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Claire & Yvan GOLL
Claire & Yvan GOLL
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2 décembre 2008

Géo Charles sur la Poésie des Goll en31

Géo Charles : Interview de Claire et Ivan Goll sur la Poésie :

Geo Charles . La représentation de votre "Mathusalem" à Bruxelles, mon cher Ivan Goll, nous a fourni l'occasion d'apprécier, une fois de plus, une oeuvre du "Théâtre poétique moderne ".

Cette formule exprime bien la tendance et le mouvement de ce théâtre dit - toujours - "d'avant-garde" bien qu'il ait pris naissance longtemps avant la guerre . Je range sous ce signe : « Ubu Roi » de Jarry, « Les Mamelles de Tirésias » d'Apollinaire , certaines pièces de Ribemont-Dessaignes , et justement ce « Mathusalem » .... Pourriez-vous préciser votre conception personnelle quant à "l'esprit poétique" de cette œuvre ?

Ivan Goll : J'estime que toutes les pièces que vous venez d'énumérer sont avant tout, en effet, des oeuvres de poètes que j'opposerai aux auteurs dramatiques . Comment les distinguer par une formule ? Ceux-ci excellent à copier la vie au théâtre , tandis que les poètes ont avant tout le désir de recréer la vie. Ils ne veulent pas du tout en donner, par exemple, une image exacte, mais plutôt révéler la signification profonde des faits et des paroles qui unissent les personnages dans une action.

Geo Charles:  Et créer des prototypes ?

Ivan Goll : Oui . Et « Mathusalem » par exemple, c'est l'éternel Bourgeois . Il ne parle pas la langue courante du théâtre habituel et conventionnel. Il dit des phrases, les phrases-type que chaque bourgeois, dans n'importe quel pays, répète suivant sa prononciation. L'action de la pièce n'est pas individuelle et unique : le cas est applicable et nettement imputable à tous les bourgeois du monde entier.

Geo Charles:  Et rien de plus banal que les propos d'un tel héros !

Ivan Goll : «  L'expression » en est apparemment banale, mais avant tout elle est vraie. Et cette transposition du « vrai » me rappelle une autre formule, celle de « surréaliste » dans le sens où Apollinaire l'entendait . Vous savez, n'est-ce pas qu'il inventa le vocable « surréaliste » pour désigner précisément  « Les Mamelles de Tirésias » que vous citiez à l'instant parmi les pièces du théâtre poétique.

Geo Charles: En effet, c'est d'ailleurs dans la revue "Surréalisme" que vous avez dirigée que Pierre Albert-Birot a fixé ce point d'histoire de la façon suivante :  « ....Quant au mot « surréalisme » , nous l'avons, Apollinaire et moi, choisi et fixé ensemble. C'était au printemps 1917, nous rédigions le programme des « Mamelles » et, sous le titre, nous avions d'abord écrit « drame » et ensuite je lui ai dit : ne pourrions-nous pas ajouter quelque chose à ce mot, le qualifier, et il me dit en effet, mettons « surnaturaliste » et aussitôt, je me suis élevé contre surnaturaliste, qui ne convenait pas au moins pour trois raisons, et naturellement, avant que j'eusse fini l'exposé de la première, Apollinaire était de mon avis et me disait :  « Alors mettons   surréaliste » . C'était trouvé. ... La lettre d'Apollinaire à Paul Dermée écrite également en 1917, et reproduite dans la même revue, confirme les souvenirs de Birot .... » Et vous Goll, rangez-vous « Mathusalem » sous la même formule ?

Ivan Goll : Mon Dieu, si une formule est nécessaire !

Geo Charles: Nous appelons les pièces de ce théâtre - et « Mathusalem » - poétiques. Certaines de ces oeuvres , et particulièrement la vôtre, présentent un curieux mélange de poésie et de prosaïsme ....

Ivan Goll : J'attendais cette objection. J'ai donné à chaque personnage la langue de son âme. Ainsi, la jeune fille, Ida, sent et parle en vers, et je ne crains pas de lui prêter les images les plus lyriques, comme dans les pièces en alexandrins. Par contre le frère, voué aux affaires modernes, n'emploie que le style haché des appareils Morse. Et ainsi de suite  ... Mais le langage truculent et terre-à-terre du père n'est pas moins poétique que celui de sa fille, s'il crée l'atmosphère élémentaire du personnage.

Geo Charles: Vous confirmez l'impression que me laissa la représentation de Bruxelles. Du lyrisme pur cette réplique d'Ida :

« Je ne connais plus d'autre jour que celui-ci

Où des narcisses remplacent l'herbe des gazons.

Le soleil est un chrysanthème que tu m'offres,

Ton front pâle est une tour d'ivoire

Sur laquelle je monte pour voir le monde.

C'est toi qui bâtis les tours apocalyptiques,

Les temples d'Asie et les docks d'Amérique

Les places portent toutes ton nom,

Les horloges sonnent à chaque heure ton nom

Et les navires en mer ne sont partis que pour te voir .»

Ce poème pourrait très bien être tiré des « Poèmes d'Amour » que vous avez publiés avec Claire Goll.

Claire Goll: Oh, je n'accepte que les poésies qui me sont adressées personnellement !

Ivan Goll : Mais tout ce que j'écris s'adresse à toi ! Pour qui écrit-on, par qui veut-on être compris , sinon par l'être qu'on aime et dont on veut être admiré ?

Claire: Tu me trompes !

Ivan   : Avec toi-même !

Geo Charles: Je pense que vous allez faire dévier publiquement en "scènes de ménage" vos beaux " Poèmes d'Amour ". Au fait, si vous continuez, je pourrais dire que vos poèmes d'amour ne sont pas autre chose ... finalement !

Claire: Eh bien, vous donneriez une belle idée de notre poésie !

Ivan   : Mais Claire, après tout, je ne serais pas éloigné de croire que dans les poésies d'amour de tous les temps, les poètes ne sont occupés qu'à exprimer à leur amante des reproches et, sous forme de compliments, des sottises !

Geo Charles: Qu'en pensez-vous, Claire ?

Claire: Pour moi il n’existe qu’une sorte de poésie,  celle de l’amour. Une femme ne doit chanter que l’amour. Ce n’est que par l’amour qu'elle participe de la vie du monde. Les seuls poètes que je relis toujours,  que je comprends et que j’éprouve jusqu’au fond des moelles sont Marceline Desbordes-Valmore et Elisabeth Barrett-Browning.

Geo Charles: L’essence de leur poésie est la souffrance.

Claire: L’essence de l’amour est la souffrance.

Ivan : - Peut-être y a-t-il là comme une accusation ?

Claire:  Non,  c’est une déclaration d’amour. Géo Charles notez vite. Je prétends que c’est celui-là (qui me fait tant souffrir) qui m’a faite poète. Je lui dois d’avoir appris à exprimer en vers cette affection que toutes les autres femmes expriment en soupirs.

Geo Charles: Vous avez su prolonger à deux - en des oeuvres toujours lyriques et en des "Poèmes d’amour" que je relis avec une joie critique sans cesse accrue - votre amour de la Poésie. Votre double rêve a su se réaliser et se poursuivre en cette époque si bassement matérielle,  si misérable,  selon un rythme de beauté et d’idéal !

Ivan :  Ce rêve nous sauve!  Tout ce qui se passe en dehors de lui et de notre amour devrait nous laisser indifférents. Nous sentons confusément que les soucis du jour sont des soucis bien lamentables,  mais aussi passagers. Les époques où l’humanité a faim,  reviennent toujours. Cette fois,  sa détresse provient de sa bêtise. Mais passons. Parlons d’amour qui est la seule raison d’être et qui est éternel. Thème peu actuel Thème qui le redeviendra au prochain printemps,  soyez-en sûr ! Sinon,  dans cent ans. Et il vaut mieux avoir raison dans cent ans que l’année prochaine. La vérité se mesure par siècles. »

Je laisse Claire et Yvan, assis en leur jolie terrasse d'Auteuil, dont j'aime tant caresser les feuilles . Lui, grapillait les raisins qui pendaient au vieux cep qui épouse la grâce de la balustrade, elle, appelait une demi-douzaine de pigeons blancs et leur donnait à manger dans sa main pâle … Les deux silhouettes, les bêtes et les choses, se composaient dans des attitudes qui me sont familières depuis longtemps … en cette petite terrasse du jardin automnal d'Auteuil qui m'apparaît toujours comme un carrefour rustique où la vie et la poésie viennent s'unir.

Le Journal des Poètes 2ème année, n°5 - 12 déc. 1931- Bruxelles.

p.1 -2 Géo Charles : Interview de Claire et Ivan Goll sur la Poésie :

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