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Claire & Yvan GOLL
Claire & Yvan GOLL
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3 décembre 2008

Jean-Daniel Maublanc, L'Archer, Toulouse, 1930

Jean-Daniel Maublanc :

IVAN GOLL ET LA POESIE INTERNATIONALE

Si l'histoire politique demande parfois le recul d'un demi siècle pour se dégager et prendre les apparences de la vérité, l'histoire littéraire, qui reflète des passions aussi ardentes et enregistre des bouleversements spirituels aussi profonds, demande les apaisements séculaires pour fixer les figures et situer les oeuvres. Mais, de même que l'histoire politique se constitue au jour le jour par l'accumulation des faits et l'élan continu des forces nouvelles, de même l'histoire littéraire s'inscrit au fil des ans selon le rythme des créations intellectuelles, chaque auteur apportant à l'édifice de la petite pierre de son talent, parfois l'airain de son génie. Il arrive, dans l'une et l'autre histoire, que des révolutions ébranlent l'édifice tout entier, que certaines personnalités s'inscrivent en lettres capitales et éclaboussent, des poussières qu'elles déplacent, un siècle de patiente harmonie et de laborieuses acquisitions. Notre début de siècle aura connu des bouleversements de tous ordres et dans tous les domaines mais si,  conduits sans conviction et mal soutenus des élites,  les bouleversements politiques s'amenuisent et s'orientent vers une stabilisation franchement régressive,  les révolutions littéraires,  après avoir consolidé d'immenses et fructueuses acquisitions,  s'installent en conquérantes dans les domaines de l'esprit.

          On pourra dire que le XX ème siècle aura consacré la mort des vieilles écoles et qu'une nouvelle poésie - la seule vraie poésie pour certains -,  est née avec lui. Le cubisme,  Dada,  le surréalisme - le vrai et l'autre -,  figureront,  dans le débat,  l'extrême gauche réalisatrice et,  parmi ces cohortes à gilet rouge et "stylo entre les dents ",  Ivan Goll m'apparaît déjà comme un chef résolu,  fier d'une doctrine qu'il a enfantée,  nourrie de son talent et de son coeur. L'avenir fera la part de son activité et de son oeuvre,  il m'a semblé bon d'en fixer dès maintenant le témoignage.

Il est incontestable que nous vivons actuellement quelques heures capitales de l'histoire humaine,  les vieilles hiérarchies s'écroulent,  prennent peur,  tentent d'endiguer le flot nouveau.

La grosse erreur de notre époque fut de donner à la bourgeoisie cette prédominance bestiale,  expression d'un désir immodéré de jouissances et de réalités matérielles. N'en incriminons pas forcément l'argent,  mais bien cet état d'esprit qui donne au ventre la maîtrise et laisse à la pourriture les valeurs spirituelles. C'est sur ce fumier qu'a fleuri la digitale Dada. Les dadaïstes étaient intelligents trop,  sans doute,  puisqu'ils poussèrent leur système à l'absurde ; ils étaient des bourgeois au sens vulgaire du mot ; mais,  révolutionnaires d'instinct,  ils rêvaient le renversement total des idées reçues et la table rase des acquisitions antérieures. Partis d'un point de vue défendable ils se contentèrent de renverser sans construire,  car l'illogisme était leur acte de foi,  la confusion,  la caractéristique essentielle de leur mouvement. Fiers de se contredire toujours,  ils réunirent à démontrer qu'ils n'étaient rien et ne pouvaient rien être.

Le mouvement Dada ne fut qu'une convulsion,  une mode fugitive,  une attitude pour milieux snobs.

Comme nombre des jeunes gens d'alors,  Ivan Goll n'ayant rien de commun avec certains hommes dont le poil est gris aujourd'hui,  a participé au mouvement Dada en tant que manifestation révolutionnaire humaine. Comme les dadaïstes,  il a toujours été du côté de ceux qui voulurent jeter bas les vieilles ruines qui encombrent l'Europe et bouchent notre horizon. En cela,  il se rapproche plus,  à mon sens,  du cubisme extrêmement réalisateur et constructif d'un Cocteau. Mais après,  quelques,  tournois sonores,  à l'âge où tout paraît possible,  il s'est aperçu que les pierres moisies risquent de tomber sur la tête  (Cocteau n'a-t-il pas ruiné ses forces à essayer de soulever les mondes ? ) et il a pensé qu'il valait mieux laisser les musées à leur place et construire sa petite ville à côté. Il ne manque pas d'espaces incultes et de vallons fleuris sur cette terre. En sorte que les traces de Dada qu'il nous est possible de trouver dans les premiers vers d'Ivan Goll ne sont sans doute que des manifestations d'un esprit affranchi et non fonction d'une doctrine. Je dirai tout à l'heure ce qu'est le surréalisme d'Ivan Goll. Ses poèmes d'aujourd'hui différents pourtant des poèmes de jadis - sont tout aussi libres qu'eux et son surréalisme  (car c'est la véritable doctrine à laquelle il se rattache) était en substance aussi bien en 1920,  en 1924 qu'en 1929 dans son oeuvre. La théorie érigée dans le premier numéro de son éphémère revue (numéro premier et unique) n'était qu'une simple déclaration,  une définitive mise en règle de ce que lui avait appris 1'exercice de son art.    

Mais,  direz-vous,  le surréalisme d'Ivan Goll n'est donc pas le surréalisme orthodoxe et dictatorial qu'on nous prêche aujourd'hui sous les plafonds du " Radio " ?  Si je veux examiner la question d'une certaine hauteur - et mettant à profit le recul de quelques années - je résumerai ainsi la différence entre les deux Surréalismes :    

   Toute poésie a besoin d'ailes,  pour arriver à imiter les oiseaux qui nous sont supérieur,  par la volonté de Dieu. Les surréalistes,  groupés autour de Breton,  empruntent leurs ailes au rêve,  à l'inconscient,  au fonctionnement obscur et étrange du cerveau. Le surréalisme de Breton,  pour lequel Freud est la Muse nouvelle,  relève plutôt de la psychiatrie. Le surréalisme d'Ivan Goll,  directement issu de Rimbaud,  Laforgue et Apollinaire,  puise son extase et son haut,  au coeur,  au sentiment,  à l'ivresse obscure de l'amour de toutes choses. Pour l'un comme pour l'autre,  l'art " échappe à toute préméditation ". " C'est un événement de la Nature. Naissance spontanée " (Delteil). Et puisque Dieu,  ou la force animatrice et créatrice des Mondes,  est le point de départ des deux doctrines,  on peut dire que,  manifestement divergentes,  il existe sûrement un point où les théories se rencontrent.

Yvan Goll avait déjà publié quelques oeuvres importantes quand il fonda la revue " Surréalisme " dont le premier numéro, paru le premier octobre 1924, n'eut pas de suite, 16 pages, sous couverture illustrée par Robert Delaunay. Au sommaire : Guillaume Apollinaire, Marcel Arland, Pierre Albert-Birot, René Crevel, Joseph Delteil, Robert Delaunay, Paul Dermée, Jean Painlevé, Pierre Reverdy. La couverture annonçait la fondation d'un " Théâtre surréaliste " avec programme monstre, metteurs en scène russes, autrichiens, italiens et un français : Gaston Baty. Mais, pour vivre et durer, Revue et Théâtre cherchèrent  un Mécène. Personne n'ayant ouvert sa bourse, Revue et Théâtre moururent aussitôt que conçus. Qu'importe, le sillon était tracé, la moisson devait mûrir, malgré tout.

"La réalité,  écrivait Ivan Goll dans son manifeste,  est la base de tout grand art. Sans elle,  pas de vie,  pas de substance. La réalité,  c'est le sol sous nos pieds et le ciel sur notre tête. Tout ce que l'artiste crée a son point de départ dans la nature... Cette transposition de la réalité dans un plan supérieur  (artistique) constitue le Surréalisme. Le surréalisme est une conception qu'anima Guillaume Apollinaire,  qui avec le matériel élémentaire des phrases et des mots de la rue faisait des poèmes... Seulement,  avec ce Matériel élémentaire,  il forma des images poétiques. L'image est aujourd'hui le critère de la bonne poésie. La rapidité d'association entre la première impression et la dernière expression fait la qualité de l'image... L'image est devenue l'attribut le plus apprécié de la poésie moderne... L'art est une émanation de la vie et de l'organisme de l'homme. Le surréalisme est un vaste mouvement de l'époque. Il signifie la santé... retrouve la nature,  l'émotion première de l'homme,  et va,  avec un matériel artistique complètement neuf,  vers une construction,  vers une volonté. "

Le surréalisme,  enfin " sera international,  il absorbera tous les ismes qui partagent l'Europe,  et recueillera les éléments vitaux de chacun ".

C'est sur le plan international que se détache avec le plus de netteté la personnalité littéraire d'Ivan Goll. Esprit cosmopolite,  humanitaire,  pacifiste,  il chante la fraternité des races et l'abolition des frontières. Sa première grande oeuvre naturellement méconnue,  "Les Cinq Continents "anthologie mondiale de la Poésie contemporaine  (La Renaissance du Livre,  1922) est un essai de collaboration simultanée de toutes les races intéressant tous les individus. Ce n'est sans doute pas une anthologie complète,  mais c'est le livre idéal de l'Européen de 1923 que pouvait se représenter l'auteur,  achetant ce livre dans une gare quelconque. Livre subjectif,  unilatéral,  partial et certainement systématique,  mais si plein de vie,  si mugissant des cris de la terre,  qu'il aurait mérité le grand succès et une place de choix dans le coeur des poètes.

" Une mappemonde sur une table de travail est le plus beau jouet et le délassement le plus doux que l'on puisse trouver. L'homme oublie sa tristesse quotidienne en parcourant d'un doigt rêveur le Globe qui contient tout. Navigateur de l'infini,  pendant cinq minutes,  il va se reposer dans un paysage lointain... Pour découvrir dans des pays inconnus les véritables valeurs,  c'est aux poètes,  qui sont des prophètes,  qu'il convient de s'adresser en premier lieu ". Et,  durant trois années,  aidé par une cinquantaine de traducteurs de toutes langues,  Ivan Goll a lié cette gerbe de jeunesse et de vérité. Voici les Américains  (Carl Sandburg,  Edgar Lee Mastera,  Vachel Lindsay,  Amy Lowell,  James Oppenheim,  etc...) Les Anglais  (Richard Aldington,  F.-S. Flint,  T.-S. Eliot et John Rodker) les Irlandais  (James Stephens,  Padraic Colum). Les Français - et cela donne aux lecteurs l'idée générale et la tendance de l'ouvrage - sont représentés par Guillaume Apollinaire,  Blaise Cendrars,  Jules Romains,  Max Jacob,  André Salmon,  Jean Cocteau,  Ivan Goll,  Pierre-Albert Birot,  Philippe Soupault,  Nicolas Beauduin. Je suis assez surpris de voir Paul Valéry compléter cette liste.... Nicolas Beauduin y figure sans doute comme résurrecteur du vieux paroxysme... mais alors,  pourquoi refuser à Paul Dermée et à Verhaeren un fauteuil en la section belge,  où je ne vois figurer que Franz Hellens,  Paul Neuhuys et Wies Moens ?  L'Italie futuriste et cubiste avec Marinetti en tête,  l'Espagne (Ramon Gomez de la Serna,  Juan Ramon Jimenez,  Antonio Machado,  etc...) et la Catalogne,  séparatiste  (Engeni d'Ors,  Alfons Maseras,  Salvat Papasseit) complètent,  avec quelques Mexicains,  Nicaraguens,  Péruviens,  Chiliens,  Argentins,  Portugais,  Grecs et Roumains,  cet important groupe Latin qui me semble avoir la tâche la plus dure pour secouer les rudes remparts du moyen âge et brûler les vieilles grammaires. Le groupe germanique  (allemands,  autrichiens,  hollandais,  suisses,  suédois,  norvégiens,  danois et finlandais :  23 poètes a toutes les tendresses d'Ivan Goll,  mais si le groupe slave  (21 poètes) m'effraie un peu par ses cris sauvages et ses visions incandescentes,  j'aime à relire les tendres,  douloureux,  purs et naïfs poèmes des Vieux Peuples orientaux. Les japonais (l'Empereur Moutsou-Hito,  Nico D. Horigoutchi,  Rofu Miki,  Shira Tori,  etc...) les Chinois,  sont de merveilleux,  d'incomparables inspirés. Leurs oeuvres sont des violettes toutes simples cueillies le long de la grand-route humaine,  mais si parfumées,  si tendres de rosée,  que l'âme en est toute bouleversée. Et voici les Hindous représentés par Rabindranath Tagore,  les Juifs - avec inévitable pogrome -,  les Turcs,  les Arméniens,  les Indiens,  enfin les Nègres,  instincts à leur première aurore,  poésie directe,  intense,  vraie... Je connais nombre de Poètes modernes. Dix à peine ont eu en mains "les Cinq Continents",  trois possèdent l'ouvrage et l'ont lu.. Navrant.

Entrons désormais dans les champs poétiques d'Ivan Goll. Quelques poèmes dès 1912,  à vingt ans. Je m'en tiendrai à "Le Nouvel Orphée",  édition collective publiée par "La Sirène" en 1923. Poésie âpre,  faite d'un papillotement d'images projetées du cœur-miroir par réflexion,  avec des contours de pointe-sèche et la matière du métal. Lampes à arc et feuilles de température,  j'écris ces mots avec intention. Ces Poèmes sont des jeux kaléidoscopiques,  films primitifs et éphémères,  dont les vertèbres ne sont qu'instants et rayons,  mais dont le corps émerge d'ensemble,  en silhouette crue et dans l'atmosphère. La beauté de ces morceaux et leur pouvoir évocateur,  naissent du choc incessant des images,  dans un désordre d'apparence,  car rien n'est désordre en la vie et la poésie d'Ivan Goll,  c'est la vie même.                  

Voici quelques images détachées de "Paris brûle"

Les blancs corbeaux des quotidiens

se battent autour des appâts de la nuit

Le monde juge en trois lignes

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Ses paupières sont des feuilles d'automne

qui ont peur de tomber dans l'herbe

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L'aiguille en platine de la Tour Eiffel

crève l'abcès des nuages...

…Et j'ai peur

que mon coeur

qui n'a pas de cran d'arrêt

comme un revolver

ne parte tout seul

Le plus insignifiant détail,  le plus banal,  la notation la plus imprévue,  l'incidence la plus saugrenue,  sont venus naturellement s'inscrire sur la toile où le pinceau du poète étale la pâte coloriée,  puisée à même la réalité et découpée dans son ciel de tous les jours. Les sentiments humains nous apparaissent sans métaphysique et sans subtilités,  sans logique ni esthétique,  sans effets de grammaire ni jeux de mots. Ce ne sont que des objets participant de la sensibilité universelle,  aussi nets de contours,  aussi vrais,  aussi schématisés que l'ovale d'un visage ou le cube monstrueux d'un gratte-ciel. Un peu d'exagération,  parfois,  mais exagérer n'est pas mentir...

Je me vends moi-même je vends Dieu je vends

le monde entier

Tout ce que nous faisons est péché

Ne pas agir est l'unique salut...

Poésie externe,  en somme,  pour l'oeil et pour les sens,  mâle et dure,  poésie qui touche et fustige,  ébranle plus qu'elle n'émeut. Et par-dessus tout poésie pessimiste,  désespérée,  impliquant au renoncement,  qui fait toucher du coeur,  les immortelles misères de la création,  les égoïsmes glacés d'une société sans amour et l'immense océan de la bêtise humaine.

Le poète enregistre comme un thermomètre

la fièvre du monde....

....Le poème est de l'angoisse anesthésiée

La douleur est meilleure que I'amour....

Ivan Goll démasque et écorche (lisez Mathusalem ou l'Eternel Bourgeois) fouaille et raille,  plonge son,  scalpel dans les pourritures et met l'homme à nu sous un ciel sans mensonges. Mais si le monde gagne insensiblement son excuse de vivre,  si l'humanité,  sauvée du suicide,  marche enfin vers l'or des horizons purs,  le poète,  méconnu toujours et toujours martyr.  ( "La Chaplinade",  "Le Nouvel Orphée") reste par essence l'éternel paria,  le fou zigzaguant du grand jeu d'échec de la vie.

Le premier devoir de l'homme est en lui-même ;

Sois bon ! avant de parler de bonté..

Poète-Narcisse. mire-toi dans tes propres larmes! 

Le Parnasse existe,  ami,  dans ton cœur!

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La terre tourne :  cinquième roue de l'automobile divine

L'ange a beau se suicider

La bêtise reste immortelle

Recueillons-nous  recueillons-nous... ?

Le trèfle est sage qui ouvre et replie ses feuilles

Le trèfle est solitaire

Et simple

Soyons donc solitaires

Et simples...

Le Poète,  dans cette réalité souveraine et totale,  n'est peut - être que le grain de folie des mondes,  le feu follet insaisissable et éphémère que la gifle du réel fait mourir à l'aurore quitte à renaître au soir par le caprice des nuits,  le point de ralliement des idéals et le symbole des espoirs,  le poète est peut-être Dieu!  "

1923 -1925 : Ivan Goll a rencontré l'élue. Son nom n'apparaît plus seul au frontispice des recueils que Jean Budry, l'éditeur des sept manifestes Dada et des oeuvres de Pierre Albert Birot, présente au public. Ivan a rencontré Claire, les deux poètes formeront désormais une même âme tout, ellipse parfaite dont les deux coeurs sensibles sont les brûlants foyers. Il me sera bien difficile de distinguer les deux sensibilités, mais cette distinction est-elle bien nécessaire ? Je considère Claire et Ivan comme l'envers et l'avers du même astre, comme les faces confondues d'une sphère dorée où se joue la lumière et pleure la rosée :

Voici dix ans que tu m'aimes,

Que sur ma montre-bracelet

Le temps s'arrêta pour toujours !

Claire Goll était merveilleusement pétrie pour comprendre Ivan. Partageant son amour de la nature, plein d'amertume, nourrie de ce style brusque (reste de l'emporte-pièce Dada), ses récits à facettes, les uns émouvants, les autres pleins d'humour, nous faisaient déjà pressentir quelques-uns des paysages intérieurs denses d'une philosophie où la tristesse prend place, de " Une Allemande à Paris " . Elle avait subi, comme lui, l'influence des écrivains internationalistes et des peintres allemands, autrichiens et russes. L'influence de Chagall surtout, aux lignes tirées, aux boucles vives, Chagall, comme Ivan et Claire Goll, n'aime la réalité que par les contours et trace seulement des dehors d'objets pour nous les peindre. Plus exactement, il n'aiment, tous les trois, que les reflets, les surfaces, ne s'occupent que des orages du concret. Leurs peintures seront des heurts d'images concrètes, ils sont des businesmen-artistes, dédaignant la spéculation les diamants bruts d'images vivantes. Et c'est pour cela que l'illustration des recueils de Claire et Ivan m'intéresse autant que les poèmes eux-mêmes. Robert Delaunay, George Grosz et Fernand Léger, artistes pour lesquels peindre est une fonction de tous les sens , avaient délimité quelques-unes des images de " Le Nouvel Orphée ". C'est à Chagall que fut dévolue l'illustration des " Poèmes d'Amour " (1925). Il nous montre Claire et Ivan, mêlés dans un dessin aux lignes pures, puis dans une ellipse que ferme tout un monde, une tour Eiffel que couronne, comme une double étoile noire, deux visages préparant, dans notre univers, une éclatante rentrée.... Puis le geste d'une consolation nue et plus loin le masque androgyne commençant à rouler comme les satellites inquiets d'une beauté toujours immuable.... Dans " Poèmes de la Vie et de la Mort ", deux tragiques radiographies et dans les " Poèmes de Jalousie " quelques eaux fortes de Foujita, pleines d'une mollesse dont l'art s'allie avec cette préciosité un peu voulue qu'affectionnent certaines des images des Goll.

  Ouvrons les " Poèmes d'Amour ".

Ivan :           Tes cheveux sont le plus grand incendie du siècle...

         ... Trompés par l'or faux de l'aurore

         Les oiseaux sont rentrés

         Désespérés...

         ... Tu es la nymphe échappée des bouleaux

         A tes pieds d'or se suicident les chiens...

         ... Parfois mon coeur mort crie dans la nuit...

         ... La nuit ta chevelure orange illuminait

         Le vieux château du ciel

         Jusqu'aux tours de Saturne...

         ... Depuis que je ne t'aime plus je t'aime...

         ...Des arbres de douleur gantés de rouge...

Lyrisme pur, nourri d'aliments modernes . Le vocable ancien, le matériel prosodique est changé. Voici le tramway, l'autobus, le métro, comme les constellations d'un nouveau ciel. Au milieu de cette terre inconnue, se confiant un amour très pessimiste, ils échangent, à la fin, des compliments naïfs tels que " ton coeur est comme un abricot " ! Le symbole de la chevelure attire Goll aussi, mais c'est une chevelure concrète dont il nous révèle les brûlantes colorations. Enfin, c'est ce lyrisme, non pas le lyrisme souterrain, intérieur, tel celui de Paul Eluard par exemple, mais un lyrisme de surface, dont les éléments appartiennent aux choses qui nous entourent, lyrisme immédiat qui naît toujours, comme l'électricité de deux objets la contenant déjà, en l'ignorant. Et la note féminine nous est donnée par Claire, avec la pitié profonde que recèlent ces beaux vers :

J'arrache mes premiers cheveux blancs

Les oiseaux en feront leur nid...

.... Dès que tu pars

Je crainte l'ange cycliste

Avec le télégramme de la mort...

...Car même de l'étreinte de la mort

Mon coeur immortel reviendra vers toi !

Ici, je crois que Claire Goll a poussé loin la réussite. Avec d'aussi simples éléments, elle nous oblige à une réflexion pleine de découvertes. Magnifique écrivains d'images, elle pousse, jusqu'à l'extrême de la clarté, leur intensité et leurs associations. Habileté très aiguë qui nous offre de réelles conquêtes à la lisière de ce monde mystérieux où commence la vraie et inexplicable poésie. Certaines de ces images nous satisfont même trop complètement pour que nous puissions les dire très poétiques, il leur manque de la folie... mais Claire, comme Ivan, y suppléent par une violente passion qui s'exprime en pures révélations, pleines de charmes et écrite dans une langue originale et tendue, jusqu'à ce cri de Claire que nous attendions depuis le début du livre de.

Car même de l'étreinte de la mort

Mon coeur immortel reviendra vers toi.

Les " Poèmes de Jalousie " ne satisfont moins complètement. Cette jalousie est, à vrai dire, trop galante, trop fleurie. Benserade en colère... Certains tics, certains clichés que je retrouve dans Cocteau. Les voix sont toujours aussi pures, elles montent dans un violent désarroi. L'humanité des poèmes, tout de même existante, ne semble me masquée par des bariolages presque sportifs, évoquant, avec un certain déplaisir ému, le Boulevard et la Rotonde...

Claire :        Je suis jalouse de la rue

         Et de tes pas en ut-mineur...

         .... Tu étais la Colonne Vendôme

         A laquelle je m'appuyais...

Voici par contre, de très beaux vers :

Yvan :         Dans l'arbre rouge de tes veines

         sont perchés mes oiseaux de rêve

         ... Je vis ta vie tandis que tu la rêves...

Et cette sincérité, entachée parfois d'un désir trop grand d'originalité, je la retrouve dans les " Poèmes de la Vie et de la Mort ".

Claire : Voici dis ans que tu m'aimes

         Dix ans qui furent dix minutes !

         Mais je te vois toujours pour la première fois....

Claire à la hantise de la mort, elle craint la pourriture et surtout la léthargie trompeuse qui peut ménager un terrible réveil au sein des territoires de la mort :

         Quand je serai morte

         fais embaumer mon corps :

         Sinon les bêtes sans patrie

         Viendraient coucher dans la sciure d'or de mes cheveux

         - Quand  je serai morte

         Fais couler du blanc formol dans mes veines

         Pour conserver leurs souvenirs...

         ... J'attends la mort

         Comme un enfant ses vacances...

Enfin, quelques très beaux vers :

Claire :        Je n'aurai qu'à te regarder

         Pour que l'aurore monte dans mes joues

Ivan :   Ombre parmi les ombres,

         Que chassent les saisons

         Jusqu'à la proche tombe.

  Depuis lors, cédant au goût du jour et aux nécessités tyranniques, Ivan et Claire Goll ont quelque peu délaissé la poésie. Ils sont devenus de grands romanciers. Mais ils n'ont pas démissionné, et quelques poèmes, parfois, tombent en rosée claire sur leurs carnets. S'en tiendraient-ils à leur oeuvre déjà publiée, qu'ils auraient droit à une place de premier plan dans notre histoire poétique moderne. Si, dans ces pages forcément succinctes, j'ai pu en fixer le témoignage, j'estimerai mon travail profitable sinon digne des oeuvres présentées.

                                      Jean-Daniel Maublanc

L'Archer, Toulouse, Juin 1930

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