Robert Ganzo dans Les lettres françaises - 2 mars 1950
Le C.N.E. (Comité national des écrivains) vous parle :
Notre ami Yvan Goll est mort
Au Temps où Yvan Goll, poète, chargeait les épaules de son Jean sans Terre, de ciel, de branches, d'oiseaux ou de limons, il ne pouvait y avoir pour nous d'équivoque. Ce qui nous était proposé par d'autres chemins que ceux de Guillaume Apollinaire ou de Blaise Cendrars : une poésie qui se voulait profondément humaine et déambulant à travers les espèces et les éléments. Et lui, Goll, en son héroïque aventure, nous le savions humble et se démêlant devant les hommes afin qu'ils pussent se reconnaître jusque dans ses paroles les plus secrètes et ses synthèse souveraines.
Jean sans Terre continue à survivre dans les mots de poètes venus après Goll et parmi les plus fêtés. Un jour, je dirai peut-être mieux ce que la longue et patiente entreprise de celui dont je parle ici et qui s'en allait, au long de routes européennes ou américaines, avec une exceptionnelle tendresse pour les êtres et les objets de notre univers, et jamais défaillante.
Chaque fois que je pense à Yvan Goll, je pense aussi à Claire, sa compagne. Il publièrent ensemble un livre de poèmes d'amour. Il demeure exemplaires .
Les derniers frémissement de sa vie, Goll les a transmis à son « Elégie d'Ihpétonga » et aux « Masques de Cendres » que Picasso illustra de lithographies. Avant cela, il y eut « Le Char Triomphal de l'Antimoine » et un livre encore « Le Mythe de La Roche Percée ».
Chacun de ces ouvrages mériteraient un long commentaire. Ils forment une trilogie. Alors que l'homme était partout avec « Jean sans Terre », ici, c'est la pierre, les éléments épars et en elle concrétisés de la terre qui sont le thème principal des poèmes de Goll. Elle s'érige -- pierre ou roche - devenue pour les hommes une sorte de lieu commun, de vieux noms si usées que plus rien presque ne subsistait de sa signification. Mais survient Yvan Goll, poète, roche ou pierre ou de quartz, il va nous les révéler à nouveau et nous les nommer :
Pierre plus agitée que les vivants,
plus rancunière que la mer,
plus démente que les oiseaux...
Dans l'intention même de Goll qui croyait échapper un peu aux vivants, ceux-ci ne se laissent pas oublier. Les voici, debout dans la légendaire épopée indienne. Ihpétonga est le nom que les Indiens donnaient à la partie de Brooklyn qui s'appelle aujourd'hui Columbia Heights, et qui domine le port de New York. Mené par son poème , Goll est allé aux renseignements . Alors, il a écrit :
Dans la lagune d'Ihpétonga,
Un roseau de trente mille ans
dresse son fanion de démence..
.
Voilà, pour des critiques incompétents de la poésie française actuelle, de quoi passer, une fois de plus, inaperçu .
Une rumeur, un haut qui chantait un district , une rivière, une ligne de chemins de fer, de d'une flottille de remorqueurs de. C'est toujours, pour Yvan Goll, un jeu émerveillé d'oreille de et de lèvres.
Entre le quartz et l'homme, quel échange et quelle haute signification !
... à mettre un regard si pur
aux yeux biseauté du quartz.
Dans les prismes des grenats
saigne mon oeil enfermé.
Parti de la pierre et de son tumulte, comme en un vertige avec quelque mots, Goll refait le long chemin, à rebours, depuis le premier poème à la femme qu'il aime, depuis le premier ordre reconnu, depuis la première fleur, jusqu'à lui, Goll, de nouveau et soudain :
Aveugle, je ne m'approprie
que par le champ, l'âme du seigle.
Yvan Goll n'est pas mort. Nous le rencontrons dans ses poèmes, où tout est découverte avec l'homme et pris toujours aux objets de la merveilleuse réalité.
Robert Ganzo dans Les lettres françaises 10 ème année n°301 - 2 mars 1950
(sur 5 colonnes p.3)