claire à Plombières  à Ivan Goll à Paris 21 juillet 1933 MST p.120/121

 

Le Grand Hôtel

(ex Napoléon)

Plombières Vosges  

Vendredi matin

1933

Chéri,

Attention ! La photo est dans cette lettre. J'en avais une, par hasard, dans mon porte-cartes. J'espère que tout ira bien.

Dufour m'a écrit qu'il a un appartement ravissant : 1.400 francs pour la saison. Tu parles ! Et s'il doit me réserver la place de la "mendiante officiele" à l'entrée de l'établissement. ? (*)

Reçu tout à l'heure une carte de tes parents. Ils viendront donc ici mercredi matin à onze heures, de Vittel, en autocar. Comme je me réjouis de te revoir ! et comme ce climat magnifique te fera du bien ! Tu en a tellement besoin !

On ne porte pas ici des tenues de golf. Prends ton bon complet gris clair et peut-être un pantalon de flanelle avec une chemise de sport, pour les excursions. Tes souliers blancs et jaunes, et tes bottes de marche. Le soir, il fait frais et la pelisse m’est très utile. Je regrette même de ne pas avoir emporté la grande de couverture. Pour toi, ton imperméable suffit. Apporte un peu de café moulu. Je n'ai plus de Sanka et ne suis pas assez riche pour m'en acheter. Apporte un exemplaire du " Crime en province".

Et maintenant, dois-je louer une chambre pour tes parents ? Comme je te l'ai dit, c'est 40 francs par personne.

Reçois un long baiser comme acompte,

En tout amour

Ta Zouzou

 

26 et 27 juillet Yvan et ses parents vont ensemble à Plombières-les-Bains

 

carte d'Ivan Goll Plombières à Paula Ludwig Paris autour du 26 juillet 1933 ImsL p. 177

Chère Palu 

Que dis-tu de cette concurrence qui est célèbre dans toutes les Vosges ? Cela ne pourrait-il pas devenir intéressant d'entreprendre une course avec une telle maîtresse ?

 I

carte d'Ivan Goll Plombières à Paula Ludwig Paris du 26 juillet 1933 ImsL p. 177

Bien que je sois totalement fasciné par le regard des résidents, je reviens demain jeudi soir vers mon chef de tribu. Arrive à destination aux environs de 11¾ : autour de minuit, je suis alors dans tes bras

  I

lettre de Claire à Plombières  à Ivan Goll à Paris 28 juillet 1933 MST p.121

Plombières, 28,7,1933

vendredi matin

Mon grand petit garçon,

 Hier soir, après le dîner, je suis encore retournée à la gare, mais rien n'y restait plus de notre adieu. Je n'en ai pas à retrouvé une miette sur le quai, ils ne m'avait laissé que le billet de quai, en guise de pièce à conviction pour me persuader d'un éternel abandon au bord des voies, d'une inguérissable solitude.

 Ce matin je t'ai déjà rendu visite, tu dormais profondément et ta chevelure de petit garçon, hirsute et sauvage, te pendait méchamment dans les yeux. Le jour se démenait déjà pour entrer et tu ne pouvais déjà plus rien faire de moi. Ne te surmène surtout pas trop, tu sais que nous sommes dans une courbe ascendante et qu'en conséquence, nous n'avons rien que de positif à attendre, en ce qui concerne les événements extérieurs. C'est ainsi que j'ai reçu aujourd'hui même une réponse très aimable de Szofranski (de la "Dame"), qui équivaut peut-être à une proposition. De toute manière, je ne veux pas concevoir trop d'espérance, car mon nom est Goll et mon mari a brûlé sur le bûcher, et les Hindoues" ariennes ", elles aussi, avaient l'habitude de suivre leur mari dans l'autodafé.

 S'il te plaît, signe tout de suite la lettre ci-jointe et envoie-la par le prochain courrier.

  Et abonne les Vionnet pour mardi et si tes occupations te laissent un temps de répit pour cela, aime un peu.

 celle qui t'embrasse tendrement 

 Suzu

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Claire à Plombières du 28 juillet 1933  MST p.122/123

 Paris

 Vendredi soir... [28 juillet 1933]

Chère Zouzou,

 Dès huit heures du matin, Apfel a sonné à ma porte et ne m'a plus lâché. Je dus me rendra à son hôtel à 10 heures et demie. Il tenait à la main un papier sur lequel il avait noté tout ce dont il voulait parler avec moi : il commença à majuscule A et ne s'arrêta qu'à M.

 L'affaire du film avec Pabst semble marcher, car il va demains le porter à Einstein en passant par Coq-sur-mer. Puis, douze choses sur notre livre. Et ensuite nous avons été voir Joisson, qui a travaillé très mollement jusqu'à présent.

 Bref, je ne parviendrais pas à t'écrire avant ce soir, tard, pour te redire combien ces journées avec toi ont été rafraîchissantes : un bain dans les eaux claires de tes yeux, et dans le vert des Vosges. Et se rendre compte qu'un être humain peut avoir une âme si délicate, si prête à la souffrance, si vraiment humaine, et un amour si inextinguible !

 Par ailleurs, la dernière heure entre Plombières et Aillevillers a été très agitée : d'abord, j'obtins encore de ma mère 300 francs, qui représentent tout ma réserve pour les prochains jours. Ensuite, nous avons bu de la bière au buffet d'Aillevillers tout en conversant de telle sorte que je dus bondir de ma chaise, une minute seulement avant le départ du train, qui se trouvait trois voies plus loin ! En courant, j'arrivai tout juste pour y sauter, sans avoir pu prendre réellement congé de mes parents, qui criaillaient derrière.

Mais représente-toi ces heures épouvantables, de 6 à 10 heures du soir, dans ce désert le d'Aillevillers, au pouvoir de mes parents, si j'avais manqué le train ! Indescriptible.

 Dans le train, j'ai terminé les corrections.

 Et aujourd'hui, il pleut ici ; il pleut d'une façon céleste sur le balcon embaumé, sur l'acacia qui se secoue et sur la plante pendante, que j'ai posée sur la terrasse.

 Tout s'équipe pour ton retour.

 Mardi matin, la Vionnet doit venir et à faire cuire un bon bouillon de légumes.

 Tu pars à 2 heures 40 et tu arrives à 8 heures 30.

 Jusque-là, je n'écrirai plus.

 À la gare, je te prendrai au piège dans mes bras.

 Ton

 Ivan

 

Carte de Claire à Plombières  à Ivan Goll à Paris 30 juillet 1933 MST p.123

 Dimanche

 [30.7.1933]

[Plombières-les-Bains]

 

Petit coeur,

Merci pour la lettre. Pourvu que tu ne te laisses pas mettre de côté par Pabst. Est-ce que Apfel maintenant après Einstein va t’emmener enfin chez lui ?

Je me réjouis tant en pensant au prochain mardi, à toi, au balcon, au bouillon de légumes et aux légumes cuits à la maison

 Amoureusement

 Ta Zouzou

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Paris du 30 juillet 1933 ImsL p. 177

 30 juillet 33

 Rue Alain Chartier

 [Studio Hôtel, 25 rue Alain Chartier, Paris 15]

 

Mit dem Blatt des Aneth

Hab ich meine Hüften eingerieben

Dass die Herden deiner schwartzen Lämmer

Und  die Herden deinerweissen Traüme

Sich nicht irren auf dem Weg zu mir

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 7 août 1933 ImsL p.194/195

Chère Palu 

 

Je souhaite à Friedel un très bon anniversaire. Je me souviens qu'il y a un an, nous allions le chercher à Garmisch ! Ah ! …Je veux bien lui faire goûter un nouveau café glacé !

Merci pour la rose rouge de ton arrivée !

Mais pourquoi un si long silence depuis ce temps-là ? J'étais allé de nombreux jours en vain à la Poste. Et j'aurais bien aimé savoir comment allait Gisèle, comment va le béret basque, si vous nagez beaucoup ?

Chaque fois que le thermomètre monte, je me fais beaucoup de remords parce que tu n'es plus avec moi dans la petite chambre brune ombragée et avec la Tour-Eiffel dans le ciel dessinait …mon profil !

 

 à traduire

O, je suis triste

 Ton

 I

 

En passant sur la route des seigneurs

Tu ne regardes pas le safran pauvre

 

Mais ton manteau le caresse en secret

 

Emportant tout de même

Un peu de poussière dorée

De son amour

 

7 août 1933

Jardin des Plantes

 

Je ne voudrais être

Que le cèdre devant ta maison

Qu'une branche du cèdre

Qu'une feuille de la branche

Qu'une ombre de la feuille

Que la fraîcheur de l'ombre

Qui caresse ta tempe

Pendant une seconde

9 août 1933

Jardin des Plantes

 

lettre de Claire à Haybes  à Ivan Goll à Paris 9 août 1933 MST p.123/124/125

 Château de Moraypré, Haybes

 mercredi matin 

 [9 août 33]

Aimé,

 Je crois m'être réveillée dans un rêve. Du lit où je suis couchée, je vois par deux grandes fenêtres, à travers deux acacias, un large fleuve qui coule doucement, la Meuse, derrière laquelle s'ouvrent de grandes prairies où je vois des vaches tachées de noir et de blanc engraisser de minute en minute. Derrière, un peu plus haut, un train passe toutes les demi-heures, allant et venant entre la Belgique et la France, si petit qu'il semble sortir d'une boite à bijoux. Et, derrière tout cela, montent les forêts des Ardennes. Oui, depuis hier seulement, je sais ce que sont les forêts. Quel pays magnifique, et si frais ! Hier soir, dans le parc du château où j'étais étendue, mon manteau de fourrure et ma couverture de fourrure m'ont manqué.

 La carte que je t'ai laissée rend très imparfaitement la grandeur et la beauté de ce château.

 Au premier étage, il y a une sorte de fenêtre en saillie : c'est là, à l'intérieur que je suis couchée et que je t'écris. A côté, se trouvent ma chambre et ma salle de bains. Tu vois : presque toute la façade m'appartient. La chambre voisine est celle de Madame d'E.[baronne Catoir d'Epstein], et sa salle de bains est à l'angle, aussi grande que tout notre appartement de Paris. Puis, il y a la salle de bains d'une des invitées, une Belge, et celle-la est aussi vaste qu'une salle de danse.

 Dans ma salle de bains, outre le lavabo, le water, le bidet à eau froide et chaude, il y a un système de douche dans une sorte cabine, et je me suis mise dessous avec une sorte de volupté. Chaude, naturellement. Et maintenant, viens avec moi devant la maison. Là, t'attendent des bouquets de roses et de pois de senteur, avec d'autres fleurs dont je ne connais pas les noms, et quand on a passé devant une grotte ravissante, on arrive à la piscine, toute entourée de vieux arbres merveilleux et de petits ruisseaux. Ah ! une piscine ! comme je maudis ma mauvaise santé ; il y a quinze ans, j'y aurais nagé du matin au soir. En revanche, hier soir, je suis passée devant deux vieux moulins, j'ai franchi un pont et je suis arrivée à un étang baigné de lune. C'est ici que Mélisande a dû perdre sa couronne; et derrière l'étang, des forêts à l'infini escaladant des hauteurs. Et jamais aucun être humain n'a accès à tout ceci, car cela appartient au château. Sans parler de la mare aux canards, des poules et des agneaux de la ferme. Vraiment un rêve !

  Et l'hôtesse est si bienveillante et toujours grande dame, et elle doit avoir été autrefois très belle. On comprend le roi des Belges, dont elle fût, comme elle me l'a racontée (il y a cent ans), la maîtresse.

 Des bateaux montent et descendent le fleuve et leurs sirènes crient de loin pour qu'on leur ouvre les écluses, un peu plus bas. Et le long du fleuve court un chemin de halage réservé aux chevaux qui tirent les bateaux.

 C'est aussi dans ce château qu'habita jadis George Sand ; elle a laissé aux parents de la baronne d'E. une photo dédicacée, que les hordes allemandes ont volée, lors de leur invasion en 1914. Et sur le parquet de la chambre d'où je t'écris, on voit partout des marques de baïonnettes ; car, ici aussi, ils ont assassiné 40 femmes du château qu'ils avaient prises en otage pendant qu'ils incendiaient et pillaient complètement Haybes. C'est pourquoi la baronne n'apprécie guère de parler allemand.

 Si seulement, je pouvais t'envoyer un peu de fraîcheur, mon petit garçon chéri, et faire surgir dans la rue Jasmin un petit bout de paysage ! Hier, pendant que je traversais ces forêts, quel chagrin j'éprouvais de te savoir dans la chaleur de Paris !

 Toi, mon aimé, pars bien vite retrouver Einstein et ne te détruis plus en restant à Paname.

Envoie-moi des nouvelles du Marché aux fleurs et du film, mange bien, ne fais pas de bicyclette ou pas trop, et pense de temps en temps à celle qui t'embrasse tendrement

 Suzu

N'oublie pas l'article !

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Claire à Haybes s/ Meuse du 10 août 1933 MST p.125/126

 Paris XVI

 10 août 33

 

Quelle lettre merveilleusement belle, embaumée de l'odeur des forêts, et enfin heureuse ! Comme je me réjouis que tu aies enfin trouvé un petit coin où la bonté d'une femme, le silence des êtres humains et la dévotion à la nature t'aident à te reposer en toi-même. Il fallait que tu trouves ce château, pourront redevenir Mélusine, pour éprouver le renouveau de ton propre ensorcellement. J'espère qu'il ne surviendra rien pour t'effrayer et te chasser de toi-même à nouveau : un moustique ou une personne méchante ! Et que devient le corps ?

 Reçois de moi la plus apaisante des nouvelles : cet après-midi, j'ai fait de la confiture de reine-claude ! Elles étaient tellement bon marché : 90 centimes la livre. Je l'ai faite tout seul. Ce matin j'avais fait laver les pots de verre par Marie.

 Car il fallait que j'aille en ville, au Marché aux fleurs, où tout a marché magnifiquement. Nous avons à présent la tranquillité pour de longues années. Ci-joint, une photo de ces jours-ci.

 À midi, j'étais invité à déjeuner par Apfel, dans à très bon restaurant. Mais ce n'était qu'une façon de me rendre la politesse que je lui avais faite en lui offrant hier soir à dîner : oeufs à la tomate, courgettes, maquereaux, melon. Il était enthousiasmé. Et il m'a raconté, d'une façon ravissante, notre prochain chapitre.

 Mais ce méchant veut me retenir ici. J'en suis très malheureux. Il fait honteusement chaud et lourd en ville, le ciel reste impudemment bleu et je voudrais, je devrais partir. Sinon, que sera cet hiver !

 J'espère pouvoir m'échapper dimanche, - aller à Coq-sur-mer. Mais naturellement, il ne débourse pas d'argent.

 Le film n'est pas tout à fait satisfaisant. Et puis d'autres sont déjà sur ce projet : Les Kortner - Lania ont déjà traité presque le même sujet.

 Et maintenant, il faut que je connaisse tes plans ! Plus longtemps tu pourras rester, mieux cela vaudra pour ta santé. Si tu as besoin d'argent, je t'en ferai envoyer de Zurich : je veux dire, pour le voyage à Challes. Mais d'ici là, nous nous écrirons encore.

 Ce qui me pousse en outre à partir, cette aussi la feuille ci-jointe de Marie. Elle aussi sera absente jusqu'au mois de septembre. Afin que tu le saches, quand tu rentreras.

 Mais je ne partirai peut être toi, ou seulement pour cinq ou six jours. Tout cela, c'est encore des projets en l'air.

 Le principal, c'est que tu marches, que tu te couches sur une terre qui te plaît, et que tu y rêves, entre autres choses, de ton fidèle

 Ivan

 

Les Daniel sont depuis mardi à Ostende [ses parents : Daniel et Rebecca Kahn]

 

Quand tu auras tout pris de moi

La peau de ma chair

La chair de mes côtes

Le ciel de mes yeux

Les yeux de ma tête

Quand je ne serai plus qu'un souffle

Pour prononcer ton nom

Alors je saisirai peut-être

Combien je t'appartiens

 

Auteuil

12 août 1933

 

lettre de Claire à Haybes/ Meuse  à Ivan Goll à Paris 14 août 1933 *** MST p.127/128

 Château de Moraypré, Haybes

 [lundi 14 août 33]

 St. Ivannet, mon pauvre martyr aux doux yeux bruns, rôti au soleil d'août à Paris ! Saint Yvan devant le photomaton. Ah ! toi, pourquoi dois-je être seule à respirer le bon air pendant que tu n'avales rien que des microbes ! Mais la récompense viendra pour toi, cette année t'est propice, petit cœur. Je crois en ton étoile. Et quand je la vois d'ici, le soir, je la caresse des yeux. La nuit, quand il fait si glacial que je tremble sous mes nombreuses couvertures, ton étoile me réchauffe. Encore un peu de patience Moi aussi, j'en ai tant, car je souffre toujours, mon intestin ne va pas du tout et néanmoins mon âme plane par-dessus l'étang, légère et libre. Si torturé qu'on puisse être, la vie est pourtant belle. Et la source près de laquelle je suis étendue, si pleine de fer, toute brun-rouille, tout un symbole.

 Selon l'effet qu'aura la lune sur mon sang, je prolongerai mon séjour ici, ou je l'abrégerai. Mais attendre ici ces jours, c'est bien le mieux, non ? Mon chéri à moi, qui ne mange pas bien ? Toi ? Qui ne dort pas assez ? Sûrement toi. J'espère que la mer t'a un peu calmé. Avant-hier, il y avait ici des relations de la Baronne, venue d'autres propriétés : Province. Entre autres, une veuve sortie de "Mathusalem". Nous avons essayé de faire tourner une table. La veuve s'appelle Thibaud. Tout à coup, elle demande à l'esprit de la table : « C'est toi, Thibaud ?» La table répond : « Oui ». Elle : « Combien de messes veux-tu que je fasse dire pour toi ?» La table : « Trente ». La veuve, extrêmement avare essaya de marchander avec l'esprit. Je mourais de rire.

 Les photos sont très amusantes et pleines de drôlerie. Daniel est vraiment un personnage.

 Si tu veux être gentil, envoie-moi 100 Francs, on a tout de même besoin ici de quelques petites choses.

 Et merci pour tout, et beaucoup d'amour et de tendresse de

 Ta Suzu

 

 

lettre de Claire à Haybes/ Meuse  à Ivan Goll à Paris 15 août 1933 *** MST p.127/128

 Château de Moraypré, Haybes

 Mardi 15 août 33

Yvetot,

 Les cloches sonnent ce jour de fête. Les gens vont à l'église et je viens à toi.

 Car tu es bien saint par quelque côté, quoique je l'aie contesté par instants. Malgré tout, tu restes ma seule foi. Quoi qu'il ait pu arriver, tu restes le véritable amant de mon cœur, toi, mon frère et mon mari ; à cela, nul homme et nulle femme ne pourront jamais rien changer.

 Il fait un temps brumeux, et mon malheureux corps tente à nouveau de me jouer des tours de toute espèce. Je suis terriblement fâchée contre lui. Qu'un matériau aussi mauvais puisse renfermer une âme forte et résistante !

 Chéri, pourvu que tu aies eu beau temps au bord de la mer ! Je ne suis pas tout à fait innocente du changement de temps, car j'ai souhaité la pluie. Car on ne peut travailler ou se concentrer sur soi-même, que quand il fait gris dehors.

 Je t'aime beaucoup, Yvetot, et je suis ton plus grand admirateur, et cela, tu ne dois jamais l'oublier. Je t'embrasse tendrement, je te remercie d'exister et d'exister pour moi.

 Ta Suzu

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Claire à Haybes s/ Meuse du 16 août 1933 MST p.128/129

Paris, 16 août 1933

Chère Susu,

 Hier soir, je suis revenu du bord de la mer, consolé secrètement par la pluie. Sinon, je l'aurais été difficilement. Ce furent trois journées fortifiantes. Je me suis beaucoup baigné et je suis parvenu tout de même à me faire brûler cruellement par le soleil à travers les nuages en marche. C'est-à-dire que j'ai les bras et les pieds non pas bruns, mais rouges, et il me cuisent. Un bon souvenir.

 Je suis bien portant - et néanmoins, mon âme est si triste, si triste. Plus le temps s'écoule, plus je me sens seul. Est-ce que les hommes sont toujours seuls ? Nous deux, quand nous sommes ensemble, nous ne l'éprouvons jamais : les couleurs du jour et la fatigue... des nuits nous procurent cet état chloroformées. Ou est-ce l'état de communauté qui rend heureux ?

 Là-bas, il y avait tant de jeunesse blonde, souriante, consciente d'elle. Et je sentais que je n'en faisais pas partie. Et il y avait des familles satisfaites, repues, et je sentais que je n'en faisais pas partie. Toutes les portes de la ville étaient ouvertes, et je n'entrais par aucune.

 Mais pourquoi ne fais-je plus de.poésie ?

 Cependant, toi, la plus malheureuse, tu es encore bien plus à plaindre. Il est incompréhensible que tu aies été accablée ainsi de maux, juste après Plombières. Comme tu es courageuse de supporter cela avec tant de patience ! Je voudrais les enlever de toi, ces maux, te revoir riante et forte.

 Soyons donc reconnaissants au destin qui t'a conduite dans un tel château de Mélusine, autour duquel les sources chantent leurs mélodies et dans lequel les gens semblent bien te soigner. Oui, puisqu'il en est ainsi, je te conseille de passer là-bas tes jours de fatigue.

 J'ai trouvé ici beaucoup de courrier, une carte de Doralies, de Berlin. Et une lettre de mes parents qui, samedi dernier, après avoir passé à peine quatre jours à Ostende, se sont enfuis de nouveau et sont retournés â Metz ! Pourquoi ? Parce que leur maison à brûlé ! Cela ne peut arriver qu'à eux ! Toute la charpente et le premier étage. Le reste inondé, naturellement. Les coupures ci-jointes avec reportages photographiques, de la "Metzer feuille de chou" te montreront l'étendue de cette catastrophe de petite ville. À cette occasion, tu verras aussi, une fois, "notre maison". Très "seigneuriale", n'est-ce pas ? À présent, les pauvres, ils ont enfin, de nouveau, quelques soucis !

 Et maintenant encore, une surprise merveilleuse. Le livre qui doit devenir ton "Journal" est arrivé, envoyé par Brody. Avec une innovation intelligente et simple : il consiste uniquement en une couverture et un bloc. La face supérieure est disposée, à l'intérieur, de telle sorte qu'on peut y remettre les pages écrites, séparés, et refermer. Le tout est en toile à sac vert pistache. Bon goût munichois. Puisque tu vas revenir bientôt, ce serait trop compliqué de t'envoyer le tout. Mais je t'envoie au moins le bloc, sur lequel tu peux commencer tout de suite à écrire, d'autant plus que tu souhaitais la pluie et sentais probablement les approches d'une inspiration ?

 Demain je t'en reverrai les 100 francs.

 Aujourd'hui, cent baisers

 Et mon chaleureux amour

 Ivan

 

lettre de Claire à Haybes  à Ivan Goll à Paris 17 ou 18 août 1933 MST p.129/130

 Château de Moraypré

 17 ou 18 août 33

Mon Ivannot,

 Triste ? Je suis triste aussi. Et c'est un privilège et nous ne devons pas être ingrats. Sans tristesse, pas de poésie et existe-t-il quelque chose de plus noble que les larmes qu'on ne pleure pas ? Qu'importe qu'on souffre si cela nous fait pressentir plus largement Dieu et la mort !

 Famille, jeunesse ! Nous avons été tout cela, et nous le redeviendrons. "Aujourd'hui" n'est qu'une transition, puisque nous sommes immortels. Hier nous étions là et demain nous reviendrons ; entre temps, un peu de "mal du siècle", un peu de désespoir et de clair de lune avec Clairivan. Evade-toi de toi-même au contact des étoiles infinies et tu transformeras ta plainte en jouissance.

 Aujourd'hui je reste couchée, et je pourrai probablement rentrer à la maison lundi. Te télégraphierai à temps, chéri.

 Mange bien, dors beaucoup et mets en vers ta souffrance !

 Je te remercie d'avance pour l'envoi des feuilles. Tu as toujours des gestes gentils qui n'appartiennent qu'à toi, et pour lesquels on ne peut jamais cesser de t'aimer et de trembler un peu pour toi comme pour une chose très précieuse.

 Le grand feu dans la maison Lazard m'apparaît comme un petit châtiment du destin. Car tout est châtiment ou récompense. Mais cela me fait beaucoup de peine pour ta mère. J'ai de la pluie à présent, tant que j'en veux et je m'en réjouis en cause de toi.

 Maintenant sois fort pour quelques jours encore. Jette-toi dans un livre : dans ma bibliothèque, il y a Nietzsche, Rilke, Hölderlin, et je suis dans ta chambre. Tu n'es pas seul.

 Une prière : envoie-moi par retour du courrier le numéro d'Excelsior Hôtel (ou Hôtel Excelsior), rue La Boétie, où habitait Madame Aliventi. Cet hôtel est dans la partie supérieure de la rue, vers les Champs Élysées, et tu le trouveras dans l'annuaire par rues, non dans l'alphabétique.

 Adieu chéri, je baise tes mains,

 Ta Suzu

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 18 août 1933 ImsL p.198/199/200

Chère Palu 

 ton

 M

 

lettre de Claire à Haybes  à Ivan Goll à Paris 21 août 1933 MST p.130/131

 Lundi après-midi

 [Château de Moraypré, Haybes]

 [21.8.1933]

Chéri,

Merci pour ta carte chaleureuse. Oui, je voulais partir aujourd'hui, mais l'homme propose et … le vin rouge dispose. Mon amie Jane m'a grisée hier soir par ruse. Je devais "goûter" aux vins de sa cave, et à force de "goûter", tout à coup, c'en était fait de moi. On m'a portée au lit et j'ai dormi comme … Verlaine. Et quand je me suis éveillée, le train de Paris filait sur l'autre rive. Aujourd'hui, j'ai la "gueule de bois", mais Jane m'a avoué sa faute et pour me dédommager, elle me fera faire demain un tour en auto. Je ne partirai donc que mercredi : mais c'est définitif. A 1 heure et je serai dans tes bras à 6 heures, les bras tendres et doux d'un long petit garçon, qui m'en voudrait sûrement beaucoup, qui m'en voudrait de l'avoir si longtemps laissé seul avec sa mélancolie, s'il n'avait pas un cœur si rare.

 Je quitte à regret cet endroit de rêve où je suis gâtée d'une façon céleste. Mais je trouve pourtant que je n'ai pas le droit d'être heureuse par trop longtemps sans toi : une joie partagée est tout de même autre chose que celle qu'on garde pour soi.

 Je baise tes chers yeux bruns et suis

 ton éternellement dévouée

 Suzu

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Claire à Haybes s/ Meuse du 22 août 1933 MST p.131/132

Paris, 22 .8. 33

Chère Zouzou,

 Ta lettre d'hier est heureuse, légère, grisée par ces vins fins ! Comme je me réjouis que la vie te berce, qu'il y ait une amie Jane qui ne te laisse pas partir, et que les fleurettes du paysage te soient bienveillante ! C'est ce que j'ai toujours souhaité pour toi.

Et quand tu planes ainsi, il ne me viendrait, en aucun cas, à l'idée de te rappeler. S'il te plaît, n'interprète pas mes dernière lettre en ce sens, et ne crois pas non plus que je souhaite le moins du monde t'avoir ici, seulement parce que je traverse une cruelle période de solitude. Elle est cruelle, mais je ne la maudis pas. Tout est très beau dans la vie, tout, même l'immobilité des murs qui ne respirent pas, même l'impatience, riche en peur, de la nuit.

Ce qui est seulement terrible, c'est quand, dans toute la grande ville, il n'y a pas une seule personne à qui tu puisses téléphoner, c'est quand tu peux suivre les Boulevards pendant des kilomètres et t'asseoir à 1000 terrasses de cafés, sans qu'une main se lève pour serrer la tienne.

Mais je jouis aussi de cette souffrance. C'est que je suis un jouisseur ! et si tu savais seulement comment je vis, avec 5 francs par jour.

Je travaille maintenant très bien.

Je voudrais beaucoup être un moine. Et puis, de nouveau, par période, un libertin.

En ce qui te concerne, je ne suis heureux que lorsque tu prends du bon temps. N'est-ce pas cela, l'amour ?

Mais réfléchis un peu et si ton amour pour moi est pareil ? Ressemble-t-il au mien ?

Sur un seul point, je te gronde : iras-tu encore à Challes ? Je n'ai attendu ici que pour régler ton arrivée et ton départ. Sinon, je pourrais aussi bien être aux Indes.

 Ton

 Ivan

Je suis couverte de sept voiles 

Pour que sept fois 

Tu puisses me découvrir  

Je suis ointe de sept huiles 

Pour que sept fois 

Tu puisses me sentir 

 

Je t’ai dit sept mensonges 

Pour que sept fois 

Tu puisses m’anéantir 

Auteuil 25 août 1933

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 28 août 1933 ImsL p.202/203

Ma grande Palu 

 ton

 Yvan

 

Fin août Claire est de retour à Plombières

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Claire à Challes-les-Eaux du 30 août 1933 MST p.132/133

 [ mercredi] Paris, 30.8.33

Chère Suzu

 

 Combien m'a ému ta lettre est écrite dans le train, dont le rythme sanglotant m'arriva d'Aix - d'ailleurs, je l'attendais un peu, ce matin, après une nuit qui ne m'a procuré, à nouveau, que quatre heures de sommeil (malgré la Passiflorine que tu m'as envoyé avec tant de sollicitude) et six heures de rêverie, ce qui est, tout de même, plus intéressant que le rêve. Il ne me déplaît pas du tout de me livrer ainsi aux eaux noires de la nuit, et de me laisser emporter, submerger.

 Puis la journée été si belle que je suis parti faire un grand tour à bicyclette, et sans l'avoir décidé tout d'abord, j'ai été jusqu'à Saint-Germain-en-Laye, ce qui fait quarante-cinq Km aller et retour. Maintenant seulement, je suis entraîné et puis songer à de vraies excursions. Je ne savais plus du tout qu'elle est l'aspect de Saint-Germain-en-Laye, ou plutôt, je me souviens d'y avoir été une seule fois, avec une tournée d'autocar, et qu'il y a là-bas un pavillon Henri IV : je n'avais pas remarqué, cette fois-là, le château très beau et très sévère, le parc profond et rêveur et la terrasse longue de plusieurs kilomètres dominant l'Ile de France. Mais peut être connais-tu cela mieux que moi - tu as eu plusieurs fois l'occasion d'y aller en auto.

 Ensuite Apfel est venu chez moi. Il est pris de la folie des grandeurs littéraires, il se croit déjà un auteur important. Il devient plus difficile de travailler avec lui. De toute façon, il a été très satisfait du Chapitre Kienle. Mais il n'y a plus moyen de lui soutirer de l'argent. Avec beaucoup de ruse, il se plaint encore plus que moi, et se plaint le premier.

 Ce matin, il y a un grand brouillard sur la ville : l'automne. Vers midi, le soleil a percé les nuages - mais la nuit et la matinée étaient très fraîches. C'est pour cette raison que j'ai lu ta seconde lettre sans inquiétude, celle où tu m'apprends que tu t'es installée dans ma chambre, au Château. Les quelques heures de l'après-midi ne seront pas si terriblement chaudes. D'ailleurs, je trouve que la solution de ton séjour est très réussie, contrairement à tes regrets. Car dès que l'hôtel commencera à se vider, tu obtiendras facilement une meilleure chambre pour le même prix, à condition de jouer avec intelligence. Et c'est tout de même une bonne perspective. Aussi, quelle chance que Challes reste ouvert jusqu'au 30 : tu ne pourra d'ailleurs pas partir avant le 18 ou le 20, si les "jours rouges" arrivent entre temps. Ce que je ne parviens pas à comprendre, c'est ta peur de la famille Lévy. Incompréhensible !

 Mais aujourd'hui, tu t'es sûrement très bien habituée. Les inhalations favorisent peut-être aussi l'inspiration. Et tu as déjà commencé ton roman ? Ce serait magnifique. Où donc habite les Lévy, d'habitude ? Toujours à Alger ou à Paris ? Pourquoi n'ont-ils jamais donné signe de vie à Paris ?

 Donc, chère enfant, sois vaillante, vaillante, vaillante et continue à aimer ton

 Ivan, qui t'aime

À présent, Duarte vient d'arriver ; il m'apporte les séries de photos. La poste n'a apporté rien du tout.

 

Lettre d'Ivan Goll Paris à Claire à Challes-les-Eaux du 1 septembre 1933 MST p.133/134

 

 Paris, 1er septembre 33 [vendredi]

Chère Zouzou

 

 Mais on se sent triste pourtant, par ces jours qui commencent à diminuer, qui commencent par du brouillard et, ensuite, s'arrondissent et se dorent : on se sent triste, dans cet automne, de ne pas avoir été aussi un pommier d'où tombent les fruits ronds et murs, mais de s'éterniser dans une nostalgie qui n'est plus de notre époque.

 Au milieu du jour, on oublie ce que vous a chuchoté le milieu grave de la nuit... Et on se nourrit des raisins récoltés par les autres.

 Je souhaite beaucoup qu'à Challes, tu inhales une nouvelle confiance en toi-même, et que le souffre ne te guérisse pas seulement de nez, mais aussi l'âme. Et peut-être travailles-tu déjà ?

 Ci-inclus une lettre de Klaus Mann, qui accepte le "petit singe"* et qui t'apportera, en outre, un nouveau courage au travail.

Et moi : si des pommes ne tombent pas de moi, par contre, le docteur Apfel me porte sur les nerfs. Il a l'habitude de faire danser les gens au son de sa flûte, mais je préfère danser avec des tailles plus fines.

 Duarte° m'a apporté, encore une fois, des photos splendides. En outre, il ne veut recevoir aucun honoraire, il demande seulement que je lui envoie des livres de temps en temps. Le 7 septembre, il repart pour le Brésil. Mais auparavant, nous organiserons encore un dîner chez moi, et la petite femme veut préparer un menu brésilien, avec de la viande séchée brésilienne, des haricots noirs et rien que des plats indigènes, qui seront cuits dans notre cuisine. Ce sera un festin, dont tu n'aurais certainement pas le droit d'avaler une bouchée. Mais comment sont les repas, cette année au Château ?

 J'ai rencontré dans la rue Walter Menring avec sa pauvre petite mère tout chiffonnée. Dès que tu seras de retour, il faudra que nous les invitions à un repas.

 En ce qui concerne les finances, ma mère a été presque touchante : la lettre cachetée contenait 1.200 francs au lieu de 1000, et sans autre raison : peut-être pourras- tu les utiliser ! Mais hélas ! Cinq minutes plus tard, 1000 étaient chez les Clauzel et 200 à la banque, plus dix-sept dans ma poche, qui n'est plus aussi percée. (À propos, n'écris pas à Nancy que tu es à Challes).

 Joisson doit revenir lundi... J'enverrai l'argent pour ton hôtel avec deux jours de retard, mais il y en aura d'un seul coup pour deux semaines.

 Je t'embrasse longuement,

 Ivan

* Nouvelle de Claire

° Ministre brésilien qui avait quitté le Président Vargas

 

Paula Ludwig de Berlin à Ivan à Paris : lettre du 2 septembre 1933 *** IsmL p.204 à 208

Correspondance à traduire (superbe lettre d'amour)

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Claire à Challes-les-Eaux du 6 septembre 1933 MST p.134 à 136

 

****

  Paris, 6 septembre 33

Chère Zouzou,

 

 Je porte partout avec moi une souffrance tellement étrange : il me semble à présent que je ne pourrai jamais devenir bien portant et une souffrance qui croît en moi comme une mauvaise plante qu'on ne pourra peut-être plus déraciner. Quand tu es là, je crois ne plus l'entendre, souvent, et je m'imagine que je vais bien. Mais ensuite je sais à nouveau que je ne peux plus être sauvé. Une telle solitude depuis quarante années...

 Et personne ne peut le remarquer. Et bien des gens qui me connaissent, me prennent au contraint, pour un enfant né coiffé, né le dimanche de Pâques à cinq heures de l'après-midi.

 Et pourtant, depuis des années je me consume et ne suis jamais joyeux. Sûrement, il y a beaucoup de raisons qui y contribuent : la foi en notre unité s'est brisée, puis la foi en moi, en mon don de poète, et finalement aussi la foi en un avenir tranquille.

  J'ai de plus en plus la sensation d'étouffer. Je lutte pour trouver de l'air, la nuit dans ma tour, et le jour dans les rues. Comme Paris me rend misérable et solitaire !

Mais si je ne m'en vais pas du tout cet automne, si bientôt une saison commence sans moi et contre moi, abandonné, oublié, comment le supporterai-je et pourquoi ?

 En conséquence, j'ai pris une décision : je dois partir, ne fût-ce que pour deux ou trois semaines. Je n'ai rien à chercher ici. Le travail avec Apfel ne m'intéresse plus, parce qu'à présent, il écrit tout et que je ne suis plus, en somme que son traducteur. ça, je pourrais le faire partout.

 Tu m'as dit trois ou quatre fois dans ta bonté compréhensive, que je devrais aller voir Paul Ludwig, ou encore la faire venir à Paris. Or je sais que dans les deux cas malgré tout ton courage tu en seras blessée . Il s'offre une troisième solution : : elle est invitée en Italie, je pourrais la rencontrer là-bas.

 Mais je suis incapable de me décider, donne-moi donc toi impulsion, comme il y a dix jours ; tu savais alors pertinemment que cela ne te ferait rien perdre. Si seulement j'étais sûr, que tu es cette année raisonnable et que tu restes bien consciente que tu ne perds rien quand je m'enrichis !

 Encore ceci : même chez Paula Ludwig je reste indiciblement seul. J'ai seulement auprès d'elle comme d'ailleurs auprès de toi le sentiment de ne pas être totalement sans valeur pour ce monde. Ne me rappelle pas le fait qu'on ne doit rien croire de ce que vous disent ce qui vous aiment. car alors, il me faudrait admettre que ceux qui ne m'aiment pas ont raison de me rejeter. .

 Voilà à quoi on en arrive, quand on est un solitaire, un esseulé qui a repoussé la chaleur de la vie courante, famille, enfants, sentiment d'appartenance à une communauté. Paris...

 Je n'irais pas mieux non plus en Italie : seulement, pendant ces trois semaines, j'oublierai qui je suis... J'aurais le sentiment apaisant d'avoir tenu une ancienne promesse... qui, si je la reniais, me tourmenterait tout l'hiver. Oh! surtout pour cela Et bien moins pour moi-même.

 Mais voilà qu'en vieil égoïste, je n'ai parlé que de moi tout le long de cette lettre sans penser combien tu es devenue triste en la lisant.

 Et tu te donnes, depuis longtemps, tant de peine pour me rendre du courage, tu m'écris de belles lettres, comme il y a quinze ans, - ensuite nous avons été si inséparables que nous n'avions jamais aucune occasion de nous adresser des lettres.

Je te suis très reconnaissant pour la connaissance accrue que tu as de moi, et la bonté qui en jaillit. Mais d’où vient cette bonté : de l'intelligence ou du coeur ? Il me semble que c'est ton intelligence qui t’a fait me conseiller de revoir Paula Ludwig. Oh ! Comme je voudrais aussi que ton coeur me veuille du bien...

Même si, pendant trois semaines, cela doit te secouer, si cela ne se passe pas aussi bien que d'habitude... Si tu es obligée de voyager, d’arriver ici, etc.... seule.

Si je pars, je prendrai l’un des billets de vacances les plus réduits, qui ne coûte que 350 francs aller retour (3e classe) et n'est valable que trois semaines. Presque pas plus cher que pour aller à Challes.

Si seulement je suis assuré que tu veux mon bien, que tu ne pleureras pas, que tu ne te vengeras pas : je ne vais pas chercher là-bas du bonheur, rien que l'oubli de moi-même !

Alors, je partirai déjà vendredi ou samedi soir : loin de cette tour, où je n'ai dormi qu'une heure, cette nuit ! Mon lieu de destination Fiesole. Je t'écrirai dès que je serai arrivé ; mais auparavant une lettre de toi peut encore m’atteindre à Paris, avec ta bénédiction !

Ci-inclus 800 francs, pour deux semaines à l'Hôtel du Château à 42 francs. Cela met la semaine à 300 francs - Pourboire 350. Pour la dernière semaine, je te ferai encore envoyer de Zurich 600 francs.

Je suis heureux qu’humainement, tu te sentes de nouveau bien, au Château. Je savais que Lévy est un poète.

En ce qui concerne Platon et Spinoza : oui, oui, tu as raison. Je t'envie pour cette sagesse, qui te donne à présent de l'avance sur moi.

Mais lorsque l’âme est malade ?

Tu sais que je n'ai pas l'habitude de gémir. Laisse-moi donc gémir, pour une fois.

Je t’aime beaucoup, beaucoup, et j'ai besoin de toi aussi ! Je me réjouis à la pensée d'un paisible début d’hiver.

Ton Yvan

 

Télégramme Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 5 septembre 1933 ImsL p.208

  [Paris 5.9.1933]

PREPARES-TOI A UN VOYAGE EN ITALIE RENDEZ-VOUS A BOLOGNE LE 11

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 5 septembre 1933 ImsL p.209/210

  Paris 5 septembre 33

Chère Palu 

 la fin de la lettre manque

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 7 septembre 1933 ImsL p.210/211

  jeudi 5 heures

  Rue des Saint-Pères

  [cachet de la Poste 7.9.33]

Chère Palu 

Vient d'arriver ton télégramme d'aujourd'hui 2 heures à la rue des Saint-Pères !

Bravo: Florence lundi 2h53 !

J'arrive par le train. 

à traduire

 Je t'aime

 Manyana

 

Télégramme Ivan Goll Zurich à Paula Ludwig Berlin 9 septembre 1933 ImsL p.211

 [Zürich 9.9.1933 10h08]

ECRIS A MUNICH ET FLORENCE REÇOIS UNE MOISSON DE BENEDICTIONS DIVINES (?)

 

lettre d'Ivan Goll Florence à Claire à Challes du 13 septembre 1933 MST p.137 à 138

 

Florence, 13 septembre 1933

Chère Suzu,

 La joie d'être à Florence m'a été gâchée, pendant ces premiers jours, par un très vilain temps de pluie. Depuis longtemps, je n'avais pas vu tomber de pareilles "hallebardes" ! Et les jours précédents, cela se préparait par un temps lourd et un ciel plein de nuages menaçants. Après trois mois de beau fixe et de sécheresse, on ne peut pas dire que c'est de la chance.

 Et pourtant c'était une chance que je sois à Florence, et non, par exemple, à Fiesole ou au bord de la mer : car ici, il y a un tant à voir, tant d'églises, chapelles et et de musées à admirer chaque jour, que le soleil n'est presque pas nécessaire. C'est une surabondance de trésors d'art, qu'on ne peut pas dénombrer, qu'on ne peut même plus assimiler, à la longue. Un si grand nombre d'artistes doués richement étaient compris, encouragés, aimés par tant de familles remarquables ! Ce qu'on apprend de ce 14e et de ce XVe siècle florentin, c'est la foi dans le grand art authentique, la foi dans la lutte pour cet art, dans l'amour inébranlable pour cet art. Car ici, on peut redevenir pieux.

 Ici, je reprends courage pour affronter notre époque tellement détournée de l'esprit, où l'on aime à regarder des visage souriants de stars, mais non des visages d'hommes et de femmes qui souffrent. Je suis confirmé dans ma certitude que le succès, provenant de cette humanité hébétée, serait pour nous le contraire du succès...

 Tant que le baromètre sera bas, je ne ferai pas de projets, et j'irai voir Giotto, car de lui émane une essence divine, dont on peut aussi espérer recevoir pour soi-même une bénédiction.

 Mais je garde intacte, sur ma tête, ta bénédiction à toi, qui a jailli de tes grands yeux bleus aiguisés, exactement pareils à ceux d'un ange de Giotto.

 Je t'aime beaucoup et je t'en suis si reconnaissant. Tu as raison : dans l'éloignement, on ne fait que se rapprocher de l'être aimé, de l'être de sa vie.

 Comment vas-tu ? J'espère que tu peux suivre ton programme à la lettre - après Challes, qui est certainement très vide en cette saison et dont le silence t'est peut-être agréable, tu devais rester très peu de jours à Paris et repartir aussitôt pour Haybes - en conséquence, j'ai donné aujourd'hui ordre à Zurich de t'envoyer 700 francs qui pourront sûrement suffire pour l'instant, étant donné que tu as déjà ton billet de retour : 350 - 400 Château, 100 pourboires, 200 voyage à Haybes.

 Puisses tu te remettre et te sentir bien et rester mon Aimée.

 Ivan.

 

Carte d'Ivan Goll Florence à Claire à Challes du 14 septembre 1933 MST p.138

 

Florence le 14 septembre 33

 Chère Souzou : j'ai reçu ton télégramme cinq heures après avoir posté ma dernière lettre pour toi, dans laquelle je t'annonçais justement le virement de 700 francs de Zurich. Etait-ce de la transmission de pensée si j'ai justement fait envoyer 700 francs ? En tout cas j'avais donc retourné dans ma tête toutes tes réflexions et plans avec toi. Par même courrier est partie la commande à Zurich. Espérons que d'ici samedi tu seras en possession de l'argent et que tu auras liberté de mouvement. Par contre, la pluie ici ne nous en donne aucunement. ?

 Baisers ardents

 ton Ivan

 

 

Ivan Goll est parti pour l'Italie retrouver Paula Ludwig le samedi 9 septembre à Fiesole ou à Florence le 10 septembre et ils y restent jusqu'au 21 ou 22 pour aller à Sienne.

 

Lettre d'Ivan Goll Florence à Claire à Challes du 17 septembre 1933 MST p.138/139

 

 Florence, 17 septembre 1933

Chère Zouzou,

 Ce matin, j'ai reçu ta lettre bleu-double, attendue avec nostalgie depuis longtemps, et qui contenait ta lettre précédente, de Paris. Oh ! Comme celle-ci m'a ému !

 Quelle transformation tu as subie ! Ta sage maturité résonne harmonieusement à mes oreilles, comme un alto, et je ne l'apprécie certes pas parce qu'elle me facilite l'existence, mais surtout parce qu'elle va si bien à ton nouveau visage. Sans doute, ton âme est toujours un enfant, et elle restera telle, éternellement - car l'âme est la seule chose au monde qui ne vieillisse pas et ne mûrisse pas, l'âme est invariable comme le bleu de l'éther. Et la tienne a la pureté de la brise du matin. Mais ton visage humain a beaucoup pleuré, connu beaucoup de douleur, plus que n'importe quelle autre que je connaisse, et si je l'ai tant aimé autrefois pour ses yeux, qui ont la grandeur et la forme de ceux de la déesse de Giotto, je l'aime encore plus aujourd'hui pour cette expression de savoir qui le domine de plus en plus.

 C'est vrai : pour ce qui est des expériences vécues, je suis réellement encore un petit garçon, et cela me fait tant de bien que tu passes une main caressante à travers mes cheveux, - par lettre, il est vrai, plus que dans la réalité, - et alors je reconnais aussi que cela est de beaucoup le plus important.

 Ainsi tu te mets lentement à jouer le rôle qui m'appartient (à moi !). Mais cela ne veut aucunement signifier que j'ai changé. Je suis un vieux petit garçon, et je devrais en avoir honte, si je n'étais aussi un poète. Mais si j'en suis un, c'est à toi que je le dois et aussi d'être resté si jeune.

 Si tu me connais bien, tu sais que dans ce pays lointain et suprêmement beau, je suis près de toi comme presque jamais je ne l'ai été. Pour le moment, je suis apaisé, mais ce n'est pas le repos de l'accomplissement, comme tu parais le penser, cette une hébétude de mes nerfs, qui semblent être très malades. J'ai éprouvé trop de déceptions, à Paris, depuis le début de l'année, et la crise qui m'a poussé à la fuite - à me fuir moi-même - n'était ni sentimentale, ni érotique, mais presque matérielle. Trop de soucis, trop peu de succès. Pour être en état de supporter l'hiver qui vient, il fallait que j'aie d'abord une détente, et que renaisse en moi le sentiment que je suis quelqu'un ! C'est pourtant ce que je t'ai écrit dans ma dernière lettre de Paris. Pourquoi n'as-tu pas voulu admettre cette interprétation ?

 Florence ne laisse pas le temps de se ressaisir. Peut-être partirons-nous, au milieu de la semaine prochaine, pour une plus petite ville, peut être irons-nous à Sienne. La vie est extraordinairement bon marché. Figues, 50 centimes le kilo, raisins, pêches, le même prix. Mortadelle 50 centimes l'etto, ghirlandais1lire le mètre.

 Cette lettre arrivera probablement à Paris le même jour que toi. Est-ce que Challes t'a fait du bien ? Ne reste pas trop longtemps dans notre appartement, qui n'est pas refait, ne perds pas ton temps et ton argent à le réorganiser : pars vite pour Haybes. Entre-temps, je reviendrai ; je ferai de beaux préparatifs et mettrai tout à neuf pour te recevoir.

 En éternel amour

 ton

 Ivlein

 

Claire est de retour à Paris le 20 septembre

 

Tu as planté devant ma porte

Un jeune citronnier

 

Il n'a que deux branches

L'une porte un fruit d'or

L'autre une fleur d'argent

 

Comment me préfères-tu

Vierge ou mère ?

Sienne 21 septembre 1933

 

 

Lettre d'Ivan Goll Sienne à Claire à Paris du 24 septembre 1933 MST p.140/141

 

 Sienne, 24 septembre 33

 

Chère Souzou,

 Nous voici, depuis quelques jours déjà, à Sienne : une des plus vieilles villes d’Italie, bâtie sur trois collines. On est sans cesse obligé de monter et de descendre. La rue principale n'est large que de 6 m et de hauts palais la bordent, comme une citadelle, - on a l’impression d'être dans une prison. Sans doute, on dit que la ville est environnée du plus beau paysage et des collines les plus séduisantes : mais on ne retrouve pas la sortie, tant que l'on n'est pas initié à ses secrets..

Le jour de mon arrivée, je t'ai écrit, probablement par gratitude pour ta prière sur la terrasse du Château. Les étoiles brillaient. Mais le soleil, jusqu'à présent, n'a pas paru. Pendant des jours et des jours, il a fait gris et brumeux, on sentait se préparer le mauvais temps qui a éclaté hier, avec éclairs et cyclone suivis d'une pluie chaude et persistante.

Ajoute à cela le sentiment d'être muré dans un cachot ! Tu objecteras : mais, à deux, c'est pourtant beau ! Peut-être mais avec du soleil et du clair de lune, ce serait encore plus beau. C'est la première fois que Paula Ludwig vient en Italie et elle n'y trouve que des brouillards nordiques et des tempêtes.

Une autre raison encore de me sentir comme emprisonné, c'est que j'attends en vain une somme que ma promise Apfel. Peut-être dois-je t’expliquer plus en détail les quelques allusions que je faisais sur ma dernière carte.

Ce qui m'a incité à ce départ subit, entre autres choses, c'est la dispute que j'ai eue avec Apfel. Savoir que j'ai perdu tout un été pour lui. Je ne sais plus si je t'ai raconté déjà qu'il m'avait finalement dégradé et réduit aux fonctions de traducteur : ce que je préférais d'ailleurs, ou presque, car de toute façon, et depuis longtemps, je ne voulais pas mettre mon nom. Mais jusqu'à ce jour, mes efforts n'ont servi à rien. Les chapitres Wessel et Kienle n'ont servi à rien Monsieur Apfel se découvre un talent d'écrivain. Bon. Mais qu'ai-je à faire avec ça ? Il exige même que je traduise littéralement jusqu'au plus petit point sur les i de son ennuyeuse prose...

Aussi, tout ce qui m'intéresse encore, c'est l'argent : vingt fois, il m'a proposé de "financer le contrat". Vingt fois, il s'est récusé. Il prétend ne pas avoir d'argent, mais il vit largement et il a des amis qui sont les plus riches de la colonie d'émigrants. Avant mon départ, il m'a promis 2.000 francs, je l'ai prié d'en donner 1000 aux Clauzel, sous prétexte que je n'ai toujours pas payé le loyer, et ceux-ci devaient remettre la somme. Et de m'envoyer le reste en Italie. Rien n'est arrivé encore...

Et toi, de ton côté ? Je suis sans nouvelles depuis huit jours. Dans ta dernière lettre de Challes, tu semblais projeter à nouveau de faire un assez long séjour à Paris. Certainement, tu as vite remarqué que Paris est cher ; est-ce que tu as pu t'en tirer saine et sauve, c'est-à-dire partir pour Haybes ? Mais j'espère encore que tu es vite repartie, que tu n'as pas entrepris tout d'abord de nettoyer l'appartement... Car cela n'en finit jamais plus... et que tu me laisses ce soin, puisque je rentrerai rue Raffet bientôt, avant toi, et que je veux tout préparer pour ta rentrée triomphale.

Oui, oui, chère Suzu, je reviens d'Italie purifié, apaisé, revigoré, et je veux à nouveau te reprendre dans mes bras, toi qui pries avec tant de ferveur. D'ici là, de mon côté, vendredi prochain soir, je prierai pour toi. mon Kol Nitrai * sur une colline d'oliviers.

Je prie ma mère de t'envoyer les 1.000 francs.. Mais économise quelque chose. Le mois d'octobre sera long. La note du téléphone n'était pas encore arrivée ?

Et fais en sorte que j'oublie un peu tous ces soucis et crois en moi, qui redeviens pieux

Ton

Ivan

 

Carte d'Ivan Goll Sienne à Claire à Paris du 25 septembre 1933 MST p.141

 Sienne 25 Septembre 33 [lundi]

 

Chère Suzu,

 

 Merci, merci pour ta lettre du 22 * ; Comme c’est dommage que tu ne puisses pas aller à Haybes ! Essaie donc de le faire. Promets 40 Fr, de pension. Aujourd’hui , le soleil est arrivé avec les cloches de l’angélus d’une douzaine d’églises. L’automne peut devenir beau. Pars donc ! Je te fais envoyer les 1000 Frs de Nancy pour l’usage domestique et privé. Ecris toi-même là-bas qu’ils envoient l’argent plus tôt, et souhaite leur de bien jeûner à Yom Kipour . Ardemment à toi, celui qui est heureux par toi,

 Ivan

· Cette lettre est égarée, il n’y en a plus trace.

 

Carte d'Ivan Goll Paris à Claire à Perouges du 1 octobre 1933 MST p.142

 

1 Octobre 33 [Pérouse]

 

Chère Suzu,

 Dernière étape : Pérouse, petite ville authentiquement italienne construite sur une colline, et dans laquelle la chaleur est enfin revenue. Pour ne pas rentrer scandaleusement dépourvu de bronzage, j’ai allongé le voyage de quelques jours et j’arriverai vraisemblablement samedi à 22 h. à Paris et dans tes bras aimés. Maintenant, je suis depuis si longtemps sans nouvelles de toi : depuis ta lettre du vendredi 22, rien ! Rien de Nancy, rien d’Apfel. C’est sans doute dû à la Poste et je suis très inquiet. S’il se passait quelque chose de particulier, envoie un cable : Pérouse Poste restante.

 Tout à toi, à toi

  I.

 

Que ne suis-je une datte

Brune et nue

Nue et brune

 

Pour n'être qu'un midi qui brûle

Un désir qui fond

Un parfum pour ton âme

 

Un miel pour ta langue

Une chair douce douce

A ta chair forte forte

début octobre 1933 

 

Ivan revient à Paris le samedi 7 octobre à 22h. où il retrouve Claire qui ne luia plus écrit depuis le 22. sept.

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Marienberghütte par Biberwier, Tyrol 8 octobre 1933 ImsL p.213

  Paris 8 octobre 33

Chère Palu 

 Ma

à traduire

 

Paula Ludwig Marienberghütte à Ivan à Paris 16 octobre 1933 *** IsmL p.214 à 217

Cher Ma

 Palu

correspondance à traduire (superbe lettre d'amour)

 

carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Marienberghütte par Biberwier, Tyrol 18 octobre 1933 ImsL p.217/218

  Paris 18 octobre 33

Chère Palu 

 Ma

Seul Saint - François doit te rendre visite

à traduire

 

carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Marienberghütte par Biberwier, Tyrol 23 octobre 1933 ImsL p.218

  Paris 23 octobre [1933]

 

Chère Palu

 Ma

à traduire

 

carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Marienberghütte par Biberwier, Tyrol 26 octobre 1933 ImsL p.218

  Paris 26 X. 33

 

Chère Palu

 Ma

à traduire

 

carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Marienberghütte par Biberwier, Tyrol 4 novembre 1933 ImsL p.219

  Paris 4 XI. 33

 

Chère Palu

 Ma's

à traduire

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Marienberghütte par Biberwier, Tyrol 7 novembre 1933 ImsL p.220/221/222/223

  Paris 7 novembre 33

Chère Palu

 Ma

à traduire ***

 

carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Marienberghütte par Biberwier, Tyrol 10 novembre 1933 ImsL p.223

  Paris [10.11.33]

Chère Palu

Lucifer vit.

Dans sa nouvelle armure. Dans l'éclat de Vénus. Avant la fin du mois, il se présente dans un manteau vert pour toi. L'éditeur était très amical et prend tous les frais à sa charge.

Un salut de l'Hôtel Studio qui me faisait signe en passant sans m'arrêter

 Ma

carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Marienberghütte par Biberwier, Tyrol 16 novembre 1933 ImsL p.224

  16.11.33 Paris

Chère Palu

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Marienberghütte par Biberwier, Tyrol 23 novembre 1933 ImsL p.224/225

  Paris 23 novembre 33

Chère Palu

Ma chambre est totalement devenue une vallée de pins. Une fenêtre est entièrement devenue verte. 

  Manyana

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 5 décembre 1933 ImsL p. 225/226

Chère Palu 

 Ton

 Ma

traduire

 

  Manyana

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 20 décembre 1933 ImsL p. 227/228

 Paris 20 décembre 33

Chère Palu 

 Ton

 Ma

Adresses amitiés pour tout 321

traduire

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 31 décembre 1933 ImsL p. 228/229/230

 Paris 31 décembre 33

Chère Palu 

 

 Yvan

Ton anxiété sur la catastrophe de chemin de fer comme celle-là m'affecte aussi.

traduire

 

 1934

 

Paula Ludwig Ehrwald à Ivan Goll Paris 2 janvier 1934 ImsL p. 231 à 235

 2. 1. 34

J'avais repris hier soir pour la première fois en mains le livre de Florence et le relisais. Je l'avais si longtemps protégé comme un jeune vin que l'on garde intact et maintenant, j'allais chercher ton vin ressorti des plus profondes caves de l'été, et mon cœur débordait. Je regardais les images et caressais de la main les murs du Palazzo

traduire

 

 

 

 

Yvan : immortelle constellation de mon âme

 Je t'embrasse avec un nouveau cœur

 Je t'aime d'un amour nouveau

[dans la marge gauche]

Les pierres de tes manchettes ne sont pas des améthystes mais des grenats, des grenats presque noirs, tirés des montagnes de ce pays.

 

carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald, Tyrol 5 janvier 1934 ImsL p.235

  5.1.33

  [mais cachet de la Poste : 1934 Paris]

Chère Paula

Tu reçois aujourd'hui ou tu dois recevoir 1 manuscrit et un cartable - Fra Angelico : dans la crainte qu'il m'arrive le même tour qu'avec les coraux je t'envoie mes voeux par le chemin habituel afin que tu vives une année aussi grande aussi enthousiasmée que cette déesse.

En tout cas, dés lors, je m'incline devant toi  

 Yvan

 

[dans la marge gauche]

Je me réjouis de ton arrivée

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald, Tyrol 18 janvier 1934 ImsL p. 236/237/238

  Paris 18 janvier 34

Chère Palu

traduire

 Yvan

 

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald, Tyrol 30 janvier 1934 ImsL p. 238/239/240

  Paris 30.1.34

Chère Palu

traduire

 Yvan

 

carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald, Tyrol 10 février 1934 ImsL p. 240

 [ Paris 10.II.34 ]

Chère Palu

 Ma

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald, Tyrol 23 février 1934 ImsL p. 241/242

  Paris 30.1.34

Chère Palu

traduire

 Ma's

 

carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald, Tyrol 9 mars 1934 ImsL p. 242

 [ Paris 9.III.34 ]

J'attendais avec beaucoup d'inquiétude ta "publication"

 

 Ma

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald, Tyrol 22 mars 1934 ImsL p. 242/243/244

  Paris 22 mars 34

Chère Paula

J'ai du relire plusieurs fois d'un bout à l'autre ta lettre : je ne savais pas si je la trouvais triste, ou si elle était le reflet de l'amertume de ton humeur ou tantôt optimiste ou tantôt dépitée ; j'ai mis longtemps à me décider et je te réponds aujourd'hui, bien que je ne sache pas bien encore si je suis arrivé à un résultat. Ceci me gêne, en effet, de m'approcher plus souvent de toi

vérifier mon bout de traduction et traduire la suite

 Yvan

 

Paula Ludwig Ehrwald à Ivan Goll Paris 25 mars 1934 ImsL p. 244 à 248

 Ehrwald - Dimanche des Rameaux

 25. 3. 34

traduire ****

 

le 26 mars 1934, Paula revient à Berlin

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 2 avril 1934 ImsL p. 249/250

 Paris lundi de Pâques

 

  [2.4.34]

Ma Chère Palu

o mon ravisseur -

 Ma

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 15 avril 1934 ImsL p. 251

   15.4.34

Chère petite Paula

 

 Many

 

Paula Ludwig Berlin, à Ivan Goll Paris, 18 avril ****1934 ImsL p. 251 à 254

  18 avril 1934

 

Ma chère Manyana -

 

traduire, manque la fin de la lettre

 

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 28 avril 1934 ImsL p. 255

 Paris 28 avril 34

Chère Palu

traduire

 Ma

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 3 mai 1934 ImsL p. 256/257

 Paris 3 mai 34

Chère Palu 

traduire

 Ta

 Ma

 

carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Berlin 30 mai 1934 ImsL p. 257

  30 mai 1934

 [Paris]

Chère Palu 

traduire

 Salut à Nina, à Falk et tiens-toi en bonne santé

 Ma

Le 1er juin 1934, Paula quittait définitivement Berlin pour Ehrwald

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 3 juin 1934 ImsL p. 258/259

 Paris 3 juin 34

Chère Palu 

traduire

 

 Ma

 

Paula Ludwig Ehrwald, à Ivan Goll Paris, 8 juin 1934 ImsL p. 260/261

  Ehrwald 8 juin [1934]

 

Chère Ma.

 Ton Palu

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 15 juin 1934 ImsL p. 260/261

 Paris 15 juin 34

Chère Palu 

traduire

 Ma

 

Marcel Raymond (Bâle) à Yvan Goll le 23 juin 1934

 Bâle le 23 juin 34

 Cher Monsieur,

 Vous êtes très aimable d'avoir songé à m'envoyer votre "Lucifer". Je le lirai à l'ombre dans quelques semaines. Quant à votre "Orphée", que je connaissais en partie, il me rappellera cette atmosphère de Paris d'après-guerre, qui était assez enivrante, et qu'on ne peut oublier.

 J'ai lu avec intérêt votre "Surréalisme" ; en pensant à lui, j'ai des remords …, mais je vous l'ai déjà dit.

 Nous vous attendons à Bâle, vous et Madame Goll, n'est-ce-pas ?

 A bientôt, j'espère, et croyez-moi votre dévoué

 Marcel Raymond

P.S.: Nous quittons Bâle vers le 10 juillet : du 1 août au 15 octobre, nous serons à Genève (Chemin Bizot), puis à nouveau à Bâle

SDdV

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 26 juin 1934 ImsL p. 261/262

 Paris 15 juin 34

Chère Palu 

traduire

 Pourquoi ? 

 I

Claire Goll, part vers le 25 juin en Italie pour un séjour en cure (?).

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 3 juillet 1934 ImsL p. 262/263

 Paris 15 juin 34

Chère Palu 

traduire

 Ton 

 I

Et j'ai aussi de l'argent; sois sans souci. Salue la petite Nina. Mais ne parle à personne d'autre de mon arrivée. Je veux rester entièrement caché.

 

Claire a envoyé un télégramme laconique le samedi 7 juillet, depuis Rome. Yvan lui écrit Poste Restante. Yvan sait qu'elle est avec l'homme avec lequel elle était en Italie en 1931, et à la même adresse

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Claire Italie du 7 juillet 1934 MST p.142/143  

 samedi 7 juillet 1934

 Chère petite Suzu,

 Cette nuit a été l'une des plus douloureuses de ma vie : étrangement pleine de voix et d'appels - de tes appels - et de vertes cimes d'arbres, parce que là-bas, il y avait une fête nocturne sur les lacs du Bois.

 Symbole : je devais recueillir seul les comètes qui tombaient sur notre balcon, tandis qu'au loin, tu ramassais de tes mains d'enfant, la lune brisée, dans les champs de blé mûr, et te brûlais …

 L'aube vint de bonne heure, mais non le repos. Je fis un séjour avec toi à Turin, à Gênes ; tu te montras enchantée de la langue italienne, puis vint cette expérience avec la mer étincelante. Je ne sais pas quel fut ton parcours, mais je l'ai vécu.

 Ensuite, m'arriva avec le courrier, ta lettre apaisante de Laroche, avec la fraîcheur paisible des peupliers crépusculaires qui t'ont vue. J'allais mieux. Mais à 5 h 35, la fièvre monte de nouveau ; as-tu vu tout de suite, en face de la gare, le Museo delle Terme ?

 Une grande souffrance est en moi, d'autant plus grande que je sais l'avoir méritée.

J'aurais parfois grande envie de ramper sous le piano. Je vais subir de lourdes épreuves, et je crains la plus lourde, au Tyrol. Ce ne sera pas comme les années précédentes. Le long pèlerinage que je projette me conduira finalement à toi, - définitivement. J'ai le sentiment, pour la première fois, que je ne vais là-bas que pour poser un point final.

 Mais le temps de l'attente, ici, sera encore plus cruel. Encore dix jours au moins.

 Chez Halphen, il n'y avait pas encore de robe.

 Mary a disparu depuis huit jours, sans laisser de trace. Elle m'a fait dire que les photos sont rue du Bac, mais le photographe n'en savait rien. C'est tout à fait Mary.

 Et maintenant, puissent les dieux de Rome te bénir !

 Ivan

 

Lettre d'Ivan Goll Paris à Claire Italie du 8 juillet 1934 MST p.143/144

 Dimanche soir 8 juillet 1934 [Paris]

 Chère petite Suzu,

Étranges sont les voix du destin. Hier, après n'avoir pas quitté de toute la journée, la fraîche terrasse, je suis allé au café et j'y ai trouvé une ambiance bien italienne : là se trouvait, en effet, le peintre Cristofanetti et sa femme. Te rappelles-tu que j'ai fait la connaissance de cette dame, il y a deux ans, dans le train du Tyrol, alors que je me hâtais de revenir à toi ! Autour de lui, dix autres italiens étaient assis, et j'entendais parler cette langue céleste avec autant de pureté que si j'avais été au Café Cok de la Piazza Venezzia.

 On m'a submergé de lettres d'introduction pour toi. D'abord à Son Excellence le Conseiller d'Etat Luigi Cristofanetti, père de notre ami, qui pourra te recommander en tous lieux, peut-être même au Duce, si tu en as envie.

 Une autre dame d'un certain âge, qui joue, paraît-il, un rôle dans le parti fasciste, te recommande à l'Hôtel National, où tu trouverais éventuellement une chambre pour 6 lires, si tu n'as rien trouvé de bien ailleurs. Ton télégramme laconique d'hier m'a fait supposer que tout n'est pas si simple.

 Cependant, il se peut que tu n’aies aucun besoin de recommandations, et c'est même probable, car on peut découvrir sans elles les colonnes, les temples et les chapelles, et finalement c'est ce qu'il y a de plus intéressant à Rome.

 J'espère que tu as de très belles impressions.

 Ivan

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Claire Italie du 12 juillet 1934 MST p.144/145  

Paris

Jeudi 12 juillet 1934

Chère petite Suzu,

 Tes impressions grandioses sur Rome ne feront que s'intensifier chaque jour. C'est la seule ville où pareille chose est possible.

 Dommage que je ne puisse toucher, dans cette lettre, qu'au côté administratif de ton voyage - mais explique-moi ce qu'est un appartement ? Depuis le début, je ne l'ai pas compris, étant donné que l'Italie est si diverse, et qu'avec un billet comme le tien, on ne veut pas séjourner dans un seul endroit, surtout avec ton programme, qui comporte certainement encore Florence, Assise, sinon Naples ? Pourquoi un appartement ? Je t'adresse une très importante recommandation à l'Hôtel National, un des plus grands de Rome, où tu n'aurais à payer que 15 lires lieu de 40.

 Mais tout cela est déjà passé, probablement.

 Je voudrais que tu retires de ce voyage de belles impressions.

 Je donne aujourd'hui à la Schweizerische Bankgesellschaft l'ordre de t'envoyer 800 lires, qui viennent être converties en liquide, grâce à une vente de titres à Madame Lang.

 Entre-temps, j'ai eu beaucoup de peine et j'ai dû m'humilier pour obtenir seulement quelques centaines de francs (300 francs) chez Shermann ou Drach. Cela est terminé.

 Je n'ai reçu qu'aujourd'hui l'argent pour Halphen. La petite robe part aujourd'hui. La jaquette demain. Toujours poste restante.

 Je pars au début de la semaine prochaine : mais d'ici là, écris à Paris. Ensuite, je te donnerai mon adresse. En hâte.

 Ivan

 

a) s'il te plaît, ne m'écris pas tes belles lettres sur ces étroites feuilles de bloc ; prend un grand bloc, car cela m'irrite toujours qu'il y ait si peu de place.

b) 300 lires de gaz et d'électricité : c'est la consommation d'une famille avec trois enfants pour trois mois d'été ! Alors que tu ne peux pas faire cuire un oeuf. Qui fait la cuisine ?

 

(Ivan Goll écrit un livre sur le psychographologue Shermann, qui fut retenu en Allemagne contre son gré jusqu'en 1933. Raphaël Shermann "l'écriture ne ment pas", Gallimard 1935

Drach, éditeur de la revue "Vu" qui publia en 1934 des passages du livre).

 

carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 13 juillet 1934 ImsL p. 263

 Paris 13 juillet 34

Chère petite Paula 

S'il n'est pas possible d'intervenir entre cela, je pars le mardi soir d'ici et je suis mercredi, vers 1 heure à Innsbruck. A l'avance, je t'envoie déjà mon bonheur 

 

lettre d'Ivan Goll Paris à Claire Italie du 14 juillet 1934 MST p.145

 

 Paris

14 juillet 1934

Chère Suzu,

 Je te félicite : ton acte de vengeance a réussi cent pour cent. Ta théorie du rachat se réalise pleinement.

 Ici encore, un complément à ma première lettre :.

 Pendant la nuit que j'ai passée en voyage avec toi, j'eus soudain une vision : le chapeau mou, gris-pigeon, qui était posé dans le coin, en face de toi, près de la casquette de voyage et de Gringoire, je le vis sur une tête que je connais très bien, et nullement sur celle du vieux monsieur qui se tenait dans le couloir. C'était assez bizarre que cet inconnu restât absent si longtemps, et qu'il n'assistât pas à notre dernier baiser.

 J'envoie donc ton adresse au receveur ; elle n'est pas nouvelle pour moi, car j'y ai télégraphié plusieurs fois, il y a trois ans.

 Sans doute, tous mes envois ont été faits " fermo posta ": a) le petit costume en 2 envois. b) 1.000 lires (au lieu de 800), qu'à la dernière minute, je t'ai fait adresser télégraphiquement par la SchweizBankgesellschaft ..

 Je pars mardi.

 Au revoir,

 Ivan 

 I

lettre d'Ivan Goll Paris à Claire Italie du 14 juillet 1934 MST p.145/146

   Paris

14 juillet 1934

Chère Suzu,

Reçu à l'instant cette carte de Doralies. Il faut que tu y répondes, vite, que nous serons probablement à Paris dans la seconde moitié de septembre, que tu lui paieras, bien entendu, le voyage vers à Paris (très petite somme) étant reçue chez nous, elle n'aura guère de dépenses à faire ici.

 Faire une autre réponse est presque impossible. Anvers est à peine à cinq heures de Paris. Il faut apprendre aux mères à faire leur devoir. Voilà ce qui arrive quand on a des filles.

 Ci-inclus aussi le Zuri Zittig.

 Ton

 Ivan

 Peut-être la vision dont je t'ai fait ce matin le récit n'est-elle que l'hallucination d'un torturé ?

À partir de mercredi : Innsbruck, poste restante.

 

Yvan arrive le 17 juillet chez Paula. Ils prennent quelques jours de vacances ensemble à Schönwies dans le Tyrol avant de revenir à Ehrwald.

 

lettre d'Ivan Goll Schönwies,Tyrol à Claire Italie du 19 juillet 1934 MST p.146/147  

Steinseehütte (1934)

par Schönwies ( Oberinntal)

jeudi 19 juillet (1934)

 

Chère petite Suzu,

La première chose que j'ai faite, lors de mon arrivée à Innsbrück, (à une heure de l'après-midi), ce fut de me précipiter à la poste, où j'ai trouvé ta lettre d'amour, non plus bleue, mais d'autant plus céleste. Je suis si heureux que tu aies compris tout de suite mon état d'âme et ma peine. Je suis heureux de ton expérience romaine et de la force dont tu fais preuve, dans cette solitude relative. Et je t'envie presque pour les petits frottements humains que tu as rencontrés dans cette ville unique en son genre : c'est par eux que l'on peut le mieux connaître une atmosphère. Dans les grands hôtels, où tout marche sur des roulettes, on n'a pas cette occasion.

Au Tyrol, tout se passe comme prévu. Je n'irai pas à Ehrwald ce qui va te rassurer beaucoup. Paula m'attendait à la gare d'Innsbruck, nous allâmes aussitôt au bureau de tourisme et nous rendîmes, dès le soir, ici à Schönwies un tout petit trou villageois. Ce matin, nous allons monter à Steinseehütte, avec des sacs à dos, et y rester éventuellement quelques jours ou plus longtemps. Ce sera selon... Nos bagages restent en bas. Peut-être ne nous plairons-nous pas là-haut, et alors nous irons ailleurs mais pour l'instant, mon adresse est celle indiquée ci-dessus.

 En outre, je sais déjà que je suis réuni à Paula pour la dernière fois. Cette part de ma vie est déjà morte pour moi. Je regrette presque d'être venu . Je crains qu'elle soit déçue et qu'elle remarque trop tôt que je ne suis plus le même que l'an dernier. Je le pressentais déjà,à Paris, mais ici, maintenant, je le sais et j'aurais peut-être dû procéder d'une façon plus abrupte.

 Il est à espérer que la nature et le soleil nous aideront à écarter de nos esprits ce malentendu de notre actuelle rencontre. À parler franc, j'ai presque peur de m'ennuyer bientôt.

 Et je répète, en l'inversant, la phrase de ta dernière lettre : malgré les belles impressions (Rome) du Tyrol, je désire vivement être, de nouveau, réuni à toi, dans un lien indivisible. Comme les attirances corporelles sont faibles.

 Mais les liens d'amour entre nos âmes sont éternels.

 Ivan

 

lettre d'Ivan Goll Schönwies,Tyrol à Claire Italie du 21 juillet 1934 MST p.147  

Schönwies, samedi 21 juillet 1934

Chère petite Suzu,

Aujourd'hui samedi, nous sommes déjà redescendus . La Steinseehütte, que tu vois sur les deux cartes incluses, était située à 2.000 m, nous avions monté pendant cinq heures, par des gorges et des lieux sauvages : c'était fatiguant, surtout ainsi, sans transition, après avoir respiré l'air du métro parisien pendant une année, - mais une fois arrivé en haut, nous avons été déçus : car le chalet était tout petit et ne comportait qu'une pièce avec seize couchettes...

 Nous restâmes néanmoins deux jours là-haut, nous baignant dans le lac glacé, cueillant ces petites fleurs si délicates, aux couleurs profondes, dont je voudrais poser quelques unes contre tes joues : même quelques edelweiss, dans des endroits accessibles sans danger, et des buissons de rhododendrons.

 Toutefois, nous dûmes nous décider à redescendre. Nous allons maintenant rester un peu à Schönwies, puis continueront peut-être à explorer la vallée.

 Mais en ce qui concerne le courrier, ce sera de plus en plus difficile. Je crois qu'il vaut mieux que tu recommences à écrire à Innsbruck, poste restante.

 Je pense beaucoup à toi ; chaque pas que je faisais à la rencontre des sommets me donnait le sentiment que je me rapprochais de toi. Chaque fleur que je cueillais était pour toi, et chaque étoile qui s'allumait pour moi avait l'éclat de tes yeux aimants.

 Ivan

 

lettre d'Ivan Goll Ehrwald,Tyrol à Claire Italie du 24 juillet 1934 MST p.148/149  

 

Ehrwald

Mardi 24 juillet 34

Chère petite Suzu,

 

 Nous avons encore erré, trois jours, dans les vallées Tyroliennes et sur des Alpages, sans trouver nulle part un lieu de séjour durable. Partout manquait, même dans les montagnes les plus éloignées, l’isolement. Ensuite, le temps est devenu mauvais - plusieurs violents orages, puis une pluie torrentielle : bref, nous avons dû nous réfugier à Ehrwald, où Paula possède un ravissant petit appartement, installé de façon coquette, avec bains, balcon avec vue sur un panorama de montagnes : à gauche le Zugspitze, à droite, la Sonnenspitze.

 Et des livres, autant qu'on veut. Ici enfin, nous nous sentons bien.

 Par ailleurs, pas la moindre crainte à avoir. Ehrwald est totalement désert. Pas un seul vacancier. Les habitants eux-mêmes sont complètement absorbés par la moisson et les soucis de ravitaillement. Pas une être âme ne se soucie de nous. L’appartement est tel que je n'ai ni besoin ni envie de faire un pas au dehors. Politiquement, on est ici totalement apathique Je m'étonne moi-même, à présent, de nos inquiétudes. Personne ne sait rien de moi

 Enfin je me remets de mes douleurs musculaires, de mes coups de soleil, de ma fatigue. Paula me soigne bien. Mais je pense beaucoup, beaucoup à toi, petite Suzu, trois lettres (2 bleues, et ce sont quand même celles que je préfère) et 1 express. Toutes trois expriment le même souhait : celui de nous rencontrer dans quinze jours à Florence, Capri ou Portofino.

 Je réfléchis, je calcule, je médite. Mon désir de te voir est si grand..

Mais en premier lieu : peux-tu vraiment te passer de ta cure à Challes ? Pense aux nuits parisiennes à venir. Je me souviens que tu affirmais, il y a trois semaines, que Challes t'était indispensable ; tu aurais mieux fait d'y aller dès le printemps. Ç'aurait été le plus simple, que tu accomplisses d'abord ton devoir à Challes et t'offres ensuite l'Italie comme récompense, - et si nous avions agi de d'une façon mieux concertée, si j'avais pu atténuer ta soudaine soif de Rome, si nous avions mieux réfléchi. Mais cela est du passé. Nous ne devrons plus commettre de faute.

 D'abord, j'ai peur de l'Italie en août. Ensuite, je ne voudrais pas aller à Challes, surtout parce que cela reviendrait très cher. Là-bas, la journée coûte au moins 60 francs - 20 schillings, par tête, tandis que je ne dépense ici pas plus de 3 schillings.

  Alors, qu’en dirais-tu, si après ton mois triomphal à Rome, tu allais à Challes, je t'y reprendrais vingt jours plus tard, donc par exemple le 20 août, et nous irions tous les deux encore une fois en Italie.

 Cela ne reviendrait pas cher. Car sur ton billet actuel pour l'Italie, tu paierais pendant trente jours 2 % de supplément, donc 60 %, et tu en perdras tout le bénéfice. Un nouveau billet pour l'Italie, fin août, et pour tout le mois de septembre coûte moins que rien, comme tu le sais. Et alors nous serons libres et pourrons rester aussi longtemps que nous le voudrons, tandis que le souci de Challes et le souci du billet (avec ton ancien billet) ne nous laisseraient pas de répit. Pour Challes, septembre est trop tard ; pour Florence, c'est le mois idéal.

 Troisième point : tu laisseras alors tes malles à Chambéry, et bondiras avec moi sur les collines de Fiesole, en petite tenue de voyage, ne cherchant à plaire qu'à moi. Ou bien nous irons au bord de la mer à Gênes, à Portofino. C'est égal. Mais nous serons libres. Tu as eu assez de temps pour séduire les Romains avec ton chic parisien. En aucun cas je ne supporterais d'être chargé de 50 kg de bagages (je me vois suant, le 15 août, à la gare de Torentolo, bifurcation pour Assise - Horrible !) le parcours de Chambéry à Modane ne coûte, lui non plus, presque rien. Veux-tu donc, cette fois, réfléchir mieux, avec moi, à ce projet, et être très raisonnable ? Je te promets d'aller te chercher à Challes au bout de 18 à 20 jours ! Cette cure n'est-elle pas alors supportable, après Rome et avant Florence ? Songes-y bien attentivement.

 Par contre, si je me précipite tout de suite vers toi le 1er août, - que ferons-nous, en septembre, le billet étant utilisé ?

 Mais avant tout, avant tout, sache que je t'aime, que je n'aime que toi. Je cherche seulement à rendre aussi belles que possible les circonstances de notre revoir, et je ne pense qu'à ton émouvant cadeau de Mélusine.

 Ton Ivan

 

Ici, l'expérience Tyrol achève de mûrir et se termine entièrement ; je pourrai peut-être encore achever un travail.

 

Le 27 juillet Yvan part d'Innsbruck vers Vérone, pour y retrouver sa mère, puis Claire Goll à Port d'Ischia

 

carte d'Ivan Goll Fernpass à Paula Ludwig Ehrwald 27 juillet 1934 ImsL p. 264

 Fernpass 9H

 Hôtel des Alpes

Chère chère grande Palu

Tout à l'heure, je voyais dans le Blindsee les rêves qui nous ont déjà jeté depuis deux ans dans des problèmes très vert-bleu mieux traduire ça et la suite

 

carte d'Ivan Goll Innsbruck à Paula Ludwig Ehrwald 27 juillet 1934 ImsL p. 265

Trop triste était ce superbe trajet vers le bas sans toi ! Pas sans toi, car j'emportais avec moi te yeux bruns d'hermine - j'embrassais tes mains - j'aime ton âme.

 Ma

 

Ivan Goll Vérone à Paula Ludwig Ehrwald 27 juillet 1934 ImsL p. 265/266

 Vérone vendredi soir

 [27 juillet 1934]

Aujourd'hui, j'écris à la pauvre, la petite, la petite Paula, toujours abandonnée …

 Yvan

J'ai grimpé dans le néflier

Pour suivre ta course

Vers la montagne bleue

 

J'ai vu ta route à travers les rhododendrons

Des nuées de perruches blanches

S'élevaient comme une poussière

Autour de tes pas

 

Et lorsque tu passas le dernier col

J'ai vu dans un nuage

Ton ombre retournée vers moi

écrit entre le 1er et le 7 août 1934 (Chansons Malaises 1935 (31) II/197)

 

 

La neige parfumée du caféier

A rouillé en trois jours

 

L'amour roux de l'abricotier

A duré moins longtemps

 

Le melatta pourrit

En une nuit de pluie

 

Mais moi présomptueuse

Dardant mes seins

A la lune

Au soleil

Croirais-je donc ma beauté immortelle ?

 

Hélas bientôt refleuriront

Anis safran et poivrier

Et les branches de mon squelette

Resteront nues

écrit entre le 1er et le 7 août 1934 (Chansons Malaises 1935 (33) II/197)

 

Je te croyais le soleil qui fait éclater

 les rhododendrons

Je te croyais la statue de pierre qui

 ordonne la marche des jours

Je te croyais le roi étincelant qu'aucun

 mortel n'ose approcher

Mais de mon doigt de nacre

Frôlant ton épaule orgueilleuse

J'ai fait de toi un tout petit garçon

Qui cache son angoisse sous mon

 aisselle brune

écrit entre le 1er et le 7 août 1934 (Chansons Malaises 1935 (28) II/199)

 

 

Quelque part fleurit l'épice amère

La sens-tu ?

Quelque part est perché l'oiseau aveugle

Le vois-tu ?

Quelque part souffle le vent noir

L'entends-tu ?

Quelque part se lève l'ombre glacée

Le sais-tu ?

écrit entre le 1er et le 7 août 1934 Chansons Malaises 1935 (37) II/199

 

L'oiseau chanta comme tous les matins

Et je voulus te réveiller

Car la rizière est loin

 

Ma main pour te chercher

Erra tout le long de la couche

S'allongea jusqu'aux Iles

Et parcourut toute l'Asie

 

Oh j'avais dormi seule :

Mais l'oiseau chantait tout de même

écrit entre le 1er et le 7 août 1934 Chansons Malaises 1935 (32) II/199

 

 

Seras-tu l'oiseau rapace

Frère de l'Est ?

 

Seras-tu la colonne du temple

Frère du Sud ?

 

Seras-tu mon étoile

Frère de l'Ouest ?

 

Seras-tu ma tombe

Frère du Nord ?

 

Qui que tu sois : je t'attends ! je t'attends !

écrit entre le 1er et le 7 août 1934 Chansons Malaises 1935 (29) II/201

 

Mon amant le pêcheur

Me quitte chaque nuit

Comme s'il me trompait

 

Il se penche sur la mer pâle

Les vagues ont des corps de femmes

Habillées de dentelle

 

Il leur tend longuement les bras

Il se penche toujours plus bas :

Va-t-il tomber ?

 

Mais dès le petit jour

Il se redresse, levant au soleil

Ses paniers tressés d'or

 

Il vient déposer à mes pieds

Comme un bouquet de fleurs

Ses plus beaux poissons roses

écrit entre le 1er et le 7 août 1934 Chansons Malaises 1935 (30) II/201

 

Le 7 août Ivan part avec sa mère pour Port d’Ischia, ils retrouveront Claire qui partira en cure à Montecatini le 4/5 octobre

  

Ivan Goll Port d'Ischia à Paula Ludwig Ehrwald 8 août 1934 ImsL p. 274/275

  Port d'Ischia

 8.8.34

Chère petite Paula,

 

 Yvan

 

Ivan Goll Port d'Ischia à Paula Ludwig Ehrwald 16 août 1934 ImsL p. 275/276

 Port d'Ischia 16.8.34

Chère Palu,

 

 Ma

 

Ivan Goll Port d'Ischia à Paula Ludwig Ehrwald 24 août 1934 ImsL p. 277/278

 Port d'Ischia 16.8.34

Chère Palu,

 

 Ma

 

Ivan Goll Port d'Ischia à Paula Ludwig Ehrwald 29 août 1934 ImsL p. 277/278

 Ischia 29 septembre 34

 [ la date exacte 29.8.34 ]

Chère Palu,

 

 Ma

 

 

Dans ton baiser plus profond que la mort

Je sens ta rage de rentrer en terre

De retourner vers ton néant

Tu te dissous

Tu te détruis

Nuage tu tombes

Fleuve tu cours vers ta mer

 

Et ma chair te reçoit comme un sépulcre

écrit en automne 1934 Chansons Malaises 1935 - 20 - II/203

 

J'habite le corps d'une morte

Toute ma joie s'en est allée

Mes yeux écarquillés ne captent plus

 la lumière

Mes genoux s'effritent comme du

 sable

Tout me fuit

Seuls les fauves continuent à rôder

Flairant la charogne de mon cœur

écrit pendant l'automne 1934 Chansons Malaises 1935 (39) II/204

 

Je ne suis que du sable

Du sable indifférent

Sous le soleil roux

 

Je ne suis qu'une rive

Eperdument perdue

Au bord de l'infini

 

Mais je t'attends toi qui me veux

Toi marée léonine

Dieu qui me créas pour me dévorer

 

Eau qui me boiras

Feu qui m'incendieras

J'attends que tu m'exauces me dissolves

 

En sable encore plus fin

Encore plus indifférent

Sous le soleil roux

écrit en automne 1934 Chansons Malaises 1935 - 22 - II/204

 

 

Je suis l'amphore qu'un potier savant

A voulu svelte et accueillante

 

Mais je t'attends : o ma substance !

Verse-moi, mon amant

Le vin de ta force

L'huile de ta bonté

L'eau fraîche de ta foi !

 

Peu m'importe : exauce-moi

Et donne-moi mon nom !

écrit en automne 1934 Chansons Malaises 1935 - 12 - II/206

 

Ivan voyage avec sa mère en Italie depuis le 7 août 1934

Ivan Goll dans le train Florence/Bologne à Claire Montecatini 5 sept. 1934 MST p.150  

 

Signora Claire Goll

Albergo "Villa Berta"

Montecatini - Terme 5 septembre 1934

 dans le train Florence-Bologne

 

Mon tout petit enfant,

 

 J'ai tout juste eu le temps de courir à l'hôtel : le portier n'était au courant de rien et il sonna la femme de chambre au moins cinq minutes, mais on ne put la trouver nulle part. Finalement, je dus repartir en toute hâte sans être renseigné, car le train partait cinq minutes après, il m'emporta.

Je pense beaucoup à toi et à ta triste destinée. Ah ! j'ai si mal au fond du coeur : un tel enfant, ma petite Suzu !

  Le portier de l'hôtel, qui est très gentil, a ton adresse et t'écrira si l'on trouve quelque chose. Je suis monté à la chambre. Elle est louée, à nouveau à un petit couple.

Qu'elle fut belle, cette nuit de colombes, auprès de la fille de légende que j'aime.

Ivan

 

 

Je suis la terre

Que tu laboures

Pour semer le riz et la joie

 

Sous l'allégresse de tes pieds

Mes prairies dansent

 

De ta tête ruisselle le soleil

Mais quand tu jettes l'ombre

J'ai froid comme une morte

 

Un jour en me creusant

Tu trouveras ta tombe

écrit en automne 1934 Chansons Malaises 1935 - 14 - II/206

 

Ivan arrive le 5 septembre à la Torbole( lac de Garde) avec Paula Ludwig

 

Ivan Goll Torbole, lac de Garde à Claire Montecatini 6 sept. 1934 MST p.150/151  

Torbole

Lago di Garda

Villa Helvétia

Chère petite Suzu 8 septembre 1934

 

 Ta lettre rafraîchissante et pleine de bonté, de la Fontaine Rinfresca, a conforté ton voyageur fatigué, à l'heure voulue.

 Hier, en minuit, je suis tombé comme un aveugle dans un lit d'hôtel,sans le regarder : mais, ce matin, un train omnibus m'aa bientôt amené à la Riva simili - mondaine, toute rutilante d'or, mais ennuyeuse à bailler.

 Je m'enfuis, peu après, sur une route brûlante, à 4 km de là, à Torbole : dans ce coquet village de pêcheurs, j'ai trouvé la chambre que je souhaitais, sur le lac, avec possibilité de faire la cuisine, pour 11 lires. La dame, une Suissesse, met à ma disposition sa vaisselle et ses services : en présent seulement, je comprends combien on nous estampait à Ischia.

 Sous ma fenêtre, le bateau à vapeur du Lac de Garde a sa station.

 Mais à chaque heure, je me représente ce que tu es en train de faire :

Es-tu courageuse ?

Bois-tu ce qu'il faut de Regina ?

Comment se porte notre cyprès d'adoption ?

Te pèseras-tu demain ?

Tes oreilles s'habituent-elles aux coraux ?

J'espère, ici, bien travailler.

Le ciel s'ennuage.

 Mes pensées d'amour

 nagent vers toi

 Ivan

 

 Je suis ton ruisseau 

 Ivre de menthe

 

 Penche-toi sur moi Que je te ressemble 

 

Baigne en moi 

Et sens comme je tremble

 

Mange mes poissons 

Pour mieux m’engloutir

 

Bois-moi 

Pour mieux m’anéantir

 

Aime-moi 

Je t’aiderai à te noyer

écrit en automne 1934 Chansons Malaises 1935 - 17 -  II/208



Ivan Goll Torbole à Claire Montecatini 10 sept. 1934 MST p.151/152

Torbole, lundi 10 septembre 1934

Chère petite Suzu

 Ta lettre calme et tendre de samedi m'a rassuré bien que je sache qu'entre les visites au château et au cinéma, il te reste encore assez de temps pour une pénible solitude. Et je subis cette séparation, commune une épreuve, presque autant que toi-même.

 Il est vrai que je suis très bien ici. Le repos complet de l'esprit et du corps. Jusqu'à ce jour, nous avons été au lac, pour nous baigner, dès neuf heures du matin. Il faisait un temps divin. Torbole est vide et semble n'appartenir qu'à nous. À midi, avant de rentrer, nous achetons un poisson - une truite de taille moyenne, 3 lires, - la propriétaire de la maison nous a préparé des pommes de terre.

 Mais hier soir a éclaté un violent orage : toute la nuit, les éclairs illuminaient la chambre comme en plein jour - à présent, il pleut. Je vais donc me mettre à travailler. D'abord, au premier acte de la pièce. Dès que j'aurai terminé cette lettre. Tout est déjà prêt sur la table, dans un petit cabinet attenant que j'ai réquisitionné pour mon travail.

 Car je sais qu'à Paris, en ce moment; devra commencer une période de grande activité, si nous ne voulons pas être complètement submergés. Ou une pièce de théâtre, ou une machine à café expression, quelque chose doit être fait maintenant et conduire au succès !

 Je pense déjà à notre voyage de retour : je quitterai ce lieu, probablement dimanche en 8, donc le 23 septembre car la traversée jusqu'à Decenzano dure cinq heures. Mais, le dimanche, elle coûte sensiblement moins cher. Je passerai la nuit à Decenzano, serai lundi matin à Milan, et le soir, vers cinq heures, à Paris.

 Il faut encore que tu m'envoies ici là l'adresse des éditeurs de Milan et les indications précises sur les démarches déjà en cours auprès d'eux.

 Je recevrai après-demain de l'argent de Suisse et je t'en enverrai alors.

 Mange bien, bois bien, engraisse

 et aime

 ton

 Ivan

Ivan Goll Torbole à Claire Montecatini 13 sept. 1934 MST p.152

Torbole, 13 septembre 1934

 

Chère petite Suzu,

 Le développement de mon aventure avec Paula - qui fut interrompu prématurément au Tyrol - a maintenant atteint son point culminant dans le paisible isolement du Lac de Garde : celui-là même que je t'avais précédemment fait entrevoir : nous avons décidé de ne plus nous revoir après ces journées d'automne. Notre actuelle vie en commun n'est qu'une fête d'adieu. Nous y sommes prêts, tous les deux, consciemment et calmement. Car je ne peux plus répondre au sentiment de Paula, qui est grand et total, avec la même plénitude ; et cela, parce que je ne peux pas disposer de la liberté de mes sentiments et de mon coeur, - les ayant déjà engagés (devines-tu à qui ?). Mais ce serait une trop grave responsabilité que de continuer à peser sur sa liberté et sur ses sentiments ; et elle n'a pas le droit de continuer à amputer sa vie.

 Je te le fais savoir en mots tranquilles, comme une donnée objective, et non parce que je souhaite te rassurer, te tromper ou t'influencer d'aucune manière.

 Mais, étant donné que tu sens et souffres avec moi, depuis le début, tu as aussi le droit d'être instruite du dénouement.

 Le programme des prochaines semaines est le même : mais si ta cure ne te réussit pas ou s'il y a quelque chose d'autre en vue, pourrait-on éventuellement partir trois jours plus tôt ?

 Je m'étonne de ne plus avoir un signe de vie depuis si longtemps (depuis samedi !) et je t'étreins.

 Ivan

 

Ivan Goll Torbole à Claire Montecatini 14 sept. 1934 MST p.153

Torbole, 14 septembre 1934

Chère petite Suzu,

 Tes deux dernières lettres, qui sont arrivées aujourd'hui en même temps, avaient une nuance mélancolique. Te voilà donc malade, de nouveau et je ne m'en étonne pas. Je l'ai crains, dès que j'ai vu le premier menu de l'hôtel : pas trace de régime. Et, comme tu obéis sagement aux prescriptions de Landau - engraisser - tu manges des choses défendues ! Ces stations thermales ! Donc, ce Montecatini aussi est une faillite. Tu allais certainement mieux à Albergoll Ischia.

 Maintenant, je n'ai plus confiance en Montecatini. Et toi ? Et qu'en pense Landau ? Peut-être pourrais-tu partir un peu plus tôt que prévu ? Par exemple, le samedi 22 septembre ? Deux jours plus tôt ? En ce cas, je partirais moi-même dès le vendredi 21, et resterai un jour entier à Milan, pour rendre visite à Léonard de Vinci et aux éditeurs . Je t'attendrais alors le samedi à 18 heures 35 à Turin ? C'est à voir car enfin, nous avons le champ libre .

 Bien entendu, tu devras prendre un nouveau billet jusqu'à Pise. C'est ainsi que je l'ai toujours compris et tu feras enregistrer ta grande malle jusqu'à Modane (et non : Modène).

 Mais nous pouvons aussi en rester à l'ancienne date.

 Une petite surprise désagréable, c'est que le petit déjeuner n'est pas compris dans le prix. Dans ce cas, je me ferai moi-même mon thé, pour ne pas avoir inutilement traîné avec moi le grille-pain..

 As-tu déjà reçu une facture ? Tu recevras directement de Suisse 500 lires, et de-moi le reste, dès que je pourrai me rendre compte approximativement de la somme totale. Je vends, je vends, à Zurich - les bourses mondiales ont ressenti cette secousse !

 Merci de me transmettre les diverses lettres. Ci-inclus, une lettre pour Nancy, dans laquelle j'envoie à Daniel l'articles Angeler (*) que j'ai récemment écrit, en attendant que je le donne à l'Intran.

 Je travaille tout seul à la pièce.

 Tu as du recevoir ma lettre d'hier, qui contenait le "faire part" dans tu parlais justement.

 Ainsi donc, la tête haute, la poitrine en dehors, le ventre rentrée, la bouche en pointe pour le baiser.

 Ivan

(*) Pêcheur, peintre du Dimanche à Ischia

 

Ivan Goll Torbole à Claire Montecatini 15 sept. 1934 MST p.154

 

Torbole, 15 septembre 1934

 

Chère petite Suzu,

 

 Voici, en hâte, une petite lettre entre deux autres. La poste d’ici est lamentablement mal dirigée. Une lettre de toi met souvent deux jours et demi à me parvenir. Je me fais des soucis à ton sujet.

 En outre, il y a eu aussi un retard dans les envois de Zurich : c’est pourquoi, je t’envoie d’ici, en hâte, 100 lire d’argent de poche. J’espère que le reste suivra aussitôt.

 Landau n’a pourtant pas raison d’exiger de toi qu’à Montecatini tu grossisses immédiatement. Son régime convient pour après . En ce moment, tu dois boire de l’eau, etc. Et cela ne fait grossir personne !

 Il a plu ici, à seaux, toute la semaine. Aujourd’hui, le ciel s’éclaircit.

 J’attends bientôt une longue lettre de toi et je t’embrasse

 Ivan

 

Sous les rosiers qui t'émerveillent

J'ai planté le goena-goena

Mon herbe maléfique

 

Bientôt dans le thé d'or

Tu boiras une goutte rouge

Une goutte du sang lunaire

 

Ta lèvre oubliera les autres noms

Tes pieds ne pourront plus courir

Ta tête croulera sur ton épaule

Tu m'aimeras

Malgré toi

écrit en automne 1934 Chansons Malaises 1935 - 26 - II/208

 

Ivan rentre à Paris le 24 septembre à 17h

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 5 octobre 1934 ImsL p. 286/287

 Paris 5 octobre 34

Chère Palu 

 Ma

traduire

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 5 octobre 1934 ImsL p. 288

   5 octobre 34 [Paris]

 II 

Embrasse Nina !

traduire

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 15 octobre 1934 ImsL p. 288/289/290

 Paris 15 octobre 34

Chère Palu 

 Ma

traduire

 

Paula Ludwig Ehrwald, à Ivan Goll Paris, 17 octobre 1934

ImsL p. 290/291/292/293/294/295 ****

  17 octobre 1934 [ Ehrwald ]

 

Johannes Thor (Goll publiera son dernier recueil de Poèmes en allemand en 1948 sous le nom de Tristan Thor)

 à traduire impérativement ***

  P.

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 23 octobre 1934 ImsL p. 296/297

 Paris 23 X 34

Chère Palu 

 Ma

traduire

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 1er novembre 1934 ImsL p. 297/298/299

 Paris 1 nov. 34

Chère Palu 

 Je t'aime

 Ma

traduire

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 8 novembre 1934 ImsL p. 297/298/299

 jeudi 8 nov. 34 [Paris]

O Palu 

 

 Ma

traduire

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 11 novembre 1934 ImsL p. 300

 Paris 11 nov. 34

Chère Palu 

traduire

mais

la suite de la lettre manque

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 11 novembre 1934 ImsL p. 300/301

 

  II Paris 11 nov. 34

Chère Palu 

 traduire

 Ma

 

 

Paula Ludwig Ehrwald, à Ivan Goll Paris, 13 novembre 1934 ImsL p. 301/302/303/304/305 ****

   Ehrwald - mardi

 [13 novembre 1934 ]

 

Oh Ma -

 à traduire impérativement ***

  Ta Palu

 

carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 13 novembre 1934 ImsL p. 300/301

  Paris 13 nov. [1934]

 à l'imprimerie

Chère Palu traduire

 Ma

 

 

Télégramme Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 17 novembre 1934 - 10h45 ImsL p.306

à traduire

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 17 novembre 1934 ImsL p. 306/307

 

 Paris 17 nov. 34

Chère Palou 

 traduire

 Ma

 

 

 

traduire

 

 

 

 

 

Je t'aime

je m'affaisse encore une fois

et dès lors éternellement pâle et tien

 Yvan

Merveilleux tes "Honneurs funèbres", merveilleux la fameuse récompense à travers la « Neue Rundschau ». Tu as sans doute besoin d'une épreuve ? Ici ! Dis-moi vite encore : comment veux-tu signer ? «Palou» ou «Paula Ludwig» ?

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 23 novembre 1934 ImsL p. 308

 

 Paris 23 nov. 34

Chère Palu 

 traduire

 Ma

 

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 23 novembre 1934 ImsL p. 308/309

 

 23 XI 34

 [Paris]

 

 traduire, manque la fin de la lettre

 

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 1er décembre 1934 ImsL p. 309

 

 Samedi

 1. Déc. [ 34 Paris ]

Chère Palou

Voici le nouveau cliché : ton souhait n'est-il pas accompli avec célérité et immédiatement ? J'ai dessiné …

 traduire

  Ma

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 8 décembre 1934 ImsL p. 310/311

 

  Paris 8. Déc. 34

O Palu

 

 Ton

 Ma

 

carte d'Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 8 décembre 1934 ImsL p. 312

 Samedi soir 

 [Paris 8. Déc. 34]

 

Chère Palu

A la dernière minute avant la fermeture des magasins je reçois ta lettre : je voudrais t'acheter le premier, lundi matin, Chanel 5 et pouvoir l'expédier : le 10 décembre. 

 traduire

 I

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 13 décembre 1934 ImsL p. 313/314

 Paris 13. Décembre 34

 

Palu !

 traduire

 I

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 19 décembre 1934 ImsL p. 314/315

 Paris 19 XII. [1934]

 

Chère Palu

Tout à l'heure, ta lettre double pour moi et Friedel.

Je te réponds rapidement de la Poste : Friedel n'est pas encore arrivé à Paris

 traduire

 Oh ! comme ta joie me réjouis !

 Yvan

 

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 21 décembre 1934 ImsL p. 315/316

 Paris vendredi soir [21 décembre 1934]

 

Chère Palu

Tout à l'heure, ta lettre !

Je te réponds rapidement de la Poste :

 traduire

 Demain, une longue lettre

 ton Yvan

 

Paula Ludwig Ehrwald, à Ivan Goll Paris, 22 décembre 1934 ImsL p. 316/317/318/319/320/321

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  22. Déc. 34

 [ Ehrwald ]

 

Mon cadeau de Noël va pour la Saint-Sylvestre !

Cher Yvan - Justement un télégramme de Friedel est arrivé

 à traduire impérativement ***

  Je t'aime

  Palu

 

Ivan Goll Paris à Paula Ludwig Ehrwald 27 décembre 1934 ImsL p. 321/322

 Paris 27.12 [1934]

 

Chère Palu

 

 

 traduire

1) tes 52 dessins et 7 Chansons Malaises

2) Le Dunkle Gott sur parchemin

3) 2 gravures pour Palu et Nina

4) 1 livre et 1 béret basque pour Friedl que j'avais déjà préparé avec beaucoup de soin à Paris…

vérifier et traduire la suite

 

 Ma

 

1935 au Brésil ? en Afrique orientale ? Aux Galapagos ? Tente de déchiffrer cela à l'aide de ton stylo-mine.

 



[1] Die Deutshe Bühne, de Berlin

[2] Paul Bildt, comédien et metteur en scène du Deutschen Theater et du Staatlichen Schauspielhaus Berlin

[3] Vossischen Zeitung : Plusieurs poèmes de "Malaiische Liebeslieder" d'Iwan Goll ont été publiés dans cette revue entre 1932 et 1934

 

8 août 2010

correspondance 1920 à 1930

Yvan Goll

  Claire Studer-Goll

 Rainer Maria-Rilke

 Marquis de Casa-Fuerte                                                                                        Paula Ludwig

 Audiberti      et divers


 1920

 

 

Rainer-Maria Rilke - Manoir Shönenberg bei Pratteln, Bâle 2 mai 1920

 J'ai honte, Chère Liliane, d'avoir laissé sans réponse vos messages, jusqu'au point que vos dernières lettres aient dû faire un long long détour pour arriver à moi.

Vous me voyez dans un moment d'une telle incertitude, que j'aurais de la peine à vous exposer ma situation. Mon séjour en Suisse est à la veille d'expirer —, par raison d'argent le seul pays qui me serait possible c'est l'Allemagne, mais vous comprenez que ce n'est pas vers cette direction que je me sens attiré. D'ailleurs, le gouvernement bavarois refuse le séjour à tous les étrangers, qui n'étaient pas fixés à Munich avant le 1er août 1914, il est très probable qu'on ne me laisse pas entrer. Désormais, j'ai le droit sur un passeport tchécoslovaque, j'espère que l'on me le délivrera ces jours-ci, il faciliterait mon retour à Paris, mais le change est encore trop mauvais pour que je puisse y vivre avec mes marks. C'est cette même difficulté qui m'empêche d'aller en Italie...je ne sais donc pas où me diriger et vous comprenez que cette incertitude me ronge. C'est elle, du reste, qui cause et qui prolonge mon silence, avec, en même temps, beaucoup de malaise dont je suis tracassé les derniers mois.

 Le sort de mon appartement à Munich se décidera ces jours-ci. Je crains de n'être plus en état d'en disposer en faveur de Marie Laurencin, car j'ai du prier quelqu'un de s'installer sur le champ, c'était le seul moyen d'empêcher que le bureau de logement y mit d'autres locataires.

 Comme je suis content de savoir à Paris Mme de W. Laurencin, vous lui direz, j'espère, de ma part, tout un bouquet de souvenirs en fleurs, je n'ai pu écrire à elle non plus —, jugez par cette lettre combien je suis incapable d'en écrire...

 J'avais bien tort, je le sais, de ne pas vous envoyer mon adresse, lors de votre premier signe, rien ne m'eût été plus bienfaisant que d'avoir de bonnes nouvelles de Paris —, et ma satisfaction aurait été parfaite à l'idée que vous pouvez en donner de vous-même. Vous voilà enracinée en ce sol heureux, qui, comme nul autre, nourrit et exalte. Je vous souhaite, ainsi qu'à Goll, que ce soit le commencement d'une longue et active prospérité d'âme et de cœur.

 Ah, chère amie, vous vous proposez de me trouver un palais, si je viens à Paris, hélas, ce serait pour y mourir de faim que j'y entrerais ! Mais, envoyez-moi ce que vous m'avez annoncé, seulement ayez de l'indulgence si je ne réponds que plus tard. Actuellement, l'avenir tout impénétrable que j'ai devant moi, m'empêche de voir assez clair même pour écrire trois lignes.

 Je vous écris en français, car je ne sais pas si on n’ouvre pas les lettres à la frontière. Et que ce peu vous soit assez éloquent pour que vous sentiez que c'est moi qui vous parle.

 Rainer

Claire Goll : Rilke et les femmes, Falaize 1955 p.65 à 68

 

Rainer-Maria Rilke - Manoir Shönenberg près Pratteln, Bâle 7 mai 1920

 Rapidité, bonté, fidélité, je ne sais pas, Liliane, quoi louer et chérir davantage dans ta lettre. Même dans sa sévère qualité de lettre d'affaires, elle ne m'a pas déçu. L'immobilité et l'impossibilité des circonstances est bien prévisible d'ici et je n'ai pas espéré que tu pourrais m'ouvrir les portes de Paris. Mais tu fais tout ce qui est possible par tes conseils et par tes voeux !

 Le fait que vous-même, après quelques difficultés, ayez pu vous y installer et consolider, est une victoire de votre jeunesse, de vos coeurs, de vos convictions. Mais mes affinités étrangement compliquées et pourtant si bienheureuses envers Paris, que j'ai acquises au long des années, ne me permettent pas de vouloir un retour quelconque, à tout prix, à moins qu'il soit inscrit dans mes étoiles. Tu comprends. Ce n'est pas mon genre de forcer, avec entêtement, des circonstances nées d'une violence si inouïe. Quand j'imagine qu'il me serait donné, un jour, de remonter la rue de Seine, d'aborder le paysage rythmique du Luxembourg et de m'appuyer à la petite balustrade au-dessus de la fontaine de Médicis où comme à mon pupitre, j'ai si souvent travaillé sous les aubépines en fleurs... rie qu'en imaginant cela, mon cœur m'interrompt par son rythme accéléré... Mais je heurterais ce rythme même, si mon retour était dû à une insistance qui n'est pas dans ma nature. Tout ce qui a trait à cette expérience indicible doit encore rester distant ou ne donner lieu qu'aux accointances les plus discrètes tôt ou tard. Oui, si je dois l'avouer, j'imagine que cela devrait un jour se passer comme avec ces serrures fortes et imposantes du 17 e siècle, qui emplissent tout le couvercle d'un bahut, de toutes sortes de verrous, de griffes, de barres et de leviers : alors qu'une seule clef douce retirerait tout cet attirail de défense et d'empêchement de son centre le plus centré. Mais la clef n'agit pas seule. Tu sais aussi que les trous de serrure de pareils coffres sont cachés sous un bouton ou sous une languette, qui n'obéissent, à leur tour, qu'à une pression secrète. Ce ne sont, la plupart du temps, pas les mécènes qui savent faire fonctionner le secret. Comment persuader quelqu'un que ma place est à "paris au lieu que j'aille m'installer à tel ou tel endroit moins risqué.

 Quant aux traductions, comment ne pas remercier M. Paul Budry de ses bonnes intentions ? Mais, sache, ma précaution, ma foi ou ma superstition, appelle-les comme tu voudras, vont si loin, que je ne conseille même pas cela : qu'une œuvre de moi soit traduite avec précipitation et répandue, rien que pour préparer mon retour.

 Quant au Malte, il existe déjà quelques fragments de traduction par André Gide (je ne crois même pas que tous ceux qui existent ou qui ont été au moins amorcés, — ont été publiés à l'époque dans la Nouvelle Revue France —). A ce que je sache, Gide ne repoussait pas tout à fait l'idée d'accomplir un jour ce qu'il avait commencé avec tant de grandeur ! et je ne voudrais pas qu'on prévienne son intention peut-être ravivée dans l'avenir par un travail, qui ne pourrait être justifié, cette fois-ci, que s'il s'agissait d'une traduction complète pour laquelle je désirerais naturellement, dans mon immodestie, une prose d'une qualité Gidienne. Par contre, j'accueillerais toujours une bonne traduction de poésies avec une joyeuse approbation. Tu me connais trop bien pour deviner que je n'ai ici aucun de mes propres livres, mais je vais tâcher de trouver les deux que tu proposes.

Le Poète Rustique est sur ma table, depuis qu'il se trouve dans les librairies de Bâle — mais je n'en ai lu qu'un quart. C'est certainement un beau travail pour toi.

 Adieu en attendant —, je remercie Ivan Goll et toi-même pour toutes vos attentions. N'est-ce pas, tu ne prends pas pour de l'ingratitude mes restrictions pointilleuses : c'est pour être juste là, où la vie l'était toujours avec moi !

Claire Goll : Rilke et les femmes, Falaize 1955 p. 68 à 73

 

Plus de courrier entre Rainer et Claire pendant 2 années : lettre suivante le 11/04/1923 -

 

 1921

 

21 juillet 1921 : mariage d'Isaac Lang et de Claire Aischmann

née à Nuremberg le 29 octobre 1890, fille de Joseph Aischmann et de Malvine Further, domiciliés à Munich, Hannhauserstrasse 19, divorcée de Henri STUDER, depuis le 27 mars 1919, domiciliée 27 rue Jasmin. Il n'a pas été fait de contrat de mariage. …. en présence de Joseph Rivière, homme de lettres, et de Adrienne Pompont, épouse Rivière, sans profession, rue Ramey, 59, témoins majeurs....en la mairie du XVI ème arrdt.

 

Le 16 octobre 1921 Ivan et Claire chez Carl Einstein à Berlin (Carnets de Pierre-Henri Roche)

 

lettre d’Ivan (Francfort/M) à Claire (Savoy-Hôtel) du 23 octobre 1921 MST p. 29/30/31

Ma chère enfant,

Si je voulais obéir à cette heure (6h1/2), j'écrirais : partout un monde désolant, la même gare bête, la même grande rue, des automates empestant la saucisse. Froid ! C'est pourquoi je pense à toi : il fait déjà nuit et tu pleures…

Ne pleure pas, j'ai travaillé tout ce jour à te libérer, si tu ne le supportes plus. Mais procédons chronologiquement.

 Hier soir, je me suis précipité à la gare en vingt minutes, tout plein de toi. Descendu la pente en aveugle, le regard fixé sur mon étoile. Sans trébucher. Ai été couché, pendant six heures, à Nordhausen : jusqu'à quatre heures. Grincements de dents. Guigne. Le train avait 1 heure 1/2 de retard. J'arrive à Francfort comme un abruti. Etranger. Froid. Télégramme au Frankfusterhof : ne viens que dimanche soir ! Un bon point. Quel bonheur que je ne t'ai pas quittée hier. Les maladies ont leur bon côté.

 Ainsi, je te donnai ce jour. Par hasard, je rencontre mon train électrique, "Homburg". Monté dedans, 50 minutes. Dîné magnifiquement à l'Hôtel Braunschweig, Souccot ! 4 plats pour 25 M. Fabuleux. Comme c'est dommage que tu doives manger des pommes de terre. J'ai juré de te libérer.

 En une heure, tous les sanatoria - visité 4 d'entre eux. des choses splendides. Mais coûteuses.                               Pas moins de 200 M. par jour : Kurpark Sanatorium Dr Pariser, par exemple.

 Cure de suralimentation 125 M.

 Chambre  50 M.

 Service  25 M. (15 %) etc. etc.

 

 Mais :

 J'ai trouvé une splendide clinique privée. Située merveilleusement à côté du Kurhaus, vue sur les jardins - anglais - de Homburg. Une fête. Conseil médical : Dr Rosenthal avec sa femme et quelques fils qui étudient la médecine. Bon type. Fera quelque chose pour toi. Maison pieuse et prude ! Donc...

En été, jusqu'à 30 hôtes. En ce moment, toi seule. Tu pourras choisir ta chambre.

 Prix : 110 M Chambre et pension

  10 M 5 % service

  10 M par jour, chauffage central.

 Comme tu vois, pas trop bon marché. Mais nous pouvons faire cela. Donc : si tu te sens malheureuse, inconfortable, mal portante, agis comme suit :

 Jeudi prochain, rends-toi à 9 heures à la gare Sachsa (heures approximatives). train pour Nordhausen. Correspondance entre 2 et 3 pour Francfort - Arrivée à Francfort, 11 heures du soir. Prends aussitôt une chambre, en face, au Habig-Hôtel. Vendredi matin, prends le tramway devant l'Opéra, pour Homburg. Là, descends au Kurhaus. Téléphone à la Promenade Kaiser-Friedrich, 49 (5 minutes). Ils t'attendent vendredi. Mais télégraphie d'abord (Homburg v.d.Höhe) que tu arrives. Signe : Frau Dr. Goll.

 Eulingswiese a donc, entre temps, gagné ton cœur,

 A 3 heures, j'ai été en ville et j'ai vu les "Rondes" de Schnitztaler. Très belle chose, surtout sur l'esquisse. Mais finalement monotone. Toujours la même saleté.

 Frankfusterhof est bondé. Savoy-Hôtel agréable. Lohmeyer doit venir à 9 heures.

Demain matin, je continuerai mon voyage.

 

 Beaucoup de baisers, d'espoirs, de joie, baisers, baisers.

 

 Ton Ivan

 

Ivan (Paris) à Claire - Kurheim Eulingwiese près de Saxa (Harez) du 27 octobre 1921 MST p. 31/32/33

 

 jeudi soir 11 heures

 dans ton lit

Ma chère, chère enfant,

 Je me sens tenu de te raconter ce que je deviens, tout de suite et avant de dormir de bonne heure, car enfin je me retrouve - après tes deux lettres divines. Mais, toute cette semaine, j'ai été stupide, plus stupide, le plus stupide. Traqué comme une bête sauvage. A quoi bon ? Cette dernière lettre de Francfort-Heidelberg : j'ai honte. Poussière d'express. Epuisé, j'arrivai alors à KEHL. En pleine nuit. Désespéré. Et vers minuit, à Nancy, où une pauvre mère m'attendait sur le quai.Là-dessus, j'ai dormi deux nuits et un jour, la tête et la panse remplie, incapable de t'écrire, ne fût-ce qu'une seule ligne.

 C'est aujourd'hui seulement que je suis revenu à moi : j'ai erré à travers ma Lorraine rude, automnale. Vieux sentiers, murailles, vignobles. j'ai dormi une journée - la seule de l'année, probablement - à l'herbe et au soleil. Et ceux-ci ont été si reconnaissants qu'ils m'ont presque rendu la santé. Ah ! une heure seulement de soleil. Nous n'en avons pas eu à Paris ni à Berlin. Et je songeais combien ce doit être magnifique, en ce moment, de nouveau à Eulingwiese, et j'ai eu peur, pendant ces deux jours, peur que tu en sois partie. Il est bon que tu aies tout supporté vaillamment au début, et aussi que tu n'aies pas cédé à mon influence : maintenant, tout est mieux ainsi. Comme tu es forte, au fond, et comme tu seras plus forte encore, pour moi dans trois semaines. Eh oui, dans 3 semaines déjà, retour. Tu es sage et tu joins les mains à table comme une écolière attentive, n'est-ce pas ? Et mange bien. Tu sais bien que tu dois engraisser. Et cet air !

 Oui, Lohmeyer, ce fut un problème. Mais un bon type. Mais trop mou avec ces gens. Que de choses inexprimées qui planaient entre nous pendant ces deux années, et qui ont enfin fait explosion !

 Tout d'abord, il me fît l'effet de négliger sa maison d'édition, et je lui dis qu'il était trop épris, qu'il faisait depuis des mois, des voyages de noces et d'affaires.

 Cela le blessa, ce qui me prouva que j'avais raison. Rappelle-toi ses lettres de Suisse : Staffa, Arosa, une fois toutes les quatre semaines. Ensuite, je me mis en colère et devins brutal : il n'a pas fait encore un seul bon livre, lui dis-je. Le Voltaire, dont il est - ô honte - si fier, une misérable saleté ! Quoi. Vert-pistache et or, Voltaire ! Cela le renversa purement et simplement.

 Mais il en résulta quelque chose de beaucoup plus grave : les actionnaires sabotent leur propre maison d'édition. Ces lamentables Suisse, qui ne sont fiers que de leurs petits écrits suisses et ne veulent pas entendre parler des éditions parisiennes du Rhin, ils les considèrent comme un luxe privé du pauvre Dr Lohmeyer ! Et écoute : les volumes de Rathenau sont terminés depuis deux mois, mais n'ont pas le droit de sortir, pour ne pas contrevenir aux accords de Wiesbaden. Aujourd'hui Rathenau est limogé.

 Entre temps, on aurait vendu 10.000 exemplaires ! Je grince des dents.

manquent ici 9 lignes non traduites de la page 32 (M S T) à traduire

 Ce fut une fête pour moi que ce kilog de courrier qui m'attendait. Tu peux bien te l'imaginer.

 1) Tes deux lettres, oh ! comme elles me remplissent infiniment d'amour et de bonheur, renversant tout l'univers, toi, toi seule es la cause unique de ma vie.

 2) Lettre de Georg Kaiser avec - comme c'est gentil - deux coupures de Presse, dont l'une ci-jointe te fera certainement plaisir (elle émane probablement de A. R. Meyer)

 3) Des invitations pour nous deux, des appels cordiaux, soucieux, d'Edmond Fleg, Izdebeska, Rivière, André Lhote et Mannes Sperber.

 Demain matin, je me précipiterai en ville, pour Rathenau, qui doit faire à présent beaucoup de vacarme, pour aller à la Chambre-Rhénane, à la banque, et t'envoyer un chèque.

 Vendredi matin

 Je m'endormis et rêvais à toi.

 Réveil avec du soleil : comme cet automne est heureux pour toi. Demain ton anniversaire (née le 29 octobre 1990) ; si tu savais ce que je me propose pour toi. Recevras-tu encore ces lignes, demain ? De toute façons, la mésange te dira ce que j'ai pensé pour toi. Halte-la. Vite été chercher Coco, qui dormait encore hier soir. Mme Mention avait déjà fait sa toilette : sable frais, eau, graines. Il paraît qu'il a été très sage. Mais à moi, il a d'abord tourné le dos : en punition de ce que nous l'avons laissé seul si longtemps. C'est seulement lorsque je lui eus parlé longtemps de Lilalein, et l'eus embrassé, comme toi seule sais l'embrasser, qu'il cessa de faire le bossu polonais et se montra réconcilié. Maintenant, il plane à la fenêtre, - feuille verte.

 Sont déjà prêts :

1) les gants de laine blanche  2) les souliers noirs en caoutchouc

 S'ajouteront :

3) La chemise américaine. N'y-a-t-il aucun danger que tout cela se perde ?

 11h30

Ici un chèque de 1000 M. - sur la Deutsch Bank. Donne-le à n'importe quelle petite banque privée de Sachsa. Ou alors à tes logeurs : tu écris au dos « Payable à l'ordre de Monsieur Kronberg etc.»

Tu verras bien.

Si tu as besoin d'argent, écris-moi. J'ai payé 82 Frs pour ça. Laisse plutôt l'argent suisse de côté pour l'instant.

 12h15

 Voilà : et la petite chemise américaine des Galeries Lafayette. Je conserve l'étiquette pour le cas où tu désirerais l'échanger : mais j'ai pris ce qu'il y avait de meilleur. J'espère que tu la recevras et que tu la feras craquer, tant tu as engraissé.

 Jusqu'à présent personne n'est venu se présenter, sauf un employé de la Banque, qui fera peut-être avec moi l'affaire du film.

 Demain c'est le grand jour, où tu auras 27 ans [ 31 ans ] et où tu dois peser 100 kilogs. Toutes mes pensées sont près de toi, et mes sentiments et mes baisers aussi, pour l'éternité.

 Ton Ivan

J'ai repris ici ma bonne santé et suis comme un poisson dans l'eau (assez fâcheux pour cette atmosphère)

 

Ivan (Paris) à Claire - Kurheim Eulingwiese près de Saxa (Harez) du 30 octobre 1921 MST p. 34/35

 

Claire Studer 30 octobre 21

Kurheim Eulingswiese (Paris, 27 rue Jasmin)

Ma chère enfant,

 Ce dimanche est bien gris. Sans une lettre de toi. Je n'ai pas osé sortir, mais voici qu'un pneumatique de Gleizes ¹ m'apporte une nouvelle vraiment terrible. Déconcerté. Madame Nathalie Curtis-Burlin ², il y a aujourd'hui 8 jours a été écrasée par une auto, Boulevard Montparnasse, en face de la rue Campagne-Première ; sa tête a été effroyablement réduite en bouillie (elle descendait du tramway). Donc, c'est inexprimable. Juste cette femme, qui était comme un petit oiseau, une personne d'une telle valeur ; pendant que des millions de repus sont bien assis dans leur auto. La vie est insensée. Combien y a-t-il de gens qu'on puisse aimer ? Et, précisément, celle-ci, il faut que la roue la broie. Désespérant. Son mari était à Marseille. Les formalités à la Morgue ont duré une semaine. C'est seulement demain lundi qu'elle sera enterrée au Père-Lachaise Qu'est-ce que ses Indiens Mexicains peuvent bien en dire ? Celle qui les a si bien chantés a dû se laisser tuer à Montparnasse par une machine de mort.

 Je vais maintenant à 5 heures chez les Gleizes. J'y ai vu … et Mela ³. Elle a été très attristée d'apprendre que tu avais été si mal. Il est possible qu'elle retourne dans le Midi en janvier, et j'ai promis qu'elle devrait t'y emmener de suite. Mais n'y compte pas trop. Pour l'instant, il faut que tu retrouves ta santé. Fais-tu tout ce qu'il faut pour cela ? Beaucoup de lait. Beaucoup de repos. J'ai été irrité de savoir que le trajet jusqu'à Nordhausen t'avait tellement énervée. C'est fou : pour un si petit détail. On te rendra bien ton passeport. Car enfin, tu resteras encore des semaines là-haut. Mais, si tu veux, je peux aller à l'ambassade ; pour rien à mon avis. As-tu du soleil ? du bon air ? Dis bonjour de ma part à la dame rouge qui est si gentille pour toi.

 A part ça, je vais tout à fait bien. Je ne mange pas à la maison, mais une fois par jour chez Chartier et, d'autre part, j'ai découvert sur les boulevards une bonne table d'hôte à 4 frs 50. Pour quelques jours, ça sera toujours assez bon.

 Ce matin, j'ai été extrêmement en colère contre la concierge : j'ai trouvé dans la boîte aux lettres la feuille ci-jointe. Quelle insolence. Je lui ai jeté l'argent à la tête. Aurais-je plutôt dû lui dire que, ce mois-ci, elle n'avait rien eu à faire pour nous ?

 Vendredi soir, chez Mercereau *. Toujours la même saleté. Les littérateurs pfff ! Longue discussion avec cet idiot de Marcello Fabri, qui s'est plaint de ce que j'avais insulté sa revue. Je l'ai simplement réprimandé, en lui disant : oui, car justement votre revue me déplaisait.

 Coco chante et s'ennuie de toi.

 Ah ! encore une chose importante, agréable. L'Intransigeant ** avait institué un Prix des Treize, pour le meilleur volume de poésies qu'on lui enverrait. J'ai rassemblé mes diverses poésies françaises et j'ai été le deuxième sur 97 concurrents français ! Risible. En effet, il n'y avait qu'une récompense : l'impression du livre - et c'est un individu de second ordre qui l'a reçue, un employé des PTT. N'importe, cela a fait du bruit. Fels a dit que c'était un second Charleroi (défaite française). Qu'en penses-tu ?

 Le soir tombe. Triste.

 Demain, on enterre Mme Curtis.

 Tu n'as rien à envier à ceux qui habitent Paris. Reste avec tes mésanges et les dames.

 Le facteur t'a-t-il apporté mon bouquet pour ton anniversaire d'hier ? (Je lui avais donné 10 frs pour ça ; j'espère qu'il ne l'a pas oublié).

 Et écris bientôt à ton solitaire

 Ivan

 

¹ Albert Gleizes, un "camarade" de Goll, voir dédicace de 1919.

² femme du peintre américain Burlin

³ Mela Muter connue par ses portraits de Barbusse, Tagore, Courteline, Pompon, Goll etc.

* Alexandre Mercereau, écrivain.

** Grand journal du soir de Paris

 

Ivan (Paris) à Claire - Kurheim Eulingwiese près de Saxa (Harez) du 1er novembre 1921  MST p. 36/37

 

 Paris, 1er nov. 21

 27 rue Jasmin

 

Chère, chère enfant, 

 Je vois à ta dernière lettre que tu perds déjà patience Je t'en prie, tiens bon ! car Paris te répugnerait au bout de deux jours. Hier, au Salon d'Automne, - vernissage ennuyeux. Léger m'a raconté qu'il y a 4 jours, sa femme est partie seule pour le Tyrol où elle restera six mois. Courageux. Elle n'y tenait plus, même à Fontenoy. Si nous avions su cela ! Vous auriez peut-être pu vous réunir.

 Hier, la cérémonie d'incinération de Mme Curtis-Burlin, au Père-Lachaise ? a été sinistre. j'arrivai un peu en retard et vis les cheminées qui fumaient déjà. Peu de monde : seulement Gleizes, Allendy et deux autres. Une dizaine de dames. Dehors, une grande foule de bourgeois errait autour des tombes, semant les chrysanthèmes comme des confettis. A l'intérieur, un morceau de musique, puis une heure d'attente, énervante, jusqu'à ce que tous les os soient brûlés, jusqu'aux délicats talons. Un silence consterné. Burlin, terriblement frappé, presque fou. A la fin, on a muré la petite cassette dans une niche de pierre. Terminé. Les nègres auraient mieux su élever "L'oiseau sanglotant " dans l'arbre éternel.

 Le 1er novembre, il y a deux ans, nous arrivions ici. Il faisait aussi froid qu'aujourd'hui. Te souviens-tu ? rue Pigalle, Vildrac, Porte Maillot, brrr. Et pourtant c'était beau. C'est toujours beau quand nous sommes ensemble, n'est-ce pas ? je pense continuellement à toi, je me dis qu'avant tout, il faut que tu guérisses, donc prenons patience tous les deux. Donne-moi des détails. Que dit le médecin ? Comment te sens-tu ? Quel poids ? Manges-tu bien ? Travailles-tu à quelque chose ?

  Coco est assis près de moi sur le bureau : il ne se tient pas de joie tandis que je t'écris,il louche sur ton nom, fait des yeux tout blancs, tape son perchoir du bec, diaboliquement, mange, pour me faire plaisir ; il est hors de lui, et ne sait comment exprimer son amour : comme moi à ton égard. Mais il faut que tu restes tranquillement dans tes forêts de sapins, que tu m'écrives et que tu deviennes tout à fait bien portante.

 Hier soir, le rédacteur de L'Intran m'a conduit à "Art et action"* : entendu ! Nous le représenterons ! Je m'arrangerai pour que tu joues la grosse. Je jouerai aussi. Du cinéma en plus. Seuls joueront des amateurs, pas des acteurs, ce sera magnifique. Pour les décors, Léger. Il y a là-bas des gens sympathiques : Mme Lara, une femme divine. Quelle ferveur ! Elle et son mari organisent un théâtre à eux dans leur atelier, sous le toit. Ils font eux-mêmes l'aménagement, ils confectionnent les sièges avec des cordes ! De la ferveur à cette époque communiste ! mais c'est d'un très haut intérêt.

 La première pièce est de Claudel. Ensuite, Chapliniade.**

 Je t'aime. Nous allons bien travailler.

 Toujours à toi

 Ivan

 Ci-joint : coupure du Berliner Tageblatt. A garder

 

* Théâtre d'avant-garde d'Autant-Lara qui, le 20 mars 1926 donnera "Assurance contre le Suicide" écrit en 1918, publié dans "Le Nouvel Orphée" aux Editions de la Sirène en 1923

** La Chapliniade ou Charlot poète a été publiée dans La Vie des Lettres - Vol. V, juillet 1921

 

 

Ivan (Paris) à Claire - Kurheim Eulingwiese près de Saxa (Harz) du 5 novembre 1921 MST p. 37/38

 

 Paris 5 nov. 21

Très chère à moi,

 J'ai reçu ta carte de mercredi soir et la lettre illustrée de jeudi matin. Au même moment, Gleizes a téléphoné et remercié pour ta carte. L'exposition Sturm commence ici la semaine prochaine : un Léger et l'Archipenko y seront (vente de l'A. ?) Peut-être.

 Comme c'est merveilleux que tu vives dans ces sapins. Il faut avoir beaucoup de patience, n'est-ce pas ? Ta nostalgie me pèse bien. J'irai bientôt te chercher. Mais, mon Dieu, à Paris tu ne pourras pas non plus y tenir. Ou alors, promets-moi que tu n'iras jamais en ville. Crois-moi, au bout de trois jours, tu en auras assez, même des Boulevards. Que dis-je ? au bout d'un jour ! Insensé. Avant tout, être bien portante. Je suis très inquiet que tu n'augmentes pas de poids.

 Je t'enverrai incessamment plusieurs compositions de Walden, Zenit * avec ton portrait, Astral. Malheureusement, je ne trouve pas Sartre ; en revanche tu recevras demain un Oulenc ou un Auric, quelque chose de sauvage. Et aussi du savon, tout de suite. Je te souhaite tout. Le collier d'ambre. Lui aussi, devra être passé à ton cou : la plus belle princesse. J'ai perdu l'adresse. Mais le prochain chèque sera, pour ça de 1 500 au lieu de 1 000 M.

 La lettre de Voigt est gentille. Il recevra Zenit.

 Ci-joint la lettre de Marion ** : sans commentaire. Ecris-lui gentiment, sans exprimer ton sentiment. Pauvre, pauvre âme.

 Chana Orloff nous invite, quand tu seras de retour. Demain je commence chez Rivières, ensuite nous irons à Saint-Cloud, chez les Grecs. Il faut que je les "tape". Je ne donnerai plus gratuitement d'après-midi à cette fade société.

 Le capricieux Fels n'a pas encore publié ton poème : il est trop pris par ses inclinations personnelles : Gabory, etc., et n'imprime que ce genre-là. De moi non plus, il ne veut plus rien. "Vie des Lettres" n'est pas encore là.

 J'ai écrit à Nazariant ***, lui demandant s'il connaît une villa pour nous. Oui, mon enfant, tendre cœur d'oiseau, je veux t'envelopper dans du soleil, de la ouate et des anémones. Tiens bon. Bientôt !

 Toujours près de toi

 Ton

 Ivan

* Revue internationale yougoslave mensuelle. Goll y publie ses grands textes théoriques et en est le co-éditeur à Belgrade avec Ljubomir Micic à partir d'octobre 1921(N° 8 au N° 14)

** Marion Eggeling

 

Ivan (Paris) à Claire - Kurheim Eulingwiese près de Saxa (Harz) du 10 novembre 1921

MSTp.38/39

 Paris, XVIe, le 10 nov. 21

  27, rue Jasmin

Ma chère bonne pauvre enfant,

 Maintenant tout se révèle. Combien je te plains ! Ces jours de pluie angoissants, gris, être seule. Toi. Cela me fait si éternellement mal. Il ne faut pas que cela continue. Et puis cette nourriture affreuse : oh ! je le savais et je me berçais d'illusions, grâce à tes lettres pleines de cœur. Pourquoi n'es-tu partie pour Homburg ? Ça aurait pourtant mieux valu. Ainsi, pas de soleil du tout ?. Ce n'est pas possible, non, je ne le veux pas.

 Oh ! à présent, je peux te dire combien notre chaleur t'attend et te désire, combien je regrette chaque heure perdue, tant que tu n'es pas avec moi. L'appartement est si magnifiquement chauffé. Il y a une atmosphère si intime. Viens, reviens vite, tout de suite. Coco te réclame en pleurant. Je fuis l'appartement vide ; à partir de 9 heures du matin, je suis toujours en ville. Oui, il y a tant à faire, et pourtant on arrive à si peu de choses.

 J'ai réussi sur quelques points. J'ai donné l'article à Zimmer. Après-demain, je recevrai 300 frs. On les mettra de côté pour l'Angleterre, n'est-ce pas ?

 Reviens vite. Fais tes bagages, pars lundi, si tu veux. Il fait froid : viens sur mon cœur. S'il fallait que j'aille te chercher, ça durerait trop longtemps. Paris, c'est la patrie, chaude, même quand il pleut. Je te soignerai. Il ne faut pas que tu aies à te lever. Il faut que tu manges des rumstecks fantastiques et, tous les jours, un quart de crème. Je vais tout de suite chez Amélie.

 Viens, enfant aimée. Oui, cessons de nous appeler et de gémir. Je vole tellement à ta rencontre !   

 Ton

 Ivan

 le 11 novembre 21

 jeudi matin

 J'ai porté ton linge à la blanchisserie et d'autre part, j'ai envoyé à ma mère un gros paquet. Les Preslier ont apporté tout à l'heure un bon drap de lit et ont remporté celui qui était troué. Par ailleurs, depuis deux jours, il fait ici très froid, mais le temps est clair, ensoleillé. Neige. Gel. Chez vous aussi ? C'est pourquoi tu pourrais tout de même rester encore ? Comme tu veux. A ta place, je m'épargnerais de passer par Berlin. Toute ta force du mois, et beaucoup d'argent (le double) y seraient gaspillés. Tu devras payer en France ton billet de chemin de fer à partir de la frontière. Je te mets donc ci-joint 100 frs, espérant que tu les recevras. (Je me renseignerai tout à l'heure, à la poste, là-dessus). Sinon, ce sera difficile.

 Hier, j'ai passé l'après-midi à présenter le film * à de nouvelles personnes. Il plaît. J'ai bon espoir. (Pour l'instant, je n'ai rien à faire en Allemagne : donc...) Je pourrai certainement le placer. Mais tu ne sais pas ce que cela représente de courses. Et porter ce film à travers tout Paris.

 Lundi prochain, on présente ici le Dr Caligari. Cette semaine, on donnait "Le Kid", queue devant tous les cinés, à partir de 7 heures 1/2. Landru fait des blagues. Salue Justus de ma part. Je suis très fier et heureux de ton amour.

 Totalement, infiniment, toujours tien

 Ivan

 

Claire (Berlin) à Ivan (Paris) novembre 1921 MST  p. 39/40/41

 

Mon chéri,

 

Si seulement je t'avais suivi ! Tu m'avais mise en garde contre Berlin. Et, comme toujours, tu avais raison. Aussi ne resterai-je plus que deux jours, pour faire les démarches.

Walden m'a installée au de sa maison. Naturellement, la "Tempête" a recommencé aussitôt. Je lui ai déclaré : "Ou la tempête se calmera, ou je me transporterai à l'hôtel.". Tripoter avec de platoniques gants de papier d'étain est pire encore que l'attouchement qui se pratique couramment en Allemagne. (vois Tagger).

Maintenant, W. me laisse bien tranquille, mais il me dévore seulement des yeux. Et quand il les ouvre trop grands et que j'éclate de rire, il demande : "Pourquoi ris-tu ?" puis-je lui dire que semblable au Petit Chaperon rouge, je le vois couché dans un lit avec un bonnet sur la tête ? "Oh, mère-grand, comme tu as de grands yeux !" - "C'est pour mieux te voir." Le nom de mère-grand lui va bien. J'ai le sentiment que sa virilité est concentrée derrière son immense front, et ne fonctionne pas plus bas. Cette tête énorme sur ce corps de garçonnet chétif ! Je me demande jusqu'à quel point il est le mari de L.*. Deux fois déjà, il m'a comparée à elle : "Vous êtes toutes les deux des femmes-enfants. D'ailleurs, toutes les femmes sont des enfants."

La seconde fois, j'ai bondi. Je suis si profondément différente d'elle. Déjà son caractère querelleur... Je l’entends encore criailler à notre table de café, à Zurich, devant Léonard Franck. Avec quelle jalousie méchante elle m'attaquait, moi la plus jeune, parce que tu lui plaisais ! Et comme elle se réjouissait de mes larmes ! Moi qui fais volontiers des cadeaux, je regrette encore ce bracelet Empire en émail noir garnie de perles, que tu m'incitas à lui offrir lorsqu'elle vint chez nous, Hadlaubstrasse, pour s'excuser.

W. veut des contes de nous pour le "S". Il trouve tes poésies très " fortes".

Sur ce point, tu as presque le droit d'être fier, car en général, il érente tous ceux qui ne collaborent pas à "S".

Aujourd'hui, il a trouvé un prétexte pour me suivre à Paris. Il m'a demandé si je ne pourrais pas lui arranger, à Paris, une soirée musicale chez des amis..** J'y ai consenti. Les compositions qu'il m'a jouées ne sont pas inintéressantes, mais elles ne sont sûrement pas en avance sur leur temps, comme l'art des peintres dont il se fait le champion avec tant de clairvoyance. Lui qui a découvert tant de talents, des dizaines d'années avant les snobs, il paraît être encore infecté de wagnerisme. D'où le prénom : Herwarth. Quand on s'appelle Lewin ! vive nos Germain Juifs !

Il m'a offert deux colliers ravissants. L'un de quartz rose, l'autre d'améthyste. Avec un dessin montrant comment on peut réunir avec art les deux colliers en seul, en séparant les boules par de petits cubes de cristal.

Non, chéri, ne hausse pas le sourcil gauche avec inquiétude. Mon coeur est froid comme le cristal.

Qui pourrait t'être dangereux ? Quand je pense à ta haute stature avançant vers moi, transformant la gare en un Palais, alors, oui, il "fait tempête" en moi.

L'enfant terrible suspend ses bras autour de ton cou, une chaude chaîne, et t'embrasse tendrement

Ton

Enfant

( Je télégraphierai demain l'heure de mon arrivée )

* Else Lasker-Schüler

** Quelques semaines plus tard, les Goll organisèrent une soirée pour W. dans la belle demeure de l'architecte bien connu Pierre Chareau, qui collaborait avec le peintre Jean Lurçat. Malheureusement, la musique qu'interpréta W. n'eut pas de succès auprès des artistes et des critiques parisiens qu'on avait invités.

 

16/12/1921 : Certificat de l'éditeur

« Nous confirmons que M. Iwan Goll, demeurant à Paris, 27 Rue Jasmin, est dûment mandaté par nous de représenter et de diriger les "Editions du Rhin" dans toute la France, et que nous lui avons confié l'administration de nos intérêts

 

 1923

 

 

Rainer-Maria Rilke - Château de Muzot sur Sierre, Valais 11 avril 1923

(lettre précédente du 7 mai 1920 - Rien pendant presque deux années)


 Liliane,

J'espère que tu n'es pas encore dans la jungle africaine, mais encore accessible à l'un de ces exercices européens, comme l'est une petite lettre. Oui, je désire beaucoup, beaucoup de t'atteindre par cette feuille — car j'ai à réparer tant de silence  vraiment à réparer, avant tout parce qu'il s'étend sur une époque où tu avais pu l'interpréter comme une certaine préméditation !

Mais, si cette fois-ci, je n'ai pas répondu tout de suite, c'était parce que j'espérais pouvoir t'envoyer en même temps mes deux nouveaux livres, la récolte de l'hiver 1921/1922  (ou plus précisément d'un seul mois, béni au-delà de toute mesure humaine ; février 1922 —) : ceux-ci m'auraient, d'un seul coup disculpé auprès de toi. Que mon silence ait pu ainsi durer, n'est que l'effet d'un tel ébranlement par le travail, jamais je n'ai subi d'aussi violents orages de l'émotion : j'étais devenu un élément, Liliane, et je pouvais tout ce dont les éléments sont capables. Et malgré que cet hyménée fut court pour la mesure humaine (mon corps, d'ailleurs, ne l'eût pas supporté plus longtemps), tout, avant et après, était cependant déterminé et commandé par lui,  et des lettres, qui exigeaient la même plume, je n'en écrivais que dans des cas indispensables.

 Pourtant, aujourd'hui, je ne peux pas encore te faire parvenir mes livres (de l'un, je ne possède que quelques exemplaires, l'autre, n'est pas encore sorti des presses) mais, fais-moi savoir combien de temps tu resteras encore à Paris, j'espère que tu les recevras encore avant ton départ, ou, du moins, lorsque tu reviendras avec la Panthère !.

 Je te remercie pour tes livres et aussi pour ta pensée de me les envoyer.

 (Ivan Goll aussi m'a envoyé le sien, sans que j'ai pu lui accuser réception et lui répondre, transmets-lui mes chaleureux remerciements et amitiés).

 En ce qui concerne les tiens, l'Anthologie Américaine m'avait déjà donné beaucoup de joie. Mais le tien, bien davantage naturellement. Tu as une admirable capacité de trouver en toi même la mesure de ton expression, ma chère Liliane, et c'est bien cela qui signifie pour une femme être poète.

 Toujours je te reconnais, souvent avec une sorte de jubilation, — mais les Films Lyriques m'ont prouvé combien nos inspirations sont les mêmes, seulement elles se trouvent, parfois en contraste par la manière inconsciente que nous avons de les soutenir.

 Je suis heureux que tu connaisses (et aimes) ce Valais incomparable, mais, sans doute, n'auras-tu pas trouvé, à l'époque, ma vieille tour. De l'avoir trouvée, en été 1921, fut mon salut.

 Rainer 

( paru dans Claire Goll : Rilke et les femmes, Falaize 1955 p.74 à 77)

 

Rainer-Maria Rilke - Château de Muzot sur Sierre, Valais 24 juillet 1923

 Liliane,

Enfant si riche et, pourtant, qui tend les mains, poétesse mobile de toi-même, — si je ne t'ai pas fait cadeau d'une lettre, c'est parce que j'étais absent six, sept semaines, et que je vais tout de suite repartir et qu'on ne m'a fait suivre aucune missive pendant mon absence de sorte que j'en ai maintenant (comme tu peux l'imaginer) des montagnes sur mes tables...une Suisse de lettres, hélas, et j'aurais tellement envie d'une plaine. Tes deux petites lettres n'étaient pas écrasées sous la masse, elles reposaient légèrement comme descendues dans leur (ton) vol.

 Ecoute ! Les Elégies ! Pour le moment il n'y a qu'une édition de luxe, dont je ne reçois que deux ou trois exemplaires et autant de hors commerce, en tout.

 Mais l'un de ceux-ci t'appartient, Liliane. Je te l'envoie aujourd'hui : il n'y avait pas moyen de faire le paquet plus tôt.

 Et, maintenant, lis-le avec ton cœur. Il n'y a personne au monde, Liliane, personne, qui ne devrait pas avoir mon adresse. Pourquoi t'en voudrais-je que tu l'aies donnée à Marthe. (Reproche suffisant pour moi qu'elle ne l'avait pas déjà).

 Au revoir, bientôt à Paris.

 Rainer

(Claire Goll : Rilke et les femmes, Falaize 1955 p.77 à 79)

 

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   IVAN GOLL

  CORRESPONDANT LITTERAIRE ET THEATRAL

 DU BERLINER BOERSEN-COURIER (BERLIN)- NEUES WIENER JOURNAL

 (VIENNE) - HAMBURGER ANZEIGER (HAMBOURG) - PRAGER 

 TAGBLATT (PRAGUE) - FRANKFURTER GENERALANZEIGER (FRANCFORT)

  MUNCHER NEUESTE NACHRICHTEN (LEIPZIG)

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Ivan voyage en qualité de directeur parisien de Rhein-Verlag, Bâle-Zurich ; il va voir à Stuttgart Bosch qui finance cette maison d'édition. Il laisse Claire dans la Villa de notre ami, Henry Kahnweiler, négociant en tableaux, à Boulogne/Seine (note de Claire Goll)

 

Ivan (Paris) à Claire (Boulogne/Seine) septembre 1923 MST p. 41

  Paris Jeudi soir

Chère enfant adorée,

 Encore une pensée que je t'adresse du Kid's Palace *.

Mon cœur était si plein de toi et de tes larmes. Il m'est très difficile de partir. Mais tu seras si bien et si au frais. Une seule chose : s'il te plaît, ne réclame rien, cette fois ; au contraire, allège le travail de Lucie **. Et tu fais quelque chose de gentil : achète dès demain un gros poulet à 20 ou 25 frs et apporte-le leur. Si tu vas à Montmartre pour tes cheveux, achète un poulet tout rôti. Sinon un frais. Première qualité.

 J'apporterai aussi de Nancy quelque chose de joli... et avant tout : vois-moi, vois mon cœur débordant, vois mon amour et ma fidélité tout à fait consciente et sûre.

 Ivan

 

* c'est ainsi que Goll appelait leur appartement 27, rue Jasmin

** Lucie Kahnweiler. Claire se trouvait à Boulogne /Seine chez leur ami Henry Kahnweiler.

 

Claire (Boulogne/Seine) à Ivan (Nancy ou Stuttgart) septembre 1923 MST p. 41/42/43

 Boulogne 

Mon plus que cher,

 Nous allons en ville dans une demi-heure, c'est pourquoi je ne puis qu'insuffisamment suivre les commandements de mon cœur.

 Avant tout, ne te fais pas le plus minuscule des soucis pour ton enfant chéri. Il se comporte avec autant de bienséance qu'on peut l'attendre d'une élève de Goll.

 Tous sont charmants pour moi. Je dors avec Béro*. Elle est drôle, rit beaucoup et sa gaieté innocente est contagieuse pour moi, si mélancolique,. Hier soir, avant de nous coucher, nous nous sommes respectivement mesuré les "coupoles" de nos seins, à l'aide de deux bols à café de grandeurs différentes. Nous avons constaté que B. a encore moins que moi de cette poitrine qui vous est si précieuse, à vous les hommes. Tu as donc tort de m'appeler ton "garçon". Tout au plus ton: garçon de joie.

 Pour la poule, je devrais recevoir le "Mérite Agricole". Je l'avais farcie avec tant de sentiment que la famille a affirmé que c'était la meilleure poule de leur vie. Et j'avais tellement tremblé d'être encore une fois de tomber sur un poule dûre comme de la pierre, comme ce fossile que je t'ai rapporté du marché un jour. Ce poulet historique qui t'a décidé à faire le marché toi-même dorénavant. Mais cette fois-ci, on n'a jeté que les os rongés et non la poule toute entière.

Lucie l'avait d’ailleurs préparée de façon très raffinée. Elle cuisine magnifiquement. Je vais grossir, c'est sûr. Haini** est, comme toujours, tout de chevalerie et de charme. Zette*** sort, certes, d'un tableau de Greuze ou de Boucher, mais elle est également froide comme une peinture. Elle n'a pas la chaleur de Béro.

  Je suis allée chercher notre courrier. Rien d'important sauf une lettre d'André-**** :

"Mon cher Goll, quand revenez-vous ?". Il t'attend d'urgence avant la fin du mois parce qu’ il veut te procurer, grâce à son père des actions à un prix inférieur. Ainsi, j'apprends l’existence de tes transactions bancaires que tu m’as toujours cachées avec soin. D’accord, je n'y entends rien et cela m'ennuie. Mais dans ce cas ! Mon cheri, on ne fait pas d'affaires avec des amis. C'est déjà assez qu'André t'ait racheté le film. Certes, il ne l'a pas fait pour des raisons humanitaires mais par un malentendu au sujet de l'expressionnisme allemand. Mais il se débarrassera difficilement de ce film.

 Je t'en prie, perds de l'argent au jeu, mais ne joue pas une amitié qui m'est particulièrement précieuse !

 Se faire guider par A. à travers le Musée Cernuschi est un plaisir extraordinaire. Mais, ne fais pas avec lui de promenades boursières !

Ah, je sais bien que je prêche dans le désert. Tu adores spéculer sur les valeurs-papiers. Sûrement tu aimes l'incertitude de ce jeu. A. peut se permettre cela. Il reçoit les "tuyaux" de son père. Mais toi, tu es un génie du rêve et non un génie de finance. Pour le premier, tu es un gagnant, mais dans le second tu es un perdant. Nous en avons déjà souvent  fait l'expérience.

 Que de fois, ai-je constaté l'attraction magique qu'exerce sur toi ne serait-ce que la roulette d’une baraque de foire !. A ce moment-la, je découvre sur ton visage cette passion bien française pour le hasard, l'inattendu, la chance . Cette chance dont Lessing (est-ce lui ?) disait comiquement « Corriger la Fortune, en allemand, il veut dire "tricher". Ah que la langue allemande est pauvre, quelle langue lourdaude! ». En quoi il se trompait, car, comparée avec la langue allemande, c'est le français qui est la langue pauvre.

 Evidemment, si, à cause de ces actions, tu avançais la date de ton retour, alors, dans ce cas, je prendrais les éventuelles pertes avec félicité. Donc ;, pour quel jour dois-je annoncer ton retour à André ? Quel ? Quel ?

 On m'appelle Ils attendent en bas. Je suis obligée de terminer. Je dois te saluer cordialement de la part d’eux tous.

 J’ajoute à ces salutations, un long baiser avec ce souhait : apporte beaucoup de sang dans ce cœur " qui déborde ",

 anémique de sang et d'amour

 Ton enfant

  • Belle-sœur de Henry      Kahnweiler, mariée ensute au peintre Elie Lascaux

** Henry Kahnweiler

*** Belle-sœur de Henry Kahnweiler, mariée ensuite à l’ecrivain Michel Leiris

**** André Malraux

***** Directeur d’une Banque

 

lettre de Rainer-Maria Rilke - Berne 22 octobre 1923

  Berne, Hôtel Bellevue,

  Le 22 octobre 1923.

 Liliane,

Avant de t'envoyer ceci, j'ai déchiré une lettre écrite pour toi, avant hier soir car je ne voudrais pas te dire les généralités au moment où tu me demandes assistance. Et pourtant, sache toi-même comment trouver l'exceptionnel, qui ne serait valable que pour toi, puisque je ne connais que sommairement cette sorte d'affliction qui t'accable et te met à une dure épreuve.

 Vois-tu, il me semble, qu'en ce jour, où pour la première fois il est exigé de toi d'éprouver la mort à travers la mort de l'être infiniment proche, toute la mort (en quelque sorte bien davantage que la tienne, l'éphémère), le moment est venu où tu puisses être le mieux capable de percevoir le pur secret qui, crois-moi, n'est pas celui de la mort, mais celui de la vie.

 Il s'agit maintenant, avec la générosité inouïe et inépuisable de la douleur, d'incorporer à sa vie la mort, toute la mort, devenue palpable (et presque ta parente) à travers un être des plus chers, une mort qu'on ne peut plus ni décliner ni renier.

 Attire à toi cette épouvante, feins aussi longtemps que tu en es capable, une intimité avec elle, ne l'effarouche pas, en t'effrayant devant elle, comme font les autres.

 Apprivoise la, ou si ta capacité de la surmonter est trop faible, tiens-toi tranquille et silencieuse, afin qu'elle puisse t'approcher, cette présence toujours écartée de la mort, et qu'elle t'étreigne. Car voici ce qu'est devenue pour nous, la mort. elle, qui, toujours pourchassée, ne pouvait plus se faire connaître.

 Si la mort, au moment où elle nous blesse et ébranle, trouvait le plus humble parmi nous, confiant (et dénué d'épouvante) avec quels aveux se livrerait-elle à lui, enfin ! Il suffirait d'un simple moment d'élan, d'une brève suppression du préjugé et la voici déjà prêt à des confidences infinies, qui dompteraient notre appréhension et qui nous forceraient de l'accueillir dans une tremblante attente.

 Patience, Liliane, rien qu'un peu de patience !

Admise à l'essentiel, initiée, tu célèbres la première fête du détachement de toi-même.

 Dans la mesure où tu perdis une protection et où tu en es frustrée, tu deviens toi-même plus protégeante, donneuse de protection.

L'esseulement, qui t'assaillit, te rend capable de mettre en équilibre la solitude des autres.

 En ce qui concerne ton propre accablement, tu t'apercevras bientôt qu'elle a donné, à ta vie, une nouvelle mesure, une nouvelle unité de mesure dans l'effort et dans l'endurance.

Je conseille seulement, Liliane, je ne tente pas autre chose que d'être près de toi dans ces simples paroles.

 Un jour, plus tard, tu me diras, si elles ont pu te diriger car nul n'atteint à l'assistance et à la consolation, sauf par la grâce.

 Rainer

(Claire Goll : Rilke et les femmes, Falaize 1955 p.79 à 83)

 

 1924

 

 lettre de Rainer-Maria Rilke - Château de Muzot sur Sierre, Valais 5/2/1924

 J'ai bien, vers Noël, senti ton approche légère par Le boulevard nostalgique, tendre Liliane, et j'ai voulu te répondre sur le même plan. Si je suis tard, c'est que je passe un assez piètre hiver, j'ai même dû - le cœur gros - quitter dernièrement ma bonne vieille tour, pour aller faire un traitement à la montagne près de Montreux. Je suis de retour depuis peu. Je m'arrange mal à cette nécessité d'aller quérir les médecins : moi qui pendant 23 ans, ai vécu sans jamais recourir à un interprète pour m'expliquer avec ma nature. Nous étions tellement du même langage !

 Assez, n'y pensons pas.

 Je viens de recopier pour toi de mon carnet de poche quelques improvisations qui te reviennent par ton gentil „ Boulevard ”. Je n'ose pas dire que ce soit du français; c'est un élan du souvenir vers une langue entre toutes aimée. Les vers qui un peu, malgré moi, s'y rapprochent, sentent, je crains, le pastiche. Mais chez toi ils ne seront ni blâmés, ni méconnus -, mais aimés tout simplement.

 J'ai hâte de les expédier me rappelant tes projets d'Afrique. Quand est-ce que tu partiras vers la Panthère ? Fais-moi un petit signe au moment du départ pour que mes pensées puissent te suivre dans l'éblouissante aventure

 Rainer

(Claire Goll : Rilke et les femmes, Falaize 1955 p.83 à 85)

 

 

lettre de Rainer-Maria Rilke - Château de Muzot sur Sierre, Valais 2/6/1924

 Juin …

 Et ici, je m'arrête déjà, Liliane — on peut écrire trois fois Mai d'une haleine, dans ton haleine, mais trois fois Juin …?

Et, je m'arrête de nouveau — tout effrayé, que je t'impose comme tu prétends, un destin, Liliane... hélas, s'il en était ainsi (tu me connais) que pourrais-je faire pour l'alléger, pour le changer ? (: tout au plus échanger ses chagrins contre d'autres !) Mais il n'en est pas ainsi, il ne doit pas en être ainsi— tu te trompes dans ton ardeur infinie, égarée par toutes ces voix d'oiseaux dans la chaude nuit de ton cœur que tu m'énumères.

 Je suis seul ; et je serai tout heureux, ma petite Liliane de te montrer ma vieille tour et mes cent roses qui commencent à s'ouvrir à l'été…, seulement je crois, que tu dois seulement venir si tu te trompes, si je ne t'impose pas de destin quel qu'il soit. Sans cela, ce serait une tristesse de se revoir au lieu d'une joie et si tu venais, ce n'est qu'elle que je te demanderais, la joie, et plus elle serait grande, mieux il vaudrait.

 Et il faudrait que tu viennes vite, très vite, car il se peut que je sois obligé de m'absenter pendant quelques jours, vers le dix, Tu descendras à Sierre et je serai obligé de te loger au Bellevue. Envoie-moi un télégramme.

( baldigst, sein, denn es wäredenkbar, das ich so um den zehnten herum für ein paar Tage fortginge. Die Station ist Sierre, ich müste Dich auch unten im „Bellevue” logieren. Schick ein Telegramm.)

 Au revoir, Liliane, aux beaux bras et au cœur plein d'oiseaux,

 Rainer

(Claire Goll : Rilke et les femmes, Falaize 1955 p.85 à 87)

 

Télégramme en français Rainer-Maria Rilke - Sierre, Valais 5/6/1924

Madame Claire Goll

27, rue Jasmin, Paris - 16 ème

 Sierre, 5/6

 Donc à plus tard car je pense être Muzot à l'époque indiquée. Autrement j'espère qu'alors on pourra se rencontrer dans ville suisse sur ton passage. Rainer

Claire Goll : Rilke et les femmes, Falaize 1955 p. 87/88

 

 lettre de Rainer-Maria Rilke - Hôtel Ragaz, Ragaz, Valais 22/7/1924 (vendredi)

 

   Hôtel Ragaz, Ragaz

 ce 22 juillet 1924

Si je lis bien, Liliane, ton message aux ailes tendres et rapides —, tu n'entreras en Suisse que le 20 août passé ? Cette période me semble si lointaine dans les improvisations de mon été que je réalise au fur et à mesure des circonstances souvent imprévues, que je ne saurais pas encore te dire, si tu me trouveras à Muzot ou ailleurs.

 Je suis à Ragaz, je vais à Zurich, et je pense rentrer à Muzot le 2 Août. Y resterai-je ? Je ne sais. Il y aura certaines difficultés, changement de bonne etc.

 - Mais n'importe où tu me trouveras, si tu me fixes à temps ton itinéraire. Etes-vous bien à la campagne ? Donne-moi alors de tes nouvelles, Liliane, ce serait une désolation de te manquer lors de ton passage, mais nous allons tout faire pour éviter une telle déconvenue -

 Rainer

(Claire Goll : Rilke et les femmes, Falaize 1955 p.88/89)

 

lettre de Rainer-Maria Rilke - Château de Muzot sur Sierre, Valais 15/8/1924 (vendredi)

 

 Dis-moi vite, Liliane, si tes projets s'accompliront comme tu l'avais prévu ? Car : si tu entres en Suisse tout de suite après le 20 de ce mois, je pourrais encore t'attendre ici et te faire voir ma demeure et ce beau pays devenu mien. Ce qui serait parfait. Autrement, il faudra se donner rendez-vous ailleurs, car je compte de repartir des Grisons peu après cette date. Donc : les tiennes, Liliane. Que je me réjouis à l'idée de te revoir bientôt !

 Rainer

(Claire Goll : Rilke et les femmes, Falaize 1955 p.90 - lettre en français)

 

lettre de Rainer-Maria Rilke - Château de Muzot sur Sierre, Valais 20/8/1924

Pauvre Liliane,

 et moi qui m'attendais à recevoir la nouvelle de ton arrivée ! mon premier sentiment fût : si seulement tu avais pu venir vite jusqu'à moi, comme cela m'aurait fait du bien de t'assister dans ta grande et subite douleur, le milieu et le paysage, tout m'aurait peut-être secondé dans cette tâche. Et je te demanderais encore à l'envisager, si mon propre départ n'était pas imminent, car ce n'était plus que toi que j'attendais.

 Toutefois, fais-moi savoir, où tu te rendras de Zurich, dès que tes plans se dessineront. Il est, d'ailleurs probable que je passerai par Zurich avant ton départ et alors, nous pourrions nous y rencontrer. Je te préviendrai.

 Pour le moment, j'attends moi-même des nouvelles qui préciseront le jour de mon départ et les étapes de mon voyage. Et ici, il tombe une pluie froide comme on y est peu habitué dans le Valais, au mois d'août.

 Une chance, Liliane, que tu sois chez des amis. Sens ma présence et mon désir de te consoler, bien que, je le sais, il sera impuissant, comme nous le sommes tous.

 Rainer

(Claire Goll : Rilke et les femmes, Falaize 1955 p.91/92)

 

Lettre de Goll (14 octobre 1924) à Claire, 27 rue Jasmin, Paris                                                                             (Goll habite pendant son séjour à Berlin chez Georg Kaiser) MST p.43/44/45

 Berlin mardi matin (14 octobre)

 

 Mon ange lointain,

 Ainsi ce fut vraiment un succès hier soir. (Générale de "Mathusalem") Six rappels. Beaucoup de rires, et sans cesse des applaudissements au cours de la pièce.

Le metteur en scène Neubauer est un poète. Cet Autrichien des Alpes plein de fantaisie, fit montre de tant de passion et d'enthousiasme qu'il obtint de l'éditeur Kiepenheuer que la présentation de la pièce à Vienne soit supprimée et que Berlin obtienne la Générale. Un type un peu fou, sanguin et je ne peux pas lui en vouloir. Il a merveilleusement réalisé Mathusalem. Le Rêve - la triple figure de l'étudiant - le Duel - magnifique, et très souvent des morceaux de jazz dans le spectacle ainsi que pendant les entractes. Mouvement, mouvement.

 Et tu n'as donc rien perdu (sauf la pièce) à ne pas être présente. J'étais assis, tout recroquevillé, dans une loge. Tout seul. Je ne vis presque personne. Après, vint une dizaine de gens: Kiepenheuer, les deux Angermeyer, Arnolt Bronnen, Neubauer le metteur en scène avec sa femme et quelques jeunes gens; tous allèrent chez Bressel, mangèrent des "schnitzel", burent peu, se séparèrent à minuit. Je n'aurais pas non plus voulu que tu te montrasses en public.

 Toute la soirée tu fus mon ange lointain et souriant et je ne pensais qu'à toi, songeant combien tu es belle dans ta "robe de corbeille" (un cadeau de Paul Poiret). Mais tu as raison : seule la séparation prouve l'immense amour que nous avons l'un pour l'autre. Tu es un fragment de moi-même, non la moitié mais les trois-quarts, et sans toi, je flotte, inexistant, à travers la ville, le long des êtres humains.

 Mais ne regrette pas trop de ne pas être ici : ce soir, il est impossible d'avoir des places pour " Sainte Jeanne ".(de G.B. Shaw, Jeanne jouée par Elisabeth Bergner dans une mise en scène de Max Rheinhardt, Générale le 14 octobre au Deutscher Theater de Berlin)

 Tout se passe hors de nous, de ce que vivent les autres individus, on ne sait rien. On ne peut savoir qu'un sentiment, un amour, et même pas le savoir : le vivre, si fort qu'on ne le remarque pas clairement. J'aimerai toi seule, toujours. Tout le reste, c'est la vie quotidienne.

 Ce matin, j'ai été me promener pendant deux heures dans le parc du Château, près de la Luisenplatz. Bel automne encore estival, les bons vieux arbres, un étang à l'abri de toute critique. Tout ce qui est humain me répugne vraiment. Je ne me réjouis pas, non : depuis longtemps, je n'ai été si triste. Au fond, rien de ce qu'on fait n'a le moindre but. Le parc lui aussi est ennuyeux. Et la nature, on ne peut pas la supporter.

  Si tu étais là !

   avec ton Wani

  Ne tu pourrais-tu pas venir encore ?

 

Georges Kaiser n'est pas encore arrivé à Berlin, fidèle à son principe, qui est de ne pas aller au Théâtre. Les Angermayer sont réellement très aimables. Dieterlé est hostile, Mathusalem l'irrite. Je ne sais pas encore du tout, à vrai dire, à quel concours de circonstances je dois cette Générale, si vite décidée, presque soudaine. Concurrence avec Vienne ? Kiepenheuer s'intéresse à tes oeuvres : je les lui apporterai jeudi.

 Salue Wagner (le cousin d'Elisabeth Bergner). Ecris-moi bientôt tous les détails de toutes tes minutes.

S'il te plaît, quand Clara (Malraux) habitera avec toi, enlève de la cheminée le casier qui contient les lettres.

 J'apprends à l'instant que Hasenclever est à Paris, envoyé par le 8 - Uhr - Abendblatt. C'est une grossièreté. Je ferai du raffut, là-bas. Ne l'invite surtout pas avant que je sois revenu.

 

Ivan Goll  à Claire à Paris (15 octobre 1924)

chez Georg Kaiser, 3 Luisenplatz, Berlin-Charlottenburg

mercredi matin

 Que pourrais-je dire ou faire de cet automne plus beau que tous les autres ? qui sème sur les dames les feuilles d'or et les mille journaux où il n'est question que de Goll et de Mathusalem et de Z.R.III. Je t'ai envoyé les plus importants : Kerr est étrangement fameux : 8 Uhr Abendblatt fait de moi un Werfel …, suivent aujourd'hui le Vorwärts avec un hymne de louanges mais il y a aussi les insanités les plus merveilleuses de la presse réactionnaire, dont tu riras beaucoup plus même que de Mathusalem. Malheureusement Ihering n'a rien écrit et Faktor est sévère. En tout et pour tout, je sens que cette pièce vient tout de même quatre ans trop tard : la plupart de ses pointes sont émoussées ici. Berlin ne s'étonne plus de rien, cette ville a été lessivée par toutes les eaux d'égouts.

 Réellement, la représentation est remarquable - et que tu ne la voies pas, cela m'attriste tant. Je suis malade de tristesse. Je n'ai pas une minute de joie. Je n'ai pensé qu'à toi sans cesse. " A quoi cela me sert-il, puisqu'elle, avec ses grands yeux bienheureux, n'est pas là ?" J'aimerais mieux repartir tout de suite. J'erre dans Berlin comme un perdu. N'ai de plaisir à rien et pas envie de faire des affaires. Je ne mange pas. Je maudis les parcs dorés qui sont en face de ma fenêtre, où je ne peux pas te situer.

 A l'instant ta lettre arrive, après qu'hier j'ai plusieurs fois rouspété au téléphone (à la Schmiede [ Berliner Verlag Die Schmiede qui va publier en 1925 Germaine Berton d'Ivan Goll]), Tout va bien : mais que tes douleurs aient recommencé d'une façon si aiguë. T'étais-tu tellement énervée, dimanche ? je veux que tu m'écrives tous les jours. *

 

 Toutes tes commissions seront faites. Tes soucis apaisés. Je n'ai pas été, hier soir, voir "Sainte Jeanne", car je ne voulais rencontrer aucun des hommes de lettres. Mais dis à Wagner que j'irai voir Valentin. Le reste de la littérature me rend si malheureux. Dans l'ensemble, tu n'as absolument rien perdu à ne pas venir ici. C'est seulement la pensée qui fait si mal.

 Comme c'est splendide que tu aies commencé le roman.

Je me réjouis tant de travailler avec toi. Bientôt.

 Plus que jamais

 ton Vani

 

Mosse a parlé de ton volume de poésies dans le Vog-Zeitung.

Paraîtra bientôt.

Le "Triangle", (Das Dreick) nouvelle revue, donne une poésie française de toi.

 

* Adresse : Monsieur Iwan Goll,

  chez Georges Kaiser,

  Berlin-Charlottenburg,

  Luisenplatz, 3.

 

carte-lettre de Goll adressée à Francis Picabia du 23 novembre 1924  :

 Mon cher Picabia

 Je viens vous demander, comme de juste, deux places pour la

Première soirée de "Relâche" : inutile de vous dire que ce n'est pas avec des sifflets mais avec des Trombones que "Surréalisme" viendra.

 bien à vous

 Goll

 

(B.L.J.D. A-I - 1 (13) n° 24, Bibliothèque Jacques Doucet, Paris.)

 1925

 

début janvier 1925, Rainer-Maria Rilke est à Paris, Hôtel Foyot

 

pneumatique écrit en français de Rainer-Maria Rilke (Paris) 25/2/1925 à Liliane (Claire)

  Paris, 25/2/1925

  ce mercredi matin

Enfin, je vois un peu plus clair dans la disposition difficile de mon temps, j'ai dû combattre pour garder libre l'après-midi de demain, jeudi, à partir de cinq heures.

 Voudras-tu me le rendre familier en me donnant cette heure tranquille que je désire depuis des semaines ?

 S'il n'y a pas de réponse, j'admets que tu m'attends.

 Au revoir, Liliane

 enfin !

 Rainer.

 

(Claire Goll : Rilke et les femmes, Falaize 1955 p.92/93)

 

pneumatique écrit en français Rainer-Maria Rilke (Paris) 26/2/1925 à Liliane (Claire)

  ce même jeudi, 4 h. 10

Dommage,

  Liliane,

  et tu ne t'es pas fait bander les yeux pour me trouver au « Luxembourg » ?

 S'il ne m'arrive pas de contretemps, d'ailleurs, ou du côté de ma santé, je te prie de m'attendre, samedi, chez toi.

Samedi après-midi. Cela te convient-il ? Je me réjouis de te revoir.

 Rainer

Claire Goll : Rilke et les femmes, Falaize 1955 p.93/94

 

lettre de Liliane (Claire, traduite de l'allemand par elle) Paris à Rainer-Maria Rilke

    Paris, Avril 1925

 Maintenant j'ai déjà vécu quatre semaines depuis notre rencontre,

Rainer.

 On s'enrichit tant à te regarder et encore davantage à t'entendre. Et je me suis forcée à me taire, quoique mes sentiments pour toi prennent l'allure d'un Niagara. A présent je ne peux plus longtemps ériger un barrage, mais ne t'effraie pas : ce n'est pas une chute bruyante, déchaînée, mais tendre et sauvage, que je n'arrive plus à dompter.

 Le printemps et toi sont à Paris ! Je longe les rues, par lesquelles tu as peut-être marché. Je cueille au Luxembourg les boutons et les regards que tu as peut-être frôlés. Mais je languis tant après ta voix, ta voix magnifique, qui fait de la musique avec les pétales de roses. Lorsque je pense à toi, je rougis comme elles, elles que tu as inventées, car avant toi elles n'existaient pas.

 Ah, sois généreux, viens, apporte-moi pour une heure seulement ta main, afin que je puisse l'adorer. Car pour t'admirer, il me faudrait toute une vie.

Tu le sais bien que depuis huit ans je n'ai pas encore osé savoir si tu es Rilke ou le bon Dieu. Et pardonne-moi de t'aimer sans limites !

 Liliane

 

lettre de Rainer-Maria Rilke (Hôtel Foyot, 31 rue de Tournon, Paris) 29/6/1925 à Liliane

Liliane

à traduire elle est dans mes dossiers

 

Ceux qui viennent n°4 - juillet/août 1925

 

"Ivan Goll habite à Passy, rue Jasmin...Dans le petit salon où flamboient quelques Picasso, Gleizes et Delaunay, un fort beau chat siamois saute sur mes genoux. C'est un rugbyman convaincu qui passe ses dimanches a s'entraîner avec un petit ballon. "Vrai sportif de la jungle" me dit Goll.

“ La fonction de la poésie aujourd'hui ? 

— Le revirement a pris naissance vers 1910-12. Ce fût une véritable révolution...De là datent les "ismes": cubisme en France, futurisme en Italie, expressionnisme en Allemagne. Grande divergence de forme dans ces écoles, mais bien des traits communs: l'amour de la vie, de l'activité nouvelle et ce je ne sais quoi poétique qui est un parallèle du mouvement plus rapide de notre existence. C'est Picasso, Delaunay, Cendrars, Apollinaire, Salmon qui furent les principaux meneurs à Paris.

La guerre... elle effaça en réalité presque toutes les tentatives d'action artistique. Et la paix, jusqu'en 1924, eut une influence encore plus néfaste sur le développement de l'art moderne....En 1924, il y a du nouveau: Dada touche à la banqueroute, les cubistes retouchent à l'objet...J'écrivis dans Paris-Journal un article contre l'art snob, prétentieux et pédéraste qui avait pris le haut du pavé. Les véritables poètes se cachant, les salles de spectacle s'emplissaient de la sottise quotidienne. Le théâtre était mort, remplacé par le ballet russe, suédois ou nègre.....ce n'est qu'au théâtre que l'art pourra devenir excessif, brûlant comme du vitriol et surréaliste, c'est à dire plus puissant plus fiévreux, plus vrai que la vie.

— Surréaliste...Nous y voilà ! Parlez-moi donc du surréalisme.

— Oui, surréaliste. Pour moi surréalisme signifie plus que la réalité, la réalité à outrance, la vie radiographiée, nue jusqu'aux os, et toute chair incendiée ; la vie vue à la loupe...

— Mais que pensez-vous du surréalisme de la rue de Grenelle?..

— C'est presque l'opposé extrême, oui ; mais vous verrez qu'à la fin les extrêmes se touchent. Les surréalistes bretonniens préconisent la surréalité, qui signifie au-delà de la réalité ou l'autre réalité... Parce qu'ils sont partis du rêve....ils ont conservé du rêve la notion enfantine qu'il est quelque chose d'irréel. Mais pour moi le rêve n'est en aucune façon à distinguer de la vie. Il en est au contraire la continuation sournoise et peut-être encore plus directe. Mes rêves ne sont pas des promenades dans un absolu inconcevable pour mon être conscient, mais des continuations immédiates de ma vie journalière. Ils jugent ma vie. Dans le rêve je vois plus clair et je pense plus logiquement. Je l'attends pour résoudre les questions embrouillées par la "logique", par la diplomatie, par le cynisme des jours. Le rêve est donc pour moi une réalité plus intense, plus lucide, plus directe.

— Et le rôle du rêve dans la poésie ?

— En temps que songe matériel, aucun rôle. La surréalité des grands poètes de toutes les époques, arabes, grecs ou lapons, est due à cette extase qu'on a toujours appelée inspiration et qu'il est inutile d'appeler aujourd'hui surréalisme. Ne sera pas poète qui veut et qui, sans s'abreuver d'opium, se mettra consciemment dans cet état d'inconscience que Breton et ses amis conseillent pour former une génération soi-disant plus géniale que toutes celles qui vécurent depuis 5.000 ans.

— Qu'elle est alors la fonction politique de votre surréalisme ?

— Mon surréalisme est beaucoup plus modeste ; il ne cherche pas à créer une école absolument nouvelle et différente de tout ce qui exista jusqu'à nos jours. Il ne veut que grouper sous une formule les poètes qui expriment la volonté actuelle de faire des œuvres où coule la vie et où celle-ci puisse être construite d'une façon presque aussi parfaite que notre système cardiaque.

 

lettre de Liliane (traduite de l'allemand par Claire Goll) Paris à Rainer-Maria Rilke

Rainer

 Je t'en prie, rassure-moi par quelques mots sur ta santé ! Est-ce que le vent du Valais est venu à ta rencontre ? Est-ce que ta « Tour » t'a reconnu ? Et les roses, ont-elles attendu ton retour pour fleurir ? Chaque fleur de Sierre doit-être concernée par ta guérison.

 Ah, si tu savais combien intensément cette santé préoccupe mon cœur !

Et combien je suis attristée que nous nous soyons revus à Paris à un moment où le corps avait transmis sa lassitude à notre amour, lassitude amaigrissant l'âme.

 Mais tes yeux avaient augmenté. Souvent ces yeux m'ont parlé au-delà des frontières. Alors je me reproche de ne pas avoir suffisamment et avec assez d'humilité baisé tes mains.

 Un mot, je t'en supplie !

  ta Liliane

 

 1926

Mort de Rainer Maria Rilke (Prague 1875 † sanatorium de Val-Mont, Montreux 1926)

 

"Ivan Goll,  l'homme qui chante tout le long de sa vie. Impossible de ne pas voir qu'il est allemand. Il a un rire couleur du Rhin. Des lunettes qui agrandissent l'oeil, clignant comme les lumières de Nuremberg, dans la nuit de la fantaisie. Impossible de ne pas voir qu'il est français. Il est plein de sourires, d'ironie foraine. Son oeil se fixe sur tout spectacle, il en profite pour oublier la versification ; il crée de mystérieux projets de cosmogonies nouvelles.

Mon cher Robert Delaunay, surveillez Goll ; c'est l'homme qui un jour ou l'autre vous volera la tour Eiffel pour l'emporter.  Où ?"

(" 900 " - Cahiers d'Italie et d'Europe - n° 1 Cahier d'Automne 1926. Fondateurs :Massimo Bontempelli - Curzio Malaparte. Nino Frank : Astérisques  (p. 185) :

 

Claire (Paris) à Ivan (Nancy) 14 octobre 1926 MST p. 19****

  Dimanche (1926)

 (Paris)

Mon Chéri

 

 Tu me manques de bout en bout, et surtout au bout du jour. Car, lorsque vient le soir, je ne me supporte simplement plus. Voudrais hurler à pleine voix, comme un jeune chien.

 "Tu ne peux vivre sans moi", dis-tu. Cela n'est que trop vrai. Et si, de ci de là, je te suis infidèle, ce n'est réellement que par désespoir, parce que je ne sens pas autour de moi tes bras bénisseurs. 

 Une corde de ta guitare a sauté, hier, de douleur, avec un son mineur. Une seconde auparavant, je lui avais donné le diapason avec ma voix sanglotante.

 Fan-Fan *, comme toujours, saute le matin sur mon lit, fait ses caresses et ses exercices de gymnastique sur mon cou : en avant, en arrière, puis il m'enfonce brusquement ses griffes dans la chair, parce qu'il est furieux de ton absence. Tu vas prétendre qu'il a de l'excitation érotique. Et je réponds : Non, il ronronne parce que tu n'es plus là, et qu'il ne trouve plus d'épaule pour faire de l'alpinisme. Sans cesse il va avec moi à ton bureau, pour tourner autour du poète qui y est assis. Et soudain, il s'aperçoit que j'ai seulement évoqué la vision du poète, et ses yeux bleus deviennent rouges de colère. N'est-il pas déjà profondément vexé, que je le laisse seul toute la journée ? Mais, c'est qu'il y a aussi chaque jour un voyage pour aller chez Kokoschka. Tu sais qu'il habite à l'autre bout de la ville. Hier, quand je suis rentré à la maison, Fan-Fan m'a flairée sur toutes les coutures. Avait-il senti l'autre bête de proie, le Kokoschka ? Bref, il me mordit au bras et me griffa par jalousie. Et pourtant, ni lui ni toi n'ont la moindre raison d'être jaloux. Je ne pose pas pour K., assise mais étendue, et ce faisant, je me sens toute triste. La "Ceinture" n'est pas loin, et quand j'entends passer un train, je voudrais le prendre pour aller te retrouver. Donc, je suis étendue. Tu sais bien que je ne peux pas rester immobile en position assise. Il viendra un moment où K. déchirera son dessin et m'en jettera les morceaux aux pieds. Comme l'a fait Archipenko avec ma tête presque entièrement terminée, qu'il fit voler en éclats. Ou peut-être me transformera-t-il en un rouge lac de montagne, comme fit Meidner. Mais aussi, avec ce dernier, comment aurais-je pu poser sans bouger  ? La peur m'entraînait à droite, puis à gauche, dès le moment où il m'ouvrait la porte, avec son casse-tête caché dans sa manche, ou encore quand il buvait son thé dans des boîtes de conserves qu'il avait ornées de têtes de mort. Chez K. non plus, je ne me sens pas tranquille. Est-ce que cela vient de ce que l'atelier est meublé de désespoir et de faim expressionnistes ? Le baron, son ami, m'a mis en garde : "Au nom du ciel, n'apportez rien à manger à K. ! il vous jetterait dans l'escalier avec votre paquet ! "

 De lui aussi, K. a refusé toute aide et tout argent. Il est vrai qu'en France, personne ne le connaît. La France s'en fiche des génies. Qu'il se pende comme Gérard de Nerval ! Beaudelaire n'avait jamais d'argent non plus. Et Gauguin, Van Gogh, le Douanier Rousseau n'ont-ils pas vendu leurs toiles pour un dîner ou une note de blanchissage ? Donc, je fais comme si je ne voyais pas qu'il meurt de faim et j'apporte seulement une grande quantité de tartelettes aux fraises. A 5h., pour le thé, je grignote mon gâteau, bien que l'appétit me passe quand je regarde cet homme couleur de lune. J'attends qu'il morde à son tour dans une tartelette. Mais sa fierté lui donne l'énergie de n'en prendre aucune. Alors, je reprends la pose étendue. Son visage ravagé doit se refléter dans le mien. Certainement, personne n'a encore fait de moi des dessins aussi tristes. Chagall a projeté dans ma figure son génie positif, affirmatif, Robert **son dynamisme, et quant à Albert ***, j'essayai de le tenter avec "mon regard de sirène" (comme tu l'appelles). Ensuite, quand sa moralité pédante commençait à fondre, je devenais de glace et il jouait au bilboquet pour retrouver son équilibre cartésien. Mais ici, : rien que du tragique et du chaos. Une matière explosive incontrôlable. L'élément allemand. Peut-être aussi un peu de sang slave.

 Lorsqu'ensuite, je m'en vais, il me rappelle. J'avais oublié mes gâteaux, dit-il. " Mais, Koko, dis-je, vous ne voulez tout de même pas que je traîne avec moi jusqu'à la maison cette pâte au beurre ramollie".

 Et ce n'est certainement pas plus gai pour toi, à Nancy, entre ta mère et ton beau-père. Oh ! cette séparation !

 J'espère que K. ne me dévorera pas et que bientôt, je m'étendrai, de nouveau, pour toi.

 Ton inconsolable Zou

 

* Chat siamois offert par Jacques Villon aux Goll

** Delaunay

*** Gleizes

                                                          1927

 

Lettre Ivan Goll  (Metz) à Claire à Paris du 26 juillet 1927 [ mardi]

 Metz 26 juillet 1927

 (mardi)

 

Chérie,

 Il faut que je raconte une histoire très drôle : hier soir, nous avons été invités tous les trois chez mon paysan d'oncle. (Il y eut d'ailleurs un dîner très rustique : des quantités immenses de lait, de crème, de fromage, de lait caillé, d'œufs et de tomates étaient venus d'une ferme qu'il possède. C'était une débauche de produits lactés sans précédent). Et là-dessus, on nous a offert un concert : la pauvre petite Liliane, tu sais est condamnée à mort. C'est terrible à voir, et il faut convenir que ses parents lui achètent tout ce qu'elle désire. Elle possède depuis huit jours un poste de radio à 4000 francs, et alors, on nous a offert de la musique de tous les coins : des marches militaires de la Tour Eiffel, - de Londres, les chansons populaires de Doodlesack, et ensuite, on s'est branché sur Langenberg, une sorte de Königswusterhausen. Il y avait justement une soirée américaine : une Symphonie américaine, puis du Jazz, des chants nègres, et enfin... une lecture tirée du "Nouveau Monde" de Claire Goll, paru aux éditions S. Fischer : 4 poésies de Carl Sandburg, Kreymborg, Ezra Pound, etc. Cela dura une bonne demi-heure, projeté dans la pièce par un récitant talentueux, pathétique. Ton nom sonna haut et clair, tous le comprirent, et tu avais un peu vaincu. (*) Mais surtout : cela te rapportera, cette fois encore, environ 40 ou 50 M. au moins.

 Pour le reste, les rapports avec ma mère sont tout à fait excellents. Tout ce qui serait désagréable, on le tait. Elle s'est bien reconnue en Elvire (°) : la servante des vieux, a-t-elle dit.

 Ce matin, j'ai fait une belle promenade dans la vallée lorraine et le long de mon canal.

 Demain, à 5 heures du matin, je continuerai jusqu'au beau vieux cimetière juif de Sélestat. Le soir, à Lucerne. Jeudi soir, je quitterai Lucerne et vendredi matin, je serai à nouveau dans tes bras, chère enfant.

 Ton toujours fidèle

   Ivan

S'il y avait quelque chose d'important au courrier, par ex. une lettre de Piper, fais suivre bien vite à Lucerne, s'il te plaît.

 

* Sous le prétexte que j'étais une "demi-boche", la mère d'Ivan, jalouse, n'avait pas encore voulu me connaître (note de Claire).

(°) allusion au roman à clefs de Goll : "Le Microbe de l'or", qui était paru à Paris en juin 1927

 

Télégramme Ivan Goll  (Metz) à Claire à Paris juillet 1927 [ date presque impossible, à vérifier ]  Metz juillet 1927

Claire Jasminpalace, reçu lettre bleue. Solitaire pleine d'initiatives. Orphée sans moi ! Fischères tant mieux ainsi. Cocteau d'abord, ensuite Stock. Ici, la douleur s'use d'elle-même. Même le million de soleils fraîchit. J'aspire au départ. Arrive dimanche matin six heures sept.

Expédie immédiatement le télégramme inclus.

 Vani

 

Lacrasse et fils, rue des Bourgeois

 

                                                         1929

Les soirées de Sagesse : Les "Amis de Sagesse" se réunissent tous les samedis soirs, à la Brasserie Courbet, 133 Bd.Brune (14°)

23 février 1929 :

Quelques poètes allemands contemporains. Poèmes de Rainer Maria Rilke, Ernst Toller, Karl Liebknecht, Ludwig Rubiner, Claire Studer par Jean Dorcy, E.P. Jalbert, Fernand Marc

 

16 mars 1929 : Soirée réservée à :

l'Anthologie mondiale de la poésie contemporaine d'Ivan Goll.

 


7 août 2010

Correspondance Claire et Yvan GOLL jusqu'en 1920

Isaac Lang, né le 29 mars 1891 à Saint-Dié (France), est le fils d'Abraham Lang et de Rébécca Lazard, mariage d'Isaac Lang et de Claire Aischmann 21 juillet 1921 :

décédé le 27 février 1950 à l'Hôpital Américain de Neuilly-sur-Seine.

 

Claire STUDER, née Aischmann le 29.10.1890 à Nüremberg, mariée en 1911 au Dr. Heinrich Studer : une fille Doralies est née en 1912 à Leipzig ; depuis la fin de 1916, Doralies vivait à Zurich chez les parents d'Henri Studer : séparation du couple Studer au printemps 1917. Divorce avec Henri STUDER le 27 mars 1919.

21 juillet 1921 : mariage d'Isaac Lang et de Claire Aischmann [1]

Décès de Claire le 30 mai 1977 à Paris

 

10 février 1917 : première rencontre entre Ivan Goll et Claire Studer. Leur correspondance sera publiée en 1966 [2]

 

Première lettre d'Ivan (Lausanne) à Claire (Genève) du 12/02/1917 MST p.11/12

 

 Lausanne, 12/2/17

 Riant-Mont,5

 mais adresse postale toujours à Case Maupas

 Mes très chères amies,

 Je suis rentré chez moi, à la fois très heureux et très malheureux, en sorte que je ne me sens pas capable de porter un jugement sur moi-même. Dites-moi, s'il vous plaît, vous deux :

suis-je réellement aussi mauvais que j’en ai l’air ? Vous avez dû maintenant vous prononcer, et la conclusion la plus raisonnable à laquelle vous vous êtes arrêtées, c’est peut-être : ce type est venu avant - hier, aujourd’hui il est reparti, gardons notre calme après ce jeu fatal, etc. Mais vous êtes les premières à savoir que ce qui importe dans la vie, ce n’est pas toujours d’être raisonnable. Il y a une chose que je sais, c’est que vous deux, Yvonne ¹ et Liliane ²  vous avez été pour moi quelque chose d’important, et je crois que vous pouvez devenir encore plus, vous pouvez devenir mon destin.

 Gustave ³— il n'a pas encore reçu votre baptême — est tout à fait hors de lui, il ne me pardonne pas mon lâchage d'hier pour l'excursion à skis qu'à la condition de faire bientôt votre connaissance. Il a raison. La meilleure solution, c'est que vous veniez très vite à Lausanne et que vous vous organisiez ici, comme s'il n'en avait jamais été autrement. Pour qui sont faits les chemins de fer, les pensions ? Et ensuite : quand vous ne nous supporterez plus, vous serez là, toutes deux, et si vous ne vous supportez plus, nous serons là.

 Il faut être impulsif !

 Chacun garde sa liberté personnelle, jusqu'à ce qu'il se soit forgé ses propres chaînes : ô chaînes de roses !

Aujourd'hui, c'est le premier jour de bruine à Lausanne. Pas encore le printemps, mais une invite à voyager vers des contrées ensoleillées.

 Cet après-midi, nous nous mettrons à chercher les logis. Gustave jubile à la pensée que nous devrions, à quatre, louer tout un appartement : ô liberté, ô discours à haute vois dans le clair de lune de minuit ! Une installation de ce genre coûte moins cher que lorsque chacun loue une chambre. Et à midi, on va dans les restaurants.

Mais surtout que je ne l’oublie pas: merci, merci, pour m’avoir accueilli si familièrement, mes bonnes soeurs. Quand on se sent des âmes si proches, pourquoi ne doit-on pas aussitôt se tutoyer? … hier soir, mon vieux propriétaire a téléphoné à tous les bureaux de poste qu’il fallait rechercher le skieur disparu, et l’alerte a été donnée dans toutes les Alpes. En ce moment, on cherche mon cadavre imaginaire sous les avalanches de neige. Si l’on savait quelles autres blanches avalanches m’ont enseveli! 

 Je vous envoie par le même courrier 3 exemplaires du "Requiem" et la "Himmlische Licht" de Rubiner, que je vous avais annoncée et que devra garder pour elle celle de vous qui croit pouvoir le mieux me dispenser, en échange, une autre lumière céleste

 cordialement

 votre

  Iwan

 

¹ (Yvonne Schwam) épousera Wolfgang Schaper, fils du sculpteur berlinois Fritz Schaper

² (Claire Studer, née Clara Aischmann se faisait appeler Claire mais Ivan l’appellera indistinctement Lillan, Liliane, Liane, Neila, Claire, Clarisse, Zouzou, Susu)

³ Gustave Bychovski, étudiant en médecine, deviendra psychanalyste à New-York

La traduction française de ces lettres sont d’ Hélène Ziberberg sous contrôle de Claire ?

 

lettre d'Ivan (Lausanne) à Claire (Genève) du 18/02/1917 MST p.12/13 

 

  Lausanne, 18. 2.17

Chère Liliane,

 Quand je revois la journée d'hier, je me fais l'effet d'un petit garçon heureux : je riais, je plaisantais, je te voyais, rien que toi. Je dois m'avouer aujourd'hui que je ne m'étais, auparavant, jamais cru capable d'une explosion aussi exubérante et aussi impulsive.

 Mais nous n'étions pas seuls : derrière nous, se tenaient continuellement deux êtres, que notre cœur semblait négliger, que nous paraissions oublier, mais auxquels nous étions liés deux par deux, par des liens puissants, en ligne droite et en croix.

Il y a Guscha *, dont tu ne pouvais rien dire de plus exact que ce mot : il est analytique  Il y avait Yvonne, dont je ne pourrais rien penser de plus douloureux que ;: elle souffre.

 La journée d'hier était une projection de l'avenir sur le présent. Et celui qui se tenait le plus loin était aussi celui qui le voyait le mieux : Guscha. Il me signala vers quelles difficultés et vers quels terribles dangers nous nous avançons, les bras unis. Et je fus malheureusement obligé de lui donner raison. Yvonne n'a pas oublié.

 Je n'ai pas encore assez souffert (à ce qu'il semble).

Cela est injuste. Cela pourrait devenir plus injuste encore. Je ne crois guère à la possibilité d'une forme d'amitié durable, objective, limitée au spirituel. Toi non plus. Lui non plus. Elle — non plus.

 Ainsi : malheur d'un côté, malheur de l'autre.

 Ce n'est pas une volonté soudaine qui peut faire de nous des amis, comme le froid rassemble les particules étoilées en un flocon de neige.

 Une longe habitude l'un de l'autre pourra mieux nous souder ensemble.

 Habituons-nous l'un à l'autre. Peut-être.

Nous pourrons y arriver grâce à un minuscule changement ; nous ne prendrons pas tout de suite quatre chambres, mais nous resterons ensemble, et vous habiterez ensemble de votre côté ; nous vous rendrons visite, tous les jours : ce qui était d'ailleurs votre première pensée.

 Nous vous chercherons donc 2 ou 3 chambres dans une pension agréable (Fr. 4,50 - 5) Le voulez-vous ?

 Hier, je n'étais pas moi-même. J'étais trop amoureux. Pardonne !

 Je souhaite qu'Yvonne n'interprète pas faussement le fait que j'ai évité de prononcer des paroles tendres pour adoucir une douleur dont je savais que mes yeux remplis de toi semblaient la cacher (mauvaise construction de phrase !)

 Aujourd'hui, je suis plus brisé que jamais.

 Guscha et moi sommes vos amis dévoués

 

  Iwan

* Gustave Bychovski, étudiant en médecine.

 

Gazette de Lausanne n° 213 - 5 août 1917 :

 

Iwan Goll : " A propos d'une nouvelle loi allemande" 

C’est la première fois que Goll écrit sur Claire Studer : "en de vibrants articles qui paraissent dans la Freie Zeitung de Berne, Madame Claire Studer invite les femmes à se réveiller, à prendre parti pour leurs maris et leurs enfants.

.... Femmes! dit Mme Claire Studer, il ne doit y avoir pour nos enfants que des lois dictées par l'amour et non par la force, des lois qui ont pour but la Vie et non la Mort! Défendez-vous! Défendez vos enfants par tous les moyens! Inculquez-leur la haine contre la guerre! Apprenez-leur l'amour de l'humanité! "

 

Ivan (Saint-Cergue, près Nyon) à Claire (Chailly s/Lausanne - Les Fauconnières) du 23/08/1917 MST p.14

 Saint-Cergue 2 heures

J'ai vu, à 10 heures, à Nyon, partir le train de Genève. Une force effrayante m'entraînait avec lui. Déjà je maudis ma montre, parce qu'elle tourne trop lentement.

Quand viendra le soir ? Je vais encore errer, pendant trois heures, à travers les fourrés, pour tuer le temps.

  Iwan 

Il semblerait que ce soit le Dimanche 9 septembre 1917 que se soit réalisée leur passion au sens biblique

 

Ivan (Berne) à Claire (Zurich) du 13 septembre 1917 MST p.14

Claire Studer jeudi matin (Berne 13/ 9-1917)

Zurich 

Poste restante, Bureau central

 

Mon cœur qui a été percé hier soir par de grises lances de pluie (ton invention en rêve) voltige aujourd'hui, rouge comme un oiseau, pour être le premier à ta rencontre.

 Il t'entourera de ses battements d'ailes, en toi et partout. L'entends-tu chanter ?

 Iwan

La mère de Goll est à Lausanne les 13/14/15/16/17/18 septembre 1917

 

lettre d'Ivan (Chailly-Lausanne) à Claire (Zurich) du 14/09/1917 MST p.14/15

Madame Claire Studer Chailly, vendredi soir, (14-IX-1917)

Vogelsangstrasse, 3

(3, Rue du Chant des Oiseaux)

 

Bien-Aimée,

 

Le temps de la réflexion est passé; seul le sentiment prend le dessus. Il y a mille choses entre mon billet d'hier et celui-ci — mille étreintes, mille séductions, mille cris, mille rêves, mille peurs, mille caresses. Cela se passait cette nuit.

 Ta carte, ce matin, m'a rendu heureux.

 Je reprends mon récit de la journée d'hier. Avant mon départ de Berne, je rencontrai encore, par hasard Jacob ¹, qui souriait et qui affirmait que ce sourire était pour moi, sans qu'il m'ait vu — il pensait justement à Iwan le Terrible, il voulait nous écrire et nous inviter à Merlingen où il trône à présent. Dommage, ai-je dit. Il t'envoie ses hommages.

 Je vis, également par hasard, Hugo Ball. Conversation intéressante. Ses hommages.

 Je vis aussi Streicherlein. Des miaulements de chat.Ses hommages.

 Je vis Schlieben ². Ses hommages.

 Tu vois combien j'étais chargé en quittant Berne.

 Mais je vis aussi Lutek. Ses hommages. Et si je vois encore beaucoup de gens, cette lettre ne sera plus  qu'une  litanie.

 Mairie : payé 5 Fr. donné le bon, reçu en échange le stupide permis Schein (sont-ce là tous tes papiers ?) Pour la carte de sucre, on s'est moqué de moi, mais si tu te dépêches, tu en obtiendras une nouvelle à Zurich. Pour compenser, ta belle-maman m'a généreusement donné son reste. Il suit par ce courrier.

 Jointes par conséquent : lettre chargée et 2 annexes.

 En outre, par le même courrier, un petit mandat, qui suffira, je l'espère, pour les tramways de Zurich.

 Quels succès as-tu enregistrés jusqu'à présent ? Chambre ³, Karrodi, Rubiner, Cornelius?

 Puisque tu es sur place : quand nous atteindra enfin "l'Echo du Temps" *? depuis quand a-t-on appelé dans le bois **? 

Travail : ce matin, mon libre "Appel aux Intellectuels". Très content. Il est cinq heures. D’habitude tu serais venue ; tu t’asseyais sur le lit et tu m’écoutais. Ou bien tu me harcelais, ou encore tu mordillais des pommes (bien mûres et sucrées). Mais à présent ?

 Je suis malheureux

  Iwan   (S.D.d.V.)

¹ Heinrich Edward Jacob

² Dr. Hans Schlieben, rédacteur-éditeur de la revue pacifiste suisse Die Freie Zeitung

³ Ils recherchaient une chambre.

* Zeit-Echo, revue pacifiste des artistes. Editeur, Ludwig Rubiner.Dans le numéro de juillet :

Claire Studer "Die Stunde der Frauen" p.9/10

Ivan Goll : "Menschenleben" p.20-21

** traduction littérale, de Claire Goll, pour : in den Wald gerufen worden, qui semblerait mystérieuse sans le commentaire de Barbara Glauert, note 3-p.310 M.S.T.: allusion à Der Sturm, revue hebdomadaire pour la Culture et les Arts de Herwarth Walden,  revue de Berlin à laquelle Ivan et Claire collaborèrent régulièrement).

 

 lettre d’Ivan (Chailly) à Claire (Zurich) du 15 Septembre 1917 MST p.15/16 

 Chailly, 15 sept. 17

Très aimée,

 Je suis bouleversé, élevé par ta lettre au-dessus de moi-même. Oh ! après une telle nuit de tourment, d'horreur, de chute vertigineuse en direction de toi. Combien de vie tu m'as apportée. J'étais mort. Une gouttière grise et ruisselante sur un toit. Battements, battements. Crépuscule. Cri d'angoisse. Oh ! après une telle nuit de torture.

 Tu es l’étendard rouge-feu du jour. Tu es la salvatrice de l’humanité. tout doit se vouer à toi, tout.

 Je viens bientôt, bientôt, bientôt. Ici, je ne peux déjà plus rien faire, après les premières semaines de repos. Il faut que je creuse la terre de mes ongles, que je la fouille jusqu’au coeur, elle et les hommes.

 Ecoute : nous voulons devenir des "êtres humains", dans le sens où tu parles de Frank.¹ D'ailleurs, tu le perces bien à jour, psychologiquement : tout à fait comme je le revois dans mes souvenirs. Surtout ces yeux froids, froids qui vous dissèquent, n'est-ce pas ?

 Que de choses tu as déjà vécues à Zurich ! Et je les ai vécues avec toi, puisque tu les a ensuite revécues avec moi, si intimement. Merci. Bien, bien, Bruno Götz* : est-il quelqu'un ? Avant la guerre, il affectait la " jeunesse " et la "simplicité".

 Je suis toujours très content de mon "Appel aux Intellectuels". Inspiration directe. Ce sera peut-être pour Rubiner. Développement, continuation et amélioration du dernier article.

 Par ailleurs aujourd’hui deux nouvelles poésies d'"Unterwelt " (Bas-Fonds). Mais hier, hier : encore des traces de toi. Aujourd’hui, je suis vide, solitaire, épuisé. Va peut-être, si ça s'arrange d'une manière ou d'une autre, à St-Prex. Douce, encore un baiser, un baiser, et ensuite — me jeter sur toi. Bientôt. Bientôt. J’enfle de plaisir. Mes parents sont gentiment avec nous. Je représente la F. Z. à Zürich. J’obtiens de l’argent d’eux. Il nous en faut beaucoup. Il faut que nous vivions. Devenir quelque chose. Car bientôt, je le sens, la mort peut me saisir. Pourquoi ? Cette nuit-ci parlait de la mort. S’il te plaît, ne dis pas aux gens que l’article d’aujourd’hui, dans la F. Z.² est de moi ; ou alors, excuse-moi pour ce charabia sans signification, s’il te plaît.

 Je me réjouis que tu aies trouvé une bonne chambre. Je te souhaite beaucoup de soleil, beaucoup d’étoiles, beaucoup de lumière céleste. Il faut que tu travailles, que tu travailles ferme, tu es encore trop peu de chose. Nous devons monter. Bravement.

S’il te plaît, trouve un bonne chambre pour moi. Le prix n’importe pas.
Cette lettre me contient tout entier, je t’aime,

Je t’embrasse délicatement

  Iwan  

Ton dernier titre pour Frank, ¹ le meilleur : "L’homme se lève". Je lis en ce moment les lettres de Bakounine à Oyaroff.   (S.D.d.V.)"

*collabore à Die Weissen Blätter

¹ Frank Leonhard cherchait un titre pour son dernier livre qui sortit sous le titre Der Mensch ist gut, "L'Homme est bon".

² Die Freie Zeitung 1. Jg. Nr 45 -15 sept 1917, article signé I. G.: " Das Janushaupt der Schweiz " (Les deux visages de la Suisse)

 

 lettre d’Ivan (Chailly) à Claire (Zurich) du 16 Septembre 1917 MST p. 17/18 

 

 Dimanche matin, 16 septembre 17

  Ardemment aimée,  

 Cette nuit, j’ai dormi plus tranquillement, car je savais ce que le matin allait m’apporter: mon parachèvement. Quand tu m’écrivis cette lettre, je sentais clairement ton haleine, je voyais les feux follets dans tes yeux, lorsque je montai sur le bateau qui allait à Saint-Prex. Je te sentais, jeune fille en bouton, vêtue de ta robe blanche, bondir dans ma main et rayonner doucement.
 Hier, ce fut un beau jour ensoleillé. Mais aujourd’hui, c’est le dimanche des dimanches.
 Hier, j’étais avec toi chez Mme Werefkin ¹, avec toi …

 D’abord : elle était seule, toute seule depuis huit jours, car Jawlenski et André ² sont, en ce moment, à Zürich, pour y chercher un appartement ? (Tu connais ça ?) Elle a peint, de nouveau, en trois nuits successives, un chef-d’oeuvre devant lequel on sent son coeur cesser de battre. Tant d’oeuvres d’art, vraiment éternelles, dans une pareille bicoque, et en si peu de temps, tout récemment. C’est véritablement énorme. Des vignobles, tristes, bruns, soulevés en croupes, à travers lesquels se creuse un étroit chemin. Il conduit par derrière, dans un sombre mystère, dans le ventre de la montagne, de la terre, - mais, par devant, il s’élargit, devient bleu-clair, et il s’empare de tout le tableau, de tout le spectateur. Ce chemin, notre chemin à tous. Sur ce chemin, à l’arrière-plan, une jeune fille, en blouse rouge, rien que cette petite blouse, cette tache rouge, coeur de ce samedi soir, effrayant. Et sur le devant, comme aux aguets, comme un apache, comme la menace du quotidien, de la chair, du plaisir, de la nature terrestre: un homme, un homme simple, peut-être un travailleur de la terre, peut-être un matelot. Deux êtres humains au milieu de tant de grandeur et de désespoir.

 Marianne affirme que ce tableau, maintenant, est encore plus parfait que tous les autres. Elle a mis, à côté, le "Dialogue infini". Elle a démontré avec quels moyens déformés, extérieurs (nuage, table rouge, voile gonflée) toute la catastrophe, entre les deux, a été renforcée. Mais dans l’oeuvre nouvelle: il n’y a aucun cri, et rien n’a besoin d’être interprété. La situation existe déjà dans les vignobles, et les hommes sont "destin": cette petite blouse rouge (grande comme une pièce de 5 francs), si on l’enlève, le tableau est sans vie et il se désagrège.

 Quelle maturité, Liane, quelle grandeur: si nous pouvions vouloir, penser ainsi, être simples ainsi. Il faut que nous y arrivions. Oh! pas de cafés, pas de polémique, pas de chasse aux expériences: le monde est en toi. Il est très difficile d’être aussi simples avec les mots. Nous avons beaucoup à travailler. Sur nous-mêmes.

 Puis nous avons été nous promener. Un paysage divin. Le dernier jour paisible de l’été. Nous sommes restés 2 heures assis sur le quai de la gare, le lac devait être à 200 mètres de nous, mais nous ne le voyions pas. Une colline dans l’or automnal. Mille mouettes voltigeaient, étoiles blanches. Elles étaient si près de la terre ; le ciel descendait sur la terre. Près de nous, des raisins mûrissaient. Des trains passaient. Là, Marianne m’a raconté toute sa vie: toute.

 A présent, je connais Jawlensky, et le méprise.
Marche vespérale jusqu’à Morges. Atmosphère à la Bovary. Des confiseries odorantes. Des boucheries … Nous fîmes des emplettes, causâmes avec les gens. Fîmes des expériences. Promenade en barque dans le soir mourant. Nous nous livrâmes à la puissance de ces terribles, monstrueuses montagnes. Des cloches se mirent à tinter, pour annoncer ce dimanche.

Après la confession de Marianne, vint la mienne: nous parlâmes beaucoup de toi - oh! comme elle te connaît: incroyable, Liane, excuse-nous ; nous parlâmes de ton esprit et de tes jambes. Elle t’apprécie beaucoup, et attend beaucoup de notre vie en commun. O Dieu, qu’elle est belle.

 Parenthèse: je relis beaucoup tes lettres. Ton manque de patience, Aimée, vient-il de l’esprit ou des jambes ? S’il t’est inspiré par l’esprit, alors, sens donc, dans ces lignes, combien je suis proche. Mais, en ce qui concerne les jambes, je sais bien que tu ne peux pas donner tant d’importance à une question de jours. O Aimée, ne te dupe pas toi-même, avec tes jambes. Que sont 3 jours ou même 6, alors que des millions de femmes attendent déjà depuis 3 ans de guerre et attendront peut-être 3 ans encore ? Alors, je t’en prie, Liane, toi qui es un être humain, crois en toi, crois en moi: voilà tout!

 Parenthèse fermée.
 Ainsi ces cloches d’hier soir. Exactement les mêmes cloches qu’il y a 8 jours, splendeur dominicale, parfums du coeur, âme qui s’ouvre. Depuis 8 jours exactement, je sais que Liane est mienne. Je me fie à toi, à ton amour.

Suite de la promenade en barque: nous prenons un bain d’étoiles. Des étoiles là-haut par-dessus les nuages, en-bas dans le fond du lac, des étoiles à Lausanne, des étoiles en France. Nous-mêmes, étoiles. Etoiles humaines. Et une étoile bien loin, là-bas, à Zürich. Toi, mon étoile la plus brillante, unique, sans laquelle les autres ne pourraient jamais luire.
Ensuite, nous mangeâmes une friture du lac, avec un "moût" piquant du Valais, dans une gentille petite auberge française, à tonnelle. Mais nous étions déjà amollis. Nous causâmes de Rubiner et de l’avenir.
 Retour à la maison.
 Aimée, je voudrais voler vers toi. Prends patience, peu de jours encore. Mes parents ont beaucoup d’achats à faire pour moi, et Dieu sait que cela ne se fait pas en un jour. Une malle, des souliers, du linge. Il faut que je me maîtrise car ils m’aiment. Demain et après-demain, ce sera les plus grands jours de fête pour ma pieuse mère. Je n’ai pas le droit de les lui gâter. Ce sera vite passé. En outre, il faut que je fasse divers emprunts. Ainsi, tu as une chambre pour moi, - fameux, - mais te plaît-elle? C’est là le principal.
 Nous allons être riches. "Marsyas" a accepté "Domkoncert ". 20 mark (en tout 70).

La Gazette de Lausanne a accepté quelque chose. J’ai envoyé à Schlieben (1) les commentaires sur le "Hahn"(2), car il s’y intéresse. Nouvelle version du " Gai printemps "(3).

 Je me jette à tes pieds

 Iwan

Un mot de Mme Werefkin : "L’amour ne doit pas être un arrière-plan, mais le sol sur lequel on se tient et sur lequel on édifie la voûte spirituelle de sa vie ".

¹ Marianne de Werefkin, fille du gouverneur de Vilna, compagne d’Alexej von Jawlensky

² André fils illégitime de Jawlensky, pas encore reconnu à cette date. (voir: Claire Goll, La poursuite du vent, 1976 - Olivier Orban, p. 53.71.76 & 77).

1) Dr. Hans Schlieben, rédacteur-éditeur de la revue pacifiste suisse Die Freie Zeitung

2) Le Coq: Franz Pfemfert, directeur de la revue Die Aktion vient de publier "Le Nouvel Orphée ", dans sa collection "Der rote Hahn "- Band 5 (Le Coq Rouge)

3) "Grosser Frühling "fait partie du cycle de textes poétiques publiés dans "Dithyramben ", collection "Der Jüngste Tag "N° 54, Kurt Wolf Verlag, Leipzig-Zürich, 1918

 

Réponse de Claire (Zurich) à Ivan (Lausanne) du 17 Septembre 1917 MST p. 19/20

 Zurich, 17 septembre 1917

 (Vogelsangstrasse, 3 Rue du Chant des Oiseaux)

 

  O Bien-Aimé, ta lettre ! Comme j’étais toute dans ton jour et dans ton cœur ! Et comme elle me faisait mal cette parenthèse sur mes jambes. A présent que j’ai commencé à t’aimer de toute mon âme et de tout mon pouvoir, à présent qu’au milieu de ces esprits médiocres, j’ai le désir de ton éclair, plus que jamais. Toi l’élu ! A présent, tu me fais cette blessure? A présent, alors que je vis déjà de la vue de ta chambre à venir, qui est encore morte et qui est pourtant déjà le temple qui contiendra mon dieu? Ne sens-tu pas que je n’aurais jamais pu t’aimer plus réellement et plus spirituellement que dans le désespoir de cette nuit de vendredi, où nous criâmes tous les deux en nous appelant, et que c’est un péché contre le Saint-Esprit, quand deux êtres, que lia un éternel dimanche, se laissent séparer par un jour de travail ! 

 O toi!comme je t’aime! Non, comme je veux t’aimer! La présence n’est pas réellement indispensable, il y suffit de la conscience que nous avons l’un de l’autre, car au moment même où Marianne disait: " L’amour ne doit être qu’un arrière-plan" etc., j’exposais à peu près la même chose devant Rubiner, qui avait commencé, avec sa femme, une interview spirituelle de moi (Ce serait trop long de la reproduire). J’ai tout à l’heure un rendez-vous avec le professeur Feilbogen, l’éditeur de " Internationale Rundschau.

 Aujourd’hui, déjeuner au Rigiblick avec les Rubiner, Lewin (1), le poète populaire rouge Volkart avec sa femme. Deux personnes charmantes. Ils m’ont invitée. J’ai dit que je viendrai avec toi ces temps prochains. Tu es invité cordialement. Il connaissait le "Requiem". Partout où je vais, quand on me présente sous le nom de Studer, tout le monde demande : Claire Studer ? et aussitôt, on est en famille.

 Toi, toi, je baise tes mains avec dévotion, en leur ordonnant de venir bientôt.

 Liane

A lundi. Ta chambre est magnifique, je l’ai choisie avec amour. " (S.D.d.V.)

1)Kurt Lewin, professeur en Psychologie

 

 Ivan (Lausanne) à Claire (Vogelsangstr., 3 - Zurich) du 17 Septembre 1917 MST p. 21

 Lausanne

 Lundi soir,

 17/9/17

 Certes, Liane, alors nous ne nous quitterons plus jamais. Jamais ! Tu ne sais pas quelles tortures j'endure ; ton image partout. Et je ne peux rester en place. J'accumule tes lettres sur mon cœur. Quand l'impatience ou le désespoir m'assaille, j'en tire une et je m'imprègne de ses paroles divines.

 Rien n'existe en dehors de toi.

 Rien ne peut plus exister sans toi.

 O torture de ces jours de fête ! ma mère est heureuse et toi, tu attends en pays étranger.

 Patience, cela passera : demain, nous pourrons dire : demain ! O Dieu, quand j'imagine comment tu seras, à    la gare,

 Je n'en peux plus

 Iwan

 Ivan (Chailly) à Claire (Zurich) du 18 Septembre 1917 MST p. 21/22

 Chailly, 18 septembre 17,

 O bien-aimée,

 Terrible désespoir : je ne peux venir qu'après-demain.

Il me faudra rester sans toi toute une journée de plus, n'être pas moi-même, mais seulement un fantôme. Végéter, manger et parler de politique. Il faut que je perde encore à Lausanne un jour de ma vie.

 O Liane aimée, quelle déception, demain seulement nous pourrons dire : Demain. Comment puis-je passer cette journée de deuil ? Et portant, il y a deux raisons d'un grand poids : la malle que j'ai commandée ne pourra être prête que demain soir, je ne puis donc faire mes bagages. Grotesque, n'est-ce pas ? En outre, je suis obligé de m'inscrire encore à l'Université pour le permis. Je paierai pour cela 10 francs, mais mes parents paieront 80 francs. Est-ce que ça les vaut ? Mais ça aussi ne peut avoir lieu que demain après-midi.

Car le doyen (le secrétariat est encore fermé) ne reçoit pas avant. 

 O torture. Je ne voudrais pas, mon enfant, que tu aies déjà sacrifié ta journée de demain, refusé quelque invitation, par exemple : ce serait pour moi une grande cause de tristesse.

 J'ai fait, tout à l'heure, une promenade automnale : des dahlias sur ma table. Et aussi des colchiques, déjà. Je tout cueilli en ton nom. Je tenais sans cesse ta lettre à la main, et ne pouvais croire à mon bonheur. Je bondissais, me sentant jeune, sur les collines, et ensuite je suis resté longtemps à la fontaine, à méditer. Je te voyais, te sentais : ô femme, ô lumineuse, ô rouge, ô fruit ouvert, ouvert, et mouillé.

 Les femmes lentes vont toutes à travers les jardins.

Jamais il n'y eut joie plus multicolore. Lourd vin d'or. Pommes de pourpre, mort exultante.

 Je suis sans toi. Je ne suis pas. Toi seule existes. Des visages brillent dans tes yeux. Des feux brûlent dans tes paroles. Je me roule dans la terre nue. Comme le train sera lent, j'en ai déjà peur. J'ai peur de cette ascension céleste.

 Mais je veux tromper mon ennui, je veux m'occuper de tout. Blocs de papier, chocolat, sucre, etc. Je vais avoir beaucoup, beaucoup d'argent. Encore un temps, et tu pourras faire des souhaits, dilapider, perdre la tête, aller chez les antiquaires ou chez les bijoutiers.

 Tes succès sont énormes. Tu as des dons : cela, les gens le sentent instinctivement. Mais cela ne suffira pas. Il faut que tu fasses quelque chose. Travailler, travailler. Je crois que nous devrons finalement nous retirer en nous-mêmes. Comme je me réjouis d'avance de cette chambre, choisie par toi. Donne-moi, je t'en prie, tout de suite l'adresse, afin que je puisse me présenter à Maupas après-demain. J'ai été chez Perrin : ils font des recherches : réponse demain.

 Nous aurons besoin de semaines, ou d'années, ou de la vie entière, pour dire tout ce qui se cache entre nos lignes. Après-demain, mon amour : à cette heure de l'après-midi sonneront pour moi toutes les cloches du monde.

 Ton infiniment dévoué

 Iwan

 

Quand les Rubiner seront chez nous, je me prépare à leur lire "Unterwelt" ¹. Merci du fond du cœur, et voeux de chance pour tes succès dans "Internationale Rundschau". Puis-je te conseiller d'écrire sur "Requiem" quelque chose de nouveau, plus condensé ?

 Je te télégraphierai l'heure.

¹ "Die Unterwelt" (Les Bas-Fonds) 52 poèmes dédiés à Claire Studer, poèmes écrits en 1917 et publiés en 1919 chez S.Fischer Verlag, Berlin 1919, 66 Bl..

 

 Télégramme d'Ivan (Lausanne) à Claire (Zurich) du 19/9/1917 (9h55) MST p. 23

  Lausanne 19/9/1917

  Claire Studer Vogelsangstrasse, 3 - Zurich

  (Rue du Chant des Oiseaux)

 

Iwan Roméo Crésus sera jeudi à 8 heures 42 dans les bras de Liane

  Goll

19 septembre 1917

Hymnes de nuit à Liane

 I

Que ne puis-je toujours éclairer

Ton sommeil comme les miroirs courbes

Où tu sèmes tes rêves las.

Visages des mille passants de la rue, toutes

Les vies d'un seul jour qu'enfin tu découvres,

Les visages de vent obliques des passants, hâtifs,

Les veuves courbées frémissantes de peur;

Mendiants dévots, cierges adolescents,

Chacun d'eux s'élève

La nuit, de tes puits-miroirs bleus

Dans lesquels tu baignes.

Chacun abreuve ton sommeil plus coloré

Que ma perpétuelle et calme présence.

 II

Je ne devrais jamais de toi être aussi loin,

Même la nuit,

Que les carillons d'or qui à toute heure

Autour de toi tournent

Et comme une couronne d'étoiles brumeuses

Voltigent autour de tes cheveux défaits.

Toutes les heures

Du balcon céleste

Un bleu coule autour de ta vie

Comme les bijoux et grappes de glycines odorantes.

 

Je ne devrais jamais de toi être aussi loin,

Mais à toute heure et par amour

Dans un nouveau château

Sous l'or des carillons

Te voiler

 III

Avec des yeux dilatés d'effroi rouge

Errante par la nuit

Ma douleur éclatée sans fin

Mon sang profondément brassé dans des ravins

Et mes mains agitées soudain d'espoir

Se fanaient, livides.

Les essaims sombres de mes cris

Tombaient morts dans le lac de la nuit.

Pour te trouver

J'ai dû tuer des hommes et des forêts

Assécher des sources

Etrangler des oiseaux rêveurs.

Pour contre toi m'être brûlé et consumé

Avant que le matin m'étouffe

J'ai incendié de mon amour et calciné la terre entière.

 

 19 septembre 1917

 Rien de toi ce matin, ô solitude !

                                                                       (Traduction de Claire Goll)

La mère de Goll, Rebecca Lazard est à Lausanne le 14/15/16/17/18/19 septembre 1917

 

 Ivan (Lausanne) à Claire (Zurich) octobre 1917 MST p.23/24

 (Lausanne)

Ta seconde lettre d'hier.

 Ton amour monte en moi comme un champagne sucré et fou.

Je suis rempli de l'odeur automnale de ton corps. Une étrange odeur de moisi émane de nos corps, que nous creusons comme des tombes.

 Oh ! tu m'inondes, fleuve rouge qui submerge les plaines et les anéantis. Inonde-moi, remplis-moi la bouche et les oreilles de ton vin. Et que mes yeux se dissolvent en toi.

 Etends-toi, étends-toi.

 Toi ma nostalgie d'automne.

 C'est là le Mot

 

 Je tomberai bientôt en toi.

 Mais attends encore, attends encore !

 Maintenant seulement fermentent les sangs des vignobles.

 Maintenant seulement fermente le sang de ton amour.

 

 Je me tends déjà vers ta rencontre.

 Déjà je fonds vers toi.

 Mais attends encore, attends encore !

 Distille le vin.

 

Modèle notre enfant, le plus bel enfant d'un amour de poète. Il faut qu'il devienne un génie, l'enfant prodige de cette décennie.

 Ecris, lutte, répands-toi, inonde la pauvre terre de tes hymnes, de tes douleurs sauvages, de tes bonheurs de jasmin. Redis à la terre que l'amour existe. Elle l'a oublié, elle gémit dans la nuit parce qu'aucun or ne brille.

Les pauvres humains ! Ils ne savent pas.

 Ils ne savent pas encore que tu vis,

 Que tu aimes,

 Que tu chantes.

 Iwan

 

Journal de Claire Studer : Vendredi 19 Octobre 1917 MST p. 24

 " Ce soir à 7 heures, Liane et Iwan se sont mariés.

Voici ce que Liane jura à Iwan :

Je te jure de ne jamais t’abandonner, car ce serait m’abandonner moi même. Je te jure fidélité, car seulement ainsi je pourrai me rester fidèle à moi-même. Je veux te connaître plus profondément chaque jour, pour pouvoir t’aimer davantage; aide-moi donc, à toute heure, à me connaître. Je serai toujours à tes côtés, quel que soit ton chemin; car je crois en toi et en ton amour.

Eternellement (pas au sens humain de ce mot, car ce serait bien trop bref)

 Ta Liane

Et voici ce que jura Iwan :

J’accepte ton serment, car ton serment est le mien. Je veux te reconduire à toi-même — car c’est le chemin qui mène, en ligne droite, à moi. Je veux être ton mari, parce que je crois en toi : toi la profonde, toi la vraie, toi la grande Femme. Toi la poétesse. Toi l’aimante. Je suis tien, et je serai tien, même après ma mort.

 Iwan

 Sur ces mots, ils échangèrent leurs bagues.

 

(Le mariage "officiel" sera célébré le 21 juillet 1921 à la mairie du 16 ème arrdt. de Paris)

 

Journal de Stefan Zweig : vendredi 21 (décembre 1917) [3]

 "… Le soir, chez Goll et Mme Claire Studer, une ravissante jeune femme ; Mme Werefkin, l’artiste peintre russe, vient se joindre à nous. Une créature magnifique, vivante, étincelante elle raconte des souvenirs inoubliables sur son enfance et son pays (l’histoire de la fille enceinte qui lui sert de modèle et qui lui baisa les pieds, son entrée en Allemagne, elle Russe, en pleine guerre, croyant de bonne foi qu’il ne lui arriverait rien), nous avons une excellente conversation, il y a quand même ici des gens merveilleux.

Stefan Zweig: Journaux 1912 - 1940, édités par Knut Beck et traduits de l’allemand par Jacques Legrand (Ivan Goll p.278, 281, 282, 287, 465 — Claire Studer 282, 287, 450.) Belfond, 1986.

 

 1918

Ivan et Claire vivent à Zurich jusqu'à mi-avril 1918, où ils vont s'établir à Ascona tout en conservant leur chambre à Zurich 15, rue Hadlaubstrasse.

Ascona, dans le Tessin, où une colonie d'artistes étaient en train de se former ; par la suite, ce charmant village situé sur les bords du Lac Majeur, du côté suisse, vit défiler des écrivains de toutes les nationalités et devint le berceau d'un mouvement occultiste. Les adhérents du groupe "Eranos" y tinrent leurs assises annuelles, et y composèrent leur "Jahrbuch" .

 

 Télégramme d'Ivan (Locarno) à Claire (Lugano) du 28/4/1918 (5h35) MST p. 25

 Locarno 28/04/1918

 Claire Studer

 Hôtel Milano

 Lugano

Nostalgie du soir caresse nuage rouge lointain

 Goll 

 

lettre d'Ivan (Lausanne) à Claire (Zurich) du 11/08/1918 MST p. 25/26

  Lausanne 11 août (1918)

 Réveil pourpre : ainsi m'apparais-tu, toi qui avais guetté mon pas dans l'escalier, nul ne sait combien de temps, et qui m'as béni de tes yeux au parfum de sommeil, pour mon voyage…

 Pendant tout le trajet, l'été s'est dépouillé de ses nuages, et lors de mon arrivée à Chailly, une brise furieuse dispersait les derniers lambeaux des gris souvenirs. Des choses de l'an passé ressuscitaient, toutes dorées. Je n'ai pas trouvé de chambre dans notre pension, et pour un peu, on m'aurait donné ma chambre de Beau-Val, si je n'avais justement loué, dans une autre petite villa, qui porte le nom ravissant de "Le Pavillon", une petite fenêtre donnant sur des tas de foin, des pommiers et des parterres de glaïeuls.

 Me reposer un peu, cela fait tant de bien. je me sens comme si j'avais, derrière moi, un grand combat, - très fatigué - Si je le mesure à cette fatigue, mon travail doit avoir quelque chose de bon. Pardonne-moi de ne pas l'avoir encore abandonné !

 Rêver encore un peu du voyage d'hier : 3/4 d'heure le long du lac de Neuchâtel, tant de destinées volaient à ma rencontre, une cabane dans des vignobles fervents, un gros homme devant une table de pierre, et d'un étincellement vert sortit la forte fille, si claire, qui se laissa entraîner par mon rêve dans le train, jusque dans la nostalgie.

On a beau écrire des romans, ce n'est jamais, en réalité, qu'un millième de ce que renferme la vie. Ces jours-ci, je vais beaucoup tituber dans l'été, et peut-être enfin décrire cette solitude estivale que je laisse mûrir en moi depuis 15 ans. La nature, ma bonne : je lui suis, au fond, si enchaîné. Et si je lui avais obéis, certains dithyrambes auraient été meilleurs que ceux du "Jungste Tag" *...

 Je ne peux aucunement me représenter ce que tu fais en ce moment. Je voudrais que tu sois en train de voyager comme moi. Mais peut-être te désoles-tu dans la "chambre rouge", rouge de ta chevelure et de bien d'autre chose. De petites lueurs vespérales dansent encore en moi, ou plutôt, elles ne dansent pas, elles désirent…

  A présent, je vais aller à St-François : acheter ma " gloire ", La Nouvelle Gazette de Zurich, et puis je verrai si je dois te répondre quelque chose sur le bout de papier qui reste.

 Je te prends contre mon épaule

 

  Iwan

Post : Merci mille fois pour le binocle : maintenant je pourrai mieux regarder les pseudo-parisiennes d'ici. Ombrelle rose et souliers à hauts talons. Tant pis pour toi

* Collection Expressionniste

 

Ivan (Lausanne) à Claire (Zurich) du 24/8/1918 MST p. 26

adresse :

Frau Liliane Studer Lausanne

Hadlaubstrasse, 15  24.8.18

Zurich 6 

 Minuit

Olympia au collier de sang,

 Puisque je dois t'écrire, 3 jours d'avance, quand je reviens, et puisque tu pourras venir me chercher, voici : Gare principale de Zurich, quai x. Une heure vingt de l'après-midi. Le 23 ème voyageur à gauche, juste derrière l'employé, c'est Xavier Wastrucktunich, père de sept fils illégitimes, tous à la guerre. D'ailleurs, je ferai signe.

 Depuis tu as dû aller chez les Bergner et tu as prié pour avoir du beau soleil. Bon appétit, même si ça sonne bourgeoisement, mais c'est en mari que je signe :

 

 Ton

 Rintintin

Au moins, ne flanque pas une gifle à Latzko ¹ qui est malade. Salue-le de ma part.

¹ Andreas Latzko (1876/1943) écrivain, sera dans le Comité Directeur de Clarté à partir d'octobre 1919

 

La maman d'Ivan, Rebecca Kahn (1867/1956) est arrivée dimanche 25 août 1918 à la gare de Lausanne avec son second mari (1909) le Prof. Daniel Kahn (1864-1936)

 

lettre d'Ivan (Lausanne) à Claire (Zurich) du 26/08/18  erreur 1917 ! MST p. 27/28 Hadlaubstrasse, 15   

Zurich 6 

 Ce matin 26 août (lundi)

Ma bien-aimée lointaine,

 

 Voici que je suis rentré dans ma chambre de Beau-Val avec la vue sur Lassalle (tu sais bien). Mais avec d'autres choses encore ! avec de rouges nuits de lune, avec colliers ambrés d'étoiles, avec les pommes acides et les figues vertes, en bas. Ce que j'éprouve est bien étrange. Je pense à toi, toujours seulement à toi.

 Hier, j'ai offert à ma mère une magnifique journée. Vraiment, je l'ai attendue à la gare comme une amante. Puis nous sommes montés, et tout de suite nous avons été nous promener dans les bois. Nous sommes arrivés au Centenaire, dont tu te souviens encore, et j'ai dansé deux valses avec Mère - elle n'avait plus dansé depuis 20 ans. Les premiers pas ont été un peu hésitants, timides, ensuite, cela allait mieux. Et à la fin, nous volions autour de la salle. Le "masque de Daniel" ¹, debout à la porte nettoyant sa pipe ! Je suis sûr qu'il était très jaloux : il n'y tint plus et il s'enfuit. Il resta de mauvaise humeur pendant un quart d'heure, bien que, d'habitude, il sache se dominer. C'était risible. Ensuite, sur le chemin du retour, je cueillis pour Mère quelques petites fleurs blanches, à un buisson, elles avaient l'aspect et l'odeur de myrtes sauvages. Elle se les mit, tout de suite, comme un bouquet de mariée, et dit qu'elle les ferait sécher. Elle n'avait pas été aussi heureuse depuis longtemps. Et pas un enfant au monde ne peut avoir de plus belles illusions. C'est à dire : ce n'étaient pas seulement des illusions, car

j'étais bien là. Le soir, chez Grégal. Beaucoup de femmes avec beaucoup de secrets. Une petite fille juive avec sa mère - je pensais à toi, tu as dû être ainsi le jour de tes seize ans. J'étais ennuyé, plein de curiosité et d'impatience, admirant surtout les cocottes, je restais tout à fait étranger aux regards masculins. Un solo de piano de Moussorgsky m'a beaucoup ému.

 Derrière moi, la nuit était suave. Je vivais avec toi. Je te jetais mes yeux bruns par-dessus la corne de la lune, et toi, encore couchée dans le crépuscule, tu les attrapais avec les éventails de palmes que sont tes doigts fervents. Et tu portais encore les petits rubans roses d'Uetli *. Oui, tu as même dansé dans la lune déjà décroissante.

 Hier soir, j'ai beaucoup souffert à cause de toi. J'avais peur qu'il te soit arrivé, de nouveau, quelque chose, une rencontre, peut-être chez Latzko ; peut-être n'étais-tu pas là-bas.

 Qu'as dit la Bergner ², a-t-elle été gentille ? Je t'en supplie, ne t'appuie pas tant sur les êtres humains que sur toi-même. Et tu sais bien que je suis tout près. Demain mardi, téléphone plutôt à Doralie ³. Fais-le. Je ne suis tranquille que lorsque je connais l'emploi de tes journées.

 Ecris-moi beaucoup. Travaille bien et crois au dévouement total de ton

 Iwan

¹ Daniel Kahn, professeur et beau-père d'Ivan

* Uetliberg près de Zurich

² Elisabeth Bergner, comédienne en vogue

³ Doralie Studer, sa fille d'un premier mariage

 

Ivan (Lausanne-Chailly) à Claire (Zurich) entre 26 et 29 août 1918 MST p. 28/29

Hadlaubstrasse, 15  

Zurich 6 Lausanne, St-François

 Chailly - midi

 

 Bien-aimée, tu as très tort. Tu te fais mal et tu fais mal à l'été, en gelant, en ayant l'hiver dans ton âme, mais tu me fais surtout mal, car je viens justement d'écrire l'Ode à l'été que j'avais annoncée ; je ne la trouve pas mauvaise, mais je ne l'ai pas encore recopiée, car je veux que tu la lises d'abord. Ici, le paysage est mille fois plus riche et plus beau que toutes les montagnes zurichoises, il est même plus intime que les souvenirs d'Ascona. Le château, - mon, notre château, - est le meilleur conte de fées de ma vie. Le matin, l'après-midi, le soir, je suis là-bas. A présent, on fauche le vaste océan doré des blés ; les gens qui s'y trouvent sont sombres, et rament avec leurs faux.

 Mais je t'apporte la nostalgie. Cela te fait peut-être sourire... Sentimentalité. Là-bas, je lis maintenant les lettres de jeunesse de Ch.-L. Philippe, des accusations empoisonnées contre les hommes, des choses merveilleuses, que tu devrais absolument traduire.

 Aujourd'hui, continué à bouquiner ; encore un classique, La Bruyère, qui a écrit des choses violentes sur l'homme et sur la guerre. Cela aussi, tu peux le proposer, il faut que ce soit traduit.

 Lausanne est coquette, assez petite, et quel grand rassemblement de femmes très belles (toutes à l'usage des brillants militaires, hélas). On croirait se promener dans un jardin, mais ne crois pas...

 S'il te plaît, dis à Mme Michel * qu'elle doit te faire de bons vêtements, et sache que tu dois bien manger et avoir bonne mine, sinon je me fâcherai. Mais, le puis-je ? Ah !

 Très vraisemblablement, je serai revenu jeudi soir au petit nid de mon alouette effarouchée et je m'en réjouis beaucoup.

 Ma mère est bonne et heureuse. Jeannette n'est pas oubliée

 Ivan

* logeuse des Goll

 

11 novembre 1918,

Goll fête l'armistice avec toute la colonie d'Ascona; Pour lui, pas question d'aller à Berlin. Redevenu Français dès la libération de la Lorraine, ses parents ont reçu son avis de mobilisation ; son pacifisme, son refus de porter les armes fut assimilé à de l'insoumission. Goll invoque des troubles mentaux. Grâce à Jung et des amis de Genève, un épais dossier fut constitué pour le soumettre aux médecins militaires français. Goll a décidé de rester en Suisse pour attendre la fin de l'engouement guerrier. Il propose pour la énième fois à Claire de transformer leur liaison en mariage …

Le 16 novembre 1918, il accompagne Claire Studer à la petite gare de Locarno. Elle part pour rencontrer à Munich Rainer Maria-Rilke à qui elle avait envoyé son premier livre de poèmes. De décembre 1918 à début mars 1919, Claire vit à Berlin et loge chez le Dr Emil Gombel (Berlin-W.Motzstr. 49, Gartenhaus).

Début mars, elle vient retrouver Ivan à Ascona.

De mi-juillet à fin octobre, ils vivent surtout à Zurich avec de courts séjours à Ascona.

 

Rainer-Maria Rilke - Ainmillerstrasse, 34 - dimanche 17 novembre 1918

Madame,

 A l'heure actuelle, les nouvelles que vous allez m'apporter de Suisse, me feront tout particulièrement du bien, mais ce n'est pas pour cela, que j'attends avec joie notre entrevue.

 Je suis depuis longtemps un ami de vos poésies : déjà votre envoi antérieur de Mitwelt m'avait touché infiniment, mais les circonstances de ces temps-ci m'ont empêché de vous exprimer mes remerciements réellement sentis. Et quel avantage immérité pour moi de pouvoir me racheter de vive voix.

 Hier, il était malheureusement trop tard, et, pour aujourd'hui, voici l'emploi de mon temps : attendant la visite d'un ami au courant de l'après-midi, je ne pourrai pas sortir, mais je serai ravi de vous recevoir chez moi. A votre choix, tout de suite après déjeuner ou vers la fin de l'après-midi, à l'heure du thé. Au cas où cette lettre deviendrait superflue par le fait que je vous trouve maintenant à l'hôtel, voulez-vous avoir la bonté de me dire au téléphone (33313) si je peux me réjouir de vous voir aujourd'hui.

 Votre très dévoué

 Rainer Maria-Rilke

Claire Goll : Rilke et les femmes, Falaize 1955 p.41/42

 

Rainer-Maria Rilke - Ainmillerstrasse, 34 - lundi 18 novembre 1918

Nul doute que je ne mettrai point un tel obstacle à votre venue. J'obéis, bien entendu, à la Madone noire et à vous, Liliane, il ne tiendra qu'à vous de m'indiquer demain les passages dans votre livre, qu'il me sera permis d'ouvrir plus tard.

 La petite Madone, dans son admirable mélange de simplicité et de splendeur a tout à fait l'air de pouvoir agir pour vous, puisque, dès hier soir, elle m'a apporté, en vous, tant de joie et de surprise.

 Quelle merveille, quand, pour une fois un cœur se lève sur vous, non seulement dans son premier quartier, mais tout de suite la pleine lune dans sa nuit la plus parfaite — non davantage : toute entière, sans son côté détourné.

 A demain soir

 Rainer Maria-Rilke

Claire Goll : Rilke et les femmes, Falaize 1955 p.43/44

 

Rainer-Maria Rilke -23 novembre 1918

 

 Merci. Tu ne cesses pas de me combler affectueusement. Je ne sais pas, encore, combien de temps je pourrai te donner aujourd'hui —, mais, de toute façon, je viendrai chez toi entre trois et quatre, pour te dire bonjour et j'espère pouvoir m'arranger, pour pouvoir passer avec toi un calme et profond moment.

 Bon jour

 Rainer

Claire Goll : Rilke et les femmes, Falaize 1955 p.44

 

Rainer-Maria Rilke - lundi 25 novembre1918

Hier, Liliane, hier je me suis énormément défendu contre toi — et pourtant j'ai été si heureux lorsque ta voix (qui au téléphone, semblait si proche et si peu altérée) rompit le silence.

 En revanche, veux-tu que nous nous appartenions demain toute la journée — à partir de 11 heures ½ — de sorte que tu pourras déjeuner avec moi — oui ? Arrange-toi !

 Que de fleurs je voulais t'envoyer ! Mais je n'ai pas le choix.

 Celui que tu ne nommes pas.

(Donc, demain, à onze heures et demie, devant le tableau !)

 

 FRERE ET SŒUR

 

Que de fois, avec quels soupirs

Nous sommes nous caressés paupière et épaule

La nuit se cachait dans les chambres,

Animal vulnéré, endolori par nous.

 

Etais-tu l'élue entre toutes,

N'était-ce pas assez d'être ma sœur ?

La vallée de ton être me berçait.

A présent penchée de la proue du ciel.

 

En une apparition inexhaustible

Tu t'empares de moi. Où fuir ?

Avec le geste des pleureuses

Tu t'inclines vers moi, inconsolante.

 

Et, malgré cette douleur sombre

Ne perdons pas la direction des larmes.

Que sais-tu si nous souffrons des délices

Ou si la douleur bue nous illumine ?

 

Crois-tu, éplorée qu'un renoncement

Soit plus douloureux que le don de soi ?

Quand la horde des ressuscités

Nous aura séparés, nous, redevenus deux,

 

Par la fanfare qui fera revivre,

Jaillirons de la pierre renversée.

Ah combien mon étrange volupté pour toi

Paraîtra innocente aux anges.

 

Car elle aussi participe à l'esprit,

Le rayonnement qui brûle et chante.

Alors, tu m'aideras à tomber à genoux

Près de toi-même, ma voyante.

 A l'heureuse Liliane /

 cette page de la soirée d'hier

Claire Goll : Rilke et les femmes, Falaize 1955 p.45/46/47

 

De décembre 1918 à mars 1919, Claire vit à Berlin et loge chez le Dr Emil Gombel (Berlin-W.Motzstr. 49, Gartenhaus).

 

Rainer-Maria Rilke - dimanche 29/12/1918

 Dimanche, 29.XII.1918

  Vois-tu, vois-tu, toute écriture m'est tellement insurmontable que je n'arrive même pas à écrire :

 Liliane —,

 Bien que je ne puisse devant moi poser une page blanche sans que ton reflet de feu y tombe. Ai-je vraiment allumé en toi un tel brasier ? Un tel incendie du cœur ?

 Chère enfant, et tu te sens rappelée en arrière, vers moi, au lieu de te jeter plus en avant, dans l'espace, qui pourtant t'attire, malgré cet élan, oui, tout élan vers moi.

 Et te voilà maintenant auprès de ton amie inconcevablement belle, débordant en elle, pleine comme tu es de moi. Je pense avec un saint effroi que je me suis mêlé à vous, dis-lui surtout que je me fais léger, léger en toi, pour ne la toucher qu'avec ce qu'il y a de plus divin en moi dans ton étreinte.

 Ne crois pas que j'ai passé Noël tout à fait sans toi ; ta plainte était injuste et tu l'as vite effacée par une consolation.

 Je ne suis pas encore en possession des objets que tu m'annonces ; mais je les attends avec une joie merveilleuse.

Un petit cadeau qui t'est destiné, sera en retard, peut-être d'une semaine, de deux —, il devait être réparé, et cela prend maintenant du temps. Auras-tu la patience ? — A peine puis-je t'imaginer patiente, sauf, quand je pense à ce silence au fort de ta tendresse.

 Veux-tu savoir, qu'il y a dans ma salle à manger, un petit arbre scintillant d'argent et même, un second devant le sofa dans mon cabinet de travail —, Rosa ne s'est pas laissée dissuader de faire ces arrangements.

 Bénis en ton cœur cette année pour moi, Liliane, et quand ce sera fait, souhaite-moi la calme, l'avenir et la nature : ces trois.

 Lorsque le soir dans l'obscurité, j'étends les bras et ouvre les paumes, j'éprouve, à leur surface, la sensation de ton châle espagnol. Et, de plus en plus, je suis persuadé que ce châle n'est rien autre qu'un tissu ensorcelé, qui a conservé mélancoliquement et tendrement un frôlement de ton corps avec une nuit.

 Rainer

(Claire Goll : Rilke et les femmes, Falaize 1955 p.48/49/50)

 

 1919

 

Rainer-Maria Rilke - 2 mars 1919

 J'ai honte, Liliane, d'avoir si peu exagéré, en te promettant, à première vue, un long silence;. En effet, il est devenu une belle continuité et je ne l'interromps que pour le rythmer un peu. — D'ailleurs, j'ai à te remercier pour tes nombreux envois : avant tout pour les livres nettement résolus d'Ivan Goll.

 Quant à Duhamel et Elie Faure, je ne pouvais pas les lire maintenant, il m'est impossible de revenir sur les événements des dernières années, non pas que je veuille les oublier, ils seront toujours une sorte d'impulsion vers l'avenir, mais il n'y a que lui que je veux voir, l'avenir, aussi peu transparent qu'il soit.

 J'ai classé de belles poésies avec d'autres belles poésies de toi,

... aujourd'hui, j'ai aussi reçu le catalogue de l'Exposition Rodin au Kunstverein de Bâle : autre conséquence de ta sollicitude pour moi. Bien qu'il ne contienne pas, comme je l'espérais une reproduction du buste du Pape, j'y ai trouvé plusieurs dates qui me rendront service.

 Pour persévérer dans mon immodestie, pourrais-je encore te demander de me procurer le nouveau Maeterlinck (de 1917) : L'Hôte Inconnu : veux-tu ?

 Mes dettes envers toi doivent être déjà importantes.

 Les livres de Duhamel et de Faure sont probablement de ta bibliothèque, je te les rapporterai avec ton châle, que j'ai conservé : c'était pour moi une fête de veiller à ce qu'il ne se perdit pas.

 Mais quand te l'apporterai-je ? Impossible à prévoir.

 Ma porte est constamment fermée, je vis en compagnie de quelques grands livres, qui, s'ils ne sont pas près de mon esprit, m'apportent pourtant la méditation de quelques hommes remarquables, en rapport avec mon propre moi.

 A présent, je te crois toutes les fleurs, car ici également, il y a déjà des touffes de perce-neige, et, la semaine passée, on m'a envoyé des roses et, peu de jours auparavant, quelque chose d'encore plus étonnant : des oranges.

 Choses, dont toi, privilégiée, n'as jamais cessé de t'entourer.

 Ceci n'est pas presqu'une lettre ?

 (Mais en effet, c'est dimanche.)

Claire Goll : Rilke et les femmes, Falaize 1955 p.50/51/52/53

 

Rainer-Maria Rilke - samedi 22 mars 1919

 Seul, ton merveilleux châle a été oublié chez moi, Liliane, mais ni la robe de soirée, ni la lettre. J'ai demandé à Henriette Hardenberg de t'envoyer la lettre, (car, c'est chez elle, je suppose que tout est resté).

 Tant de temps a-t-il passé que tu aies pu être malade pendant des semaines entre les signes de vie que j'ai reçus de toi ? Puisse le jardin faire fleurir ta reconvalescence.

 Je viens de recevoir le Maeterlinck, je suis en train de le lire et, cette fois, je ne doute pas qu'il m'appartienne : en y inscrivant mon nom, tu me l'as offert.

 Décide maintenant toi-même, s'il vaut la peine de m'envoyer le nouveau Barbusse, s'il a de l'importance pour moi. Il n'a sans doute pas été possible d'avoir des nouvelles de Charles Vildrac ?

 Ci-joint un petit échantillon de traduction, extrait de mes exercices pour Michel-Ange.

  Rainer

Claire Goll : Rilke et les femmes, Falaize 1955 p.53/54

 

Rainer-Maria Rilke - Munich, Ainmillerstrasse, 34 - 2 avril 1919

 

 D'une neige profonde (qui s'est accumulée ici continuellement pendant quatre jours et nuits) cette page s'envoie vers ton printemps déjà plus assuré, Liliane, ainsi que tu le prévois, non sans une nouvelle prière.

 On a offert à Friedrich Burschell, pour sa revue, quelques traductions de Francis Jammes, dont les originaux semblent se trouver dans un livre, qui s'appelle : Prières du temps de guerre ou approximativement ; il importerait à Burschell de les comparer avec les originaux et ce sera pour moi un plaisir de les connaître. Peux-tu faire cela pour nous ?

 Ivan Goll a-t-il traduit de Mallarmé : Eventail de Mlle Mallarmé, auquel je me suis attelé ici ? Consentirait-il à échanger sa traduction contre la mienne ?

Propose-le lui.

 Et reçois mon plus affectueux souvenir.

 Rainer

(Claire Goll : Rilke et les femmes, Falaize 1955 p.57/58)

 

 

Ivan et Claire arrivent à Paris le 1er novembre 1919



[1] née à Nuremberg le 29 octobre 1890, fille de Joseph Aischmann et de Malvine Further, domiciliés à Munich, Hannhauserstrasse 19, divorcée de Henri STUDER, depuis le 27 mars 1919, domiciliée 27 rue Jasmin. Il n'a pas été fait de contrat de mariage. en présence de Joseph Rivière, homme de lettres, et de Adrienne Pompont, épouse Rivière, sans profession, rue Ramey, 59, témoins majeurs....en la mairie du XVI F arrdt.

[2] Iwan Goll Claire Goll Briefe, Florian Kupferberg Verlag, Mainz/Berlin . Une nouvelle édition : Claire Goll & Iwan Goll " Meiner Seele Töne " paraîtra chez Scherz en 1978, avec notes et commentaires de Barbara Glauert . c’est cette seconde édition que nous prendrons ici comme référence en utilisant les 3 initiales M.S.T.. La version française, traduite sous le contrôle de Claire Goll, se trouve à la Fondation Ivan et Claire Goll de Saint-Dié-des-Vosges (S.D.d.V.). Elle est à ce jour inédite.

Meiner Seele Töne : Les sons de mon âme est le titre choisi par Barbara Glauert-Hesse pour cette correspondance . Il est extrait de ce télégramme d’Ivan Goll à Claire

du 20/7/1932  MST p.106

Ehrwald 20 - 07 – 1932 - Claire Goll - 19, rue Raffet, Paris

Les sons de mon âme t’appartiennent. Mes doigts ne sanglotent que pour toi . Seule la mort délivre du " serment Chopin ".Personne ne sait que je joue de la mandoline .Mandolinete

 

[3] Stefan Zweig : Journaux 1912 - 1940, édités par Knut Beck et traduits de l’allemand par Jacques Legrand (Ivan Goll p.278, 281, 282, 287, 465 — Claire Studer 282, 287, 450. ) Belfond, 1986 

 

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3 décembre 2008

Goll vu par d'autres poètes

Sites Goll sur Canalblog.com :

http://www.yvangoll.canalblog.com

http://www.gollyvanetclaire.canalblog.com

http://www.yvanclairegoll.canalblog.com

http://www.claireetyvangoll.canalblog.com

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http://www.goll1919.canalblog.com

http://www.anthologiegoll.canalblog.com


Bosko Tokin : Evropski Pesnik Ivan Goll (Ivan Goll - Poète européen) :

Bosko_Tokin

"Si Goll n’était pas parvenu jusqu'à la poésie cinématographique, il serait resté inaccompli. Son expressionnisme était une chose d’affaires. Maintenant il est accompli. Nous cherchons le style qui doit exprimer l’unité de l’esprit, qui doit être d’origine cosmique et exprimer l’âme cosmique. Ce style cosmico-expressionniste doit être simple et complexe comme le style de Chaplin lui-même.

(Avec Goll, s’est produit ce qui s’est passé avec beaucoup d’autres. Il n’aimait pas le cinématographe et s’étonnait de mon enthousiasme. Quand pour la première fois en 1919 il est arrivé à Paris, je l’ai amené voir Chaplin, Fairbanx et d’autres encore. Et il s’est mis à aimer le cinématographe jusqu'à chanter aujourd’hui la "Chaplinade ").

 Charlot a en lui quelque chose d'un Nouvel Orphée, qui doit faire taire les chacals de la civilisation et du Christ. Et réaliser certains moments utopiques. Charlot possède ce que Félix désirait. Il est simple, naïf, bon, proche de chaque homme.

 Voici la pièce: l'image de Charlot est sur toutes les affiches qui peuplent la ville. Tous les passants sont heureux quand ils le voient. "Il est le miroir de tous". Un jour il descend de son affiche et il est suivi par tous les Charlots détachés de toutes les autres affiches. Tous les Charlots de la terre marchent et à la fin ils sont plus nombreux que le public. Il est multiplié. Enfin il réussit à s'échapper et de nouveau reste seul.

"Chaque vainqueur est seul".

Il est le poète comme Félix et tous les autres personnages des ouvrages de Goll qui parlent toujours de la situation du poète d'aujourd'hui. Charlot va chercher le Mont Parnasse. Voyage dans les Alpes. "Son oeil triomphal fait tout divin". "Saint Charlot d'Assise" médite sur le destin:

"Ce qu'il y a de pis dans mon malheur c'est quand personne n'est responsable.

Alors l'homme invente sa destinée".

Il va dans le désert, écoute avec un appareil les entrailles de la terre et toutes les voix du monde. Sur la scène elles seront reproduites par un gramophone. Charlot écoute: 

"Bülow 8736 (Avez-vous le petit Koon? ) Merci (Un jour viendra Arip) (huit, huit non sept! ) S’il vous plaît ces places pour le cirque 37-21, 37. (J’ai dit: On ne peut pas dire cela. Courfou est une île sans...Donne-moi les culottes roses. 1815.Napoléon est...) Sur le film on voit un paysage hollandais au bord de la mer. Les chevaux lourds traînent le fardeau. Usines. Le gramophone continue : Le style de Flaubert est un bluff (2500% pour les actions téléphoniques) Bummelzug (Mon nom est Christ) La, la, la petite femme EVA-AG! Non, non, demain est mieux (Bétail) oui, oui, (Mon érotique n’est pas...) Charlottenburg... "

Charlot se demande "est-ce tout ce que pense la terre "? Le film change. On voit Marseille. Tous sont affairés. Nouveau monde et nouvel ordre. Celui-ci socialiste. Quelque part il est écrit: GARDEZ LES CERVEAUX. INSCRIVEZ-VOUS DANS DENKE VEREIN! Charlot est reconnu. Un leader s’agenouille devant lui: "Ave Charlot"! La foule le porte en triomphe. Il s’enfuit encore. Toujours seul, "Charlot reste Charlot à sourire, grimacer et ricaner ":

"J’ai trop de vies en Europe et en Amérique

Paris, New-York, et tous les villages rient

et pourtant je suis triste comme un prophète ".

Le voici de nouveau devant une colonne. Le colleur d’affiches l’aperçoit et impitoyablement le colle au mur. Les passants passent. Il sourit de nouveau. 

Je l’ai dit. Charlot est en même temps le Don Quichotte moderne, et un Aristophane de notre époque, et Orphée et martyre. En effet, le comédien génial des faiblesses humaines est aimé par tous les gens. L'utopie et le comique sont unis ici dans la vérité éternelle que les hommes qui appartiennent le plus au monde sont toujours seuls. Il y a toujours chez eux quelque chose qui est étranger au monde, qui est au-dessus du monde. Quelque chose qui dépasse la raison., une sorte de "communisme de l’âme " en eux comme en Charlot. Leur grandeur est en cela qu'ils sont grands et petits par rapport à la raison. Ils appartiennent à eux-mêmes et au monde. La tragique comédie.

 La Chaplinade inaugure une nouvelle époque de l'art : celle de la poésie cinématographique. La base cinématographique est le MOUVEMENT. Il est à la base de chaque art. Ils sont très peu nombreux ceux qui ont réussi à penser cinématographiquement-poétiquement. Ils sont peu ceux qui ont vu les nouvelles possibilités du nouvel art. Goll est l'un des premiers. Il y a du clair-voyant en lui.

Bosko TOKIN (Du livre en préparation : Réalisators ) 

Zenit, Année I, n°1, p.5-9. Zagreb, Février 1921) (Traduction du serbe par Branko Alecsic)

Cette biographie en langue serbe d'Ivan Goll p.5 à 9 est en tout point remarquable, l'analyse est basée sur une parfaite connaissance des oeuvres. Bosko Tokin, poète et essayiste serbe, auteur d'un "Manifeste de l'Expressionnisme ", publié à Belgrade, est lié en amitié avec Goll qu'il a connu en Allemagne, et qu'il a retrouvé à Paris en 1919

JOSEPH DELTEIL : Dans Paris qui brûle .

Les trois personnages de luxe, Orphée, la Sirène et Ivan Goll, jonglent dans le coeur de Paris avec des plumes et des caractères d’imprimerie, une poule avec deux mâles, je veux dire 5 grammes de mélancolie avec 10 grammes de sens moderne, forment à mon gré le mélange le plus explosif du monde. Il y a un prunier:

 Un prunier

 Fait le sentimental,

 Avec ses larmes violettes,

et il y a des millions d’autobus. Ce serait dans le royaume d’Armide une tour Eiffel avec des stalactites et des stalagmites à foison. Ivan Goll est dans l’ascenseur, et il encense la terre avec le crâne de Charlie Chaplin. Cela fait une Chaplinade qui vaut bien la Franciade, la Henriade, etc.…Que si un roitelet avait des ailes de condor, il laisserait ainsi choir des plumes infiniment pâles au dessus de la Cordillère des Andes. Mais Charlot réside à Los Angelos, dans un bouquin aux seins blancs, avec le souvenir d’Ulysse, de Charybde et de Scylla.

 Le premier oiseau                                                                                                          

         Tombé dans mon coeur

 A chanté les airs d’Aïda                                                                                                                                 Sur un violon de violette. 

Ce n’est ni un aigle ni un merle, ni un canari, mais peut-être un aéroplane, ou sans doute quelque enfant du Ciel. L’oiseau de violette becquette tout le long du jour le violon de mon cœur .Passe-t-il un soldat d’argent, il le blesse du crâne à l’orteil .Je suis imberbe et prêt à rendre les armes, oui prêt à rendre l’âme. Quelqu’un parle d’un ton militaire sur du papier de Lafuma.

 Une balle d’or                                                                                                                                                 Est tombée dans mon coeur.

O cruel mélange! Eau et Feu! Ce qui me désaltère me dissout, et ce qui m’agrège m’affame. Je vois en pleine piste venir Henry Dalby ceint de Marguerites et de planètes. Cosmos joue avec un instrument de rosée, et les oreillettes d’Aldebaran communiquent avec les ventricules d’un ver de terre et au centre, la veine porte.

 O ivresse du vaste monde plus illustre que les vins de Bourgogne et d’Alcantara! O chaleur! O lumière! et vous, électricité, qui unissez le minéral à l’homme, et le baobab aux chiens de la lune! Mathusalem me délivre une Assurance contre le Suicide, et l'Edition du Matin annonce que Paris brûle.

Des gestes se lèvent à l’orient du côté de la Belle de Nuit et se couchent au sommet des Alpes. Ivan Goll se balade tout nu sur la Promenade des Anglais. Et moi, je songe à vous, Ivan Goll, Homme du Matin qui venez avec des poings et des mandolines, Homme ivre et chaste qui savez rouler vos muscles sous la peau et cueillir des filles de joie! Votre livre est une omelette qui m’assassine et me fait pareil à quelque forgeron couché sur son enclume morte. Mais si …

 La rose avait cent mille bouches combien d’hippopotames rangés en bataille marchent à travers la plaine sèche et couverte d’ossements et de boutons d’or ? L’Astral m’appelle et l’Assassin frisé me sourit sans relâche, jusqu’à ce qu’enfin

 Monsieur Saturne

remonte dans son auto bleu pâle, jusqu’à ce qu’enfin Ivan Goll me tende sur un plateau de fer trois violettes et la Tour Eiffel .

La revue Européenne I ère Année n°5 - 1er Juillet 1923 p.71 à 73.

Maurice Betz :

Le Nouvel Orphée

Poésie rapide, pressée, haletante. "Nous n'avons pas le temps d'être Grecs" s'écrie Ivan Goll en s'adressant à ses personnages, qui sont : Charlot-poète, échappé de l'écran, Mathusalem ou l'éternel bourgeois, l'Européen-de-culture-moyenne, redingote, raie à droite, le docteur Billard, conférencier et martyr de l'humanité : le Nouvel Orphée... de tous le plus séduisant et le plus sympathique. Poète à transformations comme Charlot, il franchit les pires trappes sans se rompre le cou, accompagne aux pianos des cinémas les douleurs fatales, frappe aux concerts d'abonnements les âmes comme des pièces d'or, fait ricocher les images ainsi que des cailloux plats et, à chaque coup de chapeau, découvre son génie aussi évident qu'une calvitie...

Ivan Goll qui avait déjà présenté dans Cinq Continents "anthologie mondiale de poésie contemporaine " 150 poètes (et beaucoup plus de mots) en liberté, se devait de se faire l'imprésario de cet Orphée des temps modernes qui est en quelque sorte l'archétype de ses 149 confrères...

Poésie lyrique, film, théâtre : les trois genres tantôt se succèdent, tantôt se chevauchent ou semblent tout près de se confondre: Mathusalem, le docteur Billard sont des fantoches grotesques dont la déformation touche au fantastique . Paris brûle, Le Nouvel Orphée, Astral, de nouveaux exemples de ce genre cinématographique où Blaise Cendrars et Philippe Soupault excellent, dont les changements de plan imprévus font le charme un peu aveuglant et où chaque image semble une fausse alerte habilement ménagée au lecteur …

Et c'est peut-être en ce mélange un peu équivoque de complainte foraine, de bruyantes parades, de clowneries grimaçantes, de dévotion à Notre-Dame du sleeping-car, de compassion humaine et d'imperceptible romantisme — à quoi vient s'ajouter encore tout un attirail d'images et de vocabulaires sportifs et commerciaux — qu'il faut chercher le secret de la poésie d'Ivan Goll ". Maurice Betz.

Les Nouvelles Littéraires 2ème année n° 54 - Samedi 27 octobre 1923 p.3 avec photo - portrait d'Ivan Goll

Paul Fierens :

La Poésie, " Les cinq continents " par Ivan Goll

....N'y sont copieusement représentés que les écrivains prophétiques, annonciateurs de civilisations nouvelles, tous ceux dont Walt Whitman et les futuristes italiens restent les précurseurs, les classiques....S'agit-il de démontrer que l'art s'internationalise et que le libre échange préside à ses transactions ? ...Ceci dit, admettons provisoirement que l'Américain Carl Sandburg soit mieux coté que le Français Paul Valéry. "Pas un seul grand poète en Europe" déclare le recruteur pour qui Claudel et Valéry Larbaud semblent ne pas exister....Les civilisations avancées ont-elles les artistes qu'elles méritent? ... Les révolutionnaires russes, empêtrés dans l'idéologie, sont moins intéressants que nos plus médiocres poètes patriotiques. Quelques Américains expriment de façon neuve et directe la beauté d'une vie féroce aux gestes courts et mécaniques. J'ignorais cela. M. Ivan Goll nous apprend tout de même bien des choses. Il faut l'en remercier bien sincèrement ".

Paul Fierens. p.95 et 96

La Nouvelle Revue Française -10 ème année n° 118 - 1er juillet 1923

Paul Fierens :

Le Nouvel Orphée

Vulgariser ne signifie pas toujours rendre vulgaire et beaucoup de grands poètes sont des vulgarisateurs de génie. Qui ne peut dominer l'époque la subit ; qui ne peut déchaîner l'orage fait office de baromètre, de sismographe. Le Nouvel Orphée enregistre les mouvements de l'atmosphère et les ébranlements de l'écorce terrestre ; sur le papier s'inscrit, en ligne brisée, un schéma de montagnes russes, bolchévisantes.

 Ivan Goll a bon estomac. Nous l'avons vu digérer sans effort la poésie des cinq continents. Il eût pu, on l'a fait valoir non sans malice, rédiger lui-même les trois-quarts de son anthologie mondiale ; en revanche, le Nouvel Orphée se présente un peu comme une œuvre collective, un recueil de morceaux choisis. Dis-moi qui tu hantes....Ivan Goll est un "moderne", un "Européen", un disciple de Jarry, d'Apollinaire et de Charlot. Quand Jean Epstein écrivit sur la poésie d'aujourd'hui son livre bien scientifique, soupçonnait-il qu'un Ivan Goll lui donnerait à ce point raison?

« Les matins vieillissent vite », ( oui, il y a dans le Nouvel Orphée de ces trouvailles) et comme il est midi cinq, Ivan Goll a tout ce qu'il faut pour déplaire à la plupart d'entre nous. J'ai lu cependant Mathusalem, Paris brûle,  et nombre de télégrammes-poèmes insérés dans Editions du matin,  avec une véritable allégresse. Qu'on se laisse porter, bercer, secouer par ces vagues de tôle peinte ; qu'on s'incline au virages de ces toboggans bien machinés. On s'en tire sans courbatures ; on s'y divertit franchement.

Paul Fierens  dans La Nouvelle Revue Française - n° 126 - 1er mars 1924 p.358/359

Jean-Daniel Maublanc : 

IVAN GOLL ET LA POESIE INTERNATIONALE

Si l'histoire politique demande parfois le recul d'un demi siècle pour se dégager et prendre les apparences de la vérité, l'histoire littéraire, qui reflète des passions aussi ardentes et enregistre des bouleversements spirituels aussi profonds, demande les apaisements séculaires pour fixer les figures et situer les oeuvres. Mais, de même que l'histoire politique se constitue au jour le jour par l'accumulation des faits et l'élan continu des forces nouvelles, de même l'histoire littéraire s'inscrit au fil des ans selon le rythme des créations intellectuelles, chaque auteur apportant à l'édifice de la petite pierre de son talent, parfois l'airain de son génie. Il arrive, dans l'une et l'autre histoire, que des révolutions ébranlent l'édifice tout entier, que certaines personnalités s'inscrivent en lettres capitales et éclaboussent, des poussières qu'elles déplacent, un siècle de patiente harmonie et de laborieuses acquisitions. Notre début de siècle aura connu des bouleversements de tous ordres et dans tous les domaines mais si, conduits sans conviction et mal soutenus des élites, les bouleversements politiques s'amenuisent et s'orientent vers une stabilisation franchement régressive, les révolutions littéraires, après avoir consolidé d'immenses et fructueuses acquisitions, s'installent en conquérantes dans les domaines de l'esprit.

  On pourra dire que le XX ème siècle aura consacré la mort des vieilles écoles et qu'une nouvelle poésie - la seule vraie poésie pour certains -, est née avec lui. Le cubisme, Dada, le surréalisme - le vrai et l'autre -, figureront, dans le débat, l'extrême gauche réalisatrice et, parmi ces cohortes à gilet rouge et "stylo entre les dents ", Ivan Goll m'apparaît déjà comme un chef résolu, fier d'une doctrine qu'il a enfantée, nourrie de son talent et de son coeur. L'avenir fera la part de son activité et de son oeuvre, il m'a semblé bon d'en fixer dès maintenant le témoignage.

Il est incontestable que nous vivons actuellement quelques heures capitales de l'histoire humaine, les vieilles hiérarchies s'écroulent, prennent peur, tentent d'endiguer le flot nouveau.

La grosse erreur de notre époque fut de donner à la bourgeoisie cette prédominance bestiale, expression d'un désir immodéré de jouissances et de réalités matérielles. N'en incriminons pas forcément l'argent, mais bien cet état d'esprit qui donne au ventre la maîtrise et laisse à la pourriture les valeurs spirituelles. C'est sur ce fumier qu'a fleuri la digitale Dada. Les dadaïstes étaient intelligents trop, sans doute, puisqu'ils poussèrent leur système à l'absurde ; ils étaient des bourgeois au sens vulgaire du mot ; mais, révolutionnaires d'instinct, ils rêvaient le renversement total des idées reçues et la table rase des acquisitions antérieures. Partis d'un point de vue défendable ils se contentèrent de renverser sans construire, car l'illogisme était leur acte de foi, la confusion, la caractéristique essentielle de leur mouvement. Fiers de se contredire toujours, ils réunirent à démontrer qu'ils n'étaient rien et ne pouvaient rien être.

Le mouvement Dada ne fut qu'une convulsion, une mode fugitive, une attitude pour milieux snobs.

Comme nombre des jeunes gens d'alors, Ivan Goll n'ayant rien de commun avec certains hommes dont le poil est gris aujourd'hui, a participé au mouvement Dada en tant que manifestation révolutionnaire humaine. Comme les dadaïstes, il a toujours été du côté de ceux qui voulurent jeter bas les vieilles ruines qui encombrent l'Europe et bouchent notre horizon. En cela, il se rapproche plus, à mon sens, du cubisme extrêmement réalisateur et constructif d'un Cocteau. Mais après, quelques, tournois sonores, à l'âge où tout paraît possible, il s'est aperçu que les pierres moisies risquent de tomber sur la tête (Cocteau n'a-t-il pas ruiné ses forces à essayer de soulever les mondes ? ) et il a pensé qu'il valait mieux laisser les musées à leur place et construire sa petite ville à côté. Il ne manque pas d'espaces incultes et de vallons fleuris sur cette terre. En sorte que les traces de Dada qu'il nous est possible de trouver dans les premiers vers d'Ivan Goll ne sont sans doute que des manifestations d'un esprit affranchi et non fonction d'une doctrine. Je dirai tout à l'heure ce qu'est le surréalisme d'Ivan Goll. Ses poèmes d'aujourd'hui différents pourtant des poèmes de jadis - sont tout aussi libres qu'eux et son surréalisme (car c'est la véritable doctrine à laquelle il se rattache) était en substance aussi bien en 1920, en 1924 qu'en 1929 dans son oeuvre. La théorie érigée dans le premier numéro de son éphémère revue (numéro premier et unique) n'était qu'une simple déclaration, une définitive mise en règle de ce que lui avait appris 1'exercice de son art. 

Mais, direz-vous, le surréalisme d'Ivan Goll n'est donc pas le surréalisme orthodoxe et dictatorial qu'on nous prêche aujourd'hui sous les plafonds du " Radio " ? Si je veux examiner la question d'une certaine hauteur - et mettant à profit le recul de quelques années - je résumerai ainsi la différence entre les deux Surréalismes : 

 Toute poésie a besoin d'ailes, pour arriver à imiter les oiseaux qui nous sont supérieur, par la volonté de Dieu. Les surréalistes, groupés autour de Breton, empruntent leurs ailes au rêve, à l'inconscient, au fonctionnement obscur et étrange du cerveau. Le surréalisme de Breton, pour lequel Freud est la Muse nouvelle, relève plutôt de la psychiatrie. Le surréalisme d'Ivan Goll, directement issu de Rimbaud, Laforgue et Apollinaire, puise son extase et son haut, au coeur, au sentiment, à l'ivresse obscure de l'amour de toutes choses. Pour l'un comme pour l'autre, l'art " échappe à toute préméditation ". " C'est un événement de la Nature. Naissance spontanée " (Delteil). Et puisque Dieu, ou la force animatrice et créatrice des Mondes, est le point de départ des deux doctrines, on peut dire que, manifestement divergentes, il existe sûrement un point où les théories se rencontrent.

Yvan Goll avait déjà publié quelques oeuvres importantes quand il fonda la revue " Surréalisme " dont le premier numéro, paru le premier octobre 1924, n'eut pas de suite, 16 pages, sous couverture illustrée par Robert Delaunay. Au sommaire : Guillaume Apollinaire, Marcel Arland, Pierre Albert-Birot, René Crevel, Joseph Delteil, Robert Delaunay, Paul Dermée, Jean Painlevé, Pierre Reverdy. La couverture annonçait la fondation d'un " Théâtre surréaliste " avec programme monstre, metteurs en scène russes, autrichiens, italiens et un français : Gaston Baty. Mais, pour vivre et durer, Revue et Théâtre cherchèrent un Mécène. Personne n'ayant ouvert sa bourse, Revue et Théâtre moururent aussitôt que conçus. Qu'importe, le sillon était tracé, la moisson devait mûrir, malgré tout. 

"La réalité, écrivait Ivan Goll dans son manifeste, est la base de tout grand art. Sans elle, pas de vie, pas de substance. La réalité, c'est le sol sous nos pieds et le ciel sur notre tête. Tout ce que l'artiste crée a son point de départ dans la nature... Cette transposition de la réalité dans un plan supérieur (artistique) constitue le Surréalisme. Le surréalisme est une conception qu'anima Guillaume Apollinaire, qui avec le matériel élémentaire des phrases et des mots de la rue faisait des poèmes... Seulement, avec ce Matériel élémentaire, il forma des images poétiques. L'image est aujourd'hui le critère de la bonne poésie. La rapidité d'association entre la première impression et la dernière expression fait la qualité de l'image... L'image est devenue l'attribut le plus apprécié de la poésie moderne... L'art est une émanation de la vie et de l'organisme de l'homme. Le surréalisme est un vaste mouvement de l'époque. Il signifie la santé... retrouve la nature, l'émotion première de l'homme, et va, avec un matériel artistique complètement neuf, vers une construction, vers une volonté. "

Le surréalisme, enfin " sera international, il absorbera tous les ismes qui partagent l'Europe, et recueillera les éléments vitaux de chacun ".

C'est sur le plan international que se détache avec le plus de netteté la personnalité littéraire d'Ivan Goll. Esprit cosmopolite, humanitaire, pacifiste, il chante la fraternité des races et l'abolition des frontières. Sa première grande oeuvre naturellement méconnue, "Les Cinq Continents "anthologie mondiale de la Poésie contemporaine (La Renaissance du Livre, 1922) est un essai de collaboration simultanée de toutes les races intéressant tous les individus. Ce n'est sans doute pas une anthologie complète, mais c'est le livre idéal de l'Européen de 1923 que pouvait se représenter l'auteur, achetant ce livre dans une gare quelconque. Livre subjectif, unilatéral, partial et certainement systématique, mais si plein de vie, si mugissant des cris de la terre, qu'il aurait mérité le grand succès et une place de choix dans le coeur des poètes.

" Une mappemonde sur une table de travail est le plus beau jouet et le délassement le plus doux que l'on puisse trouver. L'homme oublie sa tristesse quotidienne en parcourant d'un doigt rêveur le Globe qui contient tout. Navigateur de l'infini, pendant cinq minutes, il va se reposer dans un paysage lointain... Pour découvrir dans des pays inconnus les véritables valeurs, c'est aux poètes, qui sont des prophètes, qu'il convient de s'adresser en premier lieu ". Et, durant trois années, aidé par une cinquantaine de traducteurs de toutes langues, Ivan Goll a lié cette gerbe de jeunesse et de vérité. Voici les Américains (Carl Sandburg, Edgar Lee Mastera, Vachel Lindsay, Amy Lowell, James Oppenheim, etc...) Les Anglais (Richard Aldington, F.-S. Flint, T.-S. Eliot et John Rodker) les Irlandais (James Stephens, Padraic Colum). Les Français - et cela donne aux lecteurs l'idée générale et la tendance de l'ouvrage - sont représentés par Guillaume Apollinaire, Blaise Cendrars, Jules Romains, Max Jacob, André Salmon, Jean Cocteau, Ivan Goll, Pierre-Albert Birot, Philippe Soupault, Nicolas Beauduin. Je suis assez surpris de voir Paul Valéry compléter cette liste.... Nicolas Beauduin y figure sans doute comme résurrecteur du vieux paroxysme... mais alors, pourquoi refuser à Paul Dermée et à Verhaeren un fauteuil en la section belge, où je ne vois figurer que Franz Hellens, Paul Neuhuys et Wies Moens ? L'Italie futuriste et cubiste avec Marinetti en tête, l'Espagne (Ramon Gomez de la Serna, Juan Ramon Jimenez, Antonio Machado, etc...) et la Catalogne, séparatiste (Engeni d'Ors, Alfons Maseras, Salvat Papasseit) complètent, avec quelques Mexicains, Nicaraguens, Péruviens, Chiliens, Argentins, Portugais, Grecs et Roumains, cet important groupe Latin qui me semble avoir la tâche la plus dure pour secouer les rudes remparts du moyen âge et brûler les vieilles grammaires. Le groupe germanique (allemands, autrichiens, hollandais, suisses, suédois, norvégiens, danois et finlandais : 23 poètes a toutes les tendresses d'Ivan Goll, mais si le groupe slave (21 poètes) m'effraie un peu par ses cris sauvages et ses visions incandescentes, j'aime à relire les tendres, douloureux, purs et naïfs poèmes des Vieux Peuples orientaux. Les japonais (l'Empereur Moutsou-Hito, Nico D. Horigoutchi, Rofu Miki, Shira Tori, etc...) les Chinois, sont de merveilleux, d'incomparables inspirés. Leurs oeuvres sont des violettes toutes simples cueillies le long de la grand-route humaine, mais si parfumées, si tendres de rosée, que l'âme en est toute bouleversée. Et voici les Hindous représentés par Rabindranath Tagore, les Juifs - avec inévitable pogrome -, les Turcs, les Arméniens, les Indiens, enfin les Nègres, instincts à leur première aurore, poésie directe, intense, vraie... Je connais nombre de Poètes modernes. Dix à peine ont eu en mains "les Cinq Continents", trois possèdent l'ouvrage et l'ont lu.. Navrant.

Entrons désormais dans les champs poétiques d'Ivan Goll. Quelques poèmes dès 1912, à vingt ans. Je m'en tiendrai à "Le Nouvel Orphée", édition collective publiée par "La Sirène" en 1923. Poésie âpre, faite d'un papillotement d'images projetées du cœur-miroir par réflexion, avec des contours de pointe-sèche et la matière du métal. Lampes à arc et feuilles de température, j'écris ces mots avec intention. Ces Poèmes sont des jeux kaléidoscopiques, films primitifs et éphémères, dont les vertèbres ne sont qu'instants et rayons, mais dont le corps émerge d'ensemble, en silhouette crue et dans l'atmosphère. La beauté de ces morceaux et leur pouvoir évocateur, naissent du choc incessant des images, dans un désordre d'apparence, car rien n'est désordre en la vie et la poésie d'Ivan Goll, c'est la vie même. 

Voici quelques images détachées de "Paris brûle"

Les blancs corbeaux des quotidiens

se battent autour des appâts de la nuit

Le monde juge en trois lignes

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Ses paupières sont des feuilles d'automne

qui ont peur de tomber dans l'herbe

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L'aiguille en platine de la Tour Eiffel

crève l'abcès des nuages...

…Et j'ai peur

que mon coeur

qui n'a pas de cran d'arrêt

comme un revolver

ne parte tout seul 

Le plus insignifiant détail, le plus banal, la notation la plus imprévue, l'incidence la plus saugrenue, sont venus naturellement s'inscrire sur la toile où le pinceau du poète étale la pâte coloriée, puisée à même la réalité et découpée dans son ciel de tous les jours. Les sentiments humains nous apparaissent sans métaphysique et sans subtilités, sans logique ni esthétique, sans effets de grammaire ni jeux de mots. Ce ne sont que des objets participant de la sensibilité universelle, aussi nets de contours, aussi vrais, aussi schématisés que l'ovale d'un visage ou le cube monstrueux d'un gratte-ciel. Un peu d'exagération, parfois, mais exagérer n'est pas mentir...

Je me vends moi-même je vends Dieu je vends

le monde entier

Tout ce que nous faisons est péché

Ne pas agir est l'unique salut... 

Poésie externe, en somme, pour l'oeil et pour les sens, mâle et dure, poésie qui touche et fustige, ébranle plus qu'elle n'émeut. Et par-dessus tout poésie pessimiste, désespérée, impliquant au renoncement, qui fait toucher du coeur, les immortelles misères de la création, les égoïsmes glacés d'une société sans amour et l'immense océan de la bêtise humaine.

Le poète enregistre comme un thermomètre

la fièvre du monde....

....Le poème est de l'angoisse anesthésiée

La douleur est meilleure que I'amour.... 

Ivan Goll démasque et écorche (lisez Mathusalem ou l'Eternel Bourgeois) fouaille et raille, plonge son, scalpel dans les pourritures et met l'homme à nu sous un ciel sans mensonges. Mais si le monde gagne insensiblement son excuse de vivre, si l'humanité, sauvée du suicide, marche enfin vers l'or des horizons purs, le poète, méconnu toujours et toujours martyr. ( "La Chaplinade", "Le Nouvel Orphée") reste par essence l'éternel paria, le fou zigzaguant du grand jeu d'échec de la vie.

Le premier devoir de l'homme est en lui-même ;

Sois bon ! avant de parler de bonté..

Poète-Narcisse. mire-toi dans tes propres larmes! 

Le Parnasse existe, ami, dans ton cœur!

...........................................................................

La terre tourne : cinquième roue de l'automobile divine

L'ange a beau se suicider

La bêtise reste immortelle

Recueillons-nous recueillons-nous... ?

Le trèfle est sage qui ouvre et replie ses feuilles

Le trèfle est solitaire

Et simple

Soyons donc solitaires

Et simples...

Le Poète, dans cette réalité souveraine et totale, n'est peut - être que le grain de folie des mondes, le feu follet insaisissable et éphémère que la gifle du réel fait mourir à l'aurore quitte à renaître au soir par le caprice des nuits, le point de ralliement des idéals et le symbole des espoirs, le poète est peut-être Dieu! "

1923 -1925 : Ivan Goll a rencontré l'élue. Son nom n'apparaît plus seul au frontispice des recueils que Jean Budry, l'éditeur des sept manifestes Dada et des oeuvres de Pierre Albert Birot, présente au public. Ivan a rencontré Claire, les deux poètes formeront désormais une même âme tout, ellipse parfaite dont les deux coeurs sensibles sont les brûlants foyers. Il me sera bien difficile de distinguer les deux sensibilités, mais cette distinction est-elle bien nécessaire ? Je considère Claire et Ivan comme l'envers et l'avers du même astre, comme les faces confondues d'une sphère dorée où se joue la lumière et pleure la rosée :

Voici dix ans que tu m'aimes,

Que sur ma montre-bracelet

Le temps s'arrêta pour toujours !

Claire Goll était merveilleusement pétrie pour comprendre Ivan. Partageant son amour de la nature, plein d'amertume, nourrie de ce style brusque (reste de l'emporte-pièce Dada), ses récits à facettes, les uns émouvants, les autres pleins d'humour, nous faisaient déjà pressentir quelques-uns des paysages intérieurs denses d'une philosophie où la tristesse prend place, de " Une Allemande à Paris " . Elle avait subi, comme lui, l'influence des écrivains internationalistes et des peintres allemands, autrichiens et russes. L'influence de Chagall surtout, aux lignes tirées, aux boucles vives, Chagall, comme Ivan et Claire Goll, n'aime la réalité que par les contours et trace seulement des dehors d'objets pour nous les peindre. Plus exactement, il n'aiment, tous les trois, que les reflets, les surfaces, ne s'occupent que des orages du concret. Leurs peintures seront des heurts d'images concrètes, ils sont des businesmen-artistes, dédaignant la spéculation les diamants bruts d'images vivantes. Et c'est pour cela que l'illustration des recueils de Claire et Ivan m'intéresse autant que les poèmes eux-mêmes. Robert Delaunay, George Grosz et Fernand Léger, artistes pour lesquels peindre est une fonction de tous les sens , avaient délimité quelques-unes des images de " Le Nouvel Orphée ". C'est à Chagall que fut dévolue l'illustration des " Poèmes d'Amour " (1925). Il nous montre Claire et Ivan, mêlés dans un dessin aux lignes pures, puis dans une ellipse que ferme tout un monde, une tour Eiffel que couronne, comme une double étoile noire, deux visages préparant, dans notre univers, une éclatante rentrée.... Puis le geste d'une consolation nue et plus loin le masque androgyne commençant à rouler comme les satellites inquiets d'une beauté toujours immuable.... Dans " Poèmes de la Vie et de la Mort ", deux tragiques radiographies et dans les " Poèmes de Jalousie " quelques eaux fortes de Foujita, pleines d'une mollesse dont l'art s'allie avec cette préciosité un peu voulue qu'affectionnent certaines des images des Goll.

Ouvrons les " Poèmes d'Amour ".

Ivan : Tes cheveux sont le plus grand incendie du siècle...

 ... Trompés par l'or faux de l'aurore

 Les oiseaux sont rentrés

 Désespérés...

 ... Tu es la nymphe échappée des bouleaux

 A tes pieds d'or se suicident les chiens...

 ... Parfois mon coeur mort crie dans la nuit...

 ... La nuit ta chevelure orange illuminait

 Le vieux château du ciel

 Jusqu'aux tours de Saturne...

 ... Depuis que je ne t'aime plus je t'aime...

 ...Des arbres de douleur gantés de rouge...

Lyrisme pur, nourri d'aliments modernes . Le vocable ancien, le matériel prosodique est changé. Voici le tramway, l'autobus, le métro, comme les constellations d'un nouveau ciel. Au milieu de cette terre inconnue, se confiant un amour très pessimiste, ils échangent, à la fin, des compliments naïfs tels que " ton coeur est comme un abricot " ! Le symbole de la chevelure attire Goll aussi, mais c'est une chevelure concrète dont il nous révèle les brûlantes colorations. Enfin, c'est ce lyrisme, non pas le lyrisme souterrain, intérieur, tel celui de Paul Eluard par exemple, mais un lyrisme de surface, dont les éléments appartiennent aux choses qui nous entourent, lyrisme immédiat qui naît toujours, comme l'électricité de deux objets la contenant déjà, en l'ignorant. Et la note féminine nous est donnée par Claire, avec la pitié profonde que recèlent ces beaux vers :

J'arrache mes premiers cheveux blancs

Les oiseaux en feront leur nid...

.... Dès que tu pars

Je crainte l'ange cycliste

Avec le télégramme de la mort...

...Car même de l'étreinte de la mort

Mon coeur immortel reviendra vers toi !

Ici, je crois que Claire Goll a poussé loin la réussite. Avec d'aussi simples éléments, elle nous oblige à une réflexion pleine de découvertes. Magnifique écrivains d'images, elle pousse, jusqu'à l'extrême de la clarté, leur intensité et leurs associations. Habileté très aiguë qui nous offre de réelles conquêtes à la lisière de ce monde mystérieux où commence la vraie et inexplicable poésie. Certaines de ces images nous satisfont même trop complètement pour que nous puissions les dire très poétiques, il leur manque de la folie... mais Claire, comme Ivan, y suppléent par une violente passion qui s'exprime en pures révélations, pleines de charmes et écrite dans une langue originale et tendue, jusqu'à ce cri de Claire que nous attendions depuis le début du livre de.

Car même de l'étreinte de la mort

Mon coeur immortel reviendra vers toi.

Les " Poèmes de Jalousie " me satisfont moins complètement. Cette jalousie est, à vrai dire, trop galante, trop fleurie. Benserade en colère... Certains tics, certains clichés que je retrouve dans Cocteau. Les voix sont toujours aussi pures, elles montent dans un violent désarroi. L'humanité des poèmes, tout de même existante, ne semble me masquée par des bariolages presque sportifs, évoquant, avec un certain déplaisir ému, le Boulevard et la Rotonde...

Claire : Je suis jalouse de la rue

  Et de tes pas en ut-mineur...

  .... Tu étais la Colonne Vendôme

  A laquelle je m'appuyais...

Voici par contre, de très beaux vers : 

Yvan : Dans l'arbre rouge de tes veines

  sont perchés mes oiseaux de rêve

  ... Je vis ta vie tandis que tu la rêves...

Et cette sincérité, entachée parfois d'un désir trop grand d'originalité, je la retrouve dans les "Poèmes de la Vie et de la Mort".

Claire : Voici dix ans que tu m'aimes

  Dix ans qui furent dix minutes !

  Mais je te vois toujours pour la première fois....

Claire a la hantise de la mort, elle craint la pourriture et surtout la léthargie trompeuse qui peut ménager un terrible réveil au sein des territoires de la mort :

 Quand je serai morte

 fais embaumer mon corps :

 Sinon les bêtes sans patrie

 Viendraient coucher dans la sciure d'or de mes cheveux

 - Quand je serai morte

 Fais couler du blanc formol dans mes veines

 Pour conserver leurs souvenirs...

 ... J'attends la mort

 Comme un enfant ses vacances...

Enfin, quelques très beaux vers :

Claire : Je n'aurai qu'à te regarder

  Pour que l'aurore monte dans mes joues

Ivan : Ombre parmi les ombres,

  Que chassent les saisons

  Jusqu'à la proche tombe. 

 Depuis lors, cédant au goût du jour et aux nécessités tyranniques, Ivan et Claire Goll ont quelque peu délaissé la poésie. Ils sont devenus de grands romanciers. Mais ils n'ont pas démissionné, et quelques poèmes, parfois, tombent en rosée claire sur leurs carnets. S'en tiendraient-ils à leur oeuvre déjà publiée, qu'ils auraient droit à une place de premier plan dans notre histoire poétique moderne. Si, dans ces pages forcément succinctes, j'ai pu en fixer le témoignage, j'estimerai mon travail profitable sinon digne des oeuvres présentées.

Jean-Daniel Maublanc : L'Archer - juin 1930 

Geo Charles :

La représentation de votre « Mathusalem » à Bruxelles, mon cher Ivan Goll, nous a fourni l'occasion d'apprécier, une fois de plus, une oeuvre du « Théâtre poétique moderne ». Cette formule exprime assez bien la tendance et le mouvement de ce théâtre dit - toujours - «d'avant-garde», bien qu'il ait pris naissance longtemps avant la guerre. Je range sous ce signe : « Ubu Roi », de Jarry, « les Mamelles de Tirésias », d'Apollinaire, certaines pièces de Ribemont-Dessaignes, et justement ce « Mathusalem ».... Pourriez vous préciser votre conception personnelle quant à « l'esprit » poétique de cette oeuvre ?

Ivan Goll : J'estime que toutes les pièces que vous venez d'énumérer sont avant tout, en effet, des oeuvres de poètes que j'opposerai aux auteurs dramatiques. Comment les distinguer par une formule ? Ceux-ci excellent à copier la vie au théâtre, tandis que les poètes ont avant tout le désir de recréer la vie. Ils ne veulent pas du tout en donner, par exemple, une image exacte, mais plutôt révéler la signification profonde des faits et des paroles qui unissent les personnages dans une action.

Géo Charles : Et créer des prototypes ?

Ivan Goll: Oui. « Mathusalem », par exemple , c'est l'éternel Bourgeois. Il ne parle pas la langue courante du théâtre habituel et conventionnel. Il dit des phrases , les phrases-types que chaque bourgeois , dans n'importe quel pays , répète suivant sa prononciation . L'action de la pièce n'est pas individuelle et unique : le cas est applicable et nettement imputable à tous les bourgeois du monde entier.

Geo Charles : Et rien de plus banal que les propos d'un tel héros! 

Ivan Goll : « L'expression » en est apparemment banale , mais avant tout elle est vraie. Et cette transposition du « vrai » me rappelle une autre formule , celle de « surréaliste » dans le sens où Apollinaire l'entendait..

Vous savez, n'est-ce pas, qu'il inventa le vocable « surréaliste » pour désigner précisément « Les Mamelles de Tirésias », que vous citiez un instant parmi les pièces du théâtre poétique.

Geo Charles: En effet , c'est d'ailleurs dans la revue « Surréalisme » que vous avez dirigée que Pierre Albert-Birot a fixé ce point d'histoire de la façon suivante : « … Quant au mot « surréalisme », nous l'avons, Apollinaire et moi, choisi et fixé ensemble . C'était au printemps 1917, nous rédigions le programme des « Mamelles », et, sous le titre, nous avions d'abord écrit « drame » et ensuite je lui ai dit : ne pourrions-nous pas ajouter quelque chose à ce mot, le qualifier, et il me dit en effet, mettons « surnaturaliste », et aussitôt je me suis élevé contre surnaturaliste qui ne convenait point au moins pour trois raisons, et naturellement, avant que j'eusse fini l'exposé de la première , Apollinaire était de mon avis et me disait : « Alors mettons surréaliste ». C'était trouvé. «... La lettre d'Apollinaire à Paul Dermée écrite également en 1917, et reproduite dans la même revue, confirme les souvenirs de Birot... » Et vous Goll, rangez-vous « Mathusalem » sous la même formule?

Ivan Goll: Mon Dieu , si une formule est nécessaire! 

Geo Charles : nous appelons les pièces de ce théâtre - et « Mathusalem » - poétiques. Certaines de ces oeuvres, et particulièrement la vôtre, présentent un curieux mélange de poésie et de prosaïsme...

Ivan Goll : J'attendais cette objection. J'ai donné à chaque personnages la langue de son âme. Ainsi la jeune fille, Ida, sent et parle en vers, et je ne crains pas de lui prêter les images les plus lyriques, comme dans les pièces en alexandrins. Par contre le frère voué aux affaires modernes, n'emploie que le style haché des appareils Morse. Et ainsi de suite.... Mais le langage truculent et terra à Claire

terre-à-terre du père n'est pas moins poétique que celui de sa fille, s'il crée l'atmosphère élémentaire du personnage.

Geo Charles : Vous confirmez l'impression que me laisse la représentation de Bruxelles. Du lyrisme pur, cette réplique d'Ida :

« je ne connais plus d'autre jour que celui-ci

ou des narcisses remplacent l'herbe des gazons

le soleil et un chrysanthème que tu m'offres,

ton front pâle est une tour d'Ivoire

sur laquelle je monte pour voir le monde.

C'est toi qui bâtis les villes apocalyptiques,

les temples d'Asie et les docks d'Amérique,

les places portent toutes ton nom,

les horloges sonnent à chaque heure ton nom

et les navires en mer

ne sont partis que pour te voir. » 

Ce poème pourrait très bien être tiré des « Poèmes d'Amour » que vous avez publiés avec Claire Goll

Claire Goll: Oh , je n’accepte que les poésies qui me sont adressées personnellement!

Ivan: Mais tout ce que j’écris , s’adresse à toi. Pour qui écrit-on, par qui veut-on être compris , sinon par l’être qu’on aime et dont on veut être admiré?

Claire: Tu me trompes!

Ivan: Avec toi-même!

Geo Charles: Je pense que vous allez faire dévier , publiquement , en « scènes de ménage » , vos beaux «Poèmes d'Amour » Au fait , si vous continuez , je pourrais dire que vos poèmes d’amour ne sont pas autre chose … finalement! !

Claire: Eh bien , vous donneriez une belle idée de notre poésie!

Ivan: Mais , Claire , après tout , je ne serais pas éloigné de croire que dans les poésies d’amour de tous les temps , les poètes ne sont occupés qu’à exprimer à leur amante des reproches , et sous forme de compliments , des sottises.

Geo Charles: Qu’en pensez-vous Claire?

Claire: Pour moi il n’existe qu’une sorte de poésie , celle de l’amour. Une femme ne doit chanter que l’amour. Ce n’est que par l’amour qu'elle participe de la vie du monde. Les seuls poètes que je relis toujours , que je comprends et que j’éprouve jusqu’au fond des moelles sont Marceline Desbordes-Valmore et Elisabeth Barrett-Browning.

Geo Charles: L’essence de leur poésie est la souffrance.

Claire: L’essence de l’amour est la souffrance.

Ivan: - Peut-être y a t - il là comme une accusation?

Claire: Non , c’est une déclaration d’amour. Géo Charles notez vite. Je prétends que c’est celui-là (qui me fait tant souffrir) qui m’a faite poète. Je lui dois d’avoir appris à exprimer en vers cette affection que toutes les autres femmes expriment en soupirs.

Geo Charles: Vous avez su prolonger à deux - en des oeuvres toujours lyriques et en des "Poèmes d’amour" que je relis avec une joie critique sans cesse accrue - votre amour de la Poésie. Votre double rêve a su se réaliser et se poursuivre en cette époque si bassement matérielle , si misérable , selon un rythme de beauté et d’idéal!

Ivan: Ce rêve nous sauve! Tout ce qui se passe en dehors de lui et de notre amour devrait nous laisser indifférents. Nous sentons confusément que les soucis du jour sont des soucis bien lamentables , mais aussi passagers. Les époques où l’humanité a faim , reviennent toujours. Cette fois , sa détresse provient de sa bêtise. Mais passons. Parlons d’amour qui est la seule raison d’être et qui est éternel. Thème peu actuel Thème qui le redeviendra au prochain printemps , soyez-en sûr! Sinon , dans cent ans. Et il vaut mieux avoir raison dans cent ans que l’année prochaine. La vérité se mesure par siècles."

Je laisse Claire et Ivan , assis en leur jolie terrasse d'Auteuil, dont j'aime tant caresser les feuilles. Lui, grappillait les raisins qui pendaient au vieux cep qui épouse la grâce de la balustrade, elle, appelait une demi-douzaine de pigeons blancs et leur donnait à manger dans sa main pâle.... Les deux silhouettes, les bêtes et les choses, se composaient en des attitudes qui me sont familières depuis longtemps... en cette petite terrasse du jardin automnal d'Auteuil qui m'apparaît toujours comme un carrefour rustique où la vie et la poésie viennent s'unir.

Geo Charles dans " le Journal des Poètes " 2ème année N° 2- Le 22 NOVEMBRE 1931

Georges Petit : Lucifer Vieillissant par Ivan Goll

" Dans tout ce qu'écrit Ivan Goll il y a toujours beaucoup de pessimisme et d'amertume. L'ironie de cet écrivain est à la fois grimaçante et corrosive et son désespoir est à peu près sans limites: ce dont, après tant d'autres livres, "Lucifer vieillissant "nous offre un témoignage où il y a d'ailleurs beaucoup de grâce, un charme de cauchemar dont la force s'impose à vous comme une réalité. "Lucifer vieillissant ": on entend bien par là qu'il s'agit de la fin du monde, — ou à peu près. Le monde va mal, c'est un fait, l'humanité est moribonde, et il n'y a qu'à jeter les yeux autour de soi pour se convaincre de cette vérité première que M. Ivan Goll a bien raison de proclamer comme il le fait: c'est-à-dire lyriquement avec des mots de feu, d'airain et d'or.

 On a pu dire très justement, il y a quelques années, que tous les poètes écrivaient en prose. Mais à l'heure actuelle les poètes ont rendu la prose aux prosateurs, le roman aux romanciers. M. Goll est toutefois une exception et le dernier survivant: son "Lucifer vieillissant "n'est qu'un long poème somptueux et désolant, traversé de gémissements et surtout d'imprécations, amer et sans fausse pitié, le poème de la fin de l'humanité. Lucifer, — l'homme divinisé —, n'est plus qu'une risible épave qui se heurte aux murs d'une prison sans issue où la lumière et l'air ne pénètrent plus. Ce n'est pas un cri d'alarme que jette l'auteur: le pessimisme de M. Ivan Goll est trop absolu pour lui permettre d'entrevoir la possibilité d'une réhabilitation.

 Ce livre vient, sans s'en douter, tout à fait à son heure. Il n'y a de vrai que l'actuel, pourrait-on dire en déformant un peu telle phrase célèbre du sage de Weimar. "Lucifer vieillissant "est un ouvrage terriblement lucide et véridique, le dernier coup d'oeil plein de désolation et d'épouvante que consent à jeter, comme un suprême regret, un poète sur un monde dont il entend ensuite se détourner à tout jamais .”

Cahiers du Sud 22 ème année - n° 167 - décembre 1934 (mensuel) Marseille

Jean Follain : Chansons Malaises par Ivan Goll

"Le dernier recueil d'Ivan Goll "Chansons Malaises" décèle chez ce poète un renouvellement. Directement après la guerre, Ivan Goll hanté par l'arabesque trouble et les cassures luisantes du nouveau monde moderne s'était adonné dans "Le Nouvel Orphée "à cette poésie à l'emporte-pièce, pleine de fraîcheurs incertaines et ressasseuse inquiète du Verbe

L'originalité de Goll consista pourtant parmi tant d'autres à ne rien camoufler du lyrique amour, à aborder avec tranquillité et à moduler souvent ses chansons sur le thème quelque peu décrié de la tendresse journalière de l'homme pour la femme et cela au moment même où les poètes s'armaient d'une grande pudeur visant "le sentiment ".

Dans les "Chansons Malaises "s'affirme un Ivan Goll conduit par une inspiration décantée. Ces courts poèmes sont écrits avec simplicité sur le ton tantôt didactique, tantôt interrogatif et exclamatif du barde. Chansons évocatrices de paysages patriarcaux où l'amour règne en doux maître sous les citronniers . Poésie d'allure incantatoire et qui m'apparaît appartenir à la nature la plus vraie de Goll.

On trouve dans ces vers les plus belles évocations des silences de l'amour au cours desquels l'on entend croître et dormir les plantes ; aussi les plus fines reconnaissances de chaque reflet de sa propre beauté par la femme aimée .

 Soudain ta main savante

 M'enseigna qui j'étais...

Le poète accorde au langage de l'amour la plus suave flore : anis , safran , néfliers , caféiers neigeux , orangers , vanilliers . En exemple voici un court poème de la plus belle somptuosité :

 En passant sur la route des seigneurs

 Tu ne regardais pas le safran pauvre

 Mais ton manteau le caressa en secret

 Emportant tout de même

 Un peu de poussière dorée

 De son amour

Les poèmes se poursuivent jusqu'à la perte de l'aimée :

 O mon corps tout doré

  N'est-il déjà plus nu ...

et l'appel de la mort :

 Coupez les palmiers centenaires

 Arrachez les lauriers de gloire 

La simplicité de l'écriture, la netteté de la ligne n'empêchent point ces vers de baigner dans un halo de mystère tendre, marqué de leur qualité.

Le livre est imprimé en beau corps d'elzévir et fort bien mis en page.” J.F.

Cahiers du Sud 22 ème année - n° 172 - mai 1935

p.404 - 405 La Poésie par Jean Follain : Chansons Malaises par Ivan Goll

Pierre-Louis Flouquet : janvier 1947  

Des rives de la Seine aux rives de l 'Hudson...

Claire et Ivan Goll en Poésie

J'ai eu la bonne fortune de passer quelques heures, en septembre, avec nos amis les poètes Claire et Ivan Goll, dans leur appartement minuscule de Columbia Heights, à Brooklyn .

Claire et Yvan, amoureux éternels, vivent en poésie avec la même foi et le même enthousiasme qu'au temps de leur existence lutécienne, lorsqu'ils accueillaient les meilleurs poètes de Paris dans leur vaste logis du quai Bourbon.

En l'an 40, Claire et Yvan purent gagner New York, où ils vécurent dans un milieu d'émigrés, nouant de nombreux liens avec leurs confrères américains, entretenant la ferveur française, fréquentant Marc Chagall leur ami fidèle, les peintres Dali, Kisling, Léger et Mondrian , les sculpteurs Zadkine et les Lipschitz, les écrivains André Spire, André Masson, Jules Romains, André Maurois, André Breton, et nos compatriotes Maeterlinck, Marnix Gysen, Robert Goffin, Anatole Bisque.

J'avais trouvé l'adresse des Goll chez Brentano's, le grand libraire de la cinquième Avenue. Un mot rapide était resté sans réponse, je les croyais retournés en Europe, lorsque à l'improviste me parvint, sur le papier jaune d'or des éditions « Hémisphères » , une invitation à dîner des Poètes, revenus la veille d'un séjour en Gaspésie.

A l'heure dite, à Brooklyn, qui parfois fait songer à Neuilly et parfois aux docks de Liverpool, dans Columbia Heights, artère paisible, comme s'abat d'un coup un mur haut et lourd, une porte massive en s'effaçant me rendit deux visages et deux voix, fidèlement gardés durant les années tragiques. Ceux qui se rappellent les tailles hautes, les visages minces, les regards un peu fiévreux parfois, mais subtils et profonds comme la pensée, de Claire et d'Yvan, les auraient comme moi retrouvés sans effort . Tout de suite ils me firent les honneurs de l'étonnant paysage déployé devant leurs fenêtres.

A droite, le plus ancien pont de New York, Brooklyn Bridge, sur l'East River, ouvrage massif dont les portiques sont des lyres d'acier : au centre, les docks avec les cargos, les steamers, les paquebots transatlantiques, et sur la rive de Manhattan les gratte-ciel tragiques de Wall Street ; à gauche, l'embouchure de l'Hudson, Long Island où les émigrants purgent la quarantaine, la baie immense où cent vaisseaux sont à l'ancre, l'île de la Liberté portant la statue géante de Bartholdi , don de Paris à la ville de New York . Au-delà enfin, sous un ciel étincelant, l'océan balayé par les vents.

" Nous avons connu, me dit Yvan, des alternatives d'abattement et d'exaltation, sans jamais perdre l'espoir.

Dès le début la vie intellectuelle française fut intense à New York. Maeterlinck et Romains fondèrent le journal « Voix de France » qui réunit la collaboration d'une élite française, européenne, américaine. Des éditeurs montrèrent une activité magnifique, tout spécialement la Maison de France, installée au Rockfeller Center.

De nombreux écrivains firent dans les Etats des tournées de conférences. Parmi nos confrères belges, Robert Goffin se manifesta sans compter. Il voyagea en avion à travers toute l'Amérique, parlant devant les publics les plus différents, publiant articles, poèmes et ouvrages de prose en français et en anglais. Il laissa le souvenir d'un camarade énergique et serviable.

D'un voyage à Cuba, île heureuse du beau poète Mariano Brull, je rapportais plusieurs poèmes, dont « Vénus Cubaine », et une prose enchantée « Corbeille de Cuba ».

En 1941, j'ai fondé la revue Hémisphères. Elle réunit une collaboration de qualité et fit connaître plusieurs poètes de valeur, comme Césaire et Duits. Hémisphères représentait, au-dessus de la Politique, une position intellectuelle intransigeante, celle de la Poésie Pure. Elle n'en publia pas moins de nombreux poèmes de circonstance, du genre de ceux qu'on devait nommer plus tard, en France, la Poésie de la Résistance. A ce propos, je vous signale que j'ai publié dans « La Nacion » et dans « The Saturday Review of Literature » , en 1940, ainsi qu'en 1941, dans « Poet's Messages », collection éditée à New York, les poèmes de « Chansons de France », dans lesquelles on retrouve le mètre court, le rythme populaire, le sens tragique des poèmes de « Jean sans Terre ».

Les numéros spéciaux d'Hémisphères connurent un vif succès.

L'un, consacré à la Découverte des Tropiques, comportait les collaborations d'André Breton, d'André Masson et du grand poète de couleur, Césaire. Un autre traitait de la Magie. Les recueils de poésie publiés par les éditions Hémisphères furent aussi bien accueillis.

En 1942, j'ai publié dans le journal « France Amérique » le poème « Grand cortège de la Résistance en l'an mil neuf cent misère ». Il fut repris, à Alger, par la revue « Fontaine » (numéro 34) que dirigeait, si brillamment, notre ami commun Max Pol Fouchet.

Plus tard, j'ai écrit une poésie en forme de Croix de Lorraine, qui fut imprimée en deux couleurs sur un magnifique papier de chiffon et distribué comme le message de Noël par le groupe « France for ever » , alors présidé par Houdry.

J'ai publié dans Hémisphères les premiers poèmes des Elégies d'Ihpetonga. Ce mot, d'origine indienne, à la fois sauvage et harmonieux, signifie les falaises, les hauteurs de Brooklyn, sur lesquelles se trouve notre logis.

La suite des Elégies d'Ihpetonga, qui bientôt paraîtra chez un éditeur parisien, surprendra peut-être ceux qui croyaient que j'avais trouvé, dans le vers octosyllabique de « Jean sans Terre », une forme tout à fait adaptée à mon inspiration. Ces Elégies, plus métaphysiques et plus cosmiques que mes oeuvres précédentes, sont écrites en vers plus libres, d'expression plus intense. Je pense qu'il s'agit d'un approfondissement, ou plutôt d'une libération.

Au cours de mon séjour en Gaspésie, région canadienne abrupte et sauvage, à la fois maritime et boisée, j'ai écrit Le Mythe de La Roche Percée, poème géologique aux rythmes variés, tournant autour de la vie et de la mort des pierres. Ce poème, d'une grande amplitude, m'a été inspiré par un rocher géant que perça à jour la morsure des flots. Il prédit après la longue patience et l'attente du monde minéral, apparemment inerte, sa résurrection par la brisure de l'atome..."

Ce qu'il écrira demain, Ivan Goll ne le sait, mais il n'a pas cessé, malgré l'exode, malgré l'horreur, malgré l'exil, t'écrire des poèmes d'Amour.

Maintenant j'interroge Claire, qui actuellement publie d'excellents articles de critique dans l'hebdomadaire « France Amérique ».

" Vous savez, dit Claire, que je suis plus romancière que poète. Plus que moi Yvan est tenté par le lyrisme. A toute inspiration, fût elle tragique, il mêle une onde délicieuse, semblable en cela à notre cher Chagall. Mon inspiration est plus dure.

En Amérique, j'ai publié des nouvelles sur Paris. Leurs titres ? « Le dîner de 500 francs » , « L'Homme au Camélia », « L'Inconnue de la Seine », d'autres encore. La collection « les Oeuvres Libres » les publia, parmi d'autres de Maurois, de Romains.

J'ai donné à Hémisphères une autre oeuvre de prose « La Blanchisserie Chinoise » (numéro deux et trois). Les Editions de la Maison Française lancèrent deux de mes romans : « Le Tombeau des Amants Inconnus » et « Education Barbare ».

Comme son compagnon, Claire Goll, bien qu'ayant aux Etats-Unis de nombreux amis et admirateurs, bien qu'ayant connu à New York le succès , n'a jamais oublié Paris, cité de la poésie et capitale de la douceur.

En souriant, elle dit comment elle conserva durant des ans, comme des objets très précieux, les emballages de produits de beauté et même de médicaments emportés en hâte de son logis de l'île Saint-Louis. Elle dit comment, chaque soir, durant tous les jours du long exil, elle voyagea en esprit dans Paris, grâce au plan de la ville aimée, fixé au-dessus de son lit. Elle dit que ce logement les retint, non seulement parce qu'il offre une vue propre à émerveiller et à exalter les artistes, mais surtout ce qu'il leur permettait de conserver leur pensée orientée vers l'Europe et la France, grâce aux navires nombreux tournant chaque jour leur proue vers le pays de leurs amours. Et parfois, ajoute-t-elle, comme une récompense, nous étions éveillés le matin par la Diane sonnant sur un vaisseau français, où la vision soudaine d'un pavillon tricolore...

Tandis que Claire parlait, l'ombre descendait lentement sur la baie immense. Dans le soir déjà brumeux le crépuscule semait des rougeurs d'incendie.

Yvan toussait doucement. Claire, un peu lasse d'avoir revécu en ce temps si court les craintes, les exaltation, les fatigues et les joies de tant d'années, tournait un visage étrangement nu vers la fenêtres.

Sous nos yeux la baie s'enténébrait par degrés. Comme en un ciel de féerie s'allumaient une à une les lumières innombrables de Manhattan. Un long paquebot, scintillant de tous ses hublots, fendait les eaux à l'endroit où l'Hudson mêle ses eaux au flots salés de l'Atlantique.

Pierre-Louis Flouquet Journal des Poètes 17ème année n° 1 - janvier 1947  

Léon-Gabriel Gros : Le Témoin poétique  (1949)

Le rayonnement de l’oeuvre d’Yvan Goll n’est pas ce qu’il devrait être. Certes elle a ses fervents mais qui se recrutent parmi les seuls connaisseurs. Ayant justifié, et au delà, les espoirs que l’on plaçait en elle sur la foi des premiers recueils, dans les années 20, elle n’a point connu la large diffusion que l’on était en droit de lui prédire à l’époque. S’agit-il d’un paradoxe ou d’une injustice? Des deux sans doute, et l’avenir s’en étonnera …Toute poésie qui nécessite une initiation parce qu’elle est elle-même une initiation est en raison même de sa qualité vouée à demeurer secrète …Qu'Yvan Goll soit un de ces poètes en marge c’est l’évidence même comme c’est le signe de sa grandeur. Si déplorable soit-elle l’auscultation provisoire de son oeuvre s’inscrit dans l’ordre des choses mais elle a aussi des raisons spécifiquement littéraires…son lyrisme oscille constamment entre les recherches d’avant-garde et le souci de la rigueur formelle; il joue avec autant de virtuosité sur le clavier de l’hermétisme que sur celui de la chanson populaire; il est tantôt hiéroglyphe, tantôt image d’Epinal …mais quoi! ce sont là des qualités si rares en notre génération qu’on les y tient pour suspectes, et qu’en fin de compte cette oeuvre se trouve en porte-à-faux entre les tendances contradictoires de l’époque . Il est difficile, je l’admets volontiers, de relier logiquement Le Nouvel Orphée de 1923 à L ' Elégie d’Ihpétonga qui vient de paraître et, à plus forte raison de concilier le ton des trois livres de Jean Sans Terre avec celui du Char Triomphal de l’Antimoine. Ce n’est pas en tout cas le lyrisme des Chansons Malaises, le seul de ses recueils disons de lecture courante, qui nous aidera à trouver la clef de l’entreprise de Goll, la raison une et profonde que l’on cherche fatalement à toute oeuvre de quelque ampleur. … 

Mon seul propos était de rendre hommage à un poète trop négligé bien qu’il soit un des meilleurs de sa génération et celui qui a contribué à bien faire connaître à la mienne tous ceux qui de par le monde nous ont préparé les voies. Je me suis uniquement préoccupé de le situer dans une époque qui sans lui ne serait pas ce qu’elle est et dont il est dans tous domaines, dans celui surtout des recherches esthétiques, un des plus irrécusables témoins.

Cahiers du Sud 36 ème année, n° 298 - 2ème semestre 1949.

( 2 mars 1950 )

Discours prononcé aux obsèques d’Yvan Goll par M . Jules Romains de l’Académie Française :

L’homme qu’était Yvan Goll , je ne l’ai vraiment connu qu’à New-York , où nous nous trouvions ensemble pendant la Guerre .
 Je connaissais depuis longtemps le poète , que j’avais en haute et singulière estime . Mais l’homme n’était encore pour moi qu’une silhouette , il me restant à découvrir.

Ses amis le savent : c’était un être d’une étonnante séduction . Sa voix , son regard , l’expression permanente de son visage , faisaient appel à ce qu’il y avait en vous de moins offensif , de moins sur le qui-vive , de plus volontiers confiant et abandonné . Je ne l'ai jamais entendu parler avec amertume de rien , ni de personne . D'abord il parlait peu. Pour mieux dire il ne prenait jamais la parole . Il attendait qu’un silence des autres vint la lui offrir .

 Il était si naturellement modeste qu’on oubliait de s’en apercevoir . Quand je songe à tous ceux dont chaque phrase est un rappel de leurs mérites , où des injustices qu’on leur a faites , ou des hommages que tout de même ils ont recueillis , mais qui ne sont qu’un faible acompte de ceux que leur doit un avenir réparateur !

 Yvan Goll ne plaignait pas . Ou plutôt une espèce de plainte sortait bien de l’être qu’il était , mais à son insu . S’il en avait eu conscience ; il s’en serait excusé comme d’une indiscrétion .

 Dans ce New-York des années de guerre , il était comme un exilé , ainsi que d’autres , ainsi que nous . Mais l’exil ne semblait pas avoir de quoi le surprendre, ni de le décontenancer . Pour le poète de Jean Sans Terre , l’exil n’était pas un accident . C’était une sorte de vocation . L’on peut dire qu’il ne n'y perdait Pas . Il s’y retrouvait .

 Aux événements du monde dont nous parlions ensemble, il vouait la même malédiction que nous . Il ne jouait nullement à leur égard l’indifférent ni le détaché . Mais il leur opposait malgré lui comme une grâce intemporelle .

 Je 1’ai revu à Paris . Sa maladie ne lui laissait , je crois , aucune illusion .Il n’aurait pas fait aucune difficulté à vous déclarer :

 "Oh ! ma mort n’est plus qu’une question de temps". Mais il l’eût dit avec un sourire si désarmé , si bienveillant , qu’on eût soudain pensé que la mort , pas plus que l’exil , n’avait sur lui le même effet de désarroi , le même pouvoir de morsure , que sur d'autres . 

 Pour le poète qu’a été Yvan Goll , je m'en voudrais de traiter de lui en si peu de mots, de paraître expédier un éloge cursif et de circonstance . Ce que je tiens à dire , en m’inspirant de la modération et de la pudeur qu’il montrait , c’est que peu de poètes de notre temps ont été moins superflus . Je n'ai jamais rien lu de lui qui ne me semblât nécessaire , justifié , dicté . Rien qui , du même coup ne fût intéressant et émouvant . Ce sont là deux épithètes qui peuvent paraître faibles aux amis de l’emphase . Je leur attache pour ma part beaucoup de prix , et ne les décerne , dans la vérité de mon cœur , qu’à un tout petit nombre . Bien des poèmes d’Yvan Goll ont de grandes chances d’être durables .

 Une raison particulière qu’ils ont de durer est qu’Yvan Goll, sans l’avoir prémédité ni cherché , se trouve avoir exprimé tout à la fois , d’une manière indissoluble , lui-même et son époque , le tournant du vivant qu’il était , et le tournant de l’âge où il lui était imposé de vivre .

 Certaines de ses strophes pourront devenir des épigraphes au-dessus des portes de fer de notre temps . Quel plus bel éloge à faire d’une poésie qui n’a eu d’autre ambition , d’autre soin , que d’être personnelle ?

 Enfin que Claire me permette de lui affirmer avec quel sérieux , quelle profondeur , la perte d’Yvan Goll est ressentie par nous , et combien sa mémoire sera pour nous non affaire de mots , mais chose dense et vivante .

 Et laissez-moi jeter sur sa tombe ces trois strophes qu’il écrivait il y a quinze ans :

 

 Qu’il est difficile

 D’être seul et grand :

 Là-bas mille villes

 Te rappellent : Jean

 Vite il faut descendre

 Plein de repentir

 Dans la nuit de cendre

 Aller se blottir

 Là-bas ! Jean sans Terre !

 Pas ici ! Là-bas

 Sont les joies entières !

 Là où tu n’es pas !

 Jules Romains

 2 mars 1950

Hugues Fouras : Les Géorgiques Parisiennes p.47

"Cri d’amour à la fois tendre et railleur, tantôt familier et tantôt plein de révérence, ici filial, là empreint de fierté, Les Géorgiques Parisiennes sont le message posthume du poète à la ville où il vécut si longtemps.

Comme s’ils avaient été écrits à des époques très différentes, ces textes sont de deux veines : la veine légèrement cubiste et la veine très sensiblement traditionnelle. D’un poème à l’autre, on passe de la poésie rapide à la poésie scandée, sans toutefois perdre l’équilibre, grâce, sans doute, au jaillissement continuel d’images neuves et justes ;

Voici l’armée tondue des champignons de Paris, les cris de Sioux des marchands de quatre-saisons, les chats pharaons régnant dans les horlogeries sans bouleverser le temps, la flûte d’airain de la Tour Eiffel, un lâcher de corbeaux qui s’échappe des cloches et la Seine avec ses vagues aux hanches souples.

 Mes préférences vont, comme toujours, aux poèmes les plus achevés : ceux dont la forme est la plus rythmée et la plus musicale".

La Bouteille à la Mer 2ème trimestre 1951 -

Pierre-Louis Flouquet :

Le souvenir de Jean Sans Terre, Yvan Goll, Poète et Magicien

"Yvan Goll fut toujours pour moi une sorte de magicien. Non pour l’intérêt qu’il portait aux sciences occultes, mais parce qu’il était prodigieusement humain et que la magie véritable est d’accéder assez haut, dans la connaissance, pour tout pénétrer et tout comprendre sans cesser de s’émerveiller et d’aimer.…

Goll écrira :"les humiliations et les déchirements d’une population qui ne savait plus si sa vocation était d’être écartelée tous les quarts de siècle ou de devenir le trait d’union entre l’Allemagne et la France". Et plus tard :"L’Alsace était un corridor plein de courants d’air entre la douce France et la violente Allemagne ; qui de ma génération n’y a pas contracté une bronchite ?"

Après avoir participé au mouvement expressionniste allemand, il passera en Suisse pour ne pas porter les armes contre la France. Il s’associera à l’évangile pacifiste de Romain Rolland, publiera le beau "Requiem pour les morts de l’Europe" qui se termine par un hymne à la paix, et partagera les recherches occultistes du groupe "Eranos".

… En peu d’années Yvan Goll devait publier deux anthologies admirables “ Le Coeur de l’ennemi ” et

"Les Cinq Continents". La première, choix de poèmes de combattants pacifiques allemands, révélaient au lecteur français les angoisses, les révoltes, les désespoirs d’hommes qui avaient honte, criaient leur dégoût de la guerre, et sous le feu rêvaient de concorde et de paix. L’anthologie des poètes des cinq continents avait pour but de montrer, par un florilège de pages d’une haute valeur poétique, intellectuelle et morale, que le coeur ne connaît pas de frontière. … A mesure où s’évanouissaient les espoirs de paix grandissait le désenchantement du poète. L’homme des foules fraternelles se sentait envahi par le sentiment de la précarité des choses. Dans "Métro de la Mort", l’ouvrage de Goll que je publiais en 1934, aux "Cahiers du Journal des Poètes", on pouvait lire :

 Ombre grêle et hâtive

 Passager quotidien

 Quitte la triste rive

 Sur le fleuve du Rien

et dans l’un de ses ouvrages de prose, peignant la décadence de l’Europe, il avait trouvé un terme étrange, Eurocoque, pour désigner le virus de sa destruction.…

L’odyssée de "Jean sans terre" est symboliquement celle du poète qui ne se connaît pas de patrie héréditaire. Le premier ouvrage, "La Chanson de Jean sans terre", c’est la complainte terrestre de l’Eternel Errant. Il parut en 1936. Le "Deuxième livre de Jean sans terre" propose une course vers l’infini, une rose de cendres sur le front. Le "Troisième livre" est celui de la passion ultime du poète. Jean a le mal de terre, rencontre l’ange, emplit sa panse, pour lutter contre la maigre mort, brave la tempête puis se pare du nom de Jean de la mort, comme une couronne d’étoiles et de nuit.…

De lui jaillissent ces "Chansons de France" (Septembre 1940) dont on a pu dire qu’elles étaient par l’esprit et la forme même, les premiers poèmes de résistance, bien que publiés à l’étranger.… Sa poésie prend alors un sens toujours plus cosmique. Dans ses poèmes anglais sur l’atomisme, intitulés "Fruits de Saturne", il montre en tremblant que :"Chaque grain de poussière, si petit soit-il, est le centre d’un système planétaire aussi perfectionné que la mécanique qui gravite autour du soleil."… Mais "Jean sans Terre", blessé à mort, maudissant en poésie les nations ivres de leur méprisable puissance et de leur orgueil dérisoire, voit poindre une aube qui n’est plus d’ici. Dans la suite lyrique intitulée "Masques de Cendre" il saluera la promesse de destruction. Vers ce moment écrit Claire Goll :"sa lyre se fit plus forte et son imagination plus riche. A mesure que, semblable à une ombre, il chancelle vers la mort, renaît son amour de la langue allemande, qui a été sa seconde langue maternelle (…) Du subconscient de ce mourant montait cette évidence qu’il était le produit de deux civilisations qui l’avaient nourri, bien que son amour le plus grand allât à la France."

Qui fut Yvan Goll ? Jules Romains le dit dans son discours funèbre :"…Sans l’avoir prémédité, ni cherché, Goll se trouve avoir exprimé tout à la fois, d’une manière indissoluble, par une espèce d’harmonie préétablie, lui-même et son époque, le tourment du vivant qu’il était et le tourment de l’âge où il lui était imposé de vivre …"

…Les poèmes de "Herbe du Songe", encore inédits, sont d’une beauté pantelante et triste …

Le Journal des Poètes 22 ème année n° 3 - Mars 1952

Léon-Gabriel Gros :

Yvan Goll, L'Alchimiste fraternel

La parution chez Seghers dans la collection "Poètes d’aujourd’hui" d’une anthologie d’Yvan Goll permettra pour la première fois à un public tant soit peu élargi de découvrir et d’apprécier un poète dont la notoriété ce réduisait jusqu’à ce jour à des cercles assez restreint de connaisseurs. On peut dire que, littérairement parlant, la carrière d’Yvan Goll commence aujourd’hui, prés de six ans après sa mort.“ Tel qu’en lui-même enfin …” la critique le change, en définissant sa poésie et le rôle de premier plan qu’il joua ou plutôt qu’il ne joua pas dans le lyrisme contemporain, car le destin voulût qu’il fût presque toujours relégué dans les coulisses des mouvements d’avant-garde alors même qu’il avait autant et plus que personne contribué à leur lancement.

Par trois fois au moins en 1917, en 1924, en 1940 il manqua tenir la vedette mais chaque fois il se trouva dépassé par l’événement. Ce ne fut jamais, empressons-nous de le souligner, la faute de ses pairs, les meilleurs poètes de sa génération ayant toujours tenu Goll pour l’un des leurs, mais il est par contre certain que Goll fût victime d’un snobisme intellectuel assez répandu en quelques milieux d’édition, snobisme qui ne pouvait trouver aucun intérêt à Goll parce qu’il n’était qu’un poète, parce que ses démarches trop humaines étaient irréductibles à un système idéologique.…Ajoutez à cela que ce prince de l’image n’a jamais versé dans la gratuité. Ses poèmes n’étaient point de simples documents mais dans la plupart des cas des objets élaborés, formules d’exorcisme parfois à l’usage du poète lui-même, "mécaniques de satisfaction" pour quiconque se prêtait à leur incantation.…

Le paradoxe de ce poète qui souffrit personnellement plus qu’aucun autre de son déchirement entre deux cultures réside précisément dans le fait qu’il a transcendé en beauté et en lucidité non seulement ses propres douleurs mais l’apocalypse dont il fut le témoin. Perpétuel exilé, "voyageur traqué" comme on disait à l’époque, Goll qui a pu faire figure d’apatride était l’être le plus enraciné dans cette patrie intérieure de la Poésie qu’il ne faut pas confondre avec les régimes qui la régissent, écoles diverses novatrices ou académiques. Suspect à toutes les littératures établies, étranger aux diverses coteries, il a connu le sort de tous les pionniers et s’apparente par là à des hommes comme Reverdy, Cendrars, Jean de Bosschère qui pour la nouvelle génération évoquent des noms plus que des oeuvres. Comme si la jeune poésie avait commencé en 40 ou même en 24 ! Goll fut en somme un révolutionnaire d’avant la prise du pouvoir.

 Yvan Goll, ce musicien gnomique, ce fraternel alchimiste dont on ne saura jamais très bien si les puissances du coeur l’emportèrent en lui sur celles de l’imagination, ou inversement, s’il fut ou non cérébral, comme on dit, plutôt qu’instinctif, Goll, le plus concerté et le plus spontané des poètes nous apparaît en effet tout cela au moment de la revanche posthume que lui offre la collection Seghers. C’est qu’aussi bien son oeuvre choisie est présentée ici avec un appareil critique tout à fait exceptionnel, d’autant plus exceptionnel qu’à l’exclusion de Jules Romains qui bénéficie lui-même de tout le recul souhaitable les essayistes qui s’emploient à mettre Goll en valeur n’appartiennent à aucun des clans ou des mouvements de la poésie actuelle. Raisonnée ou passionnée leur adhésion échappe ainsi à tout parti-pris doctrinal. C’est le cas pour Marcel Brion qui parle en lecteur non prévenu et dit du même coup l’essentiel sur le plaisir poétique, pour Francis -J. Carmody et Richard Exner, le premier traitant de l’oeuvre française, le deuxième de l’oeuvre allemande de Goll.

… Goll, cet alchimiste du verbe (et il prétendait par les mots attendre la "res", la chose en soi) Goll ce mystique de l’objet dont-il souhaitait qu’il le " dévorât " s’est trouvé en un sens captif de ces "Cercles magiques" qui lui inspirèrent un de ses derniers recueils …

Si les plus émouvants, les plus beaux peut-être de ses poèmes furent les derniers, écrits en allemand (L’herbe du Songe) à l’époque où il agonisait, terrassé par la plus étrange des maladies, la leucémie, je crois qu’un poème des "Cercles magiques", "Les portes" résume mieux que tout autre ce que fût sa quête passionnée :

 J’ai passé devant tant de portes

 Dans le couloir des peurs perdues et des rêves séquestrés

 J’ai entendu derrière les portes des arbres qu’on torturait

 Et des rivières qu’on essayait de dompter

 J’ai passé devant la porte dorée de la connaissance

 Devant des portes qui brûlaient et qui ne s’ouvraient pas

 Devant des portes lasses de s’être trop fermées

 D’autres comme des miroirs où ne passaient que les anges

 Mais il est une porte simple, sans verrou, ni loquet

 Tout au fond du couloir tout à l’opposé du cadran

 La porte qui conduit hors de toi

 Personne ne la pousse jamais

 Je m’excuse de ne pas avoir mis l’accent sur la grandeur de Goll, j’ai simplement tenu à dire combien son oeuvre était arbitraire, fraternelle. De toute beauté, de trop de beauté peut-être. Mais Goll, à sa façon a lui aussi "trouvé la beauté amère".

Léon-Gabriel Gros

Cahiers du Sud - 43è année, n° 337 (octobre 1956) p.427 à 431- Le Témoin poétique .

Jean Rousselot : Les Nouvelles Littéraires 47 ème année, n° 2193 – 2 octobre 1969 : p.4, sur le premier tome des "Oeuvres" d'Ivan Goll.

La publication du premier tome des oeuvres d'Yvan Goll va remettre en lumière ce poète original et fécond dont le nom, dès 1912, se trouve associé à toutes les aventures de la poésie, de la littérature et de l'art nouveaux. Né à Saint-Dié en 1891, donc pendant l'annexion de l'Alsace Lorraine, et formé simultanément en français et en allemand, Goll sera toute sa vie divisé par cette double appartenance culturelle et il s'efforcera très honnêtement de l'assumer. C'est en allemand qu'il commence de s'exprimer en vers, mais c'est pour entonner un hymne à la fraternité des races, Le Canal de Panama, qu'on eut aimé trouver dans ce volume. En 1913, il participe, à Berlin, au mouvement expressionniste. La guerre venue, il passe en Suisse, y devient l'ami de Romain Rolland, de Pierre Jean Jouve, de Stéphan Zweig et publie, en français, ses Elégies internationales, sorte de réquisitoire lyrique contre la guerre.

Tour à tour futuriste, dadaïste, surréaliste, mais toujours à quelques encablures des chartes officielles, il va jusqu'à sa mort, en 1950, accumuler les livres de poèmes, les oeuvres scéniques, les romans, les traductions -- en français et en allemand -- de la plupart des poésie du monde, fonder des revues, toujours d'avant-garde, et mener des croisades, toujours pacifistes (il avait, dès 1917, dans son Requiem pour les morts de l'Europe, employé le premier, l'expression « citoyen du monde »), jamais à court d'invention, de lyrisme et de charité. 

C'est aux Etats-Unis, où il se réfugie dès 1939, qu'il achèvera ce qui est sans doute son chef-d'oeuvre, le poème en quatre mille vers de Jean sans Terre.

Nous n'en sommes pas là puisque ce tome premier ne rassemble que les oeuvres composées entre 1915 et 1927, tant en allemand qu'en français.

Entre autres Le Nouvel Orphée :

Tu ne connais pas Orphée ?

il tourne l'orgue du ciel

il tourne la roue des planètes

il tourne la montre surtout coeur

On trouvera enfin dans ce volume les Poèmes d'amour écrits en collaboration, ou plutôt en duo avec Claire Goll et qui sont l'un des sommets de notre poésie amoureuse. La Chaplinade et Lucifer vieillissant où, comme dans tout ce qui est sorti de la plume de Goll, se manifestent le même goût du merveilleux moderne et la même alacrité langagière que chez Apollinaire, Cendrars, Albert Birot, Delteil. Avec, en plus, un attachement profond à la réalité quotidienne et une sorte de spontanéité franciscaine : « rossignol, tu me convertis en chantant la messe du matin » -- et à laquelle ce poète qui se voulut peut-être trop systématiquement de son temps, doit d'être devenu un grand poète de toujours.

Jean Rousselot 

Les Nouvelles Littéraires 47 ème année, n° 2193 – 2 octobre 1969 : p.4, sur le premier tome des "Oeuvres" d'Ivan Goll.

Pascal Pia : Feuilletons littéraires ( tome 2 ) 1965-1977 . 937 pages

Yvan Goll et Claire Goll p.588 à 594

Fayard - novembre 2000

reprise de son article paru dans.

La poésie malgré tout

Presque simultanément viennent de paraître chez le même éditeur un récit de Mme Claire Goll, Ballerine de la peur, et 2 volumes rassemblant une grande partie de l'oeuvre poétique d'Yvan Goll, mort à 59 ans, en mars 1950.

Les noms de Claire et d'Yvan Goll n'ont été longtemps familiers qu'aux amateurs de poésie et à la clientèle, toujours restreinte, des petites revues littéraires. Depuis dix ou douze ans, la présence de ces deux écrivains dans la collection Seghers de « Poètes d'aujourd'hui » a certainement affermi et étendu leur réputation, mais peut-être celle-ci demeure-t-elle moins grande en France que dans les pays de langue allemande, et même moins bien établie qu'elle ne l'est déjà aux Etats-Unis, où l'oeuvre d'Yvan Goll fait l'objet de travaux universitaires et d'éditions critiques.

Cette fortune peut surprendre. Elle n'a cependant rien d'inexplicable. Yvan et Claire Goll ont résidé aux Etats-Unis pendant la dernière guerre et jusqu'en 1947. Il y ont publié plusieurs ouvrages, et Yvan Goll y a dirigé une revue bilingue, Hémisphères, au sommaire de laquelle figurèrent à côté d'André Breton et de M. Aimé Césaire, qui devait un peu plus tard siéger au Palais-Bourbon comme député communiste de la Martinique, M. Roger Caillois, futur académicien, et M. St John Perse, ancien secrétaire général du Quai d'Orsay. Jean Paulhan lui-même, à la meilleure époque de la N. R. F., n'eut pas réussi un plus éclatant assortiment. On conçoit que cet éclat n'ait pas laissé les Américains indifférents, et qu'ayant eu la curiosité de s'informer du directeur d'Hémisphères, ils aient découvert et apprécié la poésie d'Yvan Goll.

Quant à l'intérêt que l'histoire littéraire attache à Yvan Goll et à Claire Goll dans tous les pays germaniques, il suffit, pour le comprendre, de se rappeler qu'ils avaient tous deux débuté comme poètes de langue allemande, lui en 1914, elle en 1917, et que, résidant en Suisse, ils avaient en pleine guerre exprimé des sentiments pacifistes que personne n'oserait leur reprocher aujourd'hui, mais qui les désignaient alors à la réprobation des « jusqu'aux boutistes » de chaque camp.

Quelques précisions biographiques ne seront pas superflues. Né d'un père alsacien et d'une mère messine, Yvan Goll avait passé son enfance en Lorraine annexée. Il avait étudié le droit et la philosophie à l'université de Strasbourg et dès 1913, collaboré aux revues allemandes d'avant-garde, qui prônaient l'expressionnisme. Un de ses premiers poèmes, publié à Berlin au printemps de 1914, exalte l'ouverture du canal de Panama en des termes qui rappelle le Panama de Blaise Cendrars et qui pourtant ne lui doivent rien : le Panama de Cendrars était encore inédit en 1914, si tant est qu'il fut déjà composé, -- ce qui est peu probable. On rencontre, dans Der Panama Kanal, quelques-unes des images d'exubérance tropicale qui parsèment le poème de Cendrars, est aussi les mêmes impressions de fièvre, les mêmes soupirs de lassitude, les mêmes cris d'enthousiasme, les mêmes odeurs de décomposition. Si la critique avait voulu pourvoir d'une généalogie littéraire le jeune poète allemand qu'était alors Yvan Goll, sans doute l'eut-elle apparenté à Walt Whitman à Verhaeren, à l'Apollinaire de Zone et de L'Emigrant de Landor Road. Mais la critique ignorait encore Yvan Goll, dont le Panama était d'ailleurs signé du pseudonyme d'Iwan Lassang. Elle ne s'est avisée de son existence qu'au cours de la première guerre mondiale, sans prendre garde en ce temps-là à la qualité de ses poèmes, se bornant à louer ou à condamner ce qu'elle appelait son humanité ou sa sensiblerie, sa lucidité ou son défaitisme. Goll s'était rangé aux côtés de Romain Rolland en faisant paraître en 1915 à Lausanne un petit recueil d'Elégies internationales, puis en donnant l'année suivante aux éditions de la revue demain, que dirigeait Henri Guilbeaux, un Requiem pour les morts de l'Europe. Il s'était trouvé en Suisse au moment de la déclaration de guerre et avait choisi d'y rester. Comme Romain Rolland, il dénonçait la sottise d'un épouvantable conflit dans les conséquences pèseront encore sur de nouvelles générations. Dans les élégies qu'il dédiait aux peuples belligérants, il disait en 1915 :

« Peuples des chansons militaires ! Rêveurs ! Européens !

« Pourquoi ses matins grelottants sous le clairon, ces campements dans la fraise des bois, les villes énervées du sang lointain, la cavalerie flottante par les brouillards, des routes hagardes traînant l'exode des veuves, des plaines inondées de feu, les enfants sentinelles, les nuits malades et chancelantes à la toux du canon, et puis la pitié des Croix-Rouges ? Pourquoi cherchiez-vous l'amertume et la douleur, le tambour claquant de ses os et la plainte des tombes dans les dunes ?

« Peuples héroïques, vous qui cherchez votre grande bataille,

« Vous avez perdu la plus grande, Européens :

« L'Europe ! »

Les événements se sont chargés de montrer ce que ces versets comportaient de prophétique. Mais dans les années 15, 1617, l'attitude d'Yvan Goll ne le faisait pas considérer comme un prophète. Qu'ils lui fussent hostiles ou favorables, les lecteurs qu'il comptait en Suisse et ceux, beaucoup plus rares, qu'il pouvait avoir en Allemagne et en France, où le contrôle postal et la censure s'opposaient à la diffusion de ce qui s'imprimait à l'étranger, ses lecteurs le regardaient surtout comme un militant d'extrême gauche, pénétrés qu'ils étaient de la conviction que certains sentiments d'humanité impliquent nécessairement certaines opinions politiques. Pour ma part, je ne crois pas qu'Yvan Goll se soit jamais converti à Marx, à Proudhon, à Bakounine ou à Lénine, mais je ne doute point qu'il ait toujours eu en horreur toutes les dictatures, quelle qu'en ait été l'origine, et toutes les tentatives d'hégémonie, quelque prétexte qu'on eut avancé pour les justifier.

Né Allemand en 1991, Goll n'eut pas d'effort d'accommodation à s'imposer pour être Français à partir de 1919. Il était bilingue depuis son enfance. Jusque vers 1930, il écrivit tantôt dans une langue et tantôt dans l'autre, et s'il en vint ensuite à ne composer qu'en français, c'est qu'il lui eut été impossible d'être encore édité dans une Allemagne où les Nazis faisaient la loi. Par bonheur, sa poésie n'a pas souffert d'être réduite aux mots d'une seule tribu. Goll s'exprimait avec autant d'aisance dans chacune de ses deux langues, comme le prouve la version allemande des textes qu'en 1923 il a rassemblés en français dans un des ses meilleurs ouvrages, Le Nouvel Orphée. Sa poétique n'était déjà plus celle de ses pièces pacifistes. Des poèmes comme Paris brûle ou comme Astral, publié en allemand en 1920, puis en français trois ans plus tard, ne rappellent en rien Whitman ou Verhaeren, mais se rapprochent de L'Inflation sentimentale de Mac Orlan, du Voyage en autobus de Marcel sauvage et des Lampes à arc de M. Paul Morand, non seulement par leur modernisme et leur cosmopolitisme, mais aussi par leur écriture précipitée, télégraphique même, et la disparate de leurs images, lesquelles, au demeurant, reflètent beaucoup mieux que ne l'eut fait un texte discursif les ravages et les bouleversements causés dans le monde et dans les esprits de quatre années d'une guerre atroce :

       Attention, Premier round !

       L'Europe et le nègre Zeus se serrent la main

       Caleçon tricolore

       La poitrine humaine cintre un acier rose

       Les appareils Morse ont tous la fièvre

       Quatre poings façonnent l'honneur du monde

       U.S.A. toutes les montres sont arrêtées

       Les usines de munitions ont congé

       Les paquebots stoppent en plein Atlantique

       La statue de la Liberté sourit

       alors une guerre éclate

       des squelettes battent du tambour

       le prix du sucre monte

       enterrements gratuits

       des héros laurés de bandages

       entassés dans des wagons à bestiaux

       portent leur coeur séché

       entre deux feuilles de papier timbré

       Le rapide Rome-Stockholm

       est exclusivement composé de voitures-cercueils

       A cet instant

       devant une table de café

       un GENIE découvre

       l'amour des hommes.

Cette citation, extraite de Paris brûle, en ignorerait-on la provenance, il ne serait pas difficile de la dater exactement, d'y reconnaître le souvenir des fourgons où avaient dû se presser les hommes envoyés à l'abattoir, le rappel des fructueuses affaires conclues après l'armistice par d'habiles spéculateurs, et les échos du tumulte organisé autour de certains matches de boxe disputés à Madison Square.

Je ne puis m'arrêter ici à tout ce que contiennent les deux volume où viennent d'être réunis la plupart des poèmes d'Yvan Goll. Je le regrette, car il n'est aucun de ces poèmes qui, d'une manière ou d'une autre, ne témoigne de la sensibilité de leur auteur. Les vers que dès 1934 Goll consacra à un imaginaire Jean sans Terre toujours en mouvement, sont d'un visionnaire que la seconde guerre mondiale n'aura pas surpris. Les amateurs de chansons populaires, les collectionneurs d'épinaleries ne sauraient s'y tromper : Jean sans Terre, c'est Isaac Laquedem, le Juif errant de la complainte. C'est aussi Yvan Goll lui-même qui, Juif, Alsacien et pacifiste, pressentait qu'il lui faudrait cherchez bientôt refuge hors de notre continent. Je ne soutiendrais pas que cette perspective lui ait été agréable, mais je ne crois pas qu'il s'en soit affligé outre mesure. Il se savait égal à son destin, comme eut dit Apollinaire. Atteint de leucémie, il a voulu rentrer en France pour y mourir. Il commence d'y survivre.

Pascal Pia dans " Carrefour " mercredi 8 mars 1972, repris dans :

Pascal Pia : Feuilletons littéraires ( tome 2 ) 1965-1977 . 937 pages

Yvan Goll et Claire Goll p.588 à 594

Fayard - novembre 2000

Jacques Audiberti : Dimanche m'attend

sur Claire et Yvan pages 61 - 190 - 195 /196

p.61: Englouti depuis des millénaires surgissent sous les espèces de quelque livre de leur cru, des amis qui trépassèrent. Oh! Ils ne me reprochent rien. Devrais-je me reprocher de ne pas les avoir aimés ? Yvan Goll, à qui la peur octroyait de sombres ailes... Yvan Goll, quand il habitait l'île Saint-Louis, n'avait qu'à s'envoler par dessus la moitié de la Seine pour atterrir rue des Rosiers, se procurant, là, des nourritures juives qui me soulevaient le coeur à vomir, trop chargées en sacramentel...

p. 195 Le visage de Claire Goll, martyrisé par les années, brille de retours de beauté sous la chevelure chauffée au rouge. Elle me reproche de ne rien faire pour la mémoire d'Yvan Goll, son mari. Que pourrait-on faire ? Il était peureux, malheureux, un véritable arbre humain aimanté à convoquer sur lui les rafales policières et militaires de l'Allemagne dont la langue était aussi la sienne. Il écrivait de bons vers et sa femme de beaux romans. Claire Goll et Yvan Goll habitaient, un temps, l'île Saint-Louis. Un léger saut par-dessus la moitié de la Seine et l'on était rue des Rosiers, ou un homme au poil noir vendait trois citrons dont le jaune strident dialoguait avec son melon noir. Alors le quartier juif éclatait d'une inexpiable intensité dans sa propre ressemblance, les carpes dans le tonneau, les bouchers barbus sous un feutre noir, partout Rebecca perruquée, sur le ciment de la rue des enfants avec des oreilles de cerf, et de vieux hommes la face gonflée de gésiers d'oie, et des kabbalistes barbus au visage parfois classique, aquilin, à peine frotté de tartare, l'ivresse d'un printemps qui montait de cette Fête-Dieu à longueur de semaine et de journée, et Yvan, bizarre prénom russe à majuscule bretonne, ramenait quelques emplettes...

Alain Bosquet  :

In memoriam Yvan Goll

Poète aux interstices

Plus seul qu'un verbe vêtu de corbeaux,

plus seul qu'un mot blessé,

plus seul qu'un vent perdu dans les érables,

je viens, je ne viens pas,

je passe et ne veux point passer.

Tout un langage doit mourir.

Et tant de voyageurs se sont repus

d'une presqu'île aveugle !

Une écorce proteste :

" Il rompt ce pain d'oiseaux,

il corrompt cette bible d'écume."

Quelqu'un - vous, tiges qui cachez les aubes,

vous cendres chevelues comme les jeux de la terreur -

osera-t-il raccommoder ce peu d'espace ?

Les sables me haïssent :

je leur apprends qu'ils deviendront la chair.

Et l'eau a peur de vivre :

je lui ai dit de se changer en sang

pour nourrir l'horizon,

pour conduire le fleuve

où le fleuve n'a pas le droit d'aller.

Je suis si seul,

je paie cher le voisinage du poème.

Je triche, en dépouillant mes compagnons :

la lumière bossue,

la cascade qui souffre d'insomnie.

Un peu d'azur myope ! Une poignée de bêtes rondes !

"L'homme est trop grand, l'homme corrige le tangage" :

ainsi je parle, ainsi je donne de fausses nouvelles

à la comète, au silice, au caillou.

Plus seul que le mensonge,

ô ma rosée que je nomme couleuvre !

Plus seul, dissous.

Mes meilleurs mots se couchent sous l'ortie,

mes plus vertes syllabes rêvent,

et c'est d'un très jeune silence,

et c'est de quelque attente douce,

et c'est d'une tristesse chaude et sans musique.

J'ai fait l'apprentissage

- si gras, si décharné, contradictoire et dur -

de mes limites.

Quelqu'un disait : "Buvez les poisons des étoiles" ;

quelqu'un d'autre : "Il est temps de changer de défi."

Plus tard, mon univers,

m'ayant quatre fois salué comme un ami,

s'est suicidé ;

puis mon ciel est rentré dans mon crâne :

sa conquête y a lieu tous les jours

à l'heure des algèbres

et des mers mortes.

Je recommence

mon seul périple :

celui d'une tiédeur,

en étranglant parfois la moindre image,

et parfois en jouant à pile ou face

Je ne sais quel faubourg de ma faible mémoire.

Je ne suis plus que ton intrus penseur,

ma chair !

Je ne suis plus que ton faux paysage,

ô ma conscience

qui n'a ni souffle ni poumon !

Et j'interdis à mes poèmes

de traduire les arbres :

est-ce pour que les arbres restent purs,

ou pour que les poèmes

ne se contentent pas de branches, de bourgeons ?

"Ton spectacle est cruel, il donne froid",

me disent quelques frères,

"tes fables ne respirent qu'en novembre,

et ton silence , bref comme un lézard,

congédie la colline

qui lui présente ses mouettes."

Or doute à doute, or dédain à dédain, or mal de coeur à mal de coeur

je bâtis mon palais sans façade ni mur.

Je suis chez moi parmi l'opprobre.

Ah ! l'hospitalité de n'être rien !

Ah ! le bonheur de s'offrir à l'oubli

comme on s'offre à des fleurs pour être leur pollens !

Et mon désert, fait de rires tués,

devient fertile

car s'il invente,

il refuse aussitôt d'inventer.

L'espace mon ortie,

l'espace mon insecte,

je t'apprivoise

- un oeil suffit,

ou la main sans les doigts,

ou l'âme privée de son âme -

d'ici sans me lever,

d'ici sans te décrire,

sans même aller à l'autre porte

d'ici.

Alain Bosquet

3 décembre 2008

Cuy Chambelland 1970

Guy Chambelland :

«Yvan Goll est certainement l’un des poètes les plus importants apparus vers les années 20. Mêlé à tous les mouvements poétiques d’alors (il publia en 1924 une revue Surréalisme,  qui n’eut qu’un numéro mais groupait Reverdy,  Albert-Birot,  Crevel,  Radiguet,  Delteil …),  son indépendance vis-à-vis de chacun d’eux lui valut sans doute de rencontrer moins d’audience que des poètes plus …politiques. Cette liberté mérite qu’on aille y voir de plus près:  un poète de taille est là,  dont la renommée ne devrait plus tarder. Le Tome 1 de ses Oeuvres complètes est paru chez Emile-Paul. Les poèmes suivants (Lackawanna Elegy ,Tout navigue à sa perte, Les Docks, Où ces bateaux emportent-ils tout notre silence, Le Fleuve plombé, Le dernier Fleuve, Le Fleuve compatissant, Glas des Bouées, La Fermeture des Flots p.79 à 86 )  ont été écrits en 1943 et 1944,  alors que Goll,  Alsacien,  s’était exilé aux U.S.A. Ils ont été publiés pour la première fois en 1970,  sous le titre Lackawanna Elegy,  avec une traduction américaine. La première édition française de cette Elégie de Lackawanna paraîtra en fin d’année dans notre collection Poésie-Club,  augmentée d’une suite d’inédits :  L’Herbe du Songe. »

Le Pont de l'Epée n° 44-45 - 1970, La Bastide-d'Orniol, Goudargues (Gard)

 

3 décembre 2008

Jules Romains Eloge funèbre d'Yvan Goll 2 mars 1950

Discours prononcé aux obsèques d’Yvan Goll par M . Jules Romains de l’Académie Française

                                                                                     ( 2 mars 1950 )

L’homme qu’était Yvan Goll , je ne l’ai vraiment connu qu’à New-York , où nous nous trouvions ensemble pendant la Guerre .
         Je connaissais depuis longtemps le poète , que j’avais en haute et singulière estime . Mais l’homme n’était encore pour moi qu’une silhouette , il me restant à découvrir.

Ses amis le savent : c’était un être d’une étonnante séduction . Sa voix , son regard , l’expression permanente de son visage , faisaient appel à ce qu’il y avait en vous de moins offensif , de moins sur le qui-vive , de plus volontiers confiant et abandonné . Je ne l'ai jamais entendu parler avec amertume de rien , ni de personne . D'abord il parlait peu. Pour mieux dire il ne prenait jamais la parole . Il attendait qu’un silence des autres vint la lui offrir .

         Il était si naturellement modeste qu’on oubliait de s’en apercevoir . Quand je songe à tous ceux dont chaque phrase est un rappel de leurs mérites , où des injustices qu’on leur a faites , ou des hommages que tout de même ils ont recueillis , mais qui ne sont qu’un faible acompte de ceux que leur doit un avenir réparateur !

         Yvan Goll ne plaignait pas . Ou plutôt une espèce de plainte sortait bien de l’être qu’il était , mais à son insu . S’il en avait eu conscience ; il s’en serait excusé comme d’une indiscrétion .

         Dans ce New-York des années de guerre , il était comme un exilé , ainsi que d’autres , ainsi que nous . Mais l’exil ne semblait pas avoir de quoi le surprendre, ni de le décontenancer .  Pour le poète de Jean Sans Terre , l’exil n’était pas un accident . C’était une sorte de vocation .  L’on peut dire qu’il ne n'y perdait Pas . Il s’y retrouvait .

         Aux événements du monde dont nous parlions ensemble, il vouait la même malédiction que nous . Il ne jouait nullement à leur égard l’indifférent ni le détaché . Mais il leur opposait malgré lui comme une grâce intemporelle .

         Je 1’ai revu à Paris . Sa maladie ne lui laissait , je crois , aucune illusion .Il n’aurait pas fait aucune difficulté à vous déclarer :

         "Oh ! ma mort n’est plus qu’une question de temps". Mais il l’eût dit avec un sourire si désarmé , si bienveillant , qu’on eût soudain pensé que la mort , pas plus que l’exil , n’avait sur lui le même effet de désarroi , le même pouvoir de morsure , que sur d'autres .   

         Pour le poète qu’a été Yvan Goll , je m'en voudrais de traiter de lui en si peu de mots, de paraître expédier un éloge cursif et de circonstance . Ce que je tiens à dire , en m’inspirant de la modération et de la pudeur qu’il montrait , c’est que peu de poètes de notre temps ont été moins superflus . Je n'ai jamais rien lu de lui qui ne me semblât nécessaire , justifié , dicté . Rien qui , du même coup ne fût intéressant et émouvant . Ce sont là deux épithètes qui peuvent paraître faibles aux amis de l’emphase . Je leur attache pour ma part beaucoup de prix , et ne les décerne , dans la vérité de mon cœur , qu’à un tout petit nombre . Bien des poèmes d’Yvan Goll ont de grandes chances d’être durables .

         Une raison particulière qu’ils ont de durer est qu’Yvan Goll, sans l’avoir prémédité ni cherché , se trouve avoir exprimé tout à la fois , d’une manière indissoluble , lui-même et son époque , le tournant du vivant qu’il était , et le tournant de l’âge où il lui était imposé de vivre .

         Certaines de ses strophes pourront devenir des épigraphes au-dessus des portes de fer de notre temps . Quel plus bel éloge à faire d’une poésie qui n’a eu d’autre ambition , d’autre soin , que d’être personnelle ?

         Enfin que Claire me permette de lui affirmer avec quel sérieux , quelle profondeur , la perte d’Yvan Goll est ressentie par nous , et combien sa mémoire sera pour nous non affaire de mots , mais chose dense et vivante .

         Et laissez-moi jeter sur sa tombe ces trois strophes qu’il écrivait il y a quinze ans :

                         

                          Qu’il est difficile

                          D’être seul et grand :

                          Là-bas mille villes

                          Te rappellent : Jean

                          Vite il faut descendre

                          Plein de repentir

                          Dans la nuit de cendre

                          Aller se blottir

                          Là-bas ! Jean sans Terre !

                          Pas ici ! Là-bas

                          Sont les joies entières !

                          Là où tu n’es pas !

                                                     Jules Romains

                                                     2 mars 1950

3 décembre 2008

Jean Cassou et La poésie des Cinq Continents 1924

Les Cahiers idéalistes français Nouvelle série n°10 - mai 1924 ( p.46 à 49 )

Jean Cassou : Ivan Goll et La poésie des Cinq Continents

Ivan Goll s'est un jour présenté lui-même comme « un homme assis entre deux chaises : le klübsessel allemand et un fauteuil Louis XVI » . Et, il ajoutait: « chaque fois que je veux me reposer, je tombe entre les deux dans le vide et me casse soit une jambe, soit le coeur. Voilà ce que c'est d'être né en Alsace ».

         Né en Alsace, Goll incarne assez heureusement tout ce qu'on range d'ordinaire sous les étiquettes: nouvel esprit européen et ironie sentimentale.

         Les pièces d'Ivan Goll sont des pièces à masques. Ainsi jadis faisait-on des pièces à thèses. Le masque, Goll l'a remarqué, est implacable comme le destin. Il exige de l'acteur un jeu mécanique et se complète nécessairement d'un costume plus bariolé que la carte de l'Europe Centrale. Grâce au masque, Goll atteint ce surréalisme dont on a tant parlé pendant un moment.

Le masque oblige à des contrastes, à des juxtapositions brutales et supprime toute espèce de dialectique. Il est très difficile dans cet art d'affiche et tout en premiers plans que proclame Goll, de se créer une personnalité, alors qu'un art nuancé, aérien et composé, soumis aux hasards de la physionomie et aux moindres influences climatériques, astrologiques ou humaines, un art avec des différences de niveau et de relief produit des formes plus diverses et permet plus aisément à l'artiste de se différencier de son groupe. Néanmoins Ivan Goll a accompli ce tour de force d'éviter les formules toutes faites et l'académisme de notre temps: admirons qu'il sache nous divertir par une évidente puissance et une variété inattendue.

         De ces pièces qu'Ivan Goll a réunies avec des poèmes dans son Nouvel Orphée, je retiens un poème épique en l'honneur de Charlie Chaplin, où ne manque aucun geste de ce héros, depuis le plus spontanément tendre jusqu'au plus automatiquement risible. Quant aux poèmes, ils exaltent un monde qui a négligé de s'assurer contre le bris des glaces et les révolutions futures / Paris brûle! Pourtant j'aime certaines notes touchantes:

                                      Les autobus démarrent

                                      Complets aux larmes

Et:

                                      Chaque arbre est une mère penchée sur sa douleur

                                      Mais l'homme que sait-il de la fleur

                                      Du travail avec des scarabées bruns à la semence brune?

                                      Il pèse le quintal de blé

                                      L'homme            que sait-il de l'homme?

        Ne pouvant toujours supporter son masque, haletant aussi à force de lancer à pleine poitrine des proclamations contradictoires comme des réclames, le nouvel Orphée se retrouve tout à coup dans une impulsion romantique aussi ardente que de grosses images cosmiques. C'est alors que la mélancolie juive de Goll s'en donne à coeur joie. « L'amour est à réinventer », chacun sait cela depuis Rimbaud. L'amour n'absorbera pas les nouveaux Orphées comme il semblait qu'il faisait des anciens poètes et des héros des romans psychologiques d'autrefois ; mais les épanchements lyriques à venir retentiront brusquement d'un appel sexuel ou d'une violente aspiration sentimentale vite étouffée par le jazz-band universel.…

Le plus nouveau des Orphées, pour le moment, est encore notre contemporain Goll.

        C'est chez lui qu'il nous plaît de trouver ce sentimentalisme brusque et bref, ces poussées de sanglots inutiles, ces éclats et ces refoulements. Une louable fièvre tend les vers d'Ivan Goll, on y sent une soif de comique, un goût triste de l’excès et de l'outrance, et surtout une raideur, un malaise qui prouvent bien que la poésie est une langue étrangère et difficile et qui, même si elle chante le mécanique et cherche à s'adapter aux soucis de nos jours, n'aura jamais rien à faire avec l'utile et le social. Qu'elle s'applique à ce qu'il y a de spécifique dans notre vie moderne, à notre actualité, à ce moment transitoire de notre industrie et de nos efforts techniques, à cet exercice périodique et réglé de notre machinisme: elle se rebelle contre une telle contrainte et s'échappe toujours par quelque issue, étant elle-même, en son essence qui est la langue et le rythme, désintéressée, improductive, imprévue, diverse et d'apparence capricieuse. Ce qui fait qu'un poème est organique, diffère absolument des raisons de vivre d'un appareil scientifique. Sa forme contredit la matière, et de cette opposition naît cet humour funèbre et cet air de violence et de difficulté qui caractérisent certain lyrisme contemporain et en particulier la poésie d'Ivan Goll. Il y a là une intensité qui n'est pas sans charmes.

Si un tel poète assume les responsabilités d'une anthologie mondiale, pourquoi nous étonnerions-nous des intentions qu'il y marque ? Tout ce qui est machine, vitesse, cosmos, panthéisme est sien. Une préface ingénieuse et pittoresque, affirme hautement ce point de vue. Pour Goll, la poésie moderne des cinq continents se réclame de Whitman, et certes j'applaudis à cet hommage à ce grand Walt que nul d'aujourd'hui, reprenant un mot illustre, n'hésiterait à proclamer le Père. J'aurais bien aimé entendre Goll nommer Rimbaud, ou même Paul Verlaine;

; et pour éviter tout malentendu, je rappellerais volontiers certains aphorismes élémentaires de Jean Cocteau :

on a inventé le genre moderne, le poète moderne, l'esprit moderne. Dire « je suis moderne » n'a pas plus de sens que la fameuse farce : « nous  autres, chevaliers du Moyen âge ». La confusion vient de ce que l'homme, véritable nègre, est ébloui par le progrès : téléphone, cinématographe, aéroplane. Il n'en revient pas. Il en parle comme M. Jourdain annonçe à tous qu'il s'exprime en prose.

C'est ce que le naïf appelle poésie moderne, confondant les mots et l'esprit. Il donne la première place au décor.

         Ce qui entre chaque jour dans notre décor ne doit être repoussée ni porté au premier plan. Le poète doit s'en servir au même titre que du reste.

Ne nous y trompons point : que Whitman ait élargi la rhétorique poétique, qu'il ait au trésor des thèmes conventionnels ajouté des thèmes conventionnels, c'est là un bienfait que nous ne devons imputer qu'à sa race et au moment de l'histoire où il eut le bonheur de surgir. Mais un tel apport ne suffirait pas à le consacrer dans notre mémoire. Que la poésie, depuis le temps où Vigny, au coeur de son chef-d'oeuvre et dans la plus singulière des digressions, déplorait la naissance des chemins de fer, ait adopté des objets nouveaux et conquis des terres vierges, ceci est une loi guère plus émouvante que telle autre loi de l'évolution humaine. Tout ceci, qui relève de ce que les mauvais orateurs appellent progrès, doit nous laisser profondément indifférents, et je ne puis admettre que le premier artilleur ait pu éprouver un sentiment quelconque d'orgueil et d'exaltation à la pensée qu'il succédait au dernier arquebusier. Et puis, à présent qu'aucun des cinq continents n'échappe à l'inquiétude du rythme et de la métaphore et que tout a été chanté sur le mode épique, magique et religieux, depuis la vigne et le rôti de bouc des lyrismes primitifs jusqu'à l'hélice, la bielle et la pile, que reste-t-il au poète, sinon le désir de rentrer en lui, seul continent où il puisse encore « trouver du nouveau »? Qu'il vive sa vie personnelle et pathétique, et que de chaque accident de cette vie il dégage l'élément unique, dans le vocabulaire inventé à son usage, avec des mots de lui connus comme les mots qu'emploient les mystiques pour désigner des choses qu'ils connaissent bien, eux, tout seuls, transfigurant ainsi et élevant au plan poétique, sinon miraculeux, une vie humaine : voir Rimbaud, voir Verlaine, voir aussi tout ce qu'il y a d'éternel dans l'éternel Whitman. Mais cette transfiguration sépara de l'homme, comme un roi barbare arrachant un enfant à sa mère, l'oeuvre : car les trépidations télégraphiques, pas plus que les exclamations du romantisme, n'ont jamais constitué ce qu'on appelle un style. Il est étrange qu'à l'époque où triomphait une peinture à tendances constructives et soucieuse de produire de beaux objets distincts s'ajoutant aux éléments dont se compose le monde, on ait vu la poésie se perdre si souvent en subjectivimes féminins et puérils, héritiers, au fond, des pires déliquescences romantiques.

        J'applique ces quelques superstitions à la lecture de l'Anthologie d'Ivan Goll. Je lis Carl Sandburg,  Apollinaire, Valéry, Antonio Machado, Soffici, Werfel, Alexandre Blok. A travers mille périls et mille contradictions, je m'assure que la poésie est de toutes les déesses la plus inconstante et la plus absurde, et je bénis les mains diverses qui osent encore soulever son voile .

Jean Cassou.

Les Cahiers idéalistes français Nouvelle série n°10 - mai 1924 ( p.46 à 49 )

3 décembre 2008

Jean Rousselot 1969

Jean Rousselot

La publication du premier tome des oeuvres d'Yvan Goll va remettre en lumière ce poète original et fécond dont le nom, dès 1912, se trouve associé à toutes les aventures de la poésie, de la littérature et de l'art nouveaux. Né à Saint-Dié en 1891, donc pendant l'annexion de l'Alsace Lorraine, et formé simultanément en français et en allemand, Goll sera toute sa vie divisé par cette double appartenance culturelle et il s'efforcera très honnêtement de l'assumer. C'est en allemand qu'il commence de s'exprimer en vers, mais c'est pour entonner un hymne à la fraternité des races, Le Canal de Panama, qu'on eut aimé trouver dans ce volume. En 1913, il participe, à Berlin, au mouvement expressionniste. La guerre venue, il passe en Suisse, y devient l'ami de Romain Rolland, de Pierre Jean Jouve, de Stéphan Zweig et publie, en français, ses Elégies internationales, sorte de réquisitoire lyrique contre la guerre.

Tour à tour futuriste, dadaïste, surréaliste, mais toujours à quelques encablures des chartes officielles, il va jusqu'à sa mort, en 1950, accumuler les livres de poèmes, les oeuvres scéniques, les romans, les traductions -- en français et en allemand -- de la plupart des poésie du monde, fonder des revues, toujours d'avant-garde, et mener des croisades, toujours pacifistes (il avait, dès 1917, dans son Requiem pour les morts de l'Europe, employé le premier, l'expression « citoyen du monde »), jamais à court d'invention, de lyrisme et de charité.   C'est aux Etats-Unis, où il se réfugie dès 1939, qu'il achèvera ce qui est sans doute son chef-d'oeuvre, le poème en quatre mille vers de Jean sans Terre.

Nous n'en sommes pas là puisque ce tome premier ne rassemble que les oeuvres composées entre 1915 et 1927, tant en allemand qu'en français.

Entre autres Le Nouvel Orphée :

Tu ne connais pas Orphée ?

il tourne l'orgue du ciel

il tourne la roue des planètes

il tourne la montre surtout coeur

On trouvera enfin dans ce volume les Poèmes d'amour écrits en collaboration, ou plutôt en duo avec Claire Goll et qui sont l'un des sommets de notre poésie amoureuse. La Chaplinade et Lucifer vieillissant où, comme dans tout ce qui est sorti de la plume de Goll, se manifestent le même goût du merveilleux moderne et la même alacrité langagière que chez Apollinaire, Cendrars, Albert Birot, Delteil. Avec, en plus, un attachement profond à la réalité quotidienne et une sorte de spontanéité franciscaine : « rossignol, tu me convertis en chantant la messe du matin » -- et à laquelle ce poète qui se voulut peut-être trop systématiquement de son temps, doit d'être devenu un grand poète de toujours.

Jean Rousselot

Les Nouvelles Littéraires 47 ème année, n° 2193 – 2 octobre 1969 : p.4, sur le premier tome des "Oeuvres" d'Ivan Goll.

3 décembre 2008

Jean-Daniel Maublanc, L'Archer, Toulouse, 1930

Jean-Daniel Maublanc :

IVAN GOLL ET LA POESIE INTERNATIONALE

Si l'histoire politique demande parfois le recul d'un demi siècle pour se dégager et prendre les apparences de la vérité, l'histoire littéraire, qui reflète des passions aussi ardentes et enregistre des bouleversements spirituels aussi profonds, demande les apaisements séculaires pour fixer les figures et situer les oeuvres. Mais, de même que l'histoire politique se constitue au jour le jour par l'accumulation des faits et l'élan continu des forces nouvelles, de même l'histoire littéraire s'inscrit au fil des ans selon le rythme des créations intellectuelles, chaque auteur apportant à l'édifice de la petite pierre de son talent, parfois l'airain de son génie. Il arrive, dans l'une et l'autre histoire, que des révolutions ébranlent l'édifice tout entier, que certaines personnalités s'inscrivent en lettres capitales et éclaboussent, des poussières qu'elles déplacent, un siècle de patiente harmonie et de laborieuses acquisitions. Notre début de siècle aura connu des bouleversements de tous ordres et dans tous les domaines mais si,  conduits sans conviction et mal soutenus des élites,  les bouleversements politiques s'amenuisent et s'orientent vers une stabilisation franchement régressive,  les révolutions littéraires,  après avoir consolidé d'immenses et fructueuses acquisitions,  s'installent en conquérantes dans les domaines de l'esprit.

          On pourra dire que le XX ème siècle aura consacré la mort des vieilles écoles et qu'une nouvelle poésie - la seule vraie poésie pour certains -,  est née avec lui. Le cubisme,  Dada,  le surréalisme - le vrai et l'autre -,  figureront,  dans le débat,  l'extrême gauche réalisatrice et,  parmi ces cohortes à gilet rouge et "stylo entre les dents ",  Ivan Goll m'apparaît déjà comme un chef résolu,  fier d'une doctrine qu'il a enfantée,  nourrie de son talent et de son coeur. L'avenir fera la part de son activité et de son oeuvre,  il m'a semblé bon d'en fixer dès maintenant le témoignage.

Il est incontestable que nous vivons actuellement quelques heures capitales de l'histoire humaine,  les vieilles hiérarchies s'écroulent,  prennent peur,  tentent d'endiguer le flot nouveau.

La grosse erreur de notre époque fut de donner à la bourgeoisie cette prédominance bestiale,  expression d'un désir immodéré de jouissances et de réalités matérielles. N'en incriminons pas forcément l'argent,  mais bien cet état d'esprit qui donne au ventre la maîtrise et laisse à la pourriture les valeurs spirituelles. C'est sur ce fumier qu'a fleuri la digitale Dada. Les dadaïstes étaient intelligents trop,  sans doute,  puisqu'ils poussèrent leur système à l'absurde ; ils étaient des bourgeois au sens vulgaire du mot ; mais,  révolutionnaires d'instinct,  ils rêvaient le renversement total des idées reçues et la table rase des acquisitions antérieures. Partis d'un point de vue défendable ils se contentèrent de renverser sans construire,  car l'illogisme était leur acte de foi,  la confusion,  la caractéristique essentielle de leur mouvement. Fiers de se contredire toujours,  ils réunirent à démontrer qu'ils n'étaient rien et ne pouvaient rien être.

Le mouvement Dada ne fut qu'une convulsion,  une mode fugitive,  une attitude pour milieux snobs.

Comme nombre des jeunes gens d'alors,  Ivan Goll n'ayant rien de commun avec certains hommes dont le poil est gris aujourd'hui,  a participé au mouvement Dada en tant que manifestation révolutionnaire humaine. Comme les dadaïstes,  il a toujours été du côté de ceux qui voulurent jeter bas les vieilles ruines qui encombrent l'Europe et bouchent notre horizon. En cela,  il se rapproche plus,  à mon sens,  du cubisme extrêmement réalisateur et constructif d'un Cocteau. Mais après,  quelques,  tournois sonores,  à l'âge où tout paraît possible,  il s'est aperçu que les pierres moisies risquent de tomber sur la tête  (Cocteau n'a-t-il pas ruiné ses forces à essayer de soulever les mondes ? ) et il a pensé qu'il valait mieux laisser les musées à leur place et construire sa petite ville à côté. Il ne manque pas d'espaces incultes et de vallons fleuris sur cette terre. En sorte que les traces de Dada qu'il nous est possible de trouver dans les premiers vers d'Ivan Goll ne sont sans doute que des manifestations d'un esprit affranchi et non fonction d'une doctrine. Je dirai tout à l'heure ce qu'est le surréalisme d'Ivan Goll. Ses poèmes d'aujourd'hui différents pourtant des poèmes de jadis - sont tout aussi libres qu'eux et son surréalisme  (car c'est la véritable doctrine à laquelle il se rattache) était en substance aussi bien en 1920,  en 1924 qu'en 1929 dans son oeuvre. La théorie érigée dans le premier numéro de son éphémère revue (numéro premier et unique) n'était qu'une simple déclaration,  une définitive mise en règle de ce que lui avait appris 1'exercice de son art.    

Mais,  direz-vous,  le surréalisme d'Ivan Goll n'est donc pas le surréalisme orthodoxe et dictatorial qu'on nous prêche aujourd'hui sous les plafonds du " Radio " ?  Si je veux examiner la question d'une certaine hauteur - et mettant à profit le recul de quelques années - je résumerai ainsi la différence entre les deux Surréalismes :    

   Toute poésie a besoin d'ailes,  pour arriver à imiter les oiseaux qui nous sont supérieur,  par la volonté de Dieu. Les surréalistes,  groupés autour de Breton,  empruntent leurs ailes au rêve,  à l'inconscient,  au fonctionnement obscur et étrange du cerveau. Le surréalisme de Breton,  pour lequel Freud est la Muse nouvelle,  relève plutôt de la psychiatrie. Le surréalisme d'Ivan Goll,  directement issu de Rimbaud,  Laforgue et Apollinaire,  puise son extase et son haut,  au coeur,  au sentiment,  à l'ivresse obscure de l'amour de toutes choses. Pour l'un comme pour l'autre,  l'art " échappe à toute préméditation ". " C'est un événement de la Nature. Naissance spontanée " (Delteil). Et puisque Dieu,  ou la force animatrice et créatrice des Mondes,  est le point de départ des deux doctrines,  on peut dire que,  manifestement divergentes,  il existe sûrement un point où les théories se rencontrent.

Yvan Goll avait déjà publié quelques oeuvres importantes quand il fonda la revue " Surréalisme " dont le premier numéro, paru le premier octobre 1924, n'eut pas de suite, 16 pages, sous couverture illustrée par Robert Delaunay. Au sommaire : Guillaume Apollinaire, Marcel Arland, Pierre Albert-Birot, René Crevel, Joseph Delteil, Robert Delaunay, Paul Dermée, Jean Painlevé, Pierre Reverdy. La couverture annonçait la fondation d'un " Théâtre surréaliste " avec programme monstre, metteurs en scène russes, autrichiens, italiens et un français : Gaston Baty. Mais, pour vivre et durer, Revue et Théâtre cherchèrent  un Mécène. Personne n'ayant ouvert sa bourse, Revue et Théâtre moururent aussitôt que conçus. Qu'importe, le sillon était tracé, la moisson devait mûrir, malgré tout.

"La réalité,  écrivait Ivan Goll dans son manifeste,  est la base de tout grand art. Sans elle,  pas de vie,  pas de substance. La réalité,  c'est le sol sous nos pieds et le ciel sur notre tête. Tout ce que l'artiste crée a son point de départ dans la nature... Cette transposition de la réalité dans un plan supérieur  (artistique) constitue le Surréalisme. Le surréalisme est une conception qu'anima Guillaume Apollinaire,  qui avec le matériel élémentaire des phrases et des mots de la rue faisait des poèmes... Seulement,  avec ce Matériel élémentaire,  il forma des images poétiques. L'image est aujourd'hui le critère de la bonne poésie. La rapidité d'association entre la première impression et la dernière expression fait la qualité de l'image... L'image est devenue l'attribut le plus apprécié de la poésie moderne... L'art est une émanation de la vie et de l'organisme de l'homme. Le surréalisme est un vaste mouvement de l'époque. Il signifie la santé... retrouve la nature,  l'émotion première de l'homme,  et va,  avec un matériel artistique complètement neuf,  vers une construction,  vers une volonté. "

Le surréalisme,  enfin " sera international,  il absorbera tous les ismes qui partagent l'Europe,  et recueillera les éléments vitaux de chacun ".

C'est sur le plan international que se détache avec le plus de netteté la personnalité littéraire d'Ivan Goll. Esprit cosmopolite,  humanitaire,  pacifiste,  il chante la fraternité des races et l'abolition des frontières. Sa première grande oeuvre naturellement méconnue,  "Les Cinq Continents "anthologie mondiale de la Poésie contemporaine  (La Renaissance du Livre,  1922) est un essai de collaboration simultanée de toutes les races intéressant tous les individus. Ce n'est sans doute pas une anthologie complète,  mais c'est le livre idéal de l'Européen de 1923 que pouvait se représenter l'auteur,  achetant ce livre dans une gare quelconque. Livre subjectif,  unilatéral,  partial et certainement systématique,  mais si plein de vie,  si mugissant des cris de la terre,  qu'il aurait mérité le grand succès et une place de choix dans le coeur des poètes.

" Une mappemonde sur une table de travail est le plus beau jouet et le délassement le plus doux que l'on puisse trouver. L'homme oublie sa tristesse quotidienne en parcourant d'un doigt rêveur le Globe qui contient tout. Navigateur de l'infini,  pendant cinq minutes,  il va se reposer dans un paysage lointain... Pour découvrir dans des pays inconnus les véritables valeurs,  c'est aux poètes,  qui sont des prophètes,  qu'il convient de s'adresser en premier lieu ". Et,  durant trois années,  aidé par une cinquantaine de traducteurs de toutes langues,  Ivan Goll a lié cette gerbe de jeunesse et de vérité. Voici les Américains  (Carl Sandburg,  Edgar Lee Mastera,  Vachel Lindsay,  Amy Lowell,  James Oppenheim,  etc...) Les Anglais  (Richard Aldington,  F.-S. Flint,  T.-S. Eliot et John Rodker) les Irlandais  (James Stephens,  Padraic Colum). Les Français - et cela donne aux lecteurs l'idée générale et la tendance de l'ouvrage - sont représentés par Guillaume Apollinaire,  Blaise Cendrars,  Jules Romains,  Max Jacob,  André Salmon,  Jean Cocteau,  Ivan Goll,  Pierre-Albert Birot,  Philippe Soupault,  Nicolas Beauduin. Je suis assez surpris de voir Paul Valéry compléter cette liste.... Nicolas Beauduin y figure sans doute comme résurrecteur du vieux paroxysme... mais alors,  pourquoi refuser à Paul Dermée et à Verhaeren un fauteuil en la section belge,  où je ne vois figurer que Franz Hellens,  Paul Neuhuys et Wies Moens ?  L'Italie futuriste et cubiste avec Marinetti en tête,  l'Espagne (Ramon Gomez de la Serna,  Juan Ramon Jimenez,  Antonio Machado,  etc...) et la Catalogne,  séparatiste  (Engeni d'Ors,  Alfons Maseras,  Salvat Papasseit) complètent,  avec quelques Mexicains,  Nicaraguens,  Péruviens,  Chiliens,  Argentins,  Portugais,  Grecs et Roumains,  cet important groupe Latin qui me semble avoir la tâche la plus dure pour secouer les rudes remparts du moyen âge et brûler les vieilles grammaires. Le groupe germanique  (allemands,  autrichiens,  hollandais,  suisses,  suédois,  norvégiens,  danois et finlandais :  23 poètes a toutes les tendresses d'Ivan Goll,  mais si le groupe slave  (21 poètes) m'effraie un peu par ses cris sauvages et ses visions incandescentes,  j'aime à relire les tendres,  douloureux,  purs et naïfs poèmes des Vieux Peuples orientaux. Les japonais (l'Empereur Moutsou-Hito,  Nico D. Horigoutchi,  Rofu Miki,  Shira Tori,  etc...) les Chinois,  sont de merveilleux,  d'incomparables inspirés. Leurs oeuvres sont des violettes toutes simples cueillies le long de la grand-route humaine,  mais si parfumées,  si tendres de rosée,  que l'âme en est toute bouleversée. Et voici les Hindous représentés par Rabindranath Tagore,  les Juifs - avec inévitable pogrome -,  les Turcs,  les Arméniens,  les Indiens,  enfin les Nègres,  instincts à leur première aurore,  poésie directe,  intense,  vraie... Je connais nombre de Poètes modernes. Dix à peine ont eu en mains "les Cinq Continents",  trois possèdent l'ouvrage et l'ont lu.. Navrant.

Entrons désormais dans les champs poétiques d'Ivan Goll. Quelques poèmes dès 1912,  à vingt ans. Je m'en tiendrai à "Le Nouvel Orphée",  édition collective publiée par "La Sirène" en 1923. Poésie âpre,  faite d'un papillotement d'images projetées du cœur-miroir par réflexion,  avec des contours de pointe-sèche et la matière du métal. Lampes à arc et feuilles de température,  j'écris ces mots avec intention. Ces Poèmes sont des jeux kaléidoscopiques,  films primitifs et éphémères,  dont les vertèbres ne sont qu'instants et rayons,  mais dont le corps émerge d'ensemble,  en silhouette crue et dans l'atmosphère. La beauté de ces morceaux et leur pouvoir évocateur,  naissent du choc incessant des images,  dans un désordre d'apparence,  car rien n'est désordre en la vie et la poésie d'Ivan Goll,  c'est la vie même.                  

Voici quelques images détachées de "Paris brûle"

Les blancs corbeaux des quotidiens

se battent autour des appâts de la nuit

Le monde juge en trois lignes

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Ses paupières sont des feuilles d'automne

qui ont peur de tomber dans l'herbe

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L'aiguille en platine de la Tour Eiffel

crève l'abcès des nuages...

…Et j'ai peur

que mon coeur

qui n'a pas de cran d'arrêt

comme un revolver

ne parte tout seul

Le plus insignifiant détail,  le plus banal,  la notation la plus imprévue,  l'incidence la plus saugrenue,  sont venus naturellement s'inscrire sur la toile où le pinceau du poète étale la pâte coloriée,  puisée à même la réalité et découpée dans son ciel de tous les jours. Les sentiments humains nous apparaissent sans métaphysique et sans subtilités,  sans logique ni esthétique,  sans effets de grammaire ni jeux de mots. Ce ne sont que des objets participant de la sensibilité universelle,  aussi nets de contours,  aussi vrais,  aussi schématisés que l'ovale d'un visage ou le cube monstrueux d'un gratte-ciel. Un peu d'exagération,  parfois,  mais exagérer n'est pas mentir...

Je me vends moi-même je vends Dieu je vends

le monde entier

Tout ce que nous faisons est péché

Ne pas agir est l'unique salut...

Poésie externe,  en somme,  pour l'oeil et pour les sens,  mâle et dure,  poésie qui touche et fustige,  ébranle plus qu'elle n'émeut. Et par-dessus tout poésie pessimiste,  désespérée,  impliquant au renoncement,  qui fait toucher du coeur,  les immortelles misères de la création,  les égoïsmes glacés d'une société sans amour et l'immense océan de la bêtise humaine.

Le poète enregistre comme un thermomètre

la fièvre du monde....

....Le poème est de l'angoisse anesthésiée

La douleur est meilleure que I'amour....

Ivan Goll démasque et écorche (lisez Mathusalem ou l'Eternel Bourgeois) fouaille et raille,  plonge son,  scalpel dans les pourritures et met l'homme à nu sous un ciel sans mensonges. Mais si le monde gagne insensiblement son excuse de vivre,  si l'humanité,  sauvée du suicide,  marche enfin vers l'or des horizons purs,  le poète,  méconnu toujours et toujours martyr.  ( "La Chaplinade",  "Le Nouvel Orphée") reste par essence l'éternel paria,  le fou zigzaguant du grand jeu d'échec de la vie.

Le premier devoir de l'homme est en lui-même ;

Sois bon ! avant de parler de bonté..

Poète-Narcisse. mire-toi dans tes propres larmes! 

Le Parnasse existe,  ami,  dans ton cœur!

...........................................................................

La terre tourne :  cinquième roue de l'automobile divine

L'ange a beau se suicider

La bêtise reste immortelle

Recueillons-nous  recueillons-nous... ?

Le trèfle est sage qui ouvre et replie ses feuilles

Le trèfle est solitaire

Et simple

Soyons donc solitaires

Et simples...

Le Poète,  dans cette réalité souveraine et totale,  n'est peut - être que le grain de folie des mondes,  le feu follet insaisissable et éphémère que la gifle du réel fait mourir à l'aurore quitte à renaître au soir par le caprice des nuits,  le point de ralliement des idéals et le symbole des espoirs,  le poète est peut-être Dieu!  "

1923 -1925 : Ivan Goll a rencontré l'élue. Son nom n'apparaît plus seul au frontispice des recueils que Jean Budry, l'éditeur des sept manifestes Dada et des oeuvres de Pierre Albert Birot, présente au public. Ivan a rencontré Claire, les deux poètes formeront désormais une même âme tout, ellipse parfaite dont les deux coeurs sensibles sont les brûlants foyers. Il me sera bien difficile de distinguer les deux sensibilités, mais cette distinction est-elle bien nécessaire ? Je considère Claire et Ivan comme l'envers et l'avers du même astre, comme les faces confondues d'une sphère dorée où se joue la lumière et pleure la rosée :

Voici dix ans que tu m'aimes,

Que sur ma montre-bracelet

Le temps s'arrêta pour toujours !

Claire Goll était merveilleusement pétrie pour comprendre Ivan. Partageant son amour de la nature, plein d'amertume, nourrie de ce style brusque (reste de l'emporte-pièce Dada), ses récits à facettes, les uns émouvants, les autres pleins d'humour, nous faisaient déjà pressentir quelques-uns des paysages intérieurs denses d'une philosophie où la tristesse prend place, de " Une Allemande à Paris " . Elle avait subi, comme lui, l'influence des écrivains internationalistes et des peintres allemands, autrichiens et russes. L'influence de Chagall surtout, aux lignes tirées, aux boucles vives, Chagall, comme Ivan et Claire Goll, n'aime la réalité que par les contours et trace seulement des dehors d'objets pour nous les peindre. Plus exactement, il n'aiment, tous les trois, que les reflets, les surfaces, ne s'occupent que des orages du concret. Leurs peintures seront des heurts d'images concrètes, ils sont des businesmen-artistes, dédaignant la spéculation les diamants bruts d'images vivantes. Et c'est pour cela que l'illustration des recueils de Claire et Ivan m'intéresse autant que les poèmes eux-mêmes. Robert Delaunay, George Grosz et Fernand Léger, artistes pour lesquels peindre est une fonction de tous les sens , avaient délimité quelques-unes des images de " Le Nouvel Orphée ". C'est à Chagall que fut dévolue l'illustration des " Poèmes d'Amour " (1925). Il nous montre Claire et Ivan, mêlés dans un dessin aux lignes pures, puis dans une ellipse que ferme tout un monde, une tour Eiffel que couronne, comme une double étoile noire, deux visages préparant, dans notre univers, une éclatante rentrée.... Puis le geste d'une consolation nue et plus loin le masque androgyne commençant à rouler comme les satellites inquiets d'une beauté toujours immuable.... Dans " Poèmes de la Vie et de la Mort ", deux tragiques radiographies et dans les " Poèmes de Jalousie " quelques eaux fortes de Foujita, pleines d'une mollesse dont l'art s'allie avec cette préciosité un peu voulue qu'affectionnent certaines des images des Goll.

  Ouvrons les " Poèmes d'Amour ".

Ivan :           Tes cheveux sont le plus grand incendie du siècle...

         ... Trompés par l'or faux de l'aurore

         Les oiseaux sont rentrés

         Désespérés...

         ... Tu es la nymphe échappée des bouleaux

         A tes pieds d'or se suicident les chiens...

         ... Parfois mon coeur mort crie dans la nuit...

         ... La nuit ta chevelure orange illuminait

         Le vieux château du ciel

         Jusqu'aux tours de Saturne...

         ... Depuis que je ne t'aime plus je t'aime...

         ...Des arbres de douleur gantés de rouge...

Lyrisme pur, nourri d'aliments modernes . Le vocable ancien, le matériel prosodique est changé. Voici le tramway, l'autobus, le métro, comme les constellations d'un nouveau ciel. Au milieu de cette terre inconnue, se confiant un amour très pessimiste, ils échangent, à la fin, des compliments naïfs tels que " ton coeur est comme un abricot " ! Le symbole de la chevelure attire Goll aussi, mais c'est une chevelure concrète dont il nous révèle les brûlantes colorations. Enfin, c'est ce lyrisme, non pas le lyrisme souterrain, intérieur, tel celui de Paul Eluard par exemple, mais un lyrisme de surface, dont les éléments appartiennent aux choses qui nous entourent, lyrisme immédiat qui naît toujours, comme l'électricité de deux objets la contenant déjà, en l'ignorant. Et la note féminine nous est donnée par Claire, avec la pitié profonde que recèlent ces beaux vers :

J'arrache mes premiers cheveux blancs

Les oiseaux en feront leur nid...

.... Dès que tu pars

Je crainte l'ange cycliste

Avec le télégramme de la mort...

...Car même de l'étreinte de la mort

Mon coeur immortel reviendra vers toi !

Ici, je crois que Claire Goll a poussé loin la réussite. Avec d'aussi simples éléments, elle nous oblige à une réflexion pleine de découvertes. Magnifique écrivains d'images, elle pousse, jusqu'à l'extrême de la clarté, leur intensité et leurs associations. Habileté très aiguë qui nous offre de réelles conquêtes à la lisière de ce monde mystérieux où commence la vraie et inexplicable poésie. Certaines de ces images nous satisfont même trop complètement pour que nous puissions les dire très poétiques, il leur manque de la folie... mais Claire, comme Ivan, y suppléent par une violente passion qui s'exprime en pures révélations, pleines de charmes et écrite dans une langue originale et tendue, jusqu'à ce cri de Claire que nous attendions depuis le début du livre de.

Car même de l'étreinte de la mort

Mon coeur immortel reviendra vers toi.

Les " Poèmes de Jalousie " ne satisfont moins complètement. Cette jalousie est, à vrai dire, trop galante, trop fleurie. Benserade en colère... Certains tics, certains clichés que je retrouve dans Cocteau. Les voix sont toujours aussi pures, elles montent dans un violent désarroi. L'humanité des poèmes, tout de même existante, ne semble me masquée par des bariolages presque sportifs, évoquant, avec un certain déplaisir ému, le Boulevard et la Rotonde...

Claire :        Je suis jalouse de la rue

         Et de tes pas en ut-mineur...

         .... Tu étais la Colonne Vendôme

         A laquelle je m'appuyais...

Voici par contre, de très beaux vers :

Yvan :         Dans l'arbre rouge de tes veines

         sont perchés mes oiseaux de rêve

         ... Je vis ta vie tandis que tu la rêves...

Et cette sincérité, entachée parfois d'un désir trop grand d'originalité, je la retrouve dans les " Poèmes de la Vie et de la Mort ".

Claire : Voici dis ans que tu m'aimes

         Dix ans qui furent dix minutes !

         Mais je te vois toujours pour la première fois....

Claire à la hantise de la mort, elle craint la pourriture et surtout la léthargie trompeuse qui peut ménager un terrible réveil au sein des territoires de la mort :

         Quand je serai morte

         fais embaumer mon corps :

         Sinon les bêtes sans patrie

         Viendraient coucher dans la sciure d'or de mes cheveux

         - Quand  je serai morte

         Fais couler du blanc formol dans mes veines

         Pour conserver leurs souvenirs...

         ... J'attends la mort

         Comme un enfant ses vacances...

Enfin, quelques très beaux vers :

Claire :        Je n'aurai qu'à te regarder

         Pour que l'aurore monte dans mes joues

Ivan :   Ombre parmi les ombres,

         Que chassent les saisons

         Jusqu'à la proche tombe.

  Depuis lors, cédant au goût du jour et aux nécessités tyranniques, Ivan et Claire Goll ont quelque peu délaissé la poésie. Ils sont devenus de grands romanciers. Mais ils n'ont pas démissionné, et quelques poèmes, parfois, tombent en rosée claire sur leurs carnets. S'en tiendraient-ils à leur oeuvre déjà publiée, qu'ils auraient droit à une place de premier plan dans notre histoire poétique moderne. Si, dans ces pages forcément succinctes, j'ai pu en fixer le témoignage, j'estimerai mon travail profitable sinon digne des oeuvres présentées.

                                      Jean-Daniel Maublanc

L'Archer, Toulouse, Juin 1930

3 décembre 2008

Géo Charles 1931 Le Journal des Poètes

         le Journal des Poètes - 2ème année, n°5 - 12 déc. 1931- Bruxelles.

Geo Charles : " La représentation de votre « Mathusalem » à Bruxelles, mon cher Ivan Goll, nous a fourni l'occasion d'apprécier, une fois de plus, une oeuvre du « Théâtre poétique moderne ». Cette formule exprime assez bien la tendance et le mouvement de ce théâtre dit - toujours - « d'avant-garde », bien qu'il ait pris naissance longtemps avant la guerre. Je range sous ce signe : « Ubu Roi », de Jarry, « les Mamelles de Tirésias », d'Apollinaire, certaines pièces de Ribemont-Dessaignes, et justement ce « Mathusalem ».... Pourriez vous préciser votre conception personnelle quant à « l'esprit » poétique de cette oeuvre ?

Ivan Goll : J'estime que toutes les pièces que vous venez d'énumérer sont avant tout, en effet, des oeuvres de poètes que j'opposerai aux auteurs dramatiques. Comment les distinguer par une formule ? Ceux-ci excellent à copier la vie au théâtre, tandis que les poètes ont avant tout le désir de recréer la vie. Ils ne veulent pas du tout en donner, par exemple, une image exacte, mais plutôt révéler la signification profonde des faits et des paroles qui unissent les personnages dans une action.

Géo Charles : Et créer des prototypes ?

Ivan Goll:  Oui. « Mathusalem », par exemple , c'est l'éternel Bourgeois. Il ne parle pas la langue courante du théâtre habituel et conventionnel. Il dit des phrases , les phrases-types que chaque bourgeois , dans n'importe quel pays , répète suivant sa prononciation . L'action de la pièce n'est pas individuelle et unique : le cas est applicable et nettement imputable à tous les bourgeois du monde entier.

Geo Charles : Et rien de plus banal que les propos d'un tel héros! 

Ivan Goll : « L'expression » en est apparemment banale , mais avant tout elle est vraie. Et cette transposition du « vrai » me rappelle une autre formule , celle de « surréaliste » dans le sens où Apollinaire l'entendait..

Vous savez, n'est-ce pas, qu'il inventa le vocable « surréaliste » pour désigner précisément « Les Mamelles de Tirésias », que vous citiez un instant parmi les pièces du théâtre poétique.

Geo Charles: En effet , c'est d'ailleurs dans la revue « Surréalisme » que vous avez dirigée que Pierre Albert-Birot a fixé ce point d'histoire de la façon suivante : «  … Quant au mot « surréalisme », nous l'avons, Apollinaire et moi, choisi et fixé ensemble . C'était au printemps 1917, nous rédigions le programme des « Mamelles », et, sous le titre, nous avions d'abord écrit « drame » et ensuite je lui ai dit : ne pourrions-nous pas ajouter quelque chose à ce mot, le qualifier, et il me dit en effet, mettons « surnaturaliste », et aussitôt je me suis élevé contre surnaturaliste qui ne convenait point au moins pour trois raisons, et naturellement, avant que j'eusse fini l'exposé de la première , Apollinaire était de mon avis et me disait : « Alors mettons surréaliste ». C'était trouvé. «... La lettre d'Apollinaire à Paul Dermée écrite également en 1917, et reproduite dans la même revue, confirme les souvenirs de Birot... » Et vous Goll, rangez-vous « Mathusalem » sous la même formule?

Ivan Goll: Mon Dieu , si une formule est nécessaire! 

Geo Charles : nous appelons les pièces de ce théâtre - et « Mathusalem » - poétiques. Certaines de ces oeuvres, et particulièrement la vôtre, présentent un curieux mélange de poésie et de prosaïsme...

Ivan Goll : J'attendais cette objection. J'ai donné à chaque personnages la langue de son âme. Ainsi la jeune fille, Ida, sent et parle en vers, et je ne crains pas de lui prêter les images les plus lyriques, comme dans les pièces en alexandrins. Par contre le frère voué aux affaires modernes, n'emploie que le style haché des appareils Morse. Et ainsi de suite.... Mais le langage truculent et

terre-à-terre du père n'est pas moins poétique que celui de sa fille, s'il crée l'atmosphère élémentaire du personnage.

Geo Charles : Vous confirmez l'impression que me laisse la représentation de Bruxelles. Du lyrisme pur, cette réplique d'Ida :

« Je ne connais plus d'autre jour que celui-ci

Où des narcisses remplacent l'herbe des gazons.

Le soleil est un chrysanthème que tu m'offres,

Ton front pâle est une tour d'ivoire

Sur laquelle je monte pour voir le monde.

C'est toi qui bâtis les tours apocalyptiques,

Les temples d'Asie et les docks d'Amérique

Les places portent toutes ton nom,

Les horloges sonnent à chaque heure ton nom

Et les navires en mer ne sont partis que pour te voir .»

Ce poème pourrait très bien être tiré des « Poèmes d'Amour » que vous avez publiés avec Claire Goll

Claire Goll: Oh , je n’accepte que les poésies qui me sont adressées personnellement!

Ivan:  Mais tout ce que j’écris , s’adresse à toi. Pour qui écrit-on, par qui veut-on être compris , sinon par l’être qu’on aime et dont on veut être admiré?

Claire:  Tu me trompes!

Ivan:  Avec toi-même!

Geo Charles: Je pense que vous allez faire dévier , publiquement , en « scènes de ménage » , vos beaux «Poèmes d'Amour » Au fait , si vous continuez , je pourrais dire que vos poèmes d’amour ne sont pas autre chose … finalement! !

Claire:  Eh bien , vous donneriez une belle idée de notre poésie!

Ivan: Mais , Claire , après tout , je ne serais pas éloigné de croire que dans les poésies d’amour de tous les temps , les poètes ne sont occupés qu’à exprimer à leur amante des reproches , et sous forme de compliments , des sottises.

Geo Charles:  Qu’en pensez-vous Claire?

Claire: Pour moi il n’existe qu’une sorte de poésie , celle de l’amour. Une femme ne doit chanter que l’amour. Ce n’est que par l’amour qu'elle participe de la vie du monde. Les seuls poètes que je relis toujours , que je comprends et que j’éprouve jusqu’au fond des moelles sont Marceline Desbordes-Valmore et Elisabeth Barrett-Browning.

Geo Charles: L’essence de leur poésie est la souffrance.

Claire: L’essence de l’amour est la souffrance.

Ivan: - Peut-être y a t - il là comme une accusation?

Claire:  Non , c’est une déclaration d’amour. Géo Charles notez vite. Je prétends que c’est celui-là (qui me fait tant souffrir) qui m’a faite poète. Je lui dois d’avoir appris à exprimer en vers cette affection que toutes les autres femmes expriment en soupirs.

Geo Charles: Vous avez su prolonger à deux - en des oeuvres toujours lyriques et en des "Poèmes d’amour" que je relis avec une joie critique sans cesse accrue - votre amour de la Poésie. Votre double rêve a su se réaliser et se poursuivre en cette époque si bassement matérielle , si misérable , selon un rythme de beauté et d’idéal!

Ivan:  Ce rêve nous sauve!  Tout ce qui se passe en dehors de lui et de notre amour devrait nous laisser indifférents. Nous sentons confusément que les soucis du jour sont des soucis bien lamentables , mais aussi passagers. Les époques où l’humanité a faim , reviennent toujours. Cette fois , sa détresse provient de sa bêtise. Mais passons. Parlons d’amour qui est la seule raison d’être et qui est éternel. Thème peu actuel Thème qui le redeviendra au prochain printemps , soyez-en sûr!  Sinon , dans cent ans. Et il vaut mieux avoir raison dans cent ans que l’année prochaine. La vérité se mesure par siècles."

Je laisse Claire et Ivan , assis en leur jolie terrasse d'Auteuil, dont j'aime tant caresser les feuilles. Lui, grappillait les raisins qui pendaient au vieux cep qui épouse la grâce de la balustrade, elle, appelait une demi-douzaine de pigeons blancs et leur donnait à manger dans sa main pâle.... Les deux silhouettes, les bêtes et les choses, se composaient en des attitudes qui me sont familières depuis longtemps... en cette petite terrasse du jardin automnal d'Auteuil qui m'apparaît toujours comme un carrefour rustique où la vie et la poésie viennent s'unir.

Geo Charles dans " le Journal des Poètes " 2ème année, n°5 - 12 déc. 1931- Bruxelles.

3 décembre 2008

Klaus Mann

Klaus Mann : Le Tournant, Histoire d'une Vie (1)

Ce furent les Goll, ces poétiques personnages cosmopolites, parlant aussi bien le français que l'allemand, qui dirigèrent mes premières incursions dans les milieux littéraires parisiens. Grâce à ces médiateurs gais et sociables, un contact chaleureux s'établit entre moi et toutes sortes de personnages pittoresques…

Editions Solin, Malakoff 1984 (collection Points. Romans n° 240)

1)   Fils de l’écrivain Thomas Mann, Klaus se suicida à Cannes le 21 mai 1949, à l'âge de 43 ans, un mois après avoir achevé son autobiographie "Le Tournant" Yvan et Claire Goll p.306 et p.593

3 décembre 2008

Louis-Jean Finot 1929 sur Sodome et Berlin

La Revue Mondiale, XXX ème Année -15 novembre 1929 (ancienne Revue des Revues)

Directeur Louis-Jean Finot

M. Ivan Goll se révèle ironiste implacable dans Sodome et Berlin . Et son humour est si féroce qu’on ne peut guère démêler la vérité de la fiction. Il nous dépeint avec verve un Berlin se réveillant avec peine des émeutes communistes,  puis livré à la folle spéculation lors de la grande inflation,  aux moeurs désaxées,  aux aventures ahurissantes subies ou provoquées par mille gens divers,  et cette fièvre de débauche,  cet amour du jeu,  fond du livre,  sont un perpétuel rebondissement pour l’intrigue de ce roman un peu fou,  parfois désordonné,  qui traîne en longueur vers la fin,  mais que M. Ivan Goll a réussi malgré tout,  car original et vivant. (Louis Jean Finot . p.216)

3 décembre 2008

Jean Follain sur Les Géorgiques Parisiennes 1951

Les Géorgiques Parisiennes Jean Follain, p.248 : 

"C’est malgré le titre du recueil une vision assez tumultueuse que délivrent ces poèmes d’Yvan Goll dans lesquels s’inscrit un Paris:

écartelé au carrefour Saint-Eustache

entre la bête et le Christ

et où l’on entend

hennir les chevaux de Marly

L’on ressent dans ces vers un rythme saccadé et une température de fièvre et pourtant s’y maintient aussi une volonté de douceur, de paix et de réconciliation.

L’épinoche qui gîte près de Notre-Dame, le vieillard ramasseur de têtes de dorades, les vierges de Clichy, la Tour Eiffel sont pour Yvan Goll autant d’images fulgurantes de la ville qu’après l’exil de la guerre il n’a retrouvée que pour prématurément y mourir ".

La Nef 8è. Année n° 75/76, Avril-Mai 1951

Yvan Goll, Les Géorgiques Parisiennes (Seghers).

Editions Albin Michel

3 décembre 2008

Maurice Betz 1923 sur Le Nouvel Orphée

Maurice Betz :

Le Nouvel Orphée

" Poésie rapide, pressée, haletante. "Nous n'avons pas le temps d'être Grecs" s'écrie Ivan Goll en s'adressant à ses personnages, qui sont : Charlot-poète, échappé de l'écran, Mathusalem ou l'éternel bourgeois, l'Européen-de-culture-moyenne, redingote, raie à droite, le docteur Billard, conférencier et martyr de l'humanité : le Nouvel Orphée... de tous le plus séduisant et le plus sympathique. Poète à transformations comme Charlot, il franchit les pires trappes sans se rompre le cou, accompagne aux pianos des cinémas les douleurs fatales, frappe aux concerts d'abonnements les âmes comme des pièces d'or, fait ricocher les images ainsi que des cailloux plats et, à chaque coup de chapeau, découvre son génie aussi évident qu'une calvitie...

Ivan Goll qui avait déjà présenté dans Cinq Continents "anthologie mondiale de poésie contemporaine " 150 poètes (et beaucoup plus de mots) en liberté, se devait de se faire l'imprésario de cet Orphée des temps modernes qui est en quelque sorte l'archétype de ses 149 confrères...

Poésie lyrique, film, théâtre : les trois genres tantôt se succèdent, tantôt se chevauchent ou semblent tout près de se confondre: Mathusalem, le docteur Billard sont des fantoches grotesques dont la déformation touche au fantastique . Paris brûle, Le Nouvel Orphée, Astral, de nouveaux exemples de ce genre cinématographique où Blaise Cendrars et Philippe Soupault excellent, dont les changements de plan imprévus font le charme un peu aveuglant et où chaque image semble une fausse alerte habilement ménagée au lecteur …

Et c'est peut-être en ce mélange un peu équivoque de complainte foraine, de bruyantes parades, de clowneries grimaçantes, de dévotion à Notre-Dame du sleeping-car, de compassion humaine et d'imperceptible romantisme — à quoi vient s'ajouter encore tout un attirail d'images et de vocabulaires sportifs et commerciaux — qu'il faut chercher le secret de la poésie d'Ivan Goll ". Maurice Betz.

Les Nouvelles Littéraires 2ème année n° 54 - Samedi 27 octobre 1923

p.3 avec photo - portrait d'Ivan Goll

3 décembre 2008

Léon-Gabriel Gros danq Cahiers du Sud 1937-1949-1956

Léon Gabriel Gros:         C'est une entreprise curieuse que celle d'Ivan Goll à retrouver l'allure et la diction des chansons populaires . "Devant le Miroir",  "Sur les Cimes",  "Sur le Pont",  autant de titres qui montrent le personnage d'Ivan Goll en présence des reflets de la réalité . Ses rencontres avec Ahasver et avec Don Juan sont exprimées en des stances d'une extrême simplicité verbale,  mais où une prosodie savante et classique à la fois dénote un subtil artisan du vers . Dans le poème s'exprime avec une rare intensité un sens quasi physiologique de la déchéance humaine . La ballade empreinte de la plus totale mélancolie s'achève par une évocation optimiste:  dans les pays d ' "Outr'Est" le vagabond retrouve d'autres hommes sans terre qui connaissent la joie commune,  et Jean,  délivré de ses fantômes,  reflets de lui-même,  termine sa confession par un éclat de rire .

Ivan Goll dont les précédentes réussites avaient été surtout de brèves notations ou du moins des poèmes valant surtout par des détails proches du haïkaï,  nous propose avec Jean sans Terre une imagerie d'Epinal rendue dans un ton très personnel et d'une naïveté savante,  tout à fait remarquable à une époque où les poètes se confessent avec plus ou moins de talent,  mais ne nous donnent qu'exceptionnellement des oeuvres comme cette ballade .

Cahiers du Sud n° 193 mars 1937

Le Témoin poétique par Léon-Gabriel Gros :

le rayonnement de l’oeuvre d’Yvan Goll n’est pas ce qu’il devrait être. Certes elle a ses fervents mais qui se recrutent parmi les seuls connaisseurs. Ayant justifié, et au delà, les espoirs que l’on plaçait en elle sur la foi des premiers recueils, dans les années 20, elle n’a point connu la large diffusion que l’on était en droit de lui prédire à l’époque. S’agit-il d’un paradoxe ou d’une injustice ? Des deux sans doute, et l’avenir s’en étonnera …Toute poésie qui nécessite une initiation parce qu’elle est elle-même une initiation est en raison même de sa qualité vouée à demeurer secrète …Qu'Yvan Goll soit un de ces poètes en marge c’est l’évidence même comme c’est le signe de sa grandeur. Si déplorable soit-elle l’occultation provisoire de son oeuvre s’inscrit dans l’ordre des choses mais elle a aussi des raisons spécifiquement littéraires…son lyrisme oscille constamment entre les recherches d’avant-garde et le souci de la rigueur formelle; il joue avec autant de virtuosité sur le clavier de l’hermétisme que sur celui de la chanson populaire; il est tantôt hiéroglyphe, tantôt image d’Epinal …mais quoi ! ce sont là des qualités si rares en notre génération qu’on les y tient pour suspectes, et qu’en fin de compte cette oeuvre se trouve en porte-à-faux entre les tendances contradictoires de l’époque . Il est difficile, je l’admets volontiers, de relier logiquement Le Nouvel Orphée de 1923 à L 'E Elégie d’Ihpétonga qui vient de paraître et, à plus forte raison de concilier le ton des trois livres de Jean Sans Terre avec celui du Char Triomphal de l’Antimoine. Ce n’est pas en tout cas le lyrisme des Chansons Malaises, le seul de ses recueils disons de lecture courante, qui nous aidera à trouver la clef de l’entreprise de Goll, la raison une et profonde que l’on cherche fatalement à toute oeuvre de quelque ampleur. …

Mon seul propos était de rendre hommage à un poète trop négligé bien qu’il soit un des meilleurs de sa génération et celui qui a contribué à bien faire connaître à la mienne tous ceux qui de par le monde nous ont préparé les voies. Je me suis uniquement préoccupé de le situer dans une époque qui sans lui ne serait pas ce qu’elle est et dont il est dans tous domaines, dans celui surtout des recherches esthétiques, un des plus irrécusables témoins.”

Cahiers du Sud 36 ème année, n° 298 - 2ème semestre 1949.

Yvan Goll, L'Alchimiste fraternel par Léon-Gabriel Gros

La parution chez Seghers dans la collection "Poètes d’aujourd’hui" d’une anthologie d’Yvan Goll permettra pour la première fois à un public tant soit peu élargi de découvrir et d’apprécier un poète dont la notoriété ce réduisait jusqu’à ce jour à des cercles assez restreint de connaisseurs. On peut dire que, littérairement parlant, la carrière d’Yvan Goll commence aujourd’hui, prés de six ans après sa mort.“ Tel qu’en lui-même enfin …” la critique le change, en définissant sa poésie et le rôle de premier plan qu’il joua ou plutôt qu’il ne joua pas dans le lyrisme contemporain, car le destin voulût qu’il fût presque toujours relégué dans les coulisses des mouvements d’avant-garde alors même qu’il avait autant et plus que personne contribué à leur lancement.

Par trois fois au moins en 1917, en 1924, en 1940 il manqua tenir la vedette mais chaque fois il se trouva dépassé par l’événement. Ce ne fut jamais, empressons-nous de le souligner, la faute de ses pairs, les meilleurs poètes de sa génération ayant toujours tenu Goll pour l’un des leurs, mais il est par contre certain que Goll fût victime d’un snobisme intellectuel assez répandu en quelques milieux d’édition, snobisme qui ne pouvait trouver aucun intérêt à Goll parce qu’il n’était qu’un poète, parce que ses démarches trop humaines étaient irréductibles à un système idéologique.…Ajoutez à cela que ce prince de l’image n’a jamais versé dans la gratuité. Ses poèmes n’étaient point de simples documents mais dans la plupart des cas des objets élaborés, formules d’exorcisme parfois à l’usage du poète lui-même, "mécaniques de satisfaction" pour quiconque se prêtait à leur incantation.…

Le paradoxe de ce poète qui souffrit personnellement plus qu’aucun autre de son déchirement entre deux cultures réside précisément dans le fait qu’il a transcendé en beauté et en lucidité non seulement ses propres douleurs mais l’apocalypse dont il fut le témoin. Perpétuel exilé, "voyageur traqué" comme on disait à l’époque, Goll qui a pu faire figure d’apatride était l’être le plus enraciné dans cette patrie intérieure de la Poésie qu’il ne faut pas confondre avec les régimes qui la régissent, écoles diverses novatrices ou académiques. Suspect à toutes les littératures établies, étranger aux diverses coteries, il a connu le sort de tous les pionniers et s’apparente par là à des hommes comme Reverdy, Cendrars, Jean de Bosschère qui pour la nouvelle génération évoquent des noms plus que des oeuvres. Comme si la jeune poésie avait commencé en 40 ou même en 24 ! Goll fut en somme un révolutionnaire d’avant la prise du pouvoir.

         Yvan Goll, ce musicien gnomique, ce fraternel alchimiste dont on ne saura jamais très bien si les puissances du coeur l’emportèrent en lui sur celles de l’imagination, ou inversement, s’il fut ou non cérébral, comme on dit, plutôt qu’instinctif, Goll, le plus concerté et le plus spontané des poètes nous apparaît en effet tout cela au moment de la revanche posthume que lui offre la collection Seghers. C’est qu’aussi bien son oeuvre choisie est présentée ici avec un appareil critique tout à fait exceptionnel, d’autant plus exceptionnel qu’à l’exclusion de Jules Romains qui bénéficie lui-même de tout le recul souhaitable les essayistes qui s’emploient à mettre Goll en valeur n’appartiennent à aucun des clans ou des mouvements de la poésie actuelle. Raisonnée ou passionnée leur adhésion échappe ainsi à tout parti-pris doctrinal. C’est le cas pour Marcel Brion qui parle en lecteur non prévenu et dit du même coup l’essentiel sur le plaisir poétique, pour Francis -J. Carmody et Richard Exner, le premier traitant de l’oeuvre française, le deuxième de l’oeuvre allemande de Goll.

… Goll, cet alchimiste du verbe (et il prétendait par les mots attendre la  "res", la chose en soi) Goll ce mystique de l’objet dont-il souhaitait qu’il le " dévorât " s’est trouvé en un sens captif de ces "Cercles magiques" qui lui inspirèrent un de ses derniers recueils …

Si les plus émouvants, les plus beaux peut-être de ses poèmes furent les derniers, écrits en allemand (L’herbe du Songe) à l’époque où il agonisait, terrassé par la plus étrange des maladies, la leucémie, je crois qu’un poème des "Cercles magiques", "Les portes" résume mieux que tout autre ce que fût sa quête passionnée :

         J’ai passé devant tant de portes

         Dans le couloir des peurs perdues et des rêves séquestrés

         J’ai entendu derrière les portes des arbres qu’on torturait

         Et des rivières qu’on essayait de dompter

         J’ai passé devant la porte dorée de la connaissance

         Devant des portes qui brûlaient et qui ne s’ouvraient pas

         Devant des portes lasses de s’être trop fermées

         D’autres comme des miroirs où ne passaient que les anges

         Mais il est une porte simple, sans verrou, ni loquet

         Tout au fond du couloir tout à l’opposé du cadran

         La porte qui conduit hors de toi

         Personne ne la pousse jamais

    Je m’excuse de ne pas avoir mis l’accent sur la grandeur de Goll, j’ai simplement tenu à dire combien son oeuvre était arbitraire, fraternelle. De toute beauté, de trop de beauté peut-être. Mais Goll, à sa façon a lui aussi "trouvé la beauté amère".

                   Léon-Gabriel Gros

Cahiers du Sud - 43è année, n° 337 (octobre 1956) p.427 à 431- Le Témoin poétique : Yvan Goll, L'Alchimiste fraternel par Léon-Gabriel Gros

3 décembre 2008

Paul Fierens 1924 sur Le Nouvel Orphée

Paul Fierens :

Le Nouvel Orphée

Vulgariser ne signifie pas toujours rendre vulgaire et beaucoup de grands poètes sont des vulgarisateurs de génie. Qui ne peut dominer l'époque la subit ; qui ne peut déchaîner l'orage fait office de baromètre, de sismographe. Le Nouvel Orphée enregistre les mouvements de l'atmosphère et les ébranlements de l'écorce terrestre ; sur le papier s'inscrit, en ligne brisée, un schéma de montagnes russes, bolchévisantes.

   Ivan Goll a bon estomac. Nous l'avons vu digérer sans effort la poésie des cinq continents. Il eût pu, on l'a fait valoir non sans malice, rédiger lui-même les trois-quarts de son anthologie mondiale ; en revanche, le Nouvel Orphée se présente un peu comme une œuvre collective, un recueil de morceaux choisis. Dis-moi qui tu hantes....Ivan Goll est un "moderne", un "Européen", un disciple de Jarry, d'Apollinaire et de Charlot. Quand Jean Epstein écrivit sur la poésie d'aujourd'hui son livre bien scientifique, soupçonnait-il qu'un Ivan Goll lui donnerait à ce point raison?

« Les matins vieillissent vite », ( oui, il y a dans le Nouvel Orphée de ces trouvailles) et comme il est midi cinq, Ivan Goll a tout ce qu'il faut pour déplaire à la plupart d'entre nous. J'ai lu cependant Mathusalem, Paris brûle,  et nombre de télégrammes-poèmes insérés dans Editions du matin,  avec une véritable allégresse. Qu'on se laisse porter, bercer, secouer par ces vagues de tôle peinte ; qu'on s'incline au virages de ces toboggans bien machinés. On s'en tire sans courbatures ; on s'y divertit franchement.

Paul Fierens

La Nouvelle Revue Française - n° 126 - 1er mars 1924 p.358/359

3 décembre 2008

Nino Frank en 1926

"900 "- Cahiers d'Italie et d'Europe - n° 1, Cahier d'Automne 1926 . Fondateurs :

Massimo Bontempelli - Curzio Malaparte. (1)

Proses de : Bontempelli - Mac Orlan - Barilli - Alvaro - Gomez de La Serna - Soupault - Kaiser : " Juana " p.67 à 83 (Tragédie en un acte : traduction française d'Ivan Goll) - Emilio Cecchi - Aniante - Solari - Joyce - Goll : " L'Eurocoque " (2) p.132 à 138 - Campanile - Spaini - Mouratoff - Nino Frank : Astérisques (p.185) - Alberto Cecchi Dessins de : Oppo - Conti - Lydis - Rosai.

Editions " La Voce " Roma - Firenze

Astérisques : Nino Frank p.185

"Ivan Goll, l'homme qui chante tout le long de sa vie. Impossible de ne pas voir qu'il est allemand. Il a un rire couleur du Rhin. Des lunettes qui agrandissent l'oeil, clignant comme les lumières de Nüremberg, dans la nuit de la fantaisie. Impossible de ne pas voir qu'il est français. Il est plein de sourires, d'ironie foraine. Son oeil se fixe sur tout spectacle, il en profite pour oublier la versification ; il crée de mystérieux projets de cosmogonies nouvelles.

Mon cher Robert Delaunay, surveillez Goll ; c'est l'homme qui un jour ou l'autre vous volera la tour Eiffel pour l'emporter.

Où?  "

Nino Frank parle également de Goll dans le numéro 23 ( novembre 1949) de La Table Ronde: Souvenirs sur James Joyce p.1671 à 1693, où il indique le rôle de Goll dans cette rencontre, de même dans :

Mémoire brisée , Calmann Lévy, 1967 où il relate l'aventure de la revue "900" et de "Bifur ". Il y est souvent question de Goll et de ses relations avec Joyce (p. 30 à 64), Malraux (p. 281 / 82) et dans

Nino Frank . 10. 7. 2. et autres portraits Souvenirs

Papyrus - Maurice Nadeau 1983

(p.70 - 72) :  "En ce temps-là, tous les intellectuels du monde vivaient de Paris. Je me trouvais préposé aux relations extérieures d'une revue créée à Rome par Massimo Bontempelli, et qui allait paraître en langue française sous le titre de "900 ", - vingtième siècle dit à l'italienne. Résolument cosmopolite, cette publication entendait cultiver la poétique en vogue …Ma tâche devait consister essentiellement à assurer la liaison avec un comité de direction où l'on souhaitait voir figurer Pierre Mac Orlan, Georg Kayser, Ramon Gomez de la Serna, Ilya Ehrenbourg qui les rejoindra, et surtout, pour les lettres anglaises et américaines, l'Irlandais James Joyce.

L'idée me venait d'Ivan Goll, qui participait, en ce temps-là, à la fabuleuse adaptation collégiale de quelques pages de ce qui s'appelait encore Work in progress: lui-même en contact suivi avec Joyce, au nom des Editions du Rhin, qui envisageaient publier une traduction d'Ulysses. Point de meilleur parrain, toujours tenace, toujours souriant. Mais l'entrée en rapport avec Joyce ne fut pas chose aisée .

Un cordon littéraire, si je puis dire, était tendu autour de lui. Goll, cornac opiniâtre, me fit tenir maints longs conciliabules dans les librairies jumelles de Sylvia Beach et d'Adrienne Monnier, rue de l'Odéon …

Un après-midi, Ivan Goll réussit enfin à m'emmener chez le mystérieux Irlandais, square Robiac ".

(p.211-212):  "Fin 1926. Une après-midi chez Ivan Goll, au sourire rhénan, tout bonhomie et amitié à travers les lunettes. Etendue sur un divan, très poétesse style Rhomanisches Kafé, Claire au visage triangulaire et blond de chatte, la parole humoresque embuée de Gemütlichkeit ; la lui disputant, cette parole, Clara (nous apprendrons aussitôt son nom), le doigt levé, la phrase pétulante et volontiers précieuse, petite, à la fois floue et ramassée, le nez épais et de beaux yeux songeurs, je ne sais quoi d'enchifrené dans ses attitudes …

L'attraction est ailleurs: ce jeune homme à qui m'amène Ivan Goll et avec qui la conversation s'engage vite à la façon d'un jeu serré …deux ou trois jours plus tard, à la Brasserie Lutétia: il me fait passer une espèce d'examen, puis c'est dit, il me promet un texte pour la revue dont je m'occupe "Ecrit pour un Ours en peluche ", qui paraîtra dans "900 "à Rome ; trois ou quatre ans plus tard, il me donnera, pour BIFUR, un chapitre inédit des Conquérants . La voie est ouverte à l'amitié.

Nous nous rencontrerons souvent.…Clara se raconte avec complaisance: ses bonnes fortunes, l'opium, son goût pour les baignoires, des velléités de partie carrée. J'apprends cela avec quelque impatience. Moi, c'est le garçon qui m'intrigue: ce quelque chose, en lui, d'affamé, de pressé, de hanté, rien qui s'accorde avec la littérature ingénieuse et chantournée qu'il fait. Sa préciosité plaisante, ses manières de gourmet parisien (nous dînons chez Montagné ou Place des Victoires, il y entre avec respect), son intellectualisme un peu mièvre, puis, subitement, une fulgurance de l'idée et de la parole, vite bridée (car Clara enchaîne sur-le-champ, avide de parler: et lui, aussitôt, de se taire, un peu petit garçon, le regard complice, presque admiratif ; cependant qu'elle a ce geste des péroreuses de salon par lequel celles-ci retiennent à l'avance toute interruption). "

p.229 :  "…Moi, j'ignorais tout de son œuvre (Ehrenbourg), et son nom, son adresse, m'étaient venus d'Ivan Goll, en ce temps-là mon mentor dans la cosmopolis parisienne.…

— Il faut que j'y réfléchisse encore, dit Ehrenbourg, en se levant et en changeant de pipe (ses poches en contenaient toujours trois ou quatre). Venez me voir, avant que je déménage, ajouta-t-il, et, en remettant sa casquette de travers, il prit la porte, de son petit pas pressé.…

Je courus téléphoner à Ivan Goll: mon récit le divertit, et il m'expliqua qu'Ehrenbourg, poète mystico-décadent à ses débuts, style Saint-Pétersbourg 1910, s'était mué, la Révolution venue, en gazetier satirique, en feuilletoniste abondant, qu'il était marqué par le Berlin de Georg Grosz, où il avait trouvé succès et profits, qu'il s'était parfaitement acclimaté à Montparnasse, où il oubliait Moscou: le seul des Soviétiques qui fût européen, avec la bénédiction de Maxime Gorki. "

p. 297 :  "Pour (Gottfried) Benn, médecin comme(William Carlos) Williams, et le plus grand poète allemand de son temps, il est également possible que sa collaboration à Bifur l'ait quelque peu compromis — en l'obligeant en particulier à adhérer du bout des lèvres et le plus tard possible, au parti national-socialiste. J'ai raconté ailleurs mes rencontres avec lui, à Paris et à Berlin. Il m'écrivit aussi, et, avec l'aide d'Ivan Goll, toujours présent, toujours amical, j'eus les textes que nous voulions ".

(1) Chaque saison un cahier par les soins de Massimo Bontempelli - Ramon Gomez de La Serna - James Joyce - Georg Kaiser - Pierre Mac Orlan .

(2) Ces sept pages sont inédites. Un an plus tard en Allemagne paraîtra "Die Eurokokke",  une version française paraîtra chez Corréa en 1934 sous le titre:  Lucifer vieillissant,  mais à ce point différente de la version allemande que Claire Goll a traduit "Die Eurokokke" par son titre "L'Eurocoque": cette traduction,  inédite à ce jour est archivée à la B.S.D.d.V. — Ms 549 (47 ff. Dactylographiés)

3 décembre 2008

Pazscal Pia

Pascal Pia : Feuilletons littéraires ( tome 2 ) 1965-1977 . 937 pages

Yvan Goll et Claire Goll  p.588 à 594

Fayard - novembre 2000

reprise de son article paru dans " Carrefour " le mercredi 8 mars 1972 .

La poésie malgré tout

Presque simultanément viennent de paraître chez le même éditeur un récit de Mme Claire Goll, Ballerine de la peur, et 2 volumes rassemblant une grande partie de l'oeuvre poétique d'Yvan Goll, mort à 59 ans, en mars 1950.

Les noms de Claire et d'Yvan Goll n'ont été longtemps familiers qu'aux amateurs de poésie et à la clientèle, toujours restreinte, des petites revues littéraires. Depuis dix ou douze ans, la présence de ces deux écrivains dans la collection Seghers de « Poètes d'aujourd'hui » a certainement affermi et étendu leur réputation, mais peut-être celle-ci demeure-t-elle moins grande en France que dans les pays de langue allemande, et même moins bien établie qu'elle ne l'est déjà aux Etats-Unis, où l'oeuvre d'Yvan Goll fait l'objet de travaux universitaires et d'éditions critiques.

Cette fortune peut surprendre. Elle n'a cependant rien d'inexplicable. Yvan et Claire Goll ont résidé aux Etats-Unis pendant la dernière guerre et jusqu'en 1947. Il y ont publié plusieurs ouvrages, et Yvan Goll y a dirigé une revue bilingue, Hémisphères, au sommaire de laquelle figurèrent à côté d'André Breton et de M. Aimé Césaire, qui devait un peu plus tard siéger au Palais-Bourbon comme député communiste de la Martinique, M. Roger Caillois, futur académicien, et M. St John Perse, ancien secrétaire général du Quai d'Orsay. Jean Paulhan lui-même, à la meilleure époque de la N. R. F., n'eut pas réussi un plus éclatant assortiment. On conçoit que cet éclat n'ait pas laissé les Américains indifférents, et qu'ayant eu la curiosité de s'informer du directeur d'Hémisphères, ils aient découvert et apprécié la poésie d'Yvan Goll.

Quant à l'intérêt que l'histoire littéraire attache à Yvan Goll et à Claire Goll dans tous les pays germaniques, il suffit, pour le comprendre, de se rappeler qu'ils avaient tous deux débuté comme poètes de langue allemande, lui en 1914, elle en 1917, et que, résidant en Suisse, ils avaient en pleine guerre exprimé des sentiments pacifistes que personne n'oserait leur reprocher aujourd'hui, mais qui les désignaient alors à la réprobation des « jusqu'aux boutistes » de chaque camp.

Quelques précisions biographiques ne seront pas superflues. Né d'un père alsacien et d'une mère messine, Yvan Goll avait passé son enfance en Lorraine annexée. Il avait étudié le droit et la philosophie à l'université de Strasbourg et dès 1913, collaboré aux revues allemandes d'avant-garde, qui prônaient l'expressionnisme. Un de ses premiers poèmes, publié à Berlin au printemps de 1914, exalte l'ouverture du canal de Panama en des termes qui rappelle le Panama de Blaise Cendrars et qui pourtant ne lui doivent rien : le Panama de Cendrars était encore inédit en 1914, si tant est qu'il fut déjà composé, -- ce qui est peu probable. On rencontre, dans Der Panama Kanal, quelques-unes des images d'exubérance tropicale qui parsèment le poème de Cendrars, est aussi les mêmes impressions de fièvre, les mêmes soupirs de lassitude, les mêmes cris d'enthousiasme, les mêmes odeurs de décomposition. Si la critique avait voulu pourvoir d'une généalogie littéraire le jeune poète allemand qu'était alors Yvan Goll, sans doute l'eut-elle apparenté à Walt Whitman à Verhaeren, à l'Apollinaire de Zone et de L'Emigrant de Landor Road. Mais la critique ignorait encore Yvan Goll, dont le Panama était d'ailleurs signé du pseudonyme d'Iwan Lassang. Elle ne s'est avisée de son existence qu'au cours de la première guerre mondiale, sans prendre garde en ce temps-là à la qualité de ses poèmes, se bornant à louer ou à condamner ce qu'elle appelait son humanité ou sa sensiblerie, sa lucidité ou son défaitisme. Goll s'était rangé aux côtés de Romain Rolland en faisant paraître en 1915 à Lausanne un petit recueil d'Elégies internationales, puis en donnant l'année suivante aux éditions de la revue demain, que dirigeait Henri Guilbeaux, un Requiem pour les morts de l'Europe. Il s'était trouvé en Suisse au moment de la déclaration de guerre et avait choisi d'y rester. Comme Romain Rolland, il dénonçait la sottise d'un épouvantable conflit dans les conséquences pèseront encore sur de nouvelles générations. Dans les élégies qu'il dédiait aux peuples belligérants, il disait en 1915 :

« Peuples des chansons militaires ! Rêveurs ! Européens !

« Pourquoi ses matins grelottants sous le clairon, ces campements dans la fraise des bois, les villes énervées du sang lointain, la cavalerie flottante par les brouillards, des routes hagardes traînant l'exode des veuves, des plaines inondées de feu, les enfants sentinelles, les nuits malades et chancelantes à la toux du canon, et puis la pitié des Croix-Rouges ? Pourquoi cherchiez-vous l'amertume et la douleur, le tambour claquant de ses os et la plainte des tombes dans les dunes ?

« Peuples héroïques, vous qui cherchez votre grande bataille,

« Vous avez perdu la plus grande, Européens :

« L'Europe ! »

Les événements se sont chargés de montrer ce que ces versets comportaient de prophétique. Mais dans les années 15, 1617, l'attitude d'Yvan Goll ne le faisait pas considérer comme un prophète. Qu'ils lui fussent hostiles ou favorables, les lecteurs qu'il comptait en Suisse et ceux, beaucoup plus rares, qu'il pouvait avoir en Allemagne et en France, où le contrôle postal et la censure s'opposaient à la diffusion de ce qui s'imprimait à l'étranger, ses lecteurs le regardaient surtout comme un militant d'extrême gauche, pénétrés qu'ils étaient de la conviction que certains sentiments d'humanité impliquent nécessairement certaines opinions politiques. Pour ma part, je ne crois pas qu'Yvan Goll se soit jamais converti à Marx, à Proudhon, à Bakounine ou à Lénine, mais je ne doute point qu'il ait toujours eu en horreur toutes les dictatures, quelle qu'en ait été l'origine, et toutes les tentatives d'hégémonie, quelque prétexte qu'on eut avancé pour les justifier.

Né Allemand en 1991, Goll n'eut pas d'effort d'accommodation à s'imposer pour être Français à partir de 1919. Il était bilingue depuis son enfance. Jusque vers 1930, il écrivit tantôt dans une langue et tantôt dans l'autre, et s'il en vint ensuite à ne composer qu'en français, c'est qu'il lui eut été impossible d'être encore édité dans une Allemagne où les Nazis faisaient la loi. Par bonheur, sa poésie n'a pas souffert d'être réduite aux mots d'une seule tribu. Goll s'exprimait avec autant d'aisance dans chacune de ses deux langues, comme le prouve la version allemande des textes qu'en 1923 il a rassemblés en français dans un des ses meilleurs ouvrages, Le Nouvel Orphée. Sa poétique n'était déjà plus celle de ses pièces pacifistes. Des poèmes comme Paris brûle ou comme Astral, publié en allemand en 1920, puis en français trois ans plus tard, ne rappellent en rien Whitman ou Verhaeren, mais se rapprochent de L'Inflation sentimentale de Mac Orlan, du Voyage en autobus de Marcel sauvage et des Lampes à arc de M. Paul Morand, non seulement par leur modernisme et leur cosmopolitisme, mais aussi par leur écriture précipitée, télégraphique même, et la disparate de leurs images, lesquelles, au demeurant, reflètent beaucoup mieux que ne l'eut fait un texte discursif les ravages et les bouleversements causés dans le monde et dans les esprits de quatre années d'une guerre atroce :

Attention, Premier round !

L'Europe et le nègre Zeus se serrent la main

Caleçon tricolore

La poitrine humaine cintre un acier rose

Les appareils Morse ont tous la fièvre

Quatre poings façonnent l'honneur du monde

U.S.A. toutes les montres sont arrêtées

Les usines de munitions ont congé

Les paquebots stoppent en plein Atlantique

La statue de la Liberté sourit

alors une guerre éclate

des squelettes battent du tambour

le prix du sucre monte

enterrements gratuits

des héros laurés de bandages

entassés dans des wagons à bestiaux

portent leur coeur séché

entre deux feuilles de papier timbré

Le rapide Rome-Stockholm

est exclusivement composé de voitures-cercueils

A cet instant

devant une table de café

un GENIE découvre

l'amour des hommes.

Cette citation, extraite de Paris brûle, en ignorerait-on la provenance, il ne serait pas difficile de la dater exactement, d'y reconnaître le souvenir des fourgons où avaient dû se presser les hommes envoyés à l'abattoir, le rappel des fructueuses affaires conclues après l'armistice par d'habiles spéculateurs, et les échos du tumulte organisé autour de certains matches de boxe disputés à Madison Square.

Je ne puis m'arrêter ici à tout ce que contiennent les deux volume où viennent d'être réunis la plupart des poèmes d'Yvan Goll. Je le regrette, car il n'est aucun de ces poèmes qui, d'une manière ou d'une autre, ne témoigne de la sensibilité de leur auteur. Les vers que dès 1934 Goll consacra à un imaginaire Jean sans Terre toujours en mouvement, sont d'un visionnaire que la seconde guerre mondiale n'aura pas surpris. Les amateurs de chansons populaires, les collectionneurs d'épinaleries ne sauraient s'y tromper : Jean sans Terre, c'est Isaac Laquedem, le Juif errant de la complainte. C'est aussi Yvan Goll lui-même qui, Juif, Alsacien et pacifiste, pressentait qu'il lui faudrait cherchez bientôt refuge hors de notre continent. Je ne soutiendrais pas que cette perspective lui ait été agréable, mais je ne crois pas qu'il s'en soit affligé outre mesure. Il se savait égal à son destin, comme eut dit Apollinaire. Atteint de leucémie, il a voulu rentrer en France pour y mourir. Il commence d'y survivre.

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Claire & Yvan GOLL
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