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Claire & Yvan GOLL
Claire & Yvan GOLL
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3 décembre 2008

Léon-Gabriel Gros danq Cahiers du Sud 1937-1949-1956

Léon Gabriel Gros:         C'est une entreprise curieuse que celle d'Ivan Goll à retrouver l'allure et la diction des chansons populaires . "Devant le Miroir",  "Sur les Cimes",  "Sur le Pont",  autant de titres qui montrent le personnage d'Ivan Goll en présence des reflets de la réalité . Ses rencontres avec Ahasver et avec Don Juan sont exprimées en des stances d'une extrême simplicité verbale,  mais où une prosodie savante et classique à la fois dénote un subtil artisan du vers . Dans le poème s'exprime avec une rare intensité un sens quasi physiologique de la déchéance humaine . La ballade empreinte de la plus totale mélancolie s'achève par une évocation optimiste:  dans les pays d ' "Outr'Est" le vagabond retrouve d'autres hommes sans terre qui connaissent la joie commune,  et Jean,  délivré de ses fantômes,  reflets de lui-même,  termine sa confession par un éclat de rire .

Ivan Goll dont les précédentes réussites avaient été surtout de brèves notations ou du moins des poèmes valant surtout par des détails proches du haïkaï,  nous propose avec Jean sans Terre une imagerie d'Epinal rendue dans un ton très personnel et d'une naïveté savante,  tout à fait remarquable à une époque où les poètes se confessent avec plus ou moins de talent,  mais ne nous donnent qu'exceptionnellement des oeuvres comme cette ballade .

Cahiers du Sud n° 193 mars 1937

Le Témoin poétique par Léon-Gabriel Gros :

le rayonnement de l’oeuvre d’Yvan Goll n’est pas ce qu’il devrait être. Certes elle a ses fervents mais qui se recrutent parmi les seuls connaisseurs. Ayant justifié, et au delà, les espoirs que l’on plaçait en elle sur la foi des premiers recueils, dans les années 20, elle n’a point connu la large diffusion que l’on était en droit de lui prédire à l’époque. S’agit-il d’un paradoxe ou d’une injustice ? Des deux sans doute, et l’avenir s’en étonnera …Toute poésie qui nécessite une initiation parce qu’elle est elle-même une initiation est en raison même de sa qualité vouée à demeurer secrète …Qu'Yvan Goll soit un de ces poètes en marge c’est l’évidence même comme c’est le signe de sa grandeur. Si déplorable soit-elle l’occultation provisoire de son oeuvre s’inscrit dans l’ordre des choses mais elle a aussi des raisons spécifiquement littéraires…son lyrisme oscille constamment entre les recherches d’avant-garde et le souci de la rigueur formelle; il joue avec autant de virtuosité sur le clavier de l’hermétisme que sur celui de la chanson populaire; il est tantôt hiéroglyphe, tantôt image d’Epinal …mais quoi ! ce sont là des qualités si rares en notre génération qu’on les y tient pour suspectes, et qu’en fin de compte cette oeuvre se trouve en porte-à-faux entre les tendances contradictoires de l’époque . Il est difficile, je l’admets volontiers, de relier logiquement Le Nouvel Orphée de 1923 à L 'E Elégie d’Ihpétonga qui vient de paraître et, à plus forte raison de concilier le ton des trois livres de Jean Sans Terre avec celui du Char Triomphal de l’Antimoine. Ce n’est pas en tout cas le lyrisme des Chansons Malaises, le seul de ses recueils disons de lecture courante, qui nous aidera à trouver la clef de l’entreprise de Goll, la raison une et profonde que l’on cherche fatalement à toute oeuvre de quelque ampleur. …

Mon seul propos était de rendre hommage à un poète trop négligé bien qu’il soit un des meilleurs de sa génération et celui qui a contribué à bien faire connaître à la mienne tous ceux qui de par le monde nous ont préparé les voies. Je me suis uniquement préoccupé de le situer dans une époque qui sans lui ne serait pas ce qu’elle est et dont il est dans tous domaines, dans celui surtout des recherches esthétiques, un des plus irrécusables témoins.”

Cahiers du Sud 36 ème année, n° 298 - 2ème semestre 1949.

Yvan Goll, L'Alchimiste fraternel par Léon-Gabriel Gros

La parution chez Seghers dans la collection "Poètes d’aujourd’hui" d’une anthologie d’Yvan Goll permettra pour la première fois à un public tant soit peu élargi de découvrir et d’apprécier un poète dont la notoriété ce réduisait jusqu’à ce jour à des cercles assez restreint de connaisseurs. On peut dire que, littérairement parlant, la carrière d’Yvan Goll commence aujourd’hui, prés de six ans après sa mort.“ Tel qu’en lui-même enfin …” la critique le change, en définissant sa poésie et le rôle de premier plan qu’il joua ou plutôt qu’il ne joua pas dans le lyrisme contemporain, car le destin voulût qu’il fût presque toujours relégué dans les coulisses des mouvements d’avant-garde alors même qu’il avait autant et plus que personne contribué à leur lancement.

Par trois fois au moins en 1917, en 1924, en 1940 il manqua tenir la vedette mais chaque fois il se trouva dépassé par l’événement. Ce ne fut jamais, empressons-nous de le souligner, la faute de ses pairs, les meilleurs poètes de sa génération ayant toujours tenu Goll pour l’un des leurs, mais il est par contre certain que Goll fût victime d’un snobisme intellectuel assez répandu en quelques milieux d’édition, snobisme qui ne pouvait trouver aucun intérêt à Goll parce qu’il n’était qu’un poète, parce que ses démarches trop humaines étaient irréductibles à un système idéologique.…Ajoutez à cela que ce prince de l’image n’a jamais versé dans la gratuité. Ses poèmes n’étaient point de simples documents mais dans la plupart des cas des objets élaborés, formules d’exorcisme parfois à l’usage du poète lui-même, "mécaniques de satisfaction" pour quiconque se prêtait à leur incantation.…

Le paradoxe de ce poète qui souffrit personnellement plus qu’aucun autre de son déchirement entre deux cultures réside précisément dans le fait qu’il a transcendé en beauté et en lucidité non seulement ses propres douleurs mais l’apocalypse dont il fut le témoin. Perpétuel exilé, "voyageur traqué" comme on disait à l’époque, Goll qui a pu faire figure d’apatride était l’être le plus enraciné dans cette patrie intérieure de la Poésie qu’il ne faut pas confondre avec les régimes qui la régissent, écoles diverses novatrices ou académiques. Suspect à toutes les littératures établies, étranger aux diverses coteries, il a connu le sort de tous les pionniers et s’apparente par là à des hommes comme Reverdy, Cendrars, Jean de Bosschère qui pour la nouvelle génération évoquent des noms plus que des oeuvres. Comme si la jeune poésie avait commencé en 40 ou même en 24 ! Goll fut en somme un révolutionnaire d’avant la prise du pouvoir.

         Yvan Goll, ce musicien gnomique, ce fraternel alchimiste dont on ne saura jamais très bien si les puissances du coeur l’emportèrent en lui sur celles de l’imagination, ou inversement, s’il fut ou non cérébral, comme on dit, plutôt qu’instinctif, Goll, le plus concerté et le plus spontané des poètes nous apparaît en effet tout cela au moment de la revanche posthume que lui offre la collection Seghers. C’est qu’aussi bien son oeuvre choisie est présentée ici avec un appareil critique tout à fait exceptionnel, d’autant plus exceptionnel qu’à l’exclusion de Jules Romains qui bénéficie lui-même de tout le recul souhaitable les essayistes qui s’emploient à mettre Goll en valeur n’appartiennent à aucun des clans ou des mouvements de la poésie actuelle. Raisonnée ou passionnée leur adhésion échappe ainsi à tout parti-pris doctrinal. C’est le cas pour Marcel Brion qui parle en lecteur non prévenu et dit du même coup l’essentiel sur le plaisir poétique, pour Francis -J. Carmody et Richard Exner, le premier traitant de l’oeuvre française, le deuxième de l’oeuvre allemande de Goll.

… Goll, cet alchimiste du verbe (et il prétendait par les mots attendre la  "res", la chose en soi) Goll ce mystique de l’objet dont-il souhaitait qu’il le " dévorât " s’est trouvé en un sens captif de ces "Cercles magiques" qui lui inspirèrent un de ses derniers recueils …

Si les plus émouvants, les plus beaux peut-être de ses poèmes furent les derniers, écrits en allemand (L’herbe du Songe) à l’époque où il agonisait, terrassé par la plus étrange des maladies, la leucémie, je crois qu’un poème des "Cercles magiques", "Les portes" résume mieux que tout autre ce que fût sa quête passionnée :

         J’ai passé devant tant de portes

         Dans le couloir des peurs perdues et des rêves séquestrés

         J’ai entendu derrière les portes des arbres qu’on torturait

         Et des rivières qu’on essayait de dompter

         J’ai passé devant la porte dorée de la connaissance

         Devant des portes qui brûlaient et qui ne s’ouvraient pas

         Devant des portes lasses de s’être trop fermées

         D’autres comme des miroirs où ne passaient que les anges

         Mais il est une porte simple, sans verrou, ni loquet

         Tout au fond du couloir tout à l’opposé du cadran

         La porte qui conduit hors de toi

         Personne ne la pousse jamais

    Je m’excuse de ne pas avoir mis l’accent sur la grandeur de Goll, j’ai simplement tenu à dire combien son oeuvre était arbitraire, fraternelle. De toute beauté, de trop de beauté peut-être. Mais Goll, à sa façon a lui aussi "trouvé la beauté amère".

                   Léon-Gabriel Gros

Cahiers du Sud - 43è année, n° 337 (octobre 1956) p.427 à 431- Le Témoin poétique : Yvan Goll, L'Alchimiste fraternel par Léon-Gabriel Gros

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