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Claire & Yvan GOLL
Claire & Yvan GOLL
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2 décembre 2008

Audiberti sur Yvan Goll

Audiberti : Ivan Goll, La Chanson de Jean Sans Terre

« Un Juif marche. Son pas formule une chanson. Sur des rimes croisées, elle chemine strophe par strophe, et chaque strophe offre une bouffée, petite et carrée de respiration. Mais quel est ce Juif qui marche ? C’est le Juif, le Juif occidental de nos légendes, le Satan familier des routes et des villages, notre horrible, notre tendre ennemi à nous chrétiens. (Pour ma part, s’il m’est permis de dire mon mot dans cette page, je ne pense qu’à lui, et jusqu’à m’y confondre également.) Mais ce pèlerin perpétuel, cet Isaac Laquedem ou, mieux, cet Ahasvérus, qui sort de la houille grise des âges et qui, sous son chapeau de poils, porte les cornes de la pire misère et de la pire grandeur, et qui est, tout simplement, l’Homme, Ivan Goll, dans son livre, le nomme Jean Sans Terre. Nous comprenons tout de suite que notre poète voulut, par là, incarner le mythe du marcheur perpétuel dans un personnage plus historique, plus proche, tout mêlé à la chrétienté, noué au souvenir et à l’évocation d’une sorte de bohème médiévale, de mendicité dominatrice (En outre, Jean Sans Terre a l’ironique mérite de signifier Jean Qui Possède La Terre. Nous appelons ça l’antiphrase.)

Ivan Goll participe de deux cultures, la française, l’allemande, mais son esprit géminé et sa sensibilité monacale  (humble et égoïste) baignent volontiers à la plus athénienne, à la plus désintéressée lumière.

Sujet de Charlemagne, frère de l’Angelico et touriste à ses heures, il s’autorise de ses origines judaïques pour reconnaître dans sa propre destinée celle du piéton colossal alors que celui-ci passe et repasse à travers nos siècles et nos pays.

Les poèmes de La Chanson de Jean Sans Terre où se tressent ensemble la volatilité et la nostalgie de celui qui ne tient à rien, se composent de vers qui, comme ceux du Clair de la Lune ou du Bon Tabac dans ma Tabatière, mesurent cinq pieds, mais à une hauteur qui serait tout de même celle de la neige ou de la mer. Voyez comme notre auteur en pleine rigueur écrite les vieux airs de l’enfance:

                                               Jean Sans Terre penche

                                               Son profil amer

                                               Sur l’eau qui s’épanche

                                               Vers la grande mer …

                                               Ta mesure intime

                                               Toujours se défait

                                               En aveugle urine

                                               Et mousse de lait …

            Certes, c’est un des plus émouvants apanages de la poésie qu’elle puisse, ainsi, suggérer la musique, et la détenir dans la trame même d’un texte qui, cependant, dit ce qu’il veut dire. Non seulement la " couleur " des paroles, mais, encore, celle des pensées et des images, émettent, en se juxtaposant étroitement, des vibrations qui, associées à celles, plus matérielles, plus physiques, de l’articulation et de la quantité vocales, provoquent une harmonie contrapunctique à base d’interférences subtiles. Et la ritournelle court dans la littérature.

Cela me touche de constater que, dans ce livre, Ivan Goll renonça aux trop aériennes et, pourtant, trop personnalisées, trop incommunicables dispositions du vers libre, du vers libre où je persiste à voir l’instrument très vaste, très sincère, le plus vaste et le plus sincère, de la poésie, mais, aussi, un élément provisionnel, à peine ouvré, mal marqué des sceaux nobles et pénibles de l’humain.

Après Métro de la Mort où Ivan Goll exprimait la pulvérulence et la liquidité d’un nomadisme encore un peu esthète, et qui prolongeait directement ses oeuvres de cette après-guerre immonde et singulière dont j’imagine volontiers que Goll fut un des représentants les plus significatifs — le corrompu praticien d’une liberté aussi illimitée que faisandée — notre poète, maintenant, adopte le rythme pair, honnête, artisanal, ressemelé, régulier, et immense, et, sans conteste, magique. Et le voilà tout heureux et tout surpris de faire rimer "ail" avec "Adonaï, "miel" avec  "Ezéchiel", d’accoupler aux noms farouches et sublimes les détails savoureux d’une juiverie culinaire et maisonnière ? Allons ! La place des Vosges n’est pas si loin du ghetto !

                                   Il aime la carpe

                                   au vinaigre, au miel.

                                   Il aime la harpe

                                   du rude Ezéchiel.

Quelquefois, pourtant, le libertaire de la prosodie reparaît, celui qui prétendait, qui préférait n’interposer que le moindre écran sensible et verbal entre son intention et le lecteur. Alors Ivan Goll écrit, au fil d’un poème, …“ fils de diamantaire ” ou “ révolutionnaire ”… ou quoi que ce soit d’aussi peu fait pour figurer dans une économie compacte de syllabes soigneusement dénombrées. Mais ces prosaïsmes authentiques apportent, dans cette chanson, les présences politiques ou sociales indispensables à la plénitude d’une épopée israélite.

Heimatlos, poète, Ahasverus — Jean Sans Terre, — Ivan Goll, de port en port et le long de la Seine qu’il aime, et devant le miroir et devant le printemps, et devant la mort, dévide son chemin.

A la fois cupide et indifférent, il termine en ce moment sa course par une prophétie favorable qu’il prononce en regardant l’Orient.

                                   Ici s’échafaude

                                   le pont suspendu

                                   des assemblées chaudes

                                   de l’individu.

                                  

Je salue ce livre. Tout pesant, tout grenu de nos réalités corporelles, il ruisselle d’une mystique et d’une confiance humaines d’où Dieu, un jour où l’autre sortira, car Dieu et l'Homme c’est exactement la même chose».

Audiberti. Europe, n°168 - 15 Décembre 1936,

- Le Deuxième livre de Jean Sans Terre ainsi que le Troisième livre de Jean Sans Terre, envoyés à Audiberti avec de beaux envois d’Yvan Goll ont été mis en vente par la Librairie "Les Mains Libres ", Catalogue No 6 p.56, Paris - juin 1972.

Audiberti et Goll étaient liés à travers Claire ; de 1935 jusqu’à sa mort en 1965, Audiberti essaya, en vain, dit Claire de faire d’elle sa maîtresse ; un important courrier passionnel est conservé à La Fondation Goll de S.D.d.V.

Claire Goll rend compte de ces amours inassouvies dans “La poursuite du Vent” p.204 à 208:

“ Audiberti détestait Goll, et on peut lire sa haine dans les caricatures qu’il en fit.

— Quand laisseras-tu tomber ce Juif ? me demandait-il souvent.

— Et moi, que suis-je d’autre ? répliquais-je.

— Toi, tu es Dannie.

Follement amoureux, il me faisait des déclarations que je subissais comme un cyclone. Je n’ai pourtant jamais couché, avec Audiberti … J’aimais son génie mais pas son corps. Je ne pouvais répondre à ses poèmes d’amour que par mon amitié. ”

Audiberti lui dédicaça en particulier “ La Mort de Cléopâtre”.

On trouve également dans M.S.T. de nombreux témoignages de cette passion p.163 (traduction inédite de Claire Goll S.D.d.V.)

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