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Claire & Yvan GOLL
Claire & Yvan GOLL
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3 décembre 2008

Pierre-Louis Flouquet janvier 1947

Pierre-Louis Flouquet Journal des Poètes 17ème année - n°1 - janvier 1947

Des rives de la Seine aux rives de l 'Hudson...

Claire et Ivan Goll en Poésie

J'ai eu la bonne fortune de passer quelques heures, en septembre, avec nos amis les poètes Claire et Ivan Goll, dans leur appartement minuscule de Columbia Heights, à Brooklyn .

Claire et Yvan, amoureux éternels, vivent en poésie avec la même foi et le même enthousiasme qu'au temps de leur existence lutécienne, lorsqu'ils accueillaient les meilleurs poètes de Paris dans leur vaste logis du quai Bourbon.

En l'an 40, Claire et Yvan purent gagner New York, où ils vécurent dans un milieu d'émigrés, nouant de nombreux liens avec leurs confrères américains, entretenant la ferveur française, fréquentant Marc Chagall leur ami fidèle, les peintres Dali, Kisling, Léger et Mondrian , les sculpteurs Zadkine et les Lipschitz, les écrivains André Spire, André Masson, Jules Romains, André Maurois, André Breton, et nos compatriotes Maeterlinck, Marnix Gysen, Robert Goffin, Anatole Bisque.

J'avais trouvé l'adresse des Goll chez Brentano's, le grand libraire de la cinquième Avenue. Un mot rapide était resté sans réponse, je les croyais retournés en Europe, lorsque à l'improviste me parvint, sur le papier jaune d'or des éditions « Hémisphères » , une invitation à dîner des Poètes, revenus la veille d'un séjour en Gaspésie.

A l'heure dite, à Brooklyn, qui parfois fait songer à Neuilly et parfois aux docks de Liverpool, dans Columbia Heights, artère paisible, comme s'abat d'un coup un mur haut et lourd, une porte massive en s'effaçant me rendit deux visages et deux voix, fidèlement gardés durant les années tragiques. Ceux qui se rappellent les tailles hautes, les visages minces, les regards un peu fiévreux parfois, mais subtils et profonds comme la pensée, de Claire et d'Yvan, les auraient comme moi retrouvés sans effort . Tout de suite ils me firent les honneurs de l'étonnant paysage déployé devant leurs fenêtres.

A droite, le plus ancien pont de New York, Brooklyn Bridge, sur l'East River, ouvrage massif dont les portiques sont des lyres d'acier : au centre, les docks avec les cargos, les steamers, les paquebots transatlantiques, et sur la rive de Manhattan les gratte-ciel tragiques de Wall  Street ; à gauche, l'embouchure de l'Hudson, Long Island où les émigrants purgent la quarantaine, la baie immense où cent vaisseaux sont à l'ancre, l'île de la Liberté portant la statue géante de Bartholdi , don de Paris à la ville de New York . Au-delà enfin, sous un ciel étincelant, l'océan balayé par les vents.

" Nous avons connu, me dit Yvan, des alternatives d'abattement et d'exaltation, sans jamais perdre l'espoir.

Dès le début la vie intellectuelle française fut intense à New York. Maeterlinck et Romains fondèrent le journal « Voix de France » qui réunit la collaboration d'une élite française, européenne, américaine. Des éditeurs montrèrent une activité magnifique, tout spécialement la Maison de France, installée au Rockfeller Center.

De nombreux écrivains firent dans les Etats des tournées de conférences. Parmi nos confrères belges, Robert Goffin se manifesta sans compter. Il voyagea en avion à travers toute l'Amérique, parlant devant les publics les plus différents, publiant articles, poèmes et ouvrages de prose en français et en anglais. Il laissa le souvenir d'un camarade énergique et serviable.

D'un voyage à Cuba, île heureuse du beau poète Mariano Brull, je rapportais plusieurs poèmes, dont « Vénus Cubaine », et une prose enchantée « Corbeille de Cuba ».

En 1941, j'ai fondé la revue Hémisphères. Elle réunit une collaboration de qualité et fit connaître plusieurs poètes de valeur, comme Césaire et Duits. Hémisphères représentait, au-dessus de la Politique, une position intellectuelle intransigeante, celle de la Poésie Pure. Elle n'en publia pas moins de nombreux poèmes de circonstance, du genre de ceux qu'on devait nommer plus tard, en France, la Poésie de la Résistance. A ce propos, je vous signale que j'ai publié dans « La Nacion » et dans « The Saturday Review of  Literature » , en 1940, ainsi qu'en 1941, dans « Poet's Messages », collection éditée à New York, les poèmes de « Chansons de France », dans lesquelles on retrouve le mètre court, le rythme populaire, le sens tragique des poèmes de « Jean sans Terre ».

Les numéros spéciaux d'Hémisphères connurent un vif succès.

L'un, consacré à la Découverte des Tropiques, comportait les collaborations d'André Breton, d'André Masson et du grand poète de couleur, Césaire. Un autre traitait de la Magie. Les recueils de poésie publiés par les éditions Hémisphères furent aussi bien accueillis.

En 1942, j'ai publié dans le journal « France Amérique » le poème « Grand cortège de la Résistance en l'an mil neuf cent misère ». Il fut repris, à Alger, par la revue « Fontaine » (numéro 34) que dirigeait, si brillamment, notre ami commun Max Pol Fouchet.

Plus tard, j'ai écrit une poésie en forme de Croix de Lorraine, qui fut imprimée en deux couleurs sur un magnifique papier de chiffon et distribué comme le message de Noël par le groupe « France for ever » , alors présidé par Houdry.

J'ai publié dans Hémisphères les premiers poèmes des Elégies d'Ihpetonga. Ce mot, d'origine indienne, à la fois sauvage et harmonieux, signifie les falaises, les hauteurs de Brooklyn, sur lesquelles se trouve notre logis.

La suite des Elégies d'Ihpetonga, qui bientôt paraîtra chez un éditeur parisien, surprendra peut-être ceux qui croyaient que j'avais trouvé, dans le vers octosyllabique de « Jean sans Terre », une forme tout à fait adaptée à mon inspiration. Ces Elégies, plus métaphysiques et plus cosmiques que mes oeuvres précédentes, sont écrites en vers plus libres, d'expression plus intense. Je pense qu'il s'agit d'un approfondissement, ou plutôt d'une libération.

Au cours de mon séjour en Gaspésie, région canadienne abrupte et sauvage, à la fois maritime et boisée, j'ai écrit Le Mythe de La Roche Percée, poème géologique aux rythmes variés, tournant autour de la vie et de la mort des pierres. Ce poème, d'une grande amplitude, m'a été inspiré par un rocher géant que perça à jour la morsure des flots. Il prédit après la longue patience et l'attente du monde minéral, apparemment inerte, sa résurrection par la brisure de l'atome..."

Ce qu'il écrira demain, Ivan Goll ne le sait, mais il n'a pas cessé, malgré l'exode, malgré l'horreur, malgré l'exil, t'écrire des poèmes d'Amour.

Maintenant j'interroge Claire, qui actuellement publie d'excellents articles de critique dans l'hebdomadaire « France Amérique ».

" Vous savez, dit Claire, que je suis plus romancière que poète. Plus que moi Yvan est tenté par le lyrisme. A toute inspiration, fût elle tragique, il mêle une onde délicieuse, semblable en cela à notre cher Chagall. Mon inspiration est plus dure.

En Amérique, j'ai publié des nouvelles sur Paris. Leurs titres ? « Le dîner de 500 francs » , « L'Homme au Camélia », « L'Inconnue de la Seine », d'autres encore. La collection « les Oeuvres Libres » les publia, parmi d'autres de Maurois, de Romains.

J'ai donné à Hémisphères une autre oeuvre de prose « La Blanchisserie Chinoise » (numéro deux et trois). Les Editions de la Maison Française lancèrent deux de mes romans : « Le Tombeau des Amants Inconnus » et « Education Barbare ».

...

Comme son compagnon, Claire Goll, bien qu'ayant aux Etats-Unis de nombreux amis et admirateurs, bien qu'ayant connu à New York le succès , n'a jamais oublié Paris, cité de la poésie et capitale de la douceur.

En souriant, elle dit comment elle conserva durant des ans, comme des objets très précieux, les emballages de produits de beauté et même de médicaments emportés en hâte de son logis de l'île Saint-Louis. Elle dit comment, chaque soir, durant tous les jours du long exil, elle voyagea en esprit dans Paris, grâce au plan de la ville aimée, fixé au-dessus de son lit. Elle dit que ce logement les retint, non seulement parce qu'il offre une vue propre à émerveiller et à exalter les artistes, mais surtout ce qu'il leur permettait de conserver leur pensée orientée vers l'Europe et la France, grâce aux navires nombreux tournant chaque jour leur proue vers le pays de leurs amours. Et parfois, ajoute-t-elle, comme une récompense, nous étions éveillés le matin par la Diane sonnant sur un vaisseau français, où la vision soudaine d'un pavillon tricolore...

Tandis que Claire parlait, l'ombre descendait lentement sur la baie immense. Dans le soir déjà brumeux le crépuscule semait des rougeurs d'incendie.

Yvan toussait doucement. Claire, un peu lasse d'avoir revécu en ce temps si court les craintes, les exaltation, les fatigues et les joies de tant d'années, tournait un visage étrangement nu vers la fenêtres.

Sous nos yeux la baie s'enténébrait par degrés. Comme en un ciel de féerie s'allumaient une à une les lumières innombrables de Manhattan. Un long paquebot, scintillant de tous ses hublots, fendait les eaux à l'endroit où l'Hudson mêle ses eaux au flots salés de l'Atlantique.

Journal des Poètes 17ème année - n°1 - janvier 1947

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